Commission du droit du Canada Canada
English Contactez-nous Aide Recherche Site du Canada
Accueil Salle de lecture Salle des nouvelles Plan du site Liens
Quoi de neuf
À propos de nous
Recherche de services
Événements à venir
Coin du président
Projets de recherche
Concours, Compétitions et Partenariats
Les rapports ministériels
Ressources
Version imprimableVersion imprimableEnvoyez cette page par courrielEnvoyez cette page par courriel

Page d'accueil À propos de nous Rapport Document de recherche 2000 Le mariage

À propos de nous

Rapport

Document de recherche

Contrat de la Commission du droit du Canada (relations personnelles)

Titre du projet : Le mariage

Présenté à :

Susan Zimmerman
Directrice de la recherche
Commission du droit du Canada
11e étage
437, rue Albert
Ottawa (Ontario)
K1A 0H8

par

Martha Bailey
Professeur adjoint
Faculté de droit
Queen’s University
Kingston (Ontario)
K7L 3N6

Téléphone : (613) 533-6000, poste 7-7734
Télécopieur : (613) 533-6509
Courriel : baileym@post.queensu.ca

Assistance à la recherche : Sara Guild et Laurie Tucker, Queen’s Law ‘99
Assistance technique : Patrick LeBlanc, Queen’s Law ‘00


LE MARIAGE ET LES UNIONS LIBRES

TABLE DES MATIÈRES

 

Notes biographiques

Sommaire

I. Introduction
A. Portée et objectifs
B. Terminologie
C. La nature relativement autonome du droit

II. Valeurs sociales et objectifs qui sous-tendent le mariage et les unions libres:
écarts entre ces valeurs et objectifs et le droit
A. Valeurs
Valeurs religieuses
Liberté de choix, affection mutuelle, autonomie, protection des personnes vulnérables, équité et égalité
B. Objectifs et hypothèses qui sous-tendent le droit
Procréation
Milieux nourriciers stables pour les enfants
Système de soutien social pour les membres de la famille
Cohésion sociale

III. Mariage
A. Contexte démographique
B. Fonctions du mariage que l’État a intérêt à soutenir
C. Règles juridiques régissant le mariage

IV. Unions libres
A. Cohabitation entre personnes de sexe opposé
B. Cohabitation entre personnes de même sexe
C. Relations affectives et interdépendantes non conjugales entre adultes
D. Fonctions du mariage que remplissent les unions libres
E. Règles juridiques régissant les unions libres

V. Autres perspectives
A. Europe
Danemark
Norvège
Pays-Bas
Espagne
France
Suisse
B. États-Unis

VI. Conclusions et questions devant faire l'objet d'une recherche plus poussée

Table des lois

Table de jurisprudence

Annexes Document PDF
Annexe A :Règles juridiques régissant le mariage
Annexe B :Règles juridiques régissant la cohabitation entre personnes de sexe opposé
Annexe C :Règles juridiques régissant la cohabitation entre personnes de même sexe
Annexe D :Règles juridiques régissant la cohabitation non conjugale


NOTES BIOGRAPHIQUES Retour table des matières

Martha Bailey, LL.B. (Toronto), LL.M. (Queen’s), D.Phil. (Oxford), est professeur adjoint à la faculté de droit, Queen’s University, et membre du Barreau du Haut-Canada depuis 1983. Elle enseigne et écrit dans les domaines du droit de la famille, du droit international privé, du droit de la santé et du droit des contrats. Ses publications récentes comprennent "Hawaii’s Same-sex Marriage Initiatives: Implications for Canada" (1998) Revue canadienne du droit familial 153. Le 19 juin 1998, elle a présenté un exposé intitulé "How Will Canada Respond to Foreign Same-sex Marriages?" à la Conference on Interjurisdictional Marriage Recognition, tenue au Creighton University School of Law, Omaha, Nebraska. Parmi ses projets de recherche actuels, mentionnons le document "Telehealth – Law and Policy Issues" qu’elle prépare dans le cadre du Projet sur les tendances du Conseil de recherche en sciences humaines. Martha Bailey agit actuellement à titre de spécialiste du droit des femmes et de la recherche juridique pour le projet Canada-Chine sur le droit des femmes qui vise à améliorer l’application des lois chinoises relatives à la protection des droits et des intérêts des femmes.

 

LE MARIAGE ET LES UNIONS LIBRES

SOMMAIRE Retour table des matières

L’accroissement des taux de divorce, d’unions libres et de naissances hors-mariage reflète le fléchissement de l’importance du mariage et de l’engagement qu’il suscite. Ces modifications, associées à une plus grande acceptation et tolérance à l’égard des couples de même sexe, ont donné lieu à une redéfinition de la famille et à certaines modifications juridiques adaptées aux nouvelles formes de la famille. Toutefois, les lois actuelles ne sont pas entièrement compatibles avec les valeurs de la liberté de choix, de l’affection mutuelle, de l’autonomie, de la protection des personnes vulnérables, de l’équité et de l’égalité qui sous-tendent le mariage et les unions libres. De plus, les lois existantes sont quelque peu inconciliables avec les objectifs familiaux de l’État, lesquels comprennent la procréation, le maintien de milieux nourriciers stables pour les enfants, la fourniture d’un système de soutien social pour les membres de la famille et la promotion de la cohésion sociale.

Au cours des dernières années, les législateurs ont cédé aux tribunaux une grande part de la responsabilité de l’élaboration du droit familial et des politiques en ce qui a trait aux unions libres et plus particulièrement à la cohabitation de personnes de même sexe. Dans une certaine mesure, les cours ont "récrit" la loi pour inclure les couples homosexuels ou hétérosexuels dans la définition du terme "conjoint" à diverses fins. De plus, les cours ont appliqué de façon créative les lois non familiales, notamment le droit des contrats et des biens, ainsi que la notion de l’enrichissement sans cause, aux conjoints qui étaient exclus des régimes du droit familial. Il en a résulté une mosaïque de lois qui ne témoigne pas d’une politique familiale cohérente. Les provinces et le gouvernement fédéral qui partagent le pouvoir législatif en ce qui a trait au mariage et aux unions libres devraient assumer la responsabilité dans ce domaine. Il faudrait, à tout le moins, modifier les lois qui sont manifestement vulnérables à une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés pour les harmoniser aux valeurs contenues dans la Charte. En outre, les législateurs devraient s’efforcer de rendre les lois actuelles plus conformes aux autres valeurs généralement reconnues et aux objectifs légitimes de l’État.

Au cours des dernières années, beaucoup de droits et d’obligations traditionnellement associés au mariage, par exemple, le droit à la pension alimentaire, ont été étendus aux conjoints de fait, plus particulièrement aux couples de sexe opposé. La reconnaissance juridique des conjoints de fait au Canada repose largement sur la cohabitation. L’élargissement de certains droits et de certaines obligations d’ordre conjugal aux personnes qui cohabitent accorde une protection aux parties vulnérables au moment de la fin de la relation résultant du décès ou d’une séparation. En ce qui a trait aux questions de droit public, il en résultera une réduction des dépenses gouvernementales dans la mesure où la cohabitation prive les parties de prestations gouvernementales mais augmentera les dépenses gouvernementales dans la mesure où la cohabitation donne droit à des prestations gouvernementales. Le critère utilisé pour étendre les droits et obligations d’ordre marital aux couples vivant en union libre varie d’un secteur de compétence à l’autre et au sein de chaque secteur selon l’objectif de la loi. Les législateurs devraient revoir les divers critères pour veiller à ce qu’ils traduisent une politique cohérente. Un élargissement plus poussé des obligations et droits conjugaux axé sur la cohabitation permettrait d’éviter de nombreuses contestations fondées sur la Charte, mais pourrait être incompatible avec les valeurs généralement prônées et les objectifs légitimes de l’État. Par exemple, une orientation semblable pourrait saper la liberté de choix et l’autonomie des personnes non mariées qui ne veulent pas se voir imposer les droits et les obligations du mariage.

D’autres pays occidentaux sont confrontés aux mêmes questions que le Canada en ce qui a trait au mariage et aux unions libres. Les lois et politiques élaborées dans d’autres pays fournissent au Canada des modèles possibles. Certains secteurs de compétence résistent à la reconnaissance des unions libres. La Lousianne, par exemple, a plutôt tenté de soutenir le mariage traditionnel, notamment en rendant le divorce plus difficile pour les personnes qui contractent un "mariage covenant". L’efficacité d’une telle loi par rapport à ses objectifs qui consistent à empêcher le divorce ou à en améliorer les résultats pour les enfants reste discutable. Les lois et les politiques adaptées au cycle démographique et aux valeurs sociales actuelles et qui soutiennent plus efficacement les objectifs de l’État constituent des modèles plus utiles.

Un modèle intéressant qu’il convient d’examiner est la loi sur l’enregistrement des unions libres qui a été adoptée au Danemark, en Norvège, en Suède, en Islande, aux Pays-Bas et à Hawaii. Bon nombre d’autres pays étudient la question, et des projets visant l’enregistrement des unions libres ou d’autres initiatives semblables sont actuellement devant les parlements de Belgique, d’Espagne et de France. La loi sur l’enregistrement des unions libres permet à des couples d’obtenir bon nombre des obligations et droits conjugaux au moyen de l’enregistrement. Dans les pays nordiques, les couples de même sexe peuvent se prévaloir de cet enregistrement. Aux Pays-Bas, cette option est offerte à tous les couples, qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé. À Hawaii, l’enregistrement est offert aux couples homosexuels et aux autres personnes qui ne peuvent pas légalement s’épouser, par exemple deux sœurs. Dans les pays nordiques et les Pays-Bas, l’enregistrement des unions libres donne ouverture à presque toutes les obligations et tous les droits conjugaux, tandis qu’à Hawaii il n’accorde aux couples qu’une gamme limitée de ces droits et obligations. Au moins certains aspects des divers modèles d’unions libres enregistrées semblent cohérents avec les valeurs canadiennes qui sous-tendent le mariage et les unions libres et semblent offrir une méthode efficace de promouvoir les objectifs légitimes de l’État. L’enregistrement des unions libres pourrait servir à éliminer la discrimination à l’égard des couples homosexuels en leur accordant la totalité ou la plupart des droits et obligations associés au mariage. Ce régime pourrait également permettre d’étendre les obligations et droits conjugaux à tous les genres d’union de type conjugal sans enfreindre le droit des parties à l’autonomie.

La formulation de lois et politiques familiales cohérentes nécessitera l’examen des répercussions sur le plan du droit international. Des considérations internationales peuvent restreindre les réformes nationales. Par exemple, l’adoption internationale par des couples de même sexe n’est peut-être pas possible actuellement. Les pays qui ont adopté des lois sur l’enregistrement des unions libres ont pris en compte les aspects internationaux. Lorsqu’ils envisageront l’adoption d’une loi sur l’enregistrement des unions libres et qu’ils réviseront les lois sur la cohabitation, les réformateurs des lois devront examiner dans quelle mesure une union libre enregistrée ou une relation de cohabitation sera reconnue à l’échelle internationale. La question de la reconnaissance interprovinciale importe également. Si la Colombie-Britannique, à titre d’exemple, devait adopter une loi sur les unions libres enregistrées, dans quelle mesure l’Alberta reconnaîtrait-elle ces unions? De plus, le Canada devrait examiner dans quelle mesure il reconnaîtra les unions libres enregistrées à l’étranger et les relations de cohabitation. Si les Pays-Bas mettent à exécution leur plan de légalisation des mariages entre homosexuels le 1er janvier 2001, le Canada devra également être en mesure de régler la question de la reconnaissance des mariages étrangers entre homosexuels. Il est possible que la Conférence de la Haye sur le droit international privée constitue un groupe de travail chargé d’aborder ces questions, et il serait recommandé que le Canada y délègue un spécialiste.

Les questions qui suivent devraient faire l’objet de recherches et d’études plus détaillées :

a) Statistique Canada devrait-il recueillir des données sur les couples homosexuels et sur les adultes vivant en relation affective et interdépendante mais non conjugale, et la "famille de recensement" devrait-elle être redéfinie pour inclure de telles unions;

b)  y aurait-il lieu d’étendre davantage les obligations et droits conjugaux aux couples hétérosexuels et homosexuels;

c) y aurait-il lieu d’étendre les obligations et droits conjugaux aux adultes qui vivent une relation affective et dépendante ou interdépendante mais non conjugale;

d) l’État devrait-il continuer à soutenir les couples, conjugaux ou autres, ou devrait-il plutôt individualiser davantage ses prestations et lier les prestations, les droits et les obligations de nature "familiale" aux responsabilités à l’égard des enfants à charge;

e) l’État devrait-il conserver ou modifier son rôle dans la réglementation du mariage et du divorce;

f) faudrait-il introduire un régime d’enregistrement des unions libres;

g) quels sont les droits, obligations et prestations de nature conjugale qui nécessiteraient l’enregistrement ou le mariage, et quels sont ceux qui ne dépendraient que de la cohabitation;

h) faudrait-il légaliser les mariages entre personnes de même sexe;

i) les questions de droit international privé relatives aux unions libres enregistrées, à la cohabitation et au mariage entre personnes de même sexe.

LE MARIAGE ET LES UNIONS LIBRES

I. INTRODUCTION Retour table des matières

Ces changements qu’il subit n’ont dans leurs fondements rien de commun avec les accidents et avatars qui ont jalonné le cheminement de la nuptialité canadienne, et plus généralement du monde occidental au cours des derniers siècles [...] une conséquence de la remise en cause des règles du jeu de la vie sociale incluant, avec la formation des couples, la fécondité et le concept de la famille.

A. Portée et objectifs

Traditionnellement, la famille a surtout reposé sur le mariage, mais d’importants changements sociaux et juridiques ont modifié cette tradition. La légalisation de l’avortement et la mise au point de méthodes contraceptives efficaces ont rompu le lien entre la sexualité et la procréation. Étant donné que la liberté sur le plan de la procréation permet aux parties de contrôler les grossesses, le mariage ne constitue plus une condition préalable à des relations sexuelles régulières. Les femmes célibataires qui deviennent enceintes peuvent choisir d’accoucher et de garder leur enfant, et la procréation n’est dorénavant plus liée au mariage. Le féminisme et les changements économiques ont augmenté l’indépendance des jeunes adultes qui n’ont plus besoin de se marier pour échapper au contrôle parental. La primauté croissante de l’individu par rapport à la famille s’est manifestée par une importance accrue attachée à l’accomplissement personnel et par un engagement moindre envers la famille.

Les taux accrus de divorce, d’unions libres et de naissances hors-mariage reflètent le fléchissement de l’importance du mariage et de l’engagement qu’il suscite. Ces changements, associés à une plus grande acceptation et tolérance à l’égard des couples homosexuels, ont donné lieu à une redéfinition de la famille et à certaines modifications juridiques adaptées aux nouvelles formes de la famille. D’autres pays occidentaux connaissent des tendances sociales semblables et entreprennent d’effectuer des modifications similaires à leurs lois sur la famille. Certaines autorités législatives s’efforcent de soutenir le mariage en le rendant plus difficile à dissoudre, en offrant un plus grand soutien au mariage ou en lui conservant son aspect juridique privilégié tout en refusant d’étendre aux autres unions les privilèges juridiques traditionnellement associés au mariage. Cependant, la plupart des autorités législatives réagissent à l’acceptation sociale croissante des unions de fait et des unions homosexuelles en accordant à de telles unions un certain nombre des droits et obligations traditionnellement réservés au mariage.

Dans le présent document, j’examine de quelle façon le Canada a réagi à l’évolution de la famille et si les lois canadiennes sont compatibles avec les valeurs et objectifs sociaux. Je compare les lois qui entourent le mariage avec celles qui régissent les unions libres en tenant compte du contexte social au sein duquel le droit familial est appliqué aujourd’hui. Les unions libres examinées ici sont les suivantes : la cohabitation entre personnes de sexe opposé, la cohabitation entre personnes de même sexe, les unions non conjugales mais affectives et interdépendantes entre adultes (p. ex., la cohabitation de deux amis ou d’une mère veuve et de sa fille divorcée). La comparaison entre le mariage et les unions libres soutient l’analyse de la présente étude conceptuelle qui vise principalement à dégager les questions, les hypothèses, les objectifs sociaux et les valeurs qui sous-tendent les lois actuelles, ainsi que les incompatibilités entre objectifs sociaux et les valeurs et les lois actuelles. L’examen des lois relatives au mariage et aux unions libres révèle des dimensions problématiques, et j’analyse de quelle façon la loi les aborde ou néglige de les aborder.

J’examine également certaines tendances nouvelles dans d’autres pays occidentaux relativement au mariage et aux unions libres. L’analyse comparative ne repose pas sur l’aspect réglementaire du droit, mais elle tente plutôt de situer les règles de droit des différents pays dans un contexte plus vaste et de s’attacher aux discours juridiques, aux débats sur la réforme et à la façon dont les avocats raisonnent le droit. Bref, j’ai adopté la perspective du "droit en tant que culture". Je n’ai examiné que les pays ayant une culture juridique occidentale parce qu’ils sont plus susceptibles de fournir des modèles adaptables à un contexte culturel canadien que les pays de culture juridique asiatique, islamique ou africaine. Une autre raison de me concentrer sur la culture juridique occidentale repose sur le fait que celle-ci permet de discerner une tendance de changement social et de réforme du droit en matière de cohabitation entre personnes de sexe opposé et entre personnes de même sexe au sein de cette culture, plus particulièrement dans certains pays européens. Le Canada a suivi cette tendance et il pourrait continuer de le faire. Par conséquent, il est utile d’examiner les progrès réalisés dans les pays qui devancent quelque peu le Canada.

La réglementation du mariage et des unions libres se distingue de la réglementation des relations parent-enfant. Il arrive souvent que les deux se chevauchent, par exemple, lorsqu’il s’agit de décider s’il faut permettre l’adoption par des couples homosexuels. Dans certains secteurs de compétence, les questions liées aux enfants sont étroitement associées à la réglementation du mariage et des unions libres à cause des distinctions juridiques fondées sur le fait qu’un enfant est né du mariage ou hors-mariage. À titre d’exemple, l’Angleterre et le Pays de Galles reconnaissent aux parents mariés une responsabilité parentale conjointe, mais dans le cas de parents non mariés, la responsabilité parentale n’incombe pas automatiquement au père, quoique celui-ci puisse l’obtenir à la suite d’une ordonnance ou d’une entente. Au Canada, les responsabilités et droits parentaux ne sont pas ainsi liés à l’état matrimonial. Même dans les pays où ce lien existe, il a été possible d’apporter des réformes juridiques à la réglementation des unions libres tout en traitant de façon distincte les questions relatives aux relations parent-enfant. La plupart des pays nordiques, par exemple, ont adopté des lois sur les unions libres enregistrées qui accordent aux partenaires homosexuels enregistrés les obligations et droits conjugaux à l’exception des responsabilités et droits parentaux qu’ils abordent maintenant comme des questions distinctes. Le présent rapport est axé sur la réglementation du mariage et des unions libres, tandis que les relations parent-enfant ne seront abordées qu’accessoirement.

Il s’agit d’une étude conceptuelle destinée à établir la base d’une analyse plus détaillée liée à des réformes législatives précises. À la fin du document, je dégage les questions qui devraient faire l’objet d’une analyse plus détaillée et d’une réforme.

B. Terminologie

J’utilise l’expression "union libre" pour désigner la cohabitation de personnes de sexe opposé, la cohabitation de personnes de même sexe et les relations non conjugales mais affectives et interdépendantes entre adultes. "Cohabitation" sous-entend le fait de vivre ensemble dans une union conjugale ou affective. L’expression "union conjugale" renvoie à une cohabitation qui comprend des rapports d’ordre sexuel ou sentimental. L’expression "obligations et droits conjugaux" sert à désigner l’ensemble des droits, avantages et obligations juridiques qui, traditionnellement étaient associés au mariage mais qui ont été étendus en partie aux partenaires de certaines unions hors mariage. "Loi sur les unions libres enregistrées" englobe toute loi qui permet aux couples de s’inscrire afin que leur soient conférés un certain nombre d’obligations et de droits conjugaux.

C. La nature relativement autonome du droit

Le présent rapport présuppose que le droit est un système relativement autonome, en ce sens qu’il ne reflète pas totalement les réalités sociales, ne réagit pas aux changements sociaux et n’influe pas sur l’usage social de façon autonome. La famille, telle que définie par la loi, n’est pas un reflet de la nature, mais une construction qui traduit les choix politiques, sociaux et religieux ainsi que la logique interne du droit. Le mariage et les unions libres ne façonnent le droit que dans une certaine mesure. L’autonomie relative du droit signifie que le droit possède, pour établir la "vérité", ses propres mécanismes qui sont indépendants de ceux qu’utilisent la sociologie ou les sciences naturelles.

Une illustration de la nature relativement autonome du droit peut être tirée du roman Oliver Twist de Charles Dickens. Lorsqu’on dit à M. Bumble qu’il sera puni pour les crimes de Mme Bumble parce que, aux yeux de la loi, il est le plus coupable des deux, étant donné que le droit présuppose que sa femme agit sous ses ordres, il est déconcerté et répond [traduction] "Si c’est ce que la loi présuppose, alors la loi est imbécile, idiote. Si ce sont là les yeux de la loi, la loi est célibataire; et je ne peux rien souhaiter de pire à la loi si ce n’est que l’expérience lui ouvre les yeux". L’expérience de M. Bumble, homme gouverné par sa femme, sera filtrée par les mécanismes juridiques de détermination de la vérité parce qu’il s’agit d’une information qui ne s’insère pas dans la logique du régime de protection maritale et dans le postulat selon lequel les maris contrôlent leurs épouses.

Les réformateurs du droit s’efforcent de rendre le droit moins idiot et de faire en sorte qu’il reflète davantage la réalité. De fait, lorsque le gouvernement fédéral a récemment annoncé le projet de redéfinir le terme "conjoint" aux fins de l’immigration pour inclure les partenaires non mariés de même sexe ou de sexe opposé, la ministre de l’Immigration, Lucienne Robillard, a formulé le commentaire suivant : [traduction] "Je ne cherche qu’à refléter la réalité parce que la loi actuelle ne reconnaît que les couples mariés". Les efforts du gouvernement pour incorporer dans la loi plus d’informations extrinsèques se traduiront par une nouvelle construction de la famille qui reflétera les choix politiques et sociaux ainsi que la logique interne du droit. Le nouveau droit sera plus cohérent avec la façon dont les gens vivent et aura certaines répercussions sur ce mode de vie, mais la métaphore "reflet de la réalité" constitue une exagération de ce qui peut être réalisé.

Les effets du droit sur le mariage et les unions libres ne sont pas simples. Martha Minow fait valoir de façon convaincante que la famille constitue un artefact juridique et que ce sont les lois et les institutions qui façonnent les unions des personnes et les engagements qu’elles prennent les unes envers les autres. Les parties structurent leurs relations au sein du cadre juridique existant, mais les résultats ne sont pas toujours tels que prévus. Mary Ann Glendon laisse entendre que même si le droit peut avoir des répercussions sur les idées, les attitudes et, en bout de ligne, sur la formation du consensus social, le lien entre le droit et le comportement demeure incertain. Par exemple, la criminalisation de l’homosexualité n’a pas éliminé les unions entre personnes de même sexe mais a plutôt servi à les rendre clandestines.

Il existe de nombreux antécédents de lois familiales normatives destinées à contrôler le comportement des couples. Par exemple, la notion selon laquelle il fallait refuser aux mères le droit d’accès à leurs enfants après une séparation pour les contraindre à demeurer avec leur mari explique clairement la raison du maintien de l’autorité paternelle quasi absolue sur les enfants en Angleterre jusqu’en 1839. La résistance au divorce en Angleterre et, subséquemment au Canada, reposait également sur la crainte que les divorces en trop grand nombre menacent la stabilité de la société. Après la légalisation du divorce, il y a eu une augmentation des requêtes en divorce, mais il n’est pas évident que cela traduise une augmentation des ruptures de mariage. Max Reinstein, entre autres, a soutenu que la loi ne constitue pas le facteur principal de la stabilité conjugale, signalant qu’une loi sur le divorce rigoureuse n’est pas un moyen efficace de prévenir les ruptures de mariage ni même d’en réduire le nombre. Les lois normatives réglementant la structure familiale étant de plus en plus jugées inefficaces et illégitimes, les lois sur le divorce sans faute ont été adoptées, marquant le retrait de l’état des interventions normatives dans la vie familiale.

L’État s’étant retirée de la réglementation de la structure familiale, son principal projet en ce qui a trait à la famille est devenu la réglementation des obligations familiales, plus particulièrement les obligations financières. Il est nécessaire de définir la famille pour réglementer les obligations familiales (entre les membres de la famille et entre les familles et les tiers, y compris l’État). Il est toutefois difficile de définir la famille à l’époque du droit familial postnormatif. D’une part, l’État adopte une attitude de laissez-faire à l’égard de la structure familiale – nous bénéficions maintenant d’une liberté considérable pour établir et structurer les unions comme bon nous semble. D’autre part, l’État privilégie certaines structures familiales en les incorporant au sein d’un système de réglementation de la famille qui exclut les autres. Le fait de favoriser certaines structures familiales est contesté au motif que cela constitue une prolongation de la réglementation normative, aujourd’hui illégitime, de la structure familiale. La justification de cette situation n’étant plus manifeste, l’État doit mettre au point une raison d’être de son système de réglementation de la famille.

Deux arguments sont généralement offerts à l’appui des préférences accordées à certains types d’unions. Les personnes en faveur d’une définition large de la famille invoquent les principes constitutionnels – plus particulièrement, l’égalité, la liberté et le respect de la dignité inhérente de toutes les personnes – pour justifier la reformulation de la définition de la famille afin d’inclure les unions antérieurement exclues. Les défenseurs d’une définition élargie de la famille font également valoir que les unions non traditionnelles remplissent souvent des fonctions traditionnellement associées au mariage et que l’État a intérêt à soutenir, et que ces unions devraient, par conséquent, être réglementées de la même façon que le mariage. Ceux qui préconisent une définition étroite de la famille ont également recours à une analyse fonctionnelle. Ces défenseurs d’une définition étroite soutiennent que le mariage devrait être privilégié par rapport aux autres unions parce qu’il s’agit de la forme d’union la plus, sinon la seule, apte à accomplir les fonctions de procréation et de création de la stabilité. Le présent document examinera les arguments qui justifient de privilégier légalement certaines unions. Je signale ici que la capacité du droit d’appliquer une analyse fonctionnelle et de saisir entièrement les complexités des arrangements familiaux dans les définitions des termes "conjoint" ou "famille" est limitée.

