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Rapport du vérificateur général
B V G
Rapport d'avril 2003
Points saillants
Introduction
Observations
Conclusion
À propos de l'étude
3.1 — Initiative
nationale de lutte contre le blanchiment d'argent : rôles et budgets des ministères et des organismes fédéraux
3.2 — Le blanchiment d'argent
3.3 — Exemples d'indicateurs
communs
d'opérations douteuses
3.4 — Principaux textes législatifs et réglementaires relatifs à la lutte contre le blanchiment d'argent, par date
3.5 — Processus opérationnel du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada

La stratégie du Canada pour lutter contre le blanchiment d'argent

Communiqué

Points saillants

3.1 Depuis une quinzaine d'années, la communauté internationale redouble d'efforts pour lutter contre le trafic de drogues, le crime organisé et le terrorisme. L'un des volets importants de sa stratégie consiste à suivre la trace de l'argent qui lie les criminels à leurs crimes. Pour les pays, il s'agit de trouver, de saisir et de confisquer les produits de la criminalité, c'est-à-dire les profits découlant des actes criminels.

3.2 Le Canada s'est empressé d'adopter des mesures législatives sur les produits de la criminalité et le blanchiment d'argent. Toutefois, jusqu'à récemment, il manquait à ces mesures deux éléments de ce qui est maintenant reconnu comme la norme internationale de tout système efficace de lutte contre le blanchiment d'argent :

  • la déclaration obligatoire des opérations financières douteuses, entre autres;
  • une cellule du renseignement financier, chargée d'analyser ces déclarations et de communiquer l'information aux organismes de renseignement et d'application de la loi, s'il y a lieu.

3.3 Pour combler ces lacunes, le Canada a lancé en 2000 l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent, dont la pièce maîtresse est la nouvelle Loi sur le recyclage des produits de la criminalité. Un montant total de 139 millions de dollars a été prévu pour les quatre premières années en vue d'établir le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et d'aider les partenaires du Centre à jouer leur rôle. En 2001, on a modifié la Loi et le mandat du Centre de manière à y inclure des dispositions pour la détection et la prévention du financement d'activités terroristes. Celui-ci s'est vu octroyer, sur trois ans, un supplément de 34 millions de dollars destinés à ce rôle.

3.4 La stratégie du Canada pour lutter contre le blanchiment d'argent vise à établir un équilibre entre ses divers objectifs, à savoir renforcer l'application de la loi, protéger les renseignements personnels et appuyer les efforts internationaux de lutte contre le blanchiment d'argent. Un autre objectif est de minimiser les coûts que subissent les organismes, comme les banques, les sociétés de fiducie et les établissements de change, pour se conformer aux dispositions de la loi, c'est-à-dire tenir des documents, identifier les clients et déclarer les opérations inhabituelles ou douteuses. La nouvelle loi a modifié l'équilibre de manière à privilégier davantage l'application de la loi, au Canada et à l'étranger.

3.5 Pour atteindre ses buts de réduction du blanchiment d'argent et du financement d'activités terroristes, le gouvernement fédéral devra surmonter un certain nombre de difficultés, que voici :

  • protéger le droit à la vie privée, dont jouissent les Canadiens en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés;
  • produire des renseignements financiers de qualité supérieure qui soient de nature à aider les divers organismes d'enquête, dont ceux chargés de l'application de la loi;
  • surmonter les difficultés particulières que pose le financement d'activités terroristes, comme suivre la trace des petits dépôts et retraits;
  • faire connaître aux organismes financiers et au public les nouvelles règles prévues dans la loi et veiller à ce qu'ils les observent;
  • veiller à ce que de bonnes relations de travail parmi une vaste gamme de partenaires et de parties intéressées soient établies et maintenues;
  • déterminer le degré d'efficacité des efforts du gouvernement fédéral dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.
Contexte et autres observations

3.6 Le blanchiment d'argent est une forme de crime financier qui consiste à donner aux produits de la criminalité une apparence légitime. L'individu ou le groupe qui commet un acte criminel cherche à faire un profit. L'une des stratégies de lutte contre le blanchiment d'argent consiste à réduire la criminalité en entravant la conservation et l'utilisation des profits par les criminels.

3.7 Dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la Loi antiterroriste, il est prévu que le Parlement doit examiner chacune de celles-ci et leur mode d'application respectif. En préparation de ces examens, le Bureau du vérificateur général a élaboré un calendrier de production de rapports en deux étapes :

  • La présente étude ouvre la voie à une vérification de la stratégie du gouvernement fédéral pour lutter contre le blanchiment d'argent. Elle décrit le blanchiment d'argent et les difficultés principales de cette lutte.
  • En novembre 2004, nous nous demanderons comment le gouvernement fédéral réussit à surmonter ces difficultés.

Début

Introduction

3.8 Le blanchiment d'argent est un acte criminel de nature financière. Il s'agit d'un procédé qui consiste à convertir ou à dissimuler les profits ou les produits de la criminalité en leur donnant une apparence légitime. « L'argent sale » produit par l'activité criminelle est transformé en « argent propre ». L'origine criminelle de l'argent propre devient ainsi difficile à retracer.

3.9 Des milliards de dollars au Canada, et beaucoup d'autres milliards dans le monde entier, font l'objet de blanchiment. Le trafic de drogues serait la source principale des fonds blanchis au Canada ou via le Canada, mais d'autres actes criminels, comme la fraude et la contrebande, constitueraient également d'autres sources importantes.

3.10 Les textes législatifs sur le blanchiment d'argent ont pour objectif de réduire la criminalité de manière que les criminels puissent plus difficilement conserver et utiliser les profits découlant de leurs crimes. Des mesures sont prises pour détecter et décourager le blanchiment d'argent et pour faciliter les enquêtes et les poursuites dans les cas d'infraction.

