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Ottawa, le 7 mai 2000

Discours prononcé aux rencontres culturelles chrétiennes de 2000, à l'Université Assumption

L'honorable Paul Martin,
ministre des Finance du Canada

Windsor, Ontario
le 7 mai 2000

Le texte prononcé fait foi.


Je tiens d'abord à souligner à quel point je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Les mots me manquent pour dire combien je suis ravi d'être récipiendaire de la médaille d'or des rencontres culturelles chrétiennes pour cette année, une marque de reconnaissance doublement importante pour moi étant donné que mon père en a été récompensé, il y a de cela 44 ans. J'avais 18 ans à l'époque, et je me souviens à quel point cet honneur l'avait comblé.

Comme moi, il y attachait une grande importance surtout en raison de la très grande contribution des rencontres culturelles chrétiennes à l'analyse et à la discussion des valeurs de notre société et des forces qui les façonnent. Pour mon père cependant, la récompense avait une signification particulière puisque l'activité avait été fondée par un grand ami à qui il vouait une profonde admiration, le père Stan Murphy. Mon père et le père Stan aimaient se rencontrer pour partager une activité qui leur plaisait énormément – essayer de placer un mot dans un débat des enjeux publics.

Je me souviens en particulier d'une conversation qu'ils ont eue à notre chalet, il y a de cela de nombreuses années. Ils ont traité du rôle des rencontres culturelles chrétiennes et des établissements universitaires en général – le domaine du père Stan – dans le façonnement des valeurs de la société. Ils ont aussi parlé du milieu dans lequel évoluait mon père – celui des parlementaires – et de la responsabilité qui lui incombait d'intégrer et d'incorporer les valeurs de la société aux politiques gouvernementales.

Aujourd'hui, j'aimerais poursuivre cette conversation, ou plutôt vous parler de son aboutissement. J'aimerais en effet vous entretenir de l'état de notre démocratie. Ou, en particulier, j'aimerais discuter de la nécessité de réaffirmer le rôle de la Chambre des communes en tant que principale tribune de discussion des besoins du pays.

L'idée m'est venue quand j'ai écouté un enregistrement du discours de mon père aux rencontres culturelles chrétiennes de 1956. Certaines choses de l'époque n'ont pas beaucoup changé aujourd'hui. Dans ce discours, mon père soulignait : « parmi les puissants courants contraires de notre époque, un établissement comme Assumption peut en vérité faire office de gardien de la liberté, constituer un exemple de tolérance, être un dépositaire de la sagesse et un explorateur à la recherche de vérité... »

Cette affirmation s'appliquait alors à l'Université Assumption. Et elle s'applique aujourd'hui, mais de nos jours certaines choses sont très différentes de ce qu'elles étaient alors. Dans son discours, mon père mettait l'accent sur les dangers du communisme. Il était clair à l'époque que nous avions un ennemi commun, et que les opinions étaient tranchées. À ce moment-là, le monde était divisé en deux forces – le communisme et la démocratie – qui se disputaient férocement la faveur du reste du monde.

Aujourd'hui cependant, il n'existe qu'une seule force mondiale, et elle n'a besoin de la faveur de personne. Cette force est la mondialisation, c'est-à-dire l'union du triomphe de la libre entreprise et de l'application en cascade de l'innovation technologique. Les marchés mondiaux de plus en plus ouverts débouchent sur un changement radical qui se propage à la vitesse de l'éclair. Aucun pays ni aucune idéologie en particulier ne se profile derrière cette force.

Celle-ci est porteuse de grandes promesses, mais elle occasionne des changements avec lesquels les gouvernements nationaux n'ont pas encore appris à composer. Le processus de mondialisation qui entraîne l'accroissement de l'innovation et du niveau de vie porte également en lui la menace pour l'économie d'un effet de déplacement et un sentiment d'impuissance politique. Cela revient à dire que l'émergence d'un marché unique de marchandises, de services et d'idées soulève également des craintes et des angoisses profondes, les populations ayant l'impression d'être prises en otage par des forces qu'elles ne peuvent maîtriser.

C'est la raison pour laquelle j'estime qu'il est important de vous parler du rôle du Parlement, plus particulièrement celui qui consiste à veiller à ce que les valeurs qui sont débattues dans le cadre de tribunes comme les rencontres culturelles chrétiennes soient effectivement mises en pratique.