Pour les personnes engagées dans la réforme du droit traitant du mariage et des unions libres, le concept de l’autonomie relative du droit suppose une certaine modestie quant à l’objectif de refléter dans le droit notre façon de vivre aujourd’hui. La complexité du monde social, telle que perçue et vécue, doit être réduite pour permettre au droit de la traiter. Les définitions juridiques des termes "conjoint", "parent" et ainsi de suite, ne peuvent que constituer des reconstructions à titre de communications juridiques valides de certaines vérités générées par des discours étrangers au droit. Le juge McLachlan a fait allusion à la capacité limitée du droit de refléter la réalité de notre mode de vie dans l’arrêt Miron c. Trudel lorsqu’elle a analysé le recours par l’État à des "caractéristiques" pour déterminer les familles qui devraient être incluses dans un régime légal d’assurance automobile familial. Elle a précisé que "une bonne caractéristique exclut la plupart des personnes qui devraient l’être compte tenu de l’objectif de la loi et, seulement quelques-unes qui ne devraient pas l’être" et que "la norme à laquelle doit satisfaire le législateur n’est pas la perfection, mais le caractère raisonnable". Un des projets des réformateurs du droit de la famille consiste à élaborer des "caractéristiques" raisonnables, et le présent document est une contribution à ce projet.

II. VALEURS SOCIALES ET OBJECTIFS QUI SOUS-TENDENT LE MARIAGE ET LES UNIONS LIBRES : ÉCART ENTRE CES VALEURS ET OBJECTIFS ET LE DROIT Retour table des matières

[Traduction]

Le mariage fait partie de la réalité normative d’un État, et dans de nombreux États, le mariage est considéré comme la principale institution de réglementation et de contrôle social. Les principes du droit familial sont par conséquent souvent considérés par un pays comme une question d’intérêt public.

Il règle un désaccord considérable entre les Canadiens quant aux valeurs sociales et aux objectifs qui sous-tendent le mariage et les unions libres. Selon certains, le mariage est fondamental à la stabilité et au bien-être de la famille, et le fait d’étendre les obligations et droits conjugaux aux couples non mariés sape la famille au détriment de la société. D’autres font valoir que certaines unions non maritales méritent également d’être soutenues et qu’elles contribuent également à la stabilité et au bien-être de la famille et aux autres objectifs de l’État. Le désaccord entre les Canadiens sur les valeurs et objectifs sociaux qui sous-tendent la loi actuelle sur le mariage et la cohabitation se reflète dans les divisions entre les juges de la Cour suprême à qui incombe une grande part de la responsabilité d’établir la politique sociale et le droit dans ce domaine.

En dépit de l’importante division qui existe entre les Canadiens au sujet des valeurs qui sous-tendent le mariage et les unions libres, il est possible de relever dans le discours public certaines valeurs fondamentales au sujet de ces unions. Les valeurs fondamentales sont la liberté de choix, l’affection mutuelle, l’autonomie, la protection des personnes vulnérables, l’équité et l’égalité. Le droit n’est pas entièrement compatible avec ces valeurs fondamentales. À titre d’exemple, certaines des lois qui établissent une distinction entre les couples mariés et non mariés au désavantage de ces derniers sont incompatibles avec la valeur de l’égalité.

Les objectifs sous-jacents des lois qui régissent le mariage et les unions libres abordés dans les présentes consistent à favoriser la procréation, à fournir aux enfants des milieux nourriciers stables, à procurer aux membres de la famille un système de soutien social et à favoriser la cohésion sociale. Certaines des lois actuelles qui établissent une distinction entre le mariage et les unions libres sont incompatibles avec ces objectifs parce que les unions libres qui atteignent ces objectifs ne reçoivent pas le même niveau de soutien juridique que le mariage.

Cette partie du document examine les valeurs et objectifs susmentionnés qui sous-tendent le mariage et les unions libres. Elle étudie également les écarts entre les valeurs et objectifs et les effets produits par la loi. Avant d’étudier les valeurs de la liberté de choix, de l’affection mutuelle, de l’autonomie, de la protection des personnes vulnérables, de l’équité et de l’égalité, nous aborderons les valeurs religieuses et leur rôle dans les lois sur le mariage.

A. Valeurs

Valeurs religieuses

Les valeurs religieuses ont toujours été étroitement liées aux lois sur le mariage et sur les unions libres. Les racines religieuses du mariage à l’époque de la colonisation au Canada sont examinées à fond dans Reference re Marriage Act (Canada). À l’origine, les églises catholiques romaines et anglicanes contrôlaient le mariage, puis graduellement, d’autres confessions religieuses ont obtenu le pouvoir de célébrer des mariages. La religion fait encore partie des lois provinciales sur le mariage qui prévoient des cérémonies de mariage religieux. De nombreux couples continuent de s’épouser lors de cérémonies religieuses, mais il peut s’agir davantage d’une acceptation du rôle conventionnel de la religion dans les mariages plutôt que de véritables croyances ou engagements religieux. L’anthropologue Ellen Lewin signale ce qui suit :

[Traduction]

Les traiteurs et les hôtels fournissent souvent à leurs clients le nom d’ecclésiastiques disposés à célébrer des mariages pour des couples n’appartenant pas à leur confession religieuse ou à une congrégation particulière. Les églises – plus particulièrement dans les principaux courants protestants – peuvent constituer des lieux de mariage pour des couples qui n’ont habituellement aucun lien avec elles et, de fait, bon nombre d’églises comptent sur des locations pour des mariages (ainsi que des locations à des groupes des douze étapes, des organismes communautaires et des garderies) pour améliorer leur situation financière.

Les données du recensement canadien indiquent une diminution de l’appartenance religieuse des Canadiens – en 1991, 12,4 % des Canadiens ont signalé n’avoir aucune appartenance religieuse, et une augmentation de 90 % a été enregistrée à cet égard de 1981 à 1991. La diversité religieuse a augmenté au Canada, quoique le recensement de 1991 signale que 81,9 % des Canadiens se sont décrits comme étant Chrétiens – 45,7 % des Canadiens ont déclaré être catholiques romains, 36,2 % protestants et 5,8 % d’une autre religion. Ainsi, les Canadiens en grande majorité appartenaient à la religion chrétienne. La pratique religieuse, c.-à-d. l’assistance aux services religieux, a diminué considérablement chez les Canadiens, soit dans une mesure plus importante que l’appartenance religieuse.

La pratique religieuse, contrairement à l’appartenance religieuse déclarée, est liée à la structure familiale. Les femmes qui assistent chaque semaine aux services sont moins susceptibles de cohabiter en dehors du mariage que celles qui n’y assistent jamais. Même ceux qui n’y vont qu’occasionnellement sont beaucoup moins susceptibles de cohabiter hors-mariage. Le fait d’être marié et d’avoir des enfants est plus important pour ceux qui pratiquent la religion que pour les autres, et l’assistance régulière aux services religieux est associée à des mariages "plus solides". Tout en faisant remarquer que la pratique religieuse est liée à des "valeurs familiales plus traditionnelles" et que les personnes pratiquantes "ont tendance à se dire plus heureuses, moins stressées et en relations plus harmonieuses avec leurs partenaires", Warren Clark signale que le Canada devient "de plus en plus laïque" et que "le nombre de Canadiens ne déclarant aucune appartenance religieuse est en hausse, alors que la participation à des services religieux est en régression".

Les religions varient selon leur attitude à l’égard de l’homosexualité et les couples homosexuels, et il existe également au sein d’organismes religieux particuliers, une diversité d’opinions qui a donné lieu à des débats acrimonieux. Voici ce qu’ont écrit Saul Olyan et Martha Nussbaum au sujet de ce débat permanent :

[Traduction]

Les catholiques romains, les juifs et les membres des principales confessions protestantes sont actuellement engagés dans de vigoureuses délibérations au sujet de la place appropriée des bisexuels, des lesbiennes et des hommes gais dans les communautés religieuses; sur l’attitude que ces communautés devraient avoir à l’égard du comportement homosexuel; sur la question de savoir si ces communautés et leurs membres individuels devraient manifester leur accord, leur désaccord ou s’abstenir de s’engager publiquement à l’égard de la protection des droits civils et autres droits et avantages juridiques proposés – y compris le mariage – pour les hommes gais, les lesbiennes et les personnes bisexuelles.

Certaines religions offrent des bénédictions, des mariages ou des cérémonies d’engagement pour les couples homosexuels qui ne peuvent se marier légalement. Selon Mme Lewin,

[Traduction]

Bon nombre de lesbiennes et de gais ont également tendance à concevoir leur mariage comme un événement qui requiert une certaine composante religieuse ou spirituelle. Cette dimension permet souvent d’élaborer un sentiment de connexion avec les autres sources d’identité – ethnicité, race et tradition familiale – au-delà de celles qui émanent de l’orientation sexuelle.

Les racines religieuses de la loi sur le mariage demeurent manifestes dans les règles qui régissent les formalités et la validité du mariage, mais ces aspects religieux constituent davantage des vestiges historiques plutôt qu’une indication de la vitalité des valeurs religieuses par rapport au mariage. Le lien entre les valeurs religieuses et les lois sur le mariage a été rompu parce que les aspects religieux du mariage ne représentent que des formalités pour bon nombre de personnes, tandis que, parallèlement, les personnes qui tiennent aux valeurs religieuses du mariage sont exclues du mariage légal et célèbrent leurs unions dans des cérémonies religieuses qui ne s’inscrivent pas dans le contexte de la loi.

Un exemple de l’élimination explicite des valeurs religieuses de la loi sur le mariage figure dans la Loi sur le mariage (degrés prohibés) 1990 qui a aboli bon nombre d’interdictions de mariage entre personnes apparentées. La loi précédente sur les degrés prohibés de consanguinité et d’affinité avait des racines religieuses manifestes; dans les provinces et territoires de common law, elle avait été adoptée à partir de la Table de 1562 de l’archevêque Parker, ultérieurement incluse dans la liturgie de l’Église anglicane. Dans ses commentaires sur la modification de 1990, Bruce Ziff a fait remarquer que les politiques traditionnelles derrière les anciennes prohibitions reposaient sur la préservation des normes sociétales perçues ou des croyances religieuses judéo-chrétiennes. Les organismes religieux et autres ont soulevé des objections morales à la nouvelle loi, mais les législateurs ont rejeté leurs arguments, affirmant que les personnes pouvaient se gouverner elles-mêmes par leurs propres valeurs, mais que la loi du pays devait être aussi libre de restrictions que possible. Au cours des débats au Sénat, il a été dit que "les mariages peu souhaitables du point de vue de la société [...] se produisent pour toutes sortes de raisons, et [...] nous ne pouvons pas les empêcher et nous n’essayons pas de légiférer pour les empêcher". La Loi sur le mariage (degrés prohibés) n’a pas seulement éliminé les valeurs religieuses de la loi sur le mariage, mais a aussi marqué l’abandon par l’État de son rôle qui consiste à sanctionner le caractère moral des unions.

Là où les autorités législatives ont adopté des régimes d’unions libres enregistrées qui donnent aux partenaires un statut semblable à celui dont bénéficient les couples mariés, certaines personnes mettent en doute la nécessité de l’État de continuer à se mêler des "affaires" du mariage. Avec l’adoption des lois sur les unions libres enregistrées, le mariage pourrait être laissé aux organisations religieuses. Le professeur Sylvia Wortmann du ministère de la Justice hollandais a formulé cette suggestion. L’idée a été mise de l’avant à Hawaii également. Après que les Hawaïens eurent ratifié un amendement constitutionnel permettant aux législateurs de l’État d’interdire le mariage entre personnes de même sexe, le gouverneur d’Hawaii, Ben Cayetano, a annoncé qu’il s’efforcerait de faire adopter une loi plus large sur les unions libres enregistrées. Cayetano a adopté la position selon laquelle les unions libres enregistrées constituent une façon de mettre fin au débat qui a divisé Hawaii au sujet des mariages entre homosexuels. Voici ce qu’il a dit en 1996 : [traduction] "L’institution du mariage devrait être laissée à l’Église. Le gouvernement doit examiner son rôle dans le mariage. Le rôle du gouvernement ne devrait pas consister à célébrer les mariages".

Certains chefs religieux ont également laissé entendre que les aspects religieux du mariage ne devraient pas être mêlés aux aspects juridiques. Mme Pamela Young, chef du département des Études religieuses à Queen’s University, a signalé que le seul temps où elle est appelée à agir à titre d’"agente de l’État" est lorsqu’elle célèbre des cérémonies de mariage. Elle se demande s’il s’agit d’un rôle approprié pour un membre du clergé et elle a fait remarquer que l’exécution de ce rôle est plus particulièrement problématique lorsqu’il s’agit d’unir des couples qui ne manifestent aucun sentiment religieux à l’endroit du mariage.

Le mariage et le divorce sont actuellement régis par la loi. De nombreuses personnes s’épousent dans le cadre d’une cérémonie religieuse. Pour certaines, par exemple, les couples homosexuels, le mariage civil n’est pas possible et seul un "mariage" religieux ou quelqu’autre cérémonie non légale leur est offert. À mesure que diminue la signification légale du mariage, il y a lieu de se demander si le mariage et le divorce devraient continuer d’être régis par la loi. L’État pourrait peut-être régir des questions telles que les biens matrimoniaux, la pension alimentaire et les droits à pension selon que les parties s’enregistrent ou qu’elles cohabitent et laisser les parties régler la question de l’état matrimonial conformément à leur foi ou autres croyances.

Liberté de choix, affection mutuelle, autonomie, protection des personnes vulnérables, équité et égalité

Si les valeurs religieuses associées au mariage ou aux unions libres occupent moins de place aujourd’hui, d’autres valeurs, par contre, ont pris de l’importance. Il s’agit de la liberté de choix, de l’affection mutuelle, de l’autonomie, de la protection des personnes vulnérables, de l’équité et de l’égalité.

Le mariage requiert un choix conscient des parties – une relation de cohabitation pourrait évoluer graduellement, mais le mariage exige, pour sa formation, un geste clair et précis. Le choix est essentiel au mariage, et l’absence de consentement invalidera un mariage. La liberté de choix est devenue une valeur encore plus importante au XXe siècle car le mariage a évolué, passant d’une union contractée sur l’instance de la famille à une affaire de choix strictement individuelle. Aujourd’hui, la décision de contracter le mariage ou de former une union libre repose généralement sur l’affection mutuelle du couple plutôt que sur des calculs de nature financière ou sociale de la part des parents. Même s’il existe encore des mariages arrangés ou de convenance au Canada, les historiens et les sociologues reconnaissent le virage qui s’est produit dans les pays industrialisés occidentaux où les mariages, autrefois une préoccupation du réseau familial élargi et pas nécessairement compatibles avec le choix individuel des conjoints, sont devenus, au XXe siècle, des unions librement contractées par les conjoints et caractérisées par un intense lien affectif et érotique.

La loi impose certaines restrictions à la liberté des parties de s’épouser. Par exemple, une personne ne peut épouser un proche parent. La plupart des restrictions légales actuelles imposées à la liberté de s’épouser sont acceptées comme constituant des limites raisonnables. La restriction à la liberté des couples homosexuels de s’épouser est toutefois contestée, en partie parce qu’elle constituerait une limite déraisonnable imposée à la liberté de choix. Dans Layland c. Ontario, le demandeur a, sans succès, contesté l’exclusion des couples homosexuels du mariage, et le juge Greer a fondé sa dissension en partie sur l’argument de la liberté de choix :

[Traduction]

Les causes fondées sur la Charte montrent que nos cours ont jugé que le "choix" est un avantage de la loi. Dans l’affaire qui nous occupe, les requérants se sont vu refuser le droit de choisir la personne qu’ils désiraient épouser. À mon avis, le droit de choisir est un droit fondamental et il s’applique au contexte du mariage dans notre société. Selon une théorie fondamentale de notre société, l’État doit respecter les choix des individus et éviter de leur assortir des conditions.

Un corollaire à la liberté de choisir et d’aimer en ce qui a trait à la formation des unions est la liberté de dissoudre ces unions lorsque l’affection mutuelle du couple a disparu. Au XIXe siècle, selon la notion prévalante, un couple marié avait une obligation envers l’État et envers ses enfants de demeurer ensemble à moins qu’une "faute matrimoniale" puisse être prouvée. À cette époque, Lord Eldon a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

Que le contrat de mariage soit, comme je pense que certains le soutiennent certains, un contrat civil seulement, ou à la fois civil et religieux, il en est un d’une nature très particulière; il en est un que les parties ne peuvent dissoudre : un contrat aux termes duquel les parties s’imposent des devoirs à elles-mêmes et par lequel elles s’engagent à s’acquitter de devoirs à l’égard de leurs enfants; ces devoirs sont imposés tant par souci de l’intérêt public que du bonheur privé.

Au cours de la même période, une revue juridique populaire a affirmé que le principe selon lequel la volonté des parties pourrait entraîner la dissolution de l’état matrimonial était en violation directe avec les principes juridiques à cet égard.

Aujourd’hui, l’idée que l’État devrait forcer un couple à demeurer marié semble contraire au point de vue généralement partagé selon lequel le mariage devrait être fondé sur la liberté de choix et l’affection mutuelle, et la loi prévoit maintenant un divorce "sans faute" après une séparation d’une année. Selon l’hypothèse actuelle, le mariage concerne surtout les parties en cause. Les parties sont maintenant libres de s’épouser et de dissoudre leur mariage conformément à leurs propres valeurs morales ou sentiment d’utilité.

Le mariage peut maintenant être dissout facilement, mais une procédure juridique est requise. Aucune partie à un mariage ne peut unilatéralement divorcer l’autre sans procédures juridiques. La dissolution d’un mariage exige un divorce, et la cour peut examiner et annuler les ententes conclues par les conjoints dans le processus. La cohabitation peut être dissoute unilatéralement en tout temps, et aucune procédure judiciaire n’est requise. Ainsi, dans le cas d’une union libre, il est possible de se prémunir contre l’examen par l’État des modalités de la séparation. Cette absence d’examen peut poser un problème en ce qui a trait aux personnes vulnérables – un enfant ou un partenaire financièrement dépendant – si le partenaire dominant impose à l’autre des modalités injustes. D’autre part, l’examen effectué par un tribunal du divorce peut nuire à la liberté de choix de mettre fin à un mariage ou à l’autonomie des parties en ce qui a trait aux modalités de la séparation.

L’autonomie constitue une autre valeur importante qui sous-tend le mariage et les unions libres. Cette valeur est souvent citée à titre de motif pour ne pas imposer des obligations et droits conjugaux à des personnes non mariées. À titre d’exemple, le ministre de la Justice, Serge Ménard, a expliqué à l’Assemblée nationale du Québec pourquoi la province n’avait pas antérieurement inclus les couples non mariés dans son régime d’obligations et de droits conjugaux en disant :

Lorsque le législateur a révisé le droit de la famille, tant en 1980 qu’en 1991, il s’est interrogé sur l’opportunité de prévoir des conséquences civiles aux unions de fait. S’il s’est abstenu de le faire, c’est par respect pour la volonté des conjoints : quand ils ne se marient pas, c’est qu’ils ne veulent pas se soumettre au régime légal du mariage.

La priorité croissante accordée à l’autonomie et à la liberté individuelles de former des unions sans ingérence indue a été relevée par de nombreux chercheurs.

La valeur de l’autonomie est atténuée par les valeurs parfois opposées relatives à la protection des personnes vulnérables. Il est maintenant généralement reconnu que l’État devrait intervenir pour protéger les personnes qui font l’objet de mauvais traitements de la part de leur conjoint ou partenaire. En 1990, le juge Wilson, écrivant pour la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, a décrit les attitudes changeantes à l’égard de la violence conjugale au fil du temps :

Le droit a dans le passé sanctionné la violence contre les femmes à l’intérieur du mariage en tant qu’aspect du droit de propriété du mari sur sa conjointe et de son "droit" de la châtier. Qu’on se rappelle simplement la loi, en vigueur il y a plusieurs siècles, autorisant un homme à battre sa femme avec un bâton "d’une épaisseur ne dépassant pas celle de son pouce".

Or, les lois ne naissent pas dans un vide social. La notion qu’un homme a le droit de "discipliner" sa femme est profondément enracinée dans l’histoire de notre société. L’obligation de la femme était de servir son mari, de rester mariée à tout prix "jusqu’à ce que la mort les sépare" et de subir toute "punition" pouvant lui être infligée pour défaut de plaire à son mari. Cette attitude a eu notamment pour conséquence que la "violence faite aux femmes" était rarement mentionnée, rarement rapportée, rarement poursuivie et encore plus rarement punie. Bien après que la société eut cessé d’approuver officiellement la violence conjugale, on continuait, et on continue encore aujourd’hui, à la tolérer dans certains milieux.

Heureusement, on constate depuis quelques années une conscience accrue qu’aucun homme n’a dans aucune circonstance le droit de brutaliser une femme.

Elizabeth Pleck a signalé que l’attention que le public porte à la violence conjugale ne constitue pas un phénomène nouveau. Mme Pleck a retracé les réactions changeantes à la violence conjugale au fil du temps, associant ces réactions aux attitudes changeantes à l’égard de l’intervention de l’État dans la famille :

[traduction] "Une plus grande intrusion appréhendée du gouvernement ou une augmentation du respect pour l’intimité familiale diminuerait le soutien pour les politiques sociales visant à contrer la violence familiale". Il existe actuellement un appui généralisé à des politiques sociales vigoureuses contre la violence familiale, et une acceptation générale selon laquelle l’autonomie et l’intimité familiale devraient être assujetties à l’intervention de l’État afin de protéger les personnes vulnérables.

Tout en acceptant l’intervention de l’État pour protéger les parties vulnérables de la violence physique, la plupart des Canadiens reconnaissent que les partenaires financièrement vulnérables ne devraient pas être laissés dans le dénuement à la fin d’une union, et que l’État peut, en toute légitimité, passer outre à l’autonomie des parties pour éviter ce résultat. Cependant, les protections légales accordées aux personnes financièrement dépendantes sont en grande partie axées sur le mariage et, dans une mesure moindre, sur la cohabitation entre personnes de sexe opposé. Dans les autres types d’unions libres, la protection accordée aux personnes financièrement dépendantes contre le dénuement à la fin de la relation est faible ou inexistante. Il importe également de signaler que l’obligation imposée aux anciens partenaires mariés de soutenir les personnes financièrement dépendantes a diminué. La mesure dans laquelle la protection des personnes vulnérables doit l’emporter sur l’autonomie reste discutable.

Actuellement, les conjoints sont libres de se dégager par contrat d’un bon nombre des droits et obligations associés au mariage. Le Québec empêche les parties de se soustraire aux dispositions relatives aux biens matrimoniaux, mais d’autres autorités législatives le permettent. Il existe des restrictions quant à la possibilité de se soustraire à l’obligation alimentaire à l’égard du conjoint et des enfants et au droit de garde et de visite des enfants. Il faudrait aborder la question de savoir si le fait que les parties peuvent se soustraire à certains ou à tous les droits et obligations du mariage pose un problème, en ce sens que cela peut laisser un conjoint à charge vulnérable à l’exploitation financière.

La loi est ambivalente sur la question de permettre aux parties d’établir elles-mêmes les droits et obligations qui devraient s’appliquer pendant le mariage ou au moment de sa rupture. Traditionnellement, on tenait pour acquis que l’État avait un intérêt vital dans la relation juridique entre un mari et son épouse, qu’il incombait à l’État par le biais du système juridique et non aux parties par des ententes privées, d’établir les modalités régissant leur union ou sa rupture. Cette hypothèse traditionnelle a été clairement exprimée dans les premières causes portant sur la validité des ententes de séparation.

La négociation privée des obligations et droits conjugaux a été encouragée, d’une part parce que de telles questions sont maintenant considérées relever davantage des parties que de l’État, mais également parce que la négociation privée de ces droits et obligations favorise les intérêts de l’État en réduisant les dépenses publiques associées aux procédures judiciaires. La sociologue Mavis Maclean a fait remarquer que,

[Traduction]

au cours de la dernière décennie, le droit familial privé a été soustrait à l’intervention normative de l’État dans la vie familiale. Ce mouvement concorde avec l’évaluation positive de la nature privée des obligations et droits familiaux et une préférence marquée pour leur négociation et mise en œuvre par les membres de la famille sans l’intervention externe, qui caractérisait la politique publique à l’égard de la famille pendant les années 80. À mesure que les obligations et les attentes deviennent plus variées et les structures familiales plus fluides et plus complexes, la réglementation par l’État de la structure familiale a diminué pendant qu’augmentait la réglementation par l’État des obligations familiales, plus particulièrement les obligations financières.

La mesure dans laquelle l’État doit soutenir un ordonnancement privé par les membres de la famille a été examinée en détail dans l’arrêt L.G. c. G.B., dans lequel la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur une modification de l’ordonnance de pension alimentaire fondée sur une entente des parties. Cette question est controversée au Canada depuis les décisions rendues en 1987 dans Pelech c. Pelech, Caron c. Caron et Richardson c. Richardson, arrêts aussi désignés "la trilogie". Selon le critère mentionné dans la trilogie, une partie qui cherche à faire modifier une ordonnance de pension alimentaire fondée sur une entente doit montrer qu’il y a eu une modification radicale des circonstances étiologiquement associées au mariage. Ce critère a été largement critiqué pour avoir mis l’accent sur la finalité, sur l’indépendance économique et sur une rupture nette aux dépens de l’équité.

Dans L.G. c. G.B., l’opinion concordante du juge L’Heureux-Dubé établit une nouvelle façon d’aborder la modification des ordonnances de pension alimentaire fondées sur une entente. Le juge a déclaré qu’il faut encourager les parties à conclure une entente sur les conséquences économiques découlant de leur divorce, mais que de telles ententes ne constituaient qu’un seul facteur à considérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge. Le poids à accorder à une entente devrait dépendre de la mesure dans laquelle celle-ci reflète les principes et objectifs établis dans la Loi sur le divorce et de la nature du changement survenu. Plus l’entente ou l’ordonnance de pension alimentaire prend en compte le principe de la Loi sur le divorce qui favorise une répartition équitable des conséquences économiques du mariage et de sa rupture, plus elle sera susceptible d’influer sur les résultats de la requête en modification. Le juge L’Heureux-Dubé a insisté sur le fait que les ententes relatives à la pension alimentaire ne privent pas la cour de sa compétence à exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder un soutien en fonction des faits pertinents en l’espèce ainsi que des facteurs et objectifs établis dans la Loi sur le divorce.

