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Page d'accueil Projets de recherche Le travailleur vulnérable Publications Travailler, oui mais... - Document de discussion Chapitre 5

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Le travailleur vulnérable

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Travailler, oui mais...  Le droit du travail à retravailler

II — LA SOCIÉTÉ, LE DROIT ET LE TRAVAIL


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Chapitre 5 — Le cadre de réglementation

Les quatre études de cas illustrent certaines failles de l'actuel cadre de réglementation qui résultent en un manque de protection et de soutien à l'endroit des travailleurs vulnérables :

(1)  Les lois et les politiques sociales n'ont pas suivi les changements que les employeurs ont apportés à la structure des relations de travail et la réalité changeante de la vie des gens ;

(2)  Les lois et règlements actuels ne sont pas suffisamment mis en application pour assurer une protection adéquate aux travailleurs ;

(3)  Les mesures de soutien offertes aux travailleurs (surtout peu spécialisés) pour les aider à faire la transition d'un travail atypique ou mal rémunéré à un meilleur travail sont inadéquates ;

(4)  Les lois et les politiques actuelles ne tiennent pas assez compte des obligations professionnelles non rémunérées.

Comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi le droit ne peut-il assurer un niveau adéquat de soutien et de protection aux travailleurs vulnérables? Dans ce chapitre, nous retraçons l'évolution du cadre de réglementation qui a abouti au mouvement général de déréglementation du marché du travail. Cette tendance pourrait s'avérer un des facteurs importants de l'affaiblissement de la protection et du soutien offerts aux travailleurs vulnérables.

De la réglementation active à la déréglementation passive

Pour comprendre comment certaines catégories de travailleurs se sont retrouvées dépourvues d'un niveau adéquat de protection juridique, il faut situer la réglementation du travail dans son contexte historique. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'au milieu des années 1970, la portée des règlements visant le marché du travail s'est élargie au rythme de la croissance économique [50] . La place croissante occupée par les syndicats et la négociation collective, de même que l'expansion du secteur public, un secteur à salaires élevés, ont contribué à améliorer le revenu et la sécurité financière de millions de travailleurs. Des lois sont entrées en vigueur pour faire profiter les travailleurs non syndiqués des gains obtenus par les syndicats. On a signalé qu'à certains égards, les lois et les politiques de cette époque étaient progressistes et égalitaires et ont amélioré la sécurité financière et l'égalité de certains groupes de travailleurs, principalement ceux qui occupaient un emploi régulier. De nouvelles lois ont obligé les employeurs à payer les heures supplémentaires, imposé un salaire minimum, établi l'indemnisation hors faute des accidentés du travail et réglementé les conditions d'hygiène et de sécurité au travail, sans compter les nombreuses autres mesures conçues pour protéger les travailleurs.

Toutefois, au milieu des années 1970, le climat économique et politique a changé. L'ampleur des profits industriels et commerciaux, qui avaient financé les exigences des travailleurs et des collectivités de l'après-guerre, s'est réduite. Par suite de la concurrence croissante exercée par les marchés étrangers jouissant de coûts de production moindres et des demandes d'un meilleur traitement au travail de la part d'une main-d'œuvre plus puissante et sûre d'elle-même que jamais, les entreprises ont cherché des moyens d'éviter les coûts associés au contrat de travail standard, fortement réglementé, en créant de nouveaux arrangements moins coûteux. De plus en plus, les employeurs ont fait appel à des stratégies visant à augmenter leur flexibilité quant à la gestion des coûts de main-d'œuvre. C'est alors qu'on a vu augmenter le recours à la sous-traitance et aux types de travail atypiques, dans le but de réduire le personnel de base.

Cette période de bouleversements et de changements s'est soldée par un mouvement général vers la déréglementation du marché du travail. Plusieurs estimaient que la structure réglementaire d'après-guerre était devenue un obstacle à la croissance économique et à la prospérité, car elle imposait des exigences excessives aux employeurs, qui devaient accorder à leurs travailleurs des indemnités supérieures aux taux concurrentiels. On s'inquiétait (et on s'inquiète toujours, dans une certaine mesure) du fait que, si les coûts à débourser pour protéger et indemniser les travailleurs devenaient excessifs, les employeurs ne pourraient résister à la pression et déplaceraient leurs installations vers des pays où les coûts de production sont moindres. La fuite de capitaux, ou la menace de fuite de capitaux, a forcé l'État à « déréglementer » le marché du travail.