Les éléments constitutifs

3.11 Les éléments constitutifs de la stratégie du Canada contre le blanchiment d'argent ont été mis en place à la fin des années 1980 et au début des années 1990 :

  • Le blanchiment d'argent est devenu un acte criminel en vertu du Code criminel en 1989. Du même coup, on a aussi établi le pouvoir de saisir ou de retenir les produits de certains crimes et prévu l'immunité pour les personnes qui signalent volontairement à la police les opérations douteuses.
  • À partir de 1990, le Bureau du surintendant des institutions financières a commencé à diffuser des lignes directrices et des pratiques exemplaires pour la lutte contre le blanchiment d'argent. Il s'assure aussi du respect de ces lignes directrices dans le cadre de son programme général de surveillance des institutions financières à charte fédérale, qui est fondé sur le risque.
  • En 1991, la première loi, dite Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, exigeait des institutions financières qu'elles mettent en place un système de conservation de documents et d'identification des clients pour retracer la piste financière des opérations financières d'un montant élevé (plus de 10 000 $).
  • En 1991, la GRC a établi trois unités intégrées de contrôle des produits de la criminalité, leur conférant le mandat de faire enquête sur les principaux chefs et groupes du crime organisé et d'intenter des poursuites. Dix autres unités ont vu le jour en 1996 dans tout le Canada.
  • En 1993, la GRC et l'Association des banquiers canadiens ont signé un protocole d'entente pour la déclaration volontaire de toutes les opérations qui sont suspectes et pourraient dénoter qu'il y a eu blanchiment d'argent.
Au diapason de la communauté internationale

3.12 Le système que le Canada a mis en place correspondait essentiellement aux normes internationales à ce moment-là, mais ces normes étaient en train de changer. Par son retard à cet égard, le Canada s'est attiré des critiques. En 2000, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité a été remplacée par une autre loi du même nom mais d'un champ d'application plus vaste.

  • Cette nouvelle loi a rendu obligatoire la déclaration des opérations douteuses et des mouvements transfrontaliers de montants élevés de devises. Les exigences de conservation de documents ont en outre débordé le secteur bancaire, s'étendant aux comptables, aux agents immobiliers, aux organismes gouvernementaux et aux autres qui agissent à titre d'intermédiaires financiers. (Par suite de contestations d'ordre constitutionnel, les avocats ne sont pas tenus pour l'instant de déclarer les opérations douteuses ou d'un montant élevé en espèces, ni de mettre en place un régime de conformité. Les tribunaux entendront une cause type pour déterminer si cette exigence porte atteinte au privilège des communications entre client et avocat.)
  • La loi a établi le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, qui a pour mandat de recevoir et d'analyser les déclarations transmises par les institutions financières et d'autres entreprises. La loi prévoit en outre que le Centre doit déterminer si ces institutions et entreprises se conforment à la loi qui leur prescrit de conserver des documents et de déclarer certaines opérations.

3.13 Par ces changements, le Canada a aligné sa stratégie pour lutter contre le blanchiment d'argent sur celle des autres pays membres du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux. Le gouvernement a prévu un budget de 139 millions de dollars sur quatre ans afin d'aider le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières et d'autres ministères et organismes fédéraux à s'acquitter de ces responsabilités supplémentaires. La pièce 3.1 énonce les rôles des ministères et des organismes fédéraux et fait état de leur budget.

3.14 En 2001, la Loi antiterroriste a élargi le champ d'application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le mandat du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières pour qu'il puisse détecter et décourager le financement des activités terroristes. La Loi est devenue la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

3.15 Les dispositions du Code criminel qui portent sur les produits de la criminalité ont également été élargies. Elles peuvent maintenant s'appliquer à presque tous les crimes dont une personne peut être accusée, plutôt qu'à une liste limitée de crimes graves. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a également été modifiée de sorte que tout membre d'un groupe du crime organisé, qui blanchit de l'argent, puisse être interdit d'accès au Canada.

Objet de l'étude

3.16 La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la Loi antiterroriste énoncent toutes deux que le Parlement est tenu, avant une date déterminée, d'examiner chacune de ces lois et leur mode d'application.

  • La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, dans les cinq ans (avant le 5 juillet 2005).
  • La Loi antiterroriste, dans les trois ans (avant le 18 décembre 2004).

3.17 En préparation de ces examens par le Parlement, le Bureau a élaboré un calendrier de production de rapports en deux étapes (voir la section « À propos de l'étude » à la fin du chapitre) :

  • L'étude actuelle ouvre la voie à une vérification de la stratégie du gouvernement fédéral pour lutter contre le blanchiment d'argent. Elle décrit le blanchiment d'argent et les principales difficultés de cette lutte.
  • En novembre 2004, nous nous demanderons comment le gouvernement fédéral réussit à surmonter ces difficultés.

Début

Observations

Comprendre ce qu'est le blanchiment d'argent

Qu'est-ce que le blanchiment d'argent?

3.18 Le terme « blanchiment d'argent » aurait été employé pour la première fois aux États-Unis, dans les années 1920, pour désigner l'une des méthodes utilisées par les criminels pour donner une apparence légitime à leurs profits ou aux produits tirés de la criminalité. Les criminels ont d'abord eu recours à des commerces de détail où les transactions se faisaient au comptant. Il s'agissait de mêler les produits de la criminalité aux revenus licites et de déclarer le tout à titre de revenus d'entreprise légitimes. On parlait de blanchiment d'argent parce que les blanchisseries étaient des types de commerce qui servaient souvent à transformer l'argent sale en argent propre.

3.19 Il y a plusieurs définitions du blanchiment d'argent. Certaines mettent en relief la façon dont les criminels intègrent les produits de la criminalité dans le système financier, par exemple au moyen de dépôts bancaires directs ou d'une entreprise. Il existe des définitions plus vastes selon lesquelles le blanchiment d'argent correspond à presque n'importe quelle utilisation des profits tirés de la criminalité. Le point commun de ces définitions est l'intention du criminel : déguiser les produits de son activité pour leur donner une apparence légitime.

3.20 La législation canadienne ne définit pas le blanchiment d'argent, mais le Code criminel définit l'infraction du recyclage des produits de la criminalité; le Code et d'autres lois fédérales définissent les activités criminelles qui génèrent les produits de la criminalité.

  • Commet une infraction de blanchiment quiconque cache la source d'argent ou de biens, sachant ou croyant qu'ils ont été obtenus par la voie de certains types d'activités criminelles au Canada ou à l'étranger.
  • Ces activités criminelles comprennent le trafic de drogues, la corruption, la fraude, la falsification de documents, le meurtre, le vol qualifié, la contrefaçon d'argent et la manipulation du cours des actions.

3.21 Le blanchiment d'argent n'inclut pas toutes les activités illégales. Le camouflage de produits de l'évasion fiscale ou douanière, par exemple, n'est pas une infraction de blanchiment d'argent. Dans ce cas, le gouvernement soutient que les règles et les procédures déjà prévues dans d'autres lois sont suffisantes. La Loi de l'impôt sur le revenu, par exemple, contient ses propres sanctions pour évasion fiscale et des procédures permettant de recouvrer l'impôt impayé.

