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Page d'accueil À propos de nous Rapport Document de discussion 2002 Document de discussion - En quête de sécurité

À propos de nous

Rapport

Document de discussion

Commission du droit du Canada
www.cdc.gc.ca

 

Numéro de catalogue : JL2-19/2002
ISBN : 0-662-66399-3

© Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2002

Avant-propos

Même avant le 11 septembre 2001, les questions de sécurité préoccupaient les Canadiens et Canadiennes. Ils considèrent que la sécurité constitue un besoin fondamental. La façon dont nous devrions répondre à un tel besoin fait l'objet du présent document de discussion.

Comme plusieurs autres pays, le Canada a été témoin de la croissance exponentielle des entreprises de sécurité privées, lesquelles complètent, soutiennent ou remplacent les fonctions des services de police publics.

La coexistence des services publics et des entreprises privées, ainsi que la concurrence qu'ils se font parfois, ne sont pas exclusives au domaine de la sécurité. Toutefois, la distinction entre le public et le privé dans le domaine de la sécurité présente des défis particuliers : le secteur privé fournira-t-il des services de sécurité d'une manière qui sera compatible avec nos valeurs d'égalité et de dignité humaine dans une société démocratique? Comment pouvons-nous en être sûrs? La division actuelle du travail entre la police publique et les services de sécurité privés constitue-t-elle la meilleure façon d'assurer le maintien de l'ordre? Si nous sommes de plus en plus préoccupés par la sécurité, de telles questions doivent être posées.

Nous ne devrions pas perdre de vue les questions importantes qui sous-tendent le présent débat : qu'est-ce que la sécurité? Pourquoi les Canadiens et Canadiennes en veulent-ils autant? De quelles valeurs les Canadiens et Canadiennes exigent-ils le respect dans le cadre de la prestation de services de police?

Le mandat de la Commission du droit du Canada est de donner des conseils au gouvernement, de façon indépendante, sur l'amélioration, la modernisation et la réforme du droit canadien. La Commission cherche à engager les Canadiens et Canadiennes dans la réforme du droit, afin de s'assurer qu'il soit pertinent, dynamique, juste et également accessible à tous et à toutes. La Commission désire examiner la façon dont le droit a réagi aux attentes changeantes des Canadiens et Canadiennes en matière de sécurité. La façon dont nos valeurs ont été transformées par l'enchevêtrement des intervenants publics et privés dans le domaine de la sécurité constitue un point de mire idéal pour l'étude des rapports sociaux en évolution.

Le présent document de travail vise à informer et à favoriser la discussion. Plutôt que de donner des réponses, il pose des questions et se sert d'exemples pour susciter la réflexion. Ce n'est qu'à travers un questionnement que nous serons en mesure d'adapter nos institutions juridiques aux besoins changeants des Canadiens et Canadiennes.

La Commission désire remercier son premier chercheur invité, le Dr George Rigakos, de la Saint Mary's University, qui a rédigé l'ébauche du présent document de discussion. Cependant, la Commission demeure responsable du présent texte. Elle encourage tous les Canadiens et Canadiennes à participer à la discussion en lui faisant parvenir leurs commentaires, par écrit, par courriel ou par téléphone :

Par courrier :Commission du droit du Canada
473, rue Albert
Bureau 1100
Ottawa (Ontario)
Canada K1A 0H8

Par téléphone :(613) 946-8980

Par télécopieur :(613) 946-8988

Courriel :sécurité@cdc.gc.ca

  
Table des matières

Résumé

IIntroduction
Police et maintien de l'ordre
Croissance de la sécurité privée
Maintien de l'ordre et gouvernance

IIRéseaux de services de police publics et privés
Rapports traditionnels en matière de sécurité
Nouveaux rapports en matière de sécurité
Mise en contexte des rapports en matière de sécurité
Répercussions du 11 septembre

IIIServices de police dans un contexte historique

IVCadre de gouvernance
Pouvoir d'arrestation
Pouvoir de fouille
L'application de la Charte canadienne des droits et libertés
Réglementation du personnel de sécurité

VSécurité et maintien de l'ordre dans une société démocratique
Justice
Égalité
Responsabilité
Efficacité

VIFuture gouvernance des services de police
Professionnalisation de l'industrie de la sécurité privée
Nouveaux modèles de réglementation

VIIConclusion

Bibliographie choisie

Résumé

La société moderne est parfois décrite comme une société à risques. On considère que, peu importe le taux de criminalité, les craintes du public demeurent aiguës ou augmentent. En conséquence, les gens prennent des mesures visant à minimiser leur exposition au risque. Ils évaluent le risque d'après leurs propres expériences personnelles et les renseignements diffusés par les médias. Dans un monde réseauté, les gens reçoivent en direct des nouvelles au sujet d'événements survenus dans des collectivités éloignées. Des millions de personnes deviennent membres d'une famille étendue de victimes en regardant une autre fusillade tragique dans une école, une autre émeute, ou même l'horrible effondrement du World Trade Center. De tels événements suscitent un sentiment d'impuissance et portent souvent à prendre des mesures visant à renforcer un sentiment de sécurité personnelle. L'insécurité entraîne l'achat de services de sécurité privés supplémentaires.

Que les craintes du public en ce qui concerne la sécurité soient « nouvelles », ou alors « plus aiguës » dans la société canadienne contemporaine que lors des décennies précédentes – voilà un sujet à débat. Toutefois, ce qui ne fait pas de doute, c'est que certains segments de la société se procurent de la sécurité et de la protection sous forme de biens. Nous achetons des systèmes résidentiels d'alarme contre le vol et des barres de sécurité pour nos fenêtres. Nous engageons des agents de sécurité afin qu'ils patrouillent nos collectivités. Nous installons des caméras de surveillance dans les endroits publics. Nous prenons de telles mesures à titre individuel ou collectif, ou en tant qu'entreprises pour minimiser le risque. Évidemment, certains Canadiens et Canadiennes sont mieux placés pour gérer leur risque. Comme tout autre bien en vente sur le marché libre, la sécurité est disponible à ceux qui peuvent se le permettre.

L'État canadien a cherché à protéger tous ses citoyens, sans égard à la classe sociale ou à la richesse. Toutefois, il y a des brèches de plus en plus grosses dans le filet de sécurité sociale et la gestion du risque est souvent passée de l'État au citoyen « responsabilisé ».

Le présent document de discussion examine les changements que connaît la prestation de services de sécurité aux Canadiens. Il présente tout d'abord un examen des arrangements en matière de sécurité au Canada. Suit une discussion portant sur la croissance des réseaux de services de police dont font partie des intervenants tant publics que privés. Le document de discussion présente ensuite un bref examen de l'historique du maintien de l'ordre. Les trois sections qui suivent abordent des questions de gouvernance. La section IV jette un coup d'oeil sur le milieu actuel de la réglementation. La section V s'interroge sur les valeurs démocratiques qui devraient orienter les services de maintien de l'ordre au Canada. La section VI examine les différentes façons de réglementer les services de maintien de l'ordre au Canada.


Maintien de l'ordre au Canada

Le document de discussion établit une distinction entre la police en tant qu'institution et le maintien de l'ordre en tant qu'activité. Le maintien de l'ordre s'entend des activités entreprises par tout individu ou organisme agissant légalement afin de maintenir la sécurité ou l'ordre social. Les services de police publics s'engagent dans le maintien de l'ordre, tout comme un éventail d'autres intervenants et organismes.

Le maintien de l'ordre au Canada est en voie de transformation. On considérait autrefois que la prestation de services de police était du ressort exclusif de l'État. Au Canada, on assiste de plus en plus au développement de réseaux de services de police complexes. De tels réseaux reflètent une combinaison de fournisseurs publics et privés de services de sécurité. Les entreprises de sécurité privées patrouillent de vastes espaces dans les zones urbaines; elles procèdent à des arrestations en cas d'infraction au Code criminel et veillent à l'application des lois provinciales. Les sociétés privées de comptabilité judiciaire sont engagées dans des enquêtes complexes sur les fraudes. Le secteur privé s'engage dans des activités habituellement associées aux services de police publics. Il est de plus en plus difficile de distinguer les fonctions privées des fonctions publiques : la distinction entre la police publique et les services de sécurité privés est devenue floue.

Le document de discussion a été rédigé à la lumière des événements du 11 septembre 2001. Avant le 11 septembre, on se fiait de plus en plus aux entreprises de sécurité privées pour notre sécurité économique et physique. Le 11 septembre et ses répercussions indiquent-ils une tendance à un plus grand rôle du gouvernement? Il est encore trop tôt pour évaluer la longévité d'une telle tendance; il serait également facile de se laisser emporter par les événements.


Milieu de la réglementation

Le pouvoir d'arrestation des agents de sécurité privés en cas d'infraction criminelle n'est pas plus étendu que celui du citoyen canadien moyen. Le Code criminel du Canada précise que quiconque, y compris un agent de sécurité privé, peut arrêter une personne qu'il trouve en train de commettre un acte criminel. De plus, les propriétaires fonciers ou leurs agents peuvent arrêter une personne qu'ils trouvent en train de commettre une infraction criminelle concernant leurs biens.

En outre, les propriétaires fonciers fixent les conditions d'accès à leur propriété. Les agents de sécurité assurent l'observation des conditions au nom des propriétaires. En exerçant leurs droits de propriété, les propriétaires et leurs agents de sécurité privés arrêtent des individus pour des infractions mineures telles que l'inconduite.

La Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas aux rapports entre deux citoyens privés. Toutefois, la Charte s'applique à une personne qui agit comme agent de l'État, notamment lorsqu'elle arrête un autre citoyen. Les réseaux de services de police publics et privés deviennent de plus en plus complexes; il sera de plus en plus difficile de répondre à la question de savoir quand un agent privé de sécurité agit comme agent de l'État de manière à assujettir ses actions à la Charte.


Maintien de l'ordre dans une société démocratique

Il y a quatre principes fondamentaux sur lesquels devraient reposer les services de police démocratiques au Canada : la justice, l'égalité, la responsabilité et l'efficacité. Selon le principe de justice, tous les citoyens devraient être traités équitablement et leurs droits devraient être respectés. Selon le principe d'égalité, tous les Canadiens devraient recevoir des services de police qui leur permettent de se sentir en sécurité dans leur collectivité. L'égalité signifie également que tous les membres de la société devraient participer à la prestation de services de police et y être représentés; elle exige un service de sécurité qui favorise l'égalité et l'inclusion. Selon le principe de responsabilité, les actions prises par un organisme sont susceptibles de révision et il existe une procédure formelle pouvant être utilisée pour porter plainte. En dernier lieu, l'efficacité signifie que les services sont fournis d'une manière efficace par rapport au coût. Dans quelle mesure les services de police publics et les organismes de sécurité privés tiennent-ils compte des principes énoncés ci-haut?

La Charte offre aux citoyens des garanties contre les traitements inéquitables de la part de la police publique. Puisque les agents de sécurité sont de simples citoyens, la Charte ne s'applique pas toujours à leurs rapports avec d'autres citoyens. Compte tenu des transformations que connaît le domaine du maintien de l'ordre, s'agit-il là d'une distinction acceptable? L'inclusion signifie que la police devrait représenter la collectivité qu'elle dessert. Les services de police communautaire constituent un moyen par lequel les services de police publics ont répondu au défi de l'égalité de représentation. Dans quelle mesure les services de police communautaire ont-ils réussi? Les organismes de sécurité privés peuvent-ils offrir de tels services?

Dans le domaine du maintien de l'ordre, le sujet de la responsabilité s'avère délicat. L'efficacité des mesures de responsabilisation applicables à la police publique est une question litigieuse. Certains prétendent que les policiers sont victimes d'un système de surveillance inéquitable et inefficace. D'autres soutiennent que les mécanismes de surveillance existants sont faibles et ne représentent pas la collectivité dans son ensemble. Certains prétendent que les agents de sécurité privés sont beaucoup moins responsables de leurs actions que la police publique, étant donné que les lois n'établissent aucun mécanisme de surveillance indépendant pouvant être utilisé pour responsabiliser les agents de sécurité privés. Il n'importe peut-être pas seulement de savoir si les services de police privés et publics sont responsables, mais aussi envers qui ils le sont. Il se peut également que les méthodes de responsabilisation existantes ne tiennent pas compte du fait que les services de police ne sont plus seulement fournis par la police publique. Les services privés de sécurité ne devraient peut-être pas être simplement assujettis aux mécanismes de responsabilisation qui s'appliquent actuellement à la police publique. Il se peut que les efforts de réforme du droit devraient plutôt viser l'élaboration de mécanismes de surveillance innovateurs qui tiennent compte des nouveaux réseaux de services de police publics et privés au Canada.


Future gouvernance des services de police

Le milieu actuel de la réglementation ne tient peut-être pas compte de façon adéquate des réseaux de services de police publics et privés au Canada. La législation devrait-elle tenter de maintenir la distinction entre la police publique et les services privés de sécurité? Par exemple, les décideurs pourraient tenter d'énoncer les mesures que peuvent prendre les organismes privés de sécurité et leur personnel, ainsi que celles qui leur sont interdites. La politique canadienne devrait-elle également viser la réglementation efficace des nouveaux réseaux de sécurité qui se sont développés? Devrions-nous élaborer une politique en matière de services de police qui englobe les activités des secteurs public et privé et qui puisse gérer les rapports entre ces deux secteurs?

La professionnalisation de l'industrie de la sécurité pourrait répondre à certaines questions soulevées dans le présent document de discussion. Le développement d'une association industrielle efficace et représentative, l'adoption de normes minimales de formation et la création d'organismes de surveillance efficaces pourraient faire en sorte que les services de police sont fournis en conformité avec les valeurs démocratiques.

D'autres modèles comprennent également l'examen de formes de réglementation plus étendues qui englobent le secteur des services de police dans son ensemble. D'après le premier modèle, les entreprises de sécurité privées seraient réglementées par les services de police publics. Selon le deuxième modèle, on assisterait au développement de commissions de services de police communautaires chargées de l'organisation et de la réglementation des services de police publics et privés dans la collectivité.

Le maintien de l'ordre dans une société démocratique exige l'élaboration de nouvelles approches de gestion entre intervenants privés et publics dans le domaine de la sécurité. Il exige également que les Canadiens et Canadiennes discutent des questions énoncées ci-haut.


 
IIntroduction
 

  

L'organisation du maintien de l'ordre connaît un phénomène assez remarquable depuis les 30 dernières années. Plusieurs fonctions qui étaient autrefois du ressort exclusif des services de police publics sont désormais exercées par des entreprises privées. Dans certains cas, cela veut dire que les services de sécurité privés accomplissent des tâches auparavant exécutées par la police publique. Dans d'autres cas, cela signifie que des domaines d'activité entièrement nouveaux – des services qui n'existaient pas ou qui n'étaient pas partout disponibles – peuvent maintenant être achetés.

Une part importante des activités de sécurité au Canada revient maintenant à des organismes non gouvernementaux. À Vancouver, Toronto et Halifax, les associations d'amélioration des affaires engagent des entreprises de sécurité privées afin qu'elles patrouillent les rues du centre-ville. Des entreprises privées d'experts-conseils font régulièrement enquête sur les opérations financières suspectes et préparent des documents d'information pour les escouades des fraudes de la police. Dans certaines zones urbaines, les entreprises de sécurité privées patrouillent les complexes d'habitation. Les entreprises privées établissent maintenant le « profil » des voyageurs aériens afin de déterminer s'ils sont de véritables passagers ou des terroristes éventuels.

Notre appétit pour la sécurité, qu'il s'agisse de sécurité personnelle ou de sécurité économique, semble insatiable. Il est alimenté par les expériences personnelles, les images d'insécurité que projettent les médias et les campagnes publicitaires pour les alarmes de sécurité et des produits tels que l'assurance-vie, les fonds mutuels et les régimes enregistrés d'épargne-retraite et d'épargne-études. Les Canadiens et Canadiennes se font souvent dire qu'ils sont responsables de leur propre sécurité, laquelle doit être assurée par une planification financière rigoureuse, un apprentissage continu, la mise en garde des enfants contre les dangers de la rue, ou la protection de leur propriété contre le vol.
 

 

Le processus policier n'est plus pensable uniquement en termes d'agents de police et agents de l'État. Cette notion a une dimension privée significative en termes d'agents de sécurité privée, des activités de sécurité et préventive au sein des entreprises, particulièrement dans des espaces semi-publics comme les grandes surfaces et les centres de loisirs, mais également dans des lieux de travail, des hôpitaux, des établissements scolaires, etc. De la même façon, nos vies et nos styles de vie sont de plus en plus contrôlés et modulés par de l'appareillage technologique avec une importante dimension de sécurité (...).

Shapland, Jonna et Van Outrive, Lode, dir., Police et sécurité : Contrôle social et interaction public/privé, p. 1.

Notre sentiment de sécurité est également affecté par les événements locaux et mondiaux qui accentuent notre vulnérabilité. Les effets du 11 septembre 2001 se font ressentir bien après les événements tragiques de ce jour-là. Au Canada, certains intervenants ont immédiatement insisté sur un resserrement des contrôles à la frontière et des normes en matière d'immigration, ainsi que sur un accroissement des pouvoirs de la police comme mesure préventive contre de futurs actes terroristes. Bien que l'accent ait tout d'abord été mis sur les aéroports et la lutte contre le terrorisme, les répercussions du 11 septembre pourraient très bien se faire ressentir dans tous les aspects de notre société, sous forme de demandes visant une amélioration de la sécurité dans les écoles et universités, au travail, ainsi que dans d'autres grands espaces publics tels que les stades, les complexes récréatifs et les zones de divertissement.

Les changements au niveau de la prestation de services de sécurité doivent être réconciliés avec la façon dont nous pensons habituellement au rôle du gouvernement. L'État moderne est caractérisé par un gouvernement qui assume la responsabilité principale d'assurer la sécurité de ses citoyens. Cela se fait habituellement par la création de services de police publics. Au Canada, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a juridiction sur la police fédérale ainsi que sur les services de police de certaines provinces et municipalités. Il existe aussi certains autres services de police publics, par exemple la Police provinciale de l'Ontario, la Sûreté du Québec et le Royal Newfoundland Constabulary. Bon nombre de municipalités et de collectivités autochtones partout au pays possèdent leurs propres services de police.

