Commission du droit du Canada Canada
English Contactez-nous Aide Recherche Site du Canada
Accueil Salle de lecture Salle des nouvelles Plan du site Liens
Quoi de neuf
À propos de nous
Recherche de services
Événements à venir
Coin du président
Projets de recherche
Les traditions juridiques autochtones
La gouvernance au-delà des frontières
Le travailleur vulnérable
Une question d'âge
Qu'est-ce qu'un crime?
Ordre et sécurité
Réforme électorale
Les sûretés fédérales
Justice transformatrice
Au-delà de la conjugalité
Sévices contre les enfants placés en établissements
Projet sur les collectivités
Gouvernance de la recherche en santé avec des sujets humains
Autre recherche
Concours, Compétitions et Partenariats
Les rapports ministériels
Ressources
Version imprimableVersion imprimableEnvoyez cette page par courrielEnvoyez cette page par courriel

Page d'accueil Projets de recherche La gouvernance au-delà des frontières Publications Document de discussion - Au-delà des frontières : Le droit à l'ère de la mondialisation Partie deux : Élaboration du droit, légitimité et responsabilisation

Projets de recherche

La gouvernance au-delà des frontières

Publications

PARTIE DEUX : ÉLABORATION DU DROIT, LÉGITIMITÉ ET RESPONSABILISATION

I. ORDRES DE DROIT DISTINCTS

Le régime juridique moderne reconnaît deux ordres de droit différents (et parfois séparés) : le droit international et le droit interne.

A. Le droit interne

Le droit interne est le corps de principes avec lequel la plupart des gens doivent composer la plupart du temps. Au Canada, il prend la forme de lois adoptées par les assemblées législatives ou de règlements pris par les organes exécutifs. À l’extérieur du Québec, le droit interne est aussi constitué par la common law, corps de principes élaboré par les tribunaux en tenant compte des précédents et se perpétuant avec le plus de vigueur dans les matières relevant du droit privé tels que les délits civils, les contrats et le droit des biens. La base du droit interne est constituée par le droit constitutionnel qui, au Canada, comporte une composante écrite et une composante non écrite. Le droit constitutionnel codifié ne peut être modifié que conformément à des procédures spéciales et a préséance sur des dispositions législatives en cas de conflit. Le droit constitutionnel non écrit se voit aussi reconnaître cette primauté, mais il est plutôt le produit des décisions rendues par les tribunaux.

B. Le droit international

Le droit international épouse lui aussi diverses formes. Les deux principales sources du droit international sont les traités et le « droit international coutumier ». En termes clairs, les traités sont des accords négociés entre États et qui ont force de loi. Les traités conclus entre deux États sont dits « bilatéraux », alors que ceux auxquels de nombreux États sont parties sont dits « multilatéraux ». L’utilisation du terme « traité » n’a rien de magique. Les traités peuvent aussi être appelés conventions, pactes, protocoles, accords, chartes et statuts. Bien qu’il y ait des raisons historiques à l’utilisation de ces termes, l’effet juridique d’un traité sur le plan international ne varie pas en fonction du terme utilisé pour le désigner.

Il existe littéralement des milliers de traités, liant les États les uns aux autres par l’intermédiaire d’un système complexe d’obligations bilatérales et multilatérales. Certains, qui se limitent à un échange de promesses entre États quant à la conduite à adopter sur la scène internationale, ont une incidence sur la politique étrangère d’un État sans qu’il soit besoin d’apporter des modifications au droit interne. D’autres obligent les États à modifier leurs politiques, leurs pratiques et souvent leurs lois afin de respecter les obligations qui y sont énoncées.

Le droit international coutumier est bien différent. Les traités lient les États qui en sont parties, mais généralement aucun autre. Le droit international coutumier lie tous les États, à l’exception de ceux qui l’ont rejeté de façon persistante avant qu’il ne s’impose en tant que norme contraignante. Le contenu d’un traité est déterminé d’après son libellé. Le droit international coutumier est beaucoup plus vague. Il découle d’une pratique générale et consistante des États, qui croient que le droit les obligent à agir de la sorte (opinio juris). Lorsque ces deux ingrédients – pratique des États et opinio juris – sont suffisamment répandus parmi les États du monde (seuil qui n’est pas clairement défini par le droit international), on dit de la pratique en question qu’elle a obtenu le statut de droit international coutumier.

À cet égard, il est fréquent que l’on cite comme exemple la Déclaration universelle des droits de l’homme. Initialement adoptée sous forme de résolution par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948, la Déclaration avait pour objet d’énoncer des aspirations et n’avait pas force de loi. Il s’agissait, en d’autres termes, de la « soft law », un concept sur lequel nous reviendrons plus loin. Au fil du temps, toutefois, sous l’effet combiné de la pratique des États et de l’émergence d’un consensus quant au caractère obligatoire du respect des droits énoncés dans le document, nombreux en sont venus à conférer à la Déclaration le statut de droit international coutumier, en tout ou du moins en partie. En 1995, un ministre canadien affirmait que : « Le Canada considère que les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme sont enchâssés dans le droit international coutumier qui lie tous les gouvernements4 ».















