Étude de cas d'Al-Pac
Première partie :
Objectifs de gestion
Daniel
Farr, Biota Research
Steve
Kennett, Institut canadien du droit des ressources
Monique
M. Ross, Institut canadien du droit des ressources
Brad Stelfox, Forem Technologies
Marian
Weber, Alberta Research Council
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Cette étude de cas a été commandée
comme recherche de base pour La Conservation du capital naturel
du Canada: Le programme de la forêt boréale.
Les opinions exprimées dans l’étude de
cas sont celles des auteurs et ne représentent pas
nécessairement celles de la Table ronde nationale,
de ses membres ou des membres du Groupe de travail du programme.
Juillet
2004
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Sommaire
Voici la première des trois parties d’un
rapport d’étude de cas qui porte sur les questions
de conservation dans la zone de gestion forestière (ZGF)
d’Alberta-Pacific Forest Industries (Al-Pac), dans le Nord-Est
de l’Alberta. Le présent document a pour but de présenter
une série d’objectifs de gestion qui favoriseraient
la conservation du capital naturel dans la ZGF d’Al-Pac. Les
deux autres parties du rapport de l’étude de cas portent
sur les obstacles réglementaires et fiscaux qui entravent
la réalisation de ces objectifs, et sur les politiques possibles
pour favoriser ces objectifs. L’étude de cas a été
commandée par la Table ronde nationale sur l’environnement
et l’économie (TRNEE) dans le cadre de son Programme
de conservation du patrimoine naturel du Canada : la forêt
boréale.
Le présent document aborde les questions suivantes
: Quelles valeurs essentielles de conservation faudrait-il défendre
dans la ZGF d’Al-Pac? Quels indicateurs de capital naturel
correspondent à ces valeurs de conservation, et quelles activités
humaines influent sur ces indicateurs? Enfin, quels objectifs précis
de gestion, pour les diverses formes d’exploitation des terres
dans la ZGF d’Al-Pac, pourrait-on adopter pour favoriser la
conservation du capital naturel?
Les valeurs de conservation qui s’appliquent
à la zone sur laquelle porte cette étude de cas découlent
des critères de gestion durable des forêts définis
par le Conseil canadien des ministres des forêts. Elles comprennent
la diversité biologique, l’état et la productivité
de l’écosystème, les ressources pédologiques
et hydriques, les cycles écologiques mondiaux (p. ex. carbone),
ainsi que les avantages économiques et sociaux. Les tendances
possibles que comportent les indicateurs correspondant à
ces valeurs de conservation ont été projetées
à l’aide d’un modèle de simulation initialisé
avec une description de la composition actuelle du paysage, et des
données d’entrée qui définissent les
degrés de modification du paysage et d’exploitation
des ressources dans la zone sur laquelle porte l’étude
de cas. Ces tendances ont pour but de faciliter la compréhension
des difficultés que comporte la réalisation des objectifs
précis de gestion qui favoriseraient une ou plusieurs valeurs
de conservation.
Voici un bref sommaire des valeurs que chaque objectif
de gestion favoriserait, ainsi que des incidences et tendances de
l’utilisation des terres que comportent les indicateurs concernés.
Maintenir l’ensemble
du couvert forestier
Cet objectif de gestion favoriserait plusieurs valeurs
de conservation, notamment la conservation de la biodiversité,
les ressources pédologiques, la qualité de l’eau
et le stockage du carbone. Dans la zone étudiée, le
déboisement est causé notamment par les routes et
jetées forestières, les coupes à blanc du secteur
énergétique (p.ex. emplacements des puits, pipelines,
routes, profils sismiques, mines à ciel ouvert), l’expansion
agricole et le changement climatique.
Dans la zone étudiée, le couvert forestier
a diminué d’environ 3 p. 100 au cours des dernières
décennies en raison du développement industriel, et
ce, surtout dans les secteurs forestier et énergétique.
Si l’expansion industrielle demeure soutenue au cours des
prochaines décennies, l’empreinte industrielle augmenterait
de 150 p. 100, et l’étendue supplémentaire de
forêts qui seraient converties à un usage industriel
serait de 4 p. 100.
Maintenir le régime
de perturbation naturelle
Les perturbations naturelles qui se présentent
entre autres sous la forme d’incendies de forêts ou
de pullulations d’insectes, ont fortement influé sur
la structure et la composition de la végétation dans
la zone étudiée depuis le retrait des nappes de glace
il y a environ 10 000 ans. Le maintien du régime de perturbation
naturelle dans cette région favoriserait la conservation
des espèces qui exigent des habitats pionniers et des structures
créées par le feu. Cela favoriserait également
la productivité des écosystèmes grâce
à l’émission d’éléments
nutritifs qui contiennent de la végétation morte et
vivante. Dans les peuplements forestiers mûrs qui sont exploités,
le maintien des structures résiduelles, sous la forme d’arbres
morts sur pied, de billes abattues et d’arbres vivants d’une
façon qui s’apparente à la perturbation naturelle,
favoriserait la conservation de la biodiversité.