D'aucuns estiment que la déréglementation réclamée pour accroître la compétitivité prend à la fois une forme active et passive [51] . Comme exemple de déréglementation ouverte ou active au Canada, on mentionne les modifications apportées en 2000 à la loi ontarienne qui ont augmenté le nombre d'heures que les employés peuvent travailler par semaine et qui ont permis aux employeurs « d'établir une moyenne » des heures supplémentaires, ce qui a pour effet de réduire le droit des employés à une rémunération des heures supplémentaires.

Même si des tentatives flagrantes de réduction du niveau de protection du marché du travail attirent davantage l'attention, on signale que la déréglementation passive du marché du travail peut, en fait, avoir une incidence plus importante pour les travailleurs. La déréglementation passive résulte de l'incapacité de modifier le droit sur la main-d'œuvre et l'emploi pour refléter les changements de l'économie et de la nature et l'organisation du travail. Un exemple classique est l'incapacité de hausser le salaire minimum alors que le coût de la vie augmente, de sorte que sa valeur réelle diminue au fil du temps. Ou encore l'incapacité de modifier le droit du travail pour refléter le nombre croissant de personnes qui travaillent selon des arrangements atypiques et sont dépourvus de protection. Enfin, la déréglementation peut aussi résulter de l'incapacité de mettre les lois en application. C'est ce qui arrive quand on réduit les ressources affectées à la mise en application des lois et des règlements existants en matière de main-d'œuvre et d'emploi.

Il est donc possible que les changements socioéconomiques survenus au cours des trois ou quatre dernières décennies aient entraîné un bouleversement des attitudes et des valeurs quant au rôle que devrait jouer la réglementation du travail et de l'emploi. Traditionnellement, les politiques sur le travail et l'emploi visaient à modifier l'équilibre des pouvoirs du travailleur et de l'employeur, à redistribuer les risques et les ressources entre les travailleurs et à établir les modalités de base du travail. On considérait les lois sur la main-d'œuvre et l'emploi comme un moyen de faire en sorte que le contrat de travail assure l'équité et interdise l'exploitation. Au fur et à mesure que les inquiétudes quant à la profitabilité et la compétitivité des entreprises dans le marché mondial s'accaparent une place de choix dans la formulation des politiques et des règlements en matière de travail et d'emploi, la raison d'être de la réglementation est remise en question et même remplacée. Il est donc possible que la réglementation du travail et de l'emploi ait perdu son rôle premier et passe à celui de faciliter l'utilisation efficace du capital humain. En outre, il est possible que les quatre protagonistes de nos études de cas représentent des groupes de travailleurs qui souffrent des conséquences de ce changement d'attitude.

Le changement d'attitude quant au rôle que devrait jouer la réglementation du travail et de l'emploi s'articule autour de certains principes et hypothèses qui méritent qu'on s'y attarde.

Les coûts d'efficacité de la protection des travailleurs

Un des grands principes qui sous-tendent le mouvement vers la déréglementation stipule que toute intervention de l'État, sous forme d'exigences réglementaires onéreuses et coûteuses dans le but de promouvoir le bien-être des travailleurs réduit la compétitivité et l'efficacité, ce qui entraîne des pertes d'emplois et une diminution du niveau de vie de toute la population.