Appui à la démocratisation des organismes internationaux

[…] [N]ous avons demandé aux Canadiens et Canadiennes quel rôle le public devrait jouer dans les prises de décisions au sein des organismes internationaux. Pouvant choisir entre trois différents niveaux de démocratisation, une forte majorité des répondants a préféré l’option mitoyenne… Les Canadiens ne veulent pas laisser les choses aux mains des seuls gouvernements (ou des organismes internationaux), un tiers d’entre eux aimeraient que le public soit un participant actif, mais environ trois répondants sur cinq choisissent une plus grande transparence et davantage d’information publique. Tant que la responsabilisation et la transparence existent effectivement, les Canadiens ne croient pas qu’il faille introduire des procédés de participation publique approfondie, pas plus qu’ils ne croient que les organismes internationaux devraient fonctionner selon des règles de gouvernance administrative et de régie de société qui excluraient le public. Les attentes canadiennes sont raisonnables : la plupart ne s’attendent pas à participer activement aux prises de décisions au niveau international, mais ils espèrent le type de transparence qui leur permettrait de garder leur gouvernement responsable. [traduction]

R. Wolfe et M. Mendelsohn, « Embedded Liberalism in the Global Era: Would Citizens Support a New Grand Compromise? » (2004) 59:2 International Journal 261 à la page 276.

II. ÉLABORATION DU DROIT ET QUESTIONS DE LÉGITIMITÉ

A. L’élaboration du droit interne

L’élaboration du droit interne obéit à un processus très strict dont nous n’exposerons pas les procédures de façon détaillée, nous limitant à en donner une description simplifiée.

Les lois internes sont adoptées par les corps législatifs fédéral et ceux des entités fédérées, conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution du Canada. Au palier fédéral, le Parlement est formé de deux chambres – la Chambre des communes et le Sénat – où les projets de loi sont étudiés et examinés, conformément aux règles de procédure de chaque chambre, tant en séances plénières qu’en comités parlementaires. Les membres du public concernés par le projet de loi peuvent comparaître devant ces comités afin de présenter leur point de vue. En général, le processus législatif parlementaire est à la fois transparent et participatif, ce qui lui confère une crédibilité et une légitimité démocratique.

La plupart des projets de loi finalement adoptés sont présentés au Parlement par l’organe exécutif – le gouvernement – et presque sans exception franchissent les diverses étapes du processus parlementaire avec le soutien du parti au pouvoir. Étant donné que, jusqu’à récemment, le parti au pouvoir a obtenu une majorité des sièges à la Chambre des communes et une majorité écrasante au Sénat, les projets de loi parrainés par le gouvernement ont généralement été adoptés sans trop de difficultés.

L’organe exécutif détient aussi un important pouvoir réglementaire qui lui est délégué dans les lois adoptées par le Parlement. La prise de règlements au niveau fédéral se fait selon un processus raisonnablement transparent, qui donne notamment l’occasion aux parties concernées de commenter les propositions. S’il le voulait, le Parlement pourrait adopter de nouvelles lois retirant son pouvoir de réglementation à l’exécutif ou en abrogeant un règlement. De fait, en vertu de modifications récemment apportées à la loi fédérale, chacune des deux chambres du Parlement peut abroger un règlement fédéral par simple adoption d’une résolution à cet effet, ce qui a pour effet d’accroître la légitimité du processus de prise des règlements.

Bien que la common law soit un système de droit selon lequel les tribunaux se servent de précédents pour orienter leurs décisions, elle n’est pas la création fantaisiste de quelques juristes. Premièrement, non seulement les précédents ont-ils une importance réelle, mais la hiérarchie des instances judiciaires permet de normaliser l’interprétation qui est faite du contenu de la common law et de rectifier les décisions aberrantes. Deuxièmement, la common law est subordonnée au droit législatif. Le Parlement est libre d’abroger une règle de common law en adoptant des mesures législatives en la matière.





B. L’élaboration du droit international

Les processus d’élaboration du droit international et du droit interne sont entièrement différents. Contrairement au processus pour le droit interne, les normes de droit international sont à peine examinées et étudiés par les législateurs ou le public avant, pendant ou après leur adoption. Cette absence de surveillance étroite du processus par les représentants élus de la population soulève bien sûr des questions sur le plan de la légitimité démocratique interne.

1. Les traités

a) La négociation des traités

Les traités sont le fruit de négociations entre des États souverains. Il n’existe toutefois pas de méthode unique pour la négociation d’un traité international. Dans le cas des traités multilatéraux, il est fréquent que le texte du traité soit d’abord élaboré dans le cadre de négociations s’échelonnant sur plusieurs années, pour ensuite faire l’objet de conférences préparatoires et finalement de conférences internationales où les parties se réunissent afin d’aplanir les dernières difficultés.




Les parties ont virtuellement toute liberté pour élaborer et conclure des traités. Il n’y a ni forme ni procédure prescrite, le libellé du traité et l’identité de ses signataires étant fonction de l’intention et du consentement des États concernés. Les traités peuvent être négociés entre des États, des gouvernements, des chefs d’État ou des ministères, selon ce qui semble le plus opportun. [traduction]

M. Shaw, International Law, 9e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2003 à la p. 815.

b) La négociation des traités en tant que prérogative du pouvoir exécutif

Les négociations internationales sont la prérogative des gouvernements, représentés par des agents responsables du pouvoir exécutif (parfois accompagnés de représentants de l’industrie ou des organismes non gouvernementaux concernés).

En vertu de la loi canadienne, le ministre des Affaires étrangères a pour mandat « de mener et de gérer les négociations internationales auxquelles le Canada participe » ainsi que « d’encourager le développement du droit international et son application aux relations extérieures du Canada5 ». En pratique, les ministères fédéraux spécialisés jouent un rôle important et souvent prédominant dans la négociation des traités relevant de leur sphère de compétence et de responsabilité, Affaires étrangères Canada assurant la coordination du processus. Les négociations sont menées par des fonctionnaires et seulement à titre exceptionnel (et aux dernières étapes du processus) par les ministres mêmes. Les traités sont signés par des représentants du gouvernement auxquels le Cabinet fédéral a conféré les pleins pouvoirs pour agir à ce titre.