3.22 Le blanchiment d'argent est un type particulier d'acte criminel. Les opérations servant à blanchir les profits tirés de la criminalité sont à la fois légales et courantes, comme les dépôts bancaires, les télévirements et les opérations de change. Ce qui rend ces actes illégaux, c'est que l'argent provient d'activités criminelles et que ces actes visent à dissimuler cette provenance.

3.23 Pour qu'une personne soit déclarée coupable de blanchiment d'argent, il doit être prouvé hors de tout doute raisonnable que l'argent ou les biens étaient des produits de la criminalité, que l'accusé le savait ou le croyait et qu'il avait l'intention de les dissimuler.

3.24 La plupart des produits de la criminalité ne sont pas blanchis, au sens courant du terme. Ils sont soit dépensés par le criminel ou conservés en espèces ou dans des comptes bancaires au Canada ou à l'étranger, afin d'être dépensés plus tard sans qu'il y ait tentative pour en dissimuler l'origine. L'achat de véhicules automobiles pour usage personnel serait, par exemple, l'un des usages les plus courants des produits de la criminalité.

Existe-t-il un lien entre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes?

3.25 Le blanchiment d'argent consiste à transformer les profits d'actes criminels qui ont été perpétrés dans le passé de façon à en dissimuler l'origine illégale. Le financement du terrorisme exige toutefois le traitement de l'argent — qu'il ait été obtenu légalement ou illégalement — pour qu'il puisse servir par la suite à la perpétration d'actes criminels.

3.26 À la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001, le Canada a pris un certain nombre de mesures pour lutter contre le financement d'activités terroristes. Ces mesures visent à aider la police à détecter et à prévenir le financement d'activités terroristes ainsi qu'à intenter des poursuites en cas d'infractions liées au financement de telles activités.

3.27 Les groupes terroristes diffèrent des grandes organisations criminelles à plusieurs égards importants :

  • Motivation. Tandis que les narcotrafiquants et les groupes du crime organisé cherchent principalement le gain monétaire, les groupes terroristes sont habituellement motivés par des buts autres que financiers. Il existe une définition selon laquelle le but premier du terrorisme est d'intimider une population ou d'obliger un gouvernement à agir ou à s'abstenir de poser un quelconque acte.
  • Source des fonds. Les manoeuvres financières d'une organisation terroriste sont difficiles à retracer puisque l'argent peut provenir d'entreprises légitimes pouvant leur appartenir et de dons apparemment reçus de sympathisants. Étant donné que l'argent a une source en apparence légale, il y a peu d'indices, sinon aucun, qui contribueraient à faire ressortir une opération ou une série d'opérations.
  • La taille et la nature des opérations financières. Les opérations financières liées aux activités terroristes peuvent impliquer des montants qui ne sont pas assez élevés pour nécessiter une déclaration. Par exemple, selon une analyse par le FBI des événements entourant le 11 septembre 2001, chaque pirate avait ouvert un compte avec un seul dépôt d'un montant moyen de 3 000 $ à 5 000 $ US, en espèces ou sous forme de télévirement. On a montré également qu'ils avaient fait de nombreux retraits en petits montants, au moyen de cartes de débit surtout.
  • Transferts d'argent à l'extérieur du système financier traditionnel. Il y a des façons de transférer de l'argent d'un individu à un autre ou d'un pays à un autre outre les banques ou les institutions financières. Le système Hawala et d'autres méthodes de transfert semblables, dont les systèmes Fei ch'ien et Hundi, ont également joué un rôle dans le déplacement de fonds de groupes terroristes. Hawala fonctionne comme suit : quelqu'un remet un montant d'argent à un agent dans un pays et cet agent dit à un autre agent, dans un autre pays, de remettre de l'argent à une personne en particulier. Tout le transfert fonctionne de bouche à oreille. L'argent déplacé de cette manière ne laisse pas de traces sur papier, comme dans le cas d'un établissement financier traditionnel, telle un banque.

3.28 C'est ainsi qu'il est difficile de suivre la piste de l'argent des terroristes. Pour la période de trois ans se terminant en 2003-2004, le gouvernement a accordé au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières 34 millions de dollars au total, destinés à la détection et à la prévention du financement des activités terroristes. Des règlements ont été élaborés relativement à la déclaration des opérations qui semblent liées au financement du terrorisme.

Que sait-on de l'étendue et des répercussions du blanchiment d'argent?

3.29 Le blanchiment d'argent étant caché, tout comme les activités criminelles qu'il vise à dissimuler, il est difficile de déterminer dans quelle mesure il est répandu. Comme la vérificatrice générale l'a fait observer au chapitre 4 de son rapport de 2002, intitulé « Le système de justice pénale : des défis importants à relever », les données estimatives sur l'étendue et sur les répercussions du crime organisé sont fondées sur des renseignements limités, souvent repris d'un rapport sur le blanchiment d'argent à l'autre.

3.30 Les auteurs d'un certain nombre d'études ont conclu qu'il n'existe pas de données estimatives fiables tant sur l'étendue du blanchiment d'argent au Canada ou à l'étranger que sur ses répercussions. Par exemple, dans sa dernière stratégie de lutte contre le blanchiment d'argent, le Trésor américain déclare qu'il ne connaît pas encore toute l'étendue du problème. En effet, les diverses tentatives pour répondre à cette question au fil des ans ont donné des résultats qui laissent à désirer. C'est ainsi que les données estimatives souvent utilisées au Canada et à l'étranger sont fort sujettes à caution.

3.31 Il existe néanmoins un consensus selon lequel le gouvernement du Canada doit prêter attention au blanchiment d'argent et au financement des activités terroristes. Le trafic de drogues, qui serait la source d'une bonne partie de l'argent blanchi via le Canada, est une activité qui générerait des milliards de dollars par année. Les crimes économiques, comme la fraude, seraient également très répandus au Canada.

3.32 Beaucoup d'actes criminels visent la réalisation d'un profit pour un criminel ou pour un groupe de criminels. Le blanchiment d'argent permet au criminel de jouir de ce profit sans que l'origine criminelle de l'argent ne soit retracée. Une fois recyclés, les produits de la criminalité peuvent servir à financer d'autres activités criminelles, de sorte qu'il se crée un cycle de la criminalité.

