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St. John’s : aux frontières de l’activité inter-arts

La pratique de l’interdisciplinarité à St. John's en Terre-Neuve

CONTEXTE

« La pratique de l’interdisciplinarité est inévitable, car elle répond à l’évolution du monde. De fait, nous réagissons à ce qui se produit dans le monde des arts sur les scènes nationale et internationale tout en respectant notre voix et notre culture unique. » ― Andrea Cooper, artiste de St. John’s

La tendance de plus en plus marquée vers les approches interdisciplinaires est un phénomène qui continue à prendre de l’ampleur dans toutes les régions du Canada. Les artistes des centres urbains, tout comme ceux des régions rurales, expérimentent des modes d’expression novateurs, font éclater les limites, croisent les genres et créent ainsi des formes et des contenus uniques qui leur sont propres.

Selon le rapport du Bureau Inter-arts, intitulé Bureau Inter-arts : Survol des quatre dernières années - 1999-2003, les trois plus grands centres d’activités inter-arts au Canada sont Montréal, Vancouver et Toronto [1]. Ces données démographiques n’ont rien de surprenant, puisque la majorité des artistes canadiens habitent dans les grands centres urbains. Habituellement, les artistes d’une grande ville sont appuyés par une infrastructure culturelle solide, leurs publics sont plus vastes et ils bénéficient davantage de la critique essentielle à leur progrès. Pourtant, en dépit de ces avantages, on trouve de petites collectivités qui ont su se démarquer dans le domaine des arts interdisciplinaires au Canada, grâce à leurs propres pratiques inter-arts [2].

Située aux confins de l’Amérique du Nord, la ville de St. John’s, à Terre-Neuve, s’est fait connaître comme une région à l’avant-garde de la scène inter-arts au Canada. En dépit d’une population d’environ 155 000 habitants et d’une communauté artistique extrêmement petite, la ville a réussi à produire un ensemble riche et diversifié d’œuvres interdisciplinaires créées, pour la plupart, en collaboration. St. John’s possède une énergie créatrice interdisciplinaire qui n’existe nulle part ailleurs. Cette énergie est attribuable à la situation géographique ainsi qu’à l’histoire et aux traditions culturelles de la ville. Si les thèmes et l’esthétique sont difficiles à cerner, on peut toutefois affirmer que ces artistes semblent habités par l’esprit des lieux et empreints d’un fort sentiment d’identité. Le présent profil explore en détail ces caractéristiques et examine les facteurs géographiques, culturels et historiques qui définissent la scène inter-arts de St. John’s.

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HISTORIQUE

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Aux frontières de l’art

« St. John’s est un lieu propice aux échanges. En partie en raison des liens étroits qui nous unissent et également à cause de la réalité économique, nous travaillons constamment en collaboration. » ― Liz Pickard, artiste de St. John’s

À St. John’s, la pratique de l’interdisciplinarité n’est pas un phénomène contemporain, mais plutôt une tradition ancrée profondément dans le paysage culturel et historique de Terre-Neuve. Située à la limite nord-est du continent, Terre-Neuve figure, sur le plan géographique, parmi les régions les plus isolées du Canada. Non seulement la province est-elle séparée physiquement du reste du pays, mais son passé est sans doute le plus unique au Canada. Dernière province à se joindre à la Confédération, en 1949, Terre-Neuve n’a jamais perdu de vue son histoire et son héritage et elle a conservé un sentiment identitaire marqué et une forte fierté civique.