Les différents ministères consultent les parties concernées et les membres du public sur les questions de politique publique, y compris celles ayant trait aux affaires étrangères et au commerce international. Cependant, le processus de négociation des traités n’est pas toujours transparent. De fait, les efforts déployés par les membres du public (ou même par les parlementaires) en vue d’obtenir des renseignements sur la négociation d’un traité ou sur d’autres négociations internationales peuvent être repoussés par le gouvernement. La Loi canadienne sur l’accès à l’information ne s’applique ni aux organismes intergouvernementaux ni aux positions prises par le gouvernement dans le cadre de négociations internationales6.

Il arrive que les délégations de certains États comprennent des membres du pouvoir législatif. Il semble toutefois que, dans la pratique canadienne, les législateurs soient rarement impliqués directement dans la négociation des traités.

Questions à débattre :

1.À qui faudrait-il confier la négociation des traités du Canada? Faudrait-il y faire jouer un rôle formel aux parlementaires et aux agents non gouvernementaux? Dans l’affirmative, quel devrait être ce rôle?

2.L’approche actuelle du gouvernement en matière de consultation du public sur les positions défendues par le Canada dans le cadre des négociations internationales est-elle adéquate? Qui le gouvernement devrait-il consulter? Quel devrait être le rôle du Parlement? Faut-il prévoir un processus formel ou officieux? Faudrait-il moduler l’approche adoptée en fonction du type de traité, de ses répercussions possibles ou d’autres facteurs?

3.De façon plus générale, quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre pour informer le Parlement, les autorités infranationales, les fonctionnaires et les Canadiens et Canadiennes, tant à l’interne qu’à l’externe, de la portée et de la nature des obligations internationales actuelles et futures?




En réalité, l’exécutif fédéral contrôle toutes les étapes du processus. Ce contrôle s’étend également au contenu des négociations, qui sont bien souvent secrètes. Ce secret est d’ailleurs un élément important de la stratégie de négociation du gouvernement fédéral; rien − ou bien peu n’est pas rendu public avant que les parties n’aient convenu d’un accord de principe sur le contenu ou même sur le libellé du traité.

Bibliothèque du Parlement, Les traités internationaux : la pratique canadienne (avril 2000, PRB 00-04F).

c) La négociation des traités en tant que monopole fédéral

La Constitution du Canada répartit les pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, chacun (en théorie, du moins) ayant compétence exclusive dans certains domaines. Ainsi, par exemple, l’éducation, la propriété, les droits civils et la prestation des services de soins de santé sont de la compétence des provinces, tandis que l’activité bancaire, le droit criminel, les droits d’auteur et les activités militaires relèvent de la compétence fédérale. En revanche, aucune disposition constitutionnelle ne précise de quel ordre de gouvernement relèvent les affaires internationales. Dans les faits, le gouvernement fédéral a réclamé et exercé le droit de représenter le Canada sur la scène internationale. Il n’en reste pas moins que le gouvernement fédéral ne peut adopter de lois dans les domaines qui relèvent de la compétence des provinces, même pour ce qui concerne les questions liées au droit international. Le gouvernement fédéral a donc besoin de la collaboration des provinces pour l’adoption de lois donnant effet aux accords internationaux dans les sphères qui relèvent de la compétence des provinces.

Le rôle qui revient aux autres ordres de gouvernement dans le domaine international (provincial, territorial, autochtone et municipal) fait l’objet d’une controverse politique. Depuis les années 1960, le Québec en particulier a rejeté le monopole fédéral en matière de conclusion des traités.

En 2004, le Bloc Québécois a déposé devant la Chambre des communes un projet de loi (projet de loi C-260) sur la négociation et la conclusion de traités. Le projet de loi proposait d’interdire au gouvernement canadien de négocier ou de conclure, « sans avoir consulté au préalable le gouvernement de chacune des provinces », un traité portant sur une des sphères de compétence des provinces ou ayant une incidence sur le pouvoir législatif des provinces. Le projet de loi a été rejeté en septembre 2005, les députés du parti au pouvoir s’y opposant exprimant l’avis que les provinces étaient déjà suffisamment consultées.

« L’hypothèse voulant que le projet de loi [C-260] soit nécessaire pour garantir la consultation des provinces au sujet de traités concernant un secteur de compétence provinciale est tout simplement sans fondement. Rien n’est plus contraire à la vérité.

Le gouvernement du Canada a une pratique bien établie : il consulte les provinces à toutes les étapes de l’élaboration des traités qui concernent un secteur relevant de leur compétence. … En un mot, le gouvernement fédéral ne serait pas en mesure de ratifier un traité s’il n’était pas raisonnablement sûr qu’il puisse être mis en oeuvre. Aussi, lorsque le Canada veut ratifier un traité comportant des obligations dans un domaine de compétence provinciale, l’exécutif fédéral doit nécessairement consulter les provinces.

En outre, avant la ratification des traités, le gouvernement fédéral demande aux provinces la confirmation écrite qu’elles les appliqueront et que leur législation est conforme aux obligations contenues dans ces traités.

… Il n’est pas inhabituel pour les représentants des provinces et des territoires de se joindre aux délégations canadiennes responsables des négociations dans le cadre de négociations de traités touchant aux compétences provinciales et territoriales. »

Remarques du député libéral Wajid Khan, Débats de la Chambre des communes (18 mai 2005), 1ère Session, 38e Législature, aux pp. 1840 à 1845.

