Si
nous le construisons, qu'arrivera-t-il?
Un gazoduc nordique doit être assorti d’investissements
dans le système réglementaire et dans la population,
selon le spécialiste de l’environnement David
McGuinty
The
Globe and Mail
le 25 juillet 2001
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie |
Plus
vite sera peut-être plus lent, Monsieur le Président.
Lorsque George W. Bush a déclaré à un
journaliste du Globe and Mail qu’il était ouvert
à l’idée d’un gazoduc le long de
n’importe quel tracé – et « au plus
vite sera le mieux », – il est peut?être
tombé dans le piège classique qui tend à
rallonger, plutôt qu’à raccourcir, le temps
qu’il faut pour approuver des travaux d’exploitation
d’une ressource non renouvelable dans le Grand nord
canadien.
La Table
ronde nationale sur l’environnement et l’économie
a récemment examiné ce qu’il faudra pour
exploiter avec succès ces ressources, tout en protégeant
les collectivités autochtones et l’environnement,
qui fait partie intégrante de la survie de la culture
autochtone. Et savez-vous quoi? « Au plus vite sera
le mieux » n’est guère envisageable si
une économie et un environnement nordiques durables
sont l’une des conditions préalables. Et ceci
est vrai de n’importe quel gazoduc : l’option
de l’autoroute de l’Alaska, ou celui qui longerait
la vallée du Mackenzie, auxquels le Premier ministre
Chrétien s’est apparemment dit favorable.
Nous avons
constaté que les risques les plus importants que comporte
l’exploitation de ressources non renouvelables, sont
susceptibles de découler des incidences cumulatives
– sur les plans environnemental, social et culturel
– des multiples programmes d’exploration, des
mines, des installations pétrolières et gazières,
des pipelines, ainsi que des routes et des autres infrastructures
qu’exige la réalisation de ces projets.
Ce ne
sont pas là des casse-tête que l’on peut
résoudre vite et bien, mais plutôt posément
et bien.
M. Bush
semble avoir les pieds sur terre. Je connais quelqu’un
qu’il devrait rencontrer.
Récemment,
dans le contexte de l’exploitation des mines de diamant
dans le Nord, je discutais des aspirations des Autochtones
avec Joe Rabesca, grand chef du Conseil des Dogrib signataires
du traité no 11.
«
Bien sûr que nous voulons des diamants, mais nous voulons
aussi nos caribous. » Selon moi, ce point de vue résume
le défi qui nous attend dans l’Arctique. L’équilibre
que le chef Rabesca a si bien décrit est précisément
ce que veulent tous les Canadiens, et ce dont notre voisin
énergivore du Sud doit tenir compte.
Quelle
est la voie « posée » qui est non seulement
meilleure, mais en fin de compte plus expéditive que
l’approche « rapide »? La Table ronde nationale
recommande une approche à volets afin d’explorer
le potentiel d’une croissance équilibrée
dans le Nord à l’aide d’une série
d’investissements stratégiques.
Premièrement,
nous devons faire tous les efforts voulus afin que les peuples
autochtones puissent obtenir leur part des retombées
économiques qui découlent des investissements
dans les ressources. Afin qu’une part équitable
des bons emplois créés par l’exploitation
des ressources et l’aménagement des infrastructures
connexes revienne aux peuples autochtones, le gouvernement
fédéral doit investir dans les programmes d’éducation
et d’apprentissage.
Deuxièmement,
nous devons offrir aux investisseurs, un régime de
réglementation plus sûr, plus stable et plus
efficace. L’industrie est mécontente d’une
réglementation en évolution constante, qui transforme
chaque nouveau projet en une aventure en terrain inconnu,
et des retards causés par le manque de personnel. Le
gouvernement doit réinvestir dans la réglementation
pour maîtriser l’ampleur des investissements et
des aménagements.
Parmi
les mesures permettant d’augmenter la capacité
des peuples autochtones de tirer parti de cette situation,
le rapport de la Table ronde recommande que le gouvernement
fédéral investisse 65 millions de dollars, sur
dix ans, pour promouvoir la valeur de l’éducation
et pour fournir une formation professionnelle et technique
aux peuples autochtones des Territoires du Nord?Ouest. Ceci
devrait comprendre un programme de pointe de 60 millions de
dollars, d’une durée de dix ans, pour la formation
des adultes.
Pour faire
bouger les choses rapidement, un « champion indépendant
» devrait être nommé pour faciliter le
renforcement des capacités des collectivités
des Premières nations. Ce champion analyserait et ferait
rapport sur les capacités des peuples autochtones de
bénéficier des débouchés économiques
générés par l’exploitation des
ressources, proposerait des améliorations, fixerait
des objectifs, surveillerait les progrès et conseillerait
les pouvoirs publics.
Pour améliorer
le fonctionnement de la réglementation environnementale,
le gouvernement devrait consacrer 26 millions de dollars,
sur six ans, à l’instauration d’un processus
d’évaluation des effets cumulatifs, et commencer
à l’utiliser pour évaluer les développements
proposés. La mise en place d’un processus de
gestion des effets cumulatifs devrait fournir aux investisseurs
une réglementation plus stable.
Dans le
cadre de cette approche, le gouvernement devrait accorder
une aide financière d’au moins 500 000 $, par
année, pour l’examen et l’évaluation
des répercussions environnementales. Ce montant permettra
d’assurer une participation significative des collectivités
autochtones à la prise de décisions en matière
d’exploitation des ressources.
Afin de
stimuler davantage l’activité économique,
le gouvernement devrait dépenser dix millions de dollars,par
année pendant dix ans, pour compléter les travaux
de cartographie des T.N.?O et créer une base de données
géoscientifiques intégrée et accessible.
Un groupe d’experts de la Table ronde a conclu : «
Les retombées possibles de cette activité sont
énormes ». Moins d’un pour cent des T.N.?O.
et du Nunavut est cartographié à l’échelle
de 1:50 000, l’échelle couramment utilisées
dans l’industrie pour prospecter les régions
minières.
Finalement,
il y a un élément important qui dépasse
le cadre des bons emplois, soit la prise de participation
aux projets.
Le partage
du projet pourra faire en sorte que l’exploitation des
ressources du Nord, notamment, le projet de construction d’un
gazoduc dans l’Arctique, entraîne une répartition
équitable des retombées économiques et
sociales.
La Table
ronde recommande que le ministère des Affaires indiennes
et du Nord apporte une aide financière adéquate
pour s’assurer que les collectivités autochtones
puissent participer au capital des projets les plus importants.
Si les collectivités autochtones bénéficient
des retombées et sont dotées des pouvoirs de
la propriété de l’entreprise, cela contribuera
au développement durable des collectivités autochtones.
En bout
de ligne, c’est une question d’équilibre.
La volonté de construire rapidement un gazoduc doit
être assortie d’un programme prudent d’investissement
dans le cadre d’un système de réglementation
environnementale et dans la population.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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