Le théâtre est une institution entre parenthèses, une sorte d’oracle coûteux, un lieu chèrement payé, mais dont on n’a pas encore fini, loin de là, de puiser l’énergie productive; un lieu où l’apparition, le fait de prendre la parole et de rendre visible ce qui ne l’était pas jusqu’alors, peuvent s’accomplir. C’est une institution miraculeuse. On ne s’étonnera jamais assez du fait qu’une société parvienne de temps en temps à faire jouer son inconscient dans des lieux de spectacle définis.
Peter Sloterdijk
Proposer une saison théâtrale, c’est parfois prendre la mesure de l’instabilité d’une pratique de la représentation qui se révèle pour ses auteurs et ses artisans autant une histoire à raconter que la découverte d’une forme, autant un instantané photographique de la réalité qu’un remuement métaphysique, autant une porte d’accès à l’intime qu’un corps renversé pour déjouer l’anecdotique. En effet, quel écart entre les vers embrasés de Marina Tsvetaïeva et les techno-partitions de Marie Brassard, entre les compositions slam d’Ivan Viripaev et les plongées dans l’identité féminine de Louise Dupré ou de Virginia Woolf, entre la parole nomade et lyrique de Wajdi Mouawad et la langue atone et intérieure de Samuel Beckett, entre les contorsions délirantes des 7 doigts de la main et la voix vibrante et unique de Pierre Lebeau!
Des lieux de jeu et d’écriture si contrastés, engendreurs d’incertitudes et propulseurs d’étincelles de beauté qui nous rappellent que la scène est surtout un espace de vie inséparable du monde qu’elle cherche à éclairer sous toutes ses facettes entre le passé et le présent.
Cette saison 2006-2007, je l’ai donc imaginée comme un champ de forces poétiques que je vous invite à traverser, cher public, dans ses multiples apparences, avec ses trajectoires inversées, ses croisements subjectifs et ses jeux de rêves. Tout ce qui fait du théâtre aussi bien un art du ressentir ensemble qu’un voyage foisonnant de découvertes et de visages retrouvés.
Denis Marleau
Directeur artistique
du Théâtre français du Centre national des Arts
Denis Marleau
Photo © Gabor Szilasi
