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La voie de l'avenir - intégrer l'environnement et l'économie

Par David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie

(version PDF)

Il y a dix ans, plus de 170 pays se sont mis d'accord sur un plan de développement durable appelé Action 21 au Sommet de la terre de Rio. Très général et largement laconique sur le plan des coûts, le plan Action 21 était (et demeure toujours) évidemment imparfait. Il est vrai que le développement durable - généralement compris comme un développement qui " réponde aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs." - est une notion qui, en pratique, s'avère difficile à définir pour en assurer l'application. L'approche suivie par la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE) - organisme de consultation indépendant constitué par le Premier ministre du Canada afin de fournir des recommandations sur la manière d'arriver au développement durable - a été de considérer le développement durable comme une direction plutôt que comme une destination, ou encore comme un puzzle de 100 000 pièces, sans photo sur le dessus de la boîte pour en faciliter l'assemblement. Toutefois, la complexité du concept de développement durable ne doit pas servir d'excuse à l'inaction. Il s'agit plutôt de déconstruire ce concept afin d'en révéler les composantes pratiques et arriver à une intégration plus complète, durable et significative, de l'environnement, de l'économie et du bien-être de la société au niveau social. L'intérêt du plan Action 21 était d'offrir au monde un guide sur la direction qu'il fallait donner au développement durable.

Beaucoup de pays dans le monde ont réalisés de réels progrès. Entre le Protocole de Kyoto et celui sur la biosécurité, les ententes multilatérales sur l'environnement continuent à croître en nombre et en importance. Les principes qui sous-tendent le développement durable, comme celui du pollueur-payeur et celui de prudence, sont appliqués à l'échelle de la planète, aux niveaux international, national et local. Qu'elles soient poussées par des impératifs d'augmentation de la productivité, qu'elles souhaitent réagir à l'activisme des consommateurs ou des actionnaires, ou encore qu'elles cherchent à gagner de nouveaux marchés à créneaux, comme celui des biens de consommation ou des services dits " responsables " sur le plan de l'environnement, de nombreuses entreprises améliorent leur performance sur le plan de l'environnement et/ou des droits sociaux. Citons, entre autres, les multinationales dont une quarantaine contrôlent maintenant la moitié du commerce mondial et 80 % de l'investissement étranger direct. Même la communauté financière s'intéresse aux questions liées à la responsabilité sur le plan de l'environnement et des droits sociaux. Certaines sociétés de fonds mutuel ou sociétés de caisse de retraite offrent maintenant des fonds qui concentrent uniquement leurs investissements dans des entreprises " responsables " ou qui exigent des entreprises la divulgation de renseignements relatifs à leur performance sur le plan de l'environnement et/ou des droits sociaux. La certification et l'étiquetage volontaires de produits sont de plus en plus fréquentes, ce qui permet aux consommateurs de choisir des biens de consommation qui ont été produits selon des méthodes qui respectent des critères environnementaux, sociaux et/ou économiques préétablis.

Les progrès réalisés en matière de développement durable au cours des dix dernières années ont été réels et significatifs. Cependant, la question de savoir si nous vivons au-dessus de la capacité de charge de la planète demeure entière. Que ce soit au Canada ou au Kenya, la disponibilité, l'accessibilité et la qualité de l'eau douce sont d'une manière générale menacées. Bien que la qualité de l'air se soit améliorée, le nombre de polluants atmosphériques ainsi que leur concentration augmentent dans de nombreuses régions urbaines un peu partout dans le monde. Le rythme auquel la diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes diminue est plus rapide que celui auquel les nouvelles découvertes sont répertoriées, en particulier s'agissant des gènes et des micro-organismes. Les Nord-Américains ont eu récemment à se souvenir des menaces permanentes posées par les substances toxiques lorsqu'une baleine orque retrouvée morte au large de la côte Ouest des États-Unis révélait posséder le plus haut niveau de BPC jamais enregistré pour cette espèce. Ceci, en dépit du fait que les BPC ont été généralement interdits il y a une vingtaine d'années en Amérique du Nord. Le changement climatique provoque déjà, entre autres, une fracture de la plateforme de glace flottante de l'Arctique ainsi que des phénomènes météorologiques extrêmes, sans compter les incidences concomitantes de ces changements sur la biodiversité, les réserves en eau douce, la production agricole, la santé humaine.

