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Page d'accueil À propos de nous Rapport Document de recherche 1999 La justice réparatrice

À propos de nous

Rapport

Document de recherche

La justice réparatrice ~ Cadre de réflexion


Mémoire préparé pour la COMMISSION DU DROIT DU CANADA


par : Jennifer J. Llewellyn, B.A. M.A.
(j.llewellyn@utoronto.ca)
et
Robert Howse,
professeur adjoint de droit, Université de Toronto et professeur invité, University of Michigan Law School (rhowse@umich.edu)


* Les auteurs du présent mémoire tiennent à remercier la COMMISSION DU DROIT DU CANADA, en particulier Rod MacDonald et Susan Zimmerman, qui leur ont accordé un appui et des encouragements inestimables tout au long de la réalisation de ce projet. Ils sont également redevables à Annalise Acorn, Pierre Allard, Herman Bianchi, John Braithwaite, Hallett Llewellyn, Jennifer Nedelsky, Ronald Slye et Nicholas Tavuchis, qui leur ont fait des observations éminemment pertinentes. Enfin, les auteurs ont grandement apprécié les commentaires émis à propos de ce mémoire à l'occasion de la table ronde organisée par la Commission du droit sur la justice réparatrice en octobre 1998.



  La justice dans l'histoire
  Concepts modernes en matière de réparation
  Origines de la justice réparatrice
  Une question de justice
  Définition de la justice réparatrice
  La justice réparatrice ~ Une théorie de la justice
    La restitution
    La justice corrective
    La justice rétributive
    La justice réparatrice
  Victimes et personnes lésées
  Auteurs de délits
  Collectivités
  Le processus de la réparation
  Éléments d'une pratique de la justice réparatrice
    La rencontre
    La protection des droits -- Un problème de manque d'équilibre
    Les résultats
    L'évaluation
  Résumé
  Portée de la justice réparatrice
  Difficultés à surmonter par la justice réparatrice
    La réparation est-elle possible en l'absence d'une des parties?
    La dissuasion, la protection sociale et les limites d'un système purement réparateur
  Les différentes notions de la réparation
  La justice réparatrice dans le cadre d'un système dualiste
  L'État et la collectivité, agents de la justice réparatrice
  Élaboration de processus de réparation


Table of ContentsINTRODUCTION

    Au Canada et ailleurs de nos jours, les personnes intéressées par la politique juridique et sociale parlent souvent de " justice réparatrice ", notion qui n'a rien de mystérieux, mais qui, bien au contraire, touche aux fondements mêmes de notre conception du droit et de la résolution des conflits. Cependant, une certaine confusion règne quant au sens de cette expression, devenue le plus souvent une manière de désigner vaguement toute pratique s'écartant un tant soit peu de l'administration dite " normale " de la justice, surtout dans les affaires pénales. Jusqu'ici, on ne s'est guère demandé en quoi consistait une pratique réparatrice, se contentant de la définir par son contraire : c'est-à-dire qu'il ne s'agit plus ici de mettre en présence deux avocats et un jury ou un juge (ou les deux) dans une salle d'audience.

    Nous avons besoin d'un cadre de réflexion sur la justice réparatrice afin de comprendre quelles sont les pratiques les plus conformes aux exigences de ce modèle. Le présent mémoire traite justement de l'élaboration d'un tel cadre, comprenant une définition de la justice réparatrice, un examen des liens qui existent entre ce modèle et d'autres formes d'administration de la justice et l'identification des éléments constitutifs nécessaires à la pratique de la justice réparatrice. En quelques mots, la justice réparatrice vise à remettre en état le tissu social perturbé,1 à instaurer ou à rétablir des rapports fondés sur l'équité sociale, des rapports où les droits de chacun à la dignité, à la sollicitude et au respect sont honorés en toute égalité. Les pratiques requises pour rétablir des relations sociales qui ont été perverties dépendront du contexte, mais quoi qu'il en soit, elles seront jugées à l'aune de la réparation. Tendant vers l'équité sociale, la justice réparatrice exige essentiellement que l'on se préoccupe de la nature des rapports qui existent entre les particuliers, les groupes et les collectivités. Pour raccommoder le tissu social, la justice réparatrice doit donc concentrer son attention autant sur le délit que sur le contexte et les causes de celui-ci.

    À bien des égards importants, la nature ambivalente de la justice réparatrice est justement ce qui en fait un bon point de départ pour la formulation de solutions de rechange aux processus et approches normalement mis en oeuvre face à la criminalité, remplaçant avantageusement d'autres mots et expressions qui ont souvent cours dans de telles discussions : rétribution, guérison, médiation... La notion de réparation présuppose l'existence d'un préjudice qui vicie les rapports sociaux entre les auteurs de l'acte délictuel et ceux qui en souffrent. Cela permet d'englober dans une vision conventionnelle de la justice des concepts moraux essentiels qui disparaissent purement et simplement lorsque les solutions de rechange sont exprimées sous forme de médiation ou de guérison, confondant l'exercice de la justice avec une sorte de thérapie sociale généralisée (où la justice, le droit proprement dit, disparaît tout bonnement, ou se confond avec la modification du comportement ou des mentalités).2 Par ailleurs, si l'on tient à préserver la dimension sociale, il est vrai que la justice réparatrice incarne une certaine notion de transformation, de foi en l'avenir. Si le point de départ de la justice réparatrice est un préjudice qui a perturbé les rapports entre l'auteur du délit et la partie lésée, son aboutissement risque d'être tout à fait différent du status quo ante. Il n'est besoin de rappeler ici que les débats qui font rage en Afrique du Sud à propos de la façon de sanctionner les violations des droits humains qui ont caractérisé le régime de l'apartheid. D'aucuns, dont certains membres du mouvement anti-apartheid lui-même, affirmaient que les torts seraient redressés par l'édification d'une société sud-africaine juste et équitable où toutes les races jouiraient des droits politiques, sociaux et économiques qui leur sont dus. Toutefois, le point de vue qui a fini par l'emporter fut celui exprimé par la Truth and Reconciliation Commission : justice ne serait faite que si l'on procédait à la réparation de certaines des infractions commises. Pourtant, il était impossible dans ce cas de fixer pour objectif final le rétablissement du status quo ante qui existait dans les rapports sociaux entre l'auteur du délit et la partie lésée, car en fait, ces relations étaient entachées d'une inégalité constitutive. En somme, l'objectif ultime de la justice réparatrice, en tant que système d'administration de la justice, n'est pas respecté si l'on passe sous silence les infractions commises, non plus que si l'on refuse de réformer la société en profondeur. C'est pourquoi la justice réparatrice, manifestation d'un déséquilibre perturbant les rapports sociaux, doit déboucher ensuite, non sur une relation factice qui aurait existé avant la perturbation, mais sur l'idéal de rapports sociaux égaux, idéal qui survit au moins en partie lorsqu'on respecte des droits aussi fondamentaux que la sécurité d'une personne, même si c'est au sein d'un contexte qui reste foncièrement injuste sur le plan de l'équité sociale. C'est là ce qui fait toute la différence entre la notion de justice réparatrice et certaines autres perspectives, radicales et anti-libérales, dont les tenants estiment que le droit tout autant que les droits sont des termes vides de sens dans un contexte social nécessairement injuste.

    En plus de contenir des paramètres qui guideront la constitution d'initiatives futures liées à la justice réparatrice, le cadre de la réflexion proposée par le mémoire peut également servir de moyen d'évaluer les pratiques actuelles qui se réclament d'ores et déjà d'une telle conception de la justice. Nous incluons un survol des critères et orientations à suivre pour ces évaluations.

