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Ottawa, le 1er septembre 1995
1995-064

Réduire le déficit et la dette : l'expérience canadienne

Notes d'allocution de l'honorable Paul Martin, ministre des Finances, présentée au symposium de la Banque de réserve fédérale de Kansas City sur les questions et options en matière de déficits budgétaires et de dette

Jackson Hole, Wyoming
Le 1er septembre 1995

Le texte prononcé fait foi


Mon objectif aujourd'hui est de décrire les mesures que nous prenons au Canada pour améliorer la situation des finances fédérales. Je m'attacherai plus particulièrement aux dimensions politiques du processus, puisque je n'ai évidemment pas grand-chose à vous apprendre au sujet de ses dimensions économiques. Cela dit, il est utile en guise d'introduction d'évoquer les origines et l'ampleur du problème des finances publiques au Canada.

Le profil général des déficits et de la dette publique au Canada présente bien des points communs avec celui observé dans beaucoup d'autres pays de l'OCDE, y compris les États-Unis : une dette extrêmement élevée par rapport au PIB au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, puis une diminution rapide du ratio de la dette à la faveur de la démobilisation, d'un essor rapide de l'économie et de la persistance de taux d'intérêt effectifs peu élevés sur la dette publique.

Dans le cas du Canada, la dette totale du secteur public -- administrations fédérale et provinciales confondues -- est passée d'un peu plus de 100 pour cent du PIB en 1945 à un faible niveau d'environ 20 pour cent en 1974. Depuis cette date, ce ratio n'a à peu près pas cessé d'augmenter, pour revenir à un niveau d'environ 100 pour cent du PIB [1].

Graphique 1 : Dette nette totale du secteur public - pays du G-7

Malheureusement, la situation actuelle n'a rien de comparable avec celle d'il y a cinquante ans. On ne peut compter aujourd'hui sur les réductions massives de dépenses permises par une démobilisation des forces armées, et les taux d'intérêt sont supérieurs au rythme de croissance économique -- exactement l'inverse des conditions qui régnaient après la dernière guerre.

Le gonflement de la dette publique depuis le milieu des années 60 a coïncidé non seulement avec un essoufflement de l'État-providence moderne, mais aussi avec un ralentissement marqué de la productivité dans tous les pays les plus industrialisés. À cet égard, la situation du Canada ressemble fort à celle de la plupart des autres pays du G-7 (voir le graphique 1).

Dans la suite de cet exposé, je me bornerai à examiner la situation du gouvernement fédéral [2]. À l'amorce de la récession de 1981-1982, la dette fédérale se situait à un niveau tout à fait maniable de 30 pour cent du PIB. Cinq ans plus tard, ce ratio avait dépassé les 50 pour cent, et les clignotants s'étaient allumés. La dernière récession s'est traduite par un nouveau bond de ce ratio, qui est passé d'environ 55 pour cent du PIB en 1989-90 à environ 73 pour cent à l'heure actuelle (graphique 2).

Graphique 2 : Dette fédérale nette

Cet encours extrêmement élevé de la dette fédérale, combiné à des taux d'intérêt qui dépassent de 3 à 4 points le taux de croissance de l'économie canadienne, signifie que, juste pour stabiliser la dette fédérale en proportion de l'économie, nos recettes doivent dépasser nos dépenses de programme d'environ 3 1/2 pour cent du PIB, soit de près de $30 milliards canadiens.

Lorsque nous sommes entrés en fonction à l'automne 1993, nous nous attendions bien à trouver une situation financière déplorable -- due à la fois à un mauvais choix de priorités, ce qui relève de la politique, et aux intérêts composés, ce qui relève des lois inexorables de l'arithmétique. De fait, le déficit fédéral a atteint en 1992-93 près de 6 pour cent du PIB. Cependant, beaucoup plus fondamental était le problème apparemment insoluble posé par la simple arithmétique de la dette lorsque le taux d'intérêt est supérieur à la croissance économique. Il est apparu clairement qu'une très longue période de restriction serait nécessaire pour infléchir l'évolution de la dette. Pour y parvenir, il fallait également repenser de fond en comble le rôle de l'État et la structure des dépenses du gouvernement national. Il était de toute manière impossible d'éluder la question.

Des signaux d'alarme étaient en évidence un peu partout dans l'économie. Malgré la tenue de l'inflation au Canada, qui était l'une des meilleures au monde depuis 1989 [3], le dollar canadien était soumis à des tensions persistantes et les taux d'intérêt réels s'orientaient à la hausse, freinant la croissance et amplifiant, bien entendu, le problème des finances publiques.

Dans le même temps, le pays ne générait pas une épargne intérieure suffisante pour financer tout à la fois les besoins d'investissement du secteur privé et le déficit aussi chronique que considérable du secteur public. Le Canada était donc contraint d'emprunter de plus en plus à l'étranger. Il en est résulté une dette étrangère nette -- contractée et par le secteur public, et par le secteur privé -- dont l'encours dépasse maintenant 45 pour cent du PIB (graphique 3).

Graphique 3 : Dette extérieure nette du Canada

Malgré ces signaux d'alarme, il a fallu longtemps à l'opinion publique canadienne pour se préoccuper vraiment du problème de la dette publique et du déficit. Le changement a toutefois été assez rapide. Les gens ont pris conscience du stade vraiment critique auquel le problème était parvenu, de la relation qui existait entre des déficits persistants et le niveau élevé des taux d'intérêt réels au Canada et des répercussions des dépenses publiques sur les impôts, à l'égard desquels la population avait atteint son seuil de tolérance.

