Déclaration de la Coalition internationale d'organisations pour les droits humains dans les Amériques

8 novembre 2005

Sommaire

Dans le cadre du quatrième Sommet des Amériques ayant comme thème « Créer des emplois pour combattre la pauvreté et renforcer la gouvernance démocratique », qui se tiendra à Mar del Plata les 4 et 5 novembre 2005, les organisations signataires, membres de la Coalition internationale d’organisations pour les droits humains dans les Amériques (la Coalition), soumet la présente Déclaration aux États membres de l’Organisation des États Américains (OÉA).

La Coalition est un réseau d’organisations non gouvernementales qui se voue à la promotion et à la défense des droits humains dans l’hémisphère et des principes d’ interdépendance et d’indivisibilité des droits. La Coalition œuvre pour que les États membres de l’OÉA s'acquittent de leurs obligations en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits humains auxquels ils sont parties et à assurer la protection de tous les individus, collectivités et peuples se trouvant sous leur juridiction. De même, la Coalition travaille pour faire en sorte que le système interaméricain de protection des droits humains soit renforcé, pleinement accessible, reconnu et accepté par tous les États membres de l’OÉA. Elle s’est également donné comme mission de veiller à ce que cesse l’impunité des violations de droits humains dans l’hémisphère et d’exiger l'élimination de toutes les formes de discrimination, notamment la discrimination fondée sur le sexe, la race, l'origine ethnique et l’orientation sexuelle.

La Coalition reconnaît l’importance du thème choisi pour le IV Sommet des Amériques et souligne l’urgence de prêter une attention accrue aux problèmes liés à la pauvreté, aux disparités économiques et sociales ainsi qu’aux inégalités qui sévissent dans les pays du continent, en adoptant une approche ayant pour objectif le travail décent. La Coalition est fermement convaincue que le renforcement de la gouvernance démocratique et le respect de l’État de droit constituent des facteurs clés pour répondre à ces enjeux. Aussi, nous croyons que la participation citoyenne la plus large possible est essentielle à la consolidation de la démocratie et qu’il est primordial de garantir une participation significative de la société civile durant tout le processus des Sommets.

Les principaux thèmes abordés par la Coalition dans la présente Déclaration sont : 1) le respect des droits humains en tant qu’instrument pour combattre la pauvreté; 2) la primauté des droits humains; 3) la gouvernance démocratique et les droits humains; et 4) la participation publique.


DÉCLARATION

Contexte régional : détérioration des conditions de travail et d’emploi et augmentation des inégalités et de la pauvreté

Nous, organisations signataires de la présente Déclaration, croyons que les États membres de l’OÉA doivent reconnaître que :

    1. La pauvreté constitue, en soi, une violation des droits fondamentaux de la personne. Les processus de flexibilisation et de déréglementation en cours dans la région n’ont pas amené les bénéfices économiques escomptés mais au contraire, ont provoqué la précarisation des conditions de travail, augmenté les disparités sociales et la concentration des revenus et entraîné la suppression d’acquis en matière de droit du travail et de droits syndicaux. Les États doivent donc respecter et promouvoir les droits relatifs aux conditions de travail et d’emploi. Ils doivent ainsi s’engager à ne pas entreprendre des réformes législatives qui pourraient affecter ces droits.
    2. La précarisation affecte davantage les femmes qui, souvent, occupent des emplois « atypiques », à bas salaire, à temps partiel et sans protection. L es femmes affichent un taux de chômage qui est près d’une fois et demie plus élevé que celui des hommes et, bien que le taux de chômage des hommes ait baissé dans certains pays, celui des femmes a augmenté (1). La précarisation exacerbe également les inégalités de salaires entre hommes et femmes et augmente, pour ces dernières, la charge de travail de la « double journée » (la combinaison des tâches professionnelles et du travail domestique et parental), ce qui crée des barrières à la participation citoyenne des femmes.
    3. La détérioration du nombre et des conditions d’emplois se traduit par de hauts de taux de chômage, qui affectent au premier plan les femmes autochtones, les jeunes et les femmes afro-descendantes, et par un accroissement du secteur informel. Ce secteur informel, à l’heure actuelle, représente une des sources principales de création d’emplois, tout en privant les travailleurs de toute forme de couverture sociale. Par ailleurs, cette détérioration du marché de l’emploi presse les individus à occuper des emplois de subsistance faiblement rémunérés avec une faible protection sociale ou à migrer à la recherche d’opportunités de travail.

Dans ce contexte, la Coalition présente aux gouvernements du continent une série de commentaires et de recommandations qui abordent les thèmes du prochain Sommet des Amériques dans une perspective de droits humains.