Certains observateurs se demandent si les provinces participent suffisamment au processus d’élaboration des traités. À cet égard, une publication de la Bibliothèque du Parlement fait observer que « même si les provinces sont habituellement tenues informées des négociations relatives aux accords commerciaux, elles ne sont que des participants mineurs et, sauf exception, sont complètement exclues du processus décisionnel7 ».

Les mêmes questions se posent avec les gouvernements autochtones. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont négocié avec les peuples autochtones des ententes sur l’autonomie gouvernementale. Dans le Guide de la politique fédérale sur L’approche du gouvernement du Canada concernant la mise en oeuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie, le gouvernement précise les sphères de compétence des gouvernements et institutions autochtones pouvant faire l’objet de négociations. La politique exclut expressément de ces sphères les pouvoirs liés à la souveraineté du Canada, à la défense et aux affaires étrangères, notamment les relations internationales et diplomatiques, ainsi que la politique étrangère, les traités internationaux et le commerce international. Cependant, dans un certain nombre d’ententes récentes sur l’autonomie gouvernementale récentes, le gouvernement fédéral formalise le processus de consultation s’appliquant aux domaines prévus dans l’entente, tels que les pêches. De plus, il a en général fait de même lorsque des accords internationaux ont une incidence sur les droits faisant l’objet de l’entente. Ainsi, l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador dispose que :

17.27.3 Avant de consentir à être lié par une entente internationale qui peut toucher un droit du Gouvernement Nunatsiavut, d’un gouvernement de communauté inuite ou des Inuit en vertu de l’Accord, le Canada consulte le Gouvernement Nunatsiavut soit directement soit par la voie d’un forum. [traduction]

Question à débattre : 

4. Quels sont les avantages et les inconvénients de l’actuel processus de consultation avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones? Y a-t-il lieu de l’améliorer? Faudrait-il prévoir un processus formel obligatoire pour faire participer les ordres infranationaux de gouvernement à la négociation des traités portant sur des questions qui relèvent de leur compétence?









[…] [L]e gouvernement fédéral concède que les gouvernements provinciaux occupent une place clé dans l’élaboration de toute position canadienne lors de rencontres de nombreux organismes internationaux. S’ils considèrent que le rôle premier de représentation relève exclusivement du fédéral, ils croient toutefois que l’on ne peut adopter de positions de négociation réalistes sans une étroite coopération avec les représentants officiels des provinces. Pour ce faire, ils ont accepté d’adopter divers procédés pour que la position canadienne reflète bien les points de vue des provinces et soient acceptables par les gouvernements de ces dernières. Ils n’ont toutefois pas désiré formaliser ces arrangements dans un document public de quelque sorte, et encore moins de les enchâsser dans la législation ou dans quelque disposition constitutionnelle. Cette réticence continue de causer du mécontentement chez les représentants des provinces. Dans certains secteurs et pour certaines provinces, notamment le Québec, la tension entre le monopole fédéral de la représentation internationale et les ramifications internationales de la compétence provinciale demeure un élément de contentieux sérieux.

A. de Mestral, « The Provinces and International Relations in Canada » dans Le fédéralisme dans tous ses états : Gouvernance, identité et méthodologie / The States and Moods of Federalism: Governance, Identity and Methodology, sous la direction de J.-F. Gaudreault-DesBiens et F. Gélinas, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, à la p. 321.

d) Le processus de ratification : Qui a le pouvoir de lier le Canada?

Conformément au droit international, un État est lié par un traité international une fois qu’il a établit son consentement à être lié par ledit traité. Ce consentement peut être exprimé de diverses façons, mais il prend généralement la forme d’une simple signature apposée par le représentant autorisé du gouvernement ou, plus souvent dans le cas des traités multilatéraux, d’une signature suivie par la « ratification » du traité. Le droit international ne dicte pas de procédure pour procéder à cette ratification, cette question étant régie par le droit interne des États concernés.

Au Canada, la signification du consentement à être lié est du ressort du Gouverneur en conseil – essentiellement le Cabinet fédéral – exerçant sa prérogative royale. Ainsi, l’organe exécutif peut choisir de signer et de ratifier un traité international liant le Canada en vertu du droit international sans recourir au Parlement.

Réformes démocratiques en Australie

En vertu des réformes de 1996, conformément à la pratique administrative plutôt qu’à la loi, tout nouveau traité doit être déposé au Parlement au moins 15 jours de séance avant la prise d’une action liant l’État, bien que ce délai puisse être écourté ou prolongé lorsque les circonstances le justifient. Chaque traité est déposé avec une analyse de l’intérêt national (AIN), document public préparé par l’organisme hiérarchique responsable en consultation avec le ministère des Affaires étrangères et du commerce (MAÉC). L’AIN indique les raisons pour poser l’acte en question, décrit les obligations du traité et les coûts qui y sont liés, et fait état des consultations qui ont eu lieu. Le traité et l’AIN sont déposés au Parlement pour être soumis à l’examen du CMPT [Comité mixte permanent des traités], comité composé de représentants de tous les partis auquel est adjoint un petit secrétariat. Le CMPT est habilité à étudier tout traité, qu’il soit bilatéral ou multilatéral, en voie d’être négocié ou déjà conclu, et à faire rapport de ses travaux. Diverses options s’offrent à lui pour s’acquitter de son mandat, notamment la tenue d’audiences publiques partout en Australie et l’examen des mémoires présentés par les citoyens ordinaires, les parlementaires, les organismes non gouvernementaux et les représentants du monde universitaire et de l’industrie. Une fois son examen terminé, le CMPT soumet au Parlement un rapport dans lequel il indique s’il estime que l’Australie doit consentir à être liée par le traité et fait état de toute autre question soulevée dans le cadre du processus d’examen. Ces rapports, de même que le texte du traité, l’AIN, la transcription des audiences et les mémoires présentés au CMPT sont tous mis à la disposition du public (et de la communauté internationale) sur le site Web du comité. Ce site constitue ainsi un précieux outil de documentation sur le contenu et les conséquences des traités. Afin de soutenir ces réformes, l’Australie a également établi une base de données sur les traités permettant à la population d’avoir accès sans frais sur Internet au texte des traités, à leurs dossiers de ratification et aux AIN, ainsi qu’à des renseignements sur les traités multilatéraux en voie d’être négociés, étudiés ou revus par le gouvernement australien. (Notes en bas de page omises.) [traduction]

J. Harrington, « Scrutiny and Approval: The Role for Westminster-Style Parliaments in Treaty-Making » (2006) 55 ICLQ 121.

