L’innovation
au service de l’environnement : un marché d’un
billion de dollars
The
Hill Times
17 mars 2003
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie |
La
dépendance de l’économie vis-à-vis
l’environnement est tellement grande que, pour pouvoir
mettre en œuvre avec succès, une stratégie
d’innovation qui assure l’avenir économique
du pays, le gouvernement du Canada doit faire une place importante
aux préoccupations liées à l’environnement.
Nous savons
tous que l’innovation est essentielle à l’amélioration
de la productivité et à la prospérité
du Canada dans un monde en rapide évolution. Nous devons
aussi comprendre que l’innovation et la productivité,
loin d’être freinées, sont stimulées
par les mesures de protection de l’environnement.
Il
ressort clairement des importants travaux réalisés
par M. Michael Porter, économiste américain,
qu’une réglementation en matière d’environnement,
à la fois stricte et bien conçue, accroît
la productivité des ressources et encourage l'innovation.
Selon M. Porter, les mesures de protection de l’environnement
stimulent la productivité et l’innovation de
cinq manières différentes.
- L’intégration
de préoccupations liées à l’environnement
générera une réduction des coûts
par l’efficience de l’utilisation des ressources
et de l’énergie.
Pourvu
qu’elle soit bien conçue, une stratégie
d’innovation pourrait favoriser précisément,
le genre de changements de cap propres à rendre notre
économie plus efficiente en termes de ressources et
d’énergie — et par conséquent, moins
polluante. Une stratégie d’innovation pourrait
privilégier des approches en matière de protection
de l’environnement, qui sont orientées vers la
prévention de la pollution, soit celles qui, normalement,
mènent à une utilisation plus efficiente des
ressources.
La stratégie
pourrait mener à l’adoption d’une réforme
fiscale et à des programmes de dépenses. Par
exemple, l’argent servant à l’heure actuelle
à financer des allégements fiscaux et des subventions
aux projets de production d’énergie à
partir de combustibles fossiles, pourrait être investi
dans le développement de nouvelles technologies de
production d’énergie verte.
- Les
dommages causés à la santé, aux biens
et à l’environnement coûtent très
cher à la société, au gouvernement
et à l’industrie.
Dans un
rapport récent, la TRNEE a estimé à 30
000 le nombre de sites urbains contaminés réhabilitables
situés dans les zones urbaines canadiennes. Les avantages
que la collectivité tirerait du réaménagement
de ces sites, par opposition à l’aménagement
de terrains vierges situés à la périphérie
urbaine, seraient de l’ordre de 4,6 milliards à
7 milliards de dollars par an — sans compter la réduction
des risques pour la santé, la préservation des
terres agricoles, la restauration de la qualité de
l’environnement et la disparition des menaces à
la santé et à la sécurité, la
revitalisation des quartiers, un aménagement urbain
plus compact et plus efficient, une amélioration de
la qualité de l’air et une réduction des
émissions des gaz à effet de serre.
- Les
écosystèmes sains sont d’importants
producteurs de richesse.
Il est
inutile d’espérer profiter d’une économie
prospère, à long terme, si nous endommageons
les écosystèmes qui produisent l’air pur,
l’eau propre, la fibre ligneuse, la pollinisation et
d’autres biens et services essentiels que nous ne pouvons
plus nous permettre de prendre à la légère.
Ces biens
et services qui proviennent des écosystèmes
sont, évidemment, le moteur de notre secteur primaire
et du secteur du tourisme. Ils servent aussi à attirer
des travailleurs qualifiés et des sociétés
mobiles, qui sont à la base de certaines des entreprises
actuelles, en plein essor et les plus prometteuses.
Toutefois,
les avantages tirés de l’intégration à
notre stratégie d’innovation, de préoccupations
liées à l’environnement, ne sont pas limités
à la prospérité de ces secteurs économiques.
Ils sont beaucoup plus larges. Nous entrons dans une ère
où les ressources naturelles les plus précieuses
sont génétiques. Les lichens, les limaces, la
mousse, les vers de terre, les animaux peu attrayants et les
plantes qui ne possèdent pas cette brillance polychromatique
qui enchante l’œil, constituent les sources de
richesse du futur.
De plus
en plus, on tire de nouveaux produits et procédés
des agents biologiques et des modèles inspirés
de la nature. Oui, nos réserves en minerais sont précieuses,
mais au fur et à mesure que le siècle avance,
les réserves constituées par la biodiversité
qui sont présentes dans la banque de ressources génétiques,
sont susceptibles de prendre davantage de valeur.
La Stratégie
d’innovation du Canada pourrait stimuler la transition
d’une économie qui crée ses richesses
à partir de l’extraction de ressources, à
une économie qui tire ses richesses de l’élaboration
d’idées, de modèles et de formules. Ainsi,
une stratégie d’innovation qui tient compte de
l’environnement pourrait inciter un gouvernement, qui
finance déjà une étude géologique,
à financer une étude biologique destinée
à repérer, à étudier et à
classer la richesse constituée par les ressources sur
l’ADN existant au sein de la biodiversité canadienne,
laquelle est exceptionnelle.
- Quand
nous innovons pour relever des défis environnementaux
et économiques qui existent au Canada, nous inventons
ou adaptons de nouveaux équipements, des produits
et des procédés qui sont susceptibles d’être
exportés vers l’étranger avec profit.
La Stratégie
d’innovation du Canada devrait investir dans la commercialisation
de produits, de services et de technologies dans le domaine
de l’environnement. Nous avons un besoin urgent de technologies
capables de nous aider à relever les défis environnementaux
auxquels notre pays doit faire face; notamment, la pollution
atmosphérique, la pollution de l’eau, la dépendance
envers l’énergie à base de carbone, les
dangers pour la santé transmis par l’environnement
et la durabilité des services offerts par les écosystèmes
naturels.
Dans un
monde qui est confronté chaque jour davantage à
des défis et à des contraintes en matière
d’environnement, il existe des possibilités d’exportation
évidentes pour ceux qui découvrent et commercialisent
des solutions innovatrices. La demande mondiale pour de l’énergie,
de l’eau et de l’air qui soient propres, ainsi
que pour des technologies qui permettent de les produire ou
de les assurer est en augmentation constante. Le marché
de l’environnement mondial est de l’ordre de un
billion de dollars par an, et le Canada n’a réussi
qu’à se tailler à peine une part de un
pour cent. Ce gigantesque marché international constitue
pour le Canada, une occasion qu’il ne peut se permettre
de manquer.
- À
l’inverse, des pratiques environnementales médiocres
— voire douteuses — doivent être améliorées
pour éviter que le Canada subisse de lourdes pertes
dans sa part de marché des exportations, en particulier
dans le secteur primaire.
Un boycott
des consommateurs — ou la menace d’un boycott
— peut changer les politiques d’approvisionnement
des entreprises et des établissements. L’industrie
forestière mondiale, par exemple, s’aperçoit
qu’un nombre croissant de détaillants et de fabricants
demandent du bois et de la fibre qui proviennent de sources,
dont les pratiques de foresterie ont été certifiées
par une organisation indépendante, comme étant
respectueuses de l’environnement.
Formuler
une stratégie d’innovation sans tenir compte
des préoccupations liées à l’environnement,
équivaut à acheter une flotte de véhicules
dans un endroit qui ne possède pas de routes. Vous
disposez d’un parc rempli de véhicules flambant
neufs et dont les moteurs ronronnent, mais vous n’allez
nulle part.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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