3.33 Les coûts économiques du blanchiment d'argent peuvent prendre de nombreuses formes. Par exemple, les entreprises honnêtes ne peuvent concurrencer celles qui tirent une partie de leurs revenus du blanchiment d'argent. Lorsque de l'argent est blanchi par l'entremise d'institutions financières, la réputation et même l'intégrité de celles-ci pourraient être ruinées.

Comment l'argent est-il blanchi?

3.34 La plupart des activités criminelles qui génèrent de l'argent comptant obligent à recourir au blanchiment d'argent. Ce processus comporte habituellement trois étapes : placer les produits de la criminalité dans le système financier, multiplier les vagues d'opérations financières successives pour en dissimuler l'origine, puis réintroduire l'argent blanchi dans le système économique légitime (voir la pièce 3.2).

3.35 Les formes les plus simples de blanchiment se produisent près du lieu où le crime a été commis à l'origine. Par exemple, on peut acheter, puis encaisser des jetons de casino, et ainsi transformer en toute légalité des profits de la criminalité qui semblent provenir du jeu. Il existe des exemples plus complexes, comme l'achat et la vente d'actions, de marchandises ou de biens immobiliers.

3.36 Ces méthodes conviennent davantage pour les sommes relativement modestes ou occasionnelles. Si l'activité criminelle est permanente, on se sert de commerces de détail où les opérations se font au comptant, comme les lave-autos et les blanchisseries, les salles de jeux vidéo, les clubs vidéo, les bars et les restaurants. Les produits de la criminalité sont mêlés à l'argent légal et le total est déclaré en tant que revenu légitime de l'entreprise. Les taxes supplémentaires qui peuvent être exigées sont traitées comme des frais d'exploitation.

3.37 Lorsque les sommes en espèces qui doivent être blanchies sont élevées et que les organismes nationaux d'application de la loi réussissent mieux à repérer le blanchiment d'argent, cette opération risque davantage d'être assortie d'un volet international. En outre, les trois étapes du blanchiment deviennent généralement plus distinctes.

3.38 De fortes sommes en espèces ont été transportées ou expédiées à l'extérieur du pays, ou transférées au moyen de systèmes financiers officiels ou non. Par ailleurs, des capitaux ont été déplacés par la voie d'entreprises qui font du commerce international de biens et de services et qui peuvent donc expliquer de façon crédible ces déplacements de fonds vers l'étranger.

3.39 Une société ou une fiducie étrangère peut alors recevoir les fonds et les introduire dans le système financier international. Dès lors, le propriétaire des fonds peut être protégé par le secret bancaire, le secret des sociétés et, dans certains cas, le privilège des communications entre client et avocat.

3.40 Les criminels recourent à diverses méthodes pour toucher ces fonds à partir de leur pays de résidence : avec une carte de débit ou de crédit délivrée par une banque étrangère, par l'intermédiaire de comptes d'une banque étrangère dans leur pays de résidence, en tant que profit de la vente d'immeubles ou de la négociation de valeurs mobilières, en tant que salaire ou revenu d'entreprise versé par une société étrangère ou en tant que prêt d'entreprise.

Comment le blanchiment d'argent est-il détecté?

3.41 Le bon blanchisseur essaie de reproduire des opérations légales. C'est ainsi qu'il est souvent très difficile de différencier les opérations légales de celles qui ne le sont pas tant que les agents d'application de la loi ne parviennent pas à cibler un acte criminel bien défini, et à retracer la piste des fonds.

3.42 Les agents d'application de la loi tirent des renseignements d'une vaste gamme de sources au fil de leurs enquêtes criminelles. Depuis toujours, l'accent est mis sur les crimes perpétrés à l'origine et le blanchiment d'argent ne transparaît qu'à l'occasion d'enquêtes ultérieures. Selon une analyse des enquêtes menées par la GRC avant l'adoption de la nouvelle Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, par exemple, la plupart des affaires relatives aux produits de la criminalité ont été mises au jour dans d'autres unités d'application de la loi, notamment celle de l'antidrogue.

3.43 L'un des éléments fondamentaux d'un système de lutte contre le blanchiment d'argent consiste à être en mesure d'identifier un client, c'est-à-dire de « connaître son client ». Sur le plan local, les employés de première ligne — qui traitent quotidiennement avec les clients — seraient les mieux placés pour détecter ce qui pourrait être une opération ou une série d'opérations inhabituelles ou douteuses. Ces employés sont devenus le fer de lance du gouvernement fédéral dans ses efforts pour lutter contre le blanchiment d'argent. De par leur situation, ils sont en mesure de repérer le criminel ou toute autre personne qui place des produits de la criminalité dans le système financier.

3.44 Grâce aux systèmes de lutte contre le blanchiment d'argent, on tente de suivre la trace de l'argent en mettant tout d'abord l'accent sur les opérations financières inhabituelles. Du point de vue de l'institution financière, une opération peut sembler inhabituelle d'après les indices suivants :

  • les pratiques bancaires habituelles et la connaissance du client (par exemple, le client commence à faire fréquemment des opérations au comptant qui impliquent de gros montants, ce qu'il ne faisait pas normalement);
  • le comportement du client (par exemple, il fournit des renseignements confus au sujet de l'opération).

3.45 L'opération ou la série d'opérations, jusque-là inhabituelles, deviennent douteuses s'il y a des motifs raisonnables de les croire liées à une infraction criminelle. C'est là un critère plus difficile et les grandes institutions financières ont recours à du personnel de sécurité spécialement formé pour porter ce jugement.

3.46 Le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada a publié des indicateurs servant à détecter les opérations douteuses (voir la pièce 3.3). Il l'a fait en consultation avec les entités qui ont l'obligation de faire des déclarations et avec les organismes chargés d'appliquer la loi et spécialisés dans le renseignement financier international. Les indicateurs sont fondés sur les caractéristiques qui ont été reliées au blanchiment d'argent ou à des activités terroristes dans le passé, et ils sont appelés à évoluer.

Début

Élaboration d'une stratégie de lutte contre le blanchiment d'argent

L'expérience croissante du Canada sur la scène internationale

3.47 La communauté internationale s'emploie depuis plus de 15 ans à lutter contre le blanchiment d'argent. Entrepris dans le cadre de la lutte antidrogue, ses efforts ont été élargis de manière à englober les produits de la plupart des autres crimes graves et, tout récemment, ils ont été étendus à la lutte contre le terrorisme.