Nous comprenons mieux qu'il y a dix ans les questions de durabilité et, d'une manière générale, nous savons comment faire pour résoudre les problèmes qui y sont reliés. Alors pourquoi n'avons-nous pas réalisé davantage de progrès pour résoudre ces enjeux ? Il s'agit-là d'un sujet qui pourrait faire l'objet de nombreuses discussions. Dans cet article, nous soutenons que le problème réside essentiellement dans le fait que nous sommes arrivés à une impasse en matière de développement durable. En effet, nous devons intégrer notre système économique à notre environnement naturel. Actuellement, l'économie et l'environnement sont traités comme deux notions séparées. Nous parlons du " commerce et de l'environnement " comme s'il s'agissait de deux notions distinctes. En réalité, l'économie repose sur notre environnement - elle constitue un sous-ensemble de l'environnement. Un environnement sain détermine la santé de la main-d'œuvre tout comme les éléments essentiels qui supportent nos économies, qu'il s'agisse des insectes qui pollinisent nos cultures agricoles, des matériaux que nous extrayons de la Terre, des forêts dont nous nous servons pour construire des maisons, cuire la nourriture ou fabriquer du papier.

Nous pouvons aussi aborder la question sous l'angle du capital. En plus d'un capital produit (économique), nous possédons un capital social et un capital naturel. Nous avons entamé notre capital naturel - et nous continuons de le faire. Nous avons vécu sur le capital plutôt que sur les intérêts. La seule façon de modifier la situation est d'abord d'intégrer et de lier le capital économique au capital naturel. À une époque où le monde possède plus de capital économique que jamais auparavant - lequel est de plus en plus détenu par des intérêts privés - nous pouvons à juste titre soutenir que nous avons l'obligation d'accomplir cette intégration. J'estime que celle-ci constitue à long terme, le défi le plus important du 21e siècle.

Pour que le monde puisse intégrer ses systèmes économiques à l'environnement, nous devons surmonter deux obstacles systémiques importants qui résident dans nos méthodes de mesure et d'évaluation - notre " science économique ", ainsi que dans nos processus de prise de décisions. Pour faire face à ces obstacles, nous devons réorganiser nos affaires de façon radicale - soit apporter des changements sur le plan des fondements ou des systèmes. Jusqu'à présent, nous sommes restés aux abords et avons réalisé des progrès marginaux. Pour sortir de l'impasse et passer de l'autre côté, nous devons faire tomber ces deux obstacles systémiques.

Une nouvelle conception de la science économique
Un obstacle majeur à la progression vers le développement durable est que nous ne rendons pas compte de la réalité et de la totalité des coûts et des avantages liés aux décisions, tant à un niveau microéconomique que macroéconomique. La plupart des décisions prises aujourd'hui par les gouvernements et le secteur privé sont fondées sur une analyse coûts-avantages. Par exemple, si les citoyens d'un pays veulent mettre en place ou conserver un système public de soins de santé, le gouvernement établira les coûts d'un tel système ainsi que le montant du financement dont il dispose et comparera cette dépense aux besoins en financement dans d'autres secteurs. Le problème principal soulevé par cette approche coûts-avantages réside dans le fait que ces coûts et avantages ne figurent pas tous au bilan. En effet, il se peut qu'ils ne fassent pas normalement l'objet d'une évaluation en argent ou qu'ils soient assumés par une partie ou des parties qui ne participent pas à l'opération, ou encore, plus fondamentalement, que les données nécessaires à l'évaluation en argent des coûts et des avantages n'ont jamais été rassemblées. Nous savons que ces " coûts externes " conduisent à la prise de décisions inefficaces et inadaptées. Les coûts externes constituent un obstacle majeur au développement durable parce qu'en réalité les décisions sont prises sans que le décideur ait été informé de manière complète. Le défi consiste à internaliser ces coûts dans le processus de prise de décisions.