Dans une démocratie, les services de police publics garantissent la sécurité et la protection des citoyens. Ils nous assurent qu'ils peuvent mener leurs affaires sans crainte de préjudice et sans avoir recours au racket de protection. Les services de police publics sont chargés d'assurer la sécurité de tous les membres de la société de façon égale, de maintenir la primauté du droit de façon impartiale et d'appréhender ceux qui ne la respectent pas.

Nous prenons souvent pour acquis la neutralité de la police. Les idéaux d'impartialité, de représentativité et de responsabilité envers le public qui définissent la police comme institution publique ont été élaborés à travers le temps et reflètent des principes démocratiques. En effet, le système actuel de freins et de contrepoids qui responsabilise la police et protège les citoyens contre les abus de pouvoir a été obtenu par suite d'un processus laborieux de délibérations publiques et de réformes législatives.

Aujourd'hui, l'État demeure un joueur important dans la prestation et la réglementation des services de police, mais il n'est pas le seul acteur institutionnel à offrir des garanties aux citoyens en matière de sécurité. Il existe maintenant un éventail d'organismes privés de maintien de l'ordre, lesquels comprennent notamment des entreprises de sécurité privées, des compagnies d'assurances, des comptables judiciaires et des services privés de sécurité industrielle à l'interne. Ces organismes privés de maintien de l'ordre jouent maintenant un rôle qui dépasse la simple protection de la propriété privée. Ils sont souvent engagés dans le maintien de l'ordre ainsi que dans des enquêtes criminelles et des arrestations dans les lieux publics. En d'autres mots, ils accomplissent plusieurs tâches qui étaient auparavant du ressort exclusif des services de police publics.

La distinction entre la propriété publique et la propriété privée – et la question de savoir qui détient la responsabilité du maintien de l'ordre dans les espaces publics et privés – devient de moins en moins nette. Il ne s'agit pas là d'un nouveau phénomène qui ne se manifeste qu'au Canada. Toutefois, ce qui est nouveau, c'est peut-être la mesure dans laquelle s'est érodé le monopole de l'État sur le maintien de l'ordre.

Les implications de tels changements pour le gouvernement, les citoyens et la démocratie demeurent diffuses. La prestation de services de sécurité est-elle un « bien public » qui peut être privatisé? Y a-t-il des limites imposées à l'autorité sur les services de police qui peut incomber au secteur privé? La sécurité privée est-elle nécessairement moins démocratique et moins équitable que la sécurité publique? Nos régimes de réglementation conviennent-ils présentement au domaine du maintien de l'ordre? Comment ces régimes pourraient-ils être modifiés pour tenir compte des rapports de plus en plus flous entre la police publique et la police privée?


Police et maintien de l'ordre
 

  

Nous établissons une distinction entre la police en tant qu'institution, d'une part, et l'activité que constitue le maintien de l'ordre, d'autre part. La police en tant qu'institution – la GRC, le Service de police de la communauté urbaine de Montréal, le service de police d'Edmonton – est une créature du gouvernement. Elle est établie par la loi et dispose de pouvoirs et de cadres décisionnels définis de façon plus ou moins nette. La police en tant qu'institution s'engage dans le maintien de l'ordre, tout comme un éventail d'autres institutions et organismes.

L'expression « police » signifie trop souvent les institutions publiques, par exemple les agents de la paix municipaux, provinciaux ou fédéraux en uniforme, et ignore les nombreux organismes privés et publics engagés dans le maintien de l'ordre ou dans des activités générales de réglementation. En d'autres mots, la désignation légale des diverses organisations ne nous dit pas grand-chose au sujet de leurs activités. Le « maintien de l'ordre » en tant qu'activité tient compte d'une vaste gamme d'organisations et de personnes qui y travaillent, puisqu'il met l'accent sur les tâches accomplies.

Il existe des différences marquées entre la désignation légale d'« agent de la paix » et celle d'« agent de sécurité » privé. À un niveau symbolique et surtout d'après la perception des citoyens, les termes « public » et « privé » ont chacun un sens très particulier. Par ailleurs, au niveau de la loi, les pouvoirs des policiers diffèrent de ceux des agents de sécurité privés, tout comme les mécanismes de responsabilisation applicables à l'exercice de ces pouvoirs.

Or, il est de plus en plus difficile de distinguer les services de police publics des services privés de police. Il existe un chevauchement important entre les deux services. Par exemple, les agents de sécurité dans les centres commerciaux effectuent de la surveillance, des arrestations et des fouilles et exécutent d'autres fonctions habituellement associées à la police publique, mais ils sont des agents privés. Par opposition, dans plusieurs villes à travers le pays, les commerçants privés engagent des policiers municipaux afin qu'ils s'occupent de restreindre l'accès, de procéder à des vérifications d'identité et de chasser les fauteurs de troubles des terrains privés, mais ces policiers demeurent évidemment des agents publics.
 

[TRADUCTION]

[...] il est important, d'un point de vue analytique, de choisir un terme qui décrit le maintien de l'ordre comme une activité générique, qu'elle soit dure ou souple. À cette fin, nous avons adopté le terme « maintien de l'ordre », en partie pour des raisons d'usage et en partie parce que nous croyons qu'il comporte le moins d'inconvénients à l'heure actuelle. Par conséquent, tous les articles dans le présent volume, qu'ils parlent de maintien de l'ordre ou de réglementation, traitent du maintien de l'ordre.

Shearing, Clifford D. et Philip C. Stenning, « Reframing Policing » dans Clifford D. Shearing et Philip C. Stenning, éd., Private Policing, Newbury Park, Sage, 1987 à la p. 18.

Pour les fins du présent document, nous définissons le maintien de l'ordre de la façon suivante :

Activités entreprises par un particulier ou une organisation agissant légalement au nom d'organismes publics ou privés ou de particuliers afin de maintenir la sécurité ou l'ordre social en vertu d'un contrat public ou privé, d'un règlement ou de politiques, écrits ou verbaux.

La définition exclut à dessein l'auto-justice et d'autres formes d'activités de protection illégales.


 

L'activité que constitue le maintien de l'ordre englobe plusieurs tâches qui, bien qu'habituellement associées à la police publique, peuvent également être exécutées par les services de sécurité privés : arrestations, mises sous garde, enquêtes, patrouilles à pied de routine, enquêtes sur les fraudes et comptabilité judiciaire, surveillance de la sécurité, enquêtes liées à l'assurance, conseils en matière de prévention du crime, protection de la propriété et assistance médicale ou d'urgence.

Les agents de première ligne qui font la patrouille à pied constituent le côté visible des services de police publics et des organismes de sécurité privés; cependant, tant les services de police publics que les organismes de police privés sont engagés dans une gamme d'activités comprenant beaucoup plus que de simples arrestations. Tant les services de police publics que les organismes de sécurité privés entreprennent, à l'échelle mondiale, des activités de maintien de l'ordre hautement professionnelles et technologiquement avancées. Au Canada, la GRC élabore et met en marché des technologies et services de maintien de l'ordre avancés en vue de leur vente dans le monde entier. Ces derniers comprennent des technologies dures, telles que des unités de neutralisation des bombes, de l'équipement de surveillance électronique et des produits et services biotechnologiques, ainsi que des technologies douces, sous forme d'instruction et de formation. Les organismes canadiens de maintien de l'ordre, la GRC en particulier, sont membres actifs d'initiatives internationales telles qu'INTERPOL et de missions de maintien de la paix et de l'ordre à l'étranger.

Les entreprises de sécurité privées, elles aussi, élaborent et mettent en oeuvre des technologies de sécurité avancées. Par exemple, la lecture biométrique a été utilisée pour la première fois par le secteur privé dans des casinos et lors de grands événements sportifs tels que le Super Bowl et les Jeux olympiques. Elle est maintenant utilisée par les services de police publics afin d'améliorer la sécurité des aéroports. Les entreprises de sécurité privées participent également à d'autres activités hautement sophistiquées, dont la cueillette de renseignements et la lutte contre le terrorisme, la protection des entreprises, les opérations secrètes, l'espionnage, la comptabilité judiciaire et la surveillance informatique.
 

  

 

« The new face of airport security; Biometrics technology zeroes in on passengers' biological traits », par Anne Dimon, Toronto Star, 10 janvier 2002 à la p. W00.

[TRADUCTION]

Bientôt, grâce à la biométrie, la dernière tendance dans le domaine de la sécurité des aéroports, il se peut que vous ne soyez plus seulement qu'un simple visage dans un aéroport congestionné.

La biométrie rend possible l'identification de personnes en fonction de caractéristiques physiques ou de traits personnels, tels que la voix, la signature ou les empreintes.

La technologie de lecture faciale, laquelle permet d'établir mathématiquement les caractéristiques d'un visage donné et de les comparer à celles contenues dans une base de données de visages, est utilisée par environ 150 casinos à travers le monde (y compris ceux en Ontario) mais est relativement nouvelle dans le domaine de la sécurité des aéroports.

À l'aéroport de Fresno, il y a un système pour les voyageurs qui traversent la zone de sécurité […] Après avoir franchi les détecteurs de métal, les voyageurs font face à deux tours en métal d'une hauteur de six pieds, lesquelles comprennent des caméras vidéonumériques à haute résolution, de même que des indicateurs lumineux aidant à contrôler la circulation.

Lorsque le voyageur avance, un signal rouge clignote et une voix automatisée lui demande de s'arrêter et de regarder droit devant; c'est alors que les caméras captent en images le visage du voyageur, sous divers angles. Un agent de sécurité regarde un moniteur alors que les images en direct sont traitées par ordinateur.

Le système Visage prend 128 mesures du visage – telles que la distance entre les yeux, l'épaisseur des lèvres, l'angle du nez ou de l'os zygomatique – et les compare avec celles contenues dans la base de données.

S'il n'y a pas de correspondance, la tour affiche le signal « marchez » et le voyageur se dirige vers la salle de départ. Plus souvent qu'autrement, dit Cadle, « il ne s'agit que d'un arrêt rapide et le voyageur reprend son chemin ».

Toutefois, s'il y a correspondance exacte, le système émet une alerte sonore. En cas de « correspondance partielle », l'agent de sécurité compare les deux images, étudie un score numérique calculé par l'ordinateur et décide d'alerter ou non les services de sécurité.

Au Canada, Transport Canada investit 750 000 $ dans la recherche portant sur les pratiques et technologies de sécurité avancées et sur la meilleure façon de les appliquer. À l'aéroport international Pearson, la GRC utilise la technologie biométrique, mais seulement à l'égard de suspects ou de personnes accusées de crimes tels que le trafic de stupéfiants.


Croissance de la sécurité privée

Au cours des trois dernières décennies, le nombre d'organismes privés de maintien de l'ordre (y compris les services de sécurité à contrat et à l'interne) a augmenté, tandis que le nombre de policiers au Canada a diminué de façon régulière par rapport à la population. Il n'existe pas de données fiables sur la croissance de la sécurité privée au Canada. Toutefois, on s'accorde généralement à dire que vers la fin des années 1960 ou le début des années 1970, le nombre de personnes travaillant dans le domaine de la sécurité privée semble avoir dépassé le nombre de policiers. Selon Statistique Canada, en 1996 il y avait au Canada 59 090 policiers et 82 010 agents de sécurité et enquêteurs privés. D'après ces données, environ deux tiers des fournisseurs de services de sécurité au Canada travaillent dans le secteur privé. De tels chiffres sous-estiment le nombre actuel d'employés oeuvrant dans le domaine de la sécurité privée parce qu'ils ne comprennent que les agents de sécurité et enquêteurs privés et ignorent les comptables judiciaires, enquêteurs d'assurance et agents de sécurité à l'interne.

Il est difficile de comparer les services de sécurité de différents pays parce qu'il n'existe pas de données fiables à cet égard. Toutefois, la plupart des pays occidentaux ont généralement été témoins d'un accroissement de la sécurité privée au cours des 30 dernières années. Le Canada, les États-Unis, l'Afrique du Sud et l'Australie ont tous plus d'agents de sécurité privés que de policiers. En Europe, la police publique est généralement en plus grand nombre que la police privée.

  

[TRADUCTION]

Lorsque nous regardons la taille de l'industrie, il est évident qu'elle a connu une croissance spectaculaire au cours des 20 dernières années. À la fin de 1996 […] presque 600 000 employés travaillaient dans l'industrie dans les 15 pays [de l'Union européenne] […] L'industrie de la sécurité privée en Europe est la deuxième source de protection, tandis qu'elle constitue la première source de protection […] au Canada […] aux Etats-Unis et […] en Australie. Le « champion » absolu de l'industrie de la sécurité est l'Afrique du Sud.

J. de Waard, « The Private Security Industry in International Perspective » (1999), 7 European Journal on Criminal Policy and Research 2 aux pp. 168 et 169.

En 1997, Statistique Canada a mené une enquête sur les entreprises privées de services d'enquêtes et de sécurité au Canada. En se fondant sur un échantillon aléatoire, l'enquête a révélé que l'industrie des services privés d'enquêtes et de sécurité avait généré des recettes de plus de deux milliards de dollars cette année-là et se composait de 2 746 entreprises.

Puisque l'enquête ne comprenait que les entreprises de services d'enquêtes et de sécurité, de tels chiffres sous-estiment vraisemblablement les recettes totales générées par le secteur de la sécurité privée au Canada. Les recettes auraient été plus élevées si l'enquête avait inclus, par exemple, les comptables judiciaires, les consultants en sécurité et les services de sécurité commerciale et institutionnelle à l'interne.

(Source : Enquête annuelle sur le secteur des services d'enquêtes et de sécurité, 1997, Statistique Canada)

Outre l'augmentation du personnel de sécurité privée par rapport à la police publique, il convient surtout de remarquer le type d'activités qu'entreprennent désormais les entreprises de sécurité privées. De nos jours, les services de sécurité privés sont présents dans les ports, les aéroports (bien que cela puisse bientôt changer), les centres commerciaux, les complexes commerciaux, les ensembles résidentiels protégés et même les logements sociaux. Ce sont tous là des lieux accessibles au public.

Outre les patrouilles à pied et les gardiens de sécurité dans les centres commerciaux, l'industrie de la sécurité a également un côté moins visible. Il arrive de plus en plus que des agents privés s'occupent d'enquêtes mettant en cause des enjeux importants tels que la comptabilité judiciaire pour les entreprises et la détection de fraudes à l'assurance. Dans certains cas, les entreprises privées préfèrent traiter des infractions à l'interne. Cela signifie que les infractions ne relèvent presque plus du ressort de la police publique et ne sont plus soumises à un examen du public. Dans d'autres cas, c'est la police publique elle-même qui recommande des compagnies privées aux propriétaires d'entreprises. En conséquence, la mauvaise gestion financière et la fraude, lesquelles étaient autrefois traitées au criminel et en public, sont désormais plus susceptibles d'être traitées en privé.

Bien que de telles statistiques soient présentées sous forme de données nationales, il importe de se rappeler que les tendances abordées ci-haut se rapportent principalement aux zones urbaines. Par nécessité économique ou tradition, les collectivités rurales ont tendance à adopter une approche plus volontariste visant l'augmentation des services de police publics au sein de la localité.


Maintien de l'ordre et gouvernance

On considérait autrefois que le maintien de l'ordre sur les propriétés publiques était assuré par la police publique parce qu'il y avait là un intérêt public. Réciproquement, le maintien de l'ordre sur les propriétés privées et la sécurité des intérêts privés étaient assurés par les services de sécurité privés. Dans la prochaine section, nous faisons valoir qu'il apparaît au Canada des réseaux de services de police souvent formés d'une combinaison de services de police publics et de fournisseurs privés de services de sécurité. Dans quelle mesure le droit actuel reflète-t-il le domaine du maintien de l'ordre au Canada? Étant donné la nature changeante des services de police privés et publics, la distinction entre le public et le privé, en vertu de nos lois, a-t-elle encore un sens?

De ces questions émanent d'autres questions fondamentales concernant les rapports entre la sécurité et la liberté et le maintien de l'ordre et la démocratie. Dans notre société, l'un des plus grands pouvoirs est celui de restreindre la liberté d'une personne. On confère à la police publique le pouvoir d'arrêter, de fouiller et de détenir les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction. Cependant, elle le fait en observant la « règle de droit », ce qui signifie qu'elle doit agir de façon juste et impartiale.

Les agents de sécurité privés disposent également d'une autorité apparemment considérable leur permettant de restreindre la liberté d'une personne. Tout comme la police publique, les agents de sécurité privés arrêtent, détiennent et fouillent régulièrement des individus. Cependant, les agents de sécurité privés ne se voient habituellement pas imposer les mêmes limites que la police publique. Comme nous le verrons dans la section V, plusieurs facettes de leur travail ne sont pas assujetties à la Charte canadienne des droits et libertés.


Assistons-nous à une érosion des principes de responsabilité démocratique alors que les services de police sont de plus en plus assurés par des organismes de sécurité privés? Les transformations au niveau de la prestation des services de police auront de sérieuses répercussions sur les rapports qu'entretiennent les Canadiens dans leur collectivité. Dans les pays occidentaux, la demande de services de sécurité a entraîné une modification du paysage urbain. Au Canada, nous avons assisté à une augmentation du nombre d'« ensembles résidentiels protégés » – des ensembles résidentiels construits derrière des clôtures de sûreté. Les associations de gens d'affaires engagent des compagnies de sécurité afin qu'elles patrouillent les rues publiques des zones commerciales du centre-ville. Les compagnies de sécurité privées patrouillent régulièrement les complexes d'habitation à loyer modéré à Toronto.

