La
voie de l'avenir - intégrer l'environnement et l'économie
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie
(version PDF) |
Il
y a dix ans, plus de 170 pays se sont mis d'accord sur un
plan de développement durable appelé Action
21 au Sommet de la terre de Rio. Très général
et largement laconique sur le plan des coûts, le plan
Action 21 était (et demeure toujours) évidemment
imparfait. Il est vrai que le développement durable
- généralement compris comme un développement
qui " réponde aux besoins du présent sans
compromettre la possibilité pour les générations
futures de satisfaire les leurs." - est une notion qui,
en pratique, s'avère difficile à définir
pour en assurer l'application. L'approche suivie par la Table
ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE)
- organisme de consultation indépendant constitué
par le Premier ministre du Canada afin de fournir des recommandations
sur la manière d'arriver au développement durable
- a été de considérer le développement
durable comme une direction plutôt que comme une destination,
ou encore comme un puzzle de 100 000 pièces, sans photo
sur le dessus de la boîte pour en faciliter l'assemblement.
Toutefois, la complexité du concept de développement
durable ne doit pas servir d'excuse à l'inaction. Il
s'agit plutôt de déconstruire ce concept afin
d'en révéler les composantes pratiques et arriver
à une intégration plus complète, durable
et significative, de l'environnement, de l'économie
et du bien-être de la société au niveau
social. L'intérêt du plan Action 21 était
d'offrir au monde un guide sur la direction qu'il fallait
donner au développement durable.
Beaucoup
de pays dans le monde ont réalisés de réels
progrès. Entre le Protocole de Kyoto et celui sur la
biosécurité, les ententes multilatérales
sur l'environnement continuent à croître en nombre
et en importance. Les principes qui sous-tendent le développement
durable, comme celui du pollueur-payeur et celui de prudence,
sont appliqués à l'échelle de la planète,
aux niveaux international, national et local. Qu'elles soient
poussées par des impératifs d'augmentation de
la productivité, qu'elles souhaitent réagir
à l'activisme des consommateurs ou des actionnaires,
ou encore qu'elles cherchent à gagner de nouveaux marchés
à créneaux, comme celui des biens de consommation
ou des services dits " responsables " sur le plan
de l'environnement, de nombreuses entreprises améliorent
leur performance sur le plan de l'environnement et/ou des
droits sociaux. Citons, entre autres, les multinationales
dont une quarantaine contrôlent maintenant la moitié
du commerce mondial et 80 % de l'investissement étranger
direct. Même la communauté financière
s'intéresse aux questions liées à la
responsabilité sur le plan de l'environnement et des
droits sociaux. Certaines sociétés de fonds
mutuel ou sociétés de caisse de retraite offrent
maintenant des fonds qui concentrent uniquement leurs investissements
dans des entreprises " responsables " ou qui exigent
des entreprises la divulgation de renseignements relatifs
à leur performance sur le plan de l'environnement et/ou
des droits sociaux. La certification et l'étiquetage
volontaires de produits sont de plus en plus fréquentes,
ce qui permet aux consommateurs de choisir des biens de consommation
qui ont été produits selon des méthodes
qui respectent des critères environnementaux, sociaux
et/ou économiques préétablis.
Les
progrès réalisés en matière de
développement durable au cours des dix dernières
années ont été réels et significatifs.
Cependant, la question de savoir si nous vivons au-dessus
de la capacité de charge de la planète demeure
entière. Que ce soit au Canada ou au Kenya, la disponibilité,
l'accessibilité et la qualité de l'eau douce
sont d'une manière générale menacées.
Bien que la qualité de l'air se soit améliorée,
le nombre de polluants atmosphériques ainsi que leur
concentration augmentent dans de nombreuses régions
urbaines un peu partout dans le monde. Le rythme auquel la
diversité des gènes, des espèces et des
écosystèmes diminue est plus rapide que celui
auquel les nouvelles découvertes sont répertoriées,
en particulier s'agissant des gènes et des micro-organismes.
Les Nord-Américains ont eu récemment à
se souvenir des menaces permanentes posées par les
substances toxiques lorsqu'une baleine orque retrouvée
morte au large de la côte Ouest des États-Unis
révélait posséder le plus haut niveau
de BPC jamais enregistré pour cette espèce.