D'abord, il faut analyser la prétention selon laquelle ce qu'on appelle les mesures d'équité — les règlements conçus pour promouvoir la justice et le bien-être des travailleurs — sont coûteuses et entravent la compétitivité du Canada. Des spécialistes du domaine du travail tels que Gunderson et Riddell affirment qu'on dispose de peu de preuves empiriques de la mesure dans laquelle la réglementation du travail et de l'emploi augmente les coûts de la main-d'œuvre et de la mesure dans laquelle ces coûts sont au moins partiellement compensés par des avantages sous forme d'augmentation de la productivité et de réduction des congés de maladie, etc. [52] . L'unanimité est certainement presque acquise sur l'idée qu'en fait, une main-d'œuvre bien protégée peut favoriser la productivité et la compétitivité parce qu'en général, des travailleurs en santé qui se sentent en sécurité sont moins souvent absents et plus motivés, commettent moins d'erreurs, ont moins d'accidents et produisent un meilleur rendement général. Par ailleurs, plusieurs études soutiennent la conclusion selon laquelle les investissements, loin de fuir les endroits où on se conforme à des normes de travail de base, y sont attirés. Pour déterminer la validité de cette assertion, il faudra réaliser de plus amples recherches afin de savoir dans quelle mesure les gains de productivité peuvent compenser les coûts associés aux mesures d'équité.

Toutefois, même si nous admettons qu'il est coûteux de protéger les travailleurs, nous devons aussi examiner la thèse qui dit que le coût lié à la protection de tous les travailleurs vulnérables est tout simplement trop élevé pour être assumé par les employeurs et l'État. Si les coûts sont trop élevés pour les moyens des employeurs ou de l'État, comment pouvons-nous croire que les travailleurs vulnérables eux-mêmes sont plus en mesure de les assumer? On peut transformer les coûts de la participation au marché du travail en d'autres types de coûts, mais pas les faire disparaître. Par exemple, le maintien des salaires sous le seuil de pauvreté peut très bien aider les employeurs à limiter au minimum les coûts de la main-d'œuvre, mais à quel prix pour les travailleurs eux-mêmes, leurs enfants et la société en général? Dans quelle mesure prend-on ces coûts en compte quand on décide de ne pas relever le niveau du salaire minimum? On a certaines preuves empiriques du lien entre, d'une part, le chômage et la pauvreté et, d'autre part, le stress, la détérioration de la santé, la violence faite aux enfants, la violence conjugale, le suicide, les accidents et l'accroissement de la demande de services sociaux. Il faut tenir compte des coûts liés à ces problèmes sociaux lorsqu'on examine les coûts d'efficacité de la réglementation du marché du travail.

Le rôle du marché

Traditionnellement, on considère que l'intervention de l'État est nécessaire pour obliger les employeurs à prendre des mesures qui favorisent l'équité au travail et le bien-être des travailleurs. Dans un marché libre sans réglementation, les employeurs n'auront peut-être aucune motivation les poussant à faire en sorte que tous les travailleurs jouissent de normes minimales de travail.

Récemment, le concept dominant dit qu'il faut laisser une plus grande latitude au marché, qui établira lui-même les modalités de base du travail de certains travailleurs. On maintient qu'en fait, les forces du marché favorisent souvent la protection et le bien-être des travailleurs. Pour attirer et conserver une main-d'œuvre de grande qualité, il faut absolument offrir des milieux de travail sécuritaires, salubres et équitables. Prenons par exemple certains groupes de travailleurs, comme les travailleurs autonomes, qui ne sont pas visés par les lois régissant les modalités de base du travail. L'hypothèse veut qu'en fait, les forces du marché se chargent d'établir des modalités de travail appropriées pour ces travailleurs. Est-ce toujours le cas?

Un des arguments en faveur du refus d'augmenter le salaire minimum veut qu'en augmentant le salaire au-delà du taux pratiqué dans le marché, on limite la possibilité des employeurs d'être concurrentiels au niveau international et, ce faisant, on met en péril les travailleurs qu'on tente de protéger. On allègue que toute hausse du salaire minimum aurait un effet négatif sur la compétitivité.

Question :

• Devons-nous laisser le marché déterminer les modalités de base du travail pour tous les travailleurs ou seulement pour certains d'entre eux? Sur quoi devons-nous nous fonder pour prendre cette décision?