Comme les gens un peu partout dans le monde n'assistent pas au débat qui devrait avoir lieu à l'échelle nationale sur ces questions, leur confiance en l'avenir est ébranlée par la crainte que leur gouvernement national ne réussisse pas plus qu'eux-mêmes à faire travailler les forces de la mondialisation au profit de l'ensemble de la population. Pour un trop grand nombre de personnes dans le monde, le processus politique actuel semble tout simplement inefficace.

Nous voyons donc de nos jours de plus en plus de personnes chercher à créer leur propre processus décisionnel. Les manifestations qui ont marqué la réunion de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle ont sonné l'alarme – elles nous ont rappelé qu'un nombre croissant de personnes se sentaient exclues et avaient perdu confiance dans les tribunes habituelles des démocraties modernes. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tous les protestataires, mais j'estime que le mouvement signale un malaise profond. Ce mouvement ne dénonce pas des politiques particulières, mais il remet plutôt en question la légitimité du processus en soi – et le droit que s'arrogent ce que les manifestants appellent des « organisations non représentatives » de prendre des décisions en leur nom.

Par exemple, je me trouvais à Washington il y a trois semaines aux assemblées du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, et c'est en très grande partie l'esprit qui se dégageait de la foule des manifestants. Nul besoin d'être prophète pour vous dire que les institutions internationales risquent d'entendre ce genre de message de plus en plus souvent. Toutefois, la vraie question qu'il faut se poser est la suivante : les rues de Washington, ou de toute autre ville, sont-elles le meilleur endroit pour influer sur les grands enjeux actuels? Je ne le crois pas.

Dans une démocratie, il existe un endroit où il est possible d'exercer une influence sur les politiques du FMI, de la Banque mondiale et de l'Organisation mondiale du commerce et sur les enjeux mondiaux qu'ils étudient, et cet endroit, c'est l'assemblée législative d'un pays.

Au Canada, il s'agit du Parlement, et c'est à cet endroit, d'abord et avant tout, que le public doit se manifester. C'est à cet endroit que la volonté du peuple doit être entendue et mise en application. C'est à cette assemblée que doit être façonnée la réaction du Canada au changement radical qui s'opère, et où doit être élaborée notre stratégie visant à ce que les Canadiens profitent des bienfaits engendrés par ce changement. C'est la raison pour laquelle je m'inquiète du fait que certains considèrent le gouvernement – élu démocratiquement, devrais-je ajouter – comme étant incapable d'écouter le point de vue de tous ses commettants, et de façonner une politique qui tient compte de leurs intérêts généraux.

Prenons l'exemple d'une jeune personne qui étudie à l'université et qui se préoccupe de l'avenir de la société et des enjeux qui la caractériseront. Comment exprime-t-elle ses préoccupations? Probablement en joignant les rangs d'une organisation qui se consacre à un aspect de la vie collective – comme l'environnement, les droits des femmes, les droits des enfants ou la pauvreté. Ces causes sont fort louables, et les organisations non gouvernementales qui les défendent accomplissent un travail remarquable. Cependant, pourquoi de moins en moins de gens ont-ils l'impression de pouvoir défendre ces causes aussi bien à l'intérieur de la structure parlementaire?

Il est facile de perdre ses illusions à l'égard des institutions démocratiques. Celles-ci ne sont pas parfaites. Elles sont lentes. Elles nous obligent souvent à prendre du recul pour mieux avancer. Mais elles permettent aussi à un pays d'assumer librement son destin et, mieux que toute autre institution, d'établir un programme commun. Cela vaut pour les questions qui découlent de l'émergence du village planétaire, comme pour répondre aux questions déontologiques qui résultent de la découverte technologique.

Les nouvelles technologies soulèvent des questions auxquelles nous n'aurions pas pensé, il y a 30, 20 ou même 10 ans. Or, les réponses à ces questions ne sont pas parfaitement claires; comme la mondialisation en soi, elles comportent de nombreuses zones grises. Par exemple, le mois dernier, le Cabinet japonais a déposé un projet de loi interdisant le clonage humain au niveau de la recherche, par respect pour la dignité humaine. Pourtant au Royaume-Uni, le gouvernement attend le rapport d'un groupe d'experts qui pourrait préconiser la levée de l'interdiction du clonage des tissus embryonnaires à des fins thérapeutiques.

Cette divergence d'opinion n'illustre qu'une infime partie des difficultés que la société devra surmonter à l'avenir pour composer avec les problèmes déontologiques susceptibles de découler de l'innovation technologique. Des tribunes comme les rencontres culturelles chrétiennes permettent de débattre ces questions morales.