Ce mémoire abordera également la question de la mise en oeuvre du cadre de réflexion. En effet, la justice réparatrice est essentiellement une pratique liée à la justice pénale. Nous aborderons donc la portée des pratiques de justice réparatrice afin de connaître les possibilités d'exercer cette sorte de justice dans d'autres domaines du droit. Nous en profiterons pour traiter des problèmes et des restrictions qui se posent dans l'application de ce modèle de justice.

    Enfin, nous examinerons l'interaction et l'intégration des pratiques de justice réparatrice au sein des institutions juridiques actuelles. Comment la justice réparatrice peut-elle être " faite "? Qui sont les protagonistes de son administration?

Table of ContentsSURVOL HISTORIQUE

    L'examen historique de la notion de justice réparatrice nous amène à brosser la toile de fond du cadre de réflexion que nous voulons élaborer. Cet examen nous permettra également de comprendre les facteurs qui ont causé le rejet de la justice réparatrice en faveur d'autres modèles, et les motifs de la volonté de certains de retourner à ce mode d'administration de la justice dans notre société. De toute façon, nous devons tirer les leçons du passé avant de développer les modèles de l'avenir.

    Ce tableau historique n'a pas pour ambition d'être aussi exhaustif que le mériterait son vaste sujet. Nous nous contenterons d'esquisser les sources et l'évolution des idées et pratiques liées à la justice réparatrice, en nous appuyant essentiellement sur l'état actuel des recherches.3

Table of ContentsLa justice dans l'histoire

        ...n'oublions pas que la plupart des problèmes liés à l'administration actuelle de la justice plongent leurs racines dans notre conception de la justice, conception qui n'est, en fin de compte, qu'un paradigme parmi d'autres. En effet, d'autres paradigmes sont possibles, d'autres ont été mis en pratique, d'autres ont dominé pendant la plus grande partie de notre histoire. Tout compte fait, le paradigme qui est présentement en vigueur reste un phénomène assez récent.4         
        (Cette citation et les suivantes : traduction libre)        

    Albert Eglash a formulé la notion de " justice réparatrice " (en anglais, " restorative justice "), dans un article publié en 1977 sous le titre de " Beyond Restitution: Creative Restitution ", mais en fait, ce n'est pas du tout un concept révolutionnaire. La justice réparatrice n'est pas le fait de quelques têtes brûlées se situant en marge de la pratique juridique. En effet, des conceptions semblables de la justice ont eu un rôle plus ou moins important à jouer tout au long de l'histoire. Pour citer le criminologue John Braithwaite : " la justice réparatrice est le modèle qui domine la justice pénale depuis toujours dans l'histoire universelle5 ". Les racines de cette école sont autant occidentales qu'extérieures à l'Occident. On est donc en droit d'affirmer que l'adoption d'un tel modèle ressortirait plutôt d'un retour aux sources de la justice, et non d'une nouvelle panacée à la mode.

    Néanmoins, l'histoire de la justice et de son administration occulte souvent ces racines. D'après Bianchi, les chercheurs, dans le monde occidental surtout, seraient tellement obnubilés par le modèle punitif, pierre d'angle de notre système judiciaire actuel, qu'ils en seraient devenus incapables de considérer le succès remporté par différents modèles en d'autres temps et lieux.6 En effet, pour citer Bianchi ,

        Bien que le droit criminel punitif soit un phénomène relativement récent dans l'histoire occidentale, et un concept moderne sous sa forme actuelle, plusieurs spécialistes en la matière sont convaincus de la validité de cette théorie fragile et estiment que notre méthode punitive de lutte contre la criminalité est le produit d'une sorte de loi naturelle et éternelle qui aurait existé depuis des lustres sous une forme primitive et qui aurait survécu parce qu'elle était la plus utile.7        

Pris dans le carcan de cette pensée étroite, les chercheurs confrontés à l'existence de façons différentes de sanctionner le crime ou d'administrer la justice, ne font que les ignorer et rechercher à tout prix les vestiges historiques d'un modèle punitif.8 Bianchi déplore que les erreurs dues aux anachronismes aient joué un rôle aussi regrettable dans l'historiographie de la lutte contre la criminalité. Conscients des dangers de l'anachronisme, les historiens professionnels ont, jusqu'à récemment, ignoré l'histoire de la politique pénale, abandonnant l'étude de celle-ci aux juristes, souvent mal préparés pour s'atteler à cette tâche.9 Voulant reconstituer une histoire conforme à notre système judiciaire actuel, ils ont peint le portrait d'une justice prémoderne vindicative et sanguinaire, qui serait contraire à l'approche moderne, plus humaine et conforme à la raison.10 Cette conception de l'histoire est vue d'un oeil tout à fait favorable par les tenants de notre système actuel. La rétribution et le contrôle exercé par l'État en sont arrivés à être considérés comme seuls capables d'empêcher les actes de vengeance particulière et les vendettas. Toutefois, un examen plus attentif de l'histoire de la justice indique que d'autres modèles ont prédominé pendant la plus grande partie de l'histoire occidentale. En effet, Zehr décrit le défi posé par une telle révélation.

        Nous avons du mal à accepter que le paradigme que nous considérons si naturel, si logique, ne régit en fait notre conception du crime et de la justice que depuis quelques centaines d'années. Ce n'est pas toujours ainsi que l'on a fait les choses... En effet, la justice communautaire a prédominé pendant la majeure partie de l'histoire humaine... Pendant le plus clair de l'histoire occidentale, ce sont des techniques non judiciaires et non juridiques de règlement des différends qui ont eu cours. Autrefois, les gens répugnaient à faire appel au gouvernement, même quand ce dernier aurait bien voulu s'immiscer. En fait, c'était considéré comme une honte d'avoir à se tourner vers l'État pour lui demander d'entamer des poursuites. Pendant des siècles, le rôle de l'État dans les procès est resté très mineur. C'était aux collectivités qu'il revenait de régler leurs différends.11        

La période qui a précédé la justice dispensée par l'État, la soi-disant justice publique, est souvent considérée comme l'âge d'or de la justice privée. Toutefois, ce terme risque de causer des malentendus. La justice privée évoque la vengeance, les règlements de comptes, une réponse sauvage et généralement violente aux infractions. Or, ce n'est pas là un portrait fidèle de l'administration de la justice avant l'intervention de l'État. En effet, l'administration de la justice était surtout le domaine de la médiation et de la négociation et non de l'application des règles et de l'imposition des décisions.12 Zehr a suggéré que le terme de " justice communautaire " désignait mieux cette période écoulée où tous les différends avaient lieu au sein d'une collectivité et étaient réglés par elle. La justice communautaire présupposait que c'était des gens qui avaient subi un préjudice, que les personnes visées devaient participer au règlement et qu'il fallait réparer l'infraction commise. La justice communautaire accordait une place de choix à la préservation des liens entre les gens et à la réconciliation.13 D'après Van Ness et Strong, l'objectif du processus judiciaire était de rétablir la situation en dédommageant les victimes, que ce soit matériellement, financièrement ou personnellement.14 Hoebel compare l'oeuvre du droit primitif à celle d'un médecin. En effet, si ce dernier était chargé de préserver l'équilibre du corps humain, le droit, quant à lui, se devait de maintenir la bonne santé du corps social en rétablissant l'équilibre des rapports entre les parties adverses.15