La pollution atmosphérique en région urbaine comme le smog - il est maintenant établi qu'il provoque de l'asthme - contribue aux niveaux proches de l'épidémie de cette maladie chez nos enfants. L'Ontario Medical Association évalue les dépenses de soins de santé associées aux polluants présents dans le smog, à près de 500 millions de dollars chaque années en Ontario, en fonction du nombre d'admissions aux hôpitaux et de visites aux salles d'urgence. À ce montant, il faut ajouter les journées de congé maladie prises par les employés en raison de la pollution et nous arrivons à un montant supplémentaire de 500 millions de dollars qui est assumé par les employeurs de la province. Bien que ces dépenses de soins de santé soient connues, elles ne sont pas comptabilisées dans l'analyse coûts-avantages menée à l'étape des décisions individuelles - le pollueur n'est toujours pas tenu responsable des dépenses de soins de santé qui découlent de la pollution - c'est le public qui les assume.

Prenons l'exemple de la Ville de New York qui, en 1991, était confrontée à une facture de quatre à huit milliards de dollars pour construire une grande station de traitement d'eau. Avant d'entreprendre le projet, la ville a opté pour une solution alternative plus durable. Elle a décidé de collaborer avec les groupes d'intérêts de l'État afin de protéger la pureté de l'eau à sa source même, dans les montagnes Catskill. La ville a acquis des terrains sur lesquels se trouvaient des bassins récepteurs non aménagés pour une protection à long terme. Elle a dépensé des millions de dollars afin d'aider les exploitants agricoles et les bûcherons à adopter des pratiques durables venant appuyer les activités économiques traditionnelles dans les régions rurales tout en préservant une ressource vitale - l'eau propre - au bénéfice de huit millions de New Yorkais. Ce qui a permis à la ville de financer l'amélioration des stations d'épuration des eaux d'égout appartenant aux autres municipalités qui se trouvaient en amont - en même temps que la sienne. Cette solution durable a coûté environ 25 pour cent du coût total évalué pour l'approche conventionnelle. Ceci, sans compter les coûts et les avantages liés à des postes qui ont fait l'objet d'une évaluation en argent. Si l'on avait également chiffré la valeur des écoservices ou des bénéfices éventuels sur la santé (ou des coûts qui ont été évités) découlant d'écosystèmes plus sains, le projet aurait pu produire un bénéfice économique net.

Il est évident qu'on ne peut pas tout évaluer monétairement. Certains des écoservices irremplaçables dont nous dépendons, par exemple, devraient simplement être protégés sans faire l'objet d'une analyse coûts-avantages. Cependant, de nombreux autres attributs de la nature devraient faire l'objet d'une évaluation en argent dont il serait tenu compte dans les décisions. Par exemple, les espaces naturels fournissent les matières utiles dont dépendent les industries exploitant les ressources naturelles du Canada. Ils offrent également toute une gamme d'idées et de modèles fondés sur la génétique et toute une pharmacopée de médicaments. Ces attributs de la nature constituent une part importante et largement ignorée de notre patrimoine et de nos perspectives économiques.

Pendant des millénaires, nous avons rempli nos armoires à pharmacie avec des remèdes que nous trouvions dans la nature. L'antibiotique pénicilline provient d'une moisissure. L'analgésique codéïne est tiré du pavot. C'est à la fleur digitale pourprée que nous devons la digitaline, un médicament pour le cœur. Nous traitons les fièvres causées par la malaria avec de la quinine qui provient de l'écorce de l'arbre cinchone. La nature a non seulement été source de progrès médicaux mais aussi d'innovations technologiques. Les ingénieurs ont mis au point une matière plus solide que l'acier en étudiant les toiles d'araignées. C'est la bardane que l'on trouve communément dans les champs, qui a inspiré le dispositif de fermeture adhésive commercialisé sous le nom de Velcro. On désigne par mimétisme biologique ce raccourci vers l'innovation technique et au fur et à mesure que nous élargissons le champ de la bioprospection, nous fondons de plus en plus les nouveaux produits et processus sur celui-ci. Notre activité économique est ainsi en grande partie financée par la Banque de la nature ADN où est déposé un capital accumulé de 500 millions d'années d'évolution.

