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Discours

Arts, culture et créativé

Extrait d’un discours présenté lors de la conférence fédérale-provinciale des ministres de la culture à Halifax le 30 octobre 2004

Par Simon Brault, vice-président du Conseil des arts du Canada, président de Culture Montréal et directeur général de l’École nationale de Théâtre.

Avec l’accélération d’une mondialisation à laquelle personne n’échappe, les façons de penser et de faire de  tous les secteurs de l’activité humaine sont passées au crible. D’abord évoqué par les gurus de la nouvelle gestion, le «changement de paradigmes» est devenu un leitmotiv sans cesse rappelé.

Un peu partout dans le monde, et d’une façon étonnamment synchronisée, on questionne, on analyse, on mesure et on re-découvre les vertus intrinsèques et les multiples impacts, directs et indirects, de la culture sur le développement individuel et collectif des êtres humains.

On s’intéresse avec zèle à ce qui relie les arts et la culture au  développement économique, communautaire et social des quartiers, des villes, des collectivités, des régions et des états.

Force est de constater que le statut des arts et de la culture dans la société et l’attention accordée au patrimoine ont connu une évolution phénoménale depuis la formulation de l’article 27  de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, il y a moins de soixante ans..

La création, la production et la diffusion culturelles sont passées d’une situation où elles échappaient presque entièrement à la sphère économique pour se retrouver au cœur des nouvelles stratégies de développement humain.

Le Canada n’a pas échappé à ces mutations.

Au  début des années 60, nos gouvernements ont mis l’accent sur la professionnalisation des arts et de la culture avec l’affirmation d’objectifs d’excellence artistique et l’édification d’un certain nombre d’institutions culturelles majeures dans les grands centres et dans les régions. Les dépenses publiques visaient alors l’accroissement de l’activité culturelle en misant sur l’offre artistique émanant des professionnels. La démocratisation de l’art était vue – avec raison – comme une responsabilité prioritaire de l’État et elle justifiait la mise en place progressive des  mécanismes de subvention culturelle que nous connaissons aujourd’hui.

Malheureusement, l’édification de ces systèmes d’aide a été parasitée par des discours et des attitudes qui nourrissent l’idée d’une espèce de rapport d’assistance publique, de condescendance, presque de charité, entre ceux qui gèrent l’économie et ceux qui assument la création, la production et la diffusion artistiques.

À partir des années 70, avec l’effondrement de pans entiers de l’activité économique fondée sur les ressources naturelles et leur transformation, on se réjouit de constater l’impact positif de l’art et de la culture sur la croissance de la main d’œuvre active.

Vers la fin des années 80, des échos des expériences américaines et européennes de  revitalisation urbaine par la culture nous parviennent. On constate que l’art et la culture sont désormais systématiquement appelés au chevet de centres-villes souffreteux, de zones urbaines désertifiées ou surpeuplées ou de quartiers déchirés par la violence et la pauvreté. 

À la fin des années 90, c’est l’émergence des concepts d’industries inventives et de villes créatives, d’abord en Angleterre et par la suite dans plusieurs pays d’Europe, qui modifiera  notre compréhension du rapport entre l’art, le patrimoine, la culture et l’économie.

En 2002, les travaux surmédiatisés de Richard Florida sur les travailleurs du savoir et le pouvoir d’attractivité de la vie culturelle dans les grandes villes, dont le fameux indice bohémien, précipitent les choses en Amérique du Nord au point de créer une mode, qui, comme toutes les modes, charrie le meilleur et le très banal, le sophistiqué et le vulgaire. Mais le bruit médiatique ainsi créé aura l’avantage d’attirer l’attention de nombreux politiciens de tous les niveaux de gouvernements en plus de frapper l’imagination des milieux d’affaires.

Au cours des 30 dernières années au Canada, les trois arguments à saveur économique qui se sont le plus souvent hissés au haut du palmarès sont la création d’emplois, la stimulation du tourisme et  l’accroissement des retombées fiscales et parafiscales.
 
Puisqu’en 2001-2002 on a dépensé au Canada - tous niveaux de gouvernements confondus -  environ  7.1 milliards $ d’argent public pour soutenir 740 000 emplois (parmi  lesquels on dénombre 131 000 artistes) et protéger des retombées économiques estimées à 26 milliards $.

Loin de moi l’idée donc de vous proposer d’abandonner ces arguments économiques traditionnels. Nous serions bien naïfs de nous en priver dans un monde dominé par les préceptes de l’évaluation quantitative.