Ceci, en dépit du fait que les BPC ont été
généralement interdits il y a une vingtaine
d'années en Amérique du Nord. Le changement
climatique provoque déjà, entre autres, une
fracture de la plateforme de glace flottante de l'Arctique
ainsi que des phénomènes météorologiques
extrêmes, sans compter les incidences concomitantes
de ces changements sur la biodiversité, les réserves
en eau douce, la production agricole, la santé humaine.
Nous
comprenons mieux qu'il y a dix ans les questions de durabilité
et, d'une manière générale, nous savons
comment faire pour résoudre les problèmes qui
y sont reliés. Alors pourquoi n'avons-nous pas réalisé
davantage de progrès pour résoudre ces enjeux
? Il s'agit-là d'un sujet qui pourrait faire l'objet
de nombreuses discussions. Dans cet article, nous soutenons
que le problème réside essentiellement dans
le fait que nous sommes arrivés à une impasse
en matière de développement durable. En effet,
nous devons intégrer notre système économique
à notre environnement naturel. Actuellement, l'économie
et l'environnement sont traités comme deux notions
séparées. Nous parlons du " commerce et
de l'environnement " comme s'il s'agissait de deux notions
distinctes. En réalité, l'économie repose
sur notre environnement - elle constitue un sous-ensemble
de l'environnement. Un environnement sain détermine
la santé de la main-d'uvre tout comme les éléments
essentiels qui supportent nos économies, qu'il s'agisse
des insectes qui pollinisent nos cultures agricoles, des matériaux
que nous extrayons de la Terre, des forêts dont nous
nous servons pour construire des maisons, cuire la nourriture
ou fabriquer du papier.
Nous
pouvons aussi aborder la question sous l'angle du capital.
En plus d'un capital produit (économique), nous possédons
un capital social et un capital naturel. Nous avons entamé
notre capital naturel - et nous continuons de le faire. Nous
avons vécu sur le capital plutôt que sur les
intérêts. La seule façon de modifier la
situation est d'abord d'intégrer et de lier le capital
économique au capital naturel. À une époque
où le monde possède plus de capital économique
que jamais auparavant - lequel est de plus en plus détenu
par des intérêts privés - nous pouvons
à juste titre soutenir que nous avons l'obligation
d'accomplir cette intégration. J'estime que celle-ci
constitue à long terme, le défi le plus important
du 21e siècle.
Pour
que le monde puisse intégrer ses systèmes économiques
à l'environnement, nous devons surmonter deux obstacles
systémiques importants qui résident dans nos
méthodes de mesure et d'évaluation - notre "
science économique ", ainsi que dans nos processus
de prise de décisions. Pour faire face à ces
obstacles, nous devons réorganiser nos affaires de
façon radicale - soit apporter des changements sur
le plan des fondements ou des systèmes. Jusqu'à
présent, nous sommes restés aux abords et avons
réalisé des progrès marginaux. Pour sortir
de l'impasse et passer de l'autre côté, nous
devons faire tomber ces deux obstacles systémiques.
Une
nouvelle conception de la science économique
Un obstacle majeur à la progression vers le développement
durable est que nous ne rendons pas compte de la réalité
et de la totalité des coûts et des avantages
liés aux décisions, tant à un niveau
microéconomique que macroéconomique. La plupart
des décisions prises aujourd'hui par les gouvernements
et le secteur privé sont fondées sur une analyse
coûts-avantages. Par exemple, si les citoyens d'un pays
veulent mettre en place ou conserver un système public
de soins de santé, le gouvernement établira
les coûts d'un tel système ainsi que le montant
du financement dont il dispose et comparera cette dépense
aux besoins en financement dans d'autres secteurs. Le problème
principal soulevé par cette approche coûts-avantages
réside dans le fait que ces coûts et avantages
ne figurent pas tous au bilan. En effet, il se peut qu'ils
ne fassent pas normalement l'objet d'une évaluation
en argent ou qu'ils soient assumés par une partie ou
des parties qui ne participent pas à l'opération,
ou encore, plus fondamentalement, que les données nécessaires
à l'évaluation en argent des coûts et
des avantages n'ont jamais été rassemblées.
Nous savons que ces " coûts externes " conduisent
à la prise de décisions inefficaces et inadaptées.
Les coûts externes constituent un obstacle majeur au
développement durable parce qu'en réalité
les décisions sont prises sans que le décideur
ait été informé de manière complète.
Le défi consiste à internaliser ces coûts
dans le processus de prise de décisions.