Quoique les méthodes modernes de suppression
des incendies soient en place, l’incendie demeure un facteur
majeur dans la zone étudiée, à raison d’une
moyenne de 0,5 p. 100 du brûlage forestier chaque année.
La réexploitation sur une partie de ces peuplements brûlés
réduit l’héritage de perturbation naturelle
dans la forêt future grâce à l’élimination
des arbres morts sur pied et d’autres structures utilisées
par de nombreuses espèces. Pendant l’exploitation traditionnelle
(non complémentaire) des peuplements mûrs par la coupe
à blanc, la quantité de structures résiduelles
est limitée, surtout dans les peuplements à dominante
coniférienne.
La perturbation naturelle future comporte une implication
: la difficulté d’assurer un approvisionnement constant
de fibre ligneuse. D’après une analyse des quantités
de bois disponibles réalisée pour la ZGF d’Al-Pac,
dans laquelle on tient compte de la perte annuelle causée
par le feu, il semble que les niveaux actuels de récolte
seraient difficiles à maintenir pendant plus de 40 à
60 ans, période après laquelle on prévoit des
pénuries importantes dans les stocks de bois feuillu et résineux.
Les niveaux actuels de récolte dans la zone sur laquelle
porte l’étude de cas ont été calculés
afin de n’être viables que si les incendies de forêt
ne comportent aucune perte en bois.
Maintenir les forêts
anciennes
Les vieux peuplements forestiers contiennent généralement
le nombre le plus élevé d’espèces végétales
et animales de tous les stades évolutifs de la forêt
boréale. Le maintien d’une forêt ancienne à
une certaine amplitude de variabilité naturelle favoriserait
la conservation des espèces qui ont besoin de ces conditions.
Il favoriserait également la conservation du carbone aérien
de la productivité et des valeurs esthétiques.
Actuellement, environ 10 p. 100 de la zone étudiée
est recouverte de peuplements forestiers plus vieux, ce qui correspond
à environ 40 p. 100 de la forêt commercialisable. Si
l’on maintient le régime actuel de réglementation
forestière, l’activité d’exploitation
dans l’avenir réduirait considérablement l’étendue
disponible de forêt ancienne au cours des prochaines décennies.
Les effets du feu qui viendraient s’y ajouter accéléreraient
cette déperdition, tout comme les perturbations causées
par l’exploitation et le feu qui réduisent l’étendue
future des forêts anciennes disponible en deçà
de l’amplitude de variabilité naturelle.
Maintenir les éléments
hydrologiques et aquatiques essentiels
La forêt boréale assure de nombreux services
hydriques, dont le recyclage de l’eau dans l’atmosphère,
la filtration de l’eau et l’habitat faunique. Le maintien
des éléments aquatiques et hydrologiques essentiels
favoriserait la conservation de la diversité biologique,
ainsi que des ressources pédologiques et hydriques. Les activités
industrielles se répercutent sur l’eau de surface et
l’eau souterraine de diverses façons, notamment en
provoquant une perturbation locale du débit d’eau souterraine
autour des puits de pétrole et des mines de sables bitumineux,
des routes et des blocs de coupe forestiers. L’exploitation
peut également porter atteinte au débit et à
la biodiversité des cours d’eau et à la végétation
riveraine près des blocs de coupe. Les intrants industriels
aux sources ponctuelles des matières organiques et des toxines
ont suscité des inquiétudes quant à la consommation
humaine de poissons pêchés dans l’Athabaska et
dans ses affluents.
Les tendances passées et prévues de
la qualité de l’eau à l’échelle
globale de la ZGF d’Al-Pac ne sont pas publiées, mais
environ 3 p. 100 du couvert des terres humides de la région
ont été convertis à d’autres utilisations
des terres au cours des dernières décennies. Durant
les prochaines décennies, on prévoit que 4 p. 100
de plus de ces terres disparaîtront, surtout en raison de
l’exploitation des sables bitumineux; les routes sont une
autre menace qui pèse sur l’intégrité
des terres humides en raison de la perturbation du débit.
Reconnaître et
protéger les zones qui font l’objet d’utilisations
et de valeurs traditionnelles pour les Autochtones
Cet objectif de gestion est censé procurer
des avantages socioéconomiques et culturels aux Autochtones
tout en favorisant la conservation du capital naturel grâce
à la ZGF. Les Autochtones représentent un élément
important de la population qui vit dans cette zone de recherche.
Jusqu’à très récemment, les Autochtones
menaient un mode de vie traditionnel, qui faisait surtout appel
à la chasse, à la pêche, au piégeage
et à la cueillette, et leur relation avec la forêt
était surtout basée sur le respect et la protection
de la forêt. La protection de zones faisant l’objet
d’utilisations et de valeurs traditionnelles pour les Autochtones,
et la participation de ces derniers aux décisions de gestion
du territoire et des ressources contribueraient à respecter
toutes les valeurs de conservation définies ci dessus.