Les associations de travailleurs et les syndicats

Le concept selon lequel il faut réduire les entraves empêchant le marché d'établir les modalités de travail s'accompagne de l'idée qui veut que les intermédiaires comme les syndicats et les associations de travailleurs créent des complications supplémentaires qui, en bout de ligne, sont dommageables tant pour l'économie que pour les travailleurs. Certains sont d'avis que les syndicats et l'accroissement des mesures de protection de l'emploi sont inutiles, puisque chaque employé peut trouver un terrain d'entente avec son employeur et établir dans le calme un arrangement de travail mutuellement avantageux, sans l'intervention d'une tierce partie. Toutefois, ce modèle de paix industrielle est sans doute basé sur certaines hypothèses quant à l'équilibre des pouvoirs entre employeurs et travailleurs et à la compatibilité des intérêts, hypothèses qui ne font pas toujours état de la réalité.

Comme il ressort des études de cas, certains travailleurs vulnérables n'ont pas le pouvoir et l'expérience nécessaires pour faire valoir leurs besoins et leurs intérêts en présence d'un employeur puissant. Face à un employeur peu disposé à tenir compte de leurs intérêts et de leurs besoins à propos d'enjeux aussi importants que le salaire et la sécurité au travail, les travailleurs vulnérables n'ont souvent aucun recours. Les mécanismes de mise en application et de conformité en matière de normes du travail et d'emploi sont parfois insuffisants pour assurer une protection efficace à ces travailleurs.

Question :

• Quels rôles les syndicats et les associations de travailleurs devraient-ils jouer dans la protection des intérêts des travailleurs dans la nouvelle économie?

La flexibilité du marché du travail

Bien que les divers pays l'aient mise en œuvre différemment, la « flexibilisation » de la main-d'œuvre est manifestement devenue la tendance dominante de la réglementation du marché du travail. Dans l'économie mondiale, les employeurs ont besoin d'une marge de manœuvre élargie dans la gestion de leur main-d'œuvre. Ils doivent être capables d'embaucher et de mettre à pied les employés au besoin, de limiter la durée des contrats pour accommoder leur calendrier de production et de maintenir les coûts de la main-d'œuvre aussi bas que possible en évitant de contribuer aux programmes d'assurance des employés et d'offrir des avantages sociaux. En plus, les employeurs ont besoin d'employés de plus en plus spécialisés, prêts à assumer des responsabilités et à prendre des initiatives et capables de collaborer avec eux en tant que partenaires de production. Cette flexibilité de la main-d'œuvre signifie qu'on s'attend à ce que la sécurité économique des employés provienne de la possession de compétences et du perfectionnement et d'une bonne commercialisation de ces compétences par chaque travailleur, au sein d'un marché du travail en mouvance.

Alice de Wolff, auteure de l'étude réalisée par le Contingent Workers' Project, affirme :

[TRADUCTION]

On parle beaucoup des personnes, le plus souvent des femmes, qui exercent des emplois atypiques et bénéficient d'horaires flexibles leur permettant de s'occuper de leur famille. La présente étude indique que lorsque la flexibilité d'emploi facilite réellement les responsabilités familiales d'une employée, elle s'accompagne généralement de revenus passablement élevés. Les participantes à l'étude font face à une réalité très différente, faite non pas de flexibilité, mais d'imprévisibilité et de constante réorganisation des horaires. Quarante-trois pour cent ne connaissaient pas leur horaire d'avance, 45 p. cent occupaient un poste fractionné et les travailleuses temporaires ont déclaré qu'elles doivent toujours être prêtes à aller travailler. Les répercussions affectent fortement la capacité des travailleuses de garder de solides liens d'amitié, d'intimité et de famille et d'organiser la garde des enfants et les soins des parents âgés avec une certaine stabilité. Elles ont du mal à suivre le travail scolaire de leurs enfants, à participer activement à leur collectivité ou à suivre des cours de façon régulière [53] .

Les travailleurs interrogés apprécient certains aspects de l'emploi atypique : au moins, ils ont un travail, certains arrivent à parfaire leurs connaissances et certains aiment rester un peu à l'écart de la dynamique relationnelle du milieu de travail. Toutefois, de nombreux travailleurs ne disposent pas de flexibilité au sens propre [54] .