La
pollution atmosphérique en région urbaine comme
le smog - il est maintenant établi qu'il provoque de
l'asthme - contribue aux niveaux proches de l'épidémie
de cette maladie chez nos enfants. L'Ontario Medical Association
évalue les dépenses de soins de santé
associées aux polluants présents dans le smog,
à près de 500 millions de dollars chaque années
en Ontario, en fonction du nombre d'admissions aux hôpitaux
et de visites aux salles d'urgence. À ce montant, il
faut ajouter les journées de congé maladie prises
par les employés en raison de la pollution et nous
arrivons à un montant supplémentaire de 500
millions de dollars qui est assumé par les employeurs
de la province. Bien que ces dépenses de soins de santé
soient connues, elles ne sont pas comptabilisées dans
l'analyse coûts-avantages menée à l'étape
des décisions individuelles - le pollueur n'est toujours
pas tenu responsable des dépenses de soins de santé
qui découlent de la pollution - c'est le public qui
les assume.
Prenons
l'exemple de la Ville de New York qui, en 1991, était
confrontée à une facture de quatre à
huit milliards de dollars pour construire une grande station
de traitement d'eau. Avant d'entreprendre le projet, la ville
a opté pour une solution alternative plus durable.
Elle a décidé de collaborer avec les groupes
d'intérêts de l'État afin de protéger
la pureté de l'eau à sa source même, dans
les montagnes Catskill. La ville a acquis des terrains sur
lesquels se trouvaient des bassins récepteurs non aménagés
pour une protection à long terme. Elle a dépensé
des millions de dollars afin d'aider les exploitants agricoles
et les bûcherons à adopter des pratiques durables
venant appuyer les activités économiques traditionnelles
dans les régions rurales tout en préservant
une ressource vitale - l'eau propre - au bénéfice
de huit millions de New Yorkais. Ce qui a permis à
la ville de financer l'amélioration des stations d'épuration
des eaux d'égout appartenant aux autres municipalités
qui se trouvaient en amont - en même temps que la sienne.
Cette solution durable a coûté environ 25 pour
cent du coût total évalué pour l'approche
conventionnelle. Ceci, sans compter les coûts et les
avantages liés à des postes qui ont fait l'objet
d'une évaluation en argent. Si l'on avait également
chiffré la valeur des écoservices ou des bénéfices
éventuels sur la santé (ou des coûts qui
ont été évités) découlant
d'écosystèmes plus sains, le projet aurait pu
produire un bénéfice économique net.
Il
est évident qu'on ne peut pas tout évaluer monétairement.
Certains des écoservices irremplaçables dont
nous dépendons, par exemple, devraient simplement être
protégés sans faire l'objet d'une analyse coûts-avantages.
Cependant, de nombreux autres attributs de la nature devraient
faire l'objet d'une évaluation en argent dont il serait
tenu compte dans les décisions. Par exemple, les espaces
naturels fournissent les matières utiles dont dépendent
les industries exploitant les ressources naturelles du Canada.
Ils offrent également toute une gamme d'idées
et de modèles fondés sur la génétique
et toute une pharmacopée de médicaments. Ces
attributs de la nature constituent une part importante et
largement ignorée de notre patrimoine et de nos perspectives
économiques.
Pendant
des millénaires, nous avons rempli nos armoires à
pharmacie avec des remèdes que nous trouvions dans
la nature. L'antibiotique pénicilline provient d'une
moisissure. L'analgésique codéïne est tiré
du pavot. C'est à la fleur digitale pourprée
que nous devons la digitaline, un médicament pour le
cur. Nous traitons les fièvres causées
par la malaria avec de la quinine qui provient de l'écorce
de l'arbre cinchone. La nature a non seulement été
source de progrès médicaux mais aussi d'innovations
technologiques. Les ingénieurs ont mis au point une
matière plus solide que l'acier en étudiant
les toiles d'araignées. C'est la bardane que l'on trouve
communément dans les champs, qui a inspiré le
dispositif de fermeture adhésive commercialisé
sous le nom de Velcro. On désigne par mimétisme
biologique ce raccourci vers l'innovation technique et au
fur et à mesure que nous élargissons le champ
de la bioprospection, nous fondons de plus en plus les nouveaux
produits et processus sur celui-ci. Notre activité
économique est ainsi en grande partie financée
par la Banque de la nature ADN où est déposé
un capital accumulé de 500 millions d'années
d'évolution.