3.48 La Convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes a procuré un cadre d'intervention internationale en matière de blanchiment d'argent. Elle prescrit notamment que chaque pays adopte une loi contre le recyclage des produits de la criminalité. La Convention des Nations Unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée prévoit aussi d'autres obligations.

3.49 Le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux a été établi après le Sommet du G7, en juillet 1989, et le Canada en est membre depuis ses débuts. Le Groupe cherche à empêcher le plus possible les terroristes, les narcotrafiquants et les autres membres du crime organisé d'utiliser le système financier international, en instaurant et en mettant de l'avant des normes internationales pour les systèmes de lutte contre le blanchiment d'argent et en recensant et en nommant les pays qui ne coopèrent pas.

3.50 En 1990, le Groupe d'action a élaboré 40 recommandations pour lutter contre la mauvaise utilisation du système financier par les individus qui blanchissent l'argent de la drogue. Les recommandations constituent un cadre pour la lutte contre le blanchiment d'argent. Elles proposent des modifications à apporter au système de justice pénale et aux modalités d'application de la loi, au système financier et à sa réglementation, ainsi qu'en matière de coopération internationale. Par exemple, chaque pays est invité :

  • à criminaliser le blanchiment d'argent;
  • à veiller à ce que les institutions financières identifient leurs clients et tiennent des documents sur eux et sur leurs comptes, et à ce qu'elles déclarent les opérations douteuses;
  • à surveiller la circulation d'argent à ses frontières;
  • à collaborer avec d'autres pays en vue de redoubler d'efforts pour lutter contre le blanchiment d'argent.

3.51 Les recommandations du Groupe d'action n'ont été appliquées initialement qu'aux produits de la criminalité relatifs au trafic de drogues. Il a toutefois été décidé en 1996 d'en étendre l'application aux produits de tous les crimes graves. Cette décision se fondait sur les connaissances acquises lors des enquêtes menées jusque-là sur le blanchiment d'argent et aussi sur le fait que des changements étaient en cours dans les méthodes de blanchiment. On s'employait, par exemple, à perfectionner ces méthodes. Les recommandations du Groupe sont aujourd'hui entérinées par plus de 130 pays et largement reconnues à titre de normes visant à empêcher les blanchisseurs d'utiliser le système financier.

3.52 En 2002, le Groupe d'action a relevé divers aspects de son cadre qui pourraient être modifiés et il a invité les pays, les organismes internationaux, le secteur financier et les autres parties intéressées à présenter leurs observations. Voici quelques-uns des changements qui ont été proposés : modifier le mode d'identification des clients, changer le mécanisme de déclaration des opérations douteuses, identifier les propriétaires réels des actifs appartenant à des entreprises, à des fiducies et à des fondations et appliquer les recommandations aux professionnels, comme les avocats, les comptables et les analystes financiers, qui conseillent parfois les blanchisseurs ou peuvent leur prêter assistance autrement.

3.53 En avril 2001, les conseils de direction du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ont convenu respectivement de redoubler d'efforts dans la lutte mondiale contre le blanchiment d'argent. Ces organismes collaborent avec le Groupe d'action et avec leurs pays membres en vue d'appliquer les normes de la lutte contre le blanchiment d'argent à leurs activités en matière de surveillance et d'opérations. Ils intensifieront également leurs efforts d'aide technique, de recherche et d'éducation dans ce domaine.

3.54 À une réunion spéciale sur le financement du terrorisme tenue en octobre 2001, le Groupe d'action a, dans le sillage du 11 septembre 2001, élargi sa mission au-delà du blanchiment d'argent, y greffant le financement du terrorisme. Il a diffusé de nouvelles normes internationales pour la lutte contre le financement du terrorisme et exhorté tous les pays à les adopter et à les mettre en oeuvre. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont également accepté de jouer un rôle au-delà de la lutte contre le blanchiment d'argent et de déployer des efforts visant à prévenir le financement du terrorisme.

3.55 En juin 2002, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada a été admis en tant que membre du Groupe Egmont de cellules du renseignement financier (Financial Intelligence Units ou FIU). Ce groupe a été formé en 1995 pour offrir à ces cellules une tribune permettant de mieux appuyer leurs programmes nationaux respectifs de lutte contre le blanchiment d'argent. Il s'agit notamment d'améliorer l'accès aux renseignements financiers et de les échanger sur une plus grande échelle et de façon plus systématique. Il s'agit également de rehausser l'expertise et les capacités du personnel de ces organisations ainsi que de favoriser une meilleure communication entre les cellules grâce à de nouvelles technologies.

La nouvelle stratégie canadienne de lutte contre le blanchiment d'argent

3.56 Lorsque le Groupe d'action financière a évalué le Canada en 1997, il a recommandé de mettre en place un mécanisme de déclaration obligatoire des opérations douteuses et des mouvements transfrontaliers de devises. Il a également recommandé d'établir une cellule centrale du renseignement financier chargée de recueillir, d'analyser et de diffuser cette information.

3.57 L'Initiative nationale du Canada pour la lutte contre le blanchiment d'argent a été élaborée en vue de combler les lacunes relevées par le Groupe d'action. La pièce 3.4 énumère les textes législatifs et réglementaires actuellement en vigueur.

3.58 La pièce maîtresse est la nouvelle Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, qui a reçu la sanction royale le 29 juin 2000. Cette loi :

  • établit un système de déclaration obligatoire des opérations douteuses et d'autres types d'opérations;
  • prescrit la déclaration des mouvements transfrontaliers de grosses sommes d'argent;
  • établit le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE).

3.59 La pièce 3.5 montre comment s'agencent ces divers éléments. Un éventail d'opérations financières, comme les dépôts, transferts d'argent, échanges de devises et achats immobiliers, peut être associé au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes.

3.60 Les institutions financières, les maisons de change, les casinos et les personnes ou entités qui agissent à titre d'intermédiaires financiers doivent déclarer ce qui suit :

  • les opérations douteuses, c'est-à-dire toute opération financière dont il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu'elle est liée à une infraction relative au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes;
  • les opérations en espèces d'un montant élevé, c'est-à-dire l'encaissement de sommes de 10 000 $ et plus;
  • les transferts électroniques de fonds, c'est-à-dire les transferts de 10 000 $ et plus du Canada vers un autre pays ou vice versa;
  • les biens appartenant à des terroristes, c'est-à-dire les espèces, les comptes bancaires, les polices d'assurance, les mandats, les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les chèques de voyage ainsi que les autres types de biens qui, de source sûre, appartiennent ou sont contrôlés par à un groupe terroriste identifié par les Nations Unies et figurant dans les listes du solliciteur général.