THÈME 1 : Le respect des droits humains en tant qu’instrument pour combattre la pauvreté

    1. Les États doivent respecter et promouvoir les droits humains (les droits civils et politiques, de même que les droits économiques, sociaux et culturels), selon les principes d’indivisibilité, d’interdépendance et d’universalité. Les États doivent garantir la protection de tous les droits humains en combattant l’impunité et en assurant un accès à la justice qui soit prompt et efficace. En ce sens, les États doivent s’engager à renforcer le système interaméricain de protection des droits humains, c’est-à-dire : a) à assurer l’indépendance et le bon fonctionnement de la Commission et de la Cour interaméricaines des droits de l’homme (notamment en augmentant les ressources financières allouées à ces organes); b) à ratifier tous les instruments interaméricains et internationaux de protection des droits de la personne; et c) à appliquer et respecter cet ensemble de dispositions, car ce dernier constitue le cadre légal régional pour une lutte efficace contre la pauvreté et pour l’atteinte du développement durable.
    2. Les États doivent reconnaître que les garanties sociales et salariales, de même que l’ensemble des principes et règles formant le droit du travail, constituent des droits humains fondamentaux, inaliénables et indispensables. En conséquence, les États doivent respecter les normes établies par le droit international des droits de la personne, particulièrement le droit international du travail. Ils doivent s’abstenir d’adopter des mesures qui nuisent ou empêchent le plein exercice des droits et principes fondamentaux (notamment l’interdiction du travail forcé, le droit à un emploi stable, le droit à un salaire adapté au coût de la vie, l’élimination du travail des enfants, la liberté d’association et le droit de négociation collective, la non-discrimination à l’embauche et durant l’exercice des fonctions) et veiller à ce que les tierces parties les respectent aussi. Les États doivent rechercher une distribution du revenu plus juste par des politiques et mesures législatives visant le respect des droits de la personne et des décisions émanant des organes internationaux (tels que l’OIT) et interaméricains en la matière.


THÈME 2 : La primauté des droits humains

    1. Le plein exercice des droits des femmesen matière de travail implique l’élimination de la discrimination dont elles sont les victimes et de toutes les formes de violence et de harcèlement qui peuvent survenir dans les milieux de travail. Ceci comprend l’exercice sans entraves des droits reproductifs et sexuels et la formulation de politiques d’emploi présentant une « perspective de genre », ainsi que l’égalité dans les conditions de travail (avantages, sécurité sociale, pensions, etc.) et l’équité salariale.
    2. Les États doivent garantir que les politiques économiques et les projets d’intégration régionale respectent le principe de la primauté des droits humains, en particulier les droits du travail, sur les objectifs commerciaux. Les États doivent faire en sorte que les politiques de création d’emplois, ainsi que les mesures publiques visant à réduire la pauvreté, aient comme cadre et fondement la promotion et la défense des droits de la personne et qu’en cas de conflit entre les objectifs commerciaux et la réalisation des droits humains, cette dernière soit privilégiée.
    3. Les États doivent adopter des mesures efficaces pour éradiquer le travail des enfants, en particulier l’exploitation sexuelle et la pornographie employant des personnes mineures, et respecter les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, et les Conventions 138 et 182 de l’OIT.
    4. Les États doivent nécessairement mettre en œuvre des réformes agraires afin de garantir aux travailleurs ruraux l’accès à la terre, à des conditions de travail justes fondées sur la dignité et l’égalité, ainsi qu’à une protection sociale.
    5. En se basant sur les Normes des Nations Unies sur la responsabilité en matière de droits
    de l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises
    , les États doivent s’assurer qu’aucune violation des droits humains (droits reconnus tant en droit international qu’en droit interne ) ne résultera des activités des entreprises . Les États doivent aussi veiller à ce que les entreprises développent des stratégies pour améliorer substantiellement les conditions de travail et les conditions de vie, faire en sorte que les ressources naturelles soient utilisées de façon rationnelle ( se conformer aux normes relatives à la préservation de l’environnement) et garantir une meilleure transparence et responsabilité fiscale. Les États et les entreprises doivent mettre l’accent sur les facteurs contribuant à améliorer la qualité d’emploi, tels que élever les salaires et le pouvoir d’achat des travailleurs et assurer la sécurité d’emploi et permettre un accès à des technologies meilleures.
    6. Toute stratégie de création d’emploi doit s’insérer dans le cadre plus large d’une redistribution égalitaire des revenus .
    7. Les États doivent développer des politiques pour éliminer la discrimination en matière de travail et d’emploi, en faisant la promotion de l’égalité des chances pour les groupes suivants : les personnes migrantes ou réfugiées, les travailleuses et travailleurs migrants, les communautés traditionnelles, les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, les afro-descendantes et afro-descendants, les personnes handicapées, les personnes atteintes du VIH/sida, les jeunes et les personnes âgées. Les États doivent garantir des conditions de travail égales pour ces groupes (accès, participation et intégration), le plein exercice de leurs droits en matière de travail et le respect de leur dignité en conformité avec les instruments interaméricains et internationaux de protection des droits de la personne.
    8. Les États doivent promouvoir l’adoption de politiques publiques visant le respect des droits des peuples autochtones reconnus par la Convention 169 de l’OIT. Ils doivent également garantir la libre détermination des peuples autochtones, le plein exercice de leurs droits territoriaux, incluant le contrôle des ressources naturelles se trouvant sur leurs territoires. En outre, il importe de respecter le principe du consentement préalable, libre et informé des peuples autochtones dans le cadre de tout aménagement ou projet affectant leurs terres, territoires ou ressources naturelles. Les États doivent encourager et appuyer l’élaboration du projet de Déclaration américaine des droits des peuples autochtones.
    9. Les États doivent respecter et appliquer les dispositions de la Déclaration de Durban afin d’éliminer la discrimination raciale et permettre une réelle inclusion des peuples autochtones et afro-descendants dans les sphères économique, politique et sociale. Au sein du Conseil permanent de l’OÉA, les États devront également assurer l’avancement de l’élaboration d’une Convention interaméricaine contre le racisme et toutes les formes de discrimination et d’intolérance.
    10. Les États doivent s’engager à travailler en collaboration avec l’OIT, la société civile et les chercheurs, afin de d’analyser les tendances et les besoins du marché du travail. Les États doivent aussi chercher à créer des programmes pour contrer le problème de trafic illicite d’immigrants et chercher à développer un système transparent qui permette une plus grande liberté de circulation des travailleurs migrants et un accès légal aux emplois.