La question demeure toutefois la suivante : Comment en arriver à régler ces problèmes en tant que société? Dans une société démocratique, la réponse est claire. Nous avons parlé de la nécessité pour l'État-nation de prouver qu'il peut relever le défi de la mondialisation. Nous avons aussi parlé de la nécessité pour la société d'exprimer ses valeurs morales par l'entremise de la loi.

Des deux besoins qui précèdent, il se dégage un trait commun : il doit absolument exister une tribune nationale pour débattre tous ces enjeux. Le Parlement a toujours constitué cette tribune. Comment faire en sorte qu'il continue d'exercer cette fonction? Comment veiller à ce qu'il demeure au centre des débats du village planétaire de l'ère moderne? Il est facile de perdre de vue que tout au long de l'Histoire, le Parlement – au Canada comme à Westminster, où il a vu le jour – a toujours favorisé la recherche du changement, et il a toujours fait en sorte que la société soit capable de composer avec les répercussions de ce changement.

David Ricardo n'était pas seulement un grand économiste, il était aussi un parlementaire exceptionnel. C'est à la Chambre des communes britannique qu'il a parrainé l'abrogation des lois sur les céréales, favorisant ainsi l'avènement d'une nouvelle ère de libre-échange qui a caractérisé la politique britannique du XIXe siècle.

Au début du XXe siècle, lorsque J.S. Woodsworth a été élu à la Chambre des communes à Ottawa, il y a amené de Winnipeg le débat sur la justice sociale.

Quand Pierre Trudeau, Jean Marchand et Gérard Pelletier ont voulu faire valoir leur idée du fédéralisme, c'est au Parlement qu'ils sont venus. Et de nos jours, devant les défis posés par la mondialisation, l'évolution de la technologie, ou quelque autre aspect de la vie moderne, c'est au Parlement que doit prendre forme la réponse canadienne.

Pour moi, comme pour mon père et la plupart des personnes de sa génération, c'est là une conviction profonde. Je me demande toutefois si c'est le cas pour l'ensemble des personnes de ma génération et de celles qui suivront. Combien estiment que les décisions les plus importantes au sujet de l'avenir de notre pays font l'objet d'un marchandage entre groupes d'intérêts spéciaux, la bureaucratie se contentant d'un rôle d'arbitre et le Parlement étant impuissant à faire quoi que ce soit? Combien jugent que la Chambre des communes n'est qu'un théâtre de guignol où les députés de l'Opposition et les ministres du Cabinet s'entre-déchirent pour faire les délices des caméras de télévision? Comment modifier nos institutions politiques de façon à ce qu'elles rehaussent la confiance dans notre régime politique, plutôt que de la miner? Comment faire en sorte que nos institutions politiques soient des institutions nationales qui incluent tout le monde?

De nombreuses possibilités s'offrent à nous. Nous n'aurons pas le temps de les examiner toutes, mais un trait commun doit obligatoirement se dégager de toute réforme parlementaire proposée, et il s'agit du besoin d'une plus grande reconnaissance du rôle critique du député. Nous avons parlé du rôle que doit jouer le Parlement pour enchâsser les valeurs de notre pays et sa réaction au changement. Ce débat demeurera stérile s'il ne tient pas compte du rôle des parlementaires comme tel, soit, dans notre cas, des 301 députés qui siègent actuellement à la Chambre des communes. Avant que mon père devienne ministre, il a été député, et il a tiré sa force du fait qu'il représentait les gens de cette ville et du comté qui l'entoure. Notre régime permet à chaque circonscription de se faire entendre dans les décisions qui concernent l'ensemble du pays.

Les députés sont aux premières loges du combat pour l'égalité des chances, l'équité, la croissance économique. Les députés ne deviennent pas – comme on les a déjà décrits – des « citoyens ordinaires » dès qu'ils s'éloignent du Parlement. Ils constituent le pivot de notre démocratie. Quand des gens ont des préoccupations à exprimer au sujet d'une politique gouvernementale – ou de l'absence de celle-ci – ils se tournent d'abord vers leur député. Quand les gens commencent à réorganiser leurs priorités – pour déterminer quelle question doit avoir la prééminence dans le cadre du programme national – les députés sont les premiers à en prendre conscience. Si les députés n'exercent pas un rôle clé dans le processus qui consiste à concilier les intérêts en opposition, les priorités divergentes et les valeurs contradictoires, la démocratie en est irrémédiablement affaiblie.