Même si le rejet de la trilogie par le juge L’Heureux-Dubé et la formulation par cette dernière d’une nouvelle façon d’aborder la modification des ordonnances de pension alimentaire fondées sur des ententes n’ont pas été entérinés par la majorité, les autres juges adopteront vraisemblablement une perspective semblable lorsque la Cour suprême sera carrément saisie de la question. L’opinion minoritaire du juge L'Heureux-Dubé est étroitement liée au libellé de la Loi sur le divorce de 1985, tandis que les décisions de la trilogie reposaient sur la Loi sur le divorce de 1968. La Cour suprême du Canada qui a examiné attentivement le libellé de la Loi sur le divorce lorsqu’elle a formulé le critère utilisé pour déterminer la pension alimentaire du conjoint et le critère relatif à la modification des ordonnances de pension alimentaire des enfants et des ordonnances de garde respectera vraisemblablement le libellé de la loi lorsqu’elle se prononcera sur la modification des ordonnances de pension alimentaire accordées sur consentement. Si l’opinion minoritaire du juge L’Heureux-Dubé devait faire jurisprudence, le pouvoir discrétionnaire plus large des cours de déroger aux conventions alimentaires qui ne reflètent pas le principe énoncé dans la Loi sur le divorce qui consiste à favoriser une répartition équitable des conséquences économiques du mariage et de sa dissolution pourrait entrer en conflit avec l’autonomie des parties.

Les valeurs relatives à l’autonomie et à la protection des personnes vulnérables soulèvent des préoccupations sur le plan de l’équité. En 1975, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel de Mme Murdoch qui demandait qu’un droit lui soit reconnu dans la ferme d’élevage qui avait été acquise au nom de son mari pendant leur mariage d’une durée de 25 ans. La demande de Mme Murdoch reposait sur sa contribution substantielle aux travaux de la ferme, comme elle l’a expliqué : "je faisais la fenaison, le râtelage, le fauchage, la moisson; je conduisais des camions, des tracteurs, des attelages; j’apaisais les chevaux, je sortais et ramenais le bétail à la réserve, je m’occupais de décorner le bétail, de le vacciner, de le marquer au fer, tout ce qu’il y avait à faire." Cependant, la Cour suprême a déclaré qu’il s’agissait simplement du travail qui est normalement accompli par une épouse d’exploitant de ranch et que Mme Murdoch n’avait pas droit à une part de la propriété. Aujourd’hui, il est largement reconnu que les biens acquis par le travail ou les contributions d’un couple ne devraient pas être conservés par un seul membre du couple au moment de la dissolution de l’union et que les biens devraient être partagés équitablement. En dépit d’un débat permanent sur ce qui constitue une répartition équitable des biens, personne ne soutient aujourd’hui qu’une seule partie devrait conserver tous les biens acquis par un couple durant une union, à tout le moins pas sans le consentement libre et informé de l’autre partie.

La loi de chaque province et territoire prévoit maintenant la division des biens matrimoniaux, mais uniquement pour les couples mariés. Selon la doctrine de common law de l’enrichissement sans cause ou les dispositions du Code civil sur la société de personnes, les contrats ou l’enrichissement sans cause, une partie à une union libre peut obtenir une part des biens en fonction de sa contribution. De plus, les couples non mariés sont libres de conclure un contrat familial légal ou un contrat privé pour régler la question des biens. Les obligations et les droits relatifs aux biens matrimoniaux devraient peut-être, à tout le moins, être étendus à certaines de ces unions libres. Accorder la totalité des droits afférents aux biens matrimoniaux sur la base de la cohabitation constituerait probablement une trop grande atteinte au principe de l’autonomie. Toutefois, dans un régime d’union libre enregistrée, accorder les droits relatifs aux biens matrimoniaux en s’appuyant sur l’enregistrement respecterait le principe de l’autonomie tout en éliminant une forme de discrimination à l’égard des couples non mariés. À l’instar des droits de propriété, les droits à la possession du "foyer conjugal" sont, en grande partie, limités aux partenaires mariés. Fournir une protection légale contre la dépossession péremptoire à la fin d’une relation à la suite du décès ou de la séparation des cohabitants, peu importe leur situation matrimoniale ou d’enregistrement, serait conforme à la valeur relative à la protection des personnes vulnérables sans violer indûment l’autonomie des détenteurs des biens.

L’égalité est une autre valeur qui sous-tend le mariage et les unions libres. L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule ce qui suit : "La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques". Toute discrimination fondée sur les motifs énumérés ou analogues est interdite; la Cour suprême du Canada a jugé que l’orientation sexuelle et l’état matrimonial constituent des motifs analogues.

Il se peut que la valeur relative à l’égalité entre en conflit avec le fait d’accorder au mariage un statut juridique privilégié. Le mariage ne constitue plus une condition préalable à l’ensemble des obligations et droits matrimoniaux. Les couples en union libre, y compris les couples homosexuels, ont maintenant, en partie, les mêmes obligations et droits mutuels que les couples mariés et ils peuvent bénéficier de bon nombre des mêmes avantages liés à l’emploi et des mêmes prestations gouvernementales. Cependant, la réglementation des couples vivant en union libre n’est pas uniforme à l’échelle du Canada et elle ne reflète pas une politique sociale cohérente. La plupart des obligations et droits conjugaux ne sont pas étendus aux adultes qui vivent dans une union affective et dépendante ou interdépendante mais non conjugale. Même les couples hétérosexuels dont l’union est presque identique à celle du mariage n’ont pas les mêmes droits et obligations que les couples mariés, et les distinctions restantes peuvent être contestées au motif qu’elles violent le droit à l’égalité. On peut toutefois soutenir que d’accorder la totalité des droits et obligations du mariage aux couples non mariés qui ont choisi de ne pas se marier contrevient au principe de l’autonomie des parties.

Les couples homosexuels, contrairement aux couples hétérosexuels, n’ont pas le droit de se marier et, par conséquent, leurs allégations de discrimination sont particulièrement solides lorsqu’ils n’obtiennent pas les mêmes droits et obligations que les couples mariés. Dans Layland c. Ontario, la majorité de la Cour divisionnaire a décidé que l’exclusion des couples homosexuels du mariage ne viole pas la garantie d’égalité reconnue par la Charte, tout en ajoutant : [traduction] "Quant à savoir si les parties aux unions homosexuelles devraient, sans discrimination fondée sur la nature de leur union, bénéficier des mêmes avantages que les parties à un mariage, cela constitue une autre question". Plusieurs pays ont adopté des lois sur l’union libre enregistrée qui accordent la plupart des obligations et droits conjugaux aux couples homosexuels qui optent pour l’enregistrement. Les lois sur l’union libre enregistrée visent à remédier à l’inégalité des couples homosexuels tout en respectant l’autonomie de ceux qui choisissent de ne pas s’enregistrer.

Certains font valoir que le fait d’accorder les obligations et droits conjugaux aux couples homosexuels sur la base de la cohabitation ou de l’enregistrement ne règle pas entièrement le problème de la discrimination. La loi qui interdit le mariage des couples homosexuels serait incompatible avec la valeur de l’égalité parce qu’elle établit une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou sur le sexe. La capacité de se marier est une question qui relève de la compétence législative exclusive du fédéral, mais, exception faite de la Loi sur le mariage (degrés prohibés) qui énonce les règles relatives au mariage des personnes apparentées, le gouvernement fédéral n’a pas abordé cette question de façon significative. Par conséquent, mise à part la question des degrés prohibés, la common law continue de régir la validité fondamentale du mariage, sauf dans la province de Québec où le Code civil s’applique. La prohibition du mariage entre personnes de même sexe a été contestée, et la question de savoir si les couples homosexuels devraient ou non avoir le droit de s’épouser n’a pas encore été résolue.

Plusieurs pays estiment que leur loi sur l’union libre enregistrée qui permet aux couples homosexuels d’obtenir la plupart sinon tous les droits et obligations du mariage est compatible avec le principe de l’égalité. Les Pays-Bas, toutefois, prennent les devants en légalisant les mariages entre personnes de même sexe au motif qu’une union libre enregistrée constitue, au mieux, une institution "distincte mais équivalente". Les proposants du mariage entre personnes de même sexe aux Pays-Bas ont cité la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Brown v. Board of Education. Dans cette affaire, la Cour a décidé que la doctrine du "distinct mais équivalent" n’avait pas de place dans le secteur de l’éducation publique et que les établissements d’enseignement assujettis à la ségrégation raciale étaient essentiellement inégalitaires. Commentant les effets des classes séparées selon la race sur les enfants des écoles publiques afro-américaines, la Cour a signalé que cette pratique [traduction] "génère un sentiment d’infériorité, quant à leur situation au sein de la communauté, susceptible de marquer d’une manière indélébile leur cœur et leur esprit". Le même argument pourrait être invoqué dans le cas des couples homosexuels qui ont l’option de l’union libre enregistrée, mais non du mariage. Même un régime d’union libre enregistrée qui accorde l’ensemble des obligations et droits conjugaux pourrait être contesté comme contrevenant au principe de l’égalité au motif qu’il s’agit d’une institution "distincte mais équivalente".

B. Objectifs

Procréation

La procréation est souvent présentée comme étant la principale fonction du mariage et la raison d’être du soutien que lui accorde l’État et souvent offerte comme la justification du rejet du mariage entre personnes de même sexe. Dans Layland v. Ontario, la Cour a majoritairement rejeté l’argument en faveur du mariage entre homosexuels pour le motif suivant :

[Traduction]

Un des principaux objectifs de l’institution du mariage est la fondation et le maintien de familles qui produiront et élèveront des enfants, mécanisme nécessaire à la continuation de l’espèce. [...] Cet objectif principal du mariage ne peut, de façon générale, être réalisé au sein d’une union homosexuelle à cause des contraintes biologiques d’une telle union. C’est cette réalité que reconnaît la restriction du mariage à des personnes de sexe opposé. Il est vrai que certains couples mariés sont incapables de donner naissance à des enfants ou ne souhaitent pas le faire et que l’incapacité ou le refus de procréer n’est pas un empêchement au mariage ni un motif de divorce. En dépit de ces circonstances qui laisseront un mariage sans enfant, les États, les religions et la société préconisent l’institution du mariage pour favoriser la procréation des enfants.

Même si les couples hétérosexuels possèdent une capacité unique de procréer, les couples homosexuels peuvent avoir un enfant ensemble en recourant à des méthodes artificielles de procréation, à l’adoption ou autrement. De plus, certaines unions homosexuelles comprennent des enfants de mariages ou d’unions antérieurs. Le juge Greer, dissident dans l’arrêt Layland, a fait valoir que toute stigmatisation subie par de tels enfants serait amoindrie si l’État reconnaissait les unions entre homosexuels.

Quoi qu’il en soit, l’extension des obligations et droits conjugaux ou même de l’état matrimonial aux couples homosexuels ne desservira pas l’objectif de l’État qui consiste à favoriser la procréation. Même si certains font valoir que l’extension des avantages et droits conjugaux aux couples de même sexe découragera en quelque sorte le mariage ou minera la famille, le juge Iacobucci fait remarquer, [Traduction] "je ne comprends pas comment le fait d’accorder aux couples homosexuels les avantages dont jouissent les couples hétérosexuels puisse de quelque façon que ce soit inhiber, dissuader ou empêcher la formation d’unions hétérosexuelles".

Milieux nourriciers stables pour les enfants

Les lois sur le mariage et les unions libres visent en partie à fournir un environnement protégé pour la procréation, l’éducation et la socialisation des enfants. Les enfants qui sont élevés par leurs deux parents biologiques réussissent mieux que les enfants élevés par un parent seul ou par un parent biologique et un beau-père ou une belle-mère. Un rapport sur le premier cycle de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes a été diffusé en 1996. L’enquête comprend plus de 23 000 enfants de la naissance à l’âge de 11 ans. Utilisant les données de l’enquête, les chercheurs ont dégagé les circonstances parentales qui constituent des facteurs de risque pour les enfants, notamment : des parents ayant un faible niveau de revenu, d’instruction ou de soutien social; des parents célibataires ou adolescents; des parents ayant quatre enfants ou plus; des parents déprimés ou dysfonctionnels. Quant aux enfants des familles gynoparentales, le rapport affirme que ces enfants présentent davantage de problèmes émotifs et comportementaux et qu’ils éprouvent plus de difficulté sur le plan scolaire et social que les enfants des familles biparentales.

Les conclusions de l’étude sur les difficultés associées aux familles gynoparentales soulèvent la question de savoir si l’État devrait continuer à privilégier légalement le mariage pour inciter les parties à former une union qui est actuellement considérée comme étant plus stable que les unions libres. Compte tenu de la tendance de l’augmentation des taux de cohabitation entre personnes de sexe opposé, il se pourrait que le défaut d’offrir une protection légale aux personnes vivant au sein de telles unions laisse à risque les enfants de ces unions. Bon nombre des obligations et droits conjugaux sont maintenant accordés aux couples hétérosexuels, et les enfants nés hors-mariage bénéficient des mêmes droits que les enfants "légitimes". La mesure dans laquelle les distinctions légales restantes entre le mariage et l’union libre entre personnes de sexe opposé impose un fardeau aux enfants devrait être examinée. Les différences plus importantes entre le traitement que la loi accorde au mariage et à la cohabitation entre personnes de même sexe devraient être examinées sous ce même éclairage.

Système de soutien social

Un autre objectif des lois qui sous-tendent le mariage et les unions libres consiste à fournir un système de soutien social aux membres de la famille. Ces unions peuvent effectivement atteindre cet objectif pendant la durée de la cohabitation, mais elles sont souvent inefficaces à cet égard au moment de la dissolution de l’union. Le cadre juridique de protection des personnes vulnérables à la dissolution des relations non maritales est toutefois inégal et parfois même inexistant. Même pour les personnes mariées, la mesure dans laquelle un ancien partenaire doit s’acquitter de ses obligations alimentaires a diminué. À la fin des années 80, le ministère de la Justice a mené une enquête sur les cas de divorce et a trouvé de très faibles niveaux de demandes et d’ordonnances de pension alimentaire :

Pour débuter, on constate que la pension alimentaire est rarement demandée et qu’il est encore plus rare qu’elle soit accordée dans les quatre circonscriptions judiciaires pour lesquelles nous possédons des renseignements. Bien qu’en moyenne, les femmes se retrouvent dans une situation pire que celle des hommes après le divorce et qu’elles aient objectivement besoin d’une pension alimentaire, on ne trouve de demande de pension alimentaire que dans 16 % des 1 478 dossiers de divorce étudiés et dans un peu moins de 19 % des 1 210 causes de divorce avec enfants à charge. [...] Les dossiers de la cour indiquent que la pension alimentaire n’a été incluse explicitement que dans 6,2 % des jugements de divorce étudiés, ou encore, que dans 28 % des causes où elle a été demandée. C’est là un pourcentage étonnamment faible.

Il existe une hypothèse selon laquelle le mariage et les autres unions libres reposent sur une division du travail aux termes de laquelle une partie, habituellement la femme, assume une plus grande part des tâches familiales non rémunérées telles que le ménage, le soin des enfants et le soin des membres malades ou âgés de la famille. Selon une hypothèse connexe, la prise en charge des tâches familiales est liée dans une certaine mesure à la dépendance financière. Ainsi, la loi prévoit que, au moment de la dissolution du mariage ou de l’union libre entre personnes de sexe opposé, la partie financièrement dépendante peut demander une pension alimentaire à l’autre. Il semble, toutefois, que la mesure dans laquelle le mariage et les unions libres fonctionnent réellement à titre de système de soutien social dans ce contexte soit minime.

En dépit de l’inégalité économique permanente des femmes, confirmée par les données du recensement de 1996, et des arguments convaincants qui étayent le fait que le mariage et les unions libres accentuent l’inégalité et la vulnérabilité des femmes, on semble s’écarter de la notion selon laquelle un ancien partenaire devrait être tenu de verser une pension alimentaire. Cette situation résulte, en partie, de l’autonomie financière croissante des femmes mariées qui résulte de leur taux élevé de participation au marché du travail. Dans ce contexte, le principe de l’autonomie individuelle peut l’emporter sur la protection des personnes économiquement vulnérables. Toutefois, même pour les personnes dans des relations dépendantes traditionnelles, il serait en quelque sorte logique que la responsabilité de la protection des personnes vulnérables incombe à l’État plutôt qu’à l’ancien partenaire, mais il s’agit là d’une question actuellement controversée.

Il importe aussi de signaler que le mariage et les unions libres peuvent non seulement ne pas agir à titre de système de soutien social au moment de la rupture des relations, mais également aggraver l’inégalité et la vulnérabilité des femmes. Les règles les plus importantes à cet égard sont celles qui interviennent au moment de la dissolution des unions. Parmi les inégalités qui surviennent pendant le mariage, mentionnons la priorité accordée au travail du mari dans les prises de décisions familiales, le double fardeau des femmes, soit le travail rémunéré et la première responsabilité pour le soin des enfants et des travaux ménagers et le sacrifice des objectifs de travail des femmes pour servir la famille. Ces inégalités ne découlent pas des règles juridiques régissant les unions intactes, mais on pourrait soutenir que les règles concernant la dissolution des unions contribuent à accroître la vulnérabilité et la dépendance des femmes pendant la durée de la relation.

En ce qui a trait à la division des biens, les lois de chaque province et territoire sur les biens matrimoniaux et les règles concernant l’enrichissement sans cause et les fiducies judiciaires ou, au Québec, les réclamations en vertu du Code civil fondées sur une société de personnes, un contrat ou l’enrichissement sans cause fournissent, à tout le moins, une certaine mesure de redressement pour les parties financièrement dépendantes au moment de l’échec d’une relation. Cependant, ces lois peuvent avoir l’effet pervers d’encourager la dépendance par la promesse d’une part des biens acquis pendant la relation, peu importe les contributions financières relatives. Un régime strict de séparation de biens pourrait décourager la dépendance financière des femmes. Un tel régime qui refuserait d’indemniser une conjointe qui se retire du marché du travail pour assumer les responsabilités de l’entretien ménager et du soin des enfants favoriserait peut-être l’indépendance économique de chaque conjoint. Susan Westerberg Prager soutient toutefois qu’il y aurait lieu de conserver le partage des biens parce que la nature du travail au sein du foyer et à l’extérieur est liée au sexe et parce que les conjoints continueront d’agir de façon altruiste pendant le mariage, faisant des choix désintéressés "irrationnels" susceptibles de les appauvrir. De plus, le régime de séparation de biens sans partage au moment de la dissolution décourage la collaboration pendant le mariage parce qu’il récompense les choix égoïstes et punit les comportements comme celui qui consiste à se retirer du marché du travail pour prendre soin des enfants.

Cohésion sociale

Un autre objectif des lois qui sous-tendent le mariage et les unions libres est la stabilité et la cohésion sociale. Selon de nombreux commentateurs, la famille constitue la "pierre angulaire" de la société, et il est important de lui fournir un cadre juridique protecteur pour veiller à la force et à la survie d’une nation. De nombreux commentateurs ont insisté sur la valeur symbolique de la reconnaissance par l’État d’une relation, et certains établissent un lien explicite entre cette valeur symbolique et le sentiment de cohésion sociale. Il est soutenu que la reconnaissance par l’État accroît le sentiment de citoyenneté et de participation à la société, peu importe qu’elle entraîne ou non des avantages matériels.

Dans l’arrêt Egan c. Canada, le juge L’Heureux-Dubé a insisté sur la valeur symbolique du fait d’être légalement considéré comme un couple :

La reconnaissance officielle par l’État de la légitimité et de l’acceptation dans la société d’une situation ou relation particulière peut revêtir plus de valeur et d’importance aux yeux de ceux qui sont touchés que tout gain pécuniaire découlant de cette reconnaissance.

Le juge L’Heureux-Dubé a commenté le lien qui existe entre la reconnaissance par l’État et le sentiment de participation sociale de la façon suivante :

Bien qu’on ne puisse dire que le demandeur subisse un préjudice économique du fait de la distinction puisqu’ils ont tous deux droit, à titre individuel, à un revenu minimum, on ne peut négliger le fait qu’ils ont été directement et complètement exclus, en tant que couple, de tout droit à une qualité de vie de base partagée pour des personnes âgées dont l’union s’apparente au mariage. Ce droit est un élément important d’une appartenance pleine et égale à la société canadienne. Étant donné la position marginale qu’occupent les homosexuels dans la société, le message général qui découle presque inévitablement de l’exclusion des couples de même sexe d’une institution sociale si importante est essentiellement que la société considère que de telles unions ne méritent pas le même intérêt, le même respect et la même considération que les unions de personnes de sexe opposé.

Le juge L’Heureux-Dubé, dans l’arrêt Egan, faisait état de la valeur symbolique de la reconnaissance d’une relation en tant qu’union qui s’apparente au mariage. Mais certains considèrent cette reconnaissance comme insuffisante et préconisent le droit au mariage, en partie parce que le mariage est le symbole suprême de la reconnaissance par l’État. En effet, le mariage légal confère une reconnaissance publique à l’engagement réciproque d’un couple. On pourrait soutenir que rien n’équivaut au mariage à cet égard.

III. LE MARIAGE Retour table des matières

La tendance à abandonner le mariage dans la vie conjugale a en soi, de toute évidence, quelque chose de socialement révolutionnaire. Cette tendance fait partie d’une série de désaffections pour de nombreuses institutions dont l’existence avait pour fondement un ordre social qui se démode...

A. Contexte démographique

En 1996, 87 % des Canadiens vivaient dans un ménage familial, la "famille" étant définie comme un "couple actuellement marié (avec ou sans fils et/ou fille jamais mariés des deux conjoints ou de l’un d’eux), couple vivant en union libre (avec ou sans fils et/ou filles jamais mariés des deux partenaires ou de l’un d’eux), ou parent seul (peu importe son état matrimonial) demeurant avec au moins un fils ou une fille jamais marié". En 1996, le Canada comptait 5,8 millions de familles de couples mariés, soit une augmentation de 1,7 % par rapport à 1991. La proportion de familles constituées de couples mariés a chuté de 80 % en 1986 à 74 % en 1996.

Il y a eu une augmentation du pourcentage des remariages au Canada. Dans les années 50 et 60, 90 % des mariages mettaient en cause des célibataires et moins de 10 % des personnes veuves ou divorcées. En 1991, un peu plus de 75 % de tous les mariages mettaient en cause deux personnes célibataires, et environ 20 % des personnes divorcées. La proportion de mariages des veufs et veuves a diminué. On estime que, en 1990, environ 7 % des familles qui élevaient des enfants comprenaient au moins un enfant du conjoint.

La durée moyenne du mariage a diminué. En raison du taux élevé des divorces, de l’augmentation du nombre de remariages et de l’âge plus avancé auquel ont lieu les premiers mariages, les mariages des personnes nées à la fin des années 50 devraient durer en moyenne sept ans de moins que les mariages des personnes nées dans les années 20. En 1995, il y a eu environ 78 000 divorces, soit plus du double qu’en 1971. Le taux des divorces au Canada a atteint un sommet en 1987 et, depuis, il régresse lentement.

Dans la plupart des familles, les deux parents travaillent à l’extérieur du foyer. Le taux de participation à la vie active des femmes mariées est passé de 5 % en 1941 à 61 % en 1991. En 1990, les deux parents occupaient un emploi dans 70 % des familles ayant des enfants de moins de 19 ans. En 1992, 63 % des mères ayant des enfants de moins de six ans travaillaient à l’extérieur du foyer. Le participation des femmes mariées à la vie active a une importante répercussion sur les revenus des familles. En 1994, le revenu moyen des couples mariés sans enfant et dont un seul conjoint touchait un revenu était de 43 678 $, tandis que le revenu moyen de ceux dont les deux conjoints touchaient un revenu s’élevait à 61 489 $. Pour les couples mariés avec enfants de moins de 18 ans, le revenu moyen lorsqu’un seul conjoint touchait un revenu était de 45 572 $ tandis que celui des couples où les deux partenaires touchaient un revenu était de 63 112 $.

B. Les fonctions du mariage que l’État a intérêt à soutenir

Le mariage confère un statut juridique duquel découlent des droits et des obligations. Il demeure une institution légalement privilégiée, quoiqu’un certain nombre de ces droits et obligations traditionnellement liés au mariage ne sont plus exclusifs à cette relation comme le montrent les annexes A à D. Dans ses commentaires sur l’arrêt Peter c. Beblow - arrêt qui semble éliminer les distinctions entre les couples mariés et non mariés en accordant à une femme non mariée, en vertu de la doctrine de l’enrichissement sans cause, une part des biens de l’ancien partenaire qui s’approche sensiblement de celle qu’elle aurait reçue aux termes de la loi provinciale sur les biens matrimoniaux - James McLeod a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le mariage est une institution qui mérite ou qui ne mérite pas d’être protégée. Lorsque la société désire favoriser une institution, en l’espèce le mariage, elle fournit certains droits pour la promouvoir et elle prive de ces droits ceux qui sont contre, c.-à-d., ceux qui vivent en union de fait.

Comme le laisse entendre McLeod, il s’agit de décider si l’institution du mariage suscite un intérêt suffisant pour justifier l’octroi de droits spéciaux dans le but de la promouvoir. L’institution du mariage atteint-elle les objectifs sous-jacents de la loi mentionnés au chapitre II, c.-à-d., favoriser la procréation, l’éducation et la socialisation des enfants; fournir un système de soutien social; promouvoir la cohésion sociale? Les fonctions du mariage justifient-elles qu’on lui accorde des privilèges légaux? Le mariage est-il la seule institution capable de réaliser les objectifs particuliers de l’État? La présente partie débute par un examen plus attentif de la question de la procréation.

Tel que susmentionné, la procréation a longtemps été identifiée comme étant l’objectif central du mariage. Dans son traité inachevé sur le mariage au XVIe siècle, Henry Swinburne a écrit que [traduction] "le mariage a été institué afin que le nombre des élus parmi vous s’accomplisse" et que "le but principal du mariage consiste à procréer des enfants et à éviter la fornication". La notion selon laquelle la procréation est l’objectif central du mariage compte encore des défenseurs et bon nombre de cours ont refusé aux couples homosexuels le droit au mariage en s’appuyant sur ce concept. La procréation n’a toutefois jamais été limitée au mariage, et, au cours des dernières années, il y a eu une augmentation énorme du nombre et de la proportion d’enfants nés de mères célibataires. Par ailleurs, le mariage ne mène pas nécessairement à la procréation.

Même si la procréation peut avoir lieu hors-mariage, certains continuent de penser que la reproduction dans le mariage est préférable et qu’elle mérite un soutien spécial. En 1995, quatre juges de la Cour suprême du Canada ont désigné la procréation comme étant l’ultime objectif du mariage et ont poursuivi en disant que le mariage mérite un soutien spécial de la part de l’État. Le juge La Forest, écrivant pour lui-même et trois des quatre autres juges qui ont constitué la majorité dans l’arrêt Egan c. Canada, s’est exprimé comme suit :

Le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui est elle-même le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d’être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d’union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. [...] L’institution juridique qui est le mariage existe à la fois pour protéger l’union et pour délimiter les obligations qui découlent du mariage. Du fait de son importance, le mariage peut à bon droit être considéré comme primordial pour la stabilité et le bien-être de la famille; à ce titre [...] le législateur peut fort bien accorder un soutien particulier à cette institution.