THÈME 3 : La gouvernance démocratique et les droits humains

    1. Nous, signataires de la présente Déclaration, considérons qu’il n’y a pas de démocratie possible sans le respect des droits humains. Selon plusieurs rapports des Nations Unies (notamment des rapports de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que des rapporteurs spéciaux), la négociation et l’adoption de traités de libre-échange ainsi que la mise en branle du processus d’intégration économique créent des obligations commerciales qui risquent d’affecter la capacité des États à remplir leurs obligations en matière de droits humains. Le IV Sommet des Amériques doit se prononcer sur les répercussions de ces traités et du processus d’intégration économique en traitant des thèmes de l’emploi, la pauvreté et la gouvernance démocratique. Les documents qui émaneront du IV Sommet devront reconnaître expressément la primauté des droits humains sur les traités ou accords commerciaux et sur les politiques économiques, les politiques de sécurité nationale et les politiques de lutte contre le terrorisme.
    2. Les États devront également veiller à ce que les services publics ne se détériorent pas en conséquence de l’application de leurs obligations contenues dans les accords commerciaux. Les États devront veiller aussi à ce que les acquis sociaux ne soient pas affectés et ce, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité alimentaire et de la sécurité sociale. De plus, les États doivent garantir le respect des normes de droits humains dans le cadre des décisions prises par des organes de règlement des différends ou des organes qui supervisent l'application d’accords commerciaux ou de libre-échange.
    3. Les États doivent réaffirmer leur engagement à défendre et à respecter les principes contenus dans la Charte démocratique interaméricaine, particulièrement l’article 10 de la Charte, concernant les droits des travailleurs. Les États doivent notamment réaffirmer l’interdépendance de la démocratie et du développement économique, de même que l’importance du renforcement des institutions démocratiques. Aussi, les États devront s’ouvrir à ce que la société civile et les instances régionales de défense des droits humains puissent contribuer à l’évaluation de la situation démocratique des pays.
    4. Les États doivent reconnaître le rôle essentiel que jouent la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour assurer le respect des droits humains dans la spère politique et pour le renforcement des institutions démocratiques.
    5. Nous, signataires de la présente Déclaration, demandons aux États d’accélérer les discussions et l’approbation d’une Charte sociale des Amériques, en prenant en compte les recommandations des organisations de la société civile à ce sujet.


THÈME 4 : Participation publique

    1. Nous, signataires de la présente Déclaration, demandons aux États qu’ils assurent la consolidation de la vie démocratique en garantissant une large participation de la société civile, et en garantissant à toutes et tous le droit à l’accès à l’information publique aux plans national et régional. Les États doivent s’engager notamment à entreprendre les réformes nécessaires afin de garantir ce droit qui est une condition essentielle à la participation citoyenne responsable.
    2. Les mécanismes de suivi des Sommets devront être renforcés, ainsi que la participation des institutions issues de la société civile aux activités de l’OEA , en tenant compte notamment de la Résolution du Conseil permanent de l’OÉA No. CP/RES.759 (1217/99) et la Déclaration de Nuevo León. La participation de la société civile devra être institutionnalisée de façon à prévoir l’élaboration d’ordres du jour précis pour les rencontres entre le Groupe d’évaluation de la mise en œuvre des initiatives des Sommets et la société civile, le respect de certains délais pour la diffusion préalable des documents à l’étude et la systématisation du suivi quant au degré de prise en compte des recommandations de la société civile lors de la prise des décisions par les gouvernements.
 

Notes

1. ILO, 2004 Labour Overview : Latin America and the Caribbean, p. 27. Étude réalisée à partir des données recueillies en Argentine, au Brésil, au Chili, en Colombie, au Costa Rica, au El Salvador, au Mexique, au Pérou, en Uruguay et au Vénézuéla.

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Documenter les violations des droits des femmes par les acteurs non étatiques (Enlever)
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