Godeliève Mukasarasi (Rwanda)

Godeliève Mukasarasi
Photo par Isabelle Solon-Helal, Droits et Démocratie

C'est à Godeliève Mukasarasi (Rwanda) que le Prix John-Humphrey pour la liberté est décerné cette année pour souligner sa contribution exemplaire à la promotion des droits de la personne et du développement démocratique. Rescapée du génocide, fondatrice de SEVOTA (Structure d'Encadrement des Veuves et des Orphelins de Taba), travailleuse sociale au Réseau des femmes oeuvrant pour le développement rural, madame Mukasarasi est incontestablement une militante exceptionnelle pour la défense des droits des femmes rwandaises.

« Avec son courage, sa ferveur et son engagement inlassable, elle est parvenue à gagner la confiance des victimes de viols et de violence sexuelle, plus particulièrement auprès de celles qui ont contracté le VIH-sida, à briser le silence et la honte et contribuer à assurer que ces femmes obtiennent justice » souligne madame Kathleen Mahoney, présidente du Conseil d'administration de Droits et Démocratie, à propos de la lauréate.

Le Prix John Humphrey pour la liberté est décerné chaque année par Droits et Démocratie afin d'honorer un organisme ou une personne de toutes les régions du monde, y compris le Canada, pour sa contribution exemplaire à la promotion des droits de la personne et du développement démocratique. Il a été créé pour rendre hommage à un Canadien, John Peters Humphrey, professeur de droit qui a préparé le premier projet de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Prix comprend une bourse de 25 000 $ et prévoit une tournée des villes canadiennes afin de sensibiliser le public au travail de la lauréate ou du lauréat dans le domaine des droits humains. >>>

Biographie : Godeliève Mukasarasi

Née à Gitarama en 1956, veuve et mère de quatre enfants, Godeliève Mukasarasi est assistante sociale de formation et travaille depuis plus de 25 ans pour le développement du milieu rural.

À la fin de la guerre et du génocide de 1994 au Rwanda, elle met sur pied une Structure d'encadrement des veuves et des orphelins, SEVOTA, situé à Taba, afin de promouvoir les droits socio-économiques. L'organisme SEVOTA réunit 80 regroupements composés de 2 000 membres, répartis dans toutes les cellules administratives (à la base) et dans les centres d'accueil des rescapés du génocide et des victimes de violences et traumatismes variés.

Pour les aider à retrouver leurs forces et reconstruire leur vie, elle a suscité la création d'espaces de dialogue dans un cadre intimiste afin de permettre aux femmes de partager leurs peines. Le résultat est le Réseau des femmes pour la paix (URUNANA), composé de 230 victimes de violences et du viol, qui ne fait aucune distinction ethnique (Hutu et Tutsi), dont l'objectif est l'auto-guérison de leurs traumatismes, le recouvrement de leur dignité humaine, l'entraide et la solidarité pour palier à leurs problèmes. Quelques-unes de ces femmes ont aussi des enfants nés du viol et la plupart sont séropositives.

Elle a aussi favorisé des espaces récréatifs, sportifs et de counselling pour les enfants en détresse. En octobre 1996, elle reçoit le Prix international pour la créativité de la femme rurale de la Fondation sommet mondial des Femmes à Genève.

En décembre 1996, son mari et sa fille sont abominablement tués avec neuf autres personnes, par des bandes armées, ce qui l'afflige profondément. Cependant, grâce à son courage exceptionnel dans les moments difficiles, elle n'a jamais perdu espoir. Elle a continué à lutter pour les droits des femmes pauvres et vulnérables.

De concert avec les victimes du viol et en collaboration avec d'autres femmes activistes des droits humains, elle a influencé la loi organique sur le génocide au Rwanda et les crimes contre l'humanité, spécialement les article sur le viol sexuel qui furent désormais classés au même titre que les crimes de la 1ère catégorie. Elle jouit d'une bonne réputation en matière d'égalité des genres, des droits et de la lutte contre les violences à tous les niveaux. Elle effectue d'ailleurs des recherches axées sur la problématique de genre.

Membre de la coalition de lutte contre la violence, elle a encouragé les femmes à donner des témoignages par l'intermédiaire des médias pour influencer la communauté à tous les niveaux ainsi qu'auprès du Tribunal international pour le Rwanda pour lutter contre l'impunité.