Tout cela a engendré un revirement crucial de l'opinion publique nationale. Sans cela, il me semble qu'une société démocratique ne peut réellement mettre en oeuvre les solutions qui s'imposent pour résoudre un problème d'endettement.

Au Canada, le fossé idéologique qui avait toujours séparé les faucons et les colombes en matière de déficit a commencé à se combler. Le fait est que nul ne pouvait nier l'arithmétique impitoyable des intérêts composés. Ainsi, les frais d'intérêt, qui ne représentaient que 11 cents de chaque dollar de recettes fédérales au milieu des années 70, en absorbent maintenant près de 34 cents, soit environ 6 pour cent du PIB.

Et même si certains économistes débattent de la mesure dans laquelle les déficits de l'État produisent un effet d'éviction sur l'investissement privé, ceux d'entre nous qui croient au rôle progressiste et proactif du gouvernement sur le plan social constatent clairement l'effet d'éviction que les frais de la dette publique exercent sur des programmes publics auxquels la population est attachée, comme les soins de santé et la sécurité de la vieillesse. En fait, du point de vue de la philosophie politique qui caractérise le Parti libéral du Canada, le fardeau de la dette publique menace encore plus la conscience sociale du gouvernement que la cote attribuée à nos obligations.

Les gouvernements de la plupart des provinces canadiennes -- peu importe leur affiliation -- en sont venus pour l'essentiel à la même conclusion. Au cours des deux dernières années, la plupart d'entre eux ont entrepris de remettre de l'ordre dans leurs finances. Cela a indéniablement amené une grande partie de l'opinion publique à attendre des mesures semblables de la part du gouvernement fédéral -- à espérer qu'il cesse de se payer de mots et commence vraiment à se retrousser les manches.

J'aimerais maintenant décrire les mesures que nous avons prises.

Nous avons abordé la campagne électorale de 1993 en nous engageant à équilibrer, à terme, le budget et en nous fixant un objectif intermédiaire très précis, à savoir de ramener le déficit à 3 pour cent du PIB d'ici 1996-97 [4]. Même si cet objectif paraissait peu ambitieux à certains, le fait est que le déficit fédéral avait dépassé 4 1/2 pour cent du PIB au cours de chaque année ou presque depuis 1976 au Canada et que l'accroissement résultant de l'encours de la dette faisait de cet objectif de 3 pour cent en 1996-97 -- par rapport à environ 6 pour cent en 1993-94 -- un défi bien réel (graphique 4).

Graphique 4 : Déficit fédéral

Je tiens à souligner que les 3 pour cent ne constituent qu'un objectif intermédiaire, et que le but ultime est d'équilibrer le budget fédéral. Un déficit ramené à zéro n'est pas important uniquement du point de vue comptable -- il est également très important au plan symbolique en devenant, en matière de responsabilité financière, une référence que les gouvernements provinciaux ont également adoptée et à laquelle le public canadien a souscrit. L'élimination du déficit est donc l'objectif qui continuera de présider à nos choix budgétaires. On pourrait toutefois soutenir qu'un objectif encore plus fondamental, sur le plan strictement économique, consiste à inscrire en permanence le ratio de la dette au PIB sur une trajectoire descendante. C'est en effet une condition essentielle à la stabilité des finances publiques et au maintien de la capacité de l'État -- et, donc, au renforcement de l'économie. Notre gouvernement doit laisser en héritage un ratio de la dette fortement réduit.

Nous avons beaucoup progressé sur ce plan -- plus, en fait, qu'on ne le reconnaît généralement. Nous avons amorcé un redressement avec notre premier budget, présenté en février 1994, qui réalisait des économies non négligeables, notamment au ministère de la Défense et dans le régime d'assurance-chômage. Ces mesures ont été suivies, un an plus tard, par ce que beaucoup considèrent comme le budget fédéral le plus important de l'après-guerre. Ainsi :

  • Les mesures budgétaires -- c'est-à-dire les réductions de dépenses et certaines mesures très limitées touchant les recettes -- représenteront $29 milliards canadiens sur les trois exercices se terminant en 1997-98. Dans le contexte des États-Unis, cela équivaudrait à environ $210 milliards américains sur la même période.
  • Les économies prendront dans une très large mesure la forme de compressions des dépenses -- qui représenteront $7 pour chaque dollar d'augmentation des impôts et taxes. Nous avons certes pris quelques mesures afin de rendre plus rigoureux l'impôt des sociétés et d'améliorer de façon générale l'équité du régime fiscal, mais nous avons fortement limité -- comme nous l'avions fait dans le budget de 1994 -- l'augmentation des taxes de vente et de l'impôt des particuliers.
  • En 1996-97, les dépenses de programmes seront inférieures de 10 pour cent à leur niveau de 1993-94. En fait, le Canada est le seul pays membre du G-7 à voir diminuer ses dépenses de programmes dans l'absolu. Pour avoir un point de comparaison, signalons qu'en 1992-93, les dépenses de programmes fédérales représentaient le même chiffre au Canada et aux États-Unis, soit 17.5 pour cent du PIB. D'après les prévisions faites pour 1996-97, les dépenses de programmes fédérales constitueront 16.3 pour cent du PIB aux États-Unis, mais un peu plus de 13 pour cent seulement au Canada, soit le plus faible niveau observé depuis la fin des années 50 (graphique 5).