Sauvegarder
les attributs de la nature constitue - entre autres - un acte
de préservation du capital naturel que chaque banquier,
courtier ou trésorier considérera comme une
mesure de conservation et qui sera compris par les citoyens
comme un acte de préservation du capital tout en vivant
sur les intérêts.
Non
seulement devrions-nous mener une analyse coûts-avantages
plus complète lorsque nous prenons des décisions
au niveau macroéconomique, mais aussi, devrions-nous
mieux rendre compte des progrès réalisés
à un niveau macroéconomique et les évaluer.
Comme nous l'avons noté auparavant, nous sous-évaluons
de manière importante les écosystèmes
qui fournissent les terres, l'air pur et l'eau propre dont
dépendent notre économie et toute forme de vie.
Ceci notamment parce que nous ne comptabilisons pas nos dépenses
en capital naturel. Notre statistique économique principale
- le produit intérieur brut - est une mesure qui est
fondamentalement imparfaite. Tout en surexploitant la morue,
par exemple, nous ajoutons chaque année la valeur des
prises débarquées au rendement économique
total du Canada. Toutefois, les coûts engendrés
par l'affaissement des stocks de poissons ont été
ignorés. Les stocks de poissons se sont appauvris considérablement
et 40 000 personnes qui tiraient leurs moyens de subsistance
de la pêche ont dû se trouver un autre emploi.
Le PIB nous incite à ne regarder que les revenus que
nous méprenons pour des profits.
Aucune
entreprise privée ne tient une telle comptabilité.
Ainsi, lorsqu'une société par exemple, pompe
du pétrole pour le commercialiser, elle déduit
le volume du pétrole pompé de ses réserves
établies et probables et réduit en conséquence
la valeur comptable de ses actifs. Mais le PIB ne permet pas
de rendre compte des coûts engendrés par cette
activité économique - soit l'épuisement
du capital naturel. Il faut que nous sachions quelle part
de capital naturel nous utilisons et à quel rythme.
Le
gouvernement du Canada a reconnu les limites inhérentes
au PIB et cherche à mettre au point d'autres indicateurs
susceptibles de mieux rendre compte de l'état du capital
naturel et de son utilisation. Il a chargé Statistique
Canada, Environnement Canada ainsi que la Table ronde de mettre
au point une panoplie d'indicateurs nationaux de l'environnement
et du développement durable qui serviraient à
mesurer l'épuisement du capital naturel. Il s'agit
ainsi de concevoir de nouvelles mesures économiques
qui intègreraient à notre système comptable,
certains coûts - comme l'élimination " gratuite
" des déchets dans l'environnement naturel - qui
auparavant étaient considérés comme ne
relevant pas du champ de compétence du comptable.
Comme
l'a déclaré l'année dernière l'ancien
ministre des Finances, M. Paul Martin : " Il reste qu'un
aspect essentiel de la gestion judicieuse de nos ressources
pour les générations à venir consiste
à comprendre de quelle manière les fonctions
écologiques contribuent à l'activité
économique. [...] à défaut de tenir compte
comme il se doit de l'utilisation du capital naturel, nous
épuisons nos réserves et menaçons la
durabilité de la croissance future. " Il a fait
remarqué que les indicateurs de développement
durable permettent de " fournir aux gouvernements, aux
entreprises - en fait à tous les Canadiens et à
toutes les Canadiennes - l'information dont ils ont besoin
pour faire en sorte que notre croissance économique
soit durable. " Ces indicateurs seront publiés
en 2003.
Modifier
la manière dont nous mesurons les progrès réalisés
et rendons compte des coûts et des avantages au moment
de la prise de décisions, permettra d'exposer un nombre
infini de pratiques non efficientes des politiques fiscales
de nombreux pays. Les économistes et les écologistes
s'accordent de plus en plus pour dire que le choix entre croissance
économique et protection de l'environnement est un
faux choix. Nous devons nous en réjouir. En pratique,
toutefois, notre système économique - qu'il
soit public ou privé - ne cesse de refléter
les conséquences de ce faux choix dans la manière
dont les décisions de base sont prises. Pour illustrer
ce point, nous n'avons qu'à observer l'ensemble complexe
des politiques fiscales qui régissent nos activités.