Faisant abstraction de l’argument moral de Finnis, lequel est incompatible avec les valeurs et pratiques de la plupart des Canadiens, la notion selon laquelle le mariage constitue un milieu particulièrement protégé et supérieur pour la procréation et l’éducation des enfants nécessite un examen plus poussé.

L’argument du juge La Forest selon lequel des couples hétérosexuels ont une capacité unique de procréer est strictement vraie au sens où un sperme mâle et un œuf féminin sont requis mais, comme il a été mentionné ci-dessus, l’adoption et les nouvelles techniques génésiques permettent aux couples homosexuels et aux couples hétérosexuels d’ajouter des enfants à leur famille. De plus, des enfants d’une union antérieure peuvent être élevés au sein d’une nouvelle union entre personnes de même sexe ou de sexe opposé. La procréation et le soin des enfants peut se dérouler au sein d’une union hétérosexuelle.

L’argument du juge La Forest selon lequel le mariage est légalement structuré de façon à protéger l’union est repris par Laurence Houlgate qui soutient que :

[Traduction]

L’avantage du mariage pour l’adulte qui donne naissance à l’enfant est que son contrat avec l’autre partie lui garantit que les devoirs légaux de soutien et d’éducation de l’enfant constitueront une responsabilité conjointe. Même si le contrat de mariage ne prévoit pas la répartition des tâches liées à l’éducation de l’enfant, les deux parents sont légalement tenus de soutenir et d’entretenir leur enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de dix-huit ans.

Houlgate reconnaît que les parents non mariés ont les mêmes obligations légales de soutien à l’égard de leurs enfants, mais il fait remarquer que la plupart des mères célibataires supportent la totalité du fardeau de l’éducation des enfants. Il est toutefois important de tenir compte des changements démographiques survenus au cours de la dernière décennie, c.-à-d., l’augmentation du nombre d’enfants nés de couples non mariés dans des unions stables et le fait que les distinctions légales entre le mariage et la cohabitation de personnes de sexe opposé ont considérablement régressé. Les privilèges légaux restants du mariage pourraient être étendus aux autres familles avec enfants de façon à ce que la procréation et l’éducation des enfants nés hors-mariage puissent être aussi protégés sur le plan juridique qu’au sein du mariage.

Cependant, le mariage constitue une relation plus stable que l’union libre. Par conséquent, l’État pourrait être justifié d’accorder des privilèges spéciaux aux couples mariés pour encourager et soutenir cette forme plus stable de famille. La stabilité familiale constitue un aspect important d’une éducation équilibrée des enfants.

Les autres fonctions traditionnelles du mariage consistaient, tout d’abord, à former une union à vie entre un mari et une épouse et, en deuxième lieu, à servir de mécanisme pour le transfert de la richesse. Après le virage du mariage à titre d’obligation publique au mariage comme question de choix individuel à être contracté ou dissout conformément au désir personnel de chaque conjoint, ces fonctions traditionnelles du mariage se sont estompées. Des formulations plus récentes des fonctions du mariage comprennent la procréation et l’éducation des enfants, la répartition du travail entre le mari et l’épouse, une mise en commun des ressources, la réglementation des biens, la réglementation de la sexualité et la fourniture d’une stabilité émotive et économique.

La plupart des fonctions actuelles du mariage peuvent être réalisées dans des unions libres et elles devraient plutôt être désignées "fonctions de la famille". La chercheuse Shirley Zimmerman énumère les fonctions de la famille comme étant : l’entretien physique et le soin des membres de la famille; l’ajout de nouveaux membres par la procréation ou l’adoption et leur abandon au moment de la maturité; la socialisation des enfants pour leur permettre d’assumer leur rôle d’adulte, le contrôle social des membres et le maintien de l’ordre au sein de la famille et des autres groupes; le maintien de la motivation et du moral de la famille pour veiller à l’exécution des tâches à la fois au sein de la famille et des autres groupes; la production et la consommation de biens et de services. Aucune de ces fonctions n’est exclusive au mariage et elles peuvent toutes être exécutées par des formes familiales autres que le mariage.

Eva Rubin dégage également les besoins sociaux comblés par les familles et signale que bon nombre des autres formes de famille exécutent plus d’une de ces fonctions, mais que la loi tarde à les reconnaître à ce titre. La liste des besoins sociaux de Mme Rubin comprend

[Traduction]

... fournir des relations stables pour l’activité sexuelle et la procréation, procurer un environnement adapté à l’éducation des enfants, créer de petites unités économiques autonomes, accorder un soutien psychologique et émotif et fournir des soins au moment de la maladie et de la vieillesse.

Laurence Houlgate attribue à la famille une liste plus courte de fonctions. Signalant que la plupart des fonctions traditionnelles de la famille ont été transférées aux institutions telles que les écoles, les hôpitaux publics et les prisons, il conclut que les seules fonctions de la famille qui restent sont celles qui consistent à assurer la survie biologique des nourrissons et des jeunes enfants et à satisfaire au besoin psychologique profond de relations intimes tant des adultes que des enfants.

Le mariage agit également à titre de contrat, d’entente formelle relative aux droits et obligations associés au mariage. Cette fonction est propre au mariage. Même si les partenaires en union libre peuvent conclure un contrat qui prévoit les droits et obligations associés au mariage ou effectuer des démarches comme celle de désigner un partenaire bénéficiaire d’un régime d’assurance, il n’existe aucun processus formel semblable au mariage en vertu duquel les conjoints souscrivent aux obligations et droits conjugaux. Cependant, ces droits et obligations ont été étendus aux couples non mariés simplement sur la base de la cohabitation pour la période requise ou autres circonstances réglementaires, ce à quoi certains s’opposent comme étant une ingérence injustifiée dans l’autonomie des parties qui peuvent avoir choisi de ne pas se marier pour éviter d’assumer une responsabilité à l’égard de leur partenaire.

Une autre fonction du mariage qu’aucune autre union ne peut réaliser concerne l’enregistrement public. Comme le précise Wendy Adams, l’État utilise le statut matrimonial comme critère formel de réglementation d’un système global de droits et d’obligations. Étant donné que le mariage est un événement public qui exige l’enregistrement civil, il n’existe aucune incertitude au sujet de l’état matrimonial. Les formalités entourant la formation du mariage comprennent des mesures - la publication de bans ou la délivrance d’une licence de mariage - pour veiller à ce qu’il n’existe aucun empêchement au mariage et que celui-ci ne soit pas "clandestin". La nature publique et certaine du mariage contraste aujourd’hui avec l’incertitude qui régnait lorsque les mariages étaient célébrés conformément aux exigences coutumières, légales ou religieuses. Voici ce qu’écrit Laurence Stone à cet égard :

[Traduction]

Il n’est pas exagéré de dire que la loi sur le mariage telle qu’elle était appliquée en pratique en Angleterre du XIVe au XVIIIe siècle était un fouillis. La cause profonde du problème venait de l’absence de consensus au sein de la société en général sur la façon de conclure un mariage juridiquement valable. La coutume populaire préconisait une position, l’Église une autre et l’État et les laïques propriétaires, une troisième. ... Il en résultait une situation de confusion morale et juridique qui, aux yeux de nombreux contemporains sérieux du XVIe au XIXe siècle, maximisait l’insécurité, la misère et la déception.

Les règles juridiques établissant les exigences d’un mariage valide, notamment les restrictions à l’égard des personnes admises à célébrer le mariage et l’enregistrement civil du mariage, ont substantiellement réduit "l’insécurité, la misère et la déception" associées à l’incertitude.

Un des problèmes de cette période d’incertitude du mariage est réapparu parce que le mariage ne constitue plus une condition préalable à bon nombre des avantages, droits et obligations traditionnellement associés à ce statut. Le problème résulte des multiples revendicateurs du statut de "conjoint" par rapport à une seule personne. Les réclamations fondées sur les unions de fait pour l’obtention d’une part des biens ou d’une pension alimentaire soulèvent la difficile question de savoir comment concilier les demandes d’une partie qui semble admissible à titre de "conjoint", selon les définitions élargies de ce terme, avec celles d’un conjoint légalement marié qui a cohabité avec le défendeur tout au long de l’aventure extra conjugale et qui peut ne pas avoir connu l’existence de la "tierce partie".

C. Règles juridiques régissant le mariage

Les règles juridiques régissant le mariage et les unions libres sont présentées sous forme de tableau à l’annexe A. Dans la présente partie du document, je décris le cadre constitutionnel qui régit le mariage. J’aborderai également les règles juridiques particulières au mariage, c’est-à-dire les règles juridiques relatives à la formation du mariage en m’attachant plus particulièrement à la question de savoir qui est autorisé à se marier.

La Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(26), donne au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer relativement au "mariage et divorce". Le Parlement a une compétence exclusive sur tous les aspects du mariage à l’exception des règles concernant sa célébration. La compétence exclusive du Parlement sur le mariage vise la validité fondamentale du mariage, c.-à-d. la capacité des parties à contracter mariage et la reconnaissance des mariages étrangers. De plus, le Parlement a une compétence exclusive sur tous les aspects du divorce. Il a une compétence législative sur le soutien du conjoint et des enfants ainsi que sur la garde des enfants et sur les droits de visite lorsque ces questions sont soulevées dans le contexte du divorce; la Loi sur le divorce fédérale règle ces questions. La Loi sur le divorce n’essaie pas de réglementer la division des biens au moment du divorce (quoiqu’elle renferme des dispositions relatives au paiement de l’ordonnance alimentaire sous forme de capital). Il est possible que la compétence législative du Parlement s’étende à la division des biens dans le contexte d’un divorce, mais aucune loi n’a été adoptée dans ce domaine. Les parties à une action en divorce doivent demander la division des biens sous le régime de la loi provinciale applicable.

La Loi constitutionnelle, art. 92(12), permet aux législatures provinciales d’adopter des lois relatives à "la célébration du mariage dans la province". Cela signifie que la compétence à l’égard de la validité formelle du mariage appartient aux provinces. La Loi constitutionnelle, art. 92(13), accorde aux provinces le pouvoir d’adopter des lois relatives à la propriété et aux droits civils dans la province. Conformément à l’art. 92(13), la compétence législative des provinces couvre les biens matrimoniaux, le soutien du conjoint et des enfants, la garde des enfants et les droits de visite ainsi que la plupart des aspects du droit successoral.

Le Parlement canadien n’a pas édicté de loi exhaustive régissant la capacité de se marier ou la reconnaissance des mariages étrangers. En 1990, le Parlement a promulgué une loi sur les degrés prohibés de consanguinité et d’affinité qui a considérablement réduit les restrictions relatives aux mariages entre personnes apparentées, mais les autres aspects de la capacité de se marier et les règles régissant la reconnaissance des mariages étrangers ne font pas l’objet d’une loi. Quant aux questions relatives à la capacité de se marier ou à la reconnaissance de mariages étrangers qui ne sont pas visées par la législation fédérale, la loi en vigueur dans chaque province avant son entrée dans la Confédération continue de s’appliquer jusqu’à ce qu’elle soit abrogée ou modifiée par le Parlement. Par conséquent, le Québec applique le Code civil et les autres provinces, la common law.

Le Code civil, au Québec, et la common law, dans les autres provinces, restreignent le mariage aux couples hétérosexuels. Cette restriction a été contestée sans succès dans le passé, et il existe au moins une contestation à la restriction du mariage aux couples hétérosexuels devant les tribunaux au Québec. Les requérants allèguent que cette restriction viole la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Si les requérants ont gain de cause, il faudra peut-être se demander si un mariage entre homosexuels célébré au Québec pourrait être reconnu dans le reste du Canada. Par ailleurs, toute différence manifeste entre le droit au Québec et dans le reste du Canada serait de courte durée, parce que toute décision en faveur d’un mariage entre homosexuels ferait l’objet d’un appel à la Cour suprême du Canada qui possède une compétence générale en matière d’appel et qui traite d’affaires relevant à la fois des lois fédérales et des lois provinciales. Une décision de la Cour suprême du Canada sur les mariages entre homosexuels énoncerait sans aucun doute la loi du Canada à cet égard, peu importe qu’il s’agisse d’un appel d’un tribunal de common law ou du Québec.

Il n’est pas évident qu’une contestation fondée sur la Charte de la prohibition des mariages entre personnes de même sexe aurait gain de cause, mais il est à tout le moins discutable que la définition de la common law du mariage (ou la définition du mariage dans le Code civil du Québec), qui constitue le fondement du refus du gouvernement d’accorder aux couples homosexuels une licence de mariage, établit une discrimination sur la base de l’orientation sexuelle, contrevenant ainsi à l’art. 15 de la Charte.

La division constitutionnelle des pouvoirs donne au gouvernement fédéral la compétence exclusive de promulguer une loi permettant le mariage entre personnes de même sexe. Si le gouvernement fédéral édictait une telle loi, elle serait en vigueur à l’échelle du Canada. Les lois provinciales qui concernent les couples mariés, p. ex., les lois sur les biens matrimoniaux, s’appliqueraient également aux mariages entre homosexuels et hétérosexuels, et toute tentative d’exclure les couples mariés homosexuels d’un régime législatif applicable aux personnes mariées constituerait vraisemblablement de la discrimination aux termes de l’article 15 de la Charte.

Le gouvernement fédéral possède également une compétence exclusive qui lui permet d’édicter des lois sur la reconnaissance des mariages étrangers, mais il n’a pas exercé ce pouvoir à ce jour. À la lumière du projet des Pays-Bas de légaliser le mariage entre homosexuels d’ici le 1er janvier 1999, la question de la reconnaissance des mariages homosexuels étrangers devrait être abordée. Compte tenu de nos lois actuelles, bien que cette question soit discutable, elle est loin d’être évidente. Une loi fédérale prévoyant la reconnaissance des mariages étrangers entre homosexuels éliminerait la nécessité de faire trancher la question par les tribunaux. Il serait souhaitable de résoudre ce problème dans le cadre d’une stratégie législative globale traitant du mariage et des unions libres plutôt que de s’en remettre à la décision des tribunaux.

IV. UNIONS LIBRES Retour table des matières

[Traduction]

Au cours des vingt dernières années, le nombre de couples mariés vivant avec leurs propres enfants mineurs a considérablement diminué. Cette diminution s’est accompagnée d’une augmentation marquée des familles monoparentales, des familles reconstituées et des unions libres entre hétérosexuels et homosexuels. Bien que le système juridique ait commencé à reconnaître ces modifications démographiques, les définitions des termes "famille", "conjoint" et "parent" dans de nombreux contextes juridiques se limitent encore à la famille nucléaire traditionnelle et à ses membres. Par conséquent, les "familles" non traditionnelles se voient souvent refuser d’importants avantages associés à la situation familiale légale.

A. Cohabitation entre personnes de sexe opposé

Le dictionnaire du recensement de 1996 utilise l’expression "union libre" pour décrire la situation de deux personnes qui vivent ensemble comme mari et femme et qui ne sont pas légalement mariés l’une à l’autre. La situation d’"union libre" n’a pas été mesurée dans les recensements avant 1981, mais les données relatives à cette mesure sont disponibles pour 1991 et 1996, tandis que pour 1986 et 1981, les personnes vivant en "union libre" étaient incluses dans la population des personnes "mariées". Dans la version anglaise du présent document, j’utilise l’expression "opposite sex cohabitation" plutôt que "common-law-status", en raison de la confusion que peut susciter cette dernière expression.

En 1996, 14 % de tous les couples de sexe opposé qui vivaient ensemble n’étaient pas mariés, soit une augmentation de 6 % par rapport à 1981. Le Québec comptait la plus haute proportion d’unions libres hétérosexuelles, 24 % de tous les couples hétérosexuels vivant ensemble hors mariage. Parmi toutes les structures familiales, une forte croissance a été enregistrée chez des couples hétérosexuels. Entre 1991 et 1996, la croissance a été la plus marquée au Nouveau-Brunswick et dans les Territoires du Nord-Ouest, et d’importantes augmentations ont également été enregistrées à Terre-Neuve, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Québec et au Yukon. Turcotte et Bélanger ont conclu que "l’union libre apparaît maintenant être l’option privilégiée par les Canadiennes, et plus particulièrement par les Québécoises, pour commencer la vie de couple".

Turcotte et Bélanger ont analysé les divers facteurs qui influent sur les taux de cohabitation entre personnes de sexe opposé. Selon une de leurs conclusions, les femmes qui ont vécu la séparation de leurs parents avant l’âge de 15 ans étaient 80 % plus susceptibles de commencer leur vie de couple en union libre plutôt que de se marier. Ils ont également examiné la stabilité des unions libres et ont constaté que ces unions étaient relativement brèves au Canada dans l’ensemble, quoique sensiblement moins au Québec. Ils ont signalé que dans la majorité des cas, l’union des couples hétérosexuels se terminait, soit par la séparation ou le mariage, au cours des cinq premières années de cohabitation. À l’extérieur du Québec, 75 % des femmes ne vivent plus avec leur premier partenaire après cinq ans (chez les Québécoises, cette proportion est de 60 %).

Turcotte et Bélanger ont constaté que les unions hétérosexuelles formées au début des années 90 ne duraient pas plus longtemps que celles des décennies précédentes et, de fait, elles étaient plus susceptibles de prendre fin rapidement par la séparation plutôt que par le mariage. Ainsi, les unions hétérosexuelles sont maintenant utilisées moins fréquemment à titre de prélude au mariage. Ils ont également constaté que les femmes qui épousent leur premier partenaire hétérosexuel sont dix fois moins susceptibles de se séparer, expliquant, "cela montre clairement le caractère stabilisateur du mariage sur la durée des premières années commencées par une union libre. La transformation de l’union libre en mariage demeure la caractéristique ayant de loin le plus d’influence (à la baisse) sur les risques de séparation des femmes ayant vécu une première union hors mariage".

L’étude menée par Turcotte et Bélanger révèle les niveaux de stabilité relativement faibles des premières unions hétérosexuelles et peut-être un engagement moindre envers de telles unions qu’envers le mariage. Ces constatations pourraient étayer les arguments de ceux qui préconisent de privilégier légalement le mariage pour encourager les couples à former un type d’union plus stable. Toutefois, l’augmentation constante des niveaux de cohabitation entre personnes de sexe opposé, même eu égard à l’absence relative de protection juridique, semble indiquer qu’un objectif de promotion du mariage comme première union conjugale pourrait être irréaliste. Même si le fait d’encourager les jeunes à se marier plutôt qu’à vivre en union libre nous laisse indifférents, la courte durée et le niveau d’engagement manifestement moindre qui caractérisent les premières unions hétérosexuelles laissent entendre qu’il serait peut-être inapproprié de leur imposer toute la gamme des obligations et droits conjugaux.

B. Cohabitation entre personnes de même sexe

La cohabitation entre personnes de même sexe n’est pas incluse dans les données de recensement du Canada. Pour Statistique Canada, la "famille" est une institution conçue pour les couples de sexe opposé ou de parents et d’enfants, et les couples de même sexe n’y figurent pas. À défaut de renseignements précis sur le nombre de couples homosexuels qui vivent ensemble et qui seraient admissibles à un régime élargi d’obligations et de droits "conjugaux", les législateurs ne peuvent prendre de décision éclairée. Certes, Statistique Canada devrait à l’avenir recueillir des renseignements sur les couples homosexuels et sur leur situation financière, mais son défaut de le faire jusqu’alors ne devrait pas empêcher les gouvernements d’effectuer les réformes nécessaires.

Certains législateurs étaient disposés à exclure les couples homosexuels des obligations et droits "conjugaux" sans s’appuyer sur des renseignements exacts. La Floride, à titre d’exemple, a promulgué la loi "defense of marriage" qui dispense l’État de toute obligation de reconnaître un mariage homosexuel étranger bien qu’il soit incapable d’en évaluer l’impact financier - les reporters attitrés de la législature ont affirmé qu’ils n’ont pu trouver aucune donnée fiable pour évaluer le pourcentage de la population qui se prévaudrait d’un mariage entre homosexuels si celui-ci devenait légal. Au pays, le gouvernement fédéral a rejeté une demande d’extension de prestations de pension aux couples homosexuels en s’appuyant sur une preuve des coûts que les juges dissidents dans l’arrêt Egan c. Canada ont caractérisé comme étant "pure hypothèse, faible sur le plan statistique". Il va de soi que la Floride et le Canada ont refusé de reconnaître les couples homosexuels. Les législateurs disposés à élargir la reconnaissance aux couples homosexuels devront s’attacher davantage à établir le nombre de ces couples ainsi que leur situation financière afin d’effectuer une analyse coût-avantage de toute réforme. Vous trouverez ci-après quelques renseignements glanés des données de recensement du Canada, ainsi que des données recueillies dans d’autres pays et un examen de l’analyse coûts-avantages des prestations d’emploi accordées aux partenaires de même sexe.

Au Canada, les "familles" de recensement sont réparties entre les familles constituées de couples et les familles monoparentales. Les couples mariés ou vivant en union libre sont considérés comme une famille qu’ils aient ou non des enfants vivant avec eux. Les couples en union libre ne comprennent que les couples hétérosexuels. Un parent seul vivant avec au moins un fils ou une fille jamais marié constitue également une famille. Ainsi, le recensement canadien exclut de la définition du terme "famille" les couples homosexuels sans enfant quoique les couples homosexuels avec enfant seraient considérés comme une famille de recensement en raison du lien parent-enfant.

Même si les couples homosexuels ne sont pas comptés dans le recensement, il est possible d’extrapoler dans une certaine mesure à partir des données de Statistique Canada. Selon le recensement de 1996, environ 25 millions de personnes vivaient dans des ménages familiaux et parmi ce nombre 240 289 "personnes hors famille de recensement" ne vivaient qu’avec des personnes non apparentées. Cette catégorie pourrait inclure les personnes vivant avec un partenaire homosexuel et un enfant (le partenaire homosexuel et l’enfant en font un ménage "familial"). Parmi les quelque 4 millions de personnes vivant dans un ménage non familial, 777 605 vivaient seulement avec au moins une personne non apparentée. Il est possible que certaines de ces personnes vivaient avec un partenaire de même sexe. Si on ajoute les personnes hors famille de recensement ne vivant qu’avec des personnes non apparentées dans un ménage familial et les personnes ne vivant qu’avec une ou plusieurs personnes non apparentées dans un ménage hors famille de recensement, on obtient un total d’un plus d’un million de personnes. En supposant que chacune de ces personnes vivait avec un partenaire de même sexe, ce qui est invraisemblable, seulement 3 % de la population canadienne environ vivaient avec un partenaire de même sexe en 1996.

Cela correspond sensiblement aux résultats obtenus aux Pays-Bas avant la promulgation de la loi sur les unions libres enregistrées qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1998. Cette loi permet aux couples non mariés, hétérosexuels ou homosexuels, de s’inscrire et, par conséquent, d’obtenir la plupart des obligations et droits conjugaux. En 1996, M.M. Croes a examiné les données disponibles et a écrit ce qui suit :

[Traduction]

On ne connaît pas vraiment le nombre des homosexuels, en général, ou des couples homosexuels, en particulier. Des renseignements ont été recueillis dans le cadre du soi-disant système de recensement permanent de toutes les personnes des Pays-Bas qui ne vivent pas dans un contexte familial. Compte tenu d’un certain nombre d’hypothèses, un total estimé de 21 300 couples recensés vivaient à la même adresse et pouvaient entretenir une relation homosexuelle. Parmi ces couples, trois sur cinq sont constitués d’hommes. Seulement 2 000 couples, surtout de femmes, vivent avec un ou plusieurs enfants. La moitié de tous les couples homosexuels sans enfant vivent dans des municipalités très urbanisées. Ces conclusions correspondent aux études sur la prévalence de l’homosexualité.

La population des Pays-Bas se chiffre aux environs de 15,5 millions d’habitants, de sorte que même selon les estimations généreuses de Croes, moins de 3 % de la population vivaient avec un partenaire de même sexe. Lorsque la loi sur les unions libres enregistrées est entrée en vigueur le 1er janvier 1998 aux Pays-Bas, les couples de même sexe ont pu obtenir, par l’enregistrement, la plupart des obligations et droits conjugaux. Au cours des dix premiers mois de 1998, 2 798 couples de même sexe se sont enregistrés, soit environ seulement 1,3 % du nombre estimé de couples de même sexe. Au Danemark où l’enregistrement des couples de même sexe seulement est possible depuis 1989, sur une population de 5,3 millions d’habitants, un total de 7 082 personnes s’étaient inscrites au 31 décembre 1997.

Les États-Unis recueillent certaines données sur les couples de même sexe. Craig Christensen a examiné les catégories utilisées par le American Bureau of the Census et les données recueillies par cet organisme dans le cadre du recensement décennal ainsi que du recensement périodique de la population actuelle. Il a signalé que le Census Bureau avait ajouté une nouvelle catégorie, "partenaires non mariés", au recensement décennal de 1990. Cette catégorie a également été utilisée dans les enquêtes périodiques. La catégorie partenaires non mariés qui comprend les ménages constitués de personnes de même sexe et de sexe opposé visait à recenser les personnes non apparentées au chef de ménage qui partagent le logement et qui entretiennent des relations personnelles étroites avec le chef de ménage. On ne sait pas si les données recueillies par le Census Bureau représentent un compte précis des couples homosexuels à cause de la confusion au sujet de la définition de la catégorie et des prévisions selon lesquelles de nombreux citoyens ne fourniront pas l’information requise. Toutefois, l’information recueillie par le Census Bureau fournit, à tout le moins, une mesure approximative du nombre de personnes non mariées de sexe opposé et de même sexe qui cohabitent.

Selon le recensement de la population actuelle du Census Bureau de mars 1997, environ 101 millions de ménages américains répondaient à la définition de "ménage" c’est-à-dire, une personne ou un groupe de personnes qui occupent un logement. Sur ce nombre, environ 5,9 millions étaient constitués de partenaires non mariés de même sexe ou de sexe opposé comparativement à environ 55,3 millions de couples mariés vivant ensemble. Parmi les ménages constitués de partenaires de même sexe, il y avait environ un million de ménages de partenaires masculins et 805 000 ménages constitués de partenaires féminins. Des enfants de moins de 15 ans faisaient partie de 22 000 (2,2 %) ménages constitués de partenaires masculins et de 110 000 (14 %) ménages constitués de partenaires féminins. En résumé, moins de 2 % de tous les ménages américains en 1997 étaient des ménages constitués de couples homosexuels, et environ 7 % de ces ménages comptaient des enfants de moins de 15 ans.