Graphique 5 : Dépenses de programmes fédérales

  • En 1996-97, l'objectif intermédiaire d'un déficit égal à 3 pour cent sera atteint et nos besoins d'emprunt sur les marchés -- qui équivalent au déficit budgétaire unifié aux États-Unis -- auront été ramenés à 1.7 pour cent du PIB, ce qui devrait représenter le plus faible ratio parmi tous les gouvernements centraux des pays du G-7.
  • Notre excédent de fonctionnement devrait, selon les prévisions, s'établir à 3.6 pour cent du PIB ($30 milliards canadiens) en 1996-97. La chose la plus importante est que ce résultat sera suffisant pour nous permettre de commencer, enfin, à séduire le ratio de la dette. L'augmentation des excédents de fonctionnement à l'avenir permettra d'accélérer ce mouvement de réduction de la dette en proportion de l'économie.

Ces faits et ces chiffres ne donnent qu'un aperçu incomplet de la situation; en fait, ils ne révèlent pas le plus important, à notre avis. De manière plus fondamentale, nous avons cherché à modifier en permanence la structure des dépenses fédérales. Étant donné que notre problème de finances publiques est structurel, les remèdes doivent eux aussi être structurels.

Notre objectif primordial est de promouvoir l'emploi et la croissance, thème particulièrement pertinent au Canada étant donné la reprise exceptionnellement lente que l'économie a connue depuis la récession de 1990-1991. Pour nous, la réduction du déficit n'est pas une fin en soi, mais un moyen nécessaire, à mettre en oeuvre d'urgence, pour atteindre notre objectif fondamental d'emploi et de croissance.

Nous avons mis au point, pour nous attaquer aux questions fondamentales, un plan d'action intégré qui visait principalement à encourager la croissance de la productivité, tout en contribuant à corriger les caractéristiques du marché du travail qui avaient fait doubler, approximativement, le taux de chômage fondamental au Canada au cours des vingt dernières années [5]. Ce plan d'action guide nos choix budgétaires qui, au-delà de leur but strictement financier, sont conçus de manière à favoriser les changements structurels formant le coeur même de notre stratégie d'emploi et de croissance.

Par exemple, il était clair à nos yeux qu'un grand nombre des subventions versées de longue date aux entreprises nuisait en réalité à notre productivité et à notre compétitivité. C'est pourquoi, dans le budget de février dernier, nous avons réduit de 60 pour cent sur trois ans l'ensemble des subventions aux entreprises. Nous avons en particulier mis fin à une subvention de plus d'un demi-milliard de dollars par année pour le transport du grain dans l'Ouest, qui était en vigueur depuis le siècle dernier.

Nous nous sommes aperçus que, bien souvent, les caractéristiques du régime canadien d'assurancechômage nuisaient au bon fonctionnement du marché du travail au lieu de le favoriser. C'est pourquoi nous prenons des mesures importantes pour transformer l'assurance-chômage, en mettant l'accent sur la conception d'encouragements appropriés et sur des mesures d'aide active aux chômeurs de longue durée.

Nous avons également examiné à fond les paiements de transfert fédéraux aux provinces, qui représenteront cette année près de 23 pour cent des dépenses de programmes. De toute évidence, le problème des finances publiques ne pourrait jamais être corrigé sans une diminution de ces transferts. Nous étions néanmoins déterminés à ne pas imposer aux provinces une diminution supérieure, en pourcentage, à celle que nous appliquons à nos propres programmes. De plus, il aurait été illogique de nous décharger tout simplement du problème sur un autre ordre de gouvernement.

C'est pourquoi, dans le but d'accroître la liberté de manoeuvre des provinces, nous transformerons le système actuel de partage des frais de l'assistance sociale en un élément d'une subvention globale d'application plus large. Cela renforcera également les encouragements à trouver des moyens plus innovateurs et plus économiques d'assurer la prestation de l'aide sociale. Cela dit, le nouveau transfert global obligera quand même les provinces à respecter certains principes nationaux, en ce qui concerne notamment la prestation des soins de santé, mais aussi l'assistance sociale.

On ne saurait questionner l'engagement pris par le gouvernement du Canada -- et les Canadiennes et Canadiens eux-mêmes -- à l'égard de notre programme national de soins de santé financé à même les deniers publics. Nous le considérons comme étant la responsabilité conjointe du fédéral et des provinces. Ainsi, l'un des impératifs de l'assainissement des finances publiques est le maintien d'un financement fédéral continu et stable des soins de santé.

Le budget de 1995 annonçait également d'importantes réductions de dépenses dans les ministères et organismes fédéraux. Ainsi, en 1997-98, les dépenses ministérielles auront été réduites de près de 20 pour cent (dans l'absolu) par rapport au dernier exercice, la fonction publique aura diminué d'environ 15 pour cent, ce qui représente à peu près 45,000 postes, et plusieurs activités, notamment dans le secteur des transports, auront été privatisées ou "commercialisées".

Certains ministères -- par exemple ceux de l'Industrie et des Transports -- diminueront leurs dépenses de moitié. En fait, un seul ministère fédéral -- les Affaires indiennes et du Nord -- dépensera davantage dans trois ans qu'il ne le fait maintenant. Et ce cas exceptionnel reflète la situation extraordinaire dans laquelle se trouvent les autochtones du Canada. Dans tous les autres secteurs de l'administration fédérale, il faudra s'accommoder de ressources moindres (graphique 6).