Quel est alors le lien entre ces facteurs et l’activité inter-arts intense qui caractérise St. John’s? Dans les régions isolées et les petites collectivités, les artistes savent compter les uns sur les autres, et leur esprit collectif est manifeste. Cette solidarité risque moins de se manifester dans les grands centres urbains. De même, à St. John’s, de nombreux artistes se sentent naturellement obligés de travailler collectivement, d’échanger des idées et de fusionner les disciplines. Cette attitude résulte aussi de la réalité économique qui prévaut à St. John’s (ressources limitées et pénurie d’emploi). Nombreux sont les Terre-Neuviens qui quittent « leur roc » pour s’établir dans les grandes villes, car celles-ci offrent de meilleurs débouchés. Cette réalité se reflète sur la population de Terre-Neuve, qui a diminué régulièrement au cours des années [3]. Les artistes qui choisissent de rester et de faire carrière à St. John’s le font pour diverses raisons, dont l’une des principales est le fait que la communauté artistique de la ville est extrêmement attachante et d’un grand soutien. Les artistes sont unis par un lien commun ainsi que par leur désir de se réunir, de travailler ensemble et d’apprendre les uns des autres.

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Racines traditionnelles

« La culture terre-neuvienne trouve ses racines dans les traditions rurales et dans l’esprit de coopération des individus et des collectivités, et elle exige de ceux-ci un ensemble diversifié d’aptitudes. Les pêcheurs ont coupé le bois, construit des maisons et des scènes, fabriqué des bateaux, des filets et des engins de pêche, et acquis une multitude d’aptitudes que l’on pourrait maintenant considérer comme interdisciplinaires. » ― Pam Hall, artiste de St. John’s

À St. John’s, la collaboration transdisciplinaire et de la pratique de l’interdisciplinarité reposent fondamentalement une solide tradition de travail communautaire et collectif. Depuis toujours, les Terre-Neuviens travaillent ensemble et ont noué des relations sociales complexes au sein de la communauté. Ils y ont été obligés pour survivre aux conditions géographiques et économiques qui rendent la vie si difficile à Terre-Neuve. À cause de ces défis, de nombreux Terre-Neuviens sont devenus des adeptes de la multiplicité des tâches et ont acquis le plus de compétences possible afin de pouvoir contribuer à l’amélioration de la communauté. Cette mentalité est restée un élément intrinsèque de la culture contemporaine terre-neuvienne et, tout particulièrement, de la scène inter-arts.

Bien ancrées à Terre-Neuve, les traditions folkloriques ont aussi influé sur la pratique de l’interdisciplinarité à St. John’s. Les arts de la scène, par exemple, le chant, la littérature orale, la musique et la danse, revêtent une grande valeur dans ces traditions et ces coutumes qui viennent surtout d’Europe. Les arts de la scène constituent toujours un volet fondamental des œuvres interdisciplinaires qui sont réalisées à St. John’s, comme en témoignent les performances novatrices qui fusionnent danse, mouvement et le théâtre et qui sont produites en collaboration par des artistes tels que Liz Pickard et Anne Troake.

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Renaissance culturelle

« En tant qu’artiste interdisciplinaire de Terre-Neuve, je puise énormément dans ma culture et dans la géographie de ma province. Quand je dis « je puise »,  je ne veux pas dire sur le plan du contenu, mais sur celui de la profondeur des racines des gens et de mes origines. » ― Lori Clarke, artiste de St. John’s

À la fin des années 1960 et 1970, Terre-Neuve a vécu une période de renaissance culturelle de ses coutumes et de ses traditions culturelles. Animée par un petit groupe d’artistes et d’intellectuels, cette résurgence culturelle a fait ressortir l’importance de l’identité de Terre-Neuve, son attitude à l’égard de la Confédération et l’histoire personnelle de ses habitants. Ce phénomène était particulièrement évident sur la scène du théâtre professionnel, comme en témoigne la création de compagnies telles que la Mummer’s Troupe, la troupe CODCO et la Newfoundland Travelling Theatre Company. CODCO, en particulier, a énormément influencé les arts de la scène à Terre-Neuve, suscitant des éloges et des acclamations à l’étranger qui ont rejailli sur la province. Satiriques, spirituelles, amusantes et d’un humour noir, les pièces de CODCO sont présentées un peu partout en Amérique du Nord et même en Angleterre. Elles portent sur divers sujets, dont la politique, la culture et la condition humaine. Intégrant éléments traditionnels de la scène et pratiques contemporaines, le style théâtral de CODCO allie chant, danse, musique, comédie humoristique et art multimédia.