Les députés ne sont pas seulement des messagers; chacun d'eux est un leader à sa façon. Comme l'a dit Edmund Burke à Bristol à la fin du XVIIIe siècle : « Votre représentant vous doit non seulement l'assiduité, mais aussi le jugement; il vous trahit, plutôt que de vous servir, s'il laisse votre opinion se substituer à ce dernier. » Burke faisait ainsi référence à la responsabilité d'un représentant envers ses commettants.

Cela vaut également pour le rôle que doit exercer un représentant au début de la création des lois préparées par l'exécutif du gouvernement. Le travail du député est éminemment politique. Il faut toutefois établir une distinction entre les aspects politique et partisan. Les députés ne sont pas que des Libéraux, des Conservateurs, des Néo-démocrates, ou des représentants de l'Alliance. Le Parlement n'est pas un conseil d'administration inefficace qui se réunit pour approuver des points à l'ordre du jour; il est là pour améliorer les choses. Les députés doivent pouvoir s'exprimer à la fois au nom de leur conscience et de leurs commettants.

Quand ils le font, les résultats en valent invariablement la chandelle. Par exemple, c'est à ce principe que nous devons les changements qui ont été apportés au processus budgétaire au cours des dernières années. L'une des premières mesures que nous avons adoptées à notre arrivée au pouvoir a consisté à élargir le processus de sorte que tous les députés – et, par ricochet, tous les Canadiens et toutes les Canadiennes – puissent faire valoir leur point de vue avant que la moindre décision soit prise ou qu'un seul dollar soit promis.

Le fait de démocratiser le processus budgétaire en le soumettant à des assemblées tenues par les députés dans leur circonscription a non seulement permis d'en accroître l'efficacité, mais aussi d'assurer la légitimité de certaines décisions très difficiles à prendre – lesquelles décisions devaient obtenir, et ont obtenu, l'aval d'un vaste échantillon de la société canadienne. Il n'aurait pas été possible d'en arriver à ces résultats à l'époque où le processus budgétaire était entouré d'un mystère plus épais que celui des missiles nucléaires.

Les budgets des dernières années ont été caractérisés par une transformation majeure de la politique économique canadienne. Cela n'est cependant rien en comparaison des changements qui devront être apportés si nous voulons progresser, d'une part, en tant qu'économie et, d'autre part, afin de protéger les plus vulnérables de la société alors que les forces de la mondialisation et les nouvelles technologies transforment le monde dans lequel nous évoluons.

Au moment où les Canadiens continuent de débattre les valeurs et les intérêts à privilégier dans un monde en rapide évolution, nos institutions démocratiques doivent favoriser la participation du plus grand nombre. C'est la seule façon de faire en sorte que l'ensemble des citoyens soient assurés de pouvoir jouir de la société sur laquelle ces débats mènent.

Comme l'a dit mon père en recevant la médaille d'or des rencontres culturelles chrétiennes il y a près d'un demi-siècle : « Nous savons tous que notre société ne pourra demeurer libre que si nous avons le courage d'admettre que les progrès de notre époque doivent être réalisés de façon responsable afin de pouvoir être partagés par toute la population de ce pays et du reste du monde. » Il parlait alors de la nécessité de partager le plus largement possible les bienfaits du changement.

Il avait raison, mais aujourd'hui nous devons aller plus loin. Nous devons élargir le partage à la façon dont sont prises les décisions qui sont à la source de ces bienfaits. Pour résumer, nous pouvons dire que notre travail évolue, que notre domicile change et que nos collectivités se transforment. Pour connaître le succès, nous devons aussi modifier nos institutions démocratiques, et ce, d'une façon qui assure le maintien d'une vaste participation publique aux débats qui ont cours au pays. La reconnaissance du rôle critique du député constitue selon moi une condition essentielle pour y parvenir.

La réussite du Canada en tant que société a reposé dans une large mesure sur le succès de son expérience politique. Notre régime politique a favorisé l'épanouissement du civisme, de la bienveillance, de la prudence et d'un souci d'équité – les qualités qui nous définissent le mieux en tant que collectivité. La solution aux défis auxquels nous faisons face dans le monde moderne doit consister à renforcer cette démocratie, et non à l'affaiblir. Comme l'a dit un ex-gouverneur de l'État de New York, Alfred E. Smith : « Le remède à la démocratie, c'est une plus forte dose de démocratie. »

Il avait parfaitement raison.

Je vous remercie.


Dernière mise à jour :  2002-04-19 Haut

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