D’autres pays ont opté pour une approche différente en la matière. En vertu de la Constitution américaine, par exemple, le gouvernement des États-Unis n’est autorisé à déposer un instrument international de ratification que lorsqu’un traité est approuvé à la majorité des deux tiers des membres du Sénat. Toutefois, la ratification par le Sénat n’est pas requise pour les accords qualifiés d’accords exécutifs, qui sont souvent utilisés par les États-unis pour se lier internationalement.

Le monopole fédéral n’est pas accepté par tous les constitutionnalistes et toutes les provinces du Canada. Certains observateurs font valoir que, en vertu de la Constitution canadienne, les provinces devraient être habilitées à négocier et à approuver des traités à l’intérieur de leur sphère de compétence. La Belgique, par exemple, attribue aux législatures infrafédérales un pouvoir important en matière d’approbation des accords internationaux relevant de leurs sphères de compétence. Dans le cadre des réformes de 1993, les régions et les communautés belges se sont vues accorder le droit de négocier directement et d’engager leur propre territoire relativement aux questions relevant de leur sphère de compétence, une procédure détaillée étant instituée pour assurer un certain degré de cohérence entre les diverses entités en matière de politique étrangère.

Questions à débattre :

5. Faudrait-il prévoir un processus formel d’approbation par le Parlement avant que l’organe exécutif du gouvernement fédéral puisse lier le Canada en matière de droit international? Dans l’affirmative, quelle forme ce processus devrait-il prendre?

6. En matière de ratification, faudrait-il exiger que les gouvernements infranationaux approuvent les traités portant sur des questions relevant de leur sphère de compétence avant que le Canada puisse se lier en matière de droit international? Suffiraitil d’obtenir le consentement des organes exécutifs ou faudrait-il obtenir celui des corps législatifs? Qu’arriverait-il si un traité était approuvé par certains gouvernements infranationaux et rejeté par d’autres?

7. Dans quelle mesure, le cas échéant, les gouvernements infranationaux devraient-ils avoir le pouvoir de négocier directement et de ratifier les traités portant sur des questions qui relèvent de leur compétence?

2. Le droit international coutumier

Contrairement aux traités, le droit international coutumier n’est pas l’aboutissement direct de négociations intergouvernementales. Il évolue de façon plus organique, sous l’effet cumulatif des actions posées par les États membres de la communauté internationale avec la conviction de respecter le droit international (opinio juris). Contrairement à la situation qui prévaut eu égard aux règles de la common law, il n’y a pas de hiérarchie de tribunaux habilités à décider une fois pour toutes de l’existence d’une règle coutumière. En pratique, il arrive souvent que les règles coutumières soient reconnues par suite de la part d’États puissants ou influents, de groupes de la société civile et de spécialistes ou de décisions rendues par des tribunaux tels que la Cour internationale de justice. Dans certains cas, les juristes, les tribunaux internationaux et les États se contentent d’une analyse empirique incomplète (au mieux) des pratiques des États et de l’opinio juris avant de déclarer qu’un principe fait partie du droit international coutumier. Le droit international coutumier évolue donc de manière ni très évidente ni très démocratique. Le droit international ne comporte pas de règle claire sur quand et comment une norme coutumière émerge.

Bien que la position du Canada eu égard à l’élaboration et à l’application des règles du droit international coutumier soit formulée par le gouvernement fédéral, les tribunaux canadiens se prononcent de plus en plus sur l’appartenance de règles données au droit international coutumier.

Question à débattre :

8. À quel processus le Canada devrait-il faire appel pour formuler sa position concernant les normes auxquelles il convient de conférer le statut de droit international coutumier?

3. La « soft law »

Nous ne saurions conclure cette partie portant sur l’élaboration du droit international sans aborder la question de la « soft law », actes concertés non conventionnels et résolutions d’organisations internationales. Comme l’a fait ressortir l’exposé précédent sur l’historique de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la communauté internationale peut proposer des principes n’ayant pas de force contraignante. L’Assemblée générale des Nations Unies et les autres organisations internationales adoptent régulièrement des déclarations ayant souvent l’apparence et la solennité de textes juridiques. Cependant, étant donné que ces organes ne sont pas habilités à édicter des normes ayant force obligatoire, l’instrument en question est appelé « soft law ».

Il est vrai qu’au fil du temps certaines de ces normes acquièrent le statut des normes internationales contraignantes – particulièrement sous la forme de règles coutumières. Certains principes ne dépassent toutefois jamais le statut de « soft law ». Pourtant, même sans avoir force exécutoire, ces principes n’en ont pas moins un énorme poids moral. Ainsi, une résolution de l’Assemblée générale ou de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies ou une évaluation du comportement d’un État en matière de droits de la personne par des organes créés aux termes de traités relatifs aux droits de la personne n’a pas force de loi. Elles n’en influent pas moins sur le comportement des États soucieux d’éviter l’opprobre et de conserver leur crédibilité.