Sauvegarder les attributs de la nature constitue - entre autres - un acte de préservation du capital naturel que chaque banquier, courtier ou trésorier considérera comme une mesure de conservation et qui sera compris par les citoyens comme un acte de préservation du capital tout en vivant sur les intérêts.

Non seulement devrions-nous mener une analyse coûts-avantages plus complète lorsque nous prenons des décisions au niveau macroéconomique, mais aussi, devrions-nous mieux rendre compte des progrès réalisés à un niveau macroéconomique et les évaluer. Comme nous l'avons noté auparavant, nous sous-évaluons de manière importante les écosystèmes qui fournissent les terres, l'air pur et l'eau propre dont dépendent notre économie et toute forme de vie. Ceci notamment parce que nous ne comptabilisons pas nos dépenses en capital naturel. Notre statistique économique principale - le produit intérieur brut - est une mesure qui est fondamentalement imparfaite. Tout en surexploitant la morue, par exemple, nous ajoutons chaque année la valeur des prises débarquées au rendement économique total du Canada. Toutefois, les coûts engendrés par l'affaissement des stocks de poissons ont été ignorés. Les stocks de poissons se sont appauvris considérablement et 40 000 personnes qui tiraient leurs moyens de subsistance de la pêche ont dû se trouver un autre emploi. Le PIB nous incite à ne regarder que les revenus que nous méprenons pour des profits.

Aucune entreprise privée ne tient une telle comptabilité. Ainsi, lorsqu'une société par exemple, pompe du pétrole pour le commercialiser, elle déduit le volume du pétrole pompé de ses réserves établies et probables et réduit en conséquence la valeur comptable de ses actifs. Mais le PIB ne permet pas de rendre compte des coûts engendrés par cette activité économique - soit l'épuisement du capital naturel. Il faut que nous sachions quelle part de capital naturel nous utilisons et à quel rythme.

Le gouvernement du Canada a reconnu les limites inhérentes au PIB et cherche à mettre au point d'autres indicateurs susceptibles de mieux rendre compte de l'état du capital naturel et de son utilisation. Il a chargé Statistique Canada, Environnement Canada ainsi que la Table ronde de mettre au point une panoplie d'indicateurs nationaux de l'environnement et du développement durable qui serviraient à mesurer l'épuisement du capital naturel. Il s'agit ainsi de concevoir de nouvelles mesures économiques qui intègreraient à notre système comptable, certains coûts - comme l'élimination " gratuite " des déchets dans l'environnement naturel - qui auparavant étaient considérés comme ne relevant pas du champ de compétence du comptable.

Comme l'a déclaré l'année dernière l'ancien ministre des Finances, M. Paul Martin : " Il reste qu'un aspect essentiel de la gestion judicieuse de nos ressources pour les générations à venir consiste à comprendre de quelle manière les fonctions écologiques contribuent à l'activité économique. [...] à défaut de tenir compte comme il se doit de l'utilisation du capital naturel, nous épuisons nos réserves et menaçons la durabilité de la croissance future. " Il a fait remarqué que les indicateurs de développement durable permettent de " fournir aux gouvernements, aux entreprises - en fait à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes - l'information dont ils ont besoin pour faire en sorte que notre croissance économique soit durable. " Ces indicateurs seront publiés en 2003.

Modifier la manière dont nous mesurons les progrès réalisés et rendons compte des coûts et des avantages au moment de la prise de décisions, permettra d'exposer un nombre infini de pratiques non efficientes des politiques fiscales de nombreux pays. Les économistes et les écologistes s'accordent de plus en plus pour dire que le choix entre croissance économique et protection de l'environnement est un faux choix. Nous devons nous en réjouir. En pratique, toutefois, notre système économique - qu'il soit public ou privé - ne cesse de refléter les conséquences de ce faux choix dans la manière dont les décisions de base sont prises. Pour illustrer ce point, nous n'avons qu'à observer l'ensemble complexe des politiques fiscales qui régissent nos activités. Prenons l'exemple imaginaire de l'exploitant agricole auquel une province ou un gouvernement central offrirait une année, une subvention pour assécher une terre marginale désignée comme " terre humide " (un système de purification de l'eau et de l'air, vieux de cent ans, qui n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation en argent et qui est gratuit - souvent considéré comme les poumons de la planète) afin d'accroître sa production agricole. L'année suivante, le même exploitant agricole reçoit du gouvernement central ou fédéral un incitatif pour l'encourager à sauvegarder ou à rétablir cette terre humide. Du point de vue de l'exploitant agricole, du contribuable et de l'écosystème, il y a dans cette situation quelque chose de fondamentalement erroné.