Graphique 6 : Variations des dépenses des ministères fédéraux

Nous sommes toutefois persuadés que, en raison de la nature de nos décisions de dépense -- qui reflètent la volonté de repenser le rôle de l'État et de promouvoir les changements structurels qui permettront d'améliorer la productivité et l'emploi -- nous parviendrons à redresser les finances publiques tout en améliorant considérablement les fondements micro-économiques au Canada.

Permettez-moi de souligner que les mesures qui viennent d'être décrites ne constituent pas uniquement une liste de voeux budgétaires. Dans ce cas précis, l'un des avantages du système parlementaire en vigueur au Canada -- où les pouvoirs exécutif et législatif sont intégrés -- est que le budget qui est annoncé est aussi le budget qui est adopté (à condition que le gouvernement détienne la majorité des sièges à la Chambre des communes). En fait, notre budget de février avait entièrement pris force de loi au mois de juin de cette année.

Le public a bien accueilli dans l'ensemble le budget 1995, tout spécialement si l'on considère que rares sont les bénéficiaires des dépenses fédérales qui n'ont pas été touchés. En particulier, la réaction des groupes d'intérêt touchés a été discrète, peut-être du fait que les mesures étaient soigneusement équilibrées et étaient apparemment considérées comme équitables par la grande majorité des Canadiens. Quant aux marchés financiers, leur verdict a généralement été positif. En fait, le budget de 1995 a probablement atteint ou dépassé la plupart des attentes concernant les mesures que nous serions réellement capables de prendre.

Étant donné les antécédents des gouvernements fédéraux, certains continuent de douter, dans le milieu financier, de la volonté du gouvernement de garder le cap aussi longtemps qu'il le faudra. Je puis vous assurer que leur scepticisme n'est pas fondé. En fait, nous croyons que dans l'ensemble les marchés ont été rassurés par l'ampleur et la nature de nos décisions. Et même s'il convient d'être prudent lorsqu'on cherche à établir des relations de cause à effet, il est peut-être révélateur que l'écart sur les bons du Trésor entre le Canada et les États-Unis se soit rétréci, passant d'environ 200 centièmes en février dernier à environ 100 centièmes à la mi-août 1995, tandis que le taux de change demeurait relativement stable (graphique 7).

Graphique 7 : Comparaison Canada - États-Unis

J'aimerais maintenant expliquer la manière dont nous nous y sommes pris pour accomplir tout cela -- notre stratégie, les aspects politiques et certaines des leçons qui pourraient avoir une application plus générale.

Le thème de notre campagne électorale de 1993 était "l'emploi et la croissance" et, conformément à notre conviction selon laquelle la santé des finances publiques va de pair avec celle de l'économie, un élément clé de notre programme était de ramener le déficit à 3 pour cent, objectif intermédiaire, en 1996-97 [6]. Cet objectif s'est révélé un point d'ancrage politique essentiel pour notre stratégie budgétaire. Sans une cible précise établie sous forme chiffrée, un ministre des Finances risque d'être entraîné sur une pente glissante. Cependant, avec l'appui sans réserves du Premier ministre et le point d'ancrage constitué par cet objectif, nous avons été capables de combiner des prévisions économiques et notre modèle des finances publiques de manière à chiffrer, de façon relativement sûre, le montant total des mesures budgétaires nécessaires.

Tout cela nous a permis de gérer l'aspect politique du processus. Sans un objectif que nous nous étions tous irrévocablement engagés à atteindre, la réticence naturelle des ministres -- moi y compris -- à accepter des réductions dans leurs propres secteurs aurait sans doute fait déraper notre plan d'action. Cependant, une fois fixé cet objectif de réduction, des arbitrages devenaient inévitables et la seule question était d'en préciser la nature.

Notre stratégie budgétaire reposait essentiellement sur trois grands éléments : établir nos objectifs et nos hypothèses, répartir les réductions de dépenses, consulter l'opinion publique.

1. Les cibles à court terme: des hypothèses prudentes

Nous avons commencé par confirmer l'objectif d'un déficit égal à 3 pour cent en 1996-97 -- maintenant ainsi nos engagements de campagne électorale malgré un délabrement des finances publiques qui s'est révélé encore pire que ce à quoi nous nous attendions. Pour nous, il était primordial de maintenir ce point d'ancrage politique. Nous ne voulions pas non plus nous contenter d'annoncer cet objectif de 3 pour cent pour 1996-97. Nous nous sommes donc engagés à atteindre des objectifs annuels intermédiaires qui nous permettraient d'atteindre notre but. En fait, nous avons dépassé l'objectif pour le dernier exercice.

L'une de nos préoccupations essentielles était de redonner une crédibilité fortement entamée à un gouvernement qui, pendant des années, avait multiplié les promesses et accumulé les échecs en matière financière. Sans crédibilité, les effets positifs d'un budget sur les marchés se feraient attendre dans la mesure où les sceptiques opteraient pour l'attentisme. C'est pourquoi, lorsque nous avons préparé le budget de 1995, nous avons retenu des hypothèses de croissance et de taux d'intérêt beaucoup plus prudentes que la moyenne des hypothèses du secteur privé.

Nous avons également inclus dans nos projections de déficit une "réserve pour éventualités" égale à environ 1 pour cent des recettes et des dépenses combinées, de manière à nous prémunir contre les mauvaises surprises éventuelles dans l'économie. Chose à noter, si la réserve n'est pas nécessaire pour atteindre notre objectif, elle ne sera pas dépensée. Elle permettrait donc de réduire encore le déficit.