D’une année à l’autre, le Canada peut consacrer davantage d’efforts à la négociation et à l’évaluation de la « soft law » qu’à la négociation de traités contraignants. Le Canada consacre aussi temps et ressources pour prévoir et répondre à des résolutions et déterminations non contraignantes d’organes internationaux, ayant pour mandat d’évaluer le comportement du pays en la matière, tels que les comités de droits de la personne. Il est aussi possible que les Canadiens et les organismes non gouvernementaux déploient des efforts considérables pour assurer le respect de ces principes, parfois de concert et parfois en opposition avec le gouvernement. Dans certains cas, le gouvernement consulte les personnes concernées avant de prendre position à l’égard de questions de « soft law ». Il est rare que le Parlement participe au processus. Un projet de loi du Sénat déposé lors de la dernière session parlementaire aurait obligé le gouvernement à déposer devant le Parlement une copie de tout rapport présenté aux Nations Unies au sujet des progrès réalisés par le Canada pour donner effet des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne auxquels il est partie ainsi que de la réponse des Nations Unies auxdits rapports. Le projet de loi a échoué.

Questions à débattre :

9. À quel processus le Canada devrait-il faire appel pour formuler sa position concernant des normes de « soft law »? Devrait-il utiliser le même processus pour la « soft law » et pour les traités? Ces positions devraient-elles être élaborées en consultation avec les groupes concernés, les parlementaires et les fonctionnaires des autres ordres de gouvernement?

10. Quels sont les avantages et les inconvénients de l’approche adoptée par le gouvernement concernant la rédaction des rapports de conformité présentés aux organismes internationaux? Qui le Canada devrait-il consulter lorsqu’il fait rapport à des organismes internationaux ayant pour mandat d’évaluer la mesure dans laquelle il satisfait à ses obligations internationales? Quel processus faudrait-il suivre?

11. Faudrait-il prévoir un mécanisme interne formel pour déterminer si le Canada satisfait à ses obligations?

La « soft law » est habituellement élaborée par les Étatsmembres. Cependant, comme nous l’avons vu, il arrive parfois que des organisations de normalisation du secteur privé participent à l’élaboration de normes quasi contraignantes. Nous avons cité comme exemple les codes de conduite régissant le comportement éthique au sein d’une entreprise. Ces codes n’ont aucune force exécutoire directe tant qu’ils ne sont pas incorporés par référence à des contrats ou à des lois. Il arrive aussi que des normes établies par des organismes privés soient incorporées dans le régime juridique international. Ainsi en est-il de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce de l’OMC qui accepte que des organismes non gouvernementaux de normalisation établissent des « règlements techniques » relativement aux normes commerciales. Il est légitime de se demander qui participe à la formulation de ces normes. Si les intérêts commerciaux y sont représentés, il est rare, toutefois, que les groupes de consommateurs y soient pleinement consultés.

Que ce soit au sein de l’ordre juridique interne ou international, il est difficile de déterminer quand on peut se contenter des normes privées et quand il faut prévoir des instruments juridiques plus contraignants. Depuis les années 1990 au moins, les décideurs, les entreprises et les organismes non gouvernementaux se demandent si l’adoption volontaire par les entreprises de codes de conduite ayant trait à la protection des droits de la personne et de l’environnement élimine le besoin d’un encadrement plus direct des activités des entreprises. Lorsqu’il est question des activités à l’étranger des entreprises, le débat en vient rapidement à porter sur les mérites de la réglementation extraterritoriale, soit la réglementation des activités à l’étranger des acteurs privés. Nous reviendrons sur cette question à la fin du présent document.

III. LE DROIT INTERNATIONAL COMME PARTIE DU DROIT CANADIEN

Nous avons vu que, pour l’essentiel, c’est l’organe exécutif du gouvernement fédéral qui négocie les traités et les autres instruments internationaux au nom du Canada. Une fois qu’un traité a été signé et ratifié, le Canada est lié par ce dernier et est tenu de s’y conformer sous risque d’être trouvé en violation de ses obligations en vertu d’un traité. Il incombe au gouvernement de veiller à ce que le droit interne n’aille pas à l’encontre du droit international. Quelle incidence le droit international a-t-il sur le droit interne? Tout dépend s’il est issu des traités ou du droit coutumier.

A. L’intégration des traités au droit interne et questions de légitimité

1. Le « dualisme » et le maintien du droit interne et du droit international dans des sphères distinctes

Le Canada a traditionnellement considéré le droit interne et le droit international conventionnel comme appartenant à deux sphères distinctes, ce qui en fait un État dit « dualiste ». Un traité international peut, au sens du droit international, obliger le Canada à modifier son droit interne. Toutefois, conformément à la tradition dualiste, ce traité n’a aucun effet direct sur le droit interne tant qu’aucune mesure législative n’a été adoptée pour l’intégrer au droit canadien.

2. Le dualisme comme réponse rationnelle aux questions que soulève l’élaboration du droit international sur le plan de la légitimité démocratique

À certains égards, le dualisme est un régime empreint de sagesse. Il semble être parfaitement adapté au système canadien, où le Parlement et les législatures provinciales exercent le pouvoir législatif mais où la conclusion des traités est une prérogative exclusive de l’organe exécutif du gouvernement fédéral. Si les traités conclus par l’exécutif fédéral avaient un effet immédiat et direct au même titre que les lois du Canada, cette prérogative pourrait permettre à l’exécutif de contourner le pouvoir législatif du Parlement fédéral. En concluant un traité international exigeant, par exemple, que soit prolongée la période de protection conférée par les brevets, l’exécutif se trouverait essentiellement à légiférer sur un domaine autrement régi par une loi du Parlement, à savoir la Loi sur les brevets. Ce faisant, l’exécutif usurperait le pouvoir législatif du Parlement.