L'apparition des ensembles résidentiels protégés donne à penser qu'il existe un écart entre les attentes en matière de sécurité et les services que peut offrir la police publique. De tels ensembles remettent en question certaines hypothèses fondamentales de notre société : si les résidents d'un ensemble protégé ou les membres d'une association de gens d'affaires du centre-ville achètent leurs propres services de police au lieu de se fier à la police publique, quelle loi est appliquée? Si certaines entreprises et collectivités achètent leurs propres services, comment arriveront-elles à venir en aide aux services subventionnés par le public?

Étant donné les nouveaux enjeux en matière de sécurité et de protection des citoyens, une discussion portant sur le maintien de l'ordre au Canada s'avère donc d'une grande importance à l'heure actuelle. Un nouveau climat dans le domaine du maintien de l'ordre peut nécessiter des changements dans la façon dont nous organisons et régissons les institutions et organisations sur lesquelles nous comptons pour notre protection – qu'elles soient publiques ou privées. Les nouvelles stratégies de gouvernance devront refléter les changements que connaît la prestation des services de police, ainsi que le nouveau visage de la participation des citoyens et de la participation politique au Canada.

***

Le présent document de discussion a pour but d'engager les Canadiens et Canadiennes dans une discussion portant sur le maintien de l'ordre, en décrivant le contexte social, historique et juridique du maintien de l'ordre tel qu'on le connaît aujourd'hui. Il importe de garder à l'esprit que les changements que connaît la prestation des services de police ne sont pas tout à fait nouveaux. Nous pouvons tirer des leçons d'une telle histoire. Celle-ci peut éclairer les choix que nous faisons aujourd'hui.

Le présent document de discussion comprend six sections, dont la présente introduction. Dans la prochaine section, nous examinons les transformations survenues dans le domaine du maintien de l'ordre au cours des 30 dernières années. Nous étudions certains nouveaux réseaux de services de police et examinons l'effet des tendances politiques et économiques sur la sécurité et la protection. Dans la section III, nous présentons un bref historique du maintien de l'ordre. Dans la section IV, nous faisons le survol du cadre juridique et de gouvernance en examinant la situation du point de vue de la législation et de la réglementation. En se fondant sur les tendances identifiées, la section V se penche sur la question fondamentale suivante : en quoi devrait consister le maintien de l'ordre? Autrement dit, quel est le maintien de l'ordre idéal dans une société démocratique? En dernier lieu, nous examinons l'avenir du maintien de l'ordre en regardant où nous en sommes rendus et où nous pourrions nous diriger.

Nous espérons que la présente discussion portera les Canadiens et Canadiennes à participer et s'intéresser aux développements en matière de maintien de l'ordre. Nous vous invitons à nous envoyer vos commentaires.


 
IIRéseaux de services de police publics et privés
 


[TRADUCTION]

Les tribunaux canadiens sont en retard de deux décennies sur les développements en matière de sécurité privée […] Ils croient encore que […] l'État et les intérêts privés peuvent être démêlés et que les contraintes obligatoires à imposer à la personne qui procède à l'arrestation peuvent être déterminées sans problème […] De telles distinctions juridiques binaires n'équivaudront qu'à un simple déni du chevauchement de mandat, de légitimité et d'autorité qui s'opère entre ces sphères de gouvernance désormais inextricablement liées.

G.S. Rigakos et D.R. Greener, « Bubbles of Governance: Private Policing and the Law in Canada » (2000), 15 Canadian Journal of Law and Society 1 à la p. 184.

Au centre-ville des villes canadiennes, des agents en uniforme patrouillent les rues, rencontrent les commerçants, répondent à des appels à l'aide et, de façon générale, maintiennent l'ordre. Ce ne sont pas des membres de la police publique mais plutôt des agents de sécurité privés. Lorsqu'un employé est soupçonné de détourner des fonds, la police peut suggérer à l'entreprise visée de faire appel à un comptable judiciaire privé. Lorsque des agents de douane à l'aéroport Pearson de Toronto soupçonnent un voyageur d'utiliser un faux passeport, ce dernier est menotté et emmené par un agent dans un établissement sécuritaire entouré d'une clôture de barbelés à mailles losangées. L'agent est un agent de sécurité privé et l'établissement est un hôtel privé.

Le maintien de l'ordre au Canada et à travers le monde est en voie de changement. On passe d'un système en vertu duquel la police publique fournit la presque totalité de nos services de police à un système en vertu duquel les services de police sont fournis par une gamme d'organismes publics et privés. L'idée de la « privatisation » est une notion utile pour commencer à songer à une modification de la nature du maintien de l'ordre, mais elle est également contraignante. Il est de plus en plus difficile de distinguer le public du privé : la distinction entre la police publique et la sécurité privée s'est estompée. Il est de plus en plus évident qu'il ne faudrait pas simplement redessiner la ligne entre la responsabilité du secteur public et celle du secteur privé en ce qui a trait au maintien de l'ordre, comme s'il s'agissait de deux entités distinctes et séparées.

Des réseaux complexes de services de police formés d'une combinaison de fournisseurs privés et publics de services de sécurité sont apparus. Dans plusieurs zones urbaines, nous constatons la présence non seulement de services de police à deux niveaux, mais aussi de services de police à plusieurs niveaux : la police publique donne les services de patrouille en sous-traitance aux entreprises de sécurité privées; dans certains cas, les entreprises de sécurité privées aident à financer les enquêtes de la police publique; la police privée règle des plaintes qui étaient autrefois du ressort exclusif de la police publique; la police publique et les entreprises de sécurité privées collaborent entre elles lors d'enquêtes; des organismes privés engagent la police publique afin qu'elle s'occupe de la sécurité lors de certains événements privés.
 

L'Etat fort considère depuis longtemps, la gestion de l'ordre et l'allocation de la sécurité des citoyens comme le domaine par excellence de sa souveraineté (…). Cette tradition nous semble devoir expliquer le caractère impensable car impensé d'une politique publique de « privatisation » policière. Cela n'empêche en rien d'y voir se dessiner, comme dans les autres nations industrielles avancées, des modalités inédites de régulation de l'ordre. Mais la sous-estimation publique des caractéristiques et des enjeux réels que pose la sécurité privée, nous conduisent à penser que le chantier sera bientôt remis à l'ouvrage.

Ocqueteau, Frédéric, « L'Etat face au commerce de la sécurité » dans Année sociologique, (1990) p. 122.

Au Canada, il existe un système de réglementation permettant de surveiller la performance de la police publique. Cependant, la sécurité privée fait rarement l'objet d'une surveillance efficace. Par exemple, supposons qu'un agent de sécurité privé commette un abus de pouvoir lors d'une arrestation. De quel recours dispose la personne lésée? Supposons qu'un comptable judiciaire fasse preuve d'une agressivité démesurée au cours de son enquête. À qui l'employé peut-il porter plainte? Dans le même ordre d'idées, il existe très peu de lignes directrices sur la réglementation des rapports entre la police publique et les agents de sécurité privés. Dans quelle mesure les enquêtes conjointes devraient-elles être autorisées? Une entreprise de sécurité privée peut-elle financer une enquête policière? Qu'arrive-t-il si l'enquête agressive du comptable judiciaire met au jour la preuve d'une inconduite criminelle? La preuve devrait-elle être admissible devant un tribunal?

Dans la présente section, nous examinons certains facteurs clés qui donnent à penser qu'une transformation du maintien de l'ordre s'opère au Canada. Nous nous pencherons également sur les questions suivantes : qui fournit des services de police aux Canadiens et Canadiennes? Est-il important de savoir si le fournisseur est une institution publique ou un organisme privé? Quels types de rapports se forgent entre la sécurité publique et la sécurité privée? Nous ferons tout d'abord le survol de certains rapports traditionnels entre la police publique et les entreprises de sécurité privées. Nous examinerons ensuite quelques rapports plus innovateurs qui ont récemment fait leur apparition. En dernier lieu, nous discuterons du développement des réseaux de services de police dans le contexte des autres changements que connaît la société canadienne.


Rapports traditionnels en matière de sécurité

Il existe un chevauchement entre les fonctions des organismes de sécurité privés et celles de la police publique. Des services de police similaires sont offerts tantôt par des agents de sécurité privés, tantôt par la police publique. Cela ne reflète pas le type de travail ni l'ampleur du travail effectué. Par exemple, le service de sécurité du West Edmonton Mall emploie 50 agents de sécurité privés. En moyenne, 60 000 personnes se rendent au centre commercial à chaque jour; 200 000 les samedis. Le service répond à 40 000 appels à chaque année. Le service de sécurité du West Edmonton Mall participe à un plus grand nombre d'arrestations et d'activités de maintien de l'ordre que plusieurs services de police de banlieue ou ruraux au Canada.

L'estompement des rapports entre la police publique et les services de sécurité privés dans plusieurs zones urbaines est accentué du fait que certains organismes de sécurité privés ressemblent à la police publique et agissent comme celle-ci. Dans certaines villes, les agents de sécurité privés portent des uniformes et conduisent des automobiles qui, à première vue, sont presque identiques à celles de la police publique. Les associations policières ont critiqué une telle tendance, en soutenant que les citoyens pensent souvent qu'ils traitent avec un policier lorsqu'un agent de sécurité les aborde.

Certains dirigeants d'organismes de sécurité privés rétorquent que leurs agents ressemblent à des policiers et ont besoin de menottes, de vêtements pare-balles, de bâtons et de ceintures utilitaires parce qu'ils s'engagent, tout comme les policiers, dans un maintien de l'ordre proactif.
 

[TRADUCTION]

Il est maintenant presque impossible d'identifier une fonction ou une responsabilité de la police publique qui n'est pas, à un certain endroit ou dans certaines circonstances, assumée par la police privée dans des sociétés démocratiques. De nos jours, les décideurs en matière de maintien de l'ordre se résignent au fait qu'un maintien de l'ordre efficace est susceptible d'exiger une combinaison de fournisseurs publics et privés, ou alors une collaboration ou « l'établissement de réseaux » entre ceux-ci, et qu'il est difficile, voire impossible, de tracer la ligne de démarcation entre les responsabilités des divers fournisseurs.

P. Stenning, « Powers and Accountability of Private Police » (2000), 8 European Journal of Criminal Policy and Research 3 à la p. 328.

Les Canadiens et Canadiennes s'inquiètent également lorsque certaines entreprises de sécurité utilisent des tactiques habituellement réservées aux services de police publics. Par exemple, certains organismes de sécurité privés utilisent des chiens lors de leurs patrouilles, mènent des opérations de surveillance secrète, suivent les trafiquants de drogues et examinent leur comportement, conservent des bases de données détaillées sur les suspects et poursuivent même des enquêtes. En outre, certaines entreprises de sécurité privées s'engagent dans des pratiques qui ne font pas partie des pratiques habituelles de la police publique.

À Vancouver, les agents de sécurité du centre-ville qui travaillent pour le compte d'associations d'amélioration des affaires distribuent fréquemment les photos de personnes ayant été surprises en train de commettre un vol à l'étalage.

Les similitudes entre les uniformes des policiers et des agents de sécurité privés entraînent souvent de la confusion chez les citoyens. Les gens réagissent souvent à l'uniforme et oublient que l'agent de sécurité privé n'a pas la même autorité qu'un policier. La plupart des provinces disposent de règlements prévoyant que les uniformes et véhicules des agents de sécurité privés doivent nettement se distinguer de ceux de la police publique. Toutefois, en réalité, une telle distinction n'est pas toujours observée.

[TRADUCTION]

Nous commençons à ressembler à des policiers notamment parce que nous accomplissons des tâches qui ressemblent aux leurs […] Les pressions de la part de l'industrie de la sécurité visant à obtenir des services de police mixtes constituent un autre mouvement de réforme dans l'histoire des services de police.

R. McLeod, « Is the public interest served when potentially criminal matters are settled privately? » dans J. Richardson, éd., Police and Private Security: What the Future Holds, Ottawa, Canadian Association of Chiefs of Police, 2000 à la p. 155.


 

« Windsor's other force; They've got dogs, uniforms, power. But who polices the unofficial police? », par Chris Thompson, Windsor Star, le samedi 2 décembre 2000 à la p. A1.

[TRADUCTION]

Vêtus d'une chemise bleue et munis de leurs insignes, ils se promènent dans la ville en répondant aux alarmes contre le vol, en protégeant les propriétés, en effectuant des patrouilles et en luttant contre le crime.

Le timbre sur la manche de leur uniforme comporte un emblème détaillé qui met en vedette un castor, une feuille d'érable et une couronne. Leurs véhicules affichent des bandes sur les côtés et possèdent des feux clignotants sur le toit.

Ils ont l'appui d'une équipe de chiens dressés.

Si vous pensez qu'il s'agit du service de police de Windsor, vous avez tort. Il n'aura pas d'unité canine avant l'année prochaine.

En juin, la compagnie a reçu du ministère du Solliciteur général l'autorisation d'employer des chiens de garde et de piste; c'est la 28e compagnie de sécurité de la province qui a reçu une telle autorisation.

Cependant, le chef de police de Windsor, Glenn Stannard, se hérisse lorsqu'on lui pose des questions au sujet de la croissance rapide des entreprises de sécurité privées et de leur empiétement dans des domaines qu'il considère du ressort de la police, y compris l'utilisation de chiens dressés.

« Nous aurons une escouade canine et il y a beaucoup de règlements », a déclaré M. Stannard. « Les services de sécurité privés ne peuvent utiliser les chiens qu'à des fins d'intimidation. Qu'est-ce qui leur donne le droit d'intimider les gens? ».

La question des chiens dressés n'est que l'une des questions que M. Stannard considère problématiques en ce qui concerne l'industrie de la sécurité privée.

« Ils s'habillent comme des policiers, pour des raisons évidentes; ils ont des véhicules semblables à ceux de la police, mais ils n'ont pas à respecter les mêmes normes élevées », a précisé M. Stannard. « Il y a très peu de professions qui imposent le même type de responsabilité; il y a maintenant des groupes qui veulent s'habiller et agir comme des policiers, ce qu'ils peuvent faire ».


 

L'utilisation d'agents « en affectation rémunérée » constitue un autre exemple intéressant de l'estompement des rapports entre la police publique et les services de sécurité privés. Dans plusieurs municipalités, des clients privés, tels que les clubs sportifs, les bars et les sociétés cinématographiques, engagent les services de police municipaux pour que des policiers assurent la sécurité lors de certains événements privés. Dans un tel cas, le service de police municipal paie ensuite l'agent pour qu'il travaille lors de l'événement. Les « affectations rémunérées » peuvent s'avérer lucratives pour les policiers. À Vancouver, un policier peut gagner 15 000 $ de plus par année en demandant du travail supplémentaire. Certains services, tels que le service de police d'Ottawa, établissent le nombre d'heures maximum qu'un agent peut allouer quotidiennement au travail dans des lieux privés.

La police procède souvent à une évaluation du risque et informe celui qui demande les services du nombre de policiers nécessaires. Par exemple, à Hamilton, si une école primaire tient une danse à l'école, elle doit engager un policier municipal; pour les danses organisées dans une école secondaire, deux policiers doivent être présents. Un sergent et 11 agents de police doivent être présents lors d'un match de la Ligue nationale de hockey au Centre Corel à Ottawa.

Les policiers doivent habituellement porter leur uniforme et conservent leur statut d'agent de la paix. Bien qu'ils puissent agir dans l'intérêt du public, ils appuient également les intérêts privés des propriétaires des lieux : ils peuvent interdire l'accès aux clients non payants et arrêter les personnes qui refusent de se conformer aux enseignes des propriétaires, telles que celles interdisant la consommation d'alcool à l'extérieur d'une zone déterminée. Si une personne est arrêtée, se voit refuser l'accès ou fait l'objet d'un usage de la force, il se peut qu'elle veuille poursuivre l'organisme dont elle estime avoir reçu les mauvais traitements. Cependant, dans le cas présent, l'organisme visé est la police publique. D'une certaine façon, les contribuables subventionnent les frais d'assurance et les coûts de la responsabilité liés à la sécurité d'un événement pour le compte d'un particulier ou d'une personne morale. Certains dirigeants d'organismes de sécurité privés voient là une concurrence injuste de la part du secteur public, puisque les entreprises de sécurité privées doivent payer leurs propres frais d'assurance tandis que la police compte sur des fonds publics.

Sujets de discussion

  • Les services de police « en affectation rémunérée » signifient-ils que les contribuables subventionnent les coûts liés à la sécurité d'un événement privé? Dans l'affirmative, cela est-il approprié?
  • Les similitudes entre les uniformes, les tactiques et les outils des forces policières et des agences privées portent-elles à confusion? Comment y répondre?

Alors que les services de police s'engagent dans des « affectations rémunérées », les organismes de sécurité privés sont appelés à exercer certaines fonctions autrefois exécutées par la police publique. Par exemple, la protection des ponts, la limitation d'accès aux postes de police, le maintien de la sécurité des salles d'audience et l'émission de contraventions de stationnement ont été donnés en sous-traitance à des organismes spécialisés publics, privés ou même quasi publics, tels que le Corps canadien des commissionnaires. Dans presque toutes les municipalités, les agents de sécurité privés détiennent un permis d'agent chargé de faire appliquer le règlement et peuvent émettre des contraventions dans des lieux publics et privés. Les sommes obtenues à titre d'amendes vont à la municipalité. Lorsque le gouvernement fédéral a dissous la Police de Ports Canada, des arrangements de maintien de l'ordre ont été négociés à divers endroits. Dans certains cas, on a engagé des services de sécurité privés, tandis que dans d'autres cas, on a fait appel à la police locale pour qu'elle fournisse des services spéciaux.


Nouveaux rapports en matière de sécurité

La police publique et les organismes de sécurité privés forment souvent entre eux des rapports de coopération. Une telle coopération contribue à l'estompement des rapports entre les secteurs public et privé. Le déplacement de policiers à la retraite vers le secteur de la sécurité privée facilite souvent la coopération. Plusieurs dirigeants d'entreprises de sécurité privées, d'équipes de comptables judiciaires ou de sociétés de conseils en sécurité sont d'anciens policiers. Le Corps canadien des commissionnaires recrute ses employés rom de l'armée. Le Corps dispose ainsi d'un effectif bien formé par rapport à d'autres entreprises de sécurité. De tels rapports fournissent un mécanisme d'échange de renseignements entre organismes.