Une autre source d’information démographique est l’analyse coûts-avantages entreprise par les employeurs qui envisagent d’accorder des avantages aux partenaires de même sexe de leurs employés. Robert Blum a signalé qu’un nombre croissant d’employeurs offrent de tels avantages à cause de la pression concurrentielle et parce que les coûts supplémentaires sont minimes – [traduction] "Les employeurs constatent maintenant qu’une dépense supplémentaire minime peut leur fournir un avantage appréciable". Blum a résumé les raisons pour lesquelles les employeurs accordaient de tels avantages, ajoutant que ces avantages bénéficient aux employeurs parce qu’ils : a) permettent de soutenir la concurrence au regard des employés; b) améliorent le recrutement et le maintien en fonction; c) améliorent les programmes d’égalité des chances et de diversification; d) rehaussent le moral; e) accroissent la productivité; f) créent une équité économique entre les employés ayant des styles de vie différents.

En ce qui a trait aux coûts, Blum a écrit que le coût de l’assurance-santé, l’avantage le plus courant, ne constitue pas une dépense per capita importante :

[Traduction]

Le coût supplémentaire est directement proportionnel au nombre de personnes supplémentaires visées et n’a pas de lien important avec le fait que les personnes assurées ne sont pas des conjoints mais des partenaires domestiques. Selon l’estimation habituellement fournie, le coût supplémentaire pour les prestations accordées aux partenaires domestiques représente environ 0,5 % à 1,5 % du coût global des services de santé. Le fait que de nombreux assureurs et les OMS n’imposent pas une surprime pour cette couverture constitue peut-être la meilleure preuve.

Blum a expliqué que les coûts peu élevés découlaient d’un faible taux d’adhésion et que le taux d’adhésion était faible parce que : a) les employés ne veulent pas divulguer une information confidentielle; b) la valeur de la couverture est habituellement assujettie à l’impôt, ce qui réduit par conséquent la valeur de la prestation; c) les partenaires occupent souvent un emploi et participent au régime de leur propre employeur. S’appuyant sur les données disponibles, Blum a affirmé que lorsque des prestations pour partenaires de même sexe sont fournies, l’adhésion augmente d’environ 1 % et lorsque les prestations sont également offertes aux partenaires de sexe opposé, l’adhésion augmente d’environ 3 %.

C. Relations affectives et interdépendantes mais non conjugales entre adultes

Le recensement canadien ne dénombre pas les adultes vivant dans des relations affectives et interdépendantes mais non conjugales. Le nombre possible d’adultes hors famille vivant ensemble dans des relations non conjugales peut être évalué à partir des données du recensement, mais il est impossible d’établir si ces adultes vivent ensemble dans le cadre d’une union affective et interdépendante. Alors que les revendications des personnes vivant en union conjugale sont en partie fondées sur la nature de la relation, les revendications des membres de ce dernier groupe pour obtenir l’extension des obligations et droits conjugaux reposent presque entièrement sur la dépendance et sur le principe de protection des personnes vulnérables. Ainsi, au moment de la compilation des données sur ce groupe, il y aurait lieu de s’attacher à l’aspect dépendance de la relation.

D. Fonctions du mariage que remplissent les unions libres

Les unions libres satisfont à bon nombre des mêmes objectifs que le mariage, mais n’obtiennent pas le même niveau de soutien sur le plan juridique. Le gouvernement a le même intérêt à soutenir les unions libres qui veillent à l’éducation des enfants, fournissent un système de soutien social à tout le moins pendant la durée de l’union et ainsi de suite. De nombreux réformateurs du droit ont relevé les similitudes fonctionnelles qui existent entre certaines des unions libres et le mariage. Peut-être aussi que les unions libres réussiraient mieux à remplir les fonctions maritales et à satisfaire aux objectifs légitimes de l’État si elles recevaient davantage de reconnaissance juridique et d’appui. La Norvège a adopté un régime d’unions libres enregistrées pour les couples de même sexe dans le but précis de favoriser une plus grande stabilité et cohésion sociales.

Le mariage est une sorte de contrat particulier qui crée une situation clairement définie, et les parties qui se marient consentent formellement à assumer les obligations et droits conjugaux. Les unions libres n’agissent pas automatiquement à titre de contrat ou de signal d’acceptation des obligations et droits conjugaux ni ne créent une situation clairement définie. En raison de l’absence de toute procédure d’enregistrement, la fluidité qui entoure les unions libres soulève non seulement des questions quant à ce qui devrait constituer le critère approprié pour établir l’état matrimonial, mais rend également difficile la démarche qui consiste à déterminer si les parties satisfont au critère pertinent pour toute fin quelle qu’elle soit.

Étant donné que les unions libres n’exécutent pas la fonction de conférer un statut clairement défini, les personnes qui croient jouir d’une relation exclusive avec leur partenaire comprenant tous les droits économiques que cette relation suppose, ne bénéficient d’aucune protection. Cet aspect problématique de la nature non enregistrée de la cohabitation entre personnes de sexe opposé a été mentionné dans l’arrêt Taylor v. Rossu, où la Cour d’appel de l’Alberta a discuté de la proposition de la Commission de réforme du droit de l’Ontario sur les unions libres enregistrées et a établi un contraste entre le régime proposé et la cohabitation entre personnes de sexe opposé :

[Traduction]

Nous constatons que, selon les propositions de la Commission, une personne ne pourrait former une union libre enregistrée si elle est déjà mariée ou si elle est déjà partie à une autre union libre enregistrée mais non révoquée. Il existe des contrôles encore plus importants à l’égard du mariage légal. Non seulement une personne mariée est inhabile à contracter un nouveau mariage, mais le droit criminel interdit la bigamie. Il n’existe actuellement aucune règle comparable régissant les unions libres, et la nature informelle, non enregistrée, de ces unions rendrait difficile à la fois la rédaction et l’administration de telles lois.

L’extension de bon nombre des droits et obligations traditionnellement associés au mariage aux unions libres non enregistrées de personnes de sexe opposé a ravivé certains des problèmes qui existaient avant la laïcisation du mariage, plus particulièrement, l’incertitude en ce qui a trait à l’état matrimonial et le risque de découvrir que son conjoint a des obligations conjugales envers une autre personne.

E. Les règles juridiques régissant les unions libres

Certaines des règles juridiques régissant le mariage sont énoncées à l’annexe A et les règles juridiques régissant les unions libres figurent aux annexes B, C et D. Ces annexes visent à donner un aperçu des distinctions juridiques tirées des divers types d’unions. Les règles juridiques régissant la cohabitation entre personnes de sexe opposé et la cohabitation entre personnes du même sexe changent rapidement, de sorte que ces annexes deviendront désuètes en très peu de temps.

Bon nombre des lois relatives aux unions libres relèvent de la compétence législative des provinces, conformément à l’art. 92(13) de la Loi constitutionnelle qui donne aux provinces le pouvoir de légiférer en matière de propriété et de droits civils dans la province. Aux termes de l’art. 92(13), la compétence législative des provinces s’étend aux biens matrimoniaux, à la pension alimentaire du conjoint et des enfants, à la garde des enfants et au droit de visite, ainsi qu’à la plupart des aspects du droit successoral. Bon nombre de lois fédérales influent également sur les unions libres en élargissant la définition de "conjoint" pour inclure les couples non mariés à diverses fins.

Le pouvoir de promulguer des lois relatives à la propriété et aux droits civils dans la province inclurait celui d’édicter une loi sur l’enregistrement des unions libres pour couvrir les questions relevant de la compétence provinciale. Pour promulguer une loi sur l’enregistrement des unions libres qui accorde aux partenaires toute la gamme des obligations et droits conjugaux, il faudrait que le gouvernement fédéral édicte des lois complémentaires pour les questions relevant de la compétence fédérale, par exemple, la Loi sur l’immigration. La Commission de réforme du droit de l’Ontario a recommandé un régime d’enregistrement des unions libres en 1993 et, à ce moment-là, elle a examiné la question de la division des pouvoirs :

[Traduction]

Nous avons envisagé la possibilité qu’une loi mettant en vigueur le régime des unions libres enregistrées pourrait être contestée au titre d’une tentative d’empiétement sur le pouvoir du fédéral en matière de mariage. À notre avis, toutefois, une telle contestation n’aurait qu’une chance limitée de réussite. La province dispose d’un pouvoir général de légiférer dans les domaines de la propriété et des droits civils à l’égard des personnes mariées et non mariées. Il semble très invraisemblable que la création d’une nouvelle forme d’union non maritale destinée à réglementer les droits et obligations mutuels des parties constitue un empiétement sur le pouvoir du fédéral à l’égard du mariage. La mise en place d’un régime d’union libre enregistrée n’aurait aucune répercussion sur la capacité juridique de se marier pas plus qu’elle n’influerait sur la détermination de l’état matrimonial aux fins de la loi fédérale.

Comme le montrent les annexes, le gouvernement fédéral, les provinces et les cours ont étendu bon nombre de droits et obligations traditionnellement associés au mariage aux couples hétérosexuels et, dans une mesure moindre, aux couples homosexuels. Il reste toutefois d’importantes distinctions entre le mariage et les unions libres. Bon nombre de ces distinctions qui sont reflétées dans les règles juridiques énoncées dans les annexes font l’objet d’une contestation fondée sur la Charte ou sont vulnérables à cet égard.

Les législateurs ont été plus disposés à étendre les obligations et droits conjugaux aux couples hétérosexuels qu’aux autres couples non mariés. Bon nombre de prestations et charges gouvernementales et bon nombre de droits et obligations mutuels sont étendus ou imposés aux couples hétérosexuels qui satisfont à la définition légale du terme "conjoint". De façon générale, une période de cohabitation déterminée est requise ou le couple doit avoir eu un enfant ensemble. La période de cohabitation nécessaire varie à l’échelle du Canada. Par exemple, un membre d’un couple hétérosexuel peut demander une pension alimentaire après une cohabitation d’une année en Nouvelle-Écosse, tandis qu’au Manitoba, une cohabitation de cinq ans est exigée.

La période de cohabitation requise varie également au sein des provinces ou territoires, selon l’objectif de la loi. En Ontario, p. ex., aux fins de la pension alimentaire, le terme "conjoint" comprend un homme et une femme qui ne sont pas mariés ensemble et qui ont cohabité pendant au moins trois ans ou qui ont cohabité dans une relation d’une certaine permanence, s’ils sont les parents naturels ou adoptifs d’un enfant. Cependant, aux termes de la loi ontarienne, une personne peut être considérée comme un conjoint aux fins de donner un consentement à l’utilisation du corps ou de parties du corps de son partenaire décédé à des fins thérapeutiques, d’éducation médicale ou de recherche scientifique si la personne a cohabité avec le décédé pendant seulement une année, et moins d’une année serait suffisante si le couple était parent d’un enfant ou avait conclu une entente de cohabitation. Les diverses définitions du terme "conjoint" à l’échelle du Canada pour différentes fins ne créent pas un cadre juridique uniforme ou cohérent pour les couples hétérosexuels.

L’ensemble des obligations et droits conjugaux n’a pas été étendu aux couples hétérosexuels, et certaines des lois qui excluent les couples hétérosexuels de la définition de "conjoint" sont exposées à faire l’objet d’une contestation fondée sur la Charte, compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Miron c. Trudel. Dans cet arrêt, la Cour a décidé à cinq contre quatre que le refus de verser aux partenaires hétérosexuels non mariés les indemnités dont bénéficient les conjoints mariés en vertu d’une police d’assurance-accident dont les termes sont régis par la Loi sur les assurances de l’Ontario, constitue une discrimination fondée sur l’état matrimonial en contravention de l’art 15 de la Charte et que la clause d’exclusion ne constitue pas une "limite raisonnable" justifiée sous l’article premier de la Charte. Une loi telle que la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario qui exclut de la définition du terme "conjoint", aux fins de l’égalisation des biens familiaux nets, les couples hétérosexuels qui vivent en union libre pourrait être contestée comme étant discriminatoire sur la base de l’arrêt Miron.

La plupart des secteurs de compétence de common law ont étendu le droit à la pension alimentaire aux couples hétérosexuels non mariés, mais même cette reconnaissance limitée a nécessité beaucoup de temps dans certaines provinces. Aucune province de common law n’inclut les couples non mariés dans son régime de division des biens matrimoniaux, quoique la doctrine de l’enrichissement sans cause s’applique dans chacune d’elles pour permettre une division parfois sommaire et rapide des biens des couples non mariés au moment de la dissolution de leur union. Le Québec qui compte le taux le plus élevé d’unions libres au Canada (plus de 20 % des couples de sexe opposé au Québec ne sont pas mariés), n’a pas encore étendu aux couples qui vivent en union libre le droit à la pension alimentaire. Le Code civil du Québec ne reconnaît pas aux parties non mariées un droit à la division des biens matrimoniaux au moment de l’échec de l’union, quoique les parties non mariées puissent obtenir une part des biens de leur ancien partenaire aux termes du Code civil si elles réussissent à prouver l’existence d’une société de personnes, d’un contrat ou un enrichissement sans cause.

Les futurs demandeurs non mariés du Québec bénéficieront de la réforme législative annoncée le 18 juin 1998 par le ministre de la Justice du Québec, Serge Ménard. Ce dernier a tout d’abord indiqué que le gouvernement harmoniserait ses lois publiques relatives aux couples non mariés pour veiller à ce que le critère de reconnaissance des couples non mariés soit uniforme dans la mesure du possible et que les lois publiques seraient également modifiées pour inclure les couples de même sexe. Ainsi, les lois relatives à des questions telles que les pensions, l’assurance-automobile, l’assurance-santé et les droits liés à l’emploi seraient modifiées pour harmoniser la définition du terme conjoint et pour y inclure les couples de même sexe. (Une proposition dans ce sens a été présentée à l’Assemblée nationale du Québec le 21 octobre 1998 par M. Bouchard.) M. Ménard a également annoncé que le Québec envisagera de reconnaître les couples non mariés qui souhaitent officialiser leur union en leur accordant un certain nombre d’obligations et droits conjugaux :

Le gouvernement prévoit également la possibilité d’assurer, en droit privé, la reconnaissance juridique et sociale des unions de fait pour les conjoints de fait qui voudraient officialiser leur union et lui donner les effets civils particuliers. Des interventions législatives au Code civil pourraient régler les protections relatives au patrimoine familial, aux obligations alimentaires ou encore aux héritiers pour les conjoints de fait. Les interventions législatives seront précédées de consultations publiques.

Le travail visant à modifier le Code civil pour étendre les obligations et droits conjugaux aux couples non mariés avance plus lentement que les modifications aux lois publiques et nécessitera un processus de consultation publique et d’examen en comité parlementaire.

La tentative du Québec d’inclure non seulement les couples hétérosexuels mais également les couples homosexuels au sein de son régime révisé d’obligations et droits conjugaux fera du Québec la deuxième province à aller de l’avant avec un vaste plan de réforme législative destinée à élargir les droits et obligations des couples homosexuels. La Colombie-Britannique a déjà adopté une loi qui accorde une vaste gamme d’obligations et droits conjugaux aux couples homosexuels.

Au cours de la dernière décennie, les cours et les tribunaux des droits de la personne de bon nombre de provinces ont invoqué la loi sur les droits de la personne qui interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle pour permettre aux lesbiennes d’avoir accès à l’insémination artificielle et pour donner aux partenaires de même sexe un "statut de conjoint" au regard d’une gamme d’avantages liés à l’emploi. Certains employeurs ont volontairement accordé les prestations de conjoint aux partenaires de même sexe de leurs employés, tandis que la décision d’autres qui ont tenté d’exclure les partenaires de même sexe des prestations de conjoint a été contestée avec succès par des griefs déposés en application des clauses antidiscriminatoires des conventions collectives. La plus importante contestation actuelle fondée sur la Charte relativement à la définition du terme "conjoint" est l’affaire M. v. H..

Dans M. c. H., un membre d’un couple de lesbiennes a demandé une pension alimentaire après la dissolution de l’union, conformément à la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario. La définition du terme "conjoint" dans la loi a été contestée parce qu’elle est limitée aux couples hétérosexuels et que, par conséquent, elle viole la garantie d’égalité prévue par la Charte. La requérante a eu gain de cause devant la Cour de justice de l’Ontario (division générale) et devant la Cour d’appel de l’Ontario. La Cour suprême du Canada a entendu l’appel au début de 1998 et a réservé sa décision. Si cette dernière maintient la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, cela signifiera que toute loi qui élargit la définition du terme "conjoint" pour inclure un membre d’un couple hétérosexuel non marié devra être modifiée pour inclure un membre d’un couple homosexuel, à tout le moins si cette loi traite des droits et obligations "privés" entre les parties par opposition aux prestations gouvernementales comme c’était le cas dans l’arrêt Egan. Une loi non modifiée serait susceptible de faire l’objet d’une contestation sous la Charte. Même si l’art. 33 de la Charte permet aux législatures d’édicter une loi qui sera applicable nonobstant les droits garantis par la Charte, il est peu vraisemblable qu’elles le fassent. Le premier ministre Ralph Klein a décidé de ne pas invoquer l’art. 33 pour déroger à la décision rendue dans Vriend c. Alberta, dans laquelle la Cour suprême du Canada a en réalité récrit la loi de l’Alberta sur les droits de la personne pour inclure l’orientation sexuelle comme motif prohibé de discrimination, en dépit d’importantes pressions exercées sur le premier ministre à cet égard.

Les modifications proposées aux lois canadiennes sur l’immigration permettraient aux Canadiens de parrainer des partenaires homosexuels aux fins de l’immigration. Au début de 1998, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déclaré :

Notre rapport met en lumière l’importance de la famille - conventionnelle et non conventionnelle - dans la société canadienne. Nous recommandons une définition du "conjoint" qui reconnaît l’existence des couples de droit coutumiers et des couples homosexuels pour les besoins de la Loi sur l’immigration et la citoyenneté. [...] Ces définitions plus souples reflètent la diversité des liens et arrangements familiaux chez nous.

Au cours de la première semaine de 1999, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il entreprendrait de modifier la loi sur l’immigration et que, [d]ans le but d’adapter la législation aux nouvelles réalités sociales et d’assurer un traitement équitable sous la loi, les orientations proposées visent à élargir la définition de conjoint pour y inclure les conjoints de fait et les partenaires de même sexe". Un projet visant à modifier toutes les lois fédérales pour éliminer les définitions de "conjoint" qui établissent une discrimination contre les couples homosexuels a été annoncée plus tard au cours du même mois.

Si la Cour suprême du Canada maintient la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans M. v. H. selon laquelle l’exclusion d’un membre d’un couple homosexuel de la définition du terme "conjoint" aux fins de la pension alimentaire serait inconstitutionnelle, les autres provinces et territoires devront, à tout le moins, introduire quelques-unes des modifications législatives déjà en place en Colombie-Britannique et que le Québec semble se proposer d’adopter. Toutefois, une province pourrait retarder la modification de ses lois jusqu’à ce qu’elle soit forcée de le faire à la suite d’une contestation judiciaire et pourrait ensuite se soustraire à cette obligation en invoquant la clause nonobstant de la Constitution.

En 1993, la Commission de réforme du droit de l’Ontario a diffusé son Report on the Rights and Responsibilities of Cohabitants. La Commission a recommandé que toutes les dispositions de la Loi sur le droit de la famille de la province accordent aux concubins hétérosexuels les mêmes droits et responsabilités qu’aux conjoints mariés. La Commission a également proposé l’adoption d’un régime d’enregistrement des unions libres qui fournirait un mécanisme permettant aux couples hétérosexuels, homosexuels ou non conjugaux de se prévaloir de la Loi sur le droit de la famille. Plusieurs pays ont adopté des lois sur les unions libres enregistrées qui permettent aux couples qui s’enregistrent d’obtenir bon nombre d’obligations et droits conjugaux. Aux termes du régime proposé par la Commission, les partenaires devraient être âgés d’au moins 18 ans et ne pas être déjà mariés ou parties à une autre union libre enregistrée. Le défaut de se conformer à ces exigences rendrait l’association nulle. L’enregistrement pourrait être révoqué unilatéralement au moyen d’un avis donné à l’autre partenaire.

Même si le gouvernement néo-démocrate de l’Ontario n’a pas donné suite aux recommandations de la Commission sur les unions libres enregistrées, il a présenté en 1994 un projet de loi qui aurait accordé aux couples homosexuels les mêmes droits qu’aux concubins hétérosexuels, y compris le droit de demander une pension alimentaire, le droit aux prestations de conjoint et celui d’adopter des enfants. L’Ontario avait déjà édicté une loi accordant aux partenaires de même sexe le droit de consentir au traitement médical lorsque l’autre partenaire est capable de donner son consentement, mais le projet de loi-167 de 1994 allait beaucoup plus loin. Le gouvernement a permis à ses membres de voter librement sur le projet de loi. Lorsqu’il est devenu manifeste que le projet ne serait pas adopté, le gouvernement a offert de le modifier pour le rendre plus acceptable à une majorité, plus particulièrement en retirant la disposition qui aurait permis aux couples homosexuels d’adopter des enfants. En dépit du retrait de la clause sur l’adoption qui avait suscité de nombreuses oppositions, le projet de loi-167 a été défait par une faible marge à l’occasion d’un vote libre le 9 juin 1994.

Les partisans ont été frustrés par la défaite et certains activistes ont réagi en planifiant le lancement d’un programme vigoureux de contestation judiciaire des lois provinciales et fédérales qui établissent une discrimination à l’égard des couples homosexuels, continuant ainsi d’exercer des pressions pour obtenir des réformes législatives. Lorsque le parti conservateur a été élu en Ontario, la politique du gouvernement à l’égard des couples homosexuels a changé radicalement. Le gouvernement de l’Ontario s’oppose à l’extension des droits et avantages aux couples de même sexe et il est le véritable appelant dans l’affaire M. v. H., actuellement devant la Cour suprême du Canada. Ironiquement, les couples de même sexe en Ontario ont maintenant le droit aux adoptions par les beaux-parents à la suite de la décision de 1995 dans l’affaire Re K. dans laquelle le juge Nevins a décidé que la loi sur l’adoption de l’Ontario violait la Charte en établissant une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. À titre de réparation, le juge Nevins a ajouté par interprétation la définition suivante de conjoint : [traduction] ""conjoint" désigne la personne avec laquelle une personne de sexe opposé est mariée ou avec laquelle une personne de même sexe ou de sexe opposé vit dans une union conjugale hors mariage".

L’Ontario est représentative des autres autorités législatives canadiennes qui cèdent aux tribunaux une grande part de la responsabilité de l’élaboration des politiques familiales, plus particulièrement en ce qui a trait aux couples homosexuels. Dans son commentaire sur l’arrêt Taylor v. Rossu, où la Cour d’appel de l’Alberta a décidé que la loi provinciale sur la pension alimentaire établissait une discrimination fondée sur l’état matrimonial en excluant les couples hétérosexuels non mariés, James McLeod écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le fait est que de nombreux politiciens sont satisfaits de laisser les juges prendre les décisions sociales difficiles. Les législateurs et les juges semblent avoir conclu un compromis inconfortable aux termes duquel les juges devront décider quelle relation devrait être caractérisée comme étant "quasi-conjugale" et les législateurs accepteront la décision.

Même s’il ne s’agissait pas d’une affaire de "droits conjugaux", l’arrêt Vriend c. Alberta a fourni un exemple clair du phénomène décrit par McLeod. Lorsque la Cour suprême du Canada a décidé dans Vriend que la loi sur les droits de la personne de l’Alberta violait l’article 15 de la Charte parce qu’elle ne protégeait pas les homosexuels de la discrimination et que la loi devait être interprétée comme si elle renfermait l’expression "orientation sexuelle", de nombreux Albertains ont été outrés, mais le premier ministre de l’Alberta a refusé de déroger à la décision en invoquant l’article 33 de la Charte qui permet à une législature d’édicter une loi qui sera applicable nonobstant les droits garantis par la Charte.

Un des problèmes associés à la tendance des législateurs canadiens à laisser les questions de politique sociale aux tribunaux a été soulevée par le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada qui a signalé que les juges, contrairement aux législateurs, ne peuvent éluder les questions difficiles comme celle des prestations au conjoint de même sexe et que :

[Traduction]

Un juge ne peut aborder une affaire comme le ferait la législature. Les questions soumises par les parties déterminent la portée de la décision du juge. La réponse que fournit le juge est délimitée et dictée par le contexte juridique dans lequel le conflit se soulève.

Les difficultés auxquelles font face les juges lorsqu’ils doivent façonner la politique sociale dans le contexte d’une poursuite judiciaire sont reflétées dans l’opinion du juge Sopinka dans l’arrêt Egan c. Canada. Le juge Sopinka a conclu que la définition du terme "conjoint" aux fins du régime de pension de vieillesse fédéral établissait une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, mais, en dernière analyse, il s’est joint aux quatre autres juges qui ont déterminé qu’il n’y avait pas de discrimination. Le juge Sopinka a décidé que la disposition discriminatoire était justifiée aux regards de l’article premier de la Charte parce qu’elle constituait une limite raisonnable prescrite par la loi dont la justification pouvait "se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique", et une décision majoritaire a été rendue contre le couple homosexuel. Le juge Sopinka a expliqué que le gouvernement n’était pas tenu d’adopter une "attitude proactive pour ce qui est de la reconnaissance des nouvelles formes de relations dans la société" et que, compte tenu des ressources limitées disponibles, les prestations ne pouvaient être accordées à tous. Le juge Sopinka semblait réticent à suivre le résultat dicté par la loi, comme il l’interprétait, à cause des répercussions sur notre système polycentrique de réglementation familiale et de politique fiscale gouvernementale. Bien que le juge Sopinka ait trouvé une façon de remettre aux législateurs la responsabilité associée à la politique familiale, bon nombre de cours se sont trouvées dans l’impossibilité d’éluder les questions difficiles.

L’inefficacité constitue un autre problème associé au fait de laisser les cours trancher les questions de politique familiale. Comme le fait remarquer Wendy Adams, [traduction] "Le contentieux est un processus dispendieux, long et lourd et il serait plus efficace d’établir une catégorie de statut juridique pour les unions de même sexe". De plus, le refus d’agir des législateurs peut générer de la colère et de la désaffection. Au début de janvier 1999, la Foundation for Equal Families a intenté une poursuite générale contestant les douzaines de lois fédérales qui établissent une discrimination contre les couples homosexuels. Cette poursuite inhabituelle visait à forcer le gouvernement fédéral à modifier ses lois pour refléter les décisions des cours : [traduction] "Les gais et lesbiennes en ont assez de combattre les lois discriminatoires par des contestations judiciaires successives comme ils l’ont fait sans arrêt depuis la dernière décennie".