On dit que la flexibilité des arrangements de travail comporte aussi de grands avantages pour les travailleurs, puisqu'elle leur permet de concilier le travail, la garde des enfants, les soins à des parents âgés, la formation et les autres obligations. L'hypothèse veut que les travailleurs choisissent volontairement la flexibilité et l'autonomie au détriment de la sécurité et de la subordination. Comme le soulignent les études de cas, la réalité n'est pas toujours aussi rose.

Il existe bien sûr des travailleurs, habituellement les plus instruits et qualifiés, qui ont la possibilité de profiter de la déréglementation du marché du travail et de l'accroissement de la flexibilité des arrangements de travail, mais tout indique que les travailleurs désavantagés réussissent mal dans un marché du travail concurrentiel. Les travailleurs défavorisés ne sont pas en bonne position pour négocier des contrats de personne à personne. Ainsi, le fossé se creuse entre les conditions de travail du travailleur privilégié, relativement puissant, et celles du travailleur défavorisé.

Bien que le travail à temps partiel puisse offrir une bonne flexibilité à certains travailleurs qui profitent d'une autre source de revenus, tout indique que la majorité des travailleurs à temps partiel recherchent autre chose que la flexibilité. Ils acceptent tout emploi qui s'offre à eux et essaient tant bien que mal d'improviser un horaire à plein temps à partir de plusieurs emplois. En somme, ce sont des travailleurs à temps partiel involontaires; ils voudraient bien un emploi à temps plein, mais n'arrivent pas à en trouver.

Pour certains travailleurs autonomes, la quête d'autonomie et de flexibilité est devenue une arme à deux tranchants. Tout indique qu'au départ, plusieurs d'entre eux se réjouissaient à l'idée d'acquérir l'indépendance, mais ils ont vite constaté que les pressions financières qu'engendrent les régimes de pension, les soins dentaires, les soins de la vue et les autres soins de santé de la famille, ainsi que l'insécurité constante du travail à contrat réduisent grandement la valeur de la flexibilité et de l'autonomie du travail atypique. Les travailleurs bien rémunérés, qui peuvent compter sur d'autres ressources et mesures de soutien familiales et communautaires peuvent être bien placés pour profiter de ces arrangements; les autres ont sans doute besoin d'autres mesures de soutien.

L'austérité budgétaire et la réduction des effectifs gouvernementaux

Parallèlement aux pressions exercées par les entreprises pour déréglementer le monde du travail et réduire les coûts de la main-d'œuvre dans la but d'accroître la compétitivité, des pays comme le Canada ont vu naître un mouvement visant à réduire la taille de la fonction publique et l'ensemble des dépenses publiques. Les inquiétudes quant au déficit, aux taux d'imposition, à l'inefficacité des gouvernements et au gaspillage des ressources publiques ont poussé tous les ordres de gouvernements à comprimer radicalement leurs dépenses, à réduire la fonction publique et à limiter les services. Ces réductions budgétaires ont notamment affecté la mise en application et le respect des lois et des règlements relatifs au travail et à l'emploi et réduit à néant toute amélioration ou restructuration des mesures de protection existantes pour en faire profiter un plus grand nombre de travailleurs. Aujourd'hui, les gouvernements sont donc réticents à examiner toute proposition de protection des travailleurs vulnérables qui risquerait de faire gonfler les dépenses publiques et l'infrastructure gouvernementale.

La fourniture de biens publics, la protection des droits fondamentaux et celle des travailleurs vulnérables comportent des coûts parfois très élevés; on a raison de s'interroger sur la pertinence d'y consacrer des deniers publics. Toutefois, comme l'affirme notamment Amartya Sen, prix Nobel d'économie, le conservatisme financier, si important soit-il, ne peut être invoqué seul, isolément d'autres facteurs, pour justifier l'action ou l'inaction. Il doit s'insérer dans le vaste cadre des objectifs sociaux qu'un pays s'est donnés [55] . Il faut donc se demander dans quelle mesure les besoins des travailleurs les plus vulnérables du Canada sont subordonnés à l'objectif de réduction de la dette et de la fonction publique.