    Cela ne signifie pas qu'il n'existait à cette époque aucune autre façon de résoudre les conflits. La rétribution et le règlement judiciaire formel étaient certes des solutions connues, mais ils n'intervenaient qu'en dernier recours.16 Ces options n'étaient exercées qu'en cas d'échec de la justice communautaire, lorsque les négociations tardaient à être entamées ou s'avéraient impossibles. Le recours à la rétribution ou à la résolution forcée était considéré comme une solution qui s'avérait inévitable parfois, mais ce n'était pas la norme que nous croyons aujourd'hui. Zehr soutient que si la rétribution existait, c'était autant un moyen qu'une fin en elle-même. Par ailleurs, d'après lui, le sens et la fonction de la rétribution reflétaient souvent une vision compensatoire. Le système reposait avant tout sur le besoin de dédommager les victimes et de réparer les relations perturbées.17

        Bianchi admet que si plusieurs théories ont tenté d'expliquer l'origine de notre système rétributif, aucune n'a réussi à offrir une explication plausible et satisfaisante.18 On s'accorde certes pour dire que le glissement de la justice communautaire au système public, centré sur l'État, de rétribution que nous connaissons actuellement a pu voir le jour dès le XIe ou XIIe siècle. Toutefois, pendant des siècles, les anciens systèmes de résolution des conflits, de réparation et de règlement des différends se sont maintenus, de manière explicite ou tacite, dans plusieurs pays.19 Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que ce nouveau modèle de justice commence à prédominer.20 Quels que soient les autres facteurs ayant pu motiver ce changement, il est clair qu'il était au moins partiellement inspiré par le désir, autant dans le monde séculaire que dans les milieux cléricaux, d'exercer un pouvoir politique.21 L'historien du droit Harold Berman convient que ce changement n'est rien de moins qu'une " révolution juridique ".22 Ce phénomène a entraîné une reconceptualisation de la nature des différends. Au terme de cette évolution, la Couronne s'était proclamée " gardienne de la paix " et, en tant que telle, devenait la victime de toute atteinte à l'ordre. Le rôle des tribunaux a changé en conséquence : au lieu d'être chargés d'arbitrer entre les parties en litige qui faisaient appel à leurs services, ils sont devenus les défenseurs de la Couronne. Ils ont commencé à participer aux poursuites, s'arrogeant le rôle principal chaque fois que la Couronne était considérée comme la victime.23 Sous l'optique de la mission des tribunaux, la justice était devenue une tâche d'application des règles, de proclamation de la culpabilité et de détermination des pénalités.24 Ce nouveau rôle de la Couronne a produit des effets dévastateurs et durables sur les victimes réelles des crimes. Elles ont cessé d'être des parties dans leurs propres cas, les différends visés leur ayant été en tout état de cause dérobé. C'est la situation qui prévaut aujourd'hui encore, car les victimes ont peu ou prou de pouvoir sur le traitement de leur cas. Elles ne peuvent ni lancer des poursuites, ni les interrompre, ni parvenir à un règlement sans la permission de l'État, et elles sont même entièrement écartées si leur témoignage ne présente pas suffisamment d'intérêt. Pour se convaincre de cette évolution, de la justice axée sur la victime à la justice d'État, il suffit d'évoquer le recours aux amendes (payables à la Couronne) au détriment du dédommagement, et au châtiment au lieu du règlement; plus récemment encore, on a parlé d'ordonner des dommages-intérêts punitifs dans des cas qui ne sont pas " criminels " au sens traditionnel du mot, ou qui normalement ne donneraient pas lieu à de tels jugements. Le châtiment répond aux besoins de l'État en démontrant sa force et son autorité, mais il ne fait rien pour remédier au tort causé par le délit. Quand on parle de crime, on parle donc d'infraction aux lois, et non d'un préjudice causé à quelqu'un. C'est pourquoi toute l'attention est portée sur les actions du malfaiteur, et non sur les conséquences de son comportement.25

Table of ContentsConcepts modernes en matière de réparation26

    Non seulement ces idées ne se limitent pas à un temps ancien, elles ont également eu cours dans plusieurs sociétés non occidentales. Nos efforts en vue d'examiner le développement et le rôle des approches réparatrices à la justice méritent un bref examen des exemples qui existent encore de nos jours.

    Van Ness et Strong font remarquer que dans nombre de sociétés africaines pré-coloniales, il s'agissait moins de châtier les malfaiteurs que de remédier aux conséquences de leurs actions sur les victimes de celles-ci. Les sanctions étaient de nature compensatoire plutôt que punitive, dans l'intention de restaurer la situation antérieure des victimes.27 L'une des principales fonctions du droit précolonial, comme l'explique Mqeke, était de rétablir l'équilibre social de la communauté.28 Le concept africain d'ubuntu traduit une philosophie de l'humanité qui sous-tend le concept traditionnel de la justice. Toutefois, il est difficile de parvenir à une définition exacte de ce terme, qui recoupe aussi bien la nature humaine que les liens tissés entre les gens. Villa-Vicencio explique que la notion africaine traditionnelle d'ubuntu présuppose une entièreté organique de l'humanité, qui se manifeste au travers d'autrui. Cette idée trouve sa meilleure expression dans le proverbe Xhosa : umuntu ngumuntu ngabantu (ce sont les personnes qui font qu'une personne est une personne)."29 Ubuntu est souvent décrit au moyen du dicton " je suis parce que tu es ", ou encore " mon humanité est liée à ton humanité ". Il est facile de deviner l'effet qu'une telle conception de l'humanité peut avoir sur la notion de justice. Si l'humanité de chacun est rattachée à l'humanité d'autrui, le tort fait à l'un représente également un préjudice pour l'autre. Par conséquent, face à une infraction, on tâche de réparer les dommages, de remédier au tort commis, car c'est la seule façon de rectifier le préjudice subi par la victime. Autrement dit, la réparation exige que l'on prête attention à tous ceux qui souffrent, car elle reste impossible si une partie du tout est lésée. Bien que la colonisation ait entraîné le remplacement d'une grande partie du droit coutumier africain par un système occidental lié à la rétribution, on constate depuis peu un retour aux pratiques de justice réparatrice qui sont incarnées dans les pratiques traditionnelles.

    Le Japon offre un autre exemple moderne de mise en application de la justice réparatrice.30 En effet, on y trouve un processus officiel occidentalisé, fortement influencé par le modèle allemand et comprenant des protections constitutionnelles rappelant celles des États-Unis, doublé d'un autre processus proprement original au Japon.

        La mise en application des lois au Japon se caractérise par un processus de confession, de repentir et d'absolution... Depuis le premier interrogatoire par les forces de police jusqu'au prononcé de la peine, la grande majorité des accusés ont l'occasion de confesser leur crime, de faire amende honorable, de négocier le pardon des victimes et de s'en remettre à la merci des autorités. En contrepartie, ils bénéficient d'une clémence remarquable, en ce sens qu'ils ont la chance d'être pardonnés s'ils se soustraient entièrement de la filière officielle.31        

Comme l'explique Haley, un certain nombre de facteurs sont à considérer avant de décider du traitement à donner à l'auteur d'un délit. Bon nombre de ces facteurs sont semblables à ceux dont tient compte le système occidental (nature, gravité, circonstances de l'infraction, renseignements concernant l'auteur d'un délit, notamment les antécédents judiciaires, l'âge, la capacité mentale).

