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Ottawa, le 14 avril 2000
2000-031

Allocution de
l'honorable Paul Martin, ministre des Finances du Canada, devant l'Institute for International Economics

Washington, D.C.
Le 14 avril 2000

Le texte prononcé fait foi.


L'Institute for International Economics jouit depuis longtemps d'une réputation bien méritée pour son analyse perspicace des grandes questions de politique gouvernementale. Je suis donc heureux de pouvoir vous entretenir d'une question qui est d'une d'importance capitale pour le développement économique et social à l'échelle mondiale, à savoir la réforme des institutions financières internationales (IFI).

Cette question, jumelée au plus important de tous les objectifs – la réduction de la pauvreté et l'amélioration de la qualité de vie partout dans le monde – constituera la grande toile de fond à la réunion, demain, des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G-7. De plus, elle sera le cadre des discussions des participants aux réunions des institutions de Bretton Woods qui s'amorceront dimanche.

À ce jour, une part importante des échanges qui ont eu lieu ont porté principalement sur les questions pointues que sont les facilités et les frais de crédit du Fonds monétaire international (FMI). Je voudrais, aujourd'hui, situer la question dans le contexte du débat plus général sur la réforme de l'architecture financière internationale. En bref, pour la réussite de la réforme des IFI, nous devons reconnaître le grand débat qui oppose une saine régie économique mondiale et la nécessité de respecter la souveraineté nationale, débat qui, par ailleurs, provoque une redéfinition profonde des deux concepts.

Tous sont d'accord pour dire que la stabilité financière est un « bien public ». La plupart conviendraient également que ce bien public n'est pas toujours fourni de façon naturelle par les marchés; il est plutôt l'effet espéré, quoique non toujours concrétisé, des structures mises en place par les gouvernements – c'est-à-dire les banques centrales, la réglementation sur les titres et la surveillance des banques. L'expérience nous enseigne que pareilles structures sont nécessaires aux marchés intérieurs qui, tout simplement, fonctionnent mieux avec elles. Nous devons nous pencher sur le rôle joué par les institutions de Bretton Woods alors qu'elles veillent sur ce bien public, c'est-à-dire la stabilité financière sur les marchés mondiaux.

Si nous portons notre regard 50 années en arrière, nous constatons sans équivoque que les architectes de Bretton Woods n'ont pas conçu leur système en prévision d'un monde caractérisé par des mouvements massifs de capitaux privés – ce qui est la réalité de l'économie actuelle. Dans le sillage des crises des banques, des taux de change et de l'endettement des années 1930, les architectes de Bretton Woods apparentaient les flux de capitaux privés et les variations des taux de change à des sources d'instabilité. C'est pour cette raison que les taux de change ont été fixés et que des accords internationaux ont été conclus sur des contrôles à imposer aux mouvements de capitaux, formule qui a donné de bons résultats pendant près de 30 ans.

Toutefois, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, les contrôles des capitaux n'étaient plus souhaitables. En effet, ils n'étaient plus soutenables à cause de la complexité croissante des marchés financiers et des chocs de prix provoqués par l'OPEP. Le démantèlement progressif des contrôles aux mouvements de capitaux qui a suivi a coïncidé en partie avec la montée des flux internationaux de capitaux privés, laquelle s'est poursuivie au point où ces mouvements dominent les marchés financiers du monde.

En soi, cela ne fait pas problème. Mais, comme nous le savons, il peut en être autrement si des transferts ont lieu subitement. Que pareils transferts soient motivés par la dégradation des facteurs économiques « fondamentaux », par la peur ou la spéculation, le résultat est le même – de graves crises financières qui perturbent la croissance économique et le développement social dans une grande partie du monde.

À ce jour, la réaction aux crises de compte de capital consiste à offrir un ensemble imposant de mesures financières, sous la direction du FMI et avec l'appui de la Banque et des fonds bilatéraux, dont l'objet est de rétablir la confiance. Je suis d'avis que cette façon de faire a permis d'éviter la pire forme d'effondrement économique dans le cas des récentes crises en Amérique latine et en Asie, mais cela ne signifie pas qu'elle ne s'accompagne pas de difficultés.

Pour tout dire, les IFI et les gouvernements nationaux n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour offrir sans cesse une aide de cette ampleur. Cependant, même si les ressources existaient, on se rendrait compte de plus en plus des inconvénients de l'application régulière de mesures de ce genre, à cause du changement de comportement des créanciers et des attentes en matière de risque et de rendement qu'elle provoque.