Le jour même où l’action omnibus a été intentée, le ministre de l’Immigration, Lucienne Robillard, a annoncé les modifications proposées au système de l’immigration et du statut de réfugié qui incluraient l’élargissement de la définition de "conjoint" pour inclure tous les couples vivant en union de fait qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Du même coup, le ministre a annoncé qu’une stratégie fédérale nationale était en préparation pour donner suite à un certain nombre de décisions judiciaires, notamment pour permettre aux partenaires de même sexe de toucher les prestations de survivant des régimes de pension. Ces annonces du gouvernement fédéral, les réformes législatives déjà promulguées en Colombie-Britannique et celles annoncées par le Québec indiquent qu’au moins certains législateurs canadiens sont maintenant disposés à reprendre la responsabilité de l’élaboration de la politique sociale et de la législation relatives aux familles.

Il y a eu, au cours des dernières années, des centaines de causes canadiennes traitant de questions de droits et d’obligations des couples hétérosexuels et homosexuels vivant en union libre, et ces causes ont contribué à la régression de la signification juridique du mariage. Le résultat de centaines de décisions judiciaires et les quelques réformes législatives constituent un ensemble de mesures disparates qui ne reflètent pas une perspective uniforme ou cohérente à l’égard de la réglementation du mariage ou de la cohabitation. Le terme "conjoint" est défini de diverses façons pour différentes fins, ce qui donne lieu à des règles arbitraires qui ne protègent pas toujours les objectifs sociaux énoncés. Les périodes de cohabitation et les autres exigences à respecter pour satisfaire à la définition de "conjoint" varient et les divers éléments nécessaires à l’état matrimonial ne sont pas clairement liés aux objectifs sociaux acceptés ou aux objectifs légitimes de l’État. Les diverses définitions du terme "conjoint" devraient être réévaluées pour en garantir l’uniformité et la rationalité. Comme Serge Ménard l’a souligné : "Les critères de reconnaissance de l’union de fait, notamment quant à la durée de la vie commune, devront, dans la mesure du possible, être uniformes".

V. AUTRES PERSPECTIVES Retour table des matières

Unique et pluraliste, le mariage civil est une institution vivante, peut-être l’une des plus vivantes de nos instituions, qui a pu au cours du temps, parce qu’il était unique, et à travers des débats orageux se transformer profondément et intégrer les principes démocratiques d’égalité et de liberté.

Dans cette partie du document, j’examine l’évolution de la législation relative au mariage et aux unions libres dans certains pays européens et États américains en m’attardant plus particulièrement aux autorités législatives qui ont récemment adopté ou qui envisagent activement d’adopter des réformes.

L’Europe et les États-Unis ont connu des changements dans la vie familiale semblables à ceux du Canada. Ces changements comprennent une augmentation des unions libres, une hausse du nombre d’enfants nés hors mariage, une participation accrue à la vie active des femmes mariées et des mères de jeunes enfants, des taux plus élevés de divorce et une plus grande acceptation et tolérance de l’homosexualité et des couples homosexuels. La tendance culturelle juridique occidentale de la réforme juridique qui s’est manifestée au cours de ces changements sociaux comprenait : a) l’adoption du divorce sans faute; b) l’égalité juridique entre les conjoints en ce qui a trait aux obligations et aux droits conjugaux et parentaux; c) la décriminalisation de l’homosexualité; d) la prohibition de la discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle; e) la reconnaissance de la cohabitation de couples hétérosexuels pour des raisons "négatives", par exemple, la cohabitation pourrait rendre un partenaire inadmissible à des prestations gouvernementales; f) une réduction des prestations familiales et une augmentation des prestations individuelles; g) la reconnaissance des unions libres hétérosexuelles pour des raisons "positives", par exemple, aux fins de certaines prestations gouvernementales ou prestations d’emploi; h) l’extension de certaines prestations gouvernementales ou d’emploi et de certains droits et obligations de nature parentale aux couples homosexuels; i) la mise en œuvre de l’enregistrement des unions libres pour les couples homosexuels ou pour les couples hétérosexuels et homosexuels; j) un mouvement vers le mariage entre homosexuels.

Cette tendance générale de la réforme du droit se présente sous divers aspects. Le moment choisi et l’étendue des réformes varient selon les États; certains États ne semblent même pas susceptibles de décriminaliser la sodomie dans un proche avenir, encore moins d’étendre les prestations, droits et obligations aux couples de même sexe. Dans de nombreux États, les tribunaux ont participé au processus dans une certaine mesure, par exemple en se prononçant sur le caractère discriminatoire de lois particulières. En Europe, de nombreux gouvernements ont accepté de telles décisions judiciaires comme un signal et ont assumé la responsabilité de la réforme du droit. Cette situation contraste avec celle de l’Amérique du Nord où, à tout le moins en ce qui a trait aux couples homosexuels, les gouvernements ont eu tendance à réagir aux décisions judiciaires plutôt que d’assumer le leadership en matière de réforme du droit. Dans certains pays européens, les politiques et les lois actuelles relatives aux couples homosexuels résultent davantage d’une consultation publique menée par le gouvernement et d’une réforme législative que de contestations judiciaires ou de référendums. Des contestations judiciaires et des débats politiques amers au sujet de la réglementation des couples homosexuels ont eu lieu en Europe, mais les gouvernements y jouent davantage un rôle de chef de file qu’en Amérique du Nord, plus particulièrement dans les pays qui ont adopté ou qui envisagent actuellement d’adopter des lois sur l’enregistrement des unions libres.

A. Europe

Dans la plupart des États européens, la cohabitation en soi ne mène pas à un statut juridique reconnu. Toutefois, la cohabitation est reconnue à certaines fins, et de nombreux pays européens rendent exécutoires des contrats de cohabitation qui établissent les obligations et droits mutuels des parties. En l’absence d’une convention de cohabitation exécutoire, la loi générale sur les biens, les successions ou les sociétés de personnes continueront de s’appliquer aux couples vivant en union libre si elles sont pertinentes, mais les lois sur la famille ne s’appliquent généralement pas. La réticence à accorder un nombre important d’obligations, de droits et d’avantages conjugaux fondés sur la cohabitation seulement peut s’expliquer en partie par le soutien indéfectible accordé au mariage et par le respect de l’autonomie des parties. Toutefois, elle peut aussi être associée à une plus grande priorité mise sur la certitude du statut que confère l’enregistrement dans les pays européens de droit civil.

La Cour européenne de justice a décidé que l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au mariage vise les unions constituées de deux personnes de sexe opposé. Ainsi, les pays européens ne sont pas tenus de permettre le mariage entre personnes de même sexe, ce qu’aucun d’eux n’a fait jusqu’à maintenant et seulement les Pays-Bas ont annoncé un engagement à cet égard. Plusieurs pays européens ont adopté des lois sur l’enregistrement des unions libres ou des lois qui étendent les droits et obligations aux couples vivant en union libre et, actuellement, plusieurs autres envisagent des réformes semblables.

L’adhésion à l’Union européenne entraîne une plus grande liberté de mouvement au sein de l’U.-E. et ceci exige que chaque pays membre examine attentivement les questions de droit international privé découlant de la promulgation des lois sur l’enregistrement des unions libres dans certains des États de l’U.-E. Au début de 1999, la Cour européenne de justice, tribunal de première instance, a décidé que, aux termes du droit de l’U.-E., le Conseil de l’Union européenne n’est pas tenu de traiter l’union libre enregistrée d’un employé suédois du Conseil comme étant équivalent à un mariage aux fins des prestations d’emploi. Cette décision et les aspects du droit international privé des unions libres enregistrées et de la cohabitation en général ont été examinés dans le cadre de la cinquième conférence européenne sur le droit familial à La Haye les 15 et 16 mars 1999. L’ensemble des participants ont convenu que les aspects des unions libres enregistrées et de la cohabitation qui touchent au droit international privé doivent être examinés. Le secrétaire général et le premier secrétaire de la Conférence de La Haye de droit international privé ont participé à la conférence et ont proposé que la conférence de La Haye constitue un groupe de travail chargé d’étudier les aspects liés au droit international privé des unions libres enregistrées et de la cohabitation. Il est recommandé que le Canada délègue un expert pour participer à un tel groupe de travail.

Les pays européens dont il est question ci-après sont le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, la France, l’Espagne et la Suisse. À l’exception de la Suisse, tous ces pays ont adopté ou envisagent activement d’adopter des réformes pour accorder une reconnaissance légale accrue aux couples vivant en union libre. Il importe de signaler que d’autres pays européens ont adopté ou envisagent d’adopter des réformes semblables. La Hongrie, à titre d’exemple, a édicté une loi qui réglemente la propriété des biens acquis par les couples en union libre ou par les personnes apparentées vivant ensemble et, en 1996, la loi a été élargie pour inclure les couples de même sexe. La Suède et l’Islande ont des lois sur l’enregistrement des unions libres semblables à celles des autres pays nordiques qui permettent aux couples homosexuels de s’enregistrer afin d’obtenir la plupart des obligations et droits conjugaux. La Belgique a édicté, en octobre 1998, une loi sur la cohabitation qui n’est pas encore en vigueur afin de permettre aux couples hétérosexuels et homosexuels d’obtenir certains droits et obligations de nature conjugale et a déposé un projet de loi sur l’enregistrement des unions libres devant la législature belge en février 1998. Bon nombre de réformes ont été adoptées récemment en Europe ou sont sur le point de l’être, et l’étude qui suit ne renferme qu’un échantillon de ces initiatives législatives.

Danemark

Comme la plupart des pays européens, le Danemark n’a pas de loi en vigueur sur la cohabitation, quoique la cohabitation soit reconnue aux fins des prestations sociales et de l’imposition en cas de décès. Ainsi, la cohabitation peut rendre une femme célibataire inadmissible à diverses prestations de sécurité sociale. D’autre part, une personne économiquement dépendante dont le partenaire décède peut avoir droit à une indemnité pour la perte de soutien du conjoint. Même si les conjoints n’ont aucun droit quant aux biens matrimoniaux, les cours ont décidé qu’un partenaire ne devrait pas laisser l’autre dans une situation financière déraisonnable et elles ont rendu les jugements fondés sur le principe de l’enrichissement sans cause ou sur le principe de la protection d’une attente bien fondée de ne pas être laissé sans soutien financier. Le raisonnement et la perspective utilisés dans ces genres de cause sont semblables à ceux qui sont appliqués aux affaires d’enrichissement sans cause auxquelles sont mêlés des conjoints de fait au Canada.

En 1983, un comité établi par le ministère des Affaires sociales pour examiner la question de l’égalité de traitement entre la cohabitation et le mariage a formulé le principe fondamental selon lequel le fait de vivre ensemble plutôt que d’être marié ne devrait conférer aucun avantage spécial. En 1986, le comité a signalé qu’il n’existait aucune réponse claire à la question de savoir si la cohabitation devrait être traitée de la même façon que le mariage. Le comité a dégagé deux principes qui pourraient être appliqués à cette question : le "principe familial (ou du ménage)" et le "principe individuel". Le principe familial exige que les prestations de sécurité sociale et autres droits et obligations soient accordés et calculés en fonction de la relation d’une personne par rapport à une autre ou par rapport à un ménage. Le principe individuel signifie que l’admissibilité de chaque personne aux prestations ou aux charges est évaluée uniquement en fonction des circonstances financières de cette personne sans égard à la situation de cette personne au sein du ménage ou à sa relation conjugale. Le comité a signalé que le principe individuel mènerait à l’augmentation des dépenses publiques, notamment parce que le revenu d’un partenaire ne serait pas pris en compte dans la détermination du droit aux prestations de sécurité sociale, mais qu’il s’inscrivait dans les tendances actuelles de la société. En 1987, le Parlement danois a adopté une résolution pressant le gouvernement de mettre en application le principe individuel dans le secteur de la politique familiale et sociale.

L’adoption du principe individuel n’a pas mené à une réforme à grande échelle, mais elle a influé sur le droit danois dans une certaine mesure. À titre d’exemple, le revenu d’un conjoint de fait n’est pas pris en compte dans la détermination du droit à l’aide sociale parce que le conjoint de fait n’a pas d’obligation alimentaire. Par ailleurs, une partie qui était, de fait, entretenue par un partenaire non marié ne se trouve pas nécessairement en situation de dénuement et, par conséquent, elle peut se voir refuser l’aide sociale.

Le principe individuel repose sur les valeurs d’indépendance et d’autonomie et justifie en partie le refus d’accorder les obligations et droits conjugaux aux conjoints de fait. En 1995, Linda Nielsen a signalé que [traduction] "le principe individuel gagne du terrain en raison d’une décision politique et d’initiatives législatives" et que le principe familial [traduction] "est amoindri par le grand nombre de conjoints de fait, ce qui signifie qu’environ un cinquième de toutes les personnes vivant ensemble en étant ou non mariées sont exclues de la législation traditionnelle sur la famille". En 1999, toutefois, le mouvement vers le principe individuel semblait être au point mort, et le Danemark qui réexamine maintenant ses lois sur la famille envisage d’accorder une reconnaissance légale aux conjoints de fait.

Le virage du Danemark vers le principe individuel et la réévaluation incessante de la mesure dans laquelle le mariage et les autres relations familiales devraient être privilégiés ou faire l’objet de fardeaux particuliers ont été prudents. Le principe individuel marque un éloignement du droit familial de son rôle de protecteur vers un rôle de réglementation des droits établis. Les commentateurs ont signalé que dans certains domaines comme celui de la pension alimentaire, une abolition précipitée de l’obligation alimentaire fondée sur le principe individuel nuirait aux femmes qui sont les principales bénéficiaires des lois familiales protectrices.

Les discussions au Danemark sur l’application du principe individuel en vue de modifier les lois familiales protectrices rappellent les débats au Canada sur la pension alimentaire versée à un conjoint. Certains ont mis en doute le motif qui sous-tend une obligation permanente d’entretien d’un conjoint, signalant que le besoin économique d’une ex-épouse est un problème social dont la responsabilité incombe au gouvernement plutôt qu’à l’ancien époux. Mais eu égard à l’inégalité financière permanente des femmes, aux conséquences du mariage et des unions libres au regard de cette inégalité ainsi qu’à la pénurie d’autres sources convenables de soutien, l’application stricte du principe individuel à l’heure actuelle poserait un problème.

Le Danemark a été le premier pays au monde à mettre en œuvre l’enregistrement des unions libres pour les couples homosexuels. Cette loi est entrée en vigueur le 1er octobre 1989. Cette loi destinée à accorder un statut social égal aux couples hétérosexuels et homosexuels énonçait également d’autres hypothèses et objectifs sous-jacents. Tout d’abord, le projet de loi visait à créer une institution légale qui permettrait aux partenaires homosexuels de réglementer leur vie davantage selon leurs désirs et choix personnels. De plus, le projet de loi supposait que la reconnaissance formelle des unions homosexuelles améliorerait les chances de durabilité et de stabilité des unions entre homosexuels. Le projet de loi supposait qu’une institution légale telle que l’union libre enregistrée était nécessaire pour donner aux couples de même sexe les mêmes droits qu’aux personnes mariées. Il devait soutenir les principes d’autonomie et d’égalité en accordant aux couples homosexuels le même droit de choisir entre l’officialisation ou la non-officialisation de leur union. Le projet de loi a fait état d’un dernier objectif, jugé négligeable, soit la création d’une attitude plus positive à l’égard des unions de plus longue durée entre partenaires de même sexe dont l’effet pourrait être la diminution du nombre d’unions de courte durée et, par conséquent, la réduction du risque de contamination par le SIDA.

Au 31 décembre 1997, les statistiques du Danemark révèlent que 7 082 personnes ont enregistré une union libre et que 540 unions ont été dissoutes. Entre 1989 et 1993, beaucoup plus d’hommes gais que de lesbiennes ont décidé de s’enregistrer, soit au total 4 550 hommes gais et 2 532 lesbiennes. Après 1993, le taux d’enregistrement des hommes gais a chuté au même niveau que celui des lesbiennes, c.-à-d. en deçà de 200 enregistrements par année, et en 1997, les hommes gais ont enregistré seulement 81 unions libres comparativement à 159 chez les lesbiennes. L’enregistrement des lesbiennes est demeuré relativement stable aux environs de 100 à 200 par année, quoique, en 1993, seulement 78 unions libres de lesbiennes ont été enregistrées. Entre 1990 et 1996, la mortalité chez les hommes gais vivant en union libre enregistrée était de 20 à 30 personnes par année, mais en 1997, il n’y a eu que cinq décès chez les gais au sein des unions libres enregistrées.

Le Danemark conserve également des statistiques sur les enfants vivant avec des parents au sein d’une union libre enregistrée, quoique ces statistiques ne soient pas entièrement exactes. À la fin de décembre 1997, il y avait 106 unions libres enregistrées comptant un total de 128 enfants de moins de 18 ans vivant au domicile (71 couples vivant en union libre enregistrée ont un enfant, 28 en ont deux et sept familles comptent trois enfants). En supposant que la plupart des unions libres comptant des enfants soient des unions de lesbiennes, environ 8 % de toutes les unions libres de lesbiennes ont des enfants de moins de 18 ans vivant à la maison. Actuellement, l’enregistrement d’une union libre n’a aucune conséquence juridique sur les enfants, et les partenaires enregistrés ne peuvent obtenir une garde légale conjointe. Les partenaires enregistrés ne peuvent adopter un enfant, et l’adoption des beaux-parents par un partenaire enregistré d’un parent n’est pas permise. Le Danemark examine actuellement ses lois sur la famille, en particulier ses lois relatives aux enfants de partenaires enregistrés.

Norvège

En Norvège, les couples vivant en union libre sont, pour la plus grande part, traités comme des personnes seules, et la loi ne prévoit pas de droits et obligations mutuels. Toutefois, la Norvège a édicté en 1992 la Joint Household Act pour fournir une certaine protection à tout groupe de personnes vivant ensemble dans le même ménage pendant au moins deux ans. En vertu de cette loi, deux personnes qui ont un enfant ensemble sont protégées même si elles n’ont pas vécu ensemble pendant deux ans. La loi stipule que si le ménage conjoint se termine par le décès ou l’échec de la relation, un des conjoints peut obtenir le droit de continuer à occuper le domicile conjoint ou d’utiliser les effets mobiliers.

En 1993, la Norvège a édicté une loi sur l’enregistrement des unions libres qui était modelée sur la loi danoise. Aux termes de cette loi, l’enregistrement confère presque toutes les conséquences juridiques du mariage, la seule exception importante étant que les couples enregistrés n’ont pas le droit d’adopter d’enfants. Les motifs de la loi ont été énoncés par le ministère de l’Enfance et de la Famille dans le projet de loi présenté au Parlement norvégien. Peter Lødrup a résumé les raisons du Ministère dans un article publié peu après la promulgation de la nouvelle loi, et l’analyse qui suit repose en grande partie sur cet article.

Le premier motif qui sous-tend la loi sur l’enregistrement des unions libres est la similitude entre les couples homosexuels et les couples mariés et les conditions financières résultantes qui ont créé la nécessité de mettre en place un mode de réglementation semblable à celui du mariage :

[Traduction]

Les conditions économiques dans lesquelles les couples homosexuels vivent sont de même nature que celles des couples mariés, mises à part celles qui concernent la responsabilité des enfants. Les couples gais et lesbiennes ont les mêmes raisons émotives et pratiques de souhaiter des droits et obligations réciproques, et il existe le même besoin de protéger la partie la plus vulnérable.

Le droit reconnu des couples homosexuels de conclure des contrats privés régissant les questions telles que l’héritage et la propriété des effets mobiliers ne constituait pas un cadre juridique convenable pour régir de telles unions parce que, [traduction] "tout comme les couples hétérosexuels vivant en union libre, très peu de partenaires homosexuels se prévalent de l’occasion de conclure de telles ententes en partie parce qu’ils n’en prévoient pas la nécessité en cas de crise, par exemple, advenant le décès d’un membre du couple ou la dissolution de la relation pour tout autre motif".

Les valeurs morales et les objectifs sociaux constituaient également d’importants motifs à l’origine de la loi sur l’enregistrement des unions libres en Norvège. La Norvège a décriminalisé les relations homosexuelles entre hommes en 1972 et a prohibé la discrimination contre les homosexuels en 1981. Aujourd’hui, [traduction] "une meilleure connaissance de la nature de l’homosexualité et de la situation sociale des gais et lesbiennes a engendré une attitude plus tolérante". Par la promulgation de la loi sur l’enregistrement des unions libres, la Norvège espérait favoriser la stabilité et les obligations réciproques au sein des unions homosexuelles, en partie en réduisant la stigmatisation de telles unions de façon à ce que les partenaires aux prises avec des problèmes puissent compter sur un solide réseau de soutien social. L’enregistrement était vu comme le mécanisme par lequel un couple pouvait signaler à sa famille et à ses amis son intention d’entreprendre une relation engagée. On pensait également que l’engagement associé à l’enregistrement ferait en sorte que les couples homosexuels s’efforceraient davantage de régler leurs problèmes conjugaux.

La loi norvégienne visait également à réduire l’isolement des personnes gais et lesbiennes et à accroître la cohésion sociale :

[Traduction]

Une union enregistrée supposera une ouverture; une dérogation à l’invisibilité traditionnelle des relations des gais et lesbiennes pourrait fournir à de nombreux homosexuels des modèles positifs. Les relations stables donnent une sécurité et un sens d’appartenance. La plupart des homosexuels vivent seuls et sont susceptibles d’être solitaires et socialement isolés. Cependant, la plupart d’entre eux souhaiteraient vivre en couple. Les homosexuels ressentent le même besoin de sécurité et de croissance au sein d’une relation permanente que les hétérosexuels et, par conséquent, ils devraient bénéficier du même soutien sur le plan de l’établissement de relations engagées et permanentes.

La loi visait à signaler l’acceptation publique des relations homosexuelles et à inciter plus de personnes gais et lesbiennes à se manifester, réduisant ainsi les problèmes créés par le fait de vivre dans la clandestinité et l’isolement.

Le ministère de la Norvège a fermement rejeté l’argument selon lequel l’acceptation et la reconnaissance légales des couples homosexuels affaiblirait le mariage ou aurait un impact négatif sur la stabilité familiale :

[Traduction]

Que les gais et lesbiennes souhaitent conférer un plus grand engagement à leur union confirme les idéaux du mariage - un désir d’établir une relation permanente fondée sur une empathie mutuelle. Une relation homosexuelle ne peut cependant jamais être identique au mariage, que ce soit du point de vue social ou religieux. Elle ne remplace ni ne concurrence le mariage hétérosexuel. La seule autre option offerte aux couples homosexuels est de laisser leur relation non réglementée. L’occasion pour les homosexuels d’enregistrer leur union libre ne se traduira pas par un plus grand nombre de personnes qui opteront pour des relations homosexuelles plutôt que pour le mariage.

Divers organismes ont commenté le projet de loi sur l’enregistrement des unions libres avant sa présentation au Parlement norvégien. La majorité de ces commentateurs étaient favorables ou indifférents au projet de loi. Toutefois, selon la majorité des évêques et des organisations cléricales, le projet de loi allait trop loin en donnant aux partenaires de même sexe les mêmes droits qu’aux couples mariés, et il en résulterait un affaiblissement de la position du mariage. La loi a été adoptée par une large majorité, mais le Parti chrétien-populaire l’a rejetée unanimement au motif qu’elle saperait l’institution du mariage.

Les Pays-Bas

Les Pays-Bas ont adopté une loi sur l’enregistrement des unions libres qui est entrée en vigueur en 1998, et le pays s’oriente maintenant vers la légalisation du mariage entre homosexuels. Le niveau élevé d’acceptation des unions libres enregistrées au sein de la population en général est frappant. Il existait chez les universitaires, les fonctionnaires gouvernementaux, les défenseurs des droits des gais et les étudiants que j’ai interviewés en novembre 1998 un consensus général selon lequel la loi sur l’enregistrement des unions libres était largement acceptée. Cette acceptation découle en partie d’un processus de réforme basé sur une concertation descendante et elle reflète également l’importante valeur accordée à l’égalité et à la tolérance morale dans les Pays-Bas.

Comme dans presque toutes les autres cultures juridiques occidentales, la loi sur l’enregistrement des unions libres a rencontré une opposition religieuse et morale. Après l’adoption de la loi, un fonctionnaire a refusé d’enregistrer un couple homosexuel parce qu’il était moralement opposé à une telle union. (Le registrateur d’Amsterdam, E. Greuzige, a affirmé que tout fonctionnaire qui refusait d’enregistrer une union libre devrait se trouver un autre emploi). Les personnes que j’ai interviewées ont émis des opinions diverses quant à l’importance du facteur de la religion dans les débats relatifs à la reconnaissance juridique des unions libres. La légalisation projetée du mariage entre homosexuels peut générer une controverse supplémentaire sur le plan religieux ou pour d’autres motifs. Une personne m’a parlé d’un professeur de droit qui a annoncé que si le mariage entre homosexuels était légalisé, il divorcerait de sa femme parce que les mariages hollandais seront en quelque sorte dévalués. Certaines des personnes que j’ai interviewées, tout en se disant résignées à ce type de mariage, ont exprimé leur inquiétude au sujet de sa compatibilité avec les normes internationales. Mais la plupart ont convenu qu’il serait généralement accepté.

Les débats sur les mariages entre homosexuels aux Pays-Bas s’articulent autour des questions de discrimination, de filiation et de conformité aux normes internationales. La mise en œuvre du mariage entre homosexuels vise à éliminer la discrimination contre ces couples. Toutes les personnes avec lesquelles j’ai parlé ont convenu que la légalisation du mariage entre homosexuels est une mesure symbolique qui n’influera pas sur les droits et obligations des couples hétérosexuels. L’enregistrement des unions libres et les autres réformes juridiques ont accordé presque tous les droits et obligations des couples hétérosexuels aux couples homosexuels. Les quelques distinctions restantes entre les unions libres enregistrées et le mariage (p. ex., les partenaires enregistrés ne peuvent adopter un enfant de l’extérieur des Pays-Bas) demeureront, même après la légalisation du mariage entre homosexuels.

La loi hollandaise sur l’enregistrement des unions libres est entrée en vigueur le 1er janvier 1998. À partir de cette date, les couples homosexuels ou hétérosexuels qui souhaitaient officialiser légalement leur relation avaient à tout le moins deux options : l’union libre enregistrée ou le contrat de cohabitation. Les couples hétérosexuels ont également l’option du mariage. La possibilité pour les couples hétérosexuels de se prévaloir de l’union libre enregistrée a suscité une certaine désapprobation parmi les autres pays européens qui, de façon générale, favorisaient davantage le modèle nordique qui ne permettait que l’enregistrement des couples homosexuels. La plupart des pays européens ont semblé accepter l’enregistrement des unions libres pour les couples homosexuels afin d’éliminer la discrimination, mais ils ont fait valoir que les couples hétérosexuels ont le droit de se marier et qu’ils devraient le faire s’ils veulent obtenir les obligations et droits conjugaux. Les Hollandais ont décidé que l’option de l’union libre enregistrée (et celle du mariage également, éventuellement) devrait être également offerte aux couples homosexuels ou hétérosexuels et ont exprimé le point de vue selon lequel leur modèle fonctionnait bien sur le plan pratique.