De plus, si les traités avaient immédiatement force de loi, l’organe exécutif du gouvernement fédéral pourrait aussi faire fi des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 ayant trait à la répartition des pouvoirs législatifs en utilisant sa prérogative en matière de conclusion des traités pour légiférer dans des domaines relevant de la compétence des provinces.

Pour éviter ces problèmes, le droit canadien insiste pour que les traités soient intégrés au droit interne par une loi du Parlement. En droit constitutionnel, lorsqu’un traité porte sur des questions relevant de la compétence des provinces, il appartient aux législatures provinciales d’adopter des mesures pour l’intégrer au droit interne. Autrement dit, le dualisme permet de conférer une certaine légitimité démocratique au processus de conclusion des traités en y faisant intervenir les corps législatifs élus.

3. Le dilemme du dualisme

Bien qu’il permette de répondre à des inquiétudes légitimes, le dualisme n’en est pas moins la source de problèmes bien réels. Dans une situation où le Parlement n’intègre pas le droit international conventionnel au droit interne, cela crée un dilemme juridique : le Canada est lié par le traité en matière de droit international et pourtant ses acteurs ne sont pas tenus de s’y conformer en vertu du droit interne. Ce problème est évité lorsque le gouvernement fédéral reporte la ratification jusqu’à ce que le Parlement et les législatures provinciales aient modifié les lois de façon à ce qu’elles permettent au Canada de s’acquitter des obligations internationales anticipées. Il existe cependant quelques cas où les lois nationales du Canada sont demeurées inchangées, et ce malgré la ratification de nouveaux traités.

Subséquemment, lorsque les législateurs seront mis au fait d’allégations selon lesquelles le Canada ne s’acquitterait pas de ses obligations internationales, ils peuvent prendre des mesures législatives pour intégrer le traité au droit interne. Cependant, pour ce faire, les législateurs fédéraux et provinciaux doivent renoncer à leur pouvoir discrétionnaire et mettre en oeuvre un accord ratifié uniquement par l’organe exécutif du gouvernement fédéral. Un législateur résolu à permettre au Canada de s’acquitter de ses obligations internationales peut donc difficilement mettre en question, amender ou rejeter un projet de loi visant à mettre en oeuvre une obligation internationale.

Bref, lorsque le gouvernement fédéral exerce sa prérogative de conclure un traité international, le Parlement et les législatures provinciales peuvent faire face à un dilemme si la loi n’est pas compatible avec le traité. D’une part, ils peuvent choisir de ne pas tenir compte de cette obligation internationale et de préserver la prérogative que leur confère la démocratie canadienne en matière législative sous peine d’empêcher le Canada de se conformer aux règles du droit international. D’autre part, ils peuvent prendre des mesures législatives assurant la mise en oeuvre de ces obligations internationales, mais en se résignant à voir leur rôle être limité à approuver un traité conclu exclusivement par l’organe exécutif du gouvernement fédéral. Ce dilemme risque de s’aggraver au fur et à mesure que la mondialisation s’intensifie.





4. Les incertitudes liées au dualisme

L’intégration du droit international au droit interne soulève aussi d’autres difficultés. Il n’existe pas de règles claires pour déterminer quand un traité a été intégré au droit canadien. Souvent, les lois existantes sont déjà compatibles avec ces obligations; dans d’autres cas, le Canada peut s’acquitter de ses obligations internationales en adoptant des politiques. Lorsqu’il se révèle nécessaire de modifier la loi par suite de la conclusion d’un traité, il existe des façons claires de procéder (par exemple, en citant le traité dans le texte de la loi ou en l’annexant à cette dernière). Mais y a-t-il lieu d’exiger une telle mention explicite pour considérer qu’il y a mise en oeuvre? Faut-il nécessairement conclure du silence ou du manque de précisions d’un texte législatif qu’il n’assure pas la mise en oeuvre d’une obligation découlant d’un traité8?

Considérons l’exemple suivant : l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Or, bien que le droit canadien fourmille de références à l’« intérêt supérieur de l’enfant », sans toutefois faire expressément mention de la Convention, la Cour suprême du Canada a conclu dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), affaire ayant trait à la Loi sur l’immigration, que le traité n’avait jamais été mis en oeuvre en droit interne9.

La Cour n’a cependant pas précisé comment cette mise en oeuvre pourrait être assurée. Son approche semble toutefois suggérer qu’il faudrait, pour que l’article 3 s’applique, qu’il soit fait référence au principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » dans chaque loi qui confère des pouvoirs à un fonctionnaire. Autrement dit, il faudrait pour mettre en vigueur l’article 3 apporter des modifications à une panoplie de lois canadiennes.



Une mise en oeuvre explicite des dispositions de traités internationaux dans la législation interne a l’avantage notable d’accroître la transparence, l’accessibilité et la compréhension des obligations du traité en tant que norme auprès des parlementaires, des plaideurs, des tribunaux et des fonctionnaires responsables de l’administration de la loi. [traduction]

E. Eid et H. Hamboyan, « Implementation by Canada of its International Human Rights Treaty Obligations: Making Sense out of the Nonsensical », document présenté lors de la rencontre annuelle du Conseil canadien de droit international, Ottawa, 2004.

5. Les réactions récentes des tribunaux face au dualisme

Le fait de rendre aussi strict le critère d’acceptation par les tribunaux pour la mise en oeuvre d’un traité n’est pas sans conséquences. Les tribunaux sont de plus en plus prêts à considérer des traités internationaux qui n’ont pas été mis en oeuvre comme d’importants outils d’interprétation des lois canadiennes, ce qui risque de mener à une application assez tortueuse du droit.