La TRNEE étudie actuellement cette contradiction au sein du processus de prise de décisions au Canada dans le cadre du programme d'Écologisation de la fiscalité (EF). La TRNEE a délibérément choisi un terme au sens plus large que l'expression traditionnelle de réforme fiscale écologique afin d'inclure un plus grand éventail d'instruments économiques et politiques. L'EF permet de comprendre comment réformer la politique fiscale - l'imposition et les dépenses qui dictent le comportement par le biais d'incitatifs et de mesures de dissuasion - d'une manière qui satisfait à des objectifs tant environnementaux qu'économiques.

En bref, le développement durable nous force à examiner l'activité économique à plus long terme et de manière plus large. Il soulève des questions comme " Avons-nous comptabilisé les coûts de tous les intrants et extrants liés à un produit ou à un service ? ", " À quel rythme épuisons-nous certaines composantes essentielles du capital naturel ? ", " Formulons-nous des incitatifs et des mesures de dissuasion réglementaires et fiscaux d'une manière qui encourage une activité économique durable ? " Pour répondre à ces questions, les décideurs ont besoin de nouveaux outils de mesure économiques qui soient réorientés de manière à rendre compte de coûts qui auparavant étaient externalisés et qui doivent être pris en compte si l'on veut percevoir, sinon atteindre, la durabilité.

De nouvelles méthodes de prise de décisions
Le second obstacle systémique que nous devons surmonter pour éviter l'impasse réside dans la modification du processus de prise de décisions, tant au sein des secteurs public et privé qu'aux niveaux local et international. Les questions de durabilité sont interdisciplinaires et intéressent de nombreux groupes d'intérêts. Il s'agit de questions de politique " horizontale ". Prenons le changement climatique qui constitue possiblement l'exemple par excellence du défi engendré par la durabilité. Le changement climatique est lié à l'environnement, à la santé humaine, à l'énergie et aux ressources naturelles, aux affaires et à l'industrie, aux relations internationales et au commerce international etc. Du point de vue du fonctionnement des systèmes, l'approche adoptée pour contrer le changement climatique revient à essayer de faire passer un éléphant par le chas d'une aiguille. L'éléphant constitue le défi de procéder à des changements au niveau horizontal alors que l'appareil gouvernemental de la plupart des pays, le chas de l'aiguille, est structuré comme une série de silos verticaux et isolés.

Ainsi par exemple, la plupart des gouvernements possèdent des ministères qui s'occupent des questions comme l'environnement, l'énergie, les ressources naturelles ou l'industrie, le commerce international et plus encore. Les défis liés à la durabilité comme le changement climatique, intéressent la plupart, sinon tous les ministères d'un gouvernement. Lorsqu'une question concerne tout le monde, elle risque fort de n'intéresser personne, soit de ne pouvoir trouver de ministère pour s'en occuper.

Une façon de contourner cette approche verticale bien ancrée dans les institutions, consiste à chercher un responsable neutre qui soit en mesure d'amener les différentes parties intéressées à la table dans le but de trouver des solutions aux défis de politique publique. C'est en partie la raison pour laquelle la TRNEE a été créée. L'approche adoptée par la TRNEE a été de réunir les représentants des différents groupes d'intérêts concernés par une question particulière et de mettre à leur disposition un forum sécuritaire qui leur donne la possibilité de s'engager dans des discussions libres et ouvertes. Il est très important d'amener une bonne diversité d'acteurs à la table afin de faciliter la formulation de solutions nouvelles et d'arriver à un changement. Mais il est crucial de faire en sorte que chaque personne qui souhaite obtenir une place à la table comprenne que, ce faisant, elle a le devoir d'être constructive et de vouloir trouver des solutions ainsi que d'exposer des alternatives positives plutôt que de créer des obstacles au progrès.