Les policiers et les agents de sécurité privés s'échangent des renseignements au sujet d'individus et d'événements sur un territoire donné. De façon informelle, les policiers et agents de sécurité privés s'échangent souvent des renseignements au sujet de certains événements ou de personnes recherchées. Les policiers donnent aux agents de sécurité travaillant dans les centres commerciaux ou complexes d'habitation des renseignements concernant les personnes recherchées et consultent parfois des documents contenant les photos de personnes frappées d'interdiction d'accès ainsi que d'autres renseignements personnels. Les agents de sécurité servent donc d'yeux et d'oreilles supplémentaires.

Dans certains cas, la police et les entreprises de sécurité ont créé des associations de coopération plus formelles pour se rencontrer et discuter de sujets tels que les menaces à la bombe, la protection de cadres et les enquêtes sur le cambriolage. Le service de police d'Edmonton et les entreprises de sécurité privées se rencontrent régulièrement pour élaborer des stratégies de maintien de l'ordre pour certaines régions. À Vancouver, sous les auspices d'un programme appelé Operation Cooperation, les membres du service de police de Vancouver et les représentants d'organismes de sécurité privés se rencontrent pour discuter des priorités en matière de maintien de l'ordre au centre-ville. Dans la ville d'Amarillo, au Texas, la police a négocié une entente avec Allstate Security. Depuis août 1981, Allstate assume la responsabilité de répondre aux alarmes à travers toute la ville. Pendant la même période, la police d'Amarillo a engagé des agents de sécurité privés afin qu'ils patrouillent les rues du centre-ville conjointement avec la police pendant les heures de pointe. Aujourd'hui, la plupart des clients appellent Allstate pour de petites urgences ou lorsque quelqu'un rôde sur leur propriété. Des initiatives similaires existent à New York, où un programme assure la liaison entre les postes de police et 30 organismes de sécurité, dans le cadre d'un effort structuré de lutte contre le crime.

Dans le domaine du maintien de l'ordre communautaire, des partenariats sont possibles entre la police publique et les entreprises de sécurité privées. À Toronto, une grande entreprise de sécurité a négocié, avec deux différents propriétaires fonciers détenant plus d'une douzaine d'édifices dans le quartier de Cabbagetown, des arrangements permettant aux agents de sécurité d'aider leurs associés qui travaillent dans des édifices voisins. Cet arrangement contractuel unique profite aux clients parce qu'il crée un service de police, multiclients et multitâches qui ressemble étroitement au service de police municipal. Un arrangement similaire existe dans le quartier de Southwark, en Angleterre. Dans ce quartier, on engage des services de sécurité privés pour qu'ils s'occupent de la lutte antidrogue de petite envergure. Les agents de sécurité rendent compte à 20 conseillers municipaux, un représentant des locataires et un bureau de logement de quartier, ainsi qu'à des coordonnateurs de la sécurité communautaire.

La coopération dans le domaine du financement des enquêtes est plus controversée. Les dons de particuliers ou apports financiers consentis aux services de police publics devraient-ils être acceptés? Dans certains cas – l'enquête de Weibo Ludwig décrite ci-dessous en est un exemple – des dons de particuliers versés à des services de police publics ont été acceptés. Toutefois, certains s'inquiètent que des apports financiers puissent compromettre l'intégrité de la police. Supposons qu'une institution financière importante soit intéressée à verser une somme à l'appui de l'unité d'enquête sur les fraudes d'un service de police. Aurions-nous l'impression que l'institution financière cherche à acheter des services policiers et un accès préférentiel aux ressources policières?


 

« AEC gave RCMP computers and software: Deployed to track 'persons of interest' », par Christie Blatchford, National Post, 23 février 2000 à la p. A1/Front.

[TRADUCTION]

EDMONTON – L'entreprise géante Alberta Energy Co. (AEC) a fourni à la Gendarmerie royale du Canada un ordinateur, des logiciels et une aide technique lors de l'opération d'infiltration massive de la Gendarmerie menée il y a deux ans contre l'évangéliste renégat Wiebo Ludwig.

La révélation choc – accompagnée de l'aveu d'un employé de la société pétrolière selon lequel une entreprise de sécurité privée à l'emploi d'AEC et dirigée par un ancien membre de la police montée pourrait aussi avoir fourni à la GRC les noms de « personnes d'intérêt » dont les déplacements devraient être suivis par la police – a été faite hier lors du procès criminel de M. Ludwig et de son ami Richard Boostra.

La semaine dernière, au procès devant juge seul, le juge Sterling Sanderman a entendu dire que le service de police national et AEC travaillaient côte à côte dans le cadre du projet Kabriole, l'opération de surveillance de 750 000 $ visant le chef de l'église Our Shepherd King, âgé de 58 ans, M. Boonstra, âgé de 54 ans, ainsi que leurs familles. Le procès a également révélé qu'AEC et d'autres sociétés pétrolières de l'Alberta avaient offert de se charger de toutes les dépenses, selon ce qu'aurait permis le service de police.

Hier cependant, alors qu'Al Johnston, directeur de projet chez AEC, était à la barre des témoins, on a appris qu'AEC West, une filiale d'AEC, avait fait don de l'ordinateur, des logiciels appropriés et d'une aide technique au détachement de la GRC à Beaverlodge, le bureau de la GRC situé le plus près de la ferme Trickle Creek de M. Ludwig, dans la partie nord-ouest de la province.

M. Johnston a déclaré que l'entreprise Security Management Consulting était dirigée par Howard Cox, un ancien membre de la police montée ayant pris sa retraite alors qu'il était inspecteur, et formée essentiellement d'anciens membres de la GRC. (…)

Un organisme communautaire peu connu appelé South Peace Crime Prevention Society aurait été choisi comme tierce partie pour blanchir l'argent en provenance des sociétés pétrolières.

Par suite d'un don direct de 25 000 $ de la part d'AEC, les autres sociétés pétrolières, l'industrie des pâtes et papiers et d'autres entreprises ont rapidement réuni des fonds de 188 000 $, lesquels ont été transférés à la municipalité de Grande Prairie – la plus grande ville de la zone pétrolifère du nord-ouest – et ensuite aux bureaux locaux de la GRC, à des fins de ce qu'on appelle par euphémisme « amélioration du maintien de l'ordre ».


 

De telles questions apparaîtront sans doute de plus en plus fréquemment au cours de la prochaine décennie. On demande aux services de police de fournir plus de services avec moins de ressources. Les sociétés privées sont de plus en plus préoccupées par la sécurité et disposent habituellement de services de sécurité technologiquement avancés et bien financés à l'interne ou en vertu d'un contrat. Une combinaison de facteurs pourrait résulter en des enquêtes menées conjointement par les secteurs public et privé.

Certaines commissions de police ont établi des limites sur le montant des dons et commandites pouvant être demandés ou acceptés. À moins d'autorisation expresse, la Commission des services policiers d'Ottawa interdit les dons, prêts ou commandites dépassant 20 000 $ afin de ne pas [TRADUCTION] « compromettre ou remettre en question l'impartialité ou l'objectivité de la police ». Aucun don ne peut être accepté dans le cadre d'une enquête criminelle; en outre, tout don, prêt ou commandite reçue doit l'être sans que le donateur établisse de conditions ou de préférences quant à son utilisation.

Il est possible que certains services de police publics n'aient pas la capacité de faire enquête sur les cas de fraude complexes. Dans le secteur privé, les sociétés de comptabilité judiciaire disposent d'une vaste expertise dans la vérification complexe des états financiers. À l'avenir, le gouvernement sera-t-il davantage disposé à engager une entreprise privée à contrat afin que celle-ci s'occupe de la totalité des cas de fraude, selon un système de recouvrement des frais? Une situation analogue pourrait exister à l'égard des enquêtes sur les crimes graves avec violence, tels que le meurtre. À l'heure actuelle, plusieurs petites juridictions n'ont pas la capacité de s'occuper de telles enquêtes et font appel à de plus grands services de police. Supposons qu'une entreprise privée forme une équipe d'enquêteurs hautement qualifiés. La municipalité pourrait engager à contrat l'équipe d'enquêteurs privés. Si un crime grave avec violence se produisait, la municipalité pourrait engager l'équipe d'enquêteurs selon le principe de la rémunération à l'acte.

De nos jours, les services de police publics cherchent activement à obtenir une part des marchés existants et des nouveaux marchés. Dans certains cas, le secteur public doit « gagner » le contrat et imposer 100 p. cent des coûts à la municipalité. La Loi sur les services policiers de l'Ontario précise qu'une municipalité peut constituer son propre corps de police, conclure une entente avec d'autres municipalités pour constituer un corps de police conjoint, ou conclure une entente en vue de la prestation de services policiers par la Police provinciale de l'Ontario. L'article 5 de la Loi a été modifié pour permettre aux conseils municipaux d'« adopter un mode différent de prestation des services policiers ». Certains dirigeants d'entreprises de sécurité privées ont soutenu qu'une telle modification leur permettait de soumissionner les contrats de maintien de l'ordre de municipalités.

Au cours de la prochaine décennie, des propositions innovatrices visant l'élaboration de nouveaux arrangements de maintien de l'ordre, tels que ceux décrits ci-haut, contribueront encore davantage à l'estompement de la distinction entre les services de police publics et les services de police privés.

Sujets de discussion

  • La police publique devrait-elle avoir le droit d'accepter des fonds en provenance du secteur privé pour faciliter les enquêtes? Dans quelles circonstances?
  • Les restrictions imposées aux apports financiers consentis aux services de police publics sont-elles appropriées?
  • Peut-on trouver d'autres façons de contrôler les dons et apports financiers?
  • Les entreprises de sécurité privées devraient-elles avoir le droit d'obtenir des contrats de maintien de l'ordre pour le compte de municipalités? Dans quelles circonstances?

 

Dans la nouvelle municipalité de Quinte West, on a invité Intelligarde à soumissionner des services de police en même temps que la police de Trenton et la Police provinciale de l'Ontario. Au cours de sa présentation, le président d'Intelligarde, Ross McLeod, a brandi […] le bâton qui remplacerait le système Deister vieillissant et fondé sur DOS. Pendant toute la présentation, il a utilisé le bâton pour souligner son message principal : celui du contrôle financier et de la qualité du service de police local. Si seulement cinq des six agents affectés à un quart de nuit se présentaient au travail, la municipalité se verrait rembourser le coût de l'agent manquant. Selon les principes de la suppression du risque néolibérale, les consommateurs ne paient que pour la surveillance immédiate qu'ils reçoivent. « La police publique peut-elle vous promettre cela? » a-t-il demandé.

G.S. Rigakos, The New Parapolice: Risk Markets and Commodified Social Control, Toronto, University of Toronto Press, 2002 à la p. 115.

[TRADUCTION]

Les données de recherche indiquent que la police publique dans la ville de Halifax ne peut plus répondre de façon satisfaisante aux demandes de la collectivité et des entreprises, lesquelles veulent une augmentation du nombre de patrouilles, des services de police lors des événements publics, la protection de la propriété et des particuliers, ainsi que des enquêtes complexes sur le vol et la fraude [...] En d'autres mots, le marché grandissant de la sécurité privée à Halifax résulte en partie de la rationalisation des services de police publics.

C. Murphy et C. Clarke, Maintenir l'ordre dans les collectivités et la collectivité des services de police : une étude de cas comparative des services de police dans deux collectivités urbaines, Ottawa, Commission du droit du Canada, 2002 à la p. 26.


Mise en contexte des rapports en matière de sécurité

Il importe de situer les transformations qui s'opèrent dans le domaine du maintien de l'ordre dans le contexte des plus vastes changements dans la société canadienne. Comme dans la plupart des pays occidentaux, les pressions budgétaires qui existent au Canada depuis les quelques dernières décennies ont mené à un nouvel examen du rôle du gouvernement. Alors que les gouvernements offraient autrefois un vaste éventail de programmes – services correctionnels, maintien de l'ordre et éducation – de telles initiatives sont maintenant données en sous-traitance au secteur privé ou ont simplement été adoptées par des intérêts privés administrant des institutions parallèles.

La figure 1 illustre le nombre de policiers assermentés pour 100 000 habitants au Canada entre 1962 et 1997. Du début des années 1960 jusqu'au début des années 1970, le nombre de policiers (mis à part le personnel civil) a augmenté, atteignant un maximum de 205 pour 100 000 habitants en 1975. Entre 1975 et 1990, le nombre de policiers pour 100 000 habitants est demeuré relativement stable. Depuis 1990, le nombre de policiers pour 100 000 habitants baisse à chaque année.

Au cours des années 1980 et 1990, la plupart des services publics au Canada ont ressenti les effets des compressions budgétaires. Tel que le démontre la figure 2, le montant des dépenses au chapitre de la police publique demeure relativement stable depuis 1990. Toutefois, bien que les budgets de la police soient demeurés stables, la police semble faire face à des demandes de plus en plus exigentes. Au cours des dernières années, on a demandé aux services de police publics de réagir au crime organisé et à la criminalité informatique sur le plan national et international; or une telle réaction exige des policiers hautement qualifiés possédant des techniques d'enquête spécialisées et une technologie avancée. De plus, étant donné le déplacement vers des services de police communautaires, la police assume maintenant des fonctions supplémentaires en matière de soutien social, telles que la prestation de programmes de sensibilisation antidrogue, le travail dans les écoles et la mise en oeuvre de programmes de justice réparatrice.
 

De quelque façon que l'on présente la sécurité, elle n'est nullement une affaire individuelle, mais bien quelque chose de collectif et de commun. La sécurité est profondément basée sur un bien-être socio-économique, et sur un sentiment commun d'être chez soi quelque part et cela avec une perspective d'avenir. Il s'agit d'une question de confiance dans les organisations et les institutions, mais aussi dans les relations entre les hommes. La sécurité est donc fondée sur un réseau humain et humainement organisationnel aussi riche que possible.

Van Outrive, Lode, « La sécurité privée amène-t-elle de la sécurité pour la population? » dans Shapland, Jonna et Van Outrive, Lode, dir., Police et sécurité : Contrôle social et interaction public/privé, p. 48.

Face à de telles pressions supplémentaires, plusieurs corps policiers ont été obligés de rationaliser leurs services. Par conséquent, la croissance de la sécurité privée est en partie attribuable à « l'écart entre les attentes » des citoyens et ce que la police peut offrir. Aux États-Unis, il en a résulté une augmentation spectaculaire du nombre d'« ensembles résidentiels protégés » – des quartiers résidentiels entourés d'une clôture périphérique. Des agents de sécurité privés patrouillent les quartiers et l'accès est contrôlé par une porte centrale. Les ensembles résidentiels protégés résultent de la perception selon laquelle le taux de criminalité augmente et les services de police publics ne peuvent protéger les citoyens de façon adéquate. Le degré d'exactitude d'une telle perception – ainsi que de l'hypothèse selon laquelle les ensembles résidentiels offrent une protection contre le crime – peut faire l'objet d'un débat. Néanmoins, les ensembles résidentiels protégés ont commencé à faire leur apparition au Canada.

Nous avons également été témoins de l'émergence de la « propriété privée de masse » – des propriétés privées accessibles au public. Parmi celles-ci se retrouvent des centres commerciaux, des parcs industriels, des aéroports, des parcs thématiques, des stades et autres centres de divertissement. Bien que nous considérions souvent de tels endroits comme des espaces publics, ce sont là des propriétés privées. Les propriétaires de telles propriétés ont le droit de réglementer le comportement des personnes qui s'y trouvent, de contrôler l'accès à la propriété et de chasser toute personne de la propriété, par la force au besoin. La « propriété privée de masse » transforme un endroit qui serait autrement considéré comme un espace public habituellement régi par la police publique en une propriété privée régie par des services de sécurité privés. Un nouveau mélange de contrôle et de gouvernance permet à des sociétés privées de consolider leur territoire et de créer leurs propres systèmes privés de maintien de l'ordre.

Les propriétaires de complexes privés accessibles au public prennent des mesures pour minimiser leur responsabilité. Toute entreprise traitant régulièrement avec le public et offrant des établissements permettant à celui-ci de magasiner, de se divertir ou de s'adonner à des activités récréatives, doit se protéger contre les poursuites. Les compagnies d'assurances prévoient des mesures incitatives visant à ce que les propriétaires fonciers privés engagent des services de sécurité privés ou exigent des entreprises qu'elles installent des alarmes de sécurité afin de pouvoir être assurées.
 

En raison du développement moderne de la « propriété de masse », l'exercice du pouvoir de « police » dans les lieux publics est de plus en plus souvent confié au personnel de sécurité privé plutôt qu'aux services de polices publics. Dans certains secteurs, le personnel de sécurité privé concurrence sérieusement la police publique en tant que principal instrument de contrôle social et d'exécution de la loi.

Ces tendances sont renforcées par des facteurs tels que les restrictions budgétaires venant affecter le financement de la police publique, une perte de prestige générale et croissante du système officiel de justice pénale qui n'est plus considéré comme un moyen efficace de contrôle de la criminalité et de maintien de l'ordre, et une tendance générale à rechercher d'autres formes de police axées sur la prévention plutôt que sur la répression. Commission de réforme du droit du Canada, Perquisition, fouille et saisie : Les pouvoirs des agents de sécurité du secteur privé, document d'étude, 1980, p. 28.