L'austérité budgétaire des gouvernements risque d'avoir des conséquences néfastes disproportionnées sur certains travailleurs les plus vulnérables au Canada. Dans la mesure où l'austérité budgétaire ou la privatisation des services publics affectent l'emploi dans la fonction publique, elle est susceptible de réduire l'accès aux formes d'emploi bien protégées et rémunérées, en particulier pour les femmes, les immigrants, les personnes issues de minorités visibles et les autres travailleurs pour qui il est difficile de trouver un emploi dans le secteur privé. À moins de mettre en œuvre des mesures compensatoires, cette réduction de la fonction publique, si avantageuse qu'elle puisse paraître, aura donc des répercussions sur les travailleurs vulnérables et sur l'ensemble de la société. Les coûts qui en découleront excéderont-ils les économies réalisées en réduisant la taille du gouvernement?

Le travail non rémunéré

Le modèle de réglementation actuel s'articule autour de l'hypothèse selon laquelle soit les travailleurs ont les moyens d'embaucher du personnel pour s'occuper de l'entretien de la maison, de la garde des enfants, des soins aux parents âgés et des autres tâches habituellement non rémunérées, ou quelqu'un de leur famille fait ce travail gratuitement. Comme nous l'avons vu dans les études de cas, les faits ne confirment aucunement cette hypothèse. En réalité, un grand nombre de travailleurs canadiens ont du mal à jumeler le travail rémunéré avec les obligations professionnelles non rémunérées ou adoptent un arrangement de travail atypique afin d'être en mesure de remplir leurs obligations non rémunérées. Pour plusieurs, il en résulte une charge de travail écrasante, un déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle qui affecte gravement leur santé et des arrangements de travail qu'on ne peut qualifier de satisfaisants.

En fait, les formes de travail non monnayables sont les plus essentielles à l'humanité [56] . En refusant de tenir compte des liens étroits qui unissent le travail qui fait partie du marché et celui qui reste en marge, on néglige à la fois les circonstances de la vie de la population et celles du marché et, nécessairement, on court à la catastrophe. En traitant la main-d'œuvre comme une ressource infiniment flexible, on met en péril non seulement les conditions de vie des travailleurs, mais aussi les conditions d'éducation de leurs enfants.

Question :

• Un modèle de réglementation qui fait abstraction des obligations professionnelles non rémunérées est-il un modèle durable?

Résumé

Une véritable transformation a réduit l'intervention réglementaire de l'État qui visait à favoriser la protection des travailleurs et augmenté la place accordée aux forces du marché dans la réglementation du travail. Bien que la déréglementation ait entraîné plusieurs conséquences positives pour les employeurs et les travailleurs hautement qualifiés, elle a laissé des lacunes et des faiblesses dans la structure réglementaire.

Peut-être sommes-nous arrivés à un point de l'évolution de la réglementation du travail et de l'emploi où il convient de poser certaines questions difficiles à propos des résultats, par exemple :

• Que valent les gains enregistrés par suite du mouvement de déréglementation par rapport aux pertes subies par les travailleurs vulnérables, leur famille et, au bout du compte, la société?

· Ce mouvement est-il conforme aux valeurs fondamentales de la plupart des Canadiens?

· Dans son état actuel, la structure réglementaire reflète-t-elle adéquatement les valeurs fondamentales canadiennes?

· Sommes-nous disposés à permettre le remplacement des fonctions traditionnelles des lois et des politiques du travail et de l'emploi par la tendance économique à la déréglementation?

Pour répondre à ces questions, nous devons articuler certaines de nos valeurs et de nos croyances fondamentales au sujet du rôle que devrait jouer l'État dans la réglementation du marché du travail. Autrement dit, nous devons nous demander quels sont les intérêts de la société dans la réglementation du travail. Quelles sont les valeurs fondamentales que nous tentons de promouvoir et de protéger? Voilà les questions auxquelles nous essaierons de répondre dans la section suivante.

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