Découvert
à la banque de la nature
Les sommets de la terre ne permettront pas d’atteindre
le développement durable. Nous devons entreprendre
une véritable comptabilisation de l’utilisation
du capital naturel, affirme David McGuinty.
The
Globe and Mail
Le 4 septembre 2002
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie |
Le
Premier ministre a droit à des félicitations
pour les deux annonces faites au Sommet mondial sur le développement
durable de Johannesburg. La promesse de soumettre l’accord
de Kyoto à un votre de ratification du Parlement canadien
et la création de quinze nouveaux parcs nationaux,
contribueront certainement à conforter le patrimoine
environnemental de M. Chrétien.
Aussi
importantes que soient ces décisions, leur importance
réside moins dans les initiatives elles-mêmes
que dans ce qu’elles représentent – rien
de moins que le début d’une nouvelle ère
dans laquelle nous valoriserons la nature et l’appellerons
par son nom économique véritable : le capital
naturel.
Nous avons
besoin d’une nouvelle science économique qui
reconnaisse la valeur du capital naturel, souvent en lui attribuant
une valeur monétaire. La nouvelle science économique
repose sur la reconnaissance du fait que le capital naturel
mondial nous assure des produits et des services, et possède
une valeur nette.
Les services
assurés par le capital naturel rendent la vie possible
sur le plan biologique. Ils comprennent la purification de
l’air et de l’eau, la productivité des
sols, la faune, la régulation climatique, la lutte
contre les inondations et la pollinisation des cultures. Pourtant,
nous les tenons pour acquis au plan économique et ne
leur attribuons pas de valeur monétaire.
Les «
produits » du capital naturel enrichissent notre économie.
Ils vont bien au-delà des ressources naturelles comme
les minerais et le pétrole. Depuis des millénaires,
nous avons rempli nos pharmacies de remèdes tirés
de la nature : la pénicilline provient d’une
moisissure; la codéine provient d’une espèce
de pavot. La nature inspire également nos innovations
technologiques : les ingénieurs ont produit une substance
plus résistante que l’acier en examinant les
toiles des araignées. Le chardon est à l’origine
du Velcro.
Une grande
partie de notre activité économique est financée
par la Banque de la nature ADN, laquelle recueille le capital
accumulé de 500 millions d’années d’évolution.
Pourtant, nous ne tenons pas compte de la valeur de la nature
dans nos décisions. Comme le dit le vieil adage commercial,
vous ne pouvez gérer ce que vous ne mesurez pas.
Pour réaliser
de véritables progrès, nous devons apprendre
à compter. Nous n’avons pas appris à comptabiliser
le coût du pavage des ruisseaux, de l’utilisation
des carburants fossiles ou de l’aspiration des fonds
océaniques. De la même façon, nous n’avons
pas appris à comptabiliser la valeur des possibilités
qui nous sont offertes par notre patrimoine naturel.
L’attribution
d’une valeur monétaire à une partie du
capital naturel, est un préalable à la mesure
précise de l’activité économique.
C’est également un préalable à
une prise de décision éclairée, tenant
compte des limites mesurées de la capacité portante
de la Terre.
Nous risquons
fortement d’épuiser notre capital naturel sans
même nous en apercevoir. Nous ne tenons pas compte du
coût et des bénéfices véritables
et entiers de nos décisions économiques, soit
parce qu’aucune valeur monétaire n’a encore
été attribuée à ces coûts
et bénéfices, soit parce qu’ils sont assumés
par des parties extérieures à la transaction.
Ces coûts, acquittés par d’autres, mènent
à la prise de décisions inefficaces et inappropriées
– des déficiences du marché.
Un exemple
de déficience du marché, découlant du
fait que certains coûts sont acquittés par d’autres,
est l’utilisation du charbon dans la production de l’électricité.
Il s’agit d’une activité économique
qui contamine l’air – un élément
du capital naturel – par des polluants qui nuisent à
la santé humaine. L’Association médicale
de l’Ontario estime que les coûts pour le système
de santé provincial associés à ces polluants
sont de l’ordre de 500 millions de dollars par année.
Les journées de travail perdues par les travailleurs
malades ajoutent encore 500 millions de dollars à la
facture des employeurs de la province.
Par contre,
l’incidence sur la valeur de l’air en tant que
tel n’est pas évaluée en termes monétaires.
L’entreprise de production d’électricité
ne paie pas pour la pollution de l’air et les coûts
qui en découlent sont acquittés par d’autres.
En conséquence, tout en agissant de façon absolument
rationnelle dans un système économique imparfait,
le pollueur achète le combustible « le moins
cher », sans tenir compte des effets sur la santé
qui influent sur le budget d’autres intervenants.
Nous
devons apprendre à tenir compte des coûts et
des bénéfices du capital naturel, pour en arriver
à modifier ces décisions économiques
rationnelles au plan personnel (mais irrationnelles au plan
social), et rendre notre comportement économique plus
durable.
Comment
pouvons-nous aller de l’avant?
Nous devons
d’abord reconnaître la valeur de notre capital
naturel et, le cas échéant, lui attribuer une
valeur monétaire. Si le Protocole de Kyoto est ratifié
par un nombre suffisant de pays pour assurer son entrée
en vigueur, son effet le plus important pourrait bien être
la monétarisation du carbone sur le marché international
des échanges d’émissions. Lorsque les
forces du marché auront attribué une valeur
monétaire à la réduction des émissions
de carbone, notre système économique sera en
mesure de résoudre un problème environnemental
dans le cours normal des affaires.
La monétarisation
et le commerce des crédits de réduction des
émissions de carbone, nous offrent également
une occasion d’amélioration de l’efficacité
économique. Les émetteurs qui sont en mesure
de réduire leurs émissions à un coût
moindre, trouveront rentable de réduire davantage et
de vendre leur surplus de réduction à ceux dont
les coûts de réduction des émissions sont
plus élevés, donnant ainsi à la société,
la possibilité de réaliser les objectifs globaux
de réduction à un coût moindre. En fait,
le coût de mise en œuvre du Protocole de Kyoto
au Canada pourrait diminuer de plus de 50 pour 100 avec la
mise en œuvre d’un programme d’échange
de droits d’émissions, selon les conclusions
d’une étude menée pour la Table ronde
nationale sur l’environnement et l’économie.
Nous devons
ensuite élaborer des façons de mesurer le capital
naturel et de suivre son évolution, de façon
à pouvoir ensuite refléter de manière
honnête et intelligente, la santé et la richesse
véritables de notre pays. Pour cette raison, la TRNEE
a entrepris de mettre au point un ensemble d’indicateurs
et de comptes nationaux du capital naturel.
La ratification
du Protocole de Kyoto par le Parlement entraînera un
débat national sérieux sur les coûts et
les avantages véritables de faire face – ou non
– au changement climatique.
Le débat
qui s’ouvrira bientôt sur le Protocole de Kyoto
arrive à point, entre autres, parce qu’il nous
permettra de voir si le Canada est prêt à adopter
de nouveaux principes économiques accordant une valeur
au capital naturel et assurant l’intégration
de l’environnement et de l’économie.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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