La Commission Meltzer a proposé de résoudre le problème en limitant à 120 jours la durée des prêts consentis par le FMI, lesquels seraient renouvelables une fois et assortis de taux d'intérêt de pénalisation. Cette recommandation peut sembler intéressante théoriquement, mais elle pose plusieurs problèmes pratiques lorsque envisagée dans la perspective plus large qui nous intéresse ici.

À titre d'exemple, son application aurait entraîné le retrait de l'assistance fournie à la Thaïlande au printemps de 1998, alors même que la situation en Indonésie devenait chaotique. Il aurait bien pu en résulter un nouveau cycle de contagion.

En outre, il peut être nécessaire de procéder à la consolidation des finances intérieures des pays frappés par la crise afin de rétablir la confiance dans les marchés. Toutefois, il est tout simplement impossible de remanier les dépenses de l'État en assurant la protection adéquate de la population en 120 jours sans provoquer un degré de souffrance inacceptable.

Ainsi, si j'admets l'hypothèse selon laquelle la durée des prêts consentis par le FMI doit être la plus brève possible, compte tenu des réalités de l'heure, le Fonds doit avoir la marge de manœuvre voulue pour accorder des facilités à long terme si besoin est.

En ce qui concerne la Banque mondiale, la Commission Meltzer limiterait son activité, voire celle des banques régionales de développement, aux pays les plus pauvres seulement, en invoquant la capacité des économies émergentes à revenu moyen de contracter des emprunts sur les marchés privés. Force est de se demander à nouveau si cette solution reconnaît la réalité dans laquelle nombre d'économies naissantes se trouvent.

À n'en point douter, les marchés émergents sont beaucoup plus ouverts aux mouvements de capitaux privés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient voilà 10 ou 20 ans. Cela dit, les rapports avec les prêteurs privés sont ténus, hasardeux et intermittents. En réalité, les pays à revenu moyen comptent des centaines de millions de gens pauvres dont les besoins en services de santé et d'enseignement de base sont les mêmes que ceux des pays les plus pauvres – services qui ne pourront être financés par des capitaux provenant des marchés financiers.

En somme, la répartition des revenus prime le revenu moyen lorsqu'il est question du rôle que jouent les IFI dans la lutte à la pauvreté. Cela signifie que la Banque doit demeurer apte à offrir de l'aide au développement aux économies de marché émergentes à revenu moyen ainsi qu'aux pays les plus pauvres.

Sachez que si je remets en question ces deux propositions de réforme du Fonds et de la Banque, je ne doute pas de la nécessité de la réforme. En effet, la Commission Meltzer a fait une contribution très utile au débat. Mais je crois que nous allons à l'encontre du but recherché si nous envisageons la réforme des IFI dans la seule perspective des institutions et de leurs programmes, sans tenir compte de la nécessité de procéder rapidement à la réforme générale de l'architecture, sous tous ses aspects. Bref, la réforme des institutions financières internationales n'est pas une question qui peut être discutée de façon isolée. Elle doit être débattue dans le contexte des réformes nécessaires à la résolution des problèmes auxquels le système financier international dans son ensemble doit faire face.

Le scénario fait intervenir quatre ensembles d'acteurs : premièrement, les institutions internationales qui font la promotion de la coopération mondiale – non seulement les IFI mais l'éventail complet, y compris les organisations de l'ONU et autres; deuxièmement, les décideurs responsables des orientations politiques des gouvernements nationaux; troisièmement, les marchés financiers privés; quatrièmement, la population mondiale, qui nous prie de faire en sorte que la mondialisation profite à tout le monde.

Permettez-moi maintenant de commenter chacun de ces ensembles.

D'abord, est-il logique d'envisager la réforme du FMI et de la Banque mondiale sans examiner leurs rapports avec les autres institutions s'occupant de coopération à l'échelle mondiale – allant des diverses organisations des Nations Unies à l'Organisation mondiale du commerce? Je ne le crois pas. Le mode de coopération, réelle ou souhaitée, de ces institutions est au cœur même de la direction des affaires gouvernementales à l'échelle planétaire.

Ensuite, est-il possible de songer à la réforme des IFI sans d'abord prendre en considération le rôle des décideurs de chaque pays? Je dois répondre à cette question également par la négative.