        Mais à ce modèle, du moins au Japon, se rajoutent d'autres facteurs qui n'existent pas en Occident, et peut-être nulle part ailleurs. Non seulement on tient compte de l'attitude du contrevenant lorsqu'il fait amende honorable et exprime sa volonté de dédommager la victime, mais on considère également la capacité de la victime de pardonner le contrevenant, et ce, avant de décider si l'on veut dénoncer, poursuivre ou condamner ce dernier.32        

L'objectif de ce système dualiste est la transformation, non la rétribution. Alors même que l'exemple japonais semble privilégier le système rétributif plus formel en traitant l'élément réparateur comme subsidiaire dans le processus décisionnel de la cour, il n'en reste pas moins vrai que ce système est riche en enseignements pour nous. Il est important de noter qu'au Japon, le taux de criminalité affiche une baisse constante depuis la Deuxième Guerre mondiale. On a essayé d'expliquer ce phénomène de plusieurs façons différentes, sans jamais évoquer l'existence de l'approche réparatrice. Pour Haley, on est en droit d'affirmer que le système japonais de reconnaissance de la culpabilité, d'expression du repentir avec négociation de la restitution directement avec la victime, et de pardon, conditions à remplir pour bénéficier de clémence et éviter un emprisonnement prolongé, aurait effectivement contribué à la diminution de la criminalité.33

    Enfin, la réparation est une idée qui existe également dans le contexte canadien, particulièrement dans la manière autochtone d'aborder la justice.34 En effet, les autochtones de divers pays pratiquent et préconisent des approches réparatrices à la justice.35 Ross cite la conviction ancienne selon laquelle :

        ...la meilleure façon de réagir à tout ce que la vie peut présenter de bon et de mauvais, que l'on parle de criminalité ou d'autre chose, ne consiste pas à châtier systématiquement chaque contrevenant, mais à édifier et soigner toutes les parties en cause, avec un oeil tourné vers le passé, pour essayer de comprendre ce qui s'est passé, et l'autre vers l'avenir, afin de mettre sur pied des mesures permettant de créer des circonstances plus saines pour tout le monde.36         

Dans ce contexte, on parle parfois de " justice sacrée ". Comme l'indique Diane LeResche, il s'agit d'une façon de traiter les différends de façon à rétablir les relations perturbées et à trouver des solutions, en confrontant les causes sous-jacentes. Exercer une justice sacrée, c'est reconnaître l'importance de rétablir la compréhension et l'équilibre des rapports.37

Table of ContentsOrigines de la justice réparatrice

    La justice réparatrice, en tant que théorie, est étroitement liée aux tentatives récentes de remédier aux défaillances du système judiciaire actuel et de trouver de nouvelles façons d'administrer la justice. Le cadre de réflexion que nous voulons élaborer montrera clairement que ces mouvements, tout en intégrant des éléments réparateurs, ne constituent pas encore en eux-mêmes des exemples de justice réparatrice. D'après Van Ness et Strong, aucun ne suffit à constituer une théorie de la justice réparatrice, mais tous y ont contribué, si ce n'est parce que les chercheurs dans ce domaine sont le plus souvent des partisans de l'une ou l'autre de ces optiques.38 La théorie de la justice réparatrice, notre contribution y compris, s'appuie lourdement sur les enseignements acquis à partir de ces expériences. C'est pourquoi nous avons jugé indispensable de décrire les mouvements ayant exercé l'influence la plus déterminante.39 Van Ness et Strong identifient cinq tels mouvements :
  1. Le mouvement de la justice informelle fait appel à des procédures informelles en vue d'améliorer l'accès et la participation au processus juridique. La déjudiciarisation est destinée à minimiser la stigmatisation et la contrainte produites par les pratiques existantes.40
  2. La restitution a été redécouverte dans les années soixante. Ce mouvement insiste sur les besoins des victimes, dont la satisfaction serait bénéfique à l'ensemble de la société.41
  3. Le mouvement de défense des droits des victimes a pour objectif de faire reconnaître le droit des victimes à participer au processus juridique.42
  4. Le mouvement de réconciliation ou de concertation -- Van Ness et Strong divisent ce mouvement en deux écoles :
  1. La médiation victime-contrevenant -- Tirant ses sources du Comité central mennonite, ce processus vise à mettre la victime et le contrevenant en présence, face à un médiateur, afin de discuter du délit et d'élaborer un plan en vue de remédier à la situation.43
  2. La concertation du groupe familial, en Nouvelle-Zélande, s'inspire des traditions maori.44
  1. Le mouvement de la justice sociale --Van Ness et Strong désignent ainsi plusieurs groupes différents qui oeuvrent pour une vision de la justice principalement liée au bien-être social.
Table of ContentsTHÉORIE DE LA JUSTICE RÉPARATRICE

    Cette partie traite du sujet principal de notre mémoire : qu'est-ce que la justice réparatrice, et quels sont ses rapports avec les autres formes de justice? Pour mieux comprendre notre conception de la justice réparatrice, il convient de la comparer aux théories qui ont actuellement cours. Une telle comparaison permettra de dégager les points communs et les différences entre la justice réparatrice et les autres conceptions. Elle montrera également à quel point ces autres conceptions s'inspirent des mêmes objectifs et aspirations que la justice réparatrice, tout en illustrant comment cette dernière est la plus apte à atteindre ces objectifs. Nous examinerons la justice réparatrice par rapport aux trois principales théories modernes de la justice, soit la restitution, la correction et la rétribution.

    Cette analyse formera le point de départ d'une théorie de la justice réparatrice qui s'intéresse à la remise en état des rapports humains. En fait, la justice réparatrice est fondamentalement liée à la restauration du tissu social, soucieuse d'instaurer ou de rétablir des rapports fondés sur l'équité sociale, des rapports où les droits de chacun à la dignité, à la sollicitude et au respect sont honorés en toute égalité. Tendant vers l'équité sociale, la justice réparatrice exige fondamentalement que l'on se préoccupe de la nature des rapports qui existent entre les particuliers, les groupes et les collectivités. Pour raccommoder le tissu social, la justice réparatrice doit donc concentrer son attention autant sur l'infraction commise que sur le contexte et les causes de celle-ci. Les pratiques requises pour rétablir des rapports sociaux qui ont été pervertis dépendront du contexte, mais quoi qu'il en soit, elles seront jugées par rapport à la norme de la réparation.

    Avant d'entamer la mission que nous nous sommes assignée, soit l'élaboration d'un cadre de réflexion touchant la justice réparatrice, il nous paraît indispensable d'aborder la nature des recherches qui se déroulent actuellement dans ce domaine. Nous constaterons à cette occasion que la majorité des descriptions et définitions de la justice réparatrice commencent par dire ce qu'elle n'est pas. C'est pourquoi les travaux en cours traitent surtout du droit pénal, qui permet de dégager les oppositions les plus frappantes entre la justice réparatrice et les autres mouvements. Les raisons de ce contraste seront explicitées par notre étude et par la comparaison que nous ferons plus loin avec la justice rétributive. À ce stade-ci, il est important de noter que ce contraste a eu pour effet de cantonner les discussions traitant de la justice réparatrice au domaine de la justice pénale. Toutefois, cette démarcation perd tout intérêt lorsqu'on reconnaît qu'elle provient d'une distinction historique arbitraire entre le droit public et le droit privé. Comme nous l'avons vu plus haut, cette différenciation provient de la volonté des souverains de conforter leur puissance politique et financière. La décision attribuant aux conflits et aux préjudices un caractère public ou privé n'avait pratiquement rien à voir avec une quelconque différence ihnérente aux délits. En fait, elle se fondait sur des choix moralement arbitraires, selon que les actions visées risquaient ou non de menacer la situation ou l'autorité des puissants. C'est pourquoi la distinction entre ce qui fait ou ne fait pas un crime était, et reste encore de nos jours, subordonnée à la volonté de ceux qui ont le pouvoir de définir ce qu'est un crime, et qui veulent s'en servir pour exercer un contrôle social. Le caractère arbitraire de cette distinction devient évident lorsqu'on comprend les actions en termes du préjudice causé et non de leur classement dans les catégories " criminel " ou " non criminel ".45 Dans cette optique, il s'agit surtout de connaître l'identité de l'auteur du tort commis, ainsi que celle des parties lésées, perspective qui permet de rendre à ceux-ci le rôle qui leur revient tout en reléguant l'État aux coulisses.