Nous avons également décidé d'adopter un horizon budgétaire sur deux ans -- en établissant chaque année un nouvel objectif pour la deuxième année. C'est là un élément crucial de notre stratégie globale. Nous avons écarté la méthode traditionnelle qui consistait généralement à projeter un budget équilibré sur cinq ans ou plus. À franchement parler, cela équivaut sur le plan politique à ne s'engager à rien, pour la simple raison que des élections devront avoir lieu avant que la date magique n'arrive. Il n'y a plus de compte à rendre au niveau politique, et les bureaucrates peuvent tranquillement repousser le jour où ils seront réellement obligés de se serrer la ceinture et de réaliser des économies. Le résultat, comme nous l'avons constaté au Canada depuis au moins dix ans, est une succession d'objectifs manqués, une crise latente des finances publiques et un cynisme généralisé dans l'opinion publique.

Avec nos objectifs mobiles sur deux ans -- et notre promesse de les atteindre, peu importe les circonstances -- la situation est bien différente. Comme les objectifs sont fixés à court terme, tout relâchement nous est interdit sur le plan politique. Cela maintient les objectifs au premier rang des préoccupations du Cabinet et exerce des pressions maximales sur les gestionnaires de programme, dans la fonction publique, pour qu'ils réalisent les économies promises.

Le résultat, c'est que nous sommes parvenus à atteindre tous nos objectifs jusqu'ici; il s'agit presque d'une première dans la gestion des finances fédérales au cours de la période récente, et nous sommes bien déterminés à continuer de les atteindre à l'avenir.

Nous continuons toutefois de subir des pressions pour nous faire abandonner la stratégie des objectifs de réduction du déficit sur deux ans et annoncer une date ferme pour l'atteinte de l'équilibre budgétaire. Nous résisterons à ces pressions et nous en tiendrons à notre plan d'action. Le budget de février prochain comportera un objectif de déficit pour 1997-98 (c'est-à-dire un an après l'objectif de 3 pour cent annoncé pour 1996-97) et présentera les mesures requises pour atteindre la cible. L'objectif d'un budget équilibré sera annoncé une fois que nous aurons l'assurance raisonnable de pouvoir l'atteindre dans les deux années suivantes.

Une solution de rechange souvent préconisée est celle d'une "loi d'équilibre budgétaire" -- ou même de dispositions insérées dans la constitution -- afin de garantir par voie législative une gestion responsable des finances publiques. Ce n'est pas, à notre avis, la bonne façon de procéder. Mis à part le fait qu'elle limiterait le choix de gouvernements dûment élus, cette approche légaliste ne ferait qu'encourager les politiciens et les bureaucrates ingénieux à passer leur temps à chercher les moyens de contourner les règles, grâce à des tours de passe-passe comptables et à des subterfuges en tout genre. Il nous apparaît qu'un simple engagement irrévocable d'atteindre des objectifs crédibles à court terme est plus démocratique et, si l'on tient compte du désir de tout politicien d'éviter l'opprobre public, plus efficace.

2. L'Examen des programmes : la répartition des réductions

Le deuxième grand élément de notre stratégie budgétaire est une méthode concrète permettant de s'attaquer au problème apparemment insoluble que constitue la répartition des réductions de dépense entre les ministères et organismes. Même lorsqu'il existe une forte volonté collective d'atteindre un objectif financier, il est difficile, par la nature des choses, à un nombre important de ministres d'accepter des réductions de dépenses qui varient sensiblement d'un ministère à l'autre.

C'est la raison pour laquelle tous les gouvernements sont tentés de recourir à une réduction uniforme de tous les programmes. Si cette méthode peut parfois se justifier lors des premières étapes d'un redressement des finances publiques, elle finit par devenir inefficace. De plus, elle s'accompagne d'un sérieux risque moral puisqu'une politique de réductions uniformes supprime les encouragements à devenir aussi frugal et efficace que possible dans chaque ministère. En effet, lors de la série suivante de réductions, les plus zélés risqueront de ne plus rien avoir à couper, tandis que ceux qui auront fait leur travail à moitié auront encore du gaspillage à éliminer.

Nous avons donc rejeté les réductions uniformes en vue d'atteindre nos objectifs budgétaires. Nous avons plutôt choisi d'entreprendre un examen approfondi d'à peu près tous les programmes afin de déterminer les secteurs où le gouvernement fédéral continuait d'avoir vraiment un rôle à jouer et pour trouver des moyens plus efficients de fournir nos services. Le Premier ministre a désigné un comité spécial de ministres chargés d'étudier les réductions de dépenses proposées au niveau ministériel. Cela a fait participer directement mes collègues à la tâche très ardue qui consiste à examiner les dépenses poste par poste, renforçant ainsi notre adhésion collective aux objectifs budgétaires. Le processus a été guidé par la nécessité d'obtenir, en additionnant les réductions de dépenses dans chaque ministère et organisme, un montant d'économies déterminé à l'avance, qui était nécessaire pour atteindre nos objectifs budgétaires. Une fois que les montants par ministère étaient décidés, il incombait à chaque ministre d'établir les priorités dans son domaine de responsabilité pour atteindre les sous-objectifs.

L'Examen des programmes a été mené à bien en six mois environ, permettant de s'entendre sur des réductions de dépenses ministérielles totalisant près de 20 pour cent par rapport à 1994-95, les compressions s'étalant sur trois ans. Cela représente un changement sans précédent, et à maints égards une révolution, du mode de fonctionnement du gouvernement du Canada. Ce changement oblige l'administration publique à se concentrer rigoureusement sur les activités qu'elle est le mieux en mesure d'exécuter, et uniquement sur ces activités.