L’exploitation des ressources traditionnelles
du pétrole et du gaz, des sables bitumineux et des forêts
a eu un effet marquant sur le mode de vie traditionnel des collectivités
autochtones dans la zone sur laquelle porte cette étude de
cas. Dans bien des régions, les activités traditionnelles
qui sont tributaires de la terre et des ressources sont devenues
impossibles, d’une part, parce que certaines régions
ne peuvent matériellement plus être utilisées
en raison de l’aménagement et, d’autre part,
en raison de l’effet néfaste de l’extraction
des ressources sur les populations fauniques, ainsi que sur la quantité
et la qualité de l’eau.
Créer des zones
dans la forêt aménagée où les incidences
humaines sont interdites ou fortement réduites
La création de zones protégées
supplémentaires dans la zone de l’étude favoriserait
la conservation de la diversité biologique en faisant mieux
connaître les effets des activités humaines sur la
flore et la faune régionales, et en offrant un refuge aux
espèces et aux communautés naturelles qui sont sensibles
aux activités humaines.
Dans la zone d’étude, 96 000 hectares
au total (1,5 p. 100) sont désignés comme étant
protégés en vertu de lois provinciales ou des désignations
soumises aux règles de base qui régissent la foresterie
(p. ex. zones-tampons). Les options possibles pour la création
d’autres aires protégées ne cessent de diminuer
dans la ZGF d’Al-Pac, du fait que les activités d’exploitation
des ressources continuent de rétrécir la zone de paysages
encore intacts. La création de zones protégées
dans les paysages non aménagés se complique davantage
par les décisions d’affectation des ressources, en
ce qu’elles stimulent les désirs rivaux d’appropriation
entre les utilisateurs industriels et ceux qui favorisent les zones
protégées. Par exemple, réduire le territoire
consacré à la récolte du bois risquerait de
réduire le niveau viable de récolte du bois. Quoique
des niveaux raisonnables de protection constituent une valeur sociale
importante et reconnue, atteindre ces niveaux dans la zone d’étude
demeure difficile en raison de décisions conflictuelles concernant
l’affectation ancienne et actuelle des ressources.
Réduire la densité
de la perturbation linéaire et gérer l’accès
humain
Les routes et autres aménagements linéaires
sont considérés comme comportant de nombreuses incidences
écologiques néfastes. Ainsi, réduire le taux
de morcellement des forêts et du paysage causé par
l’aménagement linéaire dans la zone de l’étude
de cas favoriserait la conservation de la diversité biologique.
Certaines espèces fauniques telles que l’ombre de l’Arctique
et le caribou des forêts sont particulièrement sensibles
à une récolte excessive et à la perturbation
humaine le long des routes et d’autres voies d’accès
telles que les profils sismiques. La gestion de l’accès
humain le long des éléments linéaires contribuerait
à protéger ces espèces contre l’aggravation
du déclin de leur population.
Actuellement, la ZGF d’Al-Pac comporte plus
de 100 000 km d’aménagement linéaire, avec une
densité moyenne de 1,8 km/km2. Si l’activité
d’exploitation forestière persiste au niveau actuel,
et si le secteur énergétique prend de l’expansion
au rythme prévu, la densité moyenne des aménagements
linéaires dépassera 5,0 km/km2. Cette tendance aurait
des effets néfastes sur de nombreuses espèces. Par
exemple, la qualité de l’habitat du caribou des forêts
dans la zone d’étude a diminué de 23 p. 100
au cours des dernières décennies, et l’on s’attend
à ce que cette tendance se maintienne si le développement
industriel se poursuit dans le même sens.
Maintenir les stocks
et les puits de carbone terrestre
Le stockage du carbone est un élément
crucial du cycle du carbone à l’échelle mondiale,
qui régule le climat de la Terre. Ainsi, le stockage du carbone
est l’un des écoservices vitaux qu’assure la
forêt boréale. Dans la forêt boréale,
le carbone stocké est surtout souterrain, les tourbières
assumant l’accumulation de grandes quantités de carbone
en raison de la lenteur de la décomposition dans des sols
froids et saturés. La conversion des terres boisées
et des tourbières pour les routes, les usines, les mines,
les puits et d’autres utilisations des terres accélère
l’émission du carbone dans l’atmosphère.
En outre, l’exploitation forestière fait évoluer
la composition d’une forêt aménagée où
les peuplements plus vieux et riches en carbone cèdent la
place à des peuplements jeunes qui contiennent moins de carbone.
D’après des projections simulées,
la quantité de carbone aérien et souterrain diminuera
au cours des 50 prochaines années d’environ 22 millions
de tonnes. Qui plus est, cette tendance s’accélérera
si le taux des incendies causés par le changement climatique
augmente.
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