Ce sont des compagnies de théâtre telles que CODCO qui ont aidé à ranimer l’esprit communautaire de Terre-Neuve et à l’exprimer de façon moderne et novatrice. La pratique de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité est alors devenue très courante à Terre-Neuve. Selon Ken Murphy, gestionnaire de programme au Newfoundland and Labrador Arts Council, c’était l’époque où « les acteurs devenaient auteurs, les danseurs produisaient des films, les artistes visuels se faisaient musiciens et les musiciens remplaçaient les acteurs ».

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Infrastructures culturelles

« Les investissements dans notre communauté se font rares. Quitter l’île coûte cher. Il est difficile de joindre les deux bouts. Pourtant, le degré d’engagement et de soutien de la communauté est à la fois vivifiant et stimulant ― et indéfectible. »

― Andrea Cooper, artiste de St. John’s

Durant les années 1980, la scène artistique de Terre-Neuve a continué à prospérer grâce à la création du Newfoundland and Labrador Arts Council. À cette époque, plusieurs artistes occupaient différents espaces, et des collectifs se sont formés à St. John’s, dont le Rising Tide Theatre et la Eastern Edge Gallery. Ces organismes ont donné aux artistes interdisciplinaires une infrastructure qui n’existait pas auparavant. La création du Resource Centre for the Arts, un organisme d’encadrement qui comporte quatre grandes divisions (le RCA Neighborhood Dance Works, le RCA Visual Art Gallery, le RCA Theatre Company et les RCA Operations), a été l’un des événements les plus marquants sur la scène inter-arts. Espaces interdisciplinaires aux taux de location raisonnables, le RCA est devenu un lieu de rencontre pour les artistes qui souhaitent se livrer à la pratique de l’expérimentation. Cet endroit est aussi devenu une plaque tournante pour la collaboration transdisciplinaire, car les artistes nouent des liens étroits entre eux, échangent des idées et font l’essai de divers moyens d’expression artistique. Depuis son inauguration, en 1983, le Sound Symposium réunit, pendant deux semaines, artistes, danseurs, producteurs de films et musiciens dans le cadre d’un festival qui rend hommage au son. Le Symposium s’est également avéré un événement important.

Même si de tels organismes culturels ont eu une réelle incidence sur la scène inter-arts à St. John’s, il n’y a toujours pas d’infrastructure formelle en place pour les artistes de l’interdisciplinarité. En ce qui concerne l’éducation artistique, il n’existe pas à St. John’s une institution qui offre ce discours critique si précieux à l’avancement de la pratique interdisciplinaire. L’Université Memorial de Terre-Neuve, à St. John’s, la plus grande université du Canada atlantique, n’offre pas de programme en beaux-arts. Le Collège Grenfell propose des programmes de baccalauréat en beaux-arts, mais il s’agit surtout de programmes sur les arts traditionnels qui n’incitent pas à l’exploration interdisciplinaire. De plus, le Collège Grenfell se trouve à l’extérieur de St. John’s, à Corner Brook (la distance entre St. John’s et Corner Brook équivaut à celle entre Toronto et Montréal). Cela explique pourquoi de nombreux jeunes artistes quittent malheureusement Terre-Neuve pour poursuivre leur éducation et leur carrière artistique ailleurs.

Pour les artistes de l’interdisciplinarité qui habitent et travaillent à St. John’s, le défi consiste souvent à trouver des fonds suffisants pour réaliser leurs projets. Selon les artistes interdisciplinaires, l’industrie culturelle et touristique promulguée par le gouvernement provincial représente un obstacle majeur. En effet, afin d’attirer des touristes et de promouvoir le développement économique de la province, les fonds sont plus souvent alloués à la culture traditionnelle qu’à la culture contemporaine. Les performances locales sur l’histoire et le folklore, entre autres les cafés-théâtres et les festivals locaux, ont gagné en popularité dans la province. Cette situation s’est avérée un problème de taille pour les artistes qui utilisent des moyens d’expression non traditionnels et dont l’œuvre n’est pas toujours commercialisable.