        Toutefois, prise comme mode d'exercice de la justice en tant que telle, la justice réparatrice doit obligatoirement viser le redressement des torts commis. Par conséquent, même si sa portée dépasse largement l'optique des torts définis comme criminels à un moment ou un endroit donné, elle ne saurait constituer une réponse au problème de la résolution des conflits. Dans le contexte d'une famille, par exemple, lorsque les parties tentent de négocier, après la rupture de la relation conjugale, l'interprétation d'un contrat de mariage, la justice réparatrice n'a aucun rôle à jouer si personne ne porte d'accusation alléguant l'existence d'un délit. Par contre, s'agissant d'antécédents de violence conjugale, les processus de réparation auraient très certainement un rôle à jouer. Dans le monde des affaires, les activités d'une industrie ou d'une entreprise donnent lieu à différents types de conflits qui peuvent à bon droit être considérés comme relevant de l'arbitrage ou de la médiation comme moyen de résolution, mais ici encore, si aucun tort n'a été commis, cela n'a rien à voir avec la justice réparatrice.

        En même temps, la société dans son ensemble a tout intérêt à ouvrir le dialogue et à engager des discussions pour déterminer ce qu'est un tort et ce qu'est un préjudice. Dans la plupart des cas, il est possible de considérer la faillite des consommateurs comme une institution permettant la gestion rationnelle des risques par les créanciers autant que par les débiteurs; d'un certain point de vue, lorsqu'un consommateur n'est plus capable de répondre à ses obligations, cela constitue une violation du droit du créancier à se faire payer, mais d'un autre point de vue, il ne s'agit de rien de moins que la matérialisation d'un risque prévu au contrat signé entre les parties, par le biais d'une faillite en bonne et due forme. Bien entendu, de telles " règles du jeu économiques " peuvent être (et ont été) utilisées à toutes les sauces, y compris dans des cas de meurtre et d'agression sexuelle, escamotant complètement la notion de justice. Cependant, l'argumentation morale et politique est nécessaire à une société pour qu'elle circonscrive la notion de tort. L'idée de la justice réparatrice ne suffit à elle seule à mener une telle tâche pour ainsi dire a priori.

    Par conséquent, il ne faut pas immédiatement se tourner vers la justice réparatrice dès qu'on pense que les processus et les règles de la justice conventionnelle ne suffisent pas à gérer un problème social en particulier. En effet, c'est peut-être parce que ce problème-là ne relève même pas de l'administration de la justice. D'autre part, des éléments de faute et de responsabilité peuvent être inclus dans un processus non conventionnel (c'est-à-dire celui de la justice réparatrice), un facteur important car souvent, le prix à payer pour éviter le recours aux tribunaux était de se retrouver avec une absence totale de culpabilité. En somme, lorsqu'on essaie de dépasser la façon dite " normale " d'exercer la justice, que ce soit dans un contexte familial ou dans le monde des affaires (pour reprendre les exemples déjà utilisés), il faut bien savoir ce qu'on cherche : résoudre des problèmes qui ne nous apparaissent plus comme relevant du système judiciaire? ou remanier de fond en comble la notion même de justice? .

       Nous reviendrons plus loin sur la portée des pratiques de la justice réparatrice. Mais à ce stade-ci, il est important d'insister sur le fait que notre description de la justice réparatrice n'est pas censée limiter la portée du rôle du contrevenant et de la victime en le cantonnant au contexte criminel. Bien au contraire, pour nous, le contrevenant est l'auteur du délit (du tort causé) et la victime est la partie lésée.

Table of ContentsUne question de justice

    Avant d'essayer de décrire ou de définir à notre façon la justice réparatrice, il nous paraît bon d'examiner brièvement la nature de cette entreprise. Comme nous l'avons fait remarquer dans notre introduction, on désigne souvent sous la dénomination de " justice réparatrice " toute pratique se déroulant hors du cadre judiciaire et sans l'intervention d'aucun juge ou avocat. Compte tenu de l'usage si nébuleux de ce terme, comment s'étonner du fait que la justice réparatrice n'ait pratiquement rien contribué à la réforme du système judiciaire?

    En effet, l'utilisation actuelle de ce terme a empêché la justice réparatrice de contribuer autant qu'elle le pourrait à la réforme nécessaire. Elle occulte les possibilités d'en faire un système de justice. Comme conception de la justice en tant que telle, la justice réparatrice jette le doute sur la notion même de la justice qui a cours dans le système judiciaire. Or, c'est cette remise en question qui peut se montrer la plus propice à la réforme. Comme l'explique Zehr, c'est parce qu'on n'a pas pris conscience du besoin de questionnement que toutes les tentatives de réforme récentes se sont soldées par un échec. D'après Zehr, le bricolage ne suffit plus, et toute réforme est vouée à l'échec si elle ne remet pas en cause les données fondamentales sous-jacentes à notre système. Parlant de la justice pénale, il émet les commentaires suivants :

        Il me semble que les raisons [de l'échec du système actuel] sont fondamentales, et qu'elles sont liées à nos définitions mêmes du crime et de la justice. Pour changer les choses, il ne suffit donc pas de dédommager les victimes ou de chercher d'autres formes de châtiment, ni de mettre en place toutes sortes de réformes ponctuelles. Ce qu'il faut faire, c'est remonter à la source de nos opinions et partis pris.46         

Cela signifie qu'on doit examiner la conception de la justice qui sous-tend les mécanismes en place, entraînant une remise en question de la notion de justice : quelle en est la nature? que faut-il faire pour rendre justice?

    La justice constitue une réponse à l'appel inexorable fait à notre sens moral qu' " il faut faire quelque chose " : quelqu'un ou quelque chose a perturbé le bon ordre et la situation a besoin d'être rétablie. D'ailleurs, l'expression " il faut que justice soit faite " rend fort bien ce sentiment. Or, comme nous le verrons, notre système de justice actuel émet des postulats sur la nature de ce qu'il faut faire. En fin de compte, la justice réparatrice nous oblige à nous pencher sur cette question et à nous interroger sur notre idée de ce qu'il faut faire en réponse à une infraction. Au sens propre, la justice réparatrice représente bien plus que du rafistolage. Il s'agit bien d'une conception tout autre de la justice qui nous amène à douter de nos partis pris.47

    Notre projet vise donc une conception de la justice réparatrice en tant que façon de rendre justice. C'est elle qui devra servir à orienter l'élaboration de nouvelles pratiques réparatrices et à évaluer celles qui se réclament de ce qualificatif.