3.61 Quiconque omet de déclarer de telles opérations commet une infraction passible d'une amende pouvant atteindre deux millions de dollars et d'une peine d'emprisonnement maximale de dix ans, ou de l'une ou l'autre de ces peines. Quiconque, dans l'intention de compromettre les enquêtes ou les poursuites, révèle à des criminels, à des blanchisseurs d'argent ou à toute autre personne qu'une déclaration a été faite à leur égard commet aussi une infraction.

3.62 La Loi sur la déclaration des produits de la criminalité prévoit également que quiconque franchit la frontière canadienne avec de grosses sommes d'argent, soit 10 000 $ et plus, en espèces ou en d'autres instruments liquides comme des chèques de voyage et des mandats en blanc, doit faire une déclaration à l'Agence canadienne des douanes et du revenu qui la transmet ensuite au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières. Les devises peuvent être saisies si la personne en question ne les a pas déclarées, mais elles lui sont remises moyennant paiement d'une amende, sauf si l'Agence canadienne des douanes et du revenu a un motif raisonnable de penser qu'il s'agit de produits de la criminalité.

3.63 Le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières joue un rôle de filtre. Sa fonction principale consiste à analyser les déclarations prescrites par la loi et à déterminer s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner que des renseignements particuliers au sujet de certaines opérations pourraient être utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. Si le Centre détermine que les renseignements seraient utiles, il les transmet aux autorités compétentes.

3.64 Le Centre est également chargé de protéger l'information qu'il reçoit de ses diverses sources, c'est-à-dire de veiller à ce qu'elle ne soit communiquée à aucune personne qui ne serait pas autorisée à en prendre connaissance. Il doit également veiller à ce que les institutions financières et les autres entités et personnes se conforment aux exigences de la Loi concernant la déclaration des transactions, la tenue des documents et l'identification des clients.

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Les principaux défis à relever

3.65 Le Canada a été l'un des derniers pays industrialisés à instaurer un système de déclaration obligatoire des opérations douteuses et à établir une cellule du renseignement financier chargée de recevoir, d'analyser et de transmettre l'information. Dans l'élaboration de sa nouvelle stratégie, le Canada a donc pu tirer parti à la fois de sa propre expérience et de celle des autres pays.

3.66 Tout comme les autres pays, le Canada a dû établir un équilibre entre les objectifs consistant à appliquer la loi, à protéger les renseignements personnels, à minimiser les coûts pour assurer le respect des exigences et à appuyer les efforts internationaux dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Le modèle qu'il a adopté est semblable à celui de la plupart des autres pays; les différences entre les pays découlent généralement de la situation particulière et du cadre constitutionnel de chacun.

Respect de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que du droit des Canadiens à la vie privée

3.67 Le Centre reçoit des renseignements financiers personnels au sujet de personnes qui effectuent des opérations financières légitimes. Cela soulève la question des attentes raisonnables en matière de vie privée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

3.68 Pour protéger la vie privée des Canadiens qui font des opérations financières légitimes, le mandat du Centre a été assorti de diverses balises et restrictions, que voici :

  • maintenir l'indépendance du Centre même par rapport aux organismes d'application de la loi, comme la GRC et les autres services de police;
  • limiter la quantité de renseignements qui peuvent être communiqués aux organismes d'application de la loi;
  • limiter la période pendant laquelle les données peuvent être conservées;
  • veiller à ce qu'il y ait un examen par le Parlement dans la cinquième année suivant la promulgation de la loi.

3.69 Selon la loi, le Centre est également tenu de protéger les renseignements personnels qu'il recueille pour ne pas qu'ils soient communiqués à des personnes non autorisées à en prendre connaissance. Pour assurer cette protection, le Centre a pris des moyens pour gérer les renseignements en toute sécurité, notamment faire en sorte que les installations et le matériel soient sécurisés et que ses employés se conforment aux exigences en matière de sécurité.

3.70 La loi habilite le Centre à communiquer des renseignements financiers personnels s'il existe un « doute raisonnable ». L'article 8 de la Charte des droits, le droit de chacun à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, a été interprété par les tribunaux comme suit : un juge doit autoriser une demande de communication d'information avant que des renseignements financiers personnels ne soient recueillis et transmis à des organismes d'application de la loi. Le juge fonderait sa décision sur l'existence de motifs raisonnables et probables de croire que les opérations financières servent à recycler des produits de la criminalité ou à financer des activités terroristes.

3.71 Outre qu'il doit veiller à ce que les renseignements personnels ne soient pas communiqués sans autorisation, le Centre a d'autres défis à relever. Au sujet des « motifs raisonnables de soupçonner », il doit énoncer une définition pratique qui puisse guider les décisions quant aux renseignements à communiquer et à ce qui rend pertinente l'information à l'égard d'une enquête ou d'une poursuite pour blanchiment d'argent. Le Centre doit également établir une procédure appropriée permettant de peser le risque de ne pas communiquer des renseignements susceptibles d'être utiles à des enquêtes par rapport au risque que certaines communications donnent lieu à des enquêtes qui ne sont ni nécessaires ni justifiées.

Élaboration de renseignements financiers de qualité supérieure destinés à l'application de la loi

3.72 Les organismes d'application de la loi ont recours à toute une panoplie de méthodes d'enquête et de sources de renseignement pour recueillir des preuves contre les blanchisseurs d'argent. Les renseignements que le Centre transmet aux organismes d'application de la loi servent à deux fins principales :

  • déclencher de nouvelles enquêtes sur des contrevenants inconnus jusque-là des organismes d'application de la loi;
  • contribuer aux enquêtes sur des contrevenants connus ou suspects.