Soyons francs. Les inquiétudes exprimées par plusieurs gouvernements sont en partie fondées sur le fait que nous demandons aux pays en développement d'adopter séance tenante des réformes économiques et sociales que les pays industrialisés ont mis des décennies à instaurer. Faire fi de cette réalité équivaudrait à démentir les préoccupations légitimes qu'ont de nombreux intéressés face au rythme et à l'ampleur des changements qui s'opèrent mondialement. Voilà pourquoi nous devons considérer comme impératives les questions d'échéancier, de rythme, de séquence et de transition qui composent également un élément important de l'architecture internationale trop souvent ignoré lorsqu'il est question de réforme des IFI. Toutefois, cela dit, nous devons chercher constamment à parfaire les critères de mesure.

La garantie la plus sûre contre l'instabilité financière internationale est, depuis toujours, un leadership intérieur solide, et cette situation ne changera pas. Elle passe par de saines politiques macro et microéconomiques. L'objectif poursuivi consiste à cerner les problèmes avant qu'ils se transforment en crises pour que les gouvernements puissent intervenir rapidement et que les marchés ne soient pas pris au dépourvu. Ainsi, nous avons tous soutenu que les gouvernements nationaux devaient produire des données transparentes qui aideront les investisseurs privés à choisir des placements en connaissance de cause et qui permettront aux marchés de mieux repérer d'éventuels points faibles.

Toutefois, nous avons parfois oublié que l'objectif en matière de données transparentes est en mutation constante et augmente sans cesse. Voilà ce qui se produit à l'intérieur des pays – et pourquoi n'en serait-il pas ainsi également à l'échelle internationale? À titre d'exemple, les gouvernements nationaux – qu'ils soient riches ou pauvres – doivent sans cesse passer en revue et améliorer la surveillance du secteur financier. La question nous intéresse tous, et nous devons tous progresser au même rythme.

En effet, beaucoup de progrès ont été réalisés depuis deux ans à ce sujet. Le Forum sur la stabilité financière vient de terminer ses travaux sur le rôle des fonds de couverture, les centres financiers extraterritoriaux et les flux de capitaux – autant de questions importantes pour une meilleure compréhension des risques inhérents et des pratiques exemplaires en vue d'éviter les problèmes sur les marchés financiers mondiaux.

Les questions toutefois sont les suivantes : Comment peut-on garantir l'application des pratiques exemplaires une fois qu'elles sont déterminées? Comment peut-on surveiller les résultats obtenus?

En ce qui concerne la première question, les pratiques exemplaires ne seront pas appliquées et les normes et codes ne seront pas respectés si les pays qui sont tenus de les adopter n'ont pas voix au chapitre. Les économistes spécialisés en développement ont appris que les prêts sont inefficaces si les pays débiteurs n'ont pas « prise » sur le programme de développement – argument valable également quand il est question de réforme de l'architecture.

Voilà à quoi tient la grande importance du G-20. Il est composé du G-7, des économies de marché émergentes de toutes les régions de la planète, de même que de représentants des institutions de Bretton Woods et de l'Union européenne. À ce titre, il réunit une représentation de plus de 85 % de la population mondiale et de 65 % du PIB mondial. Le G-20 se concentre actuellement sur les dispositions relatives aux taux de change, la réglementation et la surveillance du secteur financier et la gestion prudente du passif – tous des dossiers visés par la réforme architecturale dans lesquels les gouvernements nationaux, par une action concertée, sont de plus en plus préparés à prendre les mesures qui s'imposent pour diminuer la vulnérabilité face aux crises.

S'il est supposé que tant le Forum sur la stabilité financière que le G-20 mèneront à bien leurs efforts, une question importante se pose dans le cadre de nos propos, c'est-à-dire celle de savoir comment il faut procéder pour surveiller l'évolution de la situation et garantir sa progression.

À cet égard, je proposerais que le Fonds soit prêt à redéfinir continuellement la portée de sa fonction de surveillance et que la Banque augmente sensiblement le rythme de son activité visant à mettre en place une capacité institutionnelle dans les économies de marché naissantes et les autres. En clair, la réforme de la Banque et du Fonds ne doit pas se tourner vers l'intérieur seulement. Elle doit prendre en compte les progrès réalisés par les nouvelles institutions « virtuelles » comme le Forum sur la stabilité financière et le G-20.