Table of ContentsDéfinition de la justice réparatrice

    Tony Marshall offre, à toutes fins pratiques, une certaine description de la justice réparatrice :

        La justice réparatrice est un processus par le biais duquel toutes les parties intéressées par une infraction donnée se réunissent afin de décider ensemble de la meilleure façon d'aborder les conséquences du délit ainsi que ses répercussions futures.48         

    

Cette description est éminemment ouverte. En raison du flou qui la caractérise, elle laisse plusieurs questions sans réponse : qui est visé par la réparation? que s'agit-il de rétablir? Certes, l'intention de Marshall se cantonne à une description générale universelle et ne vise pas une théorie de la justice réparatrice, mais par son ouverture même, sa description contient en germe une théorie de la justice réparatrice. En effet, la justice réparatrice ne force pas les situations à s'adapter aux théories. Bien au contraire, elle repose sur une théorie assez souple et adaptable pour s'appliquer à différents échelons et à une variété de contextes. John Braithwaite le reconnaît lui-même dans sa réponse aux questions " qui? " et " quoi? ". À la première, il répond : " ...la justice réparatrice vise les victimes, les contrevenants et les collectivités ". À la deuxième, il réplique : " ...ce que souhaitent les victimes, les contrevenants et les collectivités concernés par le délit ".49 Sa réponse illustre bien à quel point la justice réparatrice s'adapte au contexte et convient donc à toute une variété de situations. Une approche réparatrice n'est non plus limitée à une personne mais s'applique également aux groupes et aux institutions. Braithwaite met certes l'accent sur ces caractéristiques importantes de la justice réparatrice, mais en chemin, il tombe dans le piège de présenter les mécanismes de la réparation comme une simple solution de rechange à la justice rétributive. Ce faisant, il risque de perdre de vue le concept unificateur qui explique et légitimise cette solution comme étant la justice même, ce qui l'empêche d'offrir une véritable théorie de la justice réparatrice.     

    Daniel Van Ness dépasse la simple description de la pratique pour cerner certains des éléments permettant de définir la justice réparatrice. Il note certains éléments communs qui se dégagent du corpus, limité en nombre mais croissant, concernant la justice réparatrice. Il s'agit d'" une définition du crime comme étant une atteinte aux personnes lésées et à l'ordre social, un effort pour tenir compte des dommages personnels subis par toutes les parties ainsi que des obligations financières et juridiques des contrevenants, de même que la promesse d'inviter toutes les parties à répondre au crime ".50 Ces éléments communs des pratiques de la justice réparatrice permettent de mieux comprendre la conception de la justice qui sous-tend ces pratiques. Toutefois, l'explication de Van Ness reste plus descriptive que définitionnelle. Il est certes important de reprendre l'étude des éléments constitutifs des pratiques de la justice réparatrice, afin d'évaluer les pratiques existantes ou d'en élaborer de nouvelles, mais cet examen dépend de l'existence d'un cadre de réflexion. La description de la pratique de la justice réparatrice doit donc être fondée sur une théorie de la justice réparatrice.

Table of ContentsLa justice réparatrice ~ Une théorie de la justice    

    Même s'il est sage de résister à l'envie de définir la justice réparatrice comme une pratique différente, il n'en reste pas moins qu'une définition fondée sur la comparaison peut constituer une stratégie utile dans nos efforts en vue d'élaborer un cadre de réflexion pour la justice réparatrice. Pour comprendre le régime de la justice comme réparation, il est important de comprendre en quoi cette conception diffère des autres théories modernes de la justice. En fait, une telle comparaison forme peut-être le meilleur point de départ qui soit pour formuler une théorie de la justice réparatrice.

        Trois grandes théories de la justice se coudoient de nos jours : la justice restitutive, la justice corrective et la justice rétributive. La justice réparatrice présente des points communs avec chacune de ces théories. Elle les vaut bien en ce qu'elles ont de mieux, tout en comblant leurs lacunes.

Table of ContentsLa restitution

    Si on demandait aux gens d'expliquer ce qu'on entend par " justice réparatrice ", la plupart répondraient qu'il s'agit de façons différentes, axées sur la réparation du préjudice commis, de confronter les contrevenants. Il n'est donc pas surprenant de voir la justice réparatrice souvent confondue avec la restitution. En fait, pour la majorité des auteurs américains, ces expressions sont interchangeables. Cela s'explique notamment par le fait que les programmes de restitution sont des solutions de rechange ou des compléments aux modes conventionnels de châtiment. Comme nous l'avons dit, on tend à regrouper sous la bannière de la justice réparatrice la quasi-totalité des méthodes qui diffèrent de la façon traditionnelle de faire les choses. Il n'est toutefois pas irrationnel de jeter un pont entre la restitution et la justice réparatrice, car la restitution forme souvent un aspect important de la justice réparatrice. Mais ce n'est pas une raison pour confondre ces deux notions de la justice, car il existe des différences notables. En fait, la restitution peut servir à toutes sortes de fins en droit criminel, la plupart sans aucun lien avec la justice réparatrice. En premier lieu, il peut s'agir de justice rétributive ou punitive dans le sens conventionnel du terme -- travaux forcés dans un pénitencier ou petits travaux communautaires, afin de rembourser la dette contractée envers la société. En deuxième lieu, on peut également avoir affaire à une mesure de dissuasion visant à empêcher l'auteur du délit de profiter des fruits de son crime. Dans ce sens, la restitution ne se distingue guère de la saisie de bateaux de plaisance ou de voitures achetés grâce à l'argent du crime, ou de l'idée que les criminels ne devraient pas avoir le droit de bénéficier de leur geste par la vente de leurs mémoires. Cela dépasse le contexte criminel, pour rejoindre la notion que les lois sur la faillite devraient être modifiées afin d'empêcher le failli de s'en tirer sain et sauf, en l'obligeant par exemple à rembourser le créancier qui s'est vu forcé d'accepter un règlement partiel. Troisièmement, la restitution peut être considérée comme une mesure de réadaptation qui inculquera au contrevenant le sens des responsabilités (ici aussi, on dépasse le contexte criminel, comme l'illustre l'exemple du failli). Toutefois, quelle que soit la perspective adoptée, la restitution ne satisfait pas les exigences de la justice réparatrice.

    En tant que concept de common law, la restitution traduit en gros l'idée qu'un gain qui a été pris ou utilisé à mauvais escient doit être retourné. La restitution exige qu'au nom de la justice, l'auteur d'un délit rende à la victime ce qu'il lui a pris,51 l'idée étant que par ses actions, il s'est enrichi aux dépens de celle-ci. En renonçant au profit de ses actions et en rendant les biens dérobés à leur propriétaire légitime, l'auteur du délit redresse le tort qui a été fait. Par conséquent, la restitution comme réponse à l'interpellation morale qu' " il faut faire quelque chose " signifie qu'il faut remettre les choses en l'état antérieur au délit. L'auteur du délit doit rendre à sa victime la chose même qui a été prise.

        Le point fort de la restitution, c'est qu'elle est plus axée sur la victime que, par exemple, la rétribution. En mettant l'accent sur le retour à la victime de ce qui a été pris, la restitution met la partie lésée au coeur de toute tentative de rendre justice. Selon Van Ness, la " restitution plonge ses racines dans les systèmes de justice qui considèrent un crime comme un préjudice souffert plus par la victime que par le gouvernement ".52 La justice réparatrice, elle aussi, se penche sur le préjudice commis par l'auteur d'un délit et sur la personne lésée par celui-ci. Autrement dit, la justice réparatrice et la justice restitutive sont toutes deux orientées sur le résultat de l'action, et non sur la nature inhérente de celle-ci. Toutefois, la justice réparatrice ne se limite pas aux victimes. Elle s'étend à l'auteur du délit et à la collectivité dans un effort visant à réagir au préjudice subi par la victime. Cette visée élargie est l'un des produits de la différence entre la justice réparatrice et la justice restitutive à l'égard de l'interprétation du préjudice résultant de l'infraction et de ce qu'il faut faire pour redresser la situation. Ce que la justice exige à cet égard, c'est un transfert matériel de biens entre l'auteur et la victime du délit. Van Ness mentionne le roi anglo-saxon Ethelbert,53 qui avait rédigé des listes détaillées de restitutions à faire en fonction du préjudice commis. Par exemple, la perte d'un doigt valait tant, tandis que la perte d'un ongle valait moins et celle d'un pied, bien plus. Cet exemple illustre la principale difficulté entourant ce type de justice : c'est qu'il repose sur le postulat que tout et n'importe quoi peut se quantifier.