Plus récemment, les propriétaires d'entreprises ont commencé à utiliser des services de sécurité privés pour améliorer le maintien de l'ordre dans les espaces publics. Les associations d'amélioration des affaires dans les grandes zones urbaines ont conclu que certains consommateurs trouvaient que le centre-ville comportait plus de risques que les milieux contrôlés que constituent les centres commerciaux. Afin d'offrir une expérience plus agréable, certaines associations ont engagé des services de sécurité privés afin qu'ils patrouillent les rues publiques. Les agents de sécurité privés font déplacer les sans-abri, empêchent les actes de vandalisme, répondent aux urgences et, de façon plus générale, créent une perception d'ordre. Par conséquent, alors que les grands centres commerciaux transforment les espaces publics pour les privatiser, les commerçants ayant pignon sur rue étendent leurs vitrines jusque sur les trottoirs. Il en résulte souvent une élimination de l'espace public et la création immédiate de rapports fonctionnels et opérationnels entre les services de police privés et publics.

Toutefois, quels intérêts les agents de sécurité privés représentent-ils? Qu'arrive-t-il si certains propriétaires d'entreprises ou résidents s'opposent à la façon dont les agents effectuent leurs patrouilles? Qui s'assure que les agents s'acquittent de leurs tâches en conformité avec les principes démocratiques?

Certains autres changements spectaculaires ayant eu lieu dans la société contemporaine ont eu un effet sur le maintien de l'ordre. Le prix de la technologie a chuté de façon importante, entraînant ainsi un élargissement du marché de certains produits de sécurité. Par exemple, les systèmes d'alarme de sécurité pour le foyer sont désormais beaucoup plus abordables et faciles à commercialiser. Dans le même ordre d'idées, plusieurs municipalités peuvent désormais se permettre d'installer des systèmes de télévision en circuit fermé. Par exemple, en Grande-Bretagne, il existe environ 2,5 millions de caméras de surveillance; le Britannique moyen se fait photographier par 300 caméras à chaque jour. À l'avenir, les technologies de surveillance peu coûteuses et fondées sur le Web élargiront encore davantage le marché des produits de sécurité.

L'émergence rapide de la surveillance publique et privée a soulevé de graves préoccupations au niveau de la protection de la vie privée. Les entreprises de sécurité privées sont sans doute plus susceptibles de mener des opérations de surveillance envahissantes et d'interdire l'accès à certains sites, d'une manière que ne peut le faire la police publique. Par exemple, à Toronto, les agents de sécurité d'une certaine entreprise conservent une base de données détaillée contenant des renseignements sur des milliers de personnes frappées d'interdiction d'accès. La base de données comprend des renseignements sur les objets personnels, la couleur de la peau, les chaussures, les vêtements, les lunettes, l'emplacement exact de l'interdiction d'accès et les marques visibles. La base de données va bien au-delà de ce que la police publique est autorisée à conserver. En outre, la plupart des services de police publics sont assujettis aux lois d'accès à l'information qui régissent la façon dont les renseignements personnels sont traités, en particulier les conditions en vertu desquelles de tels renseignements peuvent être divulgués au public. Les entreprises de sécurité privées ne se voient pas imposer les mêmes restrictions quant à leur utilisation des données qu'elles recueillent.

La prolifération des ordinateurs et l'explosion de la technologie de l'information ont rendu plus faciles l'observation et l'enregistrement, par les institutions et entreprises, des mouvements et du comportement des clients, des travailleurs et des étrangers. La conservation de dossiers sur des particuliers ne date certainement pas d'hier. Les pratiques d'aujourd'hui se distinguent qualitativement des anciennes par l'interconnectivité et la capacité des ordinateurs à communiquer entre eux.


Répercussions du 11 septembre

Les événements du 11 septembre 2001 auront certainement un effet sur la sécurité au Canada. Dans les mois qui ont immédiatement suivi les attaques terroristes à New York et Washington, certains ont insisté sur une sécurité accrue le long de la frontière canado-américaine, dans les aéroports et au niveau de l'infrastructure des transports, énergétique et financière. Le gouvernement canadien a immédiatement réagi en augmentant les budgets de la police publique. Il y a également eu une demande accrue des services de sécurité privés, alors que les entreprises réévaluent leurs plans de sécurité à la lumière de la « nouvelle réalité ».

Il est encore trop tôt pour prévoir les répercussions à long terme des événements. Dans la foulée du 11 septembre, plusieurs se sont demandé si les gouvernements s'étaient trop dessaisis, en faveur du secteur privé, de leurs responsabilités en matière de sécurité. La discussion a beaucoup porté sur la sécurité dans les aéroports, dont les compagnies aériennes étaient responsables avant le 11 septembre, et en particulier sur la pratique de donner en sous-traitance la fouille des bagages et la vérification des voyageurs à des agents de sécurité privés moins bien rémunérés et moins spécialisés. Pour répondre à de telles préoccupations, les gouvernements au Canada et aux États-Unis jouent désormais un rôle plus important dans la sécurité des aéroports. Dans le budget fédéral de décembre 2001, le Parlement a engagé 7,7 milliards de dollars à l'appui de mesures visant à améliorer la sécurité, y compris un programme de grande envergure ayant pour but la restructuration des mesures de sécurité et des installations aux points frontaliers canado-américains et l'accroissement des mesures de sécurité dans les aéroports, notamment par l'utilisation d'« agents de sécurité aérienne » de la GRC sur les vols intérieurs et internationaux.

Cela ne veut pas nécessairement dire que le rôle de la sécurité privée s'amoindrit. Plusieurs nouvelles technologies mises en oeuvre par les gouvernements dans les aéroports sont fabriquées, installées et utilisées par les entreprises de sécurité privées. Les événements du 11 septembre pourraient donner lieu à un accroissement des services de police tant publics que privés et au développement de rapports plus denses et complexes entre les deux services.

Bien que le 11 septembre demeure une date marquante pour ceux qui s'intéressent à la sécurité, le développement des réseaux de services de police a débuté bien avant le 11 septembre. Au cours des quelques dernières décennies, les organismes de sécurité privés ont accru leur présence dans les centres commerciaux, les rues du centre-ville, les zones de divertissement, les entreprises et les ensembles résidentiels. Il reste à voir dans quelle mesure les événements du 11 septembre auront un effet sur le développement des réseaux de services de police.

***

La présente section s'est penchée sur le domaine du maintien de l'ordre au Canada. La distinction entre les services de police publics et les organismes de sécurité privés devient de plus en plus floue. Il est de plus en plus difficile de dire où se termine le public et où commence le privé. Le casse-tête fonctionnel croissant mettant en jeu les services de police publics et privés ne permet guère de trouver de simples solutions à la dichotomie public-privé.

La prochaine section présente un bref historique des services de police en Amérique du Nord, lequel historique démontre que les réseaux de services de police qui existent aujourd'hui ont également existé dans le passé.
 

[TRADUCTION]

Nous soutenons que la croissance de la propriété privée de masse constitue l'un de quelques développements connexes ayant contribué à l'émergence (et la taille absolue) du secteur de la sécurité privée dans plusieurs pays. Toutefois, nous ne croyons pas qu'il s'agit là de la principale explication. Comme nous l'avons fait valoir, bien que l'on dispose de peu de preuve, il semble que le phénomène ait été beaucoup plus fort aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne [...]

T. Jones et T. Newburn, « Urban Change and Policing: Mass Private Property Re-considered » (1999), 7 European Journal on Criminal Policy and Research 2 à la p. 241.


 
IIIServices de police dans un contexte historique
 

L'apparition et l'émergence des services de police privés ne constituent pas un phénomène récent. Nous devons nous garder de penser que l'expansion de la sécurité privée n'est propre qu'à l'Amérique du Nord de l'après-guerre. Les services de police privés ont eux-mêmes une riche histoire. Dès que les membres d'une collectivité donnée sont devenus suffisamment riches pour engager leurs propres agents de sécurité ou pour payer quelqu'un afin qu'il agisse à titre d'agent de police local, les services de police privés ont été rendus possibles.

Les services de police ont une histoire longue et houleuse. La présente section n'offrira qu'un bref survol de certains moments historiques importants dans le domaine du maintien de l'ordre. La présente section a pour but d'attirer l'attention sur les origines générales des services de police publics et privés, ainsi que sur leurs rapports mutuels.

Le développement historique des services de police au Canada est unique par rapport à celui auquel on a assisté aux États-Unis et dans plusieurs pays européens. Depuis ses débuts, le Canada a toujours maintenu un service de police public relativement solide. Le secteur de la sécurité privée au Canada est relativement moins développé qu'aux États-Unis. Néanmoins, la police publique et les services de sécurité privés coexistent depuis des siècles.

Il serait faux de penser que l'entière responsabilité d'assurer la sécurité est toujours revenue à la police publique. Bien qu'il soit vrai qu'on assiste, depuis quelques décennies, à une transition marquée vers le secteur privé, l'équilibre entre la police publique et les services de sécurité privés semble avoir toujours fluctué. En fait, on pourrait soutenir que nos présomptions au sujet des rôles prescrits des secteurs public et privé découlent plutôt d'expériences récentes et ne reflètent pas la longue histoire des services de police.

Notre propre système de maintien de l'ordre tire ses origines du système britannique. Le 19e siècle est traditionnellement associé aux débuts de la police publique en Grande-Bretagne. On pense souvent que l'année 1830 constitue pour les démocraties occidentales modernes le point tournant dans l'organisation des services de police. C'est l'année où le premier service de police métropolitain de Londres a commencé ses patrouilles. Cependant, le premier service de police professionnel, organisé et en uniforme avait commencé à patrouiller les rues de Londres avant 1830. Par ailleurs, le premier service de police public en Grande-Bretagne aurait vu le jour quelques décennies plus tôt en Irlande. Il existe divers points de vue sur l'émergence du premier service de police public en uniforme à Londres en 1830, de même que sur la combinaison de services de police privés et publics l'ayant précédé. Certains soutiennent que le recours à un service de police public centralisé signifiait tout simplement que les services de police existants étaient inefficaces et inefficients. D'autres considèrent que son émergence est liée aux besoins d'une nouvelle élite britannique désireuse de mater les révoltes ouvrières et de consolider sa position au pouvoir. Pour les fins du présent document, nous pouvons mettre de côté un tel débat et nous pencher sur certains organismes de maintien de l'ordre en existence au début du 19e siècle, afin de mieux comprendre le développement des services de police dans la société canadienne contemporaine.

En Europe continentale, les Français avaient depuis longtemps développé un service de police centralisé et professionnel s'inspirant d'une organisation militaire. La maréchaussée, devenue ensuite la gendarmerie, assurait le maintien de l'ordre en France depuis le début du 18e siècle.
 

[TRADUCTION]

Jusqu'à tout récemment, tous les comptes rendus disponibles au sujet des origines et du développement des services de police en Grande-Bretagne suivaient des hypothèses visiblement conservatrices. La police était considérée comme une institution inévitablement et catégoriquement bienfaisante, une pierre angulaire de la fierté nationale, développée par le génie du pragmatisme anglais en réponse aux menaces à l'ordre social et l'existence civilisée.

R. Reiner, The Politics of the Police, 2e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1992 à la p. 12.

En 1720, alors que les ordonnances royales en France exhortaient la maréchaussée établie à être plus vigilante face aux vagabonds et mendiants (gens sans aveu), un Français en visite à Londres se serait écrié : « Mon Dieu! Comment peut-on s'attendre à de l'ordre chez ces gens, qui ne connaissent même pas le mot « police » ».

Dans un tel contexte, le terme « police » signifiait beaucoup plus que les frères en uniforme du touriste français; il englobait toutes les formes de maintien de l'ordre et de bon gouvernement. « Police » s'entendait des codes civiques, du nettoiement des rues et même de l'entretien des égouts et des eaux.


 

Évidemment, un bref survol des services de police qui ne comprend que les organismes publics porte à faux. Il y avait des organismes de maintien de l'ordre privés et quasi publics en Grande-Bretagne bien avant l'arrivée du premier service de police métropolitain. Les Bow Street Runners patrouillaient les rues de Londres et des environs de la ville sous la direction des frères Fielding. Ils comptaient tant sur les subventions publiques que sur les contrats d'embauche privés, les avances et les récompenses.\ Les frères Fielding sont passés maîtres dans l'art d'attraper les voleurs et d'assurer la protection des chemins. Ils ont même créé le premier service de renseignements à Londres, en dénonçant les criminels et en faisant circuler des nouvelles et des descriptions dans toute la région.

La Thames River Police de Patrick Colquhoun constitue un autre exemple de service de police privé ayant précédé le service de Londres. Colquhoun avait souligné l'étendue du coulage sur la Tamise ainsi que le coût de cette activité pour les marchands qui l'empruntaient. Les marchands des Indes occidentales se sont chargés des quatre cinquièmes du coût de la police fluviale. L'opération s'est avérée si fructueuse qu'en juillet 1800, aux termes de la Thames River Police Act, le service privé a été converti en un service de police public ayant Colquhoun à sa tête.

La police privée a également connu d'autres succès dans diverses colonies. Les grandes compagnies marchandes sanctionnées par l'État ont utilisé tant les armées impériales de leur pays d'immatriculation que la « police » locale pour protéger leur droit d'extraire des matières premières destinées à l'exportation. Dans les colonies où l'on pouvait compter sur l'administrations locale, on faisait parfois appel à la police d'État afin qu'elle mate les révoltes et consolide la souveraineté de la puissance impériale. De telles tendances ont eu des conséquences tragiques pour plusieurs populations locales. Dans d'autres régions, telles que le pays basque français, les populations locales ont refusé de se joindre aux gendarmeries centralisées et le gouvernement a été obligé de tolérer la présence d'organismes locaux de maintien de l'ordre. Au Canada, les services de police autochtones ont commencé à remplacer les services de police fédéraux et provinciaux dans plusieurs collectivités.

Moins d'un siècle après la création de la police de Londres, les organismes de sécurité privés se sont affirmés de nouveau lors de la propagation des agitations dans le monde industrialisé en voie de développement, de la fin du 19e siècle jusqu'au début du 20e siècle. On a fait appel à la police d'État, et parfois à la police privée sanctionnée par le gouvernement, pour mettre fin aux grèves ouvrières. Aux États-Unis, les politiciens se sont souvent montrés réticents à sacrifier leur force électorale au nom des élites industrielles locales. En fait, la police locale frustrait souvent les efforts des industriels visant à mater les débrayages et émeutes. Par exemple, la milice de Pittsburgh a refusé d'agir contre ses concitoyens pendant la grande grève des chemins de fer de 1877. Les industriels américains ont eu de plus en plus recours à des organismes de police privés, tels que la Pinkerton Detective Agency, pour mater les grèves par la force. Pinkerton est devenue si importante aux yeux des entreprises qu'elle a agi à titre d'organisme national d'enquête de fait aux États-Unis avant qu'un organisme fédéral d'enquête général n'ait été créé.

À l'opposé de ce qui s'est passé aux États-Unis, le secteur de la sécurité privée au Canada a pris plus de temps à se développer. La Police à cheval du Nord-Ouest (qui est devenue la GRC) s'est occupée des premières agitations ouvrières. On a rarement eu recours aux services de police privés. Comme dans certaines villes américaines, il est arrivé que la police locale n'ait pas réussi à mettre fin aux agitations. La police de Winnipeg a refusé de mater la grève générale de 1919, de sorte qu'on a dû faire appel à la police montée. Au lieu d'engager un service de police privé, la GRC a réuni et assermenté des « agents spéciaux » à la hâte pour mettre fin à la grève. Ces agents, parmi lesquels se trouvaient d'anciens militaires, étaient techniquement des fonctionnaires, mais ils ont entrepris les mêmes activités et souvent eu les mêmes effets que les agents privés de Pinkerton aux États-Unis.

***

À divers moments dans l'histoire de la police, le secteur privé s'est de nouveau affirmé pour faire face à des lacunes réelles ou apparentes en matière de sécurité publique. Aujourd'hui, le secteur privé connaît un regain de popularité, mais nous devons garder à l'esprit que les services de police privés ne sont pas nouveaux. Selon l'époque examinée, on pourrait soutenir que l'on n'assiste pas à l'émergence des services de police privés, mais plutôt à leur réapparition après 150 ans d'inactivité relative.

La prochaine section se penche sur le milieu actuel de la réglementation du maintien de l'ordre au Canada. Nous examinerons la mesure dans laquelle le droit actuel reflète le domaine du maintien de l'ordre au Canada.


 
IVCadre de gouvernance
 

Jusqu'ici, le droit a façonné la gouvernance des services de police en partie en s'appuyant sur la différence qui existe entre la police publique et les agents de sécurité privés. Dans la première partie de la présente section, nous présentons des exemples illustrant les distinctions qu'établissent la loi et la jurisprudence entre les agents de l'État et les agents de sécurité privés. Nous nous penchons sur deux « pouvoirs » importants de la police : le pouvoir d'arrestation et le pouvoir de fouille. Nous étudions ensuite les diverses applications de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans la dernière partie de la section, nous comparons le cadre actuel de réglementation de la sécurité privée et celui des services de police publics.

L'examen du cadre de réglementation ne donne qu'un aperçu de la gouvernance au sein des deux secteurs. Pour comprendre pleinement la façon dont sont régis les services de police publics et les organismes de sécurité privés, il faut également se pencher sur la « culture » de l'organisme – d'une part, la façon dont la direction tolère les infractions aux règlements, implicitement ou explicitement, et d'autre part, la façon dont elle exige de ses employés qu'ils observent des normes plus élevées. Un tel examen est nécessaire pour obtenir une description plus nuancée des besoins de réforme décrits dans la prochaine section.


Pouvoir d'arrestation

Tout citoyen canadien est légalement autorisé à arrêter, sans mandat, un individu qu'il trouve en train de commettre un acte criminel (acte habituellement plus grave) ou quelqu'un qui est en train de fuir une personne qui, selon le citoyen, est légalement autorisée à l'arrêter. Tout pouvoir dont disposent les agents de sécurité privés découle simplement du pouvoir général de tout propriétaire de protéger son bien et d'en jouir paisiblement.

Par conséquent, les agents de sécurité se voient conférer un pouvoir d'arrestation dans le cas d'une infraction par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou d'une infraction mineure, en autant qu'ils trouvent la personne en train de commettre l'infraction sur ou concernant le bien. Par exemple, si un individu cause du désordre sur un bien protégé par l'agent de sécurité, celui-ci peut l'arrêter, en autant qu'il ait vu l'individu en train de causer le désordre.