Considérons, par exemple, l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)10, où elle devait déterminer si le refoulement vers la torture représentait une violation du droit constitutionnel canadien. À l’époque, le droit de l’immigration autorisait la déportation de réfugiés constituant un danger pour la sécurité nationale même lorsque « leur vie ou leur liberté seraient menacées ». Il n’y était pas fait mention de la torture. Cependant, la Convention contre la torture des Nations Unies – que le Canada a ratifiée – interdit expressément la déportation vers la torture. La Cour suprême a considéré que, n’étant pas reproduite dans la loi canadienne sur l’immigration, cette interdiction expresse n’avait pas été mise en oeuvre. Elle n’en a pas moins conclu que, malgré ce problème, le droit international jetait un nouvel éclairage sur le contenu de la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant la Cour s’est refusée à retenir dans son interprétation du droit garanti par la Charte les critères prévus par la Convention : alors que la Convention prévoit une interdiction absolue de renvoi vers la torture, l’interprétation que donne la Cour du droit garanti par la Charte permet ce renvoi dans des « circonstances exceptionnelles ». Il en résulte une règle canadienne qui, tout en étant motivée en partie par un traité international qui n’est pas mis en oeuvre, n’est pas conforme à ce dernier.

6. Le problème d’une application partielle

L’arrêt Suresh soulève de réels problèmes : bien que les tribunaux soient maintenant prêts à s’inspirer de traités qui ne sont pas mis en oeuvre, comme ces traités ne font pas partie du droit canadien en vertu du régime dualiste, ils peuvent choisir de ne pas tenir compte des critères qui y sont énoncés pour élaborer une norme hybride. Nous risquons ainsi de nous retrouver avec le problème d’une application partielle : des traités auxquels la législature n’a jamais concrètement donné force de loi qui sont partiellement appliqués, mais d’une façon qui ne permet pas au Canada de s’acquitter de ses obligations internationales.

Questions à débattre :

12. Comment le Canada devrait-il résoudre le dilemme associé au dualisme? Devrait-il remplacer son régime dualiste par un régime moniste selon lequel le droit international conventionnel serait automatiquement intégré au droit du Canada? Dans l’affirmative, comment faudrait-il procéder? Serait-il nécessaire, pour préserver le rôle des législatures, de prévoir un processus plus formel d’approbation des traités par le Parlement et par les corps législatifs infranationaux avant que le gouvernement ne lie le Canada au sens du droit international?

13. Quelles normes devrait-on appliquer pour déterminer si un traité a été mis en oeuvre en droit interne?

14. Quel statut les tribunaux devraient-ils accorder aux traités qui ne sont pas mis en oeuvre dans le droit interne?

B. L’intégration du droit international coutumier et légitimité

1. L’incorporation du droit international coutumier

Le Canada adopte à l’endroit du droit international coutumier une approche bien différente de l’approche dualiste. Une règle qui obtient le statut de droit international coutumier fait automatiquement partie de la common law. Autrement dit, en matière de droit international coutumier, le Canada est un État « moniste » plutôt que « dualiste ».

Cependant, au même titre que les autres règles de la common law, les règles coutumières directement incorporées peuvent toujours être supplantées ou invalidées par une loi avec laquelle elles sont incompatibles.

La Cour d’appel de l’Ontario résumait récemment cette règle de la façon suivante : « les règles coutumières du droit international sont directement incorporées au droit interne du Canada à moins d’en être explicitement exclues par des lois incompatibles. Dans la mesure du possible, il faut interpréter les lois internes en tenant compte de ces obligations11 ».

2. Les problèmes soulevés par l’incorporation au droit interne du droit international coutumier

Cette approche soulève d’emblée un certain nombre de problèmes. Premièrement, si une législature adopte une loi qui a pour effet de supplanter une règle coutumière du droit international, le Canada s’expose subséquemment à manquer à ses obligations internationales.

Deuxièmement, si le droit international coutumier fait partie de la common law du Canada, il appartient exclusivement aux tribunaux de déterminer s’il a été intégré au droit interne. Le droit international coutumier est lui-même élaboré d’une façon organique plutôt que négocié au sein du système international. S’il est subséquemment incorporé directement au droit canadien par les tribunaux, les organes politiques du gouvernement pourraient se voir frustrer de toute participation claire et directe à l’élaboration des règles en vertu desquelles il est donné force exécutoire au Canada.

Troisièmement, étant donné que le contenu du droit international coutumier est parfois incertain (et contesté), les tribunaux appelés à l’appliquer en tant que droit interne du Canada s’en remettent aux témoignages (souvent contradictoires) de juristes et d’universitaires spécialistes en droit international, ce qui soulève de nouvelles questions sur le plan de la légitimité.

On peut toutefois se demander si ces deux phénomènes sont vraiment incompatibles avec l’ordre démocratique canadien. Il est à n’en pas douter conforme avec la tradition canadienne de common law d’accepter que les tribunaux appliquent un droit interne élaboré par eux et non par les législateurs. Cette tradition perdrait-elle soudainement sa légitimité du fait que les juges font appel à des experts de l’extérieur pour éclairer leurs délibérations?

Question à débattre :

15.Quelles sont les règles qui devraient régir l’incorporation du droit international coutumier dans le droit canadien?






Quoi de neuf | À propos de nous | Recherche de services | Événements à venir | Coin du président | Projets de recherche | Concours, Compétitions et Partenariats | Les rapports ministériels | Ressources