Tout comme dans les pays nordiques, en Hollande, l’union libre enregistrée et le mariage sont presque équivalents. Un contrat de cohabitation se distingue entièrement de l’union libre enregistrée ou du mariage et ne réglemente que les éléments convenus par les deux parties. Dans une union libre enregistrée ou un mariage, les droits et obligations du couple sont en grande partie établis par la loi. Par exemple, l’obligation de fournir des aliments s’applique automatiquement dans le cas d’une union libre enregistrée ou d’un mariage. Par contre, les parties à un contrat de cohabitation décident elles-mêmes si elles souhaitent prendre des dispositions à l’égard des aliments. Une union libre enregistrée entraîne des conséquences juridiques pour les partenaires, l’un envers l’autre et à l’égard d’autres personnes. Par exemple, un partenaire enregistré ne peut être contraint à témoigner en cour contre son partenaire. Un contrat de cohabitation n’a de conséquence juridique que pour les deux parties signataires. Il n’existe aucune conséquence relativement à d’autres personnes. Le contrat peut toutefois être accepté par d’autres à titre de preuve de cohabitation, aux fins d’un fonds de pension, à titre d’exemple.

Les statistiques sur les unions libres enregistrées révèlent que de nombreux couples hétérosexuels et homosexuels ont choisi cette forme d’union. L’enregistrement est possible depuis la mi-janvier 1998, quoique l’enregistrement ait été permis au cours de la première semaine de 1998 pour certains malades en phase terminale. Le nombre des enregistrements d’unions libres au cours des dix premiers mois figure ci-après.

Au cours de ces dix mois, environ 4 000 couples ont enregistré leur union dans les Pays-Bas. Presque 1 200 enregistrements visaient des couples de femmes (au Danemark il a fallu plus de six ans depuis la mise en application en 1989 pour atteindre un tel nombre) et un peu plus de 1 500 enregistrements visaient des couples d’hommes (au Danemark, il a fallu deux ans pour atteindre ce résultat). Un total d’environ 1 300 unions libres hétérosexuelles ont été enregistrées aux Pays-Bas (au Danemark, en Norvège, en Suède et en Islande, seuls les couples homosexuels peuvent enregistrer leur union). M. Waaldijk fait remarquer que, si vous tenez compte du fait que la population des Pays-Bas est trois fois plus importante que celle du Danemark, les unions libres enregistrées semblent jouir de la même popularité chez les hommes gais dans ces deux pays et être plus populaire chez les lesbiennes hollandaises que chez les lesbiennes danoises.

Unions libres enregistrées aux Pays-Bas durant les 10 premiers mois de 1998 :

MoisFemme/FemmeHomme/HommeFemme/HommeTotal
Janvier6511959243
Février119212159490
Mars120191191502
Avril173175149497
Mai146194145485
Juin146154138438
Juillet103143139385
Août106104106316
Septembre130124101355
Octobre9091104285
Total1198150712913996

Des données sur les caractéristiques, la motivation et les problèmes associés aux unions libres enregistrées ont été recueillies dans le cadre d’une étude fondée sur un examen sommaire de 153 unions libres enregistrées exécutée à la demande du ministère de la Justice. Les 153 unions libres étudiées ont été réparties également selon les trois catégories : homme/homme, femme/femme et homme/femme. Selon cette étude, les partenaires enregistrés sont moins religieux et plus instruits que la population en général. Leur revenu est également supérieur à celui de la moyenne. Pour environ la moitié des partenaires enregistrés, cette union était la première relation "officielle". Environ un tiers avaient déjà été mariés et avaient divorcé et la plupart avaient déjà cohabité avant de s’engager dans une union libre enregistrée. Environ 30 % des familles étudiées comptaient des enfants. Près de 80 % des partenaires de même sexe ont signalé qu’ils se seraient mariés plutôt que d’enregistrer leur union libre s’ils avaient pu, et 62 % ont dit qu’ils convertiraient leur union libre en mariage si cette option leur était offerte. Les couples de l’étude ont jugé que l’ouverture du mariage aux couples homosexuels constituait un symbole d’égalité totale.

Selon l’étude du Ministère, plus de la moitié des partenaires enregistrés ont déclaré avoir enregistré leur union principalement pour des raisons d’ordre financier ou pratique, comme l’héritage, la pension ou l’achat d’une maison. Quant aux considérations émotives, la reconnaissance mutuelle était plus importante pour les couples hétérosexuels. Pour les couples homosexuels, la reconnaissance de la société constituait également un facteur émotif important. Plus de 20 % des partenaires enregistrés ont signalé que leur décision de s’enregistrer n’était motivée par aucune considération émotive. La plupart des partenaires enregistrés ont affirmé avoir obtenu de l’information au sujet des conséquences juridiques de l’enregistrement, mais il a été constaté que, en réalité, la plupart d’entre eux n’étaient pas très bien informés. L’étude a révélé très peu de problèmes relatifs aux unions libres enregistrées. Les problèmes existants sont liés au manque de connaissance à ce sujet de la part de la société en général et des autorités gouvernementales en particulier.

Le rapport de la commission Kortmann sur l’ouverture du mariage civil aux personnes homosexuelles (La Haye, octobre 1997), a recommandé, par une majorité de cinq contre trois, de permettre aux couples homosexuels de se prévaloir du mariage civil. Les Pays-Bas s’orientent maintenant vers la légalisation du mariage entre homosexuels d’ici le 1er janvier 2001.

Le 1er janvier 1999, Kees Waaldijk, membre de la Commission Kortmann, a fourni les renseignements suivants sur les progrès réalisés en Hollande. Le 13 novembre 1998, le Cabinet hollandais a approuvé un projet de loi visant à permettre l’adoption par des partenaires de même sexe. Le 11 décembre 1998, le Cabinet hollandais a approuvé un projet de loi permettant le mariage des couples homosexuels. Le texte de ces projets de loi n’a pas encore été rendu public. Ils sont tout d’abord envoyés au Conseil d’État pour avis. Le Conseil d’État devrait faire connaître son avis, important mais non exécutoire, aux environs de la fin mars 1999. Selon le contenu de l’avis, le gouvernement prendra ensuite plusieurs semaines avant de présenter les projets de loi au Parlement. Ce n’est qu’à ce moment là qu’ils deviendront publics. Avec la présentation de ces projets de loi, le gouvernement actuel de coalition libéral-socialiste-démocrate n’aura tardé que de quelques mois à s’acquitter de son engagement de mettre en œuvre le mariage pour les couples homosexuels comme il l’avait annoncé dans son programme de juillet 1998. La procédure parlementaire d’approbation des projets de loi prendra au moins un an, et il n’est pas certain que les projets de loi seront effectivement adoptés.

Le communiqué du Cabinet du 11 décembre 1998 révèle certains détails au sujet du projet de loi sur le mariage. La seule différence juridique entre le mariage entre personnes de même sexe et entre personnes de sexe différent mentionnée dans le communiqué porte sur la paternité : la conjointe d’une femme mariée qui porte un enfant ne sera pas réputée être le "père" de l’enfant (tandis que son conjoint de sexe masculin serait le "père", même en l’absence d’un lien biologique entre lui et l’enfant). Toutefois, la conjointe devrait normalement pouvoir adopter l’enfant.

Selon le communiqué du Cabinet du 13 novembre 1998, l’adoption par des partenaires de même sexe sera possible, peu importe que ceux-ci soient mariés ou que leur union soit enregistrée. Les adoptions internationales sont exclues du projet de loi. (Le 1er octobre 1998, la Loi sur l’adoption internationale de la Convention de La Haye, est entrée en vigueur aux Pays-Bas; elle ne permet que les adoptions par deux personnes mariées, ou par une seule personne, célibataire ou vivant en union libre.) Selon les dispositions de la Loi sur l’adoption internationale, les couples homosexuels qui souhaitent adopter un enfant doivent satisfaire au même critère que les couples hétérosexuels.

Le communiqué du Cabinet du 11 décembre 1998 indique que les unions libres enregistrées ne seront pas abolies même après l’introduction du mariage entre homosexuels. Elles continueront d’exister parallèlement au mariage des homosexuels et des hétérosexuels pendant au moins cinq ans. Les couples qui ont déjà enregistré leur union libre (4 000 couples l’ont fait au cours des dix premiers mois de l’année, dont 1 500 couples d’hommes et 1 200 couples de femmes) pourront convertir leur union libre en mariage.

Espagne

En juillet 1998, la Catalogne, région autonome de l’Espagne, a promulgué la Stable Couples Act, qui est entrée en vigueur en octobre 1998. Cette loi accorde certains droits et obligations de nature conjugale aux couples hétérosexuels et homosexuels enregistrés ou aux couples hétérosexuels qui ont vécu ensemble pendant deux ans ou qui ont eu un enfant ensemble. En décembre 1998, la Catalogne a également promulgué une loi sur la cohabitation pour les personnes qui se fournissent une aide mutuelle sans vivre dans une relation conjugale ou être mariées. La loi s’applique aux frères et sœurs, aux adultes qui prennent soin de leurs parents ou à des amis qui sont liés par l’affection et le soutien mutuels, autrement dit, aux unions non conjugales mais affectives et interdépendantes entre adultes. Pour se prévaloir des dispositions de la loi, les parties doivent avoir établi leur union par contrat notarié ou acte public ou doivent avoir vécu ensemble pendant au moins trois ans. La loi stipule certains droits et obligations relativement au soutien, à l’occupation de la maison après le décès du propriétaire, à la division des biens et à la compensation pour ce qui pourrait constituer un enrichissement sans cause. La loi vise à protéger les parties vulnérables et à réaliser une certaine équité dans les cas de dépendance financière.

Entre-temps, diverses propositions sur l’enregistrement des unions libres ont été présentées au Congrès national de l’Espagne au cours des dernières années. Les arguments qui sous-tendent les propositions reposent sur le principe de l’égalité. Le Tribunal constitutionnel d’Espagne a rendu des jugements accordant des droits aux partenaires de même sexe, mais il a déclaré qu’il n’existait pas d’obligation constitutionnelle de traiter de la même façon les unions entre homosexuels et le mariage. Les partis de gauche ont présenté au Parlement national des propositions sur l’enregistrement des unions libres mais le Congrès les a rejetées. Le gouvernement a, depuis, présenté son propre projet de loi qui ne va pas aussi loin que les propositions rejetées pour ce qui est d’accorder le même statut au mariage et aux unions libres enregistrées. Le projet de loi du gouvernement réglementerait les contrats de cohabitation mais laisserait les parties libres d’établir les conséquences de leur relation quant aux biens, à la pension alimentaire et à l’héritage. Le projet de loi accorderait des avantages de droit public dans les secteurs de la fiscalité, de la sécurité sociale, des pensions et de l’habitation aux personnes qui ont conclu un contrat de cohabitation.

France

La France envisage d’adopter un régime légal pour les couples vivant en union libre depuis 1990. Le concept du "contrat d’union civile" (CUC) a été élaboré en 1991 et présenté à l’Assemblée nationale de France en 1992, mais n’a pas été promulgué. Le régime du CUC aurait fourni un statut quasi-conjugal aux couples hétérosexuels enregistrés et aux couples homosexuels vivant ensemble. Depuis le début des années 90, des propositions semblables, toutes désignées par leurs acronymes phonétiques, ont été présentés : le contrat d’union libre (CUL), le contrat d’union sociale (CUS), le contrat d’union civile et sociale (CUCS), et le pacte d’intérêt commun (PIC).

Au cours de l’automne 1998, l’Assemblée nationale a débattu une nouvelle proposition visant à étendre les avantages, droits et obligations à tous les couples enregistrés qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé. Il s’agit du "PACS", soit le pacte civil de solidarité. En dépit de plusieurs années de débats et de discussions sur l’opportunité d’accorder un statut juridique aux couples qui vivent ensemble, l’initiative du PACS a été très controversée et vigoureusement contestée par l’Église catholique et les conservateurs. L’opposition à l’Assemblée nationale était dirigée par Christine Boutin qui a fait valoir que le PACS sanctionnerait de fait le mariage entre homosexuels et saperait la famille. L’Assemblée nationale a finalement approuvé le PACS le 9 décembre 1998. Il doit maintenant être entériné par le Sénat avant d’être retourné à l’Assemblée nationale pour une dernière lecture.

La loi sur le PACS rendrait équivalente dans une large mesure la situation des conjoints et des concubins. Elle accorderait une reconnaissance juridique aux couples en cohabitation, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, en leur permettant de déposer des déclarations de revenu conjointes, de partager des droits patrimoniaux communs et de bénéficier des mêmes droits que les couples mariés en ce qui a trait au bien-être social et aux successions.

Compte tenu de la controverse entourant la présentation du "PACS", il ne semble guère vraisemblable que les mariages entre homosexuels seront légalisés en France dans un proche avenir. Même ceux qui prônent l’égalité des droits pour les couples homosexuels ne préconisent pas le mariage de ces couples. La sociologue Irène Théry, très influente auprès du gouvernement français actuel, a donné son appui à l’élimination de la discrimination à l’égard des couples homosexuels. Toutefois, en ce qui a trait à la filiation et au mariage, elle a sans cesse répété que les distinctions n’équivalent pas toutes à de la discrimination. Dans son témoignage devant le Sénat sur la réforme du droit de la famille, elle a exprimé le point de vue suivant :

En matière de filiation ou de mariage, je ne crois pas que le fait de le considérer comme un lien entre un homme et une femme soit une discrimination à l’égard des couples du même sexe. C’est une distinction qui a du sens, la différence des sexes en ayant un.

Suisse

La Suisse est mentionnée brièvement dans le présent document comme un exemple d’un pays européen plus traditionnel en ce qui a trait au mariage et aux unions libres. Les avantages, les droits et les obligations du mariage ne sont pas étendus aux conjoints de fait, le point de vue qui prévaut étant que les personnes qui ne souhaitent pas se marier ne devraient pas être assujetties aux droits ou aux devoirs des époux. Les parties non mariées peuvent structurer leur union par des contrats, des testaments ou les règles du droit des biens; de plus, selon les dispositions du Code fédéral suisse des obligations, l’union d’un couple non marié peut constituer une société de personnes si elle repose sur une relation contractuelle destinée à réaliser, par des efforts et des moyens conjoints, des objectifs mutuellement convenus. La Suisse se rend compte qu’elle devra aborder la question de la reconnaissance des unions libres enregistrées à l’étranger ou des droits de cohabitation, le cas échéant, mais à l’instar de la plupart des autres pays européens, elle n’a pas encore décidé de quelle façon elle abordera les questions de droit international privé. La Suisse examine actuellement ses lois nationales, mais il y a peu de chances que des réformes soient présentées dans un proche avenir.

B. États-Unis

Cette analyse de la situation aux États-Unis s’articule autour des débats sur le mariage et les unions libres enregistrées entre personnes de même sexe et de la tentative de susciter un retour au mariage "traditionnel" en remettant en vigueur l’exigence de l’établissement de la faute conjugale pour obtenir un divorce.

Aux États-Unis, les personnes qui préconisent l’élargissement des droits et obligations pour les couples de même sexe ont eu recours aux tribunaux, et les groupes d’intérêt privés ainsi que les organisations religieuses y jouent un rôle plus important que dans les autres pays. L’autre aspect frappant du droit familial et de l’élaboration des politiques aux États-Unis est le recours au référendum constitutionnel. Au cours des élections de novembre 1998, les électeurs des États d’Alaska et d’Hawaii ont voté pour modifier la constitution de l’État pour empêcher définitivement le mariage des couples homosexuels. Ici encore, les groupes d’intérêt et les organisations religieuses ont joué un rôle actif dans ces référendums. L’élaboration du droit familial et des politiques dans le contexte des poursuites judiciaires et des référendums, compte tenu de la participation acharnée des groupes d’intérêt et des organisations religieuses, constitue un processus adversatif qui a donné lieu à une polarisation. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de compromis. Hawaii, cédant à la pression d’une légalisation possible du mariage entre homosexuels en conséquence de l’affaire Baehr v. Miike, a promulgué une loi sur les "bénéficiaires réciproques" qui accorde certains droits et avantages à des couples enregistrés qui ne peuvent s’épouser légalement. Cette loi a constitué la contrepartie nécessaire à la promulgation de la modification de la constitution sur laquelle les électeurs se sont prononcés en novembre 1998. Mike Gabbard, président de l’Alliance for Traditional Marriage, a accepté la loi sur les bénéficiaires réciproques parce que la principale préoccupation à l’époque consistait à veiller à ce que la modification constitutionnelle soit acceptée pour que le mariage entre homosexuels puisse être banni. Il était d’avis que : [traduction] "Selon les réalités politiques, il est manifeste que, à ce point-ci, nous n’obtiendrons pas la modification constitutionnelle à moins de concéder ces avantages".

Une question à l’égard de laquelle les législateurs américains se sont montrés proactifs est la reconnaissance intergouvernementale des mariages entre personnes du même sexe. Au cours des cinq dernières années, 30 États ont promulgué des lois qui limitent expressément le mariage aux couples de sexe opposé, et presque toutes ces lois stipulent la non-reconnaissance des mariages étrangers entre homosexuels. Le gouvernement fédéral a également édicté la loi Defense of Marriage Act. Cette loi définit le mariage comme étant l’union entre personnes hétérosexuelles aux fins de l’impôt fédéral, des pensions et des autres prestations, et a été expressément conçue de façon à prémunir les États contre l’obligation de reconnaître les mariages entre personnes homosexuelles par l’application de la clause de reconnaissance totale inscrite dans la constitution américaine.

Avant novembre 1998, il existait, à Hawaii, une réelle possibilité de légalisation du mariage entre homosexuels. En 1993, la Cour suprême d’Hawaii a décidé dans Baehr v. Lewin que la loi sur le mariage de l’État contrevenait à la clause de protection égale de la constitution de l’État en restreignant le mariage aux parties de sexe opposé et que sa constitutionnalité devrait être déterminée selon la norme de l’examen rigoureux. Lorsque la cause a été entendue sur renvoi, l’État a fait valoir qu’il avait un intérêt déterminant à protéger la santé et le bien-être des enfants et des autres personnes; à promouvoir la procréation dans un cadre conjugal; à veiller à ce que les mariages hawaiiens soient reconnus sur les autres territoires; à protéger la fiscalité de l’État des effets raisonnablement prévisibles de l’approbation par l’État des mariages entre homosexuels par rapport aux lois d’Hawaii; à protéger les libertés civiles, y compris les effets raisonnablement prévisibles de l’approbation de l’État des mariages entre homosexuels sur ses citoyens. Le juge Chang de la Cour de circuit a rejeté les arguments de l’État et a décidé que ce dernier n’avait pas établi l’existence d’un intérêt déterminant à exclure les couples homosexuels du mariage ou que la loi contestée était étroitement libellée pour éviter une réduction inutile des droits constitutionnels. La cause de l’État et la décision du juge Chang étaient en grande partie axées sur l’argument selon lequel les couples homosexuels devraient être exclus du mariage parce qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant d’être élevé par couple homosexuel. Le juge Chang a examiné à fond l’importante preuve d’experts sur les répercussions pour les enfants du fait d’être élevés par un couple d’homosexuels et a conclu que l’argument de l’État sur ce point était insoutenable. L’appel de la cause Baehr v. Miike à la Cour suprême d’Hawaii est en suspens, mais les événements subséquents lui ont fait perdre sa raison d’être.

Au printemps 1997, pendant que l’affaire Baehr v. Miike était devant la Cour suprême d’Hawaii, l’Assemblée législative d’Hawaii a adopté une loi modifiant la constitution afin de lui permettre de limiter le mariage aux couples de sexe opposé. La modification constitutionnelle proposée a été présentée à l’approbation des électeurs en novembre 1998 et a été adoptée par une majorité des deux tiers. Une modification constitutionnelle semblable a été approuvée par une vaste majorité d’électeurs en Alaska en réponse à une contestation constitutionnelle relative à la restriction du mariage aux couples hétérosexuels.

Dans la foulée des modifications constitutionnelles adoptées par les États d’Hawaii et d’Alaska, aujourd’hui le mariage entre homosexuels aux États-Unis ne semble être, au mieux, qu’une possibilité lointaine et faible; par ailleurs, l’union libre enregistrée a gagné du terrain. Le législateur d’Hawaii a promulgué la loi sur les "bénéficiaires réciproques" qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1997. Même si l’enregistrement des unions libres fait l’objet de propositions aux États-Unis depuis 1965, Hawaii a été le premier État américain à édicter une telle loi.

Les municipalités ont également créé des lois sur l’enregistrement des unions libres pour des questions relevant de leurs compétences, par exemple, l’habitation, les prestations pour les employés municipaux et les conditions relatives aux parties qui soumissionnent des contrats municipaux. San Francisco célèbre même des "mariages" pour officialiser l’enregistrement des unions libres dans la municipalité.

L’article 2 de la loi hawaiienne sur les bénéficiaires réciproques énonce les "constatations" suivantes :

[Traduction]

Le Parlement constate que le peuple d’Hawaii souhaite préserver la tradition du mariage à titre d’institution sociale unique fondée sur l’union engagée d’un homme et d’une femme. Le Parlement conclut également que, en raison de sa situation unique, le mariage donne accès à une multiplicité de droits et d’avantages prévus dans nos lois et qui sont conditionnelles à ce statut. À ce titre, le mariage devrait faire l’objet de restrictions comme celles qui interdisent aux personnes apparentées de contracter un mariage valide, p. ex., frère et sœur, qu’il s’agisse de parents germains ou unilatéraux, oncle et nièce, tante et neveu.

Par ailleurs, le Parlement reconnaît aussi que de nombreuses personnes entretiennent des liens personnels, émotifs et économiques importants avec une autre personne et qu’elles ne peuvent se marier en raison de ces restrictions légales, par exemple, deux personnes apparentées, comme une mère veuve et son fils non marié, ou deux personnes du même sexe. Par conséquent, nous estimons que certains droits et avantages actuellement offerts uniquement aux couples mariés devraient être disponibles pour les couples composés de deux personnes qui ne peuvent légalement s’épouser.

L’article 5 de la loi impose les conditions suivantes aux personnes qui veulent s’engager dans une relation de bénéficiaires réciproques : chaque partie doit être âgée d’au moins 18 ans; aucune partie ne doit être mariée ou partie à une autre relation de bénéficiaires réciproques; les parties doivent être assujetties à une interdiction légale de se marier; chaque partie doit avoir consenti librement à la relation de bénéficiaire réciproque, en l’absence de toute force, contrainte ou fraude; chaque partie doit signer une déclaration de relation de bénéficiaires réciproques. L’article 7 stipule que chaque partie peut mettre fin unilatéralement à cette relation en tout temps.

Aux termes de la loi hawaiienne, les couples non conjugaux, par exemple deux sœurs, peuvent s’inscrire à ce titre, mais les couples hétérosexuels qui souhaiteraient s’inscrire comme bénéficiaires réciproques plutôt que de se marier ne peuvent le faire. Cet aspect de la loi hawaiienne la différencie de la loi sur l’enregistrement des unions libres dans les pays nordiques qui permet seulement l’enregistrement des couples de même sexe non visés par les degrés prohibés et de la loi hollandaise qui permet uniquement l’enregistrement des couples hétérosexuels ou de même sexe non visés par les degrés prohibés.

La loi accorde aux bénéficiaires réciproques des droits et obligations de nature conjugale qui relèvent de la compétence de l’État, y compris les droits et obligations en matière d’assurance-santé, des visites dans les hôpitaux, de décisions relatives aux soins de santé, de polices d’assurance, de successions, de prestations de décès et de congé de deuil. La loi prévoit l’inclusion des enfants mineurs à charge d’un bénéficiaire réciproque dans la protection-santé familiale et dans les polices d’assurance. Les obligations et droits conjugaux créés par le régime des bénéficiaires réciproques à Hawaii sont beaucoup moins importants que ceux qui sont accordés aux couples homosexuels au Danemark, en Suède ou en Hollande, partiellement à cause de la résistance à un régime plus étendu et aussi parce que Hawaii, à titre d’État membre d’une fédération, est restreinte aux questions qui relèvent de sa compétence législative. Après que les Hawaiiens eurent ratifié la modification constitutionnelle permettant au législateur de l’État d’interdire le mariage entre homosexuels, le gouverneur de l’État, Ben Cayetano, a annoncé qu’il préconiserait l’adoption d’une loi élargie sur l’enregistrement des unions libres, mentionnant que c’était la meilleure façon de mettre fin au débat scissionniste sur le mariage entre personnes de même sexe.

Le soutien financier de la part des membres de la famille, les prestations gouvernementales ainsi que les prestations d’emploi liées au mariage ou aux unions libres sont importants pour les Américains. La population américaine est plus stratifiée sur le plan économique que celle du Canada ou de tous les autres pays industrialisés. Le Rapport sur le développement humain des Nations Unies de 1998 comprend un nouvel indice de pauvreté des pays industrialisés qui montre qu’environ 7,17 % de la population des pays industrialisés est pauvre et que les niveaux de privation ont peu à voir avec le revenu moyen du pays. Les États-Unis qui enregistrent le revenu moyen le plus élevé des pays classés comptent la plus importante proportion de la population vivant dans la pauvreté. Les Pays-Bas, dont le revenu moyen est semblable à celui du Royaume-Uni, ont le plus faible taux de pauvreté humaine, tandis que celui du Royaume-Uni figure parmi les plus élevés. Le taux du Canada s’inscrit entre celui des États-Unis et des Pays-Bas. Les États-Unis ne possédant pas de régime de soins de santé universel, l’occasion de bénéficier d’une protection d’assurance-maladie par l’intermédiaire d’un partenaire peut, par conséquent, revêtir plus d’importance aux États-Unis qu’au Canada où les personnes seules ont déjà accès à leur propre régime d’assurance-santé gouvernemental.

Bon nombre d’États américains ont vigoureusement résisté à la reconnaissance légale des unions libres, plus particulièrement en ce qui a trait à la cohabitation des personnes de même sexe. Partiellement à cause de cette résistance et partiellement à cause des préoccupations au sujet de l’impact négatif de l’échec du mariage sur les enfants, certains États ont adopté des mesures visant à renforcer le mariage traditionnel.

En Louisiane, le "mariage covenant" a été adopté en 1997, et l’Arizona a adopté une loi semblable le 21 août 1998. Le mariage covenant constitue une forme de mariage plus contraignante que le mariage "régulier". Les personnes qui contractent un mariage covenant doivent d’abord participer à une session de counselling. Les motifs de divorce d’un mariage covenant sont plus rigides, et les parties signent un covenant qui prévoit une consultation matrimoniale antérieure à toute mesure en vue d’un divorce, des dommages-intérêts en cas de violation de l’engagement de participer au counselling et le rejet de l’action en divorce s’il n’y a pas eu de counselling.