L'incitation à choisir soigneusement ces activités est particulièrement forte puisque, dans notre Système de gestion des dépenses, il n'y a plus de "réserves sectorielles" prévues pour financer de nouvelles initiatives. Toute nouvelle proposition doit donc être financée au moyen d'une réaffectation des ressources existantes.

Tous ces changements font partie d'un processus qui vise, comme nous le disons, à "repenser le rôle de l'État" et, comme c'est le cas dans le secteur privé, ce processus n'est en fait jamais terminé. Il nous faut donc implanter dans l'administration publique une culture d'amélioration permanente et d'évaluation permanente des priorités.

3. La consultation publique : l'ouverture du processus budgétaire

Le troisième grand élément de notre stratégie budgétaire a consisté à amorcer avec le public -- les experts, les groupes d'intérêt et le citoyen moyen -- un dialogue sur la validité de nos objectifs, la prudence de nos hypothèses et les mesures susceptibles d'être incluses dans le budget. Au Canada, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis, la tradition du secret budgétaire est très forte. Mes prédécesseurs avaient commencé à modifier cette tradition, et nous avons continué dans le même sens.

Bien que les détails du budget de février dernier soient restés confidentiels jusqu'à la date de dépôt du budget, nous avons lancé le processus de consultation plus de quatre mois à l'avance. Le coup d'envoi a été la publication d'importants documents de fond [7], qui ont permis d'alimenter toute une série d'audiences publiques menées par le Comité des finances de la Chambre des communes.

Cet exercice de consultation s'est révélé un processus d'éducation publique remarquablement efficace, aussi bien pour la population que pour nous-mêmes. Entre autres choses, il a suscité une floraison de propositions budgétaires détaillées de la part de divers groupes d'intérêt, d'éditorialistes et des simples citoyens. Même si aucun consensus ne s'est dégagé clairement -- si ce n'est, peut-être, sur le fait que nos hypothèses économiques devaient être prudentes et qu'il ne fallait pas augmenter les taux d'imposition des particuliers -- à peu près toutes les solutions possibles ont été passées en revue lors de ce processus budgétaire très ouvert.

Nous estimons que, dans l'ensemble, la consultation a contribué dans une large mesure à créer des attentes raisonnables quant à l'ampleur et à la nature générale des mesures budgétaires qui étaient requises. Cela est indéniablement très important lorsqu'on veut faire comprendre et appuyer par le public un ambitieux programme d'assainissement financier.

Nous avons également pris soin de bien faire comprendre notre budget à l'étranger. Des ministres de premier plan se sont rendus dans les grandes places financières du monde -- à New York, à Londres et à Tokyo -- et ont été disponibles, le jour du budget, pour animer des séances d'information et répondre directement aux questions sur la dimension économique et politique des mesures que nous étions en train d'annoncer à Ottawa.

En résumé, les principaux éléments de notre stratégie budgétaire consistaient à :

  • premièrement, fixer des objectifs mobiles, sur deux ans, de réduction de déficit qui s'appuyaient sur une volonté politique inflexible d'atteindre les objectifs et d'appuyer les prévisions financières sur des hypothèses économiques prudentes, renforcées par d'importantes réserves pour éventualités;
  • deuxièmement, établir un processus interne permettant de répartir les réductions de dépenses entre les ministères, à la lumière des priorités globales du gouvernement;
  • troisièmement, mener une vaste consultation prébudgétaire auprès du public.

Pour être franc, ce plan bien ordonné laisse supposer une cohérence logique et stratégique qui est plus évidente après coup qu'il n'y paraissait dans le feu de l'action, pendant que les événements se déroulaient sans qu'on soit certain de leur évolution. En effet, même s'il est vrai que nous avons essayé d'orienter notre action selon les principes que je viens de décrire, les facteurs extérieurs ont également joué un rôle, lequel a été, à certains égards, déterminant.

Le plus important de ces facteurs a été le climat qui régnait à l'échelle macroéconomique pendant la période précédant le budget, de septembre 1994 approximativement jusqu'au jour de présentation du budget, le 27 février de cette année. Des accès de volatilité sur le marché des changes -- tout particulièrement pendant la crise du peso mexicain -- ont exercé des pressions imprévues à la hausse des taux d'intérêt au Canada. Nous avons dû faire face à cette situation quelques semaines seulement avant la présentation du budget de manière à pouvoir présenter un plan crédible en vue d'atteindre notre prochaine cible. Cette situation faisait également ressortir la vulnérabilité de nos finances et la perte de contrôle qu'entraînait un endettement excessif.

Les difficultés traversées par le Mexique l'hiver dernier ont été en quelque sorte un rappel salutaire. Elles nous ont montré concrètement ce que signifiait la vulnérabilité d'une nation à l'influence des marchés financiers mondiaux. C'est le genre de "leçon de choses" que les politiciens trouvent beaucoup plus convaincante que les scénarios hypothétiques présentés par les économistes, les éditorialistes et les sociétés d'évaluation des cotes de crédit.

L'épisode mexicain a bel et bien exercé une influence sur le budget parce qu'il a eu un effet direct sur des facteurs qui risquaient de nous éloigner de notre objectif -- comme une hausse imprévue des taux d'intérêt au Canada ou une révision à la baisse des prévisions de croissance économique. Par conséquent, si la crise mexicaine entre clairement dans la catégorie des perturbations réelles de l'économie, ce n'était pas le cas de l'avertissement prébudgétaire donné par Moody's pour signaler la possibilité d'une décote de nos emprunts.

