Les
villes qui manquent gravement d’argent sont incapables
de concurrencer.
Les villes canadiennes n’ont pas la même capacité
de générer des recettes que leurs concurrentes
des É.- U. et de l’Europe.
The
Toronto Star,
Toronto (Ontario)
25 février 2002
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie |
Quand
le ministre des Finances, Paul Martin, déclare aux maires
de 20 grandes villes que le Canada a besoin d’un « nouvel
arrangement » avec le gouvernement fédéral,
comme il l’a fait lundi, on espère que le Canada se
souciera enfin de la durabilité de ses villes. C’est
là une bonne nouvelle pour Toronto.
Ce
grand intérêt pour nos villes n’arrive
pas trop tôt. Le Canada, comme beaucoup d’autres
pays du monde, s’urbanise davantage chaque jour. Dans
10 ans, plus de 80 pour cent de la population canadienne vivra
dans des villes – qui devront affronter la concurrence
mondiale pour prospérer.
À
mesure que tombent les obstacles au commerce national et que
la technologie de l’information assure la circulation
instantanée de l’argent, des idées et
de l’information à l’échelle de
la planète, les villes deviennent les noyaux de l’économie
du savoir mondiale. Le capital humain – aptitudes, créativité
et savoir-faire des gens – constitue le moteur de cette
nouvelle économie. Le succès économique
des villes repose sur leur croissance et leur capacité
d’attirer et de garder des gens de talent.
Nous
ne pouvons pas affirmer que la qualité de vie d’une
ville rend cette dernière plus compétitive,
mais de plus en plus de faits permettent de le croire. Qui
n’aimerait pas vivre dans une ville qui offre un accès
facile à la campagne, un air pur et une eau propre,
des moyens de transport efficaces ainsi que des quartiers
résidentiels verts et sécuritaires?
Si
nous voulons que les villes du Canada obtiennent leur part
d’investissements et d’emplois, nous devrons peut-être
affronter la concurrence en faisant valoir la qualité
de vie qu’elles offrent aux travailleurs qualifiés.
La
ville de Portland, en Oregon, doit son succès au fait
qu’elle a élaboré et appliqué une
vision commune en matière de croissance. Elle a planifié
son infrastructure en fonction de cette vision. La municipalité
s’est efforcée de veiller à ce que son
centre demeure viable, en concevant un système de transport
en commun supérieur et en revitalisant son quartier
central des affaires. Des espaces verts ont été
aménagés un peu partout dans la ville.
Le
résultat a été phénoménal.
L’année dernière, Portland était
la ville américaine qui avait enregistré le
rythme de croissance économique le plus rapide. Elle
a attiré des capitaux de 24 milliards de dollars dans
le seul secteur de la haute technologie. Son succès
a été tel, que les autorités ont dû
refuser les demandes de certaines entreprises, les encourageant
à s’installer ailleurs.
Qu’est-ce qui empêche les villes canadiennes de
faire de même?
D’après
les conclusions du rapport intitulé Alerte : les villes
canadiennes seront-elles en mesure de concurrencer? commandé
par la Table ronde nationale sur l’environnement et
l’économie, nos villes ne peuvent concurrencer
parce qu’elles manquent cruellement d’argent.
Elles doivent obtenir plus d’argent et trouver de nouvelles
sources de financement.
Les
provinces se déchargent de leurs responsabilités
aux dépens des municipalités dans une variété
de secteurs, depuis les transports en commun jusqu’au
bien-être social, mais il n’y a pas eu de transfert
des pouvoirs en matière fiscale.
En
fait, les villes canadiennes n’ont guère de pouvoirs
et ne possèdent pas, comme leurs concurrentes américaines
et européennes, de mécanismes permettant de
générer des recettes.
Une
façon de remédier à cette lacune serait
de modifier la Constitution de manière à déléguer
des pouvoirs aux villes – une solution tout à
fait inutile. L’une des autres options : les provinces
pourraient conférer aux municipalités de nouveaux
pouvoirs d’accroissement de leurs recettes. Ou encore,
les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient
accorder aux municipalités une plus grande part de
leurs recettes fiscales.
Les
choix sont difficiles.
Il
en coûte plus de fournir les services municipaux de
base, par exemple, dans les banlieues étendues que
dans les quartiers urbains à forte densité de
population; cela n’est pas reflété dans
le prix des principaux services, comme l’eau et les
transports en commun. Nous devrions peut-être modifier
le système d'imposition, de manière à
transmettre de forts signaux sur le plan des prix qui reflèteraient
cette réalité.
Les
villes et les banlieues ne sont pas des îles. Elles
font partie du territoire servant aux activités industrielles
et agricoles, et des aires de nature sauvage non fragmentées
qui s’étendent plus loin. La nature peut être
une alliée de la ville sur le plan économique.
En
1991, la ville de New York devait consacrer entre quatre et
huit milliards de dollars à la construction d’une
usine de traitement de l'eau. Au lieu de choisir cette solution,
elle s’est lancée dans un programme innovateur
de collaboration avec des groupes du Nord de l’État
pour protéger la pureté de l’eau à
sa source, dans les monts Catskill.
La
« Big Apple » a acquis un terrain vague du bassin
hydrographique à des fins de protection à long
terme. Elle a dépensé des millions pour aider
les agriculteurs et les exploitants forestiers à adopter
des méthodes viables, qui ont renforcé l’économie
traditionnelle des régions rurales, tout en protégeant
une ressource de base – l’eau propre – pour
8 millions de New Yorkais.
La
ville a aussi payé pour la modernisation de ses propres
usines et d’usines de traitement des eaux usées
des autres municipalités, situées en amont.
Résultat : la solution retenue était plus viable
et représentait environ 25 pour cent du coût
des projets conventionnels.
La
concurrence économique mondiale s’intensifie.
De plus en plus, elle s’exerce non pas entre les pays,
mais entre les villes. En effet, nous assistons à la
ré-émergence des « villes-états
».
Les
villes auxquelles nous faisons concurrence sont bien financées
et innovatrices, mais les villes canadiennes jouissent de
certains avantages et pourraient avoir à peine assez
de temps pour en tirer parti. Nos villes ne sont pas limitées
par l’infrastructure municipale désuète
qui existe en Europe.De plus, elles n’ont pas souffert
du rapide déclin auquel ont été confrontées
les villes américaines avant la mission de sauvetage
fiscal organisée dernièrement par les gouvernements
fédéral et des États.
Les
villes du Canada sont dans une course contre la montre pour
trouver un équilibre et demeurer concurrentielles.
Le prix est une véritable médaille d’or
– des villes dynamiques sur le plan économique
et environnemental avec quelque chose en plus : pour les villes
canadiennes, des solutions exportables qui pourraient nous
aider à saisir notre juste part du marché mondial
des infrastructures urbaines évalué à
600 milliards de dollars.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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