Membre active du Réseau des femmes oeuvrant pour le développement rural, elle a reçu le premier prix national des membres qui promeut une image positive de la femme; intitulé " Prix Nzambazamariya Vénéranda " lauréate du prix pour la paix. Chaque année, elle contribue aussi à l'organisation du Prix pour les femmes rwandaises du milieu rural lors de la Journée internationale de la femme rurale, le 15 octobre. Membre et para-juriste de l'association de Haguruka (droits de le femme et de l'enfant) et du Comité d'administration du Collectif Pro-Femmes Twese Hamwe, de la SWAA Rwanda Ihumure et Agente du Réseau des femmes chargée de la stratégie de formation, elle œuvre pour les droits, la paix, l'égalité des genres et le développement dans son pays.

Femmes et génocide : le non dit.
par Françoise Nduwimana

Les victimes du génocide rwandais ne sont pas toutes mortes durant les cent jours qui ont fait basculer l'histoire du Rwanda. Alors qu'on commémore le 10e anniversaire d'une tragédie qui aura marqué la mémoire collective, le génocide des Tutsi et le massacre des opposants Hutu, ce génocide continue d'emporter des vies humaines, notamment celles des femmes qui ont été violées et infectées par le sida. Elles ont été frappées d'une autre forme de mort atroce, innommable et insidieuse. Une mort à petit feu. Une invisible extermination.

Ces femmes sont liées par un triple et triste destin à savoir le génocide, le viol et l'infection au sida, elles n'ont que la mort comme horizon. Il devient alors difficile de parler de rescapées ou de survivantes, alors que la mort n'a jamais cessé de s'acharner contre elles. Le moment est donc bien choisi pour proposer, à partir de données et témoignages recueillis au Rwanda en février 2004, une réflexion sur le droit à la survie de ces femmes.

Génocide, viol et sida

Le 29 janvier 1996, un rapport des Nations Unies révéla l'ampleur du phénomène des violences sexuelles commises durant le génocide. Ce rapport affirma que le viol, utilisé comme arme de guerre, était systématique, constituait la règle et son absence, l'exception. Le rapport signala également que " …les miliciens ont utilisé le virus comme une arme vouée à transmettre ultérieurement la mort. " Des travaux ultérieurs centrés exclusivement sur la violence contre les femmes, apporteront un meilleur éclairage sur la nature, l'étendu, les conséquences et les auteurs des viols et autres atrocités physiques dont les femmes ont été victimes.

Un rapport de HRW/FIDH, s'il admet la difficulté de prouver avec certitude que la transmission du sida a été faite pendant les viols, dit: "Néanmoins, il est certain que des femmes ont été infectées au moment où elles ont été violées".

De même, se basant sur les témoignages des victimes comme le cas de Jeanne à qui son violeur n'avait pas caché son ultime intention en lui déclarant " J'ai le sida et je veux te le transmettre," madame Radhika Coomaraswamy, dit " Nombreuses sont les femmes qui, comme Jeanne ont survécu au génocide mais ont attrapé le sida. "

Aujourd'hui, les ravages du sida dans les rangs des femmes violées confirment que le viol fut utilisé pour transmettre cette maladie. En effet une étude publiée en décembre 1999 par AVEGA-AGAHOZO a établi que 66,7% des victimes des violences physiques et du viol étaient séropositives. Les Nations Unies estiment qu'entre 250 000 et 500 000 femmes ont été violées pendant le génocide.

Quelles leçons?

Stéréotypées et stigmatisées sous le prisme de la sexualité, les femmes Tutsi à qui le tristement célèbre journal Kangura a attribué des prouesses sexuelles, ont été présentées comme des êtres qui constituent une menace à l'homogénéité du sang hutu. Décrites comme des objets de tentation pour les hommes Hutu, les femmes Tutsi furent ainsi utilisées comme le préambule d'un appel à l'unité ethnique des Hutu.

Une telle fixation sur le sexe jette les bases de la construction d'une haine ethnique à partir des femmes, réduites à la sexualité. Cela soulève deux enjeux d'ailleurs conflictuels si on les analyse selon l'imaginaire rwandais.

Le premier est la reconnaissance non tacite du fait que les femmes ont le pouvoir, exceptionnel, de donner la vie. Le deuxième concerne l'acceptation de l'appellation Nyampinga qui présente les femmes comme des citoyennes sans identité ethnique. En effet, à l'image de toute société marquée par le patriarcat, la filiation au Rwanda est patrilinéaire.