Bien que la recherche d'un consensus soit à privilégier, l'objectif poursuivi par les processus de la TRNEE n'est pas nécessairement l'atteinte d'un consensus. Il s'agit plutôt de déterminer l'état véritable du débat, c'est-à-dire : définir l'enjeu ou le problème; repérer les obstacles à surmonter pour résoudre cet enjeu ainsi que les intérêts en jeu; établir les conséquences de l'inaction etc. Les parties à la discussion présentent les points sur lesquels elles sont d'accord et ceux sur lesquels elles ne sont pas d'accord. Cette approche empêche les participants d'arriver à la table des négociations en faisant passer en premier leurs propres intérêts de manière agressive et prévient ainsi la " participation fondée sur la territorialité ". En d'autres termes, elle permet d'éviter les situations où les parties intéressées se bornent à surveiller de près le débat pour savoir à quel moment leurs propres intérêts sont susceptibles d'être affectés, ce qui mène souvent à des solutions fondées sur le plus petit commun dénominateur et qui figurent généralement dans les énoncés de principes ou les déclarations d'intention. De plus, l'approche de la TRNEE permet non seulement à chacun de comprendre les points d'accord et de désaccord sur une question donnée, mais aussi et surtout, pourquoi il y a accord ou désaccord. L'acceptation des différences en fin de compte valorise les résultats. En ignorant certains points de vue, on porte atteinte à la fois à l'intégrité du processus et à son succès final. Quelle que soit la perspective, il n'est jamais utile d'appliquer la censure.

S'il est certain que cette approche ne permet pas d'obtenir autant de recommandations issues d'un consensus au sein d'un groupe, celles qui arrivent à émerger émanent d'un groupe représentatif de parties intéressées. Il s'agit-là d'un point vital aux yeux des politiciens et des principaux décideurs qui cherchent à avoir les peuves qui indiquent que la société est " prête " à accepter le changement.

Conclusion
L'évolution vers un développement durable, qui à la base exige l'intégration de l'environnement à l'économie, est probablement le défi de politique publique le plus complexe au monde. Le monde a réalisé des progrès tangibles au sujet du développement durable depuis le Sommet de la Terre il y a dix ans. Cependant, pour accélérer le progrès et rattraper les retards accumulés en raison des défis croissants liés à la durabilité, le monde doit surmonter au moins deux obstacles systémiques au progrès.

Pour mener le développement durable à l'étape suivante, nous avons besoin de trouver de nouvelles façons de mesurer notre capital naturel et d'intégrer la totalité des coûts et des avantages à l'approche horizontale du processus de prise de décisions. Il s'agit d'un changement fondamental mais nous ne devons pas succomber à la tentation de nous laisser paralyser par un apparent manque de marge de manœuvre aux niveaux économique et politique. En faisant tomber ces obstacles, nous transformerons ce qui constitue actuellement des enjeux importants de développement durable en autant d'occasions d'atteindre un niveau équilibré de bien-être sur les plans de l'économie, de l'environnement et des droits sociaux. Nous venons à peine de commencer à concevoir des technologies moins polluantes et d'explorer le potentiel offert par les instruments économiques afin de progresser vers un développement durable. Nous avons toute la liberté nécessaire pour agir dans le contexte imposé par notre détermination à innover. Le véritable danger de notre situation est celui de ne rien faire pour ajuster nos activités aux réalités émergentes de la capacité de charge limitée de la biosphère.

Le Sommet mondial sur le développement durable constitue une occasion de faire le point sur le chemin parcouru, sur celui qu'il nous reste à faire et sur les ajustements nécessaires pour progresser vers le développement durable. Peut-être que dans dix autres années, nous pourrons réfléchir sur une décennie qui a vu le développement durable devenir une réalité dans le contexte d'un marché mondial libre et régi par des règles.

David J. McGuinty est Président-Directeur général de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE) ou celles de ses membres.

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