Une fois que nous avons fixé nos objectifs budgétaires, la chose qui importe plus que toute autre est notre volonté politique absolue d'atteindre cet objectif. Et le fait que cet objet soit fixé à court terme nous oblige à réagir immédiatement à des événements tels que la crise mexicaine. Si notre objectif de réduction du déficit avait été à moyen ou à long terme, nous aurions pu facilement trouver des prétextes pour justifier l'absence de mesures correctives. Avec le temps, cependant, les effets de cette complaisance ont tendance à s'accumuler, ce qui explique pourquoi les objectifs finissent par ne pas être atteints. Notre méthode permet d'éviter ce risque.

Quelles leçons peut-on tirer de tout cela? Si l'on examine rétrospectivement le budget de février dernier, les raisons suivantes, à mon avis, expliquent essentiellement son succès malgré la rigueur des mesures prises :

  • La première raison -- et la plus fondamentale -- est que la majorité des Canadiens était déjà d'accord avec notre objectif général; en fait, dans le domaine des finances publiques, l'opinion publique était rendue plus loin que la plupart des gouvernements, message que de nombreux membres de notre caucus nous ont retransmis très clairement.
  • La deuxième raison est que le budget a immédiatement trouvé grâce auprès des dirigeants d'opinion, grâce à la prudence des hypothèses globales retenues et à la qualité structurelle des mesures proposées.
  • La troisième raison est que les mesures du budget apparaissaient comme bien équilibrées et équitables, dans l'ensemble, et généralement conformes aux priorités telles que l'opinion publique les percevait globalement. Le mérite en revient principalement à mes collègues du Cabinet, qui ont dû non seulement consentir des sacrifices dans leurs propres secteurs, mais aussi faire accepter à leurs commettants la justification des mesures.
  • La quatrième raison est que nous avons pu réaliser des économies appréciables tout en maintenant les nouvelles taxes au minimum et, plus particulièrement, en évitant d'alourdir les taux d'imposition des particuliers. Le fait que nous ayons réduit nos propres activités au lieu de nous décharger, sur le dos des contribuables, du fardeau de la réduction du déficit a été un facteur clé d'acceptation de notre budget. Les plus touchés étaient les ministères et organismes fédéraux.
  • La cinquième et dernière raison est que nous avons assez bien réussi à faire comprendre à la population pourquoi la priorité immédiate du gouvernement était de s'attaquer au déficit et à la dette publique et pourquoi cela n'était pas incompatible -- bien au contraire -- avec notre programme de création d'emplois et de croissance.

Le budget 1995 ne marque évidemment pas la fin du processus. Les objectifs d'une dette considérablement réduite en proportion de l'économie et d'un budget équilibré sont maintenant davantage à notre portée, mais nous ne les avons pas encore atteints. Il nous faudra établir de nouveaux objectifs intermédiaires de réduction du déficit et mettre en oeuvre d'autres réformes structurelles. Par exemple, nous nous sommes déjà engagés à réformer le système des pensions publiques afin de le rendre plus équitable et plus durable. Nous apporterons bientôt de nouveaux changements structurels au régime d'assurance-chômage. Et notre Examen des programmes se poursuit.

La leçon fondamentale à tirer de ces événements est bien claire : notre volonté de garder le cap sur le redressement des finances publiques ne fait pas le moindre doute, et les fondements de ce redressement sont déjà bien en place.

Si nous réfléchissons, en guise de conclusion, à la signification plus générale de l'évolution que nous avons connue, les budgets de 1994 et 1995 ont manifestement été beaucoup plus que des opérations de réduction des dépenses destinées à diminuer la pression que les marchés exerçaient sur nous. Nous avons en fait mis en branle un processus fondamental de réévaluation du rôle qui revient à un gouvernement national.

Le contexte dans lequel s'inscrit cette réévaluation se caractérise par une interdépendance croissante de l'économie mondiale, dans laquelle aucune nation, si puissante soit-elle, ne peut vraiment maîtriser ne serait-ce qu'un paramètre aussi fondamental que la valeur de sa monnaie sur le marché des changes. La vérité, c'est que les limites qui restreignent la capacité des gouvernements, où que ce soit, de décider seuls de l'évolution économique et sociale, sont maintenant plus apparentes que jamais.

Il en est résulté une divergence entre ce que nous avons appris à nos citoyens à attendre de leurs gouvernements et ce que les gouvernements sont vraiment en mesure de faire. Les contradictions ne manquent pas.

Par exemple, le public doute de plus en plus que l'État puisse directement créer de nouveaux emplois en termes nets, mais lorsque le taux de chômage augmente, c'est le gouvernement qu'on blâme.

On observe le même scepticisme, dans l'opinion publique, au sujet de la capacité de l'État de guérir à lui seul nombre des maux de nature sociale qui affligent les personnes et les collectivités. Pourtant, il est dans notre nature -- une nature qui a été conditionnée par plusieurs décennies d'interventions étatiques -- de nous attendre à ce que le gouvernement corrige la situation.

Nous pourrions allonger sans fin la liste de ces exemples. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que ceux et celles d'entre nous qui adhèrent à une vision proactive du rôle de l'État, tant dans le domaine social que dans la sphère économique, ont aussi le devoir de commencer à faire clairement la distinction entre ce que l'État peut faire et ce qui ne relève pas de son pouvoir. Il est temps de faire preuve de lucidité et de cesser de faire naître des attentes irréalistes.