La question fondamentale qu'il faut cependant dégager réside dans les contradictions de la notion de Nyampinga. Si la femme n'avait pas d'ethnie, il n'y aurait pas eu tant de haine à son égard. Comment expliquer cette crainte de voir les hommes Hutu épouser les femmes Tutsi? Comment expliquer que des femmes Hutu qui avaient épousé des Tutsi ait été décrites comme des traîtres à la cause hutu au point de subir des viols en guise de représailles politiques? Le problème n'est pas d'appartenir à une ethnie donnée, mais d'utiliser cette appartenance à des fins discriminatoires.

La profanation de l'intégrité féminine durant le génocide rwandais, qui a pris la forme des violences sexuelles, d'un acharnement jamais vu auparavant à détruire le sexe de la femme, reflète donc deux réalités conflictuelles à savoir la négation de la femme et la crainte du pouvoir qu'elle a en tant que procréatrice. Et la propagande haineuse contre les femmes, bâtie à partir de la sexualité, si elle dégrade la femme au point de la réduire à un objet sexuel, elle révèle aussi à quel point la femme dotée d'un pouvoir unique de donner la vie, définit la nation rwandaise.

C'est dans cette même perspective et stratégie qui aura consisté à détruire d'abord la femme et par effet d'entraînement, annihiler toute la progéniture, qu'il faut aussi analyser la question du sida. La transmission du sida était une arme triplement efficace aux yeux des génocidaires. La femme violée et infectée allait être une potentielle source de contamination pour ses futurs partenaires, elle allait mettre au monde des enfants dont les chances de survie étaient très minces et elle allait finalement mourir, entraînant plusieurs décès derrière elle.

Quelles réponses?

L'inscription du sida au chapitre des conséquences des viols pratiqués pendant le génocide reconfigure la perception de la justice, parce qu'en absence de traitements, les rescapées sont exposées à une sentence de mort. Au Rwanda, même si le prix des traitements antirétroviraux a été réduit de 200%, passant 6,000 USD par mois en 1999, à 30 USD en 2004, il demeure inaccessible aux personnes sans revenu.

Les femmes concernées sont majoritairement des personnes indigentes. Pour celles d'entre elles qui vivent grâce à l'agriculture, leur revenu mensuel est estimé à moins de 10 $. Et face à un programme national d'accès à la trithérapie dont la capacité ne dépasse pas 7,000 patients, les chances d'éligibilité de ces femmes sont très faibles.

Il est donc urgent de trouver des mécanismes de justice et de réhabilitation sociale qui tiennent compte de cette particularité. Le sida leur a été transmis dans un cadre bien précis, le génocide, et l'infection revêt un caractère criminel.

Or les victimes ont unanimement condamné le fait qu'elles soient délaissées par la justice. Elles demandent comment on peut tolérer que les génocidaires soient bien nourris et soignés par le TPIR, pendant qu'elles meurent dans l'indifférence totale. Elles réclament du TPIR plus d'attention aux crimes à caractère sexuel et aux conséquences qui en découlent. Ce tribunal est doté d'un règlement qui l'autorise à assurer la réadaptation physique et psychologique des témoins et victimes et elles lui demandent d'adopter une politique sur l'accès des victimes et témoins aux antirétroviraux et aux soins qui s'y rattachent.

Les organisations vouées à la solidarité internationale sont également interpellées. Une stratégie plus active et pro victimes dans la lutte contre le sida est nécessaire. Les victimes des viols et du sida ont le droit de prolonger leur espérance de vie grâce à l'accès aux traitements.

C'est à ce prix que la survie aura un sens. C'est à ce prix que des groupes de femmes violées et séropositives comme l'association Duhozanye de Cyangugu, ne seront plus obligées de partager leurs maigres ressources entre les frais d'hospitalisation et l'achat de cercueils. Sur trente membres de cette association, il ne reste que vingt deux. Huit femmes sont mortes l'an passé. Victimes du sida? Certes. Mais avant tout, victimes du génocide.

Documents

  • Libertas - Bulletin trimestriel de Droits et Démocratie - Édition spéciale Prix John-Humphrey 2004
  • Dépliant sur la Structure d'encadrement des veuves et des orphelins pour le travail et l’autopromotion (SEVOTA) et le travail qu'y réalise Godeliève Mukasarasi
  • Sensibilisation sur les droits humains au Rwanda par Godeliève Mukasarasi
  • Site Web de la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits 
  • Le point sur l'épidémie de SIDA : Rapport annuel 2004 du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
  • Le droit de survivre : Femmes, violence sexuelle et VIH/sida, par Françoise Nduwimana. - PDF (829 Ko)
 
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