3.73 Une fois recueillis, les renseignements sur les opérations financières doivent être analysés. L'efficacité à long terme de l'analyse se mesurera à l'effet de celle-ci sur les enquêtes criminelles et au nombre de poursuites pour blanchiment d'argent que les organismes d'application de la loi sont en mesure d'intenter. Les renseignements que le Centre transmet à ces organismes doivent être à la fois utiles et récents. À cette fin, le Centre a fait des investissements sur trois plans :

  • les outils et les méthodes analytiques en sélectionnant des indicateurs qui servent à détecter les opérations susceptibles d'être liées au blanchiment d'argent et au financement d'activités terroristes et en consultant les bases de données des secteurs public et privé qui peuvent intéresser le Centre, notamment la base de données nationales du Centre d'information de la police canadienne pour l'application de la loi;
  • le recrutement et la formation en embauchant des analystes qui ont des antécédents variés et en leur donnant une formation spécialisée en analyse;
  • les technologies de l'information en créant des systèmes et des logiciels qui lui servent à structurer sa base de données, à gérer les rapports d'opérations ainsi qu'à apparier et à associer les données pour les analyses.

3.74 Le Centre prévoit recevoir chaque année près de 3 000 000 de déclarations d'opérations financières. Il les analyse pour déterminer s'il existe des liens et des constantes entre les déclarations en apparence douteuses, celles concernant les mouvements transfrontaliers de devises et les autres données utiles dont il dispose.

  • S'il existe des liens que l'analyse permet de repérer entre ces activités financières, le type de comportement ainsi dépisté peut révéler l'existence d'une activité de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes.
  • Lorsque l'on soupçonne qu'il peut y avoir eu blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes, le Centre doit communiquer certains renseignements à l'organisme compétent d'application de la loi, à savoir le nom de la personne ou de l'entreprise qui a effectué l'opération, le nom et l'adresse du lieu où celle-ci a été faite, de même que l'heure, la date, le montant, le type et le numéro de l'opération ainsi que le numéro de compte qui a servi à l'effectuer.
  • Le Centre doit conserver les attestations écrites des motifs pour lesquels ses employés décident de communiquer des données à un organisme d'application de la loi.
  • Les autorités d'application de la loi doivent mener leur propre enquête, mais elles peuvent aussi demander une ordonnance judiciaire pour obtenir le reste de l'analyse faite par le Centre. Le juge doit être convaincu qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activité terroriste a été perpétrée et que les renseignements demandés sont susceptibles d'être très utiles pour l'enquête relative à l'infraction.

3.75 Le Centre doit donc s'employer à acquérir et à rehausser la capacité d'analyser l'information en vue de déceler les opérations dénotant blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes. Les renseignements qu'il communique doivent aussi contribuer à améliorer les enquêtes sur les infractions criminelles.

Difficultés particulières posées par le financement d'activités terroristes

3.76 Il a été mentionné plus haut que les groupes terroristes diffèrent des grandes organisations criminelles à plusieurs égards importants : les motifs de leurs activités de financement, la source de leurs fonds, le caractère et la nature des opérations financières qu'ils effectuent et la façon dont ils déplacent les fonds à l'extérieur du système financier officiel. C'est pourquoi il est difficile de suivre la trace des déplacements d'argent par les terroristes.

3.77 Le ministère des Finances a élaboré un règlement qui régit la déclaration des opérations douteuses relatives au financement d'activités terroristes. Dans le cadre de l'initiative antiterrorisme, le Centre s'est vu octroyer d'autres ressources visant à renforcer sa capacité de détecter et de prévenir le financement de telles activités.

3.78 Le Centre a entrepris de se doter des outils et indicateurs bien définis qui sont nécessaires pour déceler les activités susceptibles de pouvoir servir à financer des activités terroristes. Il est également en voie de former une équipe d'analystes qui se concentreront sur le financement de ces activités. Tout comme dans le cas du blanchiment d'argent, le défi consiste à acquérir la capacité d'analyser l'information et de la communiquer de façon à améliorer les enquêtes sur les infractions relatives au financement d'activités terroristes.

Sensibilisation et promotion du respect de la loi

3.79 Le Centre a deux autres mandats. Le premier consiste à sensibiliser et à renseigner le public sur le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. Le deuxième est de veiller à ce qu'une vaste gamme d'intermédiaires financiers respectent la loi et les règlements.

3.80 Le Centre a recensé plus de 100 000 entités financières et autres qui pourraient être assujetties aux nouvelles exigences de déclaration. Il s'agit tout autant de grandes banques que de praticiens seuls, comme les comptables ou les avocats qui travaillent à leur compte. Une petite proportion seulement relève du secteur financier que les gouvernements fédéral et provinciaux réglementent.

3.81 Compte tenu de l'expérience des fonctionnaires américains, l'Agence des douanes et du revenu du Canada s'attend à recevoir chaque année environ 40 000 déclarations de mouvements transfrontaliers. Elle a incorporé les nouvelles exigences dans ses procédures.

3.82 L'une des difficultés qui se pose pour le Centre et pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada est de veiller à ce que les entités financières et le public voyageur soient sensibilisés à leurs obligations. Une autre difficulté est d'élaborer un programme assez efficient et efficace pour assurer la conformité.

Établissement et maintien de bonnes relations de travail

3.83 Tel que mentionné plus haut, l'objectif ultime de la stratégie fédérale de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes est de réduire la criminalité. Pour que cet objectif puisse être atteint, la collaboration, la coordination et la mise en commun de renseignements sont nécessaires à plusieurs niveaux :

  • avec le secteur financier, pour détecter les activités douteuses et susceptibles d'être criminelles;
  • au sein de l'administration fédérale, qui compte huit organismes investis de responsabilités ayant trait directement au blanchiment d'argent;
  • entre les gouvernements, dont les organismes provinciaux de réglementation, les sociétés de loterie et de jeu ainsi que les organismes provinciaux et locaux d'application de la loi;
  • sur le plan international, pour s'occuper de la criminalité transfrontalière et des refuges pour les blanchisseurs d'argent et les bailleurs de fonds du terrorisme.

3.84 À titre d'organisme principal, le ministère des Finances doit veiller à ce que ces partenaires et les parties intéressées établissent et entretiennent de bonnes relations de travail, de sorte que chacun puisse jouer son rôle pour favoriser la réalisation des objectifs de la stratégie. Il importe particulièrement que l'information et les renseignements soient transmis rapidement.

Mesure de l'efficacité des efforts fédéraux

3.85 La mesure de l'efficacité d'une stratégie de lutte contre le blanchiment d'argent suscite un certain nombre de difficultés.

