Une
toute nouvelle science économique : tous les Sommets
de la terre ne sauraient suffire à nous permettre d'atteindre
un développement durable sans une nouvelle conception
de la science économique qui valorise le capital naturel
Par
David J. McGuinty
Président-Directeur général
Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie
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Le
Premier ministre reçoit des éloges pour ses
deux déclarations au Sommet
mondial pour le développement durable de Johannesburg.
Le Protocole de Kyoto sur le changement climatique sera soumis
au processus de ratification du Parlement et 15 nouveaux parcs
nationaux vont être créés; ces deux déclarations
constituent un héritage sur le plan de l'environnement.
Sans
vouloir diminuer l'importance de ces initiatives, l'héritage
qu'elles vont laisser réside dans leur signification
- elles marquent le début d'une ère nouvelle
de valorisation de la nature qu'il convient d'appeler par
son véritable nom économique : le capital naturel.
Nous
avons besoin d'une nouvelle conception de la science économique
qui valorise le capital naturel, et dans de nombreux cas,
lui confère une valeur monétaire. Cette nouvelle
science commencerait par reconnaître que le capital
naturel mondial nous fournit à la fois des services
et des produits, et comporte une valeur nette.
Les
services issus du capital naturel rendent la vie possible
biologiquement parlant. Ces services comprennent la purification
de l'air et de l'eau, des sols productifs, la faune, les règlements
relatifs au climat, le contrôle des inondations et la
pollinisation des cultures. Pourtant, sur le plan de l'économie,
nous les tenons pour acquis et ne leur assignons aucune valeur
monétaire.
Les
" produits " du capital naturel nous enrichissent
au point de vue économique. Ils vont bien au-delà
des ressources naturelles comme les minerais et le pétrole.
Pendant des millénaires, nous avons rempli nos pharmacies
de remèdes provenent de la nature. La pénicilline
est produite par une moisissure. La codéïne provient
du pavot. La nature nous inspire également des innovations
technologiques. Les ingénieurs ont mis au point un
matériau plus solide que l'acier en étudiant
les toiles d'araignées. La bardane que l'on trouve
dans les champs a donné naissance au Velcro.
Notre
activité économique est ainsi en grande partie
financée par la Banque d'ADN de la nature où
est déposé un capital accumulé de 500
millions d'années d'évolution. Pourtant, la
valeur de la nature n'est pas considérée dans
la prise de décisions. Comme le veut le vieil adage,
en affaires, on ne peut gérer ce qu'on ne mesure pas.
Pour
réaliser de réels progrès, nous devons
apprendre à compter. Nous n'avons pas appris à
comptabiliser les coûts engendrés par le fait
de recouvrir des cours d'eau, de brûler des combustibles
fossiles ou d'aspirer le fonds des océans. Nous n'avons
pas non plus appris à évaluer la valeur des
possibilités offertes par notre patrimoine naturel.
Conférer une valeur monétaire à certains
aspects de ce capital naturel est essentiel à une mesure
précise de l'activité économique. Elle
constitue aussi une étape préliminaire à
une prise de décision éclairée, soucieuse
des limites connues de la capacité de charge de la
Terre.
Nous
risquons d'épuiser de manière importante notre
capital naturel sans même nous en rendre compte. Nous
ne comptabilisons pas dans leur totalité les véritables
coûts et bénéfices engendrés par
nos décisions économiques, soit parce que ces
coûts et bénéfices n'ont pas encore été
évalués monétairement, soit parce qu'ils
sont assumés par des parties étrangères
à l'opération. Ces " coûts acquittés
par d'autres" engendrent des décisions inefficaces
et inappropriées, et à des échecs du
marché.
Comme
exemple de déficience du marché provenant de
ces coûts, citons la combustion du charbon aux fins
de production d'électricité. Cette activité
économique contamine l'air - une composante du capital
naturel - avec des polluants présents dans le smog,
ce qui endommange la planète. L'Ontario Medical Association
évalue les dépenses provinciales de soins de
santé associées aux polluants présents
dans le smog à 500 millions de dollars par an. Si l'on
ajoute à cela les journées de congé maladie
des travailleurs, ce sont 500 millions de dollars que doivent
assumer les employeurs de la province; l'impact de la combustion
du charbon sur la valeur de notre air en tant que tel n'est
toutefois pas pour comptabilisé.
L'entreprise
qui produit de l'électricité ne paie pas pour
la dégradation de la qualité de l'air, ni les
dépenses de soins de santé ou les jours de congé
maladie qui en découlent; ce sont des coûts dus
à des facteurs extérrieurs assumés par
l'entreprise. Par conséquent, le pollueur agit comme
un joueur économique parfaitement rationnel dans un
système économique conçu de manière
imparfaite, il ignore les impacts de ses activités
sur la santé qui épuisent les budgets des autres
et achète le combustible " le moins cher ".
Pour
modifier ces décisions individuelles rationnelles -
mais irrationnelles du point de vue social - nous devons prendre
en compte les coûts et les bénéfices du
capital naturel et adopter un comportement économique
qui soit plus durable.
Comment
progresser ?
Tout
d'abord, nous devons reconnaître la valeur de notre
capital naturel et s'il y a lieu, lui attribuer une valeur
monétaire. Si le Protocole de Kyoto était ratifié
par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur, sa
seule grande influence pourrait être d'attribuer une
valeur monétaire au dioxyde de carbone sur le marché
international de l'échange des droits d'émission
qui suivra son adoption. Lorsque les forces du marché
assigneront une valeur monétaire à la réduction
des émissions de dioxyde de carbone, notre système
économique sera en mesure de résoudre un problème
environnemental de façon normale.
L'attribution
d'une valeur monétaire et l'échange des crédits
de réduction d'émission de dioxyde de carbone
constituent pour nous une occasion d'adopter un comportement
économique efficace. Les émetteurs qui sont
capables de réduire leurs émissions de manière
la plus économique trouveront qu'il est avantageux
de " réduire davantage leurs émission "
et vendront leurs surplus de crédits de réduction
à ceux qui assument des coûts de nettoyage plus
élevés. Il s'agit là d'une occasion pour
la société d'atteindre les réductions
d'émission imposées, à moindres frais.
En réalité, selon une étude réalisée
pour la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie,
les coûts engendrés par l'application du Protocole
de Kyoto au Canada pourraient être réduits de
plus de la moitié s'il existait un programme d'échange
de droits d'émission.
Ensuite,
nous devons trouver de nouvelles méthodes de mesure
et de surveillance du capital naturel afin de pouvoir éventuellement
présenter d'une façon honnête et intelligente
le véritable état de santé et de richesse
de notre pays. C'est pourquoi la Table ronde travaille à
l'établissement d'une série d'indicateurs et
de comptes nationaux du capital naturel.
Le
vote du Parlement sur la ratification du Protocole de Kyoto
va susciter un débat national sérieux sur les
véritables coûts et avantages associés
au changement climatique.
Le
prochain débat sur le Protocole de Kyoto est le bienvenu.
Il nous dira dans quelle mesure le Canada est prêt à
adopter une conception nouvelle de la science économique
qui confère une valeur au capital naturel et intègre
l'environnement à l'économie.
David
J. McGuinty est Président-Directeur général
de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie.
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