Heureusement, au cours de la dernière décennie, quelques organismes progressistes ont vu le jour à St. John’s. Ces organismes se sont engagés à soutenir et à produire des œuvres interdisciplinaires novatrices un peu partout dans la province. On peut citer, entre autres, la compagnie Gutsink Productions Inc, qui a été créée en 2001 par la danseuse et chorégraphe Sarah Joy Stoker. Compagnie interdisciplinaire, Gutsink privilégie la production de performances contemporaines dans les domaines de la danse, de la musique, de la vidéo et de l’installation. De même, le Festival of New Dance encourage les œuvres interdisciplinaires qui repoussent, voire dépassent, les frontières. Chaque été, au cœur même de St. John’s, ce festival met en vedette les performances novatrices et exceptionnelles de partout au pays et leur rend hommage. Pour répondre à l’intérêt croissant pour le moyen d’expression numérique-électronique dans les arts contemporains, Lori Clarke, Liz Pickard et Andrea Cooper, tous des artistes de St. John’s, ont créé Edge Intermedia en 2002. En partenariat avec la Easter Edge Gallery, Edge Intermedia joue un rôle critique dans la création et la diffusion d’œuvres électroniques et informatisées, en mettant des ressources humaines et techniques à la disposition des artistes de ce nouveau moyen d’expression.

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CONCLUSION

Malgré les défis que doivent relever de nombreux artistes de St. John’s, l’avenir semble brillant. Avec la naissance d’organismes et de collectifs progressistes à St. John’s, on peut espérer que les changements positifs se traduiront par une infrastructure solide pour les artistes interdisciplinaires. Il ne fait aucun doute qu’il est essentiel, pour réunir les artistes, les conservateurs et les organismes de St. John’s au sein d’un réseau et d’un système de soutien formels, de poursuivre le dialogue à l’échelle internationale. En 2002, le Resource Centre for the Arts a organisé un symposium de deux jours sur les enjeux entourant la pratique interdisciplinaire et les nouveaux moyens d’expression à St. John’s, intitulé Shifting Practice, afin de permettre aux artistes et aux professionnels des arts de la collectivité de se réunir et de discuter du de l’engouement croissant pour la pratique interdisciplinaire au Canada atlantique. Il est important de continuer à organiser des conférences et des symposiums comme Shifting Practice à St. John’s, car ces événements contribuent à maintenir un dialogue positif et essentiel pour la communauté artistique. Seul un effort concerté peut produire les changements nécessaires qui maintiendront et nourriront une scène inter-arts vraiment dynamique et unique à St. John’s.

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Remerciements

Le Conseil des Arts du Canada remercier les personnes suivantes pour leur temps et leur engagement à l’endroit de la réalisation de ce profil : Lois Brown, Lori Clarke, Andrea Cooper, Pam Hall, Ken Murphy, Liz Pickard et Sarah Stoker.

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Références

Bureau Inter-arts : Survol des quatre dernières années - 1999-2003

Liens Internet

Site web de Terre-Neuve-et-Labrador                              http://www.heritage.nf.ca/home.html

Resource Centre for the Arts                                             www.rca.nf.ca

Newfoundland and Labrador Arts Council                     www.nlac.nf.ca

Art Gallery of Newfoundland and Labrador / The Rooms                           

http://www.therooms.ca/artgallery/

Lori Clarke ― Somalore Series                                           www.somalore.com



[1] En 2002-2003, Montréal a reçu 30 p. 100 de tous les fonds accordés par le Bureau Inter-arts; Vancouver, 16 p. 100; et Toronto, 10 p. 100 .

[2] Le Bureau Inter-arts classe les « pratiques inter-arts » en trois catégories distinctes : performance, interdisciplinarité et nouvelles pratiques artistiques, y compris les collaborations entre les artistes et la communauté.

[3]Selon le site web du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : « On s’attend à ce que la population diminue modérément au cours des prochaines années en raison de causes naturelles et de l’émigration ».