 

Le Code criminel du Canada se lit comme suit :

494.     (1) Toute personne peut arrêter sans mandat :

a) un individu qu'elle trouve en train de commettre un acte criminel;
b) un individu qui, d'après ce qu'elle croit pour des motifs raisonnables : (i) d'une part, a commis une infraction criminelle,
(ii) d'autre part, est en train de fuir des personnes légalement autorisées à l'arrêter et est immédiatement poursuivi par ces personnes.

(2) Quiconque est, selon le cas :
a) le propriétaire ou une personne en possession légitime d'un bien;
b) une personne autorisée par le propriétaire ou par une personne en possession légitime d'un bien,
peut arrêter sans mandat une personne qu'il trouve en train de commettre une infraction criminelle sur ou concernant ce bien.

(3) Quiconque, n'étant pas un agent de la paix, arrête une personne sans mandat doit aussitôt la livrer à un agent de la paix.


 

La différence principale entre le pouvoir d'arrestation d'un simple citoyen et les pouvoirs dont disposent les policiers, c'est que les policiers peuvent arrêter un individu s'ils ont des motifs raisonnables et probables de croire qu'un acte criminel a été ou sera commis. Un simple citoyen (y compris un agent de sécurité) doit voir l'individu en train de commettre un acte criminel avant de pouvoir l'arrêter. Toutefois, les agents de sécurité privés arrêtent souvent des individus qui n'ont pas commis d'acte criminel, mais qui se sont engagés dans une activité interdite par le propriétaire ou le locateur. Ils le font en vertu de la protection légale accordée aux droits de propriété.

Les lois sur les actes d'intrusion de la plupart des provinces de common law permettent aux propriétaires fonciers ou à leurs agents d'arrêter tout individu pour intrusion. Le propriétaire foncier qui arrête un individu doit « aussitôt » le livrer à un agent de la paix. Les individus déclarés coupables d'intrusion peuvent être mis à l'amende. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, un individu peut se voir imposer une amende entre 25 $ et 200 $ (ainsi qu'une peine d'emprisonnement en cas de défaut de paiement) pour la première infraction, et une amende entre 100 $ et 1 000 $ (ainsi qu'une peine d'emprisonnement en cas de défaut de paiement) pour chaque infraction subséquente.

La législation provinciale autorise un propriétaire foncier à fixer les conditions d'accès à sa propriété. Les centres commerciaux, cinémas, complexes sportifs et autres grands espaces « privés de masse » où le public est invité imposent souvent des conditions. Les agents de sécurité assurent l'observation des conditions au nom des propriétaires.

En exerçant leurs droits de propriété, les propriétaires et leurs agents de sécurité privés arrêtent des individus pour des infractions mineures telles que l'inconduite. En vertu des mêmes droits, ils émettent également des avis d'interdiction d'accès.


 

« Shopping malls on alert for youth gang trouble », par Andrew Chung, Toronto Star, 14 janvier 2002 à la p. B1.

[TRADUCTION]

En vous promenant dans l'aire de restauration du Centre Albion après l'école, vous pouvez voir ce qui se passe habituellement dans n'importe quel centre commercial : des douzaines d'adolescents portant de gros manteaux et bavardant tranquillement, une paille à la bouche.

Les centres commerciaux, qui sont devenus des zones de relations sociales, attirent également un élément violent : les bandes.

Aujourd'hui, les centres commerciaux contre-attaquent. Ces derniers ont décidé d'élaborer des règlements, qu'ils ont affichés dans certains cas. Par exemple, ils interdisent le port de vêtements aux couleurs des diverses bandes à l'intérieur de l'édifice, dans l'espoir de réduire le nombre d'affrontements.

Le Centre Albion, à Etobicoke-Nord, affiche simplement une liste de règlements à chaque entrée. L'un des règlements interdit d'afficher les « signes distinctifs de la bande ».

Selon la police, les mesures prises par le centre commercial sont louables, puisque ce dernier est situé en plein milieu d'une zone où les bandes se sont installées et ont fait des victimes.

Le Centre Albion, qui a récemment été remis à neuf, possédait déjà une politique sur les bandes, selon Greg Gaudette, directeur des opérations de Shoppers World Company, laquelle exploite le centre commercial. D'après M. Gaudette, le centre a affiché sa politique il y a environ huit mois, après avoir demandé à la police de s'occuper des incidents d'entrée sans autorisation moins graves et répétés. M. Gaudette a ajouté que, puisque le centre commercial était une propriété privée, il se fondait sur la Loi sur l'entrée sans autorisation pour « éloigner les fauteurs de troubles ».


 


Pouvoir de fouille

Les agents de police ont le droit de fouiller et de saisir des biens. À l'occasion, les tribunaux de common law ont permis à des particuliers d'effectuer des fouilles en vue de trouver des armes ou des éléments de preuve immédiatement après une arrestation. À n'en pas douter, plusieurs personnes acceptent de se faire fouiller sans se demander si de telles fouilles sont légitimes ou non. L'uniforme et l'autorité apparente de l'agent de sécurité peuvent lui permettre d'obtenir l'obéissance du public. Les gens peuvent accepter « volontairement » de se faire fouiller parce qu'ils pensent avoir affaire à un policier.

Les affiches et les conditions contractuelles peuvent habiliter les agents de sécurité à fouiller ceux qui entrent dans des lieux privés ou qui en sortent. Par exemple, un enquêteur privé peut interpeller un acheteur parce qu'il soupçonne ce dernier d'avoir volé des biens dans une pharmacie dont il assure la protection. Le suspect ne veut pas être fouillé, mais l'enquêteur privé souligne qu'une affiche – nettement visible à l'entrée du magasin – indique que ceux qui entraient dans le magasin consentaient à la fouille de leurs sacs. Ce dernier a-t-il réellement consenti à la fouille?
 

Une latitude semblable est accordée au personnel de sécurité privée travaillant au sein d'industries sensibles ou d'entreprises dans lesquelles les travailleurs manipulent des biens et outils dispendieux. Comme condition d'emploi, certains travailleurs doivent signer des formulaires de consentement à la fouille. Plus récemment, les propriétaires de bars ont commencé à utiliser des détecteurs de métal et à effectuer une fouille complète des clients avant de les laisser entrer. Depuis les événements du 11 septembre, les fouilles de personnes entrant dans les établissements sportifs sont de plus en plus nombreuses. Toutes les fouilles sont consensuelles; on peut soit accéder à la demande, soit se voir refuser l'accès.


L'application de la Charte canadienne des droits et libertés

La Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas aux rapports entre simples citoyens. En ce qui concerne le maintien de l'ordre, la question cruciale que se posent les tribunaux est la suivante : un individu agit-il à titre privé ou comme agent de l'État? Les agents de sécurité privés et les enquêteurs privés sont considérés comme des agents privés lorsqu'ils agissent dans les limites normales de leur travail. L'agent de sécurité privé qui agit pour le compte de l'État devient un agent de l'État et est donc assujetti aux dispositions de la Charte, selon la doctrine du mandat de l'État. La doctrine du mandat de l'État est complexe. Toutes les arrestations – qu'elles soient effectuées par un citoyen, un agent de sécurité privé ou un agent de la paix – sont assujetties à la Charte. Cela veut dire que la personne effectuant l'arrestation doit informer l'individu visé des motifs d'arrestation et de son droit à un avocat. Cependant, les tribunaux ont maintenu que la Charte ne s'applique pas à la détention d'un simple citoyen par un autre. Par exemple, elle ne s'applique pas lorsqu'un agent de sécurité privé détient l'employé d'une entreprise pour l'interroger au sujet de certains fonds manquants si l'enquêteur privé travaillait pour le compte d'un client privé.

De plus, selon le contexte, ce ne sont pas toutes les fouilles effectuées par des enquêteurs privés qui sont assujetties à la Charte. La Charte ne s'applique pas lorsque les fouilles sont faites à des fins privées, comme une poursuite civile.

La doctrine du mandat de l'État deviendra sans doute de plus en plus difficile à appliquer, alors que les réseaux d'agents publics et privés poursuivent leurs efforts de coopération dans le domaine du maintien de l'ordre. Tel que nous l'avons démontré dans le chapitre précédent, les services de police publics et privés sont devenus enchevêtrés. La doctrine du mandat de l'État – ou la distinction établie entre les agents privés agissant pour le compte d'un employeur et la police publique agissant au nom de l'État – pourrait devenir inutile, alors que nous continuons à assister au chevauchement entre la sécurité publique et la sécurité privée. Les législateurs et les tribunaux devront tenir compte de la coopération de plus en plus courante entre la police publique et la police privée. Pouvons-nous et devrions-nous aujourd'hui nous fonder sur des notions de mandat de l'État au moment d'examiner le comportement du personnel de sécurité privée?


Réglementation du personnel de sécurité

Les services de police publics au Canada sont réglementés par des lois provinciales sur la police qui établissent les normes d'emploi et les mécanismes de surveillance et de formation. D'autres lois provinciales réglementent également les activités des enquêteurs privés et des agents de sécurité. Les agents de sécurité et enquêteurs privés au Canada doivent se soumettre à une vérification de base des antécédents criminels. Dans toutes les provinces, sauf au Nouveau-Brunswick, un casier judiciaire à lui seul n'empêche pas une personne d'obtenir un permis, si l'entreprise de sécurité visée désire établir le bien-fondé de l'embauche. Seule la Colombie-Britannique fixe des normes minimales de formation.

Les lois provinciales réglementent les services de sécurité privés à contrat mais ne s'appliquent pas aux services de sécurité à l'interne, parmi lesquels on compte les placeurs et les comptables judiciaires. Par exemple, les grands centres commerciaux, les fabricants et même les propriétaires de bars et de discothèques engagent leur propre personnel de sécurité, au lieu de traiter avec des entreprises de sécurité. Le personnel de sécurité n'a pas besoin de détenir de permis. Cependant, certaines dispositions interdisent l'utilisation du mot « police » sur les uniformes et véhicules de l'entreprise de sécurité ou sur toute autre représentation de l'entreprise ou de l'agent de sécurité.

De plus, les règlements provinciaux autorisent le port d'armes à feu par des agents de sécurité lorsque ceux-ci protègent des métaux précieux, des biens ou des espèces. Toutefois, les agents de sécurité armés n'ont le droit de faire feu qu'en cas de légitime défense ou que pour prévenir des décès ou des blessures graves infligées à autrui. Les règlements provinciaux autorisent également l'utilisation de triques dans certains lieux approuvés par un registraire provincial ou la police locale. Il y a des différences marquantes entre les mécanismes de réglementation de la police publique et ceux qui régissent les entreprises de sécurité privées. L'efficacité de ces derniers mécanismes doit être revue.

***

Dans la présente section, nous avons examiné les pouvoirs d'arrestation et de fouille des agents de sécurité privés et de la police publique. Les services de police publics et privés continuent à se chevaucher et le cadre actuel de réglementation sera bientôt inadéquat. La distinction entre le public et le privé devra être réévaluée notamment pour mieux représenter les réseaux de rapports qui existent dans le domaine du maintien de l'ordre.


 
VSécurité et maintien de l'ordre dans une société démocratique
 

[TRADUCTION]

Il n'est pas aussi important d'établir une distinction fondée sur des principes entre la police publique et les services privés de sécurité que de reconnaître que la distinction est conditionnelle et de se demander continuellement si les règles qui s'appliquent d'un côté pourraient aussi s'appliquer de l'autre côté de façon avantageuse. La question la plus urgente que soulève la privatisation de la police n'est pas celle de savoir si les agents privés de sécurité doivent être considérés comme des agents de l'État […] mais plutôt celle de savoir si l'État a une certaine obligation de fournir à tous une protection minimale appropriée de la police.

D. Morrison, « The legal status of police and private security » dans J. Richardson, éd., Police and Private Security: What the Future Holds, Ottawa, Canadian Association of Chiefs of Police, 2000 à la p. 51.

Dans les sections précédentes, nous avons illustré les changements survenus sur le plan de la prestation des services de police au Canada. La prestation des services de police se fait de plus en plus par l'intermédiaire de réseaux d'intervenants privés et publics. Nous nous sommes également penchés sur la façon dont le cadre actuel de réglementation, qui se fonde sur une distinction entre le public et le privé, pourrait ne plus refléter le domaine du maintien de l'ordre au Canada.

Dans la présente section, nous étudions les valeurs et principes sur lesquels devrait se fonder le maintien de l'ordre dans une société démocratique. Nous faisons valoir que le maintien de l'ordre devrait promouvoir quatre principes – la justice, l'égalité, la responsabilité et l'efficacité – et nous analysons la façon dont ces quatre principes sont actuellement intégrés dans la gouvernance des services de police.


Justice

La justice est une caractéristique essentielle de la société démocratique. Faire justice signifie que les citoyens devraient être traités équitablement et que les décisions qui les concernent, au lieu d'être fondées sur d'étroites préoccupations rédactionnelles, devraient plutôt faire appel à de plus grandes libertés universelles. Autrement dit, le principe de justice présuppose que le maintien de l'ordre s'obtient d'une manière qui garantit tant la paix de la collectivité que l'intégrité et l'humanité des citoyens.

Les principes de justice applicables à la police publique devraient-ils également s'appliquer à la sécurité privée? Prenons l'exemple des personnes détenues ou arrêtées. Tous les citoyens, peu importe les circonstances de leur arrestation, ont des droits constitutionnels de base : le droit d'être informé des motifs d'arrestation, le droit à un avocat et le droit au silence.

La Charte a également été interprétée de manière à imposer des exigences supplémentaires à la police. De telles exigences éclaircissent les garanties constitutionnelles de base : la personne arrêtée doit (1) être informée de la possibilité de recourir à l'aide juridique et (2) avoir, dans des limites raisonnables, la possibilité de communiquer avec un avocat – cela signifie que l'accusé doit également avoir accès à une ligne téléphonique privée. La police a également l'obligation (3) de cesser d'interroger ou de tenter autrement de soutirer des éléments de preuve du détenu tant que celui-ci n'aura pas exercé son droit de recourir à l'assistance d'un avocat et (4) d'informer la personne arrêtée de son droit de choisir un autre avocat si le premier avocat n'est pas disponible dans des délais raisonnables.

Les policiers et le personnel de sécurité privée sont également assujettis à des normes différentes lorsqu'ils détiennent un individu. Dans certaines circonstances, un enquêteur privé travaillant pour un employeur privé n'est pas assujetti aux mêmes normes qu'un policier, telles que le devoir d'informer un détenu de son droit à l'avocat prévu à l'article 10(b) de la Charte.

Il faut se demander si de telles distinctions devraient continuer à exister. La question est d'autant plus urgente alors que le maintien de l'ordre dans les grands espaces accessibles au public, tels que les centres commerciaux et les complexes commerciaux et à bureaux, est désormais assuré par de grandes entreprises privées de sécurité, et que celles-ci procèdent régulièrement à des arrestations.

Le principe de justice exige également qu'un certain lien existe entre le crime et le châtiment. Les accusations portées par la police publique sont traitées par un système judiciaire visant à imposer une sanction appropriée. Par contre, dans le domaine de la sécurité privée, les agents de sécurité exercent souvent des pouvoirs, par exemple en interdisant l'accès à la propriété, qui peuvent ou non être justifiés. De telles « sanctions » ne peuvent faire l'objet d'aucun appel, même si elles peuvent avoir de graves conséquences. En 1987, une commission d'enquête ontarienne s'est penchée sur la pratique de certaines entreprises de sécurité consistant à cibler de jeunes adolescents (noirs pour la plupart) et à leur interdire l'accès aux centres commerciaux de la ville sans explication aucune.

Sujets de discussion

  • Que signifie le terme « justice » en ce qui concerne les agents de sécurité privés? Quelles sont nos attentes en matière de justice? Quels sont les meilleurs mécanismes permettant d'assurer un maintien de l'ordre qui soit conforme aux valeurs d'équité et de justice?
  • Devrait-on exiger du personnel de sécurité privée qu'il observe les normes applicables aux agents de la paix au moment d'effectuer des détentions, des arrestations et des fouilles, ou dans le cadre d'autres pratiques ayant un effet sur la liberté d'un individu?
  • Les agents de sécurité privés devraient-ils pouvoir interdire l'accès à la propriété privée? Importe-t-il que la propriété soit un grand espace accessible au public ou un condominium? Comment pouvons-nous nous assurer que les agents de sécurité privés agissent de façon équitable et non discriminatoire?

 

Côté critiques, le développement de la sécurité privée laisse présager l'apparition d'un ordre privé où, d'une part, la société dans son ensemble serait mise sous surveillance (…) et où, d'autre part, la protection ne serait assurée qu'en fonction de la capacité financière de chacun.

Côté louanges, le développement de la sécurité privée permettrait de mieux répartir les forces du contrôle social. Ainsi, la gestion de la petite criminalité reviendrait au privé qui, par son engagement, dégagerait la police publique, ce qui permettrait à celle-ci de s'occuper plus efficacement de la grande criminalité.

Céline Bellot et Marie-Marthe Cousineau, Éditorial, Revue Criminologie, (1998) p. 5.

Égalité

L'égalité constitue une autre valeur importante du maintien de l'ordre dans une société démocratique. Nous nous pencherons sur deux aspects de l'égalité. Premièrement, il doit y avoir égalité de service; deuxièmement, tous les membres de la société doivent être également représentés. L'égalité de service signifie que tous les Canadiens devraient recevoir des services de police qui leur permettent de se sentir en sécurité dans leur vie de tous les jours. Certains ont soutenu que la rationalisation des services de police publics expliquait en partie la croissance des services privés de sécurité. Par ailleurs, de nouvelles demandes ont notamment été créées par l'émergence des espaces « privés de masse », tels que les centres commerciaux et les parcs d'attractions. Il en a résulté un écart entre les services de police auxquels s'attend le public et ceux qu'il reçoit. Pour combler un tel écart, certains segments de la société ont recours aux services de police privés.