Le mariage covenant a été présenté comme un antidote aux taux élevés de divorce, mais les analystes de la loi ont exprimé de sérieuses réserves au sujet de son efficacité à cet égard et au sujet de ses conséquences involontaires. Voici une des critiques formulées à l’endroit du mariage covenant :

[Traduction]

Le counselling prémarital qu’il exige est trop superficiel pour signaler au couple ses incompatibilités, et le counselling matrimonial forcé pour les couples mariés qui éprouvent des difficultés conjugales s’est révélé, dans le passé, incapable de prévenir le divorce. De plus, le système de divorce de la loi, plus difficile et plus long, rappelle celui qui était en place aux cours des années 70 lorsque les taux de divorce étaient en réalité plus élevés qu’aujourd’hui. Les mêmes techniques d’évitement utilisées alors pourront encore l’être aujourd’hui par ceux qui choisissent les mariages covenants. L’improbabilité que la loi atteigne son objectif ne signifie pas toutefois que ses effets sont neutres. Les dispositions relatives au counselling matrimonial, si elles sont considérées comme une exigence, pourraient mettre à risque les époux violentés, et ses règles de divorce augmenteront l’aspect conflictuel, le caractère litigieux et les coûts du divorce.

Les préoccupations soulevées au sujet de la violence conjugale et de l’amplification du conflit et des dépenses méritent d’être examinées attentivement. Le scepticisme à l’égard de l’effet d’un mariage covenant sur les taux de divorce est cohérent avec les études montrant qu’il n’existe aucun lien entre la sévérité ou l’indulgence de la Loi sur le divorce et l’incidence des échecs du mariage. Il importe également de souligner que les rédacteurs de la loi sur le mariage covenant se sont très peu penchés sur les questions de droit international privé, et il n’est pas certain que les restrictions sur le divorce seraient appliquées par un État frère ou un pays étranger ayant la compétence d’accorder un divorce.

Les initiatives américaines susmentionnées fournissent aux réformateurs du droit des modèles discutables. Il y a peu de chances que la loi sur le mariage covenant adoptée par la Louisiane réussisse à réduire les taux de divorce ou à en améliorer les résultats pour les enfants. Il est également improbable que les processus adoptés pour répondre aux revendications des personnes vivant dans des unions homosexuelles généreront des niveaux élevés de consensus ou de cohésion sociale. Les tentatives de réforme du droit relatives aux couples de même sexe ont été très controversées aux États-Unis, les débats extrêmement polarisés sans que des progrès significatifs aient été accomplis. Les pays européens offrent des modèles plus utiles de processus de réforme susceptibles de générer un consensus et des lois qui sont adaptées aux tendances démographiques et aux valeurs sociales actuelles et qui soutiennent plus efficacement les objectifs de l’État.

VII. CONCLUSIONS ET QUESTIONS DEVANT FAIRE L’OBJET
D’UNE RECHERCHE PLUS POUSSÉE
Retour table des matières

[Traduction]

Il est essentiel de veiller à ce que, dans notre quête d’une solution de rechange à l’unique catégorie culturelle, "la famille", nous ne la remplacions pas à notre insu par d’autres qui sont tout autant des produits d’une époque et d’un lieu particuliers.

L’objectif du présent rapport consistait à fournir un cadre conceptuel à d’autres recherches en profondeur et de générer des recommandations de réformes du droit relatives aux questions jugées incompatibles avec les valeurs et objectifs actuels. Dans certains secteurs de compétence, les sujets relatifs à la cohabitation, aux unions libres enregistrées et au mariage entre homosexuels s’articulent autour de la question de savoir si les droits et obligations du mariage peuvent être étendus aux couples vivant en union conjugale. Cependant, il y aurait lieu d’entreprendre un examen plus large du droit et de la politique sur la famille. Plutôt que de simplement étendre les droits et obligations du mariage ou des conjoints de fait aux couples homosexuels, le Canada devrait se demander si son projet de privilégier à la fois le mariage et les autres unions conjugales est cohérent avec les valeurs sociales actuelles et les intérêts légitimes de l’État.

Axer le soutien gouvernemental sur les couples vivant en union conjugale, mariés ou non, hétérosexuels ou homosexuels, peut constituer une façon indirecte de soutenir les familles qui ont développé une interdépendance économique ou élevé des enfants ensemble. L’État peut-il ou devrait-il cibler plus précisément son soutien, voilà une question de politique sociale qui devra être envisagée. Il se peut que le mariage, l’enregistrement et la cohabitation constituent les seules "caractéristiques" que l’État pourrait raisonnablement dégager et qu’il serait simplement trop difficile de diriger les prestations en s’appuyant sur le fait que la famille remplit les fonctions que l’État a un intérêt légitime à soutenir.

Le résultat de mes recherches semble indiquer que les questions suivantes pourraient faire l’objet d’un examen plus détaillé afin d’élaborer une stratégie cohérente de réforme du droit relative au mariage et aux unions libres :

a) quelles sont les données que Statistique Canada devrait recueillir en relation avec les couples homosexuels et les adultes vivant en union affective et interdépendante mais non conjugale, et comment faudrait-il définir la "famille de recensement";

b) faudrait-il étendre davantage les obligations et droits conjugaux aux couples hétérosexuels et homosexuels;

c) faudrait-il étendre les obligations et droits conjugaux aux adultes vivant en union affective et interdépendante mais non conjugale;

d) l’État devrait-il continuer à soutenir les couples, vivant en union conjugale ou autrement, ou individualiser davantage les prestations et lier les droits et obligations d’ordre familial à la responsabilité pour les enfants à charge;

e) l’État devrait-il maintenir ou modifier son rôle dans la réglementation du mariage et du divorce;

f) un régime d’enregistrement des unions libres devrait-il être adopté;

g) quels droits et obligations de nature conjugale devraient être assujettis à l’enregistrement ou au mariage et lesquels ne devraient dépendre que de la cohabitation;

h) faudrait-il légaliser le mariage entre homosexuels;

i) les questions de droit international privé relatives aux unions libres enregistrées et au mariage entre homosexuels, notamment (i) dans quelle mesure le Canada devrait-il reconnaître les unions libres enregistrées à l’étranger, les droits de cohabitation ou les mariages entre homosexuels; (ii) dans quelle mesure les unions libres enregistrées au Canada, les droits de cohabitation ou le mariage entre homosexuels seraient-ils reconnus par les États étrangers; (iii) si le Canada remplace le mariage civil par des unions libres enregistrées et, selon le choix des parties, par le mariage religieux, les États étrangers seraient-ils disposés à reconnaître les unions libres enregistrées.

Je résumerai brièvement mes idées générales sur ces questions. La gamme totale des obligations, droits et avantages conjugaux devrait être offerte aux couples homosexuels dans un régime d’union libre enregistrée. Il y aurait peut-être lieu de faire certaines exceptions à l’égard des questions internationales. Cette recommandation repose sur le principe de l’égalité, sur le respect de l’autonomie et sur la liberté de choix des couples homosexuels, ainsi que sur l’intérêt qu’a l’État à soutenir les familles et à promouvoir la cohésion sociale. Les couples hétérosexuels ont actuellement la possibilité d’obtenir toute la gamme des obligations et droits conjugaux par le mariage. Il faudrait également se demander s’ils devraient pouvoir obtenir le même résultat au moyen d’un régime d’union libre enregistrée. La plupart des pays qui ont adopté ce régime en limitent l’application aux couples homosexuels dans le but d’éliminer le problème de discrimination à l’égard de tels couples. La question de savoir si l’enregistrement des unions libres devrait jouer un rôle plus important à titre d’option supplémentaire offerte aux couples hétérosexuels pourrait être examinée.

Les couples qui décident de ne pas se marier ou de ne pas enregistrer leur union libre ne devraient pas avoir droit à l’ensemble des obligations et droits conjugaux, mais certains avantages, fardeaux, droits et obligations pourraient continuer d’être étendus aux couples vivant en union libre non enregistrée, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, afin de protéger les parties vulnérables et diminuer les dépenses publiques relatives aux prestations sociales. La différence entre les prestations, les fardeaux, les droits et obligations associés aux mariages ou aux unions libres enregistrées et ceux associés aux couples en cohabitation devrait être comparable à la différence entre l’évaluation des dommages-intérêts fondée sur le profit espéré" en matière contractuelle lorsque les parties ont volontairement assumé une obligation et l’évaluation des dommages-intérêts fondée sur la "confiance" en matière délictuelle.

Une distinction entre le régime légal pour les couples mariés ou enregistrés et le régime des couples en union de fait respecterait dans une certaine mesure l’autonomie des parties tout en accordant une protection aux parties vulnérables. On pourrait soutenir que les parties qui n’ont pas assumé les responsabilités du mariage ou de l’union libre enregistrée ne devraient pas avoir droit à tous les avantages de ces unions, par exemple, le droit de parrainer son partenaire pour les fins de l’immigration. Les couples devraient pouvoir continuer de se prévaloir des ententes de cohabitation lorsqu’ils préfèrent structurer leur union de cette façon plutôt que par l’enregistrement, le mariage ou les règles "par défaut" en place pour les couples en union de fait.

Les adultes qui vivent ensemble dans une union non conjugale interdépendante et qui élèvent ensemble un enfant à charge devraient continuer de bénéficier de l’ensemble des prestations gouvernementales "familiales" disponibles à cause du lien parent-enfant. Que ces couples élèvent ou non un enfant à charge, la loi devrait leur accorder explicitement le droit de conclure une entente de cohabitation régissant leurs obligations et droits mutuels. Il y aurait lieu d’envisager d’étendre une certaine protection aux parties dépendantes dans une telle union, comme l’a fait la Catalogne dans sa "Mutual Assistance Act". Plus particulièrement, une certaine protection devrait être accordée contre la perte soudaine de soutien financier ou d’habitation résultant de la fin de l’union par le décès ou la séparation.

En dernier lieu, le mariage devrait être conservé tel quel pour l’instant, mais il faudrait envisager a) d’éliminer graduellement le mariage civil, d’établir un régime d’union libre enregistrée à titre de mécanisme destiné à conférer ce qui était auparavant l’état matrimonial et de laisser le mariage aux organisations religieuses; b) de légaliser le mariage entre homosexuels. L’élimination progressive du mariage civil est un élément qu’il faut envisager à long terme. Il n’existe aucun besoin urgent de s’orienter dans cette direction actuellement. De même, le mariage entre homosexuels constitue une question extrêmement controversée et de nombreux Canadiens ne sont pas encore prêts à envisager cette possibilité. Le gouvernement de l’Alberta, à titre d’exemple, a annoncé le 18 mars 1999 qu’il se prévaudrait de la clause nonobstant de la constitution pour empêcher la reconnaissance du mariage entre homosexuels. Si les Pays-Bas légalisent le mariage entre homosexuels, le reste du monde pourrait graduellement commencer à l’accepter, mais la plupart des observateurs estiment qu’il faudra beaucoup de temps. Actuellement, l’enregistrement des unions libres permet de régler le problème de la discrimination à l’égard des couples homosexuels et constituera vraisemblablement une solution plus acceptable que le mariage entre personnes de même sexe. Lorsque le gouvernement de l’Alberta a annoncé son opposition à ce type de mariage, il a du même coup annoncé qu’il prévoyait étudier le concept des "unions libres enregistrées". L’enregistrement des unions libres constitue probablement une solution plus généralement acceptable, à tout le moins provisoirement, pour régler le problème de la discrimination entre homosexuels que le mariage entre personnes de même sexe.

Table des lois Retour table des matières

A. Lois canadiennes

Fédéral

Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8

Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. 1985, ch. C-17

Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3

Loi sur la preuve au Canada, L.C. 1995, ch. 5

Règlements sur l’immigration, DORS/78-172

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1

Loi sur le mariage (degrés prohibés), L.C. 1990, ch. 46

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9

Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6

Loi sur le partage des prestations de retraite, L.C. 1992, ch. 46, annexe II

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-36

Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-11

Alberta

Alberta Evidence Act, R.S.A. 1980, ch. A-21

Alberta Health Care Insurance Regulations, Alta. Reg. 216/81

Alberta Income Tax Act, R.S.A. 1980, ch. A-3.1

Child Welfare Act, S.A. 1984, ch. C-8.1

Domestic Relations Act, R.S.A. 1980, ch. D-37

Employment Pension Plans Act, R.S.A. 1980, ch. E-10.05

Family Relief Act, R.S.A. 1980, ch. F-2

Insurance Act, R.S.A. 1980, ch. I-5

Intestate Succession Act, R.S.A. 1980, ch. I-9

Maintenance Order Act, R.S.A. 1980, ch. M-1

Matrimonial Property Act, R.S.A. 1980, ch. M-9

Members of the Legislative Assembly Plan Act, R.S.A. 1980, ch. M-12.5

Parentage and Maintenance Act, S.A. 1990, ch. P-O.7

Teachers’ Pension Plans Act, R.S.A. 1980, ch. T-1.5

Widows’ Pension Act, R.S.A. 1980, ch. W-7.5

Colombie-Britannique

Adoption Act,, R.S.B.C. 1996, ch. 5

Criminal Injury Compensation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 85

Estate Administration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 122

Evidence Act, R.S.B.C. 1996, ch. 124

Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128

Family Maintenance Enforcement Amendment Act, 1997, S.B.C. 1997, ch. 20

Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 181 (pas encore en vigueur)

Marriage Act, R.S.B.C. 1996, ch. 282

Medicare Protection Act, R.S.B.C. 1996, ch. 286, art. 1

Pension Benefits Standards Act, R.S.B.C. 1996, ch. 352

Pension (College) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 353

Pension Statutes Amendment Act (No. 2), S.B.C. 1998, ch. 40

Victims of Crime Act, R.S.B.C. 1996, ch. 478

Wills Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 490

Manitoba

Services à l’enfance et à la famille, L.M. 1985-1986, ch. 8

Pension de la fonction publique, L.M 1984-1985, ch. 22

Loi sur l’aide aux personnes à charge, L.M., 1989-1990, ch. 42

Loi sur l’obligation alimentaire, L.M. 1987, ch. F-20

Loi sur l’assurance-maladie, L.M. 1977, ch. 9

Loi sur la propriété familiale, L.M. 1992, ch. 46

Loi sur les successions ab intestate, L.M., 1989-1990, ch. 43

Loi sur la preuve au Manitoba, L.R.M. 1970, ch. E150

Loi sur les biens matrimoniaux, L.M. 1987, ch. M45

Loi sur les prestations de pension, L.M. 1997, ch. 15

Loi sur les testaments, L.M. 1982-1983, ch. 31

Terre-Neuve

Adoption of Children Act, R.S.N. 1990, ch. A-3

Advance Health Directives Act, S.N. 1995, ch. A-4.1

Automobile Insurance Act, R.S.N. 1990, ch. A-22

Children’s Law Act, R.S.N. 1990, ch. C-13

Evidence Act, R.S.N. 1990, ch. E-16

Family Law Act, R.S.N. 1990, ch. F-2

Family Relief Act, R.S.N. 1990, ch. F-3

Income Tax Act, R.S.N. 1990, ch. I-1

Intestate Succession Act, R.S.N. 1990, ch. I-21

Medical Care Insurance Act, R.S.N. 1990, ch. M-5

Pension Benefits Act, R.S.N. 1990, ch. P-4

Solemnization of Marriage Act, R.S.N. 1990, ch. S-19

Nouveau-Brunswick

Loi sur la dévolution des successions, L.R.N.B. 1973, ch. D-9

Loi sur la preuve, L.N.B. 1986, ch. E-11

Loi sur les services à la famille, L.N.B. 1980, ch. F-2.2

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.N.B. 1973, ch. I-2

Loi sur les assurances, L.R.N.B. 1973, ch. I-12

Loi sur les biens matrimoniaux, L.N.B. 1980, ch. M1.1

Loi sur le mariage, L.N.B. 1986, ch. M-3

Loi sur les prestations de pension, L.N.B. 1987, ch. P-5.1

Loi sur la provision pour personnes à charge, L.N.B. 1991, ch. P-22.3

Loi sur la pension de retraite des enseignants, L.R.N.B. 1973, ch. T-1

Territoires du Nord-Ouest

Loi sur la protection de l’enfance, L.R.T.N.O. 1988, ch. C-6

Loi sur les prestations des employés au service des collectivités, L.R.T.N.O. 1995, ch. 21

Loi sur l’aide aux personnes à charge, L.R.T.N.O. 1988, ch. D-4

Loi sur les relations familiales, L.R.T.N.O. 1988, ch. D-8

Loi sur la preuve, L.R.T.N.O. 1988, ch. E-8

Loi sur l’impôt sur le revenu, L.R.T.N.O. 1988, ch. I-1

Loi sur les assurances, L.R.T.N.O. 1988, ch. I-4

Loi sur les successions non testamentaires, L.R.T.N.O. 1988, ch. I-10

Loi sur les allocations de retraite des députés à l’Assemblée législative, L.R.T.N.O. 1988, ch. L-6

Loi sur le mariage, L.R.T.N.O. 1988, ch. M-4

Loi sur l’assurance-maladie, L.R.T.N.O. 1988, ch. M-8

Nouvelle-Écosse

Child and Family Services Act, S.N.S. 1990, ch. 5

Evidence Act, S.N.S. 1990, ch. 5

Family Maintenance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 160

Health Services and Insurance Act, S.N.S. 1992, c.20

Hospitals Act, R.S.N.S. 1989, ch. 208

Hospital Insurance Regulations, N.S. Reg. 148/90

Intestate Succession Act, R.S.N.S. 1989, ch. 236

Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, ch. 275

Medical Consent Act, R.S.N.S. 1989, ch. 279

Solemnization of Marriage Act, R.S.N.S. 1989, ch. 436

Wills Act, R.S.N.S. 1989, ch. 505

Ontario

Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11

Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, ch. C.12

Loi sur la preuve, L.R.O. 1990, ch. E.23

Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3

Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2

Loi sur l’assurance-santé, L.R.O. 1990, ch. H-6

Health Insurance Regulations, O. Reg. 410/96

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.O. 1990, ch. I-2

Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8

Loi sur le mariage, L.R.O. 1990, ch. M.3

Loi sur les régimes de retraite, L.O. 1997, ch. P.8

Loi portant réforme du droit des successions, L.R.O. 1990, ch. S.26

Île-du-Prince-Édouard

Adoption Act, S.P.E.I. 1992, ch. A-1

Civil Service Superannuation Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. C-9

Custody Jurisdiction and Enforcement Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. C-33

Dependants of a Deceased Person Relief Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. D-7

Evidence Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. E-11

Family Law Reform Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. F-3

Health Services Payment Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. H-2

Income Tax Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I-1

Insurance Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I-4

Marriage Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. M-3

Probate Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. P-21

Québec

Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, ch. 39

Loi sur l’assurance-automobile, L.R.Q. ch. A-25

Code civil du Québec, L.Q., 1991

Loi sur le régime des rentes du Québec, L.Q. 1993, ch. 15

Saskatchewan

Adoption Act, R.S.S. 1990, ch. A-5.1

Automobile Accident Insurance Act, R.S.S. 1990 ch. A-35

Children’s Law Act, S.S. 1990-91, ch. C-8.1

Family Maintenance Act, S.S. 1990-91, ch. F-6.1

Hospital Standards Regulations, Sask. Reg. 331-79

Income Tax Act, R.S.S. 1990 ch. I-12

Intestate Succession Act, R.S.S. 1990 ch. I-13.1

Matrimonial Property Act, S.S. 1979, ch. M-6.1

Saskatchewan Evidence Act, R.S.S. 1978, ch. S-16

Saskatchewan Medical Care Insurance Act, R.S.S. 1990 ch. S-29

Saskatchewan Pension Plan Act, R.S.S. 1990 ch. S-32.2

Yukon

Loi sur l’enfance, L.R.T.Y. 1986, ch. 22

Loi sur le patrimoine et l’obligation alimentaire, L.T.Y. 1989, ch. 63

Loi sur la santé, L.T.Y. 1989-1990, ch. 36

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.T.Y. 1986 ch. 90

 

B. Lois étrangères

 

Danemark

Registered Partnership Act, loi no 373, 1er juin 1989

Loi no 228, 23 mai 1984

Hongrie

Code civil hongrois, articles 578/G et 685/A

Islande

Confirmed Cohabitation Act, gazette juridique et ministérielle A No. 97/1996

Pays-Bas

Loi du 5 juillet 1997, gazette juridique des Pays-Bas 324, en vigueur le 1er janvier 1998

Loi du 17 décembre 1997, gazette juridique des Pays-Bas 660, en vigueur le 1er janvier 1998

Norvège

Joint Household Act, loi no 45, 4 juillet 1992

Act on Registered Partnership for Homosexual Couples, loi no 40, 30 avril 1993, en vigueur le 1er août 1993

Catalogne (Espagne)

The Stable Couples Act, loi 10/1998, 15 juillet 1998

Mutual Assistance Act, loi 19/1998, entrera en vigueur trois mois après la publication dans la gazette officielle

Islande

Confirmed Cohabitation Act, gazette juridique et ministérielle A no 97/1996

Espagne

The Stable Couples Act, loi 10/1998, 15 juillet 1998, en vigueur le 23 octobre 1998

Mutual Assistance Act, loi 19/1998, entrera en vigueur trois mois après la publication dans la gazette officielle

Suède

Registered Partnership (Family Law) Act, en vigueur le 7 juin 1994

États-Unis - Fédéral

Defense of Marriage Act, 28 USCA art. 1738C

Hawaii

An Act Proposing a Constitutional Amendment Relating to Marriage, 1997 HI H.B. 117

An Act Relating to Unmarried Couples, 1997 HI H.B. 118

Louisiane

An Act Relative to Covenant Marriage, 1997 La. Sess. Law Serv. 1380 (ouest)

Table de jurisprudence Retour table des matières

Canada

Anderson v. Luoma (1986), 50 R.F.L. (2d) 127 (B.C.S.C.)

Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2

Bracklow c. Bracklow, [1999] A.C.S. no 14 (Q.L.)

Broddy v. Alberta, [1982] A.J. No. 544 (C.A.)

Buist v. Greaves, [1997] O.J. no 2646 (Div. Gen. Ont.) (QL)

Caron c. Caron [1987] 1 R.C.S. 892

De Lisle v. Carton, [1997] Q.J. no 1693 (Q.C.A.) (Q.L.)

Dwyer v. Toronto (Metro) (No. 3), [1997], 27 C.H.R.R. D/108 (Ont.Bd.Inq.)

Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513

Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27

Hill c. Église de Scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130

Keddie v. Currie, (1991), 85 C.L.R. (4th) 342 (B.C.C.A.)

L.G. c. G.B., [1995] 3 R.C.S. 370

Labbe v. McCullough (1979), 23 O.R. (2d) 536 (C. prov.)

Layland v. Ontario (1993), 14 O.R. (3d) 658 (C. div.)

Leshner v. Ontario (No. 2), [1992] 16 C.H.R.R. D/184 (Ont.Bd.Inq.)

M. v. H. (1996), 31 O.R. (3d) 417 (C.A.)

Mahoney v. King, [1998] J.O. no 2296 (Div. Gen.) (Q.L.)

Messier v. Delage (1983), 35 R.F.L. (2d) 337 (C.S.C.)

Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418

Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813

Moore v. Canada, [1996] C.H.R.D. No. 8 (QL)

Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423

Nowell v. Town Estate, [1997] S.C.C.A. No. 642 (Q.L.)

Pelech c. Pelech [1987] 1 R.C.S. 801

Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980

Re B.R.T.N.K., [1997] N.W.T.J. No. 81 (N.W.T.S.C.) (QL)

Re K (1995), 23 O.R. (3d) 679 (Div. prov. Ont.)

Re North and Matheson (1974), 52 D.L.R. (3d) 280 (Man. Co. Ct.)

Re A.M.S. (1993), 107 Nfld & P.E.I.R. 350 (Nfld.T.D.)

Re T., [1992] 4 All E.R. 649 p. 653 (C.A.)

Richardson c. Richardson [1987] 1 R.C.S. 857

Rosenberg v. Canada (AG) (1998), 38 O.R. (3d) 577 (C.A. Ont.)

Rossu v. Taylor, [1998] A.J. No. 648 (Alta. C.A.) (QL)

RWDSU c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573

Singer v. Hara, 522 P. 2d 1187 (Wash. App. 1974)

Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670

Vogel v. Manitoba, [1995] 126 D.L.R. (4th) 72 (C.A. Man.)

Vriend c. Alberta, [1998] A.C.S. no 29 (Q.L.)

Communauté européenne

D. et Royaume de Suède c. Conseil de L’union européenne, T-264/97 (C.F.I.E.C., 28 janvier 1999)

Royaume-Uni

Cossey v. United Kingdom, [1991] 2 F.L.R. 492

Rees v. United Kingdom, [1987] 2 F.L.R. 111

Westmeath v. Westmeath, (1820), 37 E.R. 796

États-Unis

Baehr v. Lewin, 852 P.2d 44 (Haw. 1993)

Baehr. v. Miike, 1996 WL 694235 (Haw. Cir. Ct.)

Baker v. Vermont, Vermont Supreme Court, open

Bowers v. Hardwick, 478 U.S. 186 (1986)

Brause and Dugan v. Bureau of Vital Statistics, 1998 WL 88743

Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483, 74 S.Ct. 686 (1954)

ANNEXES Retour table des matières

L’annexe A établit certaines des règles fédérales, provinciales et territoriales régissant le mariage. L’annexe B couvre certaines des règles relatives à la cohabitation des personnes de sexe opposé, l’annexe C aborde la cohabitation des personnes du même sexe et l’annexe D traite de la cohabitation des couples non conjugaux. Les citations intégrales pour toutes les lois et arrêts cités dans les annexes figurent dans les tables des lois et de la jurisprudence. Les annexes ne constituent d’aucune façon un énoncé complet de toutes les lois régissant le mariage et les unions libres. Seulement quelques-unes des très nombreuses lois régissant les régimes de pensions et de prestations du gouvernement ont été incluses. Les annexes décrivent un cadre juridique fondamental au regard de questions telles que la constitution des familles, la fiscalité, le consentement aux soins de santé, l’immigration, le soutien alimentaire, les biens matrimoniaux et les successions. Les appendices indiquent qu’il reste encore d’importantes différences entre les lois régissant le mariage et celles régissant les unions libres. Elles montrent également que les lois qui régissent le mariage et les unions libres varient considérablement à l’échelle du Canada. Le terme "s.o." est utilisé pour indiquer qu’une question particulière ne relève pas de la compétence du gouvernement particulier ou qu’elle est autrement inapplicable.


Quoi de neuf | À propos de nous | Recherche de services | Événements à venir | Coin du président | Projets de recherche | Concours, Compétitions et Partenariats | Les rapports ministériels | Ressources