Prenons l'exemple imaginaire de l'exploitant agricole auquel
une province ou un gouvernement central offrirait une année,
une subvention pour assécher une terre marginale désignée
comme " terre humide " (un système de purification
de l'eau et de l'air, vieux de cent ans, qui n'a pas encore
fait l'objet d'une évaluation en argent et qui est
gratuit - souvent considéré comme les poumons
de la planète) afin d'accroître sa production
agricole. L'année suivante, le même exploitant
agricole reçoit du gouvernement central ou fédéral
un incitatif pour l'encourager à sauvegarder ou à
rétablir cette terre humide. Du point de vue de l'exploitant
agricole, du contribuable et de l'écosystème,
il y a dans cette situation quelque chose de fondamentalement
erroné.
La
TRNEE étudie actuellement cette contradiction au sein
du processus de prise de décisions au Canada dans le
cadre du programme d'Écologisation de la fiscalité
(EF). La TRNEE a délibérément choisi
un terme au sens plus large que l'expression traditionnelle
de réforme fiscale écologique afin d'inclure
un plus grand éventail d'instruments économiques
et politiques. L'EF permet de comprendre comment réformer
la politique fiscale - l'imposition et les dépenses
qui dictent le comportement par le biais d'incitatifs et de
mesures de dissuasion - d'une manière qui satisfait
à des objectifs tant environnementaux qu'économiques.
En
bref, le développement durable nous force à
examiner l'activité économique à plus
long terme et de manière plus large. Il soulève
des questions comme " Avons-nous comptabilisé
les coûts de tous les intrants et extrants liés
à un produit ou à un service ? ", "
À quel rythme épuisons-nous certaines composantes
essentielles du capital naturel ? ", " Formulons-nous
des incitatifs et des mesures de dissuasion réglementaires
et fiscaux d'une manière qui encourage une activité
économique durable ? " Pour répondre à
ces questions, les décideurs ont besoin de nouveaux
outils de mesure économiques qui soient réorientés
de manière à rendre compte de coûts qui
auparavant étaient externalisés et qui doivent
être pris en compte si l'on veut percevoir, sinon atteindre,
la durabilité.
De
nouvelles méthodes de prise de décisions
Le second obstacle systémique que nous devons surmonter
pour éviter l'impasse réside dans la modification
du processus de prise de décisions, tant au sein des
secteurs public et privé qu'aux niveaux local et international.
Les questions de durabilité sont interdisciplinaires
et intéressent de nombreux groupes d'intérêts.
Il s'agit de questions de politique " horizontale ".
Prenons le changement climatique qui constitue possiblement
l'exemple par excellence du défi engendré par
la durabilité. Le changement climatique est lié
à l'environnement, à la santé humaine,
à l'énergie et aux ressources naturelles, aux
affaires et à l'industrie, aux relations internationales
et au commerce international etc. Du point de vue du fonctionnement
des systèmes, l'approche adoptée pour contrer
le changement climatique revient à essayer de faire
passer un éléphant par le chas d'une aiguille.
L'éléphant constitue le défi de procéder
à des changements au niveau horizontal alors que l'appareil
gouvernemental de la plupart des pays, le chas de l'aiguille,
est structuré comme une série de silos verticaux
et isolés.
Ainsi
par exemple, la plupart des gouvernements possèdent
des ministères qui s'occupent des questions comme l'environnement,
l'énergie, les ressources naturelles ou l'industrie,
le commerce international et plus encore. Les défis
liés à la durabilité comme le changement
climatique, intéressent la plupart, sinon tous les
ministères d'un gouvernement. Lorsqu'une question concerne
tout le monde, elle risque fort de n'intéresser personne,
soit de ne pouvoir trouver de ministère pour s'en occuper.
Une
façon de contourner cette approche verticale bien ancrée
dans les institutions, consiste à chercher un responsable
neutre qui soit en mesure d'amener les différentes
parties intéressées à la table dans le
but de trouver des solutions aux défis de politique
publique. C'est en partie la raison pour laquelle la TRNEE
a été créée. L'approche adoptée
par la TRNEE a été de réunir les représentants
des différents groupes d'intérêts concernés
par une question particulière et de mettre à
leur disposition un forum sécuritaire qui leur donne
la possibilité de s'engager dans des discussions libres
et ouvertes. Il est très important d'amener une bonne
diversité d'acteurs à la table afin de faciliter
la formulation de solutions nouvelles et d'arriver à
un changement. Mais il est crucial de faire en sorte que chaque
personne qui souhaite obtenir une place à la table
comprenne que, ce faisant, elle a le devoir d'être constructive
et de vouloir trouver des solutions ainsi que d'exposer des
alternatives positives plutôt que de créer des
obstacles au progrès.