  • L'absence de points de référence : il n'existe pas de mesure fiable de la quantité d'argent blanchi, ni de méthode convenue, au Canada ou à l'étranger, pour déterminer cette quantité.
  • Difficulté d'attribuer des résultats à une source de renseignement particulière : les organismes d'application de la loi ont recours à toute une panoplie de méthodes d'enquêtes et de sources de renseignements pour recueillir des preuves contre les blanchisseurs d'argent. Comme les renseignements servant à poursuivre et à faire condamner les criminels proviennent de sources différentes, il peut être difficile de déterminer les effets de l'information fournie par le Centre sur les résultats des enquêtes.
  • La durée des enquêtes : les enquêtes sur les produits de la criminalité sont habituellement assez compliquées et exigent de longues chaînes complexes de preuves. Il arrive souvent que plusieurs années s'écoulent entre l'ouverture d'une enquête et la décision.

3.86 Depuis plus d'une décennie, les membres du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux procèdent à des auto-évaluations et font examiner par des pairs les systèmes qu'ils ont établis pour lutter contre le blanchiment d'argent. Ces évaluations gravitent autour de la nécessité de respecter les 40 recommandations faites par le Groupe d'action en 1990 pour lutter contre le blanchiment d'argent.

3.87 D'après les résultats des évaluations, les pays membres ont suivi la plupart des 40 recommandations. Autrement dit, le taux d'observation est élevé.

3.88 Selon les évaluations, toutefois, seuls quelques pays membres ont établi un système permettant de savoir comment les organismes d'application de la loi utilisent les déclarations d'opérations financières. En outre, on a constaté que ces pays ignorent si l'information tirée des déclarations a contribué à faire inculper et condamner des blanchisseurs d'argent ou à faire confisquer les produits de la criminalité. Le Groupe d'action a conclu que « les examinateurs n'ont pas pu tirer de conclusions fermes sur la question de l'efficacité ».

3.89 Au moment où le gouvernement du Canada a autorisé le financement de l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent, il a ordonné que celle-ci soit évaluée après trois ans pour qu'on sache si elle est bien conçue et si son financement est satisfaisant. Le gouvernement a aussi ordonné que l'Initiative fasse l'objet d'une évaluation formelle au cours de sa cinquième année d'existence pour savoir si elle a atteint les objectifs fixés. En outre, cette évaluation formelle devra aborder les questions relatives à la vie privée et fournir une réponse aux questions suivantes : l'Initiative est-elle efficace par rapport à son coût, et d'autres solutions pourraient-elles donner de meilleurs résultats?

3.90 Bien que l'Initiative nationale ait été lancée en 2000, elle n'est devenue pleinement opérationnelle qu'au moment de l'entrée en vigueur des règlements connexes. Les déclarations sur les opérations douteuses ne sont devenues obligatoires qu'en novembre 2001 et certains autres types de déclarations, à partir de 2002. Le défi du ministère des Finances et de ses partenaires consiste à veiller à ce qu'une évaluation utile soit effectuée avant l'examen de la loi par le Parlement.

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Conclusion

3.91 À la fin de 2004, nous ferons rapport sur la façon dont le gouvernement fédéral aura mis en oeuvre sa stratégie de lutte contre le blanchiment d'argent. Nous escomptons notamment qu'il aura réglé avec efficience et efficacité, par les moyens suivants, les difficultés mentionnées dans le présent rapport :

  • respecter la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que le droit des Canadiens à la vie privée;
  • produire des renseignements financiers de qualité supérieure pour l'application de la loi;
  • surmonter les difficultés particulières que pose le financement d'activités terroristes;
  • veiller à ce que les banques, les autres agents financiers et le public soient sensibilisés à leurs obligations légales et les respectent;
  • veiller à ce que de bonnes relations de travail parmi une vaste gamme de partenaires et de parties intéressées soient établies et maintenues;
  • déterminer si les efforts du gouvernement fédéral sont efficaces pour freiner le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.

3.92 La stratégie du Canada pour lutter contre le blanchiment d'argent vise à établir un équilibre entre les objectifs suivants :

  • l'application de la loi;
  • la protection des renseignements personnels;
  • la minimisation des coûts du respect de la loi;
  • le soutien des efforts internationaux pour lutter contre le blanchiment d'argent.

3.93 Avec la nouvelle loi, l'équilibre entre ces objectifs a changé puisqu'une plus grande importance est accordée aux besoins liés à l'application de la loi et au soutien des efforts internationaux.

3.94 La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la Loi antiterroriste énoncent toutes deux que le Parlement est tenu d'examiner chacune de ces lois et leurs modalités d'application. Les examens s'amorceront à la fin de 2004. Les députés auront donc l'occasion de déterminer si un juste équilibre a été atteint.

Début

À propos de l'étude

Objectifs

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la Loi antiterroriste prévoient toutes deux que le Parlement doit examiner ces deux mesures, de même que leurs modalités d'application :

  • dans les cinq ans (avant le 5 juillet 2005), dans le premier cas;
  • dans les trois ans (avant le 18 décembre 2004), dans le second.

En vue de ces examens, le Bureau a élaboré un calendrier de production de rapports en deux étapes.

  • La présente étude ouvre la voie à une vérification de la stratégie du gouvernement fédéral pour lutter contre le blanchiment d'argent. Elle décrit le blanchiment d'argent et les difficultés principales à surmonter dans cette lutte.
  • En novembre 2004, nous nous demanderons comment le gouvernement fédéral réussit à surmonter ces difficultés.

Étendue et méthode

Pour la première étape, nous avons interrogé des fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, du Bureau du surintendant des institutions financières, du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, de Citoyenneté et Immigration Canada, de la Gendarmerie royale du Canada, du ministère de la Justice, du ministère des Finances, du ministère du Solliciteur général et du Service canadien du renseignement de sécurité. Nous avons aussi consulté les organismes internationaux qui participent à la lutte contre le blanchiment d'argent et examiné les lois et règlements connexes, les rapports canadiens et étrangers sur le blanchiment d'argent, et les initiatives pour lutter contre le blanchiment d'argent.

Équipe de vérification

Vérificateur général adjoint : John Wiersema
Directeur principal : Richard Smith

Sebastien April
Richard Domingue
Patti-Lou Fowlow
Rose Pelletier

Pour de l'information, veuillez joindre le service des Communications, en composant le (613) 995-3708 ou le 1 888 761-5953 (sans frais).

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