Dans le cas du Canada -- un pays dont l'économie est très sophistiquée, mais relativement petite et ouverte, et qui est fortement endetté -- ces questions revêtent une importance et une urgence toutes particulières. Pour nous, la mondialisation -- des marchés financiers ou de la concurrence économique -- est une réalité incontournable. Notre véritable défi consiste à tirer parti de la mondialisation et à nous ménager une liberté d'action maximale.

La seule façon d'y parvenir, à nos yeux, est de remettre de l'ordre dans nos finances et de prendre toutes les mesures qui sont en notre pouvoir afin de stimuler la productivité. Ce dernier facteur est essentiel parce que la productivité est la base de la compétitivité, et que la compétitivité internationale est le seul moyen fiable d'accéder à l'indépendance économique, à la croissance et à l'emploi.

Vue sous cet angle, notre stratégie budgétaire est aussi une stratégie qui vise à sauvegarder l'indépendance du Canada. Il est également vrai, cependant, que les restrictions qu'implique cette stratégie conduisent à une administration publique plus petite, du moins si l'on en juge par les effectifs et le volume des dépenses. Pour certains, une administration publique plus petite est un objectif en soi. Mais pour nous, il s'agit uniquement d'un moyen pour parvenir à nos fins. Nous sommes intimement persuadés que le secteur public doit faire uniquement ce qu'il est le mieux placé pour faire -- et laisser le reste à ceux qui peuvent mieux s'en occuper, qu'il s'agisse de l'entreprise privée, des travailleurs ou du secteur bénévole.

Ce que nous devons conserver, en fin de compte, c'est un État qui soit capable de venir en aide aux défavorisés; un État qui soit engagé sans détournement à maintenir notre régime national de soins de santé financé par les deniers publics; un État qui soit mieux à même de faire ce dont les marchés privés sont incapables -- par exemple, fournir un appui stratégique à certaines activités scientifiques et technologiques; un État qui s'attache à mettre en place les bons encouragements -- que ce soit pour favoriser la protection de l'environnement, pour attirer les capitaux d'investissement mobiles ou pour libérer les gens du piège de l'assistance sociale et leur permettre de trouver un emploi productif.

Ce rôle redéfini de l'État commence à se dessiner plus clairement. Un amateur de métaphores pourrait dire que ce rôle doit être davantage celui du gouvernail sur un voilier moderne, aux lignes élancées, que celui de la roue à aubes sur un vapeur du siècle dernier.

Pourtant, la mise en oeuvre des changements continue de représenter un défi de taille. En effet, les habitudes et les incitations des bureaucrates et des politiciens, ainsi que les institutions qu'ils ont créées depuis cinquante ans, se sont toutes adaptées à la croissance des dépenses publiques. Nous n'avons pas encore appris à agir de façon créative comme nous sommes obligés de le faire dans ce nouveau contexte de ressources financières statiques ou réduites. Cette contrainte nous oblige également, plus que jamais, à nous concentrer sur l'établissement des priorités et à découvrir les moyens de faire les choses réellement nécessaires sans pour autant dilapider l'argent des contribuables.

Ce qu'il nous faut, dans ce domaine, ce n'est pas seulement un changement d'attitude, c'est une transformation fondamentale de la nature de la politique telle qu'elle est pratiquée depuis un demi-siècle dans les démocraties riches. Redéfinir le rôle de l'État ou réinventer le gouvernement, peu importe la tournure utilisée, c'est bien plus qu'un slogan. Créer un secteur public où l'on puisse vraiment dire que "le moins est un plus", voilà notre plus grand défi.


Notes :

[1] Les chiffres de dette publique présentés dans ce document sont établis dans le cadre des comptes publics, conformément à la façon dont les données financières sont généralement présentées au Canada. Dans le cadre des comptes nationaux -- qui correspondent aux présentations comparatives de l'OCDE ainsi qu'aux données budgétaires aux ÉtatsUnis -- la dette nette du secteur public est d'environ 64 pour cent du PIB.

[2] Le gouvernement fédéral représente actuellement environ 47 pour cent des dépenses de programme combinées des administrations fédérale et provinciales, tandis que sa dette nette constitue environ 73 pour cent du total.

[3] Lors de son entrée en fonction en 1993, le gouvernement s'est entendu officiellement avec la Banque du Canada sur une fourchette d'inflation (mesurée par la hausse de l'IPC) de 1.5 à 3 pour cent jusqu'en 1998.

[4] Pour la création d'emplois Pour la relance économique : Le plan d'action libéral pour le Canada, 1993, p. 18.

[5] Voir Un nouveau cadre de la croissance économique, gouvernement du Canada, octobre 1994.

[6] Nous nous sommes également fixé un objectif, pour 1995-996, d'un déficit égal à $32.7 milliards canadiens, mais le public y a porté beaucoup moins d'attention qu'à la cible de 3 pour cent du PIB (l'équivalent estimatif de $24.3 milliards canadiens) pour 1996-97.

[7] Un nouveau cadre de la politique économique et Instaurer un climat financier sain : La mise à jour économique et financière. Cette dernière publication présentait les conséquences, pour les finances publiques, d'une série de scénarios économiques et en déduisait l'ampleur des mesures budgétaires nécessaires dans chaque cas pour atteindre les cibles de déficit fixées pour 1995-96 et 1996-97. Le document fournissait également des renseignements assez détaillés sur les dépenses des ministères, les dépenses fiscales et les sources de recettes.


Dernière mise à jour :  2002-07-25 Haut

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