L'eau
propre a un prix
The
Toronto Star
Toronto (Ontario)
13 août 2001
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie |
Les
canalisations s’effritent et laissent échapper leur
précieux flot,et Toronto est aux prises avec un grave problème
d’aqueduc et d’égout.
La dernière tentative pour en arriver à une
solution abordable s’est présentée, au
cours du mois, sous la forme d’une proposition controversée
visant l’établissement d’une commission
indépendante, responsable de la gestion et de l’exploitation
de l’infrastructure des eaux et des eaux usées
de la ville. L’an dernier, le conseil municipal de Toronto
avait décidé d’éliminer graduellement
la facturation de l’eau à un taux fixe et d’installer
des compteurs pour facturer le service, conformément
à la consommation réelle. Même dans ces
conditions, la contribution des utilisateurs ne couvrirait
pas le maintien optimal du réseau.
Toronto
se débat avec une situation qui met en jeu la santé
des résidents. Comme en témoignent les manchettes
récentes sur Walkerton et North Battleford, Toronto
n’est pas seule. Notre pays a trop longtemps compté
sur ses ressources abondantes d’eaux douces; elles ont
été utilisées à outrance et en
quantités monstres. C’est inacceptable, tant
sur le plan environnemental que sur le plan économique.
Nous
avons beau avoir la possibilité d’ouvrir le robinet
et de quitter la pièce, nous ignorons dans quel état
se trouve l’équipement qui traite notre eau et
les canalisations qui la transportent. Depuis trente ans,
les Canadiens ont très peu investi dans les installations,
la technologie ou la gestion du traitement des eaux. Dans
certains endroits, on utilise encore des systèmes antérieurs
à la Confédération.
C’est
pourquoi les Canadiens font maintenant face à une crise
dans le secteur du traitement des eaux et des égouts.
Walkerton,
où sept résidents sont décédés
l’an dernier et des milliers d’autres ont été
incommodés, n’est que la pointe de l’iceberg
d’un problème national de mauvais traitement
de l’eau. À North Battleford en Saskatchewan,
des centaines de personnes ont été malades après
avoir bu de l’eau contaminée au cryptosporidium.
Cette ville n’avait pas le système de filtration
nécessaire à l’élimination de ce
microbe résistant au chlore. Bien que leur source d’approvisionnement
d’eau rende presque impossible la présence de
cryptosporidium, ni Vancouver ni Winnipeg, deux villes importantes
qui ont recours à des systèmes de traitement
d’eau primitifs, ne pourraient protéger leurs
citoyens contre ce type de contamination.
D’un océan à l’autre, les municipalités
imposent de temps en temps à leurs citoyens la nécessité
de faire bouillir leur eau. À St. John’s et dans
presque le tiers des municipalités de Terre-Neuve,
à Charlottetown, dans des douzaines de villes de la
Colombie-Britannique et dans plus de 200 municipalités
du Québec l’an dernier, on a relevé dans
l’eau, cette ressource essentielle, des traces de souillure
ou de toxicité.
Ailleurs,
on n’a pas encore mis les marmites à bouillir,
mais les usines et les canalisations qui transportent l’eau
saine et traitent les eaux d’égout se détériorent
au nez des conseils municipaux qui s’inquiètent
et se demandent où ils vont bien trouver les fonds
nécessaires à l’amélioration des
réseaux.
C’est
un grave problème. La Table ronde nationale sur l'environnement
et l'économie estime que les coûts de réparation
et d’expansion essentielles de la décennie pourraient
atteindre 38 à 49 milliards de dollars. Dans bien des
cas, les municipalités s’acharnent plutôt
à réduire les ressources et l’ombre de
ces coûts les paralysent.
Le
tableau financier de la situation a été établi
il y a cinq ans par la Table ronde, qui avait même alors
fait état de la forte détérioration des
infrastructures découlant de la pénurie de fonds
injectés depuis les années 70.
Le
rapport de la Table ronde confirmait que le prix de la consommation
de l’eau au Canada était le moins élevé
de la planète. La plupart des municipalités
canadiennes subventionnaient 50 pour 100 des services de consommation
d’eau et d’élimination des eaux usées.
Près des deux tiers des foyers canadiens n’avaient
pas de compteur d’eau et étaient tout simplement
facturés à un taux fixe, sans égard à
la consommation. Le rapport prédisait une détresse
des ressources en eau du pays si l’on n’adoptait
pas rapidement de nouvelles dispositions financières.
Cinq
années se sont écoulées. Nous constatons
aujourd’hui les résultats de l’inaction,
par le biais des incidents de contamination et les cris des
dirigeants provinciaux et municipaux qui réclament
l’aide du fédéral. Or, la solution pourrait
bien résider dans la cour de chacun.
Il
est temps de reconnaître que l’eau saine est un
bien beaucoup plus précieux qu’on l’avait
cru et qu’il faut l’évaluer comme tel.
C’est
un changement d’attitude dont nous pourrions bénéficier
sur deux plans. D’abord, l’établissement
du prix de l’eau à partir du coût complet
produira des recettes qui aideront à maintenir l’infrastructure.
Ensuite, il découragera l’utilisation à
outrance de la précieuse ressource par les individus
et les entreprises. Les Canadiens boivent environ 200 millions
de litres d’eau par jour et utilisent en plus 19 milliards
de litres à d’autres fins. Nous sommes le deuxième
utilisateur d’eau par habitant, au monde.
L’établissement
du prix à partir du coût complet signifie que
l’eau nous coûtera plus cher. C’est un coût
que nous avons toujours refusé de voir. Nous avons
réalisé des économies sur le prix de
l’eau et des eaux usées, mais nous avons accepté
la détérioration d’un service municipal
essentiel et de la santé.
Il
faut relever le défi de la compétence et du
coût. Nous devons reconnaître que les demandes
de capitaux, qui devront être consacrés au rajeunissement
de l’infrastructure, sont tellement élevées
que bon nombre de municipalités devront faire appel
au secteur privé.
Les
règlements gouvernementaux et la participation du secteur
privé pourraient contribuer à relever le défi
et nous assurer une eau saine et propre.
«
D’un océan à l’autre, les municipalités
canadiennes émettent chaque année des avis de
faire bouillir l’eau. »
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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