        Le premier problème qui se pose, c'est la difficulté d'attribuer une valeur donnée à une perte particulière. Cette méthode affecte à la perte d'une main ou d'un pied une valeur considérée comme adéquate en toutes circonstances. Pour faire ressortir le caractère arbitraire d'une telle attribution, comparons la valeur d'une main pour un peintre ou un chirurgien à celle qu'elle aurait pour un champion de patinage de vitesse ou de course de fond. Les valeurs fixes sont forcément arbitraires, car elles ne tiennent pas compte de la valeur relative d'une perte pour chacun. Même s'il était possible de trouver un système tenant compte des diverses permutations et combinaisons qui existent d'une personne à l'autre pour en arriver à une valeur plus ou moins exacte, la notion même de quantification qui est appliquée ici présente encore des problèmes. Étant donné que la restitution exige la quantification et l'attribution d'une valeur devant être transférée entre l'auteur et la victime du délit, elle ne peut tenir compte du préjudice non matériel subi aussi bien par la victime que, dans certains cas, par l'auteur du délit. En fait, lorsque le principal préjudice subi par la victime est de nature matérielle, ce serait plutôt l'exception qui confirme la règle. La restitution passe donc sous silence le véritable préjudice subi : le tort fait au sens de la sécurité qui résulte d'une rupture des rapports sociaux entre la victime et l'auteur du délit à titre de membres de la société. Il est facile de trouver des exemples de ce type de préjudice. Mettons qu'on vous vole votre bicyclette et que le voleur soit pris. En théorie, celui-ci peut faire amende honorable en vous rendant votre bicyclette. Ainsi, la perte matérielle essuyée est compensée : vous aviez perdu votre bicyclette, elle vous est rendue. Toutefois, ce qui ne vous est pas rendu, c'est le sentiment de sécurité que vous aviez lorsque vous avez verrouillé votre bicyclette avant le vol. Vous ne retrouverez pas l'impression d'être à l'abri. En outre, le simple fait de rendre la bicyclette n'offre même pas la garantie que la même personne n'essaiera pas à nouveau de vous la voler, car le voleur n'est jamais tenu de réfléchir au tort commis et à ses répercussions.

    Le problème n'est pas la notion de restitution en soi, mais la restitution en tant que visée ultime de la justice. La restitution en elle-même ne suffit pas à redresser le préjudice subi par la victime après l'infraction. La justice en tant que restitution est une vision étroite d'une justice qui se contente de redresser la balance en s'assurant que chaque partie se retrouve telle qu'elle était au départ. Cette justice a les yeux tournés vers le passé, puisqu'elle est orientée sur le status quo ante. La restitution veut que les choses deviennent telles qu'elles étaient avant le tort. Par contre, la justice réparatrice n'a pas pour objectif le rétablissement du status quo ante. Le langage de la réparation empêche parfois de bien saisir la portée de la justice réparatrice. Lorsqu'on parle de réparation dans la langue commune, cela signifie de remettre quelque chose en l'état : lorsqu'on répare un objet cassé, c'est pour qu'il fonctionne comme avant. À cause de ce sens courant du mot réparation, certains préfèrent parler de justice transformative, relationnelle ou communautaire.54 D'autres affirment que la justice réparatrice ne convient que dans les cas où un acte bien précis a causé le préjudice. La justice réparatrice, selon cette conception, ne pourrait rien dans les situations traditionnellement considérées comme du ressort de la justice distributive. Par conséquent, d'après cette conception toujours, la justice réparatrice n'est qu'une sorte de justice parmi d'autres, applicable dans certains cas uniquement, et non une théorie générale de la justice. C'est là une notion erronée de la justice réparatrice. La justice réparatrice, contrairement à la restitution, ne s'acharne pas à redresser un tort en rétablissant le status quo ante. Au contraire, elle vise à l'atteinte d'un idéal. La justice réparatrice veut rétablir les liens qui existaient entre les parties en cause de façon à atteindre un état idéal d'équité sociale. Elle se situe en contradiction avec la visée rétrograde de la restitution : elle tâche de redresser le tort commis en transformant les rapports entre les gens afin que la situation ne se reproduise pas.

    Lorsqu'on utilise la restitution comme outil de la justice réparatrice, on résout les problèmes de la restitution comme fin en soi. Dans le cadre de la justice réparatrice, la restitution n'est plus axée sur le passé, mais constitue plutôt une étape importante et souvent nécessaire vers l'établissement de bons rapports entre les parties à l'avenir. En outre, s'insérant dans un processus plus vaste, la restitution n'a pas à se soucier des torts non matériels et non quantifiables, car il existe alors d'autres façons d'y remédier. Par ailleurs, dans le cadre de la justice réparatrice, la restitution peut éviter l'accusation d'attribuer une valeur arbitraire au préjudice, car cette valeur serait déterminée par un processus de négociation entre les parties. Par conséquent, la valeur subjective d'une main pour un peintre entrera en ligne de compte, car c'est le peintre lui-même qui aura expliqué l'impact du préjudice commis.

    Donc, s'il existe bien des exemples (dont certains donnés plus haut) où la restitution ne répare rien du tout, il y a aussi des circonstances où le retour de gains obtenus ou utilisés à mauvais escient peut servir les fins de la justice réparatrice : le rétablissement d'un idéal d'égalité dans la société afin que la victime et l'auteur du délit traitent l'un avec l'autre en citoyens libres et égaux. Il faut noter l'exemple très important des cas où le vol du bien, qui ne reste qu'une partie du tort commis, a eu pour effet d'aggraver l'inégalité sociale (et économique) entre la victime et l'auteur du délit. Parmi les exemples récents, mentionnons le retour de terres prises sous le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, par le biais de la Land Claims Commission, ou celui des terres autochtones au Canada. Il est important d'en parler ici car si la justice exige la réparation, et non la restitution (comme idéal de la justice en soi), la réparation vise bien plus que la restitution des biens. En Afrique du Sud, la Land Claims Commission ne peut à elle seule faire réparation. Elle doit collaborer avec plusieurs autres instances pour déblayer le chemin menant à la réparation. En particulier, le retour des terres ne peut rien pour remédier aux atteintes aux droits de la personne qui ont été commises au nom de l'apartheid. La Truth and Reconciliation Commission a reçu pour mandat de découvrir la vérité à ce sujet, un pas de plus vers la réconciliation. Au Canada, nous savons bien que le retour des terres autochtones ne suffira pas à la réparation. Le simple retour des terres ne fait rien pour remédier à la destruction totale de la culture et aux abus subis par les peuples autochtones tout au long de l'histoire.

    S'il est certainement possible que la restitution joue un rôle important dans la réparation, ce n'est pas toujours le cas. D'un autre côté, il existe des cas où la restitution peut même entraver la réparation visée. En effet, dans la théorie de la justice réparatrice, il est reconnu que la perturbation du status quo ante peut entraîner des besoins distinctifs de réparation, car il s'agit de rétablir un idéal d'égalité sociale entre la victime et l'auteur du délit, et le simple retour peut ne pas suffire à atteindre cet objectif, allant même jusqu'à le compromettre. Si, par exemple, l'auteur d'un délit vit dans la misère et vole pour nourrir ses enfants ou pour se procurer des drogues : en l'obligeant à restituer ce qui a été pris, on risque de compromettre totalement l'atteinte de rapports idéaux d'égalité recherchés par la justice réparatrice, lui barrant le chemin vers une situation socio-économique qui lui permettrait de bénéficier de dignité, de sollicitude et de respect en toute égalité.

