C’est
l’environnement, idiot : le Canada n’a pas les
moyens de se payer un déficit écologique
Nouvelle : Les changements climatiques regorgent en fait
de possibilités d’exploiter les forces du marché
par les échanges de droits d’émission.
David J. McGuinty
The
Hill Times
23 septembre 2002
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie
|
Un
débat animé sur Kyoto et 15 nouveaux parcs nationaux
– le discours que le Premier ministre a prononcé à
Johannesburg signale que l’environnement deviendra un enjeu
indépendant dans le discours du Trône de la semaine
prochaine.
Bonne nouvelle. Il pourrait toutefois y en avoir encore une
meilleure: ce serait d’entendre dire que nous reconnaissons
comme société les liens entre un environnement
sain et une économie prospère. Oublions la fiction
: si nous ne reconnaissons pas cette réalité
et si nous n’y donnons pas suite, nous risquons de créer
un nouveau déficit – écologique, cette
fois.
Des signes commencent à indiquer que nous dépassons
la capacité de beaucoup de nos systèmes naturels.
C’est ce qui se produit, en dépit du fait que
ces systèmes naturels fournissent des services –
filtration de l’eau, purification de l’air et
pollinisation des cultures, par exemple – qui sont essentiels
à la survie de l’être humain. La santé
publique, le mieux-être de la société
et l’économie sont tous perchés de façon
précaire sur l’assise rocheuse de ces systèmes
naturels. Dans beaucoup de cas, nous dépensons toutefois
ce capital naturel au lieu de vivre frugalement des intérêts.
Pour maintenir l’équilibre du budget écologique,
nous devons mettre au point de nouvelles démarches
créatrices qui reconnaissent le capital naturel et
y attachent de la valeur. Une de ces démarches consiste
à utiliser davantage les instruments économiques
pour produire de meilleurs résultats, à la fois
environnementaux et économiques. Une autre consiste
à réaffecter des moyens budgétaires,
comme la fiscalité et les dépenses.
Il y a toutefois une certitude : lorsqu’il est question
de réflexions nouvelles à cet égard et
de produire des options créatrices qui sortent des
sentiers battus, le Canada en est à ses premiers balbutiements.
Des propos comme la douleur, le coût et le deuil dominent,
par exemple, la largeur de bande étroite consacrée
au discours de Kyoto. Le moment est venu de changer radicalement
cette façon désuète d’aborder «
l’environnement ».
Les changements climatiques regorgent de possibilités
dont celle, et non la moindre, d’exploiter les forces
du marché au moyen de l’instrument économique
que constituent les échanges de droits d’émission.
Qu’il s’agisse de l’observation de l’Accord
de Kyoto ou d’un programme canadien visant à
favoriser la stabilité du climat : d’une façon
ou de l’autre, le Canada a énormément
de travail à faire.
La Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie
(TRNEE) a étudié un certain nombre de stratégies
de réduction des émissions de gaz à effet
de serre (GES), et a constaté que peu importe la façon
d’aborder le problème, un régime d’échange
de droits d’émission permet de réaliser
les réductions en question pour la moitié du
coût ou moins. En deux mots, les émetteurs de
GES qui peuvent réduire leurs émissions à
meilleur marché, peuvent les « surréduire
» et vendre leur excédent à un émetteur
de GES dont le nettoyage coûterait plus cher. On cherche
toutefois seulement à améliorer un aspect négatif
– les coûts. Les échanges de droits d’émission
ont des retombés positives. Ils permettent au libre
marché de fixer une valeur pécuniaire aux réductions
des émissions de dioxyde de carbone. La monétisation
des émissions de dioxyde de carbone catalysera la mise
au point de technologies innovatrices à mesure que
des entrepreneurs chercheront à répondre à
la demande de procédés, de machines et de structures
peu polluants et efficaces sur le plan énergétique.
Si nous recourons aux échanges de droits d’émission
pour attirer des investissements dans des solutions, qui peut
dire combien de possibilités pourraient en découler
pour les entreprises du Canada? Une intervention rapide au
sujet des échanges de droits d’émission
offre un autre avantage économique : nous pouvons garder
les activités – et leurs retombées –
au Canada au lieu de les vendre plus tard sur un marché
étranger.
À l’époque de la réforme fiscale,
prenons l’exemple de l’agriculteur à qui
le gouvernement offre une subvention pour l’aider à
assécher des terres inondées afin de produire
davantage, même si personne ne totalise la perte d’infrastructure
naturelle gratuite de filtration de l’eau et de purification
de l’air.
En subventionnant un développement économique
non durable, on épuise le Trésor (public) pour
financer une surcharge imposée à l’environnement.
C’est ce que les commentateurs appellent depuis des
décennies une « subvention perverse ».
Héritée de l’époque où ne
comprenions pas la valeur des services dispensés par
la nature, cette façon de procéder se retrouve
dans toute la société.
Le gouvernement fédéral a annoncé récemment,
un programme qui promet de nous aider à mettre fin
à cette pratique. Ottawa a affecté 100 millions
de dollars à un programme d’implantation de «
cultures couvre-sol », qui encourage les agriculteurs
à cesser de planter des cultures annuelles sur des
terres marginales, dont les subventions de l’État
masquent la non-compétitivité économique.
Le programme est conçu pour provoquer l’adoption
d’autres utilisations agricoles, qui ne dépassent
pas la capacité à long terme des terres.
Une étude réalisée récemment par
la TRNEE a montré qu’un programme d’implantation
de cultures couvre-sol peut réduire les émissions
de gaz à effet de serre et la séquestration
de carbone. Il évite à l’État des
paiements et des primes d’assurance-récolte.
Il augmente les populations de poissons et de la faune, et
réduit l’érosion des sols et les coûts
de traitement de l’eau potable et d’enlèvement
des sédiments.
Le changement de stratégie budgétaire est à
noter : le gouvernement, qui subventionnait une surutilisation
non durable de terres marginales, offre maintenant des incitations
financières pour appuyer l’adoption d’utilisations
agricoles durables.
Il s’agit là de deux exemples seulement, du type
de réformes que nous devons mettre en œuvre dans
l’ensemble. Nous devons aussi apprendre à mesurer
et suivre nos réserves de capital naturel afin d’éviter
de prendre des décisions économiques erronées,
qui oublient le coût du capital en question.
La préservation de gisements de capital naturel dans
des parcs naturels et la découverte de façons
habiles de faire baisser le coût de la réduction
des émissions déstabilisatrices du climat, démontrent
que nous reconnaissons de plus en plus les liens qui existent
entre l’environnement et l’économie.
C’est seulement en plaçant la nature –
et les services écologiques habituellement sous-évalués
qu’elle produit – carrément dans le grand
courant de notre réflexion économique et de
notre comportement, que le Canada peut espérer réaliser
des progrès décisifs vers le développement
durable.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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