Bien
que la recherche d'un consensus soit à privilégier,
l'objectif poursuivi par les processus de la TRNEE n'est pas
nécessairement l'atteinte d'un consensus. Il s'agit
plutôt de déterminer l'état véritable
du débat, c'est-à-dire : définir l'enjeu
ou le problème; repérer les obstacles à
surmonter pour résoudre cet enjeu ainsi que les intérêts
en jeu; établir les conséquences de l'inaction
etc. Les parties à la discussion présentent
les points sur lesquels elles sont d'accord et ceux sur lesquels
elles ne sont pas d'accord. Cette approche empêche les
participants d'arriver à la table des négociations
en faisant passer en premier leurs propres intérêts
de manière agressive et prévient ainsi la "
participation fondée sur la territorialité ".
En d'autres termes, elle permet d'éviter les situations
où les parties intéressées se bornent
à surveiller de près le débat pour savoir
à quel moment leurs propres intérêts sont
susceptibles d'être affectés, ce qui mène
souvent à des solutions fondées sur le plus
petit commun dénominateur et qui figurent généralement
dans les énoncés de principes ou les déclarations
d'intention. De plus, l'approche de la TRNEE permet non seulement
à chacun de comprendre les points d'accord et de désaccord
sur une question donnée, mais aussi et surtout, pourquoi
il y a accord ou désaccord. L'acceptation des différences
en fin de compte valorise les résultats. En ignorant
certains points de vue, on porte atteinte à la fois
à l'intégrité du processus et à
son succès final. Quelle que soit la perspective, il
n'est jamais utile d'appliquer la censure.
S'il
est certain que cette approche ne permet pas d'obtenir autant
de recommandations issues d'un consensus au sein d'un groupe,
celles qui arrivent à émerger émanent
d'un groupe représentatif de parties intéressées.
Il s'agit-là d'un point vital aux yeux des politiciens
et des principaux décideurs qui cherchent à
avoir les peuves qui indiquent que la société
est " prête " à accepter le changement.
Conclusion
L'évolution vers un développement durable, qui
à la base exige l'intégration de l'environnement
à l'économie, est probablement le défi
de politique publique le plus complexe au monde. Le monde
a réalisé des progrès tangibles au sujet
du développement durable depuis le Sommet de la Terre
il y a dix ans. Cependant, pour accélérer le
progrès et rattraper les retards accumulés en
raison des défis croissants liés à la
durabilité, le monde doit surmonter au moins deux obstacles
systémiques au progrès.
Pour
mener le développement durable à l'étape
suivante, nous avons besoin de trouver de nouvelles façons
de mesurer notre capital naturel et d'intégrer la totalité
des coûts et des avantages à l'approche horizontale
du processus de prise de décisions. Il s'agit d'un
changement fondamental mais nous ne devons pas succomber à
la tentation de nous laisser paralyser par un apparent manque
de marge de manuvre aux niveaux économique et
politique. En faisant tomber ces obstacles, nous transformerons
ce qui constitue actuellement des enjeux importants de développement
durable en autant d'occasions d'atteindre un niveau équilibré
de bien-être sur les plans de l'économie, de
l'environnement et des droits sociaux. Nous venons à
peine de commencer à concevoir des technologies moins
polluantes et d'explorer le potentiel offert par les instruments
économiques afin de progresser vers un développement
durable. Nous avons toute la liberté nécessaire
pour agir dans le contexte imposé par notre détermination
à innover. Le véritable danger de notre situation
est celui de ne rien faire pour ajuster nos activités
aux réalités émergentes de la capacité
de charge limitée de la biosphère.
Le
Sommet mondial sur le développement durable constitue
une occasion de faire le point sur le chemin parcouru, sur
celui qu'il nous reste à faire et sur les ajustements
nécessaires pour progresser vers le développement
durable. Peut-être que dans dix autres années,
nous pourrons réfléchir sur une décennie
qui a vu le développement durable devenir une réalité
dans le contexte d'un marché mondial libre et régi
par des règles.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles
de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement
celles de la Table ronde nationale sur l'environnement et
l'économie (TRNEE) ou celles de ses membres.
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