Dans quelle mesure peut-on se fier au marché pour combler l'écart entre les attentes? Il est possible que certains particuliers et entreprises ne disposent pas des ressources nécessaires pour se procurer des services de sécurité privés, de sorte que les services qu'ils reçoivent sont de qualité inférieure à ceux de leurs voisins. La question de l'accès aux services de sécurité présente deux facettes : premièrement, dans quelle mesure la police publique fournit-elle des services adéquats à tous les Canadiens et Canadiennes? Deuxièmement, a-t-on raison de croire que les organismes de sécurité privés fournissent des services adéquats aux collectivités dans lesquelles ils maintiennent l'ordre? Comme question de principe, nous pourrions nous demander comment transformer les services de police au Canada afin que tous les Canadiens et Canadiennes reçoivent des services de qualité égale, peu importe l'organisme qui les fournit.

L'égalité de représentation signifie que la police devrait représenter la collectivité qu'elle vise à protéger. Des tensions peuvent apparaître lorsque les milieux défavorisés se sentent injustement ciblés par la police (ou le système juridique). Il s'agit là d'une question importante, puisque les rapports entre citoyens et policiers doivent exister dans un climat de confiance. Lorsqu'il y a animosité ou même des pratiques discriminatoires, la confiance est brisée et le maintien de l'ordre ne peut être assuré de façon efficace. On a suggéré un service de police représentatif et inclusif pour maintenir la confiance entre la population et la police.

Un service de police représentatif constitue un objectif essentiel des services de police communautaire. Ces derniers sont fondés sur la notion selon laquelle le maintien de l'ordre devrait constituer une activité communautaire. Le déplacement vers les services de police communautaire ont porté plusieurs administrations policières à réévaluer leurs pratiques en matière de ressources humaines pour suivre le rythme de la société canadienne en constante évolution. Le secteur privé semble avoir réussi sur le plan de la représentation. Les quelques études portant sur l'embauche dans les secteurs public et privé de la sécurité démontrent que les femmes et les membres de minorités visibles sont plus susceptibles de trouver un emploi au sein d'organismes de sécurité privés que dans les services de police publics. Cependant, il se peut que les études n'illustrent que les plus vastes tendances du marché du travail en vertu desquelles les femmes et les minorités visibles sont surreprésentées dans le secteur des services moins bien rémunérés.

L'un des problèmes auxquels font face la représentativité des services de maintien de l'ordre et les services de police communautaire peut être formulé de la façon suivante : Quelle collectivité doit être représentée? La collectivité devrait-elle être constituée du quartier local, du territoire de la police, de la municipalité, de la province ou du pays en entier? La collectivité devrait-elle être fondée sur le territoire?

Les problèmes associés à la définition de la collectivité, de même que les dangers que présente un service de police qui n'est pas représentatif de la collectivité, sont illustrés par l'expérience des peuples autochtones. Un sentiment d'insécurité plus élevé afflige les collectivités autochtones depuis longtemps. Par ailleurs, le taux d'arrestation chez les peuples autochtones est anormalement élevé.

Le premier Programme des agents de police des bandes a été établi en 1969, après qu'on ait reconnu que les approches conventionnelles en matière de maintien de l'ordre n'étaient ni compatibles avec les collectivités autochtones ni représentatives des valeurs communautaires. Par la suite, certains programmes visant à accroître l'admissibilité des peuples autochtones aux services de police ont été élaborés. Plus récemment, le gouvernement fédéral a établi une politique sur les services de police des Premières Nations qui permet aux peuples autochtones de concevoir eux-mêmes des solutions applicables au maintien de l'ordre.

Sujets de discussion

  • Dans quelle mesure la police publique fournit-elle des services de qualité égale à tous les Canadiens et Canadiennes? Les organismes de sécurité privés peuvent-ils fournir des services de qualité égale aux collectivités qu'ils desservent?
  • Comment pourrions-nous transformer les services de police au Canada de manière à ce que tous les Canadiens et Canadiennes reçoivent des services de qualité égale, peu importe l'organisme qui les fournit?
  • Comment mieux concrétiser les valeurs d'égalité et de représentativité des services de maintien de l'ordre?


Responsabilité

La responsabilité est un élément essentiel du maintien de l'ordre dans une société démocratique. Selon le principe de responsabilité, les actions de la police publique, qu'elles soient entreprises à titre institutionnel ou individuel, sont susceptibles de révision. De plus, le principe de responsabilité exige qu'il existe une procédure formelle pouvant être utilisée pour porter plainte contre la police.

La responsabilité de la police publique comporte plusieurs volets : La responsabilité politique s'entend habituellement du contrôle de l'administration policière par des représentants élus – ces derniers nomment les chefs des services de police publics. Le système judiciaire examine aussi la conduite des agents de police afin de s'assurer que ces derniers ont agi dans les limites du mandat que leur confère la loi. Par exemple, les tribunaux peuvent refuser d'admettre certains éléments de preuve lors d'une instance criminelle si les techniques d'enquête ont enfreint la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, il existe une responsabilité administrative interne au service de police (affaires internes) ou externe (unités d'enquêtes spéciales ou commissions de police). Les commissions provinciales des plaintes contre la police sont des organismes civils indépendants qui surveillent et étudient les plaintes portées par le public contre les services de police et qui fournissent un autre mécanisme de responsabilisation. Les citoyens jouent un rôle direct dans la surveillance de la police ou au moment d'obtenir réparation. Ce type de responsabilité directe sous-tend les services de police communautaire et les comités consultatifs civils.

L'efficacité des mesures de responsabilisation applicables à la police publique est une question litigieuse. Certains prétendent que les policiers sont victimes d'un système de surveillance inéquitable et inefficace. Par contre, plusieurs groupes de citoyens soutiennent que les mesures de responsabilisation, bien qu'elles puissent exister, sont en réalité inefficaces. Ils prétendent que les services de police résistent à la surveillance et que de tels organismes ne sont pas représentatifs de la collectivité. Par ailleurs, d'autres soutiennent que les mécanismes de surveillance de la police varient à travers le pays et qu'il serait donc inexact de dire que tous les services de police publics sont assujettis au même degré de surveillance.

La surveillance de la police publique a fait l'objet d'un examen minutieux de la part des législateurs et analystes. Pour sa part, le secteur privé a été largement ignoré.

Certains prétendent que les agents de sécurité privés sont beaucoup moins responsables de leurs actions que la police publique, étant donné que les organismes de sécurité privés ne possèdent pas l'équivalent d'un processus public de règlement des plaintes. La plupart des lois provinciales se rapportant aux entreprises de sécurité privées et aux enquêteurs mettent l'accent sur la réglementation des entreprises de sécurité sur le plan des affaires. Par exemple, elles précisent que les entreprises de sécurité doivent détenir un permis et être assurées. Toutefois, les lois n'établissent pas de mécanismes de surveillance indépendants pouvant être utilisés pour responsabiliser les agents de sécurité privés. Alors que les entreprises de sécurité offrent maintenant des services dans des domaines qui étaient autrefois du ressort exclusif de la police publique, les critiques soutiennent que de telles entreprises agissent dans l'intérêt de leurs clients et non dans l'intérêt des collectivités qu'elles desservent. Sans une surveillance externe efficace, la sécurité du public pourrait être compromise.

Cependant, certains dirigeants d'entreprises de sécurité privées soutiennent que le marché et les structures réglementaires existantes leur imposent une obligation de rendre compte beaucoup plus stricte que celle que doit respecter la police publique. De telles entreprises sont assujetties à ce qui suit : i) la responsabilité criminelle; ii) l'autoréglementation de l'industrie; iii) la législation du travail; iv) la responsabilité contractuelle; v) la responsabilité par l'intermédiaire du marché.

Certes, les agents de sécurité privés peuvent être accusés de voies de fait s'ils font usage de la force dans l'exercice de leurs fonctions. Des accusations criminelles ont été portées contre des agents de sécurité privés et découragent les abus de pouvoir. Toutefois, parce que les victimes doivent porter plainte, la responsabilité criminelle constitue-t-elle une mesure de responsabilisation suffisante? Certaines personnes peuvent être réticentes à informer la police d'un abus commis contre elles, tandis que d'autres décident de ne pas porter plainte en raison des frais, du temps et de l'incertitude associés à une telle démarche.

Certains s'inquiètent aussi que l'industrie ne dispose pas des outils nécessaires pour s'autoréglementer. L'industrie de la sécurité privée au Canada ne possède pas d'organisme professionnel pouvant élaborer des normes minimales de conduite pour les travailleurs. L'autoréglementation n'a jamais été considérée suffisante dans le domaine des services de police publics, en raison de la vulnérabilité des victimes potentielles d'abus de pouvoir; devrions-nous nous attendre à ce que l'autoréglementation soit suffisante dans le cas de l'industrie de la sécurité privée?

La législation du travail et la responsabilité contractuelle sont deux autres mécanismes de responsabilisation. La législation du travail qui réglemente les organismes de sécurité privés garantit aux travailleurs des conditions d'emploi appropriées. Bien qu'elle soit utile à cet égard, la législation du travail ne protège pas les victimes potentielles d'abus de pouvoir. Dans le même ordre d'idées, la responsabilité contractuelle crée un rapport entre un organisme de sécurité et un client. Les clients peuvent ou non choisir d'intégrer des normes de conduite dans les contrats et d'assurer ainsi une certaine conformité aux principes de justice et d'équité.

En dernier lieu, il se peut que le marché n'offre pas de mécanisme de responsabilisation efficace; une entreprise de sécurité privée qui perd un contrat peut continuer à mal agir avec ses autres clients. La responsabilité par l'intermédiaire du marché donne de meilleurs résultats lorsqu'il y a des renseignements pour effectuer les choix qui conviennent et lorsque les mesures incitatives appropriées bénéficient de l'appui du marché.

La responsabilité dans le cadre de la prestation de services de police privés et publics soulève d'importantes questions. Il ne s'agit pas seulement de savoir si les services de police privés et publics sont responsables, mais aussi envers qui ils le sont. Il se peut que les mécanismes de responsabilisation des services de police – qu'ils soient mis en place par la police publique ou par des organismes de sécurité privés – ne soient pas aussi bien adaptés aux collectivités locales qu'ils devraient l'être. De plus, les méthodes de responsabilisation existantes ne tiennent pas compte du fait que les services de police ne sont plus seulement fournis par la police publique. Les services de sécurité privés ne devraient pas être simplement assujettis aux mécanismes de responsabilisation qui s'appliquent actuellement à la police publique. Les efforts de réforme du droit devraient viser l'élaboration de mécanismes de surveillance innovateurs qui tiennent compte des nouveaux réseaux de services de police publics et privés au Canada.

Sujets de discussion

  • Dans quelle mesure le marché, la responsabilité civile et les pressions de la part des syndicats et consommateurs constituent-ils des mesures de responsabilisation suffisantes pour les organismes de sécurité privés?
  • Envers qui la police publique et les services de sécurité privés sont-ils responsables? De tels mécanismes tiennent-ils compte de façon adéquate des réseaux de services de police publics et privés au Canada?


Efficacité

Un dernier principe à considérer est l'efficacité. Les services de police doivent être efficaces par rapport au coût. Un service de police pourrait sans doute être conçu pour répondre à tous les besoins des Canadiens et Canadiennes en matière de sécurité. Cependant, un tel service pourrait exiger un investissement massif sur le plan des ressources humaines, de la technologie et de l'administration. Si le coût de la prestation des services de police était disproportionné par rapport aux avantages obtenus, l'efficacité générale du service serait remise en question. En bout de ligne, il y aura sans doute un compromis entre ce qui est efficace par rapport au coût et les valeurs de justice et d'égalité.

Sujets de discussion

  • Y a-t-il d'autres principes dont devrait tenir compte le maintien de l'ordre dans une société démocratique?
  • Pouvons-nous parvenir à un consensus sur de tels principes?
  • Comment pouvons-nous équilibrer les différents principes et valeurs?

***

Dans la présente section, nous nous sommes penchés sur les principes clés du maintien de l'ordre dans une société démocratique. Les services de police doivent agir d'une manière juste et équitable; ils doivent aussi être responsables envers les citoyens et promouvoir l'égalité, tant dans le cadre de la prestation de services qu'au niveau de leurs pratiques d'embauche. Le maintien de l'ordre doit également être efficace. Le défi consistera à promouvoir de telles valeurs et à élaborer des mécanismes de gouvernance à leur image. Dans la prochaine section, nous étudierons certaines options pour la future gouvernance des services de police.


 
VIFuture gouvernance des services de police
 

[TRADUCTION]

[...] la présente recherche a démontré que, sur un échantillon de 326 répondants composé de personnes résidant dans des enclaves [c'est-à-dire des ensembles résidentiels protégés] et de personnes n'y résidant pas, celles qui vivaient dans des enclaves affichaient une plus faible préoccupation civique que celles qui n'y résidaient pas. Lors de la détermination de l'incidence du sexe, du revenu, de l'âge, de l'éducation et de la carrière (arts/affaires), on a constaté que l'absence d'enclaves résidentielles était fortement et de façon constante liée à une préoccupation civique plus accentuée.

J. Bayne et D.M. Freeman, « The Effect of Residence in Enclaves on Civic Concern: An Initial Exploration » (1999), 32 The Social Science Journal 4 à la p. 419.

Le secteur de la sécurité et des enquêtes offre aux femmes d'importantes possibilités d'emploi dans des domaines à contre-courant des stéréotypes […] Les femmes obtiennent la plus grande partie de ces emplois atypiques dans le domaine des enquêtes, mais quelquefois pour des motifs de discrétion, de sorte que leur travail innovateur reste souvent caché.

B. Erickson, P. Albanese et S. Drakulic, « Gender on a Jagged Edge: The Security Industry, Its Clients, and the Reproduction and Revision of Gender » (2000), 27 Work and Occupations 3 à la p. 309.

[TRADUCTION]

Les services de police communautaire reposent sur la croyance selon laquelle ce n'est qu'en travaillant ensemble que la population et la police seront en mesure d'améliorer la qualité de vie dans la collectivité, la police n'étant pas seulement chargée d'appliquer la loi, mais agissant aussi à titre de conseiller, de facilitateur et de soutien aux nouvelles initiatives communautaires supervisées par la police.

R. Trojanowicz et B. Bucqueroux, Community Policing: A Contemporary Perspective, Cincinnati, Anderson, 1990 à la p. 3.

Étant donné qu'au Canada, au moins deux tiers des activités de sécurité sont entreprises par le secteur privé, les questions suivantes s'imposent : La sécurité privée devrait-elle faire l'objet d'un examen aussi minutieux que celui qui est réservé à la police publique et être assujettie aux mêmes normes que cette dernière? Ou alors, en raison de sa nature « privée », la sécurité privée peut-elle éviter de faire partie des discussions portant sur le bien public? Dans quelle mesure la prestation des services de sécurité devrait-elle être réglementée? Les mécanismes réglementaires actuels sont-ils suffisants? Le secteur de la sécurité privée dispose-t-il des pouvoirs nécessaires pour s'acquitter de son rôle? A-t-il trop de pouvoirs? De telles préoccupations sous-tendent notre besoin d'examiner tant les services de police publics que les services de sécurité privés dans le cadre du maintien de l'ordre dans une société démocratique.

Le débat portant sur la réglementation des services de police publics et privés est marqué par des points de vue diamétralement opposés. D'une part, ceux qui préconisent un rôle accru de l'État mettent l'accent sur la réaffirmation des services de police publics par l'entremise d'un réinvestissement stratégique dans les dépenses gouvernementales et d'une réglementation accrue du secteur privé. Ils présument que la croissance de la sécurité privée au Canada est principalement attribuable à l'insuffisance des dépenses publiques affectées aux services de police.

D'autre part, ceux qui préconisent un rôle diminué de l'État mettent l'accent sur le retranchement continu des services de police publics par un dessaisissement de l'autorité et de la compétence de l'État en faveur du secteur privé. Selon un tel point de vue, la croissance du secteur privé répond à la demande des consommateurs et s'explique du fait que l'État n'aurait pas réussi à donner un sentiment de sécurité adéquat à ses citoyens. Le gouvernement ne devrait pas étouffer le libre marché en imposant une réglementation et en créant un monopole des désignations légales en faveur du secteur public. Les adeptes d'une telle proposition prétendent qu'il est parfaitement raisonnable d'accorder à des entreprises à but lucratif les pouvoirs des agents de police réguliers ou spéciaux.

Ni l'un ni l'autre des deux scénarios énoncés ci-haut n'est susceptible de se réaliser. Par ailleurs, de tels scénarios ne nous disent pas grand-chose au sujet de la façon d'améliorer la gouvernance des services de police. Un réinvestissement massif dans les services de police publics, au point où le nombre de policiers se rapproche du nombre d'employés dans le secteur de la sécurité privée ou le dépasse, est tout aussi peu probable qu'un dessaisissement radical de l'autorité gouvernementale et des pouvoirs des agents de la paix en faveur du secteur privé.

Le milieu actuel de la réglementation ne tient pas compte de façon adéquate des réseaux de services de police publics et privés au Canada. Un certain nombre d'options se font concurrence. La législation devrait-elle tenter de maintenir la distinction entre la police publique et les services de sécurité privés? Par exemple, les décideurs pourraient tenter d'énoncer plus clairement les mesures que peuvent prendre les organismes de sécurité privés et leur personnel, ainsi que celles qui leur sont interdites. La politique canadienne devrait aussi viser la réglementation efficace des nouveaux réseaux de sécurité qui se sont développés. Devrions-nous élaborer une politique en matière de services de police qui englobe les activités des secteurs public et privé et qui puisse gérer les rapports entre ces deux secteurs?

La présente section examinera l'avenir de la gouvernance des services de police. Nous commencerons par une étude de la « professionnalisation » de l'industrie de la sécurité privée. Nous discuterons ensuite de certains plans visant la future gouvernance des services de police.