Le troisième ensemble d'acteurs dans notre scénario est composé des marchés financiers privés.

Le Canada croit que la réforme des IFI doit passer obligatoirement par un cadre efficace présidant à l'intervention du secteur privé en faveur de la prévention et du règlement des crises. Le raisonnement est simple. Pour reprendre les paroles de Barry Eichengreen : à moins d'accroître la prévention des crises, vous ne pouvez diminuer les prêts consentis en situation de crise. Et selon nous, un cadre efficace d'intervention du secteur privé est un instrument essentiel de prévention. Pourquoi? Parce que les mouvements de capitaux privés dominent actuellement le système financier international.

Parvenons donc enfin à intégrer des clauses d'action collective aux titres d'emprunt garantis par les pouvoirs publics. Le Canada annonçait hier qu'il ajouterait pareilles clauses à ses émissions futures d'obligations et de billets libellés en devises. Nous espérons que d'autres pays l'imiteront.

Qui plus est, le Canada pense que nous devons être prêts à examiner sérieusement le recours à des clauses d'arrêt des remboursements de dette en cas de graves perturbations financières. En effet, il n'existe aucun autre meilleur exemple de la nécessité d'harmoniser la réforme des IFI et les interventions dans d'autres secteurs.

Songez à l'objectif mis de l'avant par la Commission Meltzer : des programmes d'une durée maximale de 240 jours. La réalisation de cet objectif commande, d'une façon réaliste, la pleine participation des investisseurs du secteur privé.

Leur participation volontaire est cependant difficile – voire impossible – dans le mouvement de « sauve-qui-peut » qui caractérise souvent les crises financières internationales. Il s'ensuit donc que les tenants des programmes de financement de courte durée ou de taille modeste devraient également favoriser les clauses d'arrêt, d'où la nécessité de poursuivre la réforme des IFI de concert avec les objectifs plus vastes de la réforme de l'architecture financière.

Finalement, le quatrième ensemble d'acteurs dont je veux traiter est, sous bien des rapports, le plus important – les gens de chacun de nos pays qui composent ensemble la population mondiale.

Au cours de leurs 50 premières années d'existence, les institutions de Bretton Woods ont surtout exercé leur activité dans une certaine obscurité. Toutefois, ces dernières années, elles ont été un point de mire comme jamais auparavant. Le grand intérêt qui leur est porté témoigne de l'effet du FMI et de la Banque mondiale sur le bien-être des particuliers et des familles dans le monde entier, dans une économie mondiale fortement intégrée.

Or nous devons faire la démonstration que la réforme architecturale et son corollaire, la réforme des IFI, font partie de la solution et non du problème.

Nous devons montrer que nous sommes sensibles au fait que les pays sont composés de personnes et non d'indicateurs économiques.

Nous devons nous pencher sur le scepticisme à l'égard des motifs réels de rencontres comme celle qui se déroule ce week-end.

Jusqu'à tout récemment, l'activité des ministres des Finances, des ministres du Développement et des gouverneurs des banques centrales réunis intéressait presque exclusivement les participants et quelques observateurs curieux. Je pense que la situation changera pendant ce week-end. Et c'est à nous de décider si elle doit changer pour le meilleur ou pour le pire.

Nous sommes mis au défi de prouver non seulement que les marchés mondiaux sont essentiels à l'amélioration du niveau de vie mais aussi que les gouvernements nationaux, par l'action multilatérale qu'ils exercent au sein des grandes institutions internationales, sont les garants du bien-être de la population.

En des termes simples, l'intégration mondiale devrait représenter la voie la plus nette et la plus directe qu'emprunteront des centaines de millions de personnes pour sortir de la pauvreté.

Notre tâche est de veiller à ce que cela se réalise.

Elle nous somme de faire en sorte que la conjugaison des nouvelles technologies et des marchés ouverts se solde par des revenus majorés, des débouchés plus intéressants et une sécurité accrue au profit des populations de toutes les régions du monde.

J'estime que cet aboutissement dépendra du succès que nous aurons, à réaliser l'objectif global de la réforme financière internationale.

Je ne suis pas certain que tous les manifestants attendus ce week-end seraient d'accord avec moi, mais je suis sûr que leurs enfants nous donneront raison si nous réussissons.


Dernière mise à jour :  2002-05-30 Haut

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