La créativité humaine est le principal moteur de la croissance économique et sociale.  Cette affirmation presque banale s’est vérifiée à toutes les étapes du développement de l’humanité depuis l’âge des cavernes. Sans idées nouvelles, il n’y a pas de développement de qualité, ni possibilité de générer des richesses économiques supplémentaires et d’accroître le capital social à partager.

Malheureusement, la véritable créativité est une denrée rare. Elle n’est pas tant le résultat spontané de l’économie de marché que le résultat d’une démarche émotive, intuitive, réflexive où l’imaginaire est intensément sollicité.

Or la créativité peut être  incubée, soutenue, stimulée ou attisée par une interaction soutenue avec les arts et le patrimoine culturel qui sont des purs produits de la créativité humaine.

Dans la mesure où l’expression de la créativité attire les gens créatifs, il devient évident que l’intensité et l’originalité de la vie culturelle d’une place donnée agissent comme un aimant pour attirer les gens de talent. Mais, ce qui est encore plus intéressant et prometteur à mon avis c’est de comprendre et d’intensifier  la contribution directe des arts et de la culture au développement de la créativité des personnes au sein même des collectivités.

La fréquentation assidue des arts et du patrimoine contribue stimuler les facteurs de créativité que sont le sens critique, la  capacité de solliciter l’imaginaire, la transgression des frontières mentales rigides, la capacité de rêver, la distanciation émotive, la capacité de transposer, la capacité de rompre les comportements intellectuels et physiques convenus et prévisibles (par la danse par exemple), etc.

Les arts et la culture ne constituent plus alors un simple secteur d’activité spécifique avec ses emplois, ses organismes, ses outils de subvention, de planification et de régulation. La culture se présente alors comme ce qu’elle est  par définition,  c’est-à-dire comme une dimension de la vie des individus et des collectivités.

Il est donc  évident qu’il faut consolider les arrimages entre éducation et culture, entre santé et culture, entre citoyenneté et culture, entre urbanisme et culture, entre développement économique et culture, etcetera. C’est d’ailleurs l’esprit de l’Agenda 21 de la culture adopté à Barcelone cet été.


Un très grand nombre de communautés, de villes, de territoires ou de quartiers partout au Canada ont besoin d’être revitalisés. Souvent parce qu’ils sont affectés à un degré ou au autre par de problèmes environnementaux, sociaux, démographiques ou économiques.

Or, ici comme ailleurs, on commence à constater que la culture peut jouer un rôle clé dans les processus de revitalisation et parfois même catalyser les forces de changement dans une communauté. 

Par ailleurs, au cœur de toutes ces stratégies de développement, il y a évidemment les artistes de toutes disciplines, de tous les âges, de tous les horizons esthétiques, de toutes les provenances géographiques, de toutes les communautés. Ces artistes font leur travail, souvent sans se préoccuper des tous les impacts directs et indirects que je viens d’évoquer. Ce travail a une valeur en soi et il ne saurait être question d’ «instrumentaliser» les artistes à des fins économiques ou sociales si louables soient-elles.  Mais il est de notre rôle de mettre ce travail en contexte et de mieux révéler sa contribution au mieux-être des individus et des collectivités.  

Il est impérieux de mieux soutenir nos artistes, de reconnaître pleinement leur statut, de leur offrir une formation- initiale et continue-  de haut niveau, de les rémunérer plus adéquatement et de protéger et célébrer leur liberté de créer.

Il me semble aussi urgent de nourrir et reconnaître le nouveau leadership culturel au sein de nos collectivité, qu’il origine d’individus ou d’organisations particulièrement créatifs et innovants.

En terminant, je vous propose 5 pistes d’action découlant de ce que je viens d’exposer :

  • Inscrire davantage la fréquentation des arts et du patrimoine dans les systèmes d’éducation comme levier de développement de la créativité;
  • Identifier, documenter, révéler et diffuser davantage les liens concrets entre culture – créativité et développement économique et social.
  • Identifier et mettre en valeur les initiatives et les projets qui misent sur les contributions des arts, du patrimoine et de la culture à la revitalisation des communautés;
  • Développer des approches transversales misant sur des ponts entre la culture et les autres missions gouvernementales.
  • Développer des programmes favorisant l’émergence du leadership culturel au niveau local et national.

Aujourd’hui, les ministres de la culture peuvent grandement influencer l’action culturelle de leurs gouvernements respectifs. Mais gageons que dans un avenir rapproché, le portefeuille de la culture gagnera en importance et sera même appelé à jouer un rôle déterminant pour façonner une société plus humaine et plus inclusive. 

Simon Brault est vice-président du Conseil des Arts du Canada, président de Culture Montréal et directeur général de l’École nationale de théâtre du Canada.