Professionnalisation de l'industrie de la sécurité privée

La « professionnalisation » de l'industrie de la sécurité a souvent été recommandée comme moyen permettant de mieux garantir une prestation de services de police conforme aux valeurs démocratiques. Une telle professionnalisation pourrait prendre plusieurs formes : par exemple, elle pourrait nécessiter le développement de structures organisationnelles représentatives, l'adoption et l'application de normes minimales, ainsi que la création de mécanismes de surveillance.

Structures organisationnelles

À l'heure actuelle, aucun organisme national ne peut raisonnablement prétendre qu'il représente les intérêts d'une importante partie de l'industrie. Il existe des clivages entre les services de sécurité à contrat et ceux à l'interne. Il y a peu de normes de formation et d'éducation s'appliquant à l'ensemble de l'industrie. En fait, il y a très peu de données concernant la taille de l'industrie même – le nombre d'employés, le nombre d'établissements au Canada et les recettes que génère l'industrie – probablement parce qu'il est très difficile d'établir une définition de l'industrie.
 

La gestion de l'ordre et de la légalité est d'intérêt public et ne se réduit pas à un produit commercial, au risque de produire une inégalité de bien-être dans nos sociétés et de voir se dégrader davantage les relations de confiance entre le citoyen et les autorités publiques. Il serait envisageable pour les autorités publiques de restituer aux citoyens la capacité de traiter certaines situations problématiques. Cependant, cela suppose une plus grande inventivité de la part des autorités publiques afin de trouver de nouvelles formes de contrôle. On pourrait penser, par exemple, à une commission mixte de supervision et de conseil à laquelle peuvent participer des fonctionnaires, policiers et autres, des syndicats, des associations de consommateurs, et qui fait rapport au ministre responsable et au Parlement.

Lode Van Outrive, Des tâches policières privatisées à une police grise : quatre recherches belges en la matière, Revue Criminologie, (1998) p. 25.

Le manque de coordination au sein de l'industrie peut s'expliquer de plusieurs façons. Premièrement, l'industrie même est si diversifiée qu'il peut être difficile d'établir des liens entre les différents groupes professionnels, les comptables judiciaires ainsi que les agents de sécurité et les conducteurs de voitures blindées. Deuxièmement, la structure organisationnelle de l'industrie s'oppose vraisemblablement au développement d'une voix unifiée. L'industrie est dominée par une poignée de grandes sociétés multinationales engagées dans tous les aspects de la sécurité privée. De telles entreprises emploient des dizaines de milliers d'employés dans le monde entier, y compris au Canada. À l'opposé, il y a des centaines d'établissements plus petits au Canada se spécialisant dans certains domaines et n'ayant que quelques employés. Troisièmement, l'industrie est très concurrentielle. Il se peut que les propriétaires de petites entreprises ne veuillent pas partager des renseignements exclusifs avec leurs concurrents, de peur de perdre leur avantage concurrentiel.

Une telle segmentation n'est pas inhabituelle dans d'autres domaines d'activité; cependant, dans l'industrie de la sécurité, elle peut avoir de graves conséquences. Un manque de communication, une réticence à coopérer lors d'initiatives conjointes, ainsi qu'une course fréquente vers la soumission la moins élevée lors des processus d'appel d'offres, rendent plus risquée la prestation de services de police efficaces et démocratiques.

Le gouvernement peut jouer un rôle dans la professionnalisation de l'industrie. Par exemple, il y a très peu de statistiques de bonne qualité concernant l'industrie de la sécurité privée. Il est même difficile de trouver de simples renseignements descriptifs sur le nombre d'établissements ou d'employés, ou des renseignements économiques de base sur les recettes et les dépenses. Les organismes gouvernementaux ont intérêt à obtenir des données fiables concernant l'industrie. Par exemple, la taille actuelle de l'industrie, de même que sa croissance prévue au cours de la prochaine décennie, donnent à penser que les politiques fédérales et provinciales en matière de ressources humaines et de développement économique bénéficieraient d'une amélioration des données.

Sujets de discussion

  • Dans quelle mesure la segmentation de l'industrie restreint-elle son développement organisationnel?
  • Quelles mesures peuvent être adoptées pour aider l'industrie de la sécurité privée à développer une association industrielle efficace?
  • Dans quelle mesure la collecte de données systématiques concernant l'industrie de la sécurité privée aide-t-elle l'industrie à développer une orientation professionnelle?

Normes minimales de formation

Un deuxième élément de la professionnalisation de l'industrie de la sécurité privée est l'élaboration de normes minimales de formation. La plupart de ceux qui favorisent la voie de la réforme semblent s'accorder sur le fait que, peu importe ce qui est fait pour réformer la future gouvernance des services de police, des normes minimales de formation ne peuvent qu'améliorer la qualité des services de sécurité privés. La raison est simple : dans un marché très concurrentiel, la façon la plus rapide de s'enrichir consiste à fonctionner avec le moins de frais généraux possible. Dans l'industrie de la sécurité privée, il arrive trop souvent que des candidats soient en uniforme et en train de faire la patrouille le jour suivant leur embauche, sans formation aucune, si ce n'est d'une brève introduction aux règlements de l'endroit.

La formation exige des sous. Le gouvernement pourrait ralentir la course vers les moins qualifiés en imposant un processus d'appel d'offres qui ne favorise pas toujours le soumissionnaire le moins disant. Certaines provinces possèdent des normes minimales de formation pour le personnel de sécurité. Toutefois, même dans ces provinces, la vaste industrie de la sécurité « interne » n'est pas du tout réglementée – la vérification des antécédents criminels n'est pas obligatoire et il n'existe aucune norme de formation. Il se peut que certaines entreprises de sécurité procèdent à une vérification des antécédents criminels et qu'elles maintiennent et appliquent des normes minimales, mais on ne sait pas très bien si de telles mesures sont adoptées sur l'ensemble de l'industrie.

L'industrie doit non seulement favoriser l'établissement de normes minimales de formation, mais aussi encourager l'acquisition continue du savoir. Une telle approche permettra à l'industrie de conserver ses employés plus longtemps et pourrait amener ces derniers à chercher des « carrières » plutôt que des « emplois ». Par ailleurs, les cours de gestion de base et la reconnaissance professionnelle (dans certains cas déjà offerts par les associations de sécurité) pourraient faire l'objet d'une reconnaissance professionnelle légale.

Compte tenu des nouveaux réseaux de services de police publics et privés, nous pourrions envisager la création de collèges de services de police (par opposition aux collèges de police). De tels établissements de formation professionnelle pourraient être financés conjointement par les secteurs public et privé et offrir une formation continue et de base à tous les membres du personnel du maintien de l'ordre. La création d'un collège de services de police contribuerait à la professionnalisation de l'industrie. Elle permettrait aux dirigeants des organismes publics et privés de sécurité d'avoir accès à des centres de formation et d'éducation de pointe.

Sujets de discussion

  • Comment peut-on encourager l'industrie à élaborer des normes qui s'appliquent à l'ensemble de l'industrie?
  • Les normes devraient-elles s'appliquer tant aux services de sécurité à contrat qu'aux services de sécurité à l'interne?
  • La création d'un collège de services de police améliorerait-il les services de police au Canada?

Surveillance

La question litigieuse de la surveillance est étroitement liée aux normes minimales et à l'octroi de permis à tous les travailleurs de la sécurité. Le maintien de l'ordre dans une société démocratique doit comporter un processus par lequel ceux qui reçoivent des services de police peuvent demander réparation et avoir un mot à dire en ce qui concerne l'organisation de leurs besoins en matière de sécurité. Selon l'une des plus grandes critiques adressées au secteur de la sécurité privée, on déplore le fait qu'il ne possède aucun système de surveillance publique. D'après les critiques, les entreprises de sécurité offrent maintenant des services dans des domaines qui étaient autrefois du ressort exclusif de la police publique et agissent dans l'intérêt de leurs clients et non dans celui des collectivités qu'elles desservent, envers lesquelles elles ne sont pas non plus responsables.

Sujets de discussion

  • Les régimes actuels de réglementation suffisent-ils pour imposer une obligation de rendre compte aux services de sécurité privés?
  • L'industrie de la sécurité privée devrait-elle être tenue responsable envers le public de la même manière que la police publique? Quels autres mécanismes de surveillance pourraient être efficaces?
  • Quelles sont les caractéristiques d'un bon mécanisme de surveillance?

 

[TRADUCTION]

L'Association canadienne des policiers […] est d'avis que la réglementation, les normes et la formation visant l'industrie de la sécurité privée doivent être renforcées. C'est ce que nous proposons au nom du public pour garantir des services de sécurité privés de bonne qualité dans leur rôle actuel […] à moins que vous ne soyez disposés à abdiquer une partie de la responsabilité publique en faveur d'intérêts privés, nous ne recommandons pas un accroissement des responsabilités et de l'autorité du personnel de sécurité privée. Si vous voulez des services de police responsables, laissez la police s'en occuper.

G. Obst, « The Perspective of the General-Duty Police Officer » dans Jane Richardson, éd., Police and Private Security: What the Future Holds, Ottawa, Canadian Association of Chiefs of Police, 2000 à la p. 82.

Nouveaux modèles de réglementation

La professionnalisation de l'industrie de la sécurité privée constitue un bon début dans le processus visant à encadrer la gouvernance future des services de police au Canada. Jusqu'ici, la discussion a porté sur l'industrie de la sécurité privée. Cependant, si nous acceptons l'hypothèse selon laquelle le maintien de l'ordre comprend toutes les activités entreprises par la police publique et les organismes de sécurité privés, ne devrions-nous pas étudier des formes de réglementation plus étendues qui englobent le secteur des services de police dans son ensemble?

Le chef Ian Blair, anciennement du service de police de Surrey, au Royaume-Uni, a proposé une forme de réglementation qui placerait l'industrie de la sécurité privée sous la surveillance de la police publique. D'après lui, parce que la police publique ne peut plus offrir les services de patrouille visibles exigés par les citoyens, elle devrait penser à réglementer et à surveiller les services de patrouille privés qui ont pris sa place. Selon son raisonnement, puisque la police du Royaume-Uni a plus ou moins abdiqué son rôle de patrouilleur régulier au profit du secteur privé, la police publique ferait mieux d'utiliser le personnel de sécurité privée qui effectue déjà les patrouilles comme yeux et oreilles supplémentaires.

Les entreprises de sécurité privées et le personnel qui coopèrent seraient tenus de respecter des normes minimales et ensuite de faire apposer l'étampe « Surrey Police Compliant » sur leurs véhicules. L'agent de police de la région resterait en liaison directe par radio avec de tels véhicules et agirait comme coordonnateur de la sécurité et agent de la paix de la collectivité. Selon M. Blair, une telle solution répondrait aux attentes des citoyens sans que des policiers hautement qualifiés et bien rémunérés aient à effectuer des patrouilles régulières.

Une autre option consisterait à utiliser des « commissions de services de police » plutôt que des « commissions de police » pour organiser et réglementer la sécurité publique. L'Independent Commission on Policing for Northern Ireland de 1998 a proposé l'idée qu'une commission de services de police réglemente tant la police publique que les organismes privés de sécurité. La commission de services de police aurait non seulement le pouvoir de nommer, de congédier et de surveiller les chefs de police et les agents de police supérieurs, mais agirait également à titre de carrefour pour favoriser la coopération entre la police publique et une série d'organismes – dont les organismes de sécurité privés – et aider au maintien de la sécurité du public et à la prévention du crime. Il s'agirait de créer, sous un seul toit, des partenariats avec d'autres organismes gouvernementaux et non gouvernementaux jouant un rôle important dans le maintien de l'ordre et de la sécurité publiques.

Au coeur de la structure des commissions de services de police se trouve la notion selon laquelle la sécurité et la protection constituent des préoccupations publiques qui doivent être gérées en coopération par l'entremise de partenariats. La structure pourrait comprendre ce qui suit :

  • un pouvoir de surveillance civile, afin d'examiner l'inconduite de la police publique et des services de sécurité privés;
  • un budget pour les services de police dans chaque juridiction qui doit être dépensé selon la meilleure combinaison de services de police publics et privés dans une région donnée.

Sujets de discussion

  • Les services de police publics devraient-ils être responsables de la réglementation des organismes de sécurité privés?
  • Les commissions de services de police constituent-elles une option réaliste pour la réglementation des services de police au Canada? Quel devrait être leur mandat?

Toute proposition visant la réglementation des services d'enquête et de sécurité au Canada doit tenir compte des engagements du Canada en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain et de l'Accord général sur le commerce des services. De tels engagements interdisent l'adoption de mesures qui seraient discriminatoires envers les services étrangers et les fournisseurs de services étrangers. Le Canada s'engage à accorder aux fournisseurs étrangers de services d'enquête et de sécurité un traitement non moins favorable que celui dont bénéficient des fournisseurs nationaux semblables. Toutefois, de tels engagements n'empêchent pas le Canada d'adopter des mesures restrictives en matière de compétences et d'exigences professionnelles, en autant qu'elles soient mises en oeuvre d'une manière raisonnable, objective et impartiale qui ne restreint pas indûment le commerce.

***

La présente section a examiné certaines options applicables à la future gouvernance des services de police et s'est penchée sur quelques-unes de leurs répercussions. Cependant, plusieurs arrangements en matière de gouvernance sont possibles. Il est essentiel que le public puisse participer à la conception de structures bien adaptées, responsables et démocratiques. Nous vous encourageons à le faire.
 

[TRADUCTION]

Ce que je propose […] c'est une situation dans laquelle le service de police agit, premièrement, comme point central de la coopération inter-organismes visant à renforcer les collectivités, et deuxièmement, comme point central d'un système de coordination des services de patrouille, lesquels seraient assurés par une combinaison de policiers, de bénévoles, d'autorités locales et de sources privées […] ce n'est pas abandonner un monopole de la patrouille – mais plutôt admettre que nous n'en avons pas depuis des années; il faut que la discussion se poursuive.

I. Blair, « Where do the Police Fit into Policing? », discours donné à la conférence de l'ACPO (16 juillet 1998) à la p. 3.


 
VIIConclusion
 

Dans le présent document, nous avons tout d'abord établi une distinction entre la police en tant qu'institution et le maintien de l'ordre en tant qu'activité. La police publique s'engage dans des activités de maintien de l'ordre, tout comme un éventail d'autres organismes. Notre examen de l'historique du maintien de l'ordre a révélé que les services de police publics et les organismes de sécurité privés coexistaient depuis plusieurs siècles. Toutefois, ce qui est nouveau dans le domaine du maintien de l'ordre, c'est qu'il semble que nous ayons atteint un point tournant. L'augmentation du nombre absolu de travailleurs dans le domaine de la sécurité privée et l'expansion de la sécurité privée dans tous les domaines du maintien de l'ordre donnent à penser que nous entrons dans une nouvelle ère du maintien de l'ordre.

Dans cette nouvelle ère du maintien de l'ordre, les services de police sont fournis par un réseau complexe d'organismes de maintien de l'ordre publics et privés qui se chevauchent. La police publique est certes le principal fournisseur de services mais n'exerce plus un monopole sur la prestation des services de police.

Notre examen des réseaux de services de police publics et privés au Canada laisse croire que nous devrions repenser la distinction entre le public et le privé qui est essentielle à l'organisation actuelle de la gouvernance. Il en ressort un certain nombre de défis importants pour la réforme du droit concernant la police publique et la sécurité privée.

  1. Est-il réaliste de penser aux services de police en ne tenant compte que des services de police publics, étant donné que des réseaux d'intervenants publics et privés fournissent des services de police au Canada?
  2. Dans quelle mesure l'industrie de la sécurité privée exige-t-elle des normes de conduite professionnelle? Y a-t-il suffisamment de voies de communication entre les services de police publics et les organismes de sécurité privés?
  3. Il se peut que les tribunaux doivent réévaluer la validité des distinctions entre le public et le privé qui ont animé les présentes applications de la Charte.
  4. Il se peut que les gouvernements doivent évaluer si le cadre de réglementation qui s'applique actuellement à la gouvernance des services de police au Canada reflète adéquatement la prestation des services de police et les défis qui en découlent.
  5. Quels sont les meilleurs mécanismes de gouvernance permettant de s'assurer que les services de police sont fournis en conformité avec les valeurs démocratiques de justice, d'égalité, de responsabilité et d'efficacité?
  6. Les commissions de services de police et les gouvernements devraient-ils songer à des démarches créatives visant à réglementer les rapports entre la police publique et les organismes de sécurité privés?

Les Canadiens et Canadiennes doivent continuer à réfléchir au sujet de la croissance exponentielle de la demande et des besoins en matière de sécurité. Quelles sont nos attentes à cet égard? Quels facteurs façonnent de telles attentes? Quelles sont les meilleures façons d'offrir sécurité et protection? De telles questions préoccupent tous les Canadiens et Canadiennes et se situent au coeur de notre société démocratique.

Le présent document de discussion a été conçu afin de soulever des questions et de susciter un débat. Il constitue le premier pas dans le processus de réflexion se rapportant au maintien de l'ordre dans une société démocratique. L'avis de la population et la sensibilisation du public aux questions énoncées ci-haut s'avèrent essentiels. La Commission du droit vous invite à lui faire parvenir vos commentaires au sujet de la façon dont les gouvernements devraient élaborer les politiques de maintien de l'ordre.
 

[TRADUCTION]

Selon la nouvelle vision du maintien de l'ordre, les organisations policières sont disposées et aptes à s'adapter à leur milieu en évolution constante. À l'avenir, les organisations policières seront à la recherche de l'excellence à la manière des organisations privées. Elles ne seront plus inactives et ne penseront plus que le financement demeurera stable ou augmentera de façon constante et que le public restera passif […] les organismes de maintien de l'ordre seront des organisations concurrentielles. Sinon, la tendance vers une privatisation accrue subsistera.

Normandeau et B. Leighton, Une vision de l'avenir de la police au Canada : police défi 2000, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1990 à la p. 138.


 
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