    Ce n'est pas la première fois que l'on considère la restitution dans le contexte plus large de la justice réparatrice. Si l'on examine l'histoire des pratiques restitutives, on peut se demander si la confusion entre restitution et justice n'était pas fondée sur un usage abusif ou une interprétation erronée de pratiques anciennes. Les cultures anciennes, comme l'indique Van Ness, " cherchaient la réparation non seulement pour assurer que les victimes reçoivent une restitution, mais aussi dans le cadre d'un processus de guérison, de rétablissement de la paix au sein de la collectivité ". Cette paix est désignée par le terme shalom en droit hébraïque. D'après Van Ness " shalom signifie plénitude, accomplissement, complétude : l'existence de rapports tels qu'ils doivent être entre les particuliers, la collectivité et dieu. Shalom représente le contexte idéal dans lequel une société doit fonctionner ".55 Dans cette optique, l'infraction détruit le tissu social, et la justice est censée le réparer. Le rôle de la restitution dans ce système ressort du fait même que le mot utilisé pour la désigner, shilloum est apparenté au mot shalom.56 Pourtant, comme nous le rappelle Van Ness, " ...la restitution n'était pas le but ultime. Le processus judiciaire était fondé sur un rapport hypothétique entre les parties touchées par le crime et exigeait un engagement non seulement à redresser les torts, mais à réconcilier les parties en cause et à rétablir la paix au sein de la collectivité. Le rétablissement de shalom constituait le résultat de la justice ".57 La justice réparatrice peut donc inclure la restitution comme une étape à franchir pour parvenir au but de la réparation, mais elle ne constitue pas un but en soi.58

    Dans cette vaste conceptualisation de la place limitée et bien précise de la restitution au sein de la justice réparatrice, on peut se poser plusieurs questions de détail : exemple, la dimension restitutive peut-elle intervenir par le biais d'un rapport direct entre l'auteur d'un délit et la victime? Le contrevenant devrait-il contribuer des fonds à une caisse de secours à la victime? Qu'est-ce qui détermine la constitution d'une caisse de ce genre du point de vue de la réparation? Les besoins réels (par ex., soutien psychologique, aide au rétablissement après une agression...) ou la nature scandaleuse du crime? Par ailleurs, comment calcule-t-on la contribution d'un contrevenant? Quels ajustements peut-on faire pour redresser les inégalités économiques entre les parties en cause? La restitution volontaire est-elle nécessaire en justice réparatrice? Nous traiterons de ces points dans la section consacrée aux éléments constitutifs de la justice réparatrice. On trouvera également des fragments de réponse dans notre exposé sur l'importance du dialogue pour répondre aux préoccupations concernant le caractère arbitraire des montants de restitution et la place du contexte dans la justice réparatrice.

    La restitution inspire d'autres inquiétudes. Les auteurs de délits qui en ont les moyens n'hésitent pas à offrir de l'argent aux victimes, dans l'espoir que la société passera l'éponge sur les dommages plus graves causés par l'infraction. Cette tactique est apparente dans les tentatives récentes de certains organismes religieux de confronter le problème des abus sexuels, les problèmes des soeurs Dionne avec le gouvernement de l'Ontario et la recommandation Krever d'indemnisation conditionnelle des personnes devenues séropositives à la suite d'une transfusion sanguine. Lorsque ces paiements sont désignés comme une restitution ou une indemnisation conditionnelle, on suggère que l'auteur d'un délit n'est pas totalement responsable de celui-ci, et cela nous éloigne donc des visées de la justice réparatrice. Cette situation est le résultat du problème général de la restitution évoqué plus haut, c'est-à-dire l'impossibilité de comprendre le préjudice non matériel causé par l'infraction. La justice restitutive ne peut donc visualiser l'infraction dans sa totalité.

Table of ContentsLa justice corrective

        La justice corrective reconnaît l'aspect intangible du préjudice résultant des actions de l'auteur d'un délit. Par l'utilisation de dommages-intérêts compensatoires, la justice corrective tâche de rectifier l'inégalité créée par la violation des droits de la victime.59 Par conséquent, la justice corrective répond à l'échec de la restitution à l'égard du traitement des aspects non matériels du tort résultant de l'infraction. La justice corrective énonce le précepte que l'infraction n'est pas seulement une atteinte à la possession du bien matériel par la victime, mais une atteinte à l'un de ses droits. Toutefois, la justice corrective offre la même réponse à un tel préjudice que la restitution à une perte matérielle, c'est-à-dire le transfert de l'auteur à la victime du délit. Lorsqu'on applique cette notion de transfert à ce qui est immatériel, la justice corrective révèle, paradoxalement, le manque de logique dans sa notion qu'un transfert de l'auteur à la victime du délit produira leur égalité. Lorsqu'on maintient la notion de transfert, la justice corrective semble dire que le fait d'appauvrir l'auteur d'un délit bénéficiera la victime. Cette notion de transfert est valable s'agissant de biens matériels. On peut comprendre que le fait de rendre vingt dollars à la victime peut compenser la perte financière produite par un vol tout en éliminant l'avantage financier acquis par l'auteur d'un délit. Le problème, comme on l'a vu, c'est que cette optique ne considère pas les autres torts, intangibles ceux-là, causés par l'infraction. La justice corrective tâche d'en tenir compte. Mais elle le fait en utilisant le même mécanisme, un mécanisme totalement inadéquat pour traiter autre chose que des biens matériels. Un tel transfert ne peut réparer la perte primaire subie par la victime, qui est de nature immatérielle. En fait, le contrevenant est appauvri sans que la victime en bénéficie aucunement. Il est évident que cela ne peut produire l'égalité entre le contrevenant et la victime qui est visée par la justice. Alors que la justice corrective touche l'égalité dans un sens abstrait, une sorte d'égalité mathématique (si je te prends ceci ou cela, tu te retrouveras dans une situation aussi mauvaise que la mienne), la visée de la justice comprise comme réparation est, pour la raison énoncée plus haut, un idéal d'équité sociale. Par conséquent, il reste vrai qu'on ne répare pas une injustice par une autre. Lorsqu'on dégrade la situation de l'auteur d'un délit, on s'éloigne en fait de l'idéal d'équité sociale, et donc, des besoins de la justice. La justice corrective a donc en commun avec la justice réparatrice l'idée que les torts auxquels il faut remédier après l'infraction consistent en bien plus que les biens matériels directement perdus, mais que l'infraction est avant tout une atteinte aux droits de la victime. Les théories de la justice divergent en ce qui concerne le besoin de remédier au tort et de rétablir l'égalité. Alors que la justice corrective est fondée sur la notion de transfert, la justice réparatrice estime que de tels torts ne peuvent être redressés qu'en restaurant le lien entre l'auteur et la victime du délit pour échafauder des rapports où les droits de chacune des parties en cause sont respectés.

Table of ContentsLa justice rétributive

    La justice restitutive et la justice corrective sont toutes deux limitées par l'engagement envers la notion de transfert en tant que moyen d'atteindre l'égalité. La justice rétributive, quant à elle, ne partage pas cet engagement. Dans un certain sens, la conception préconisée par la justice rétributive est en fait associée de plus près à la justice réparatrice que les deux autres notions. La justice rétributive et la justice réparatrice partagent un terrain conceptuel commun dans leur engagement envers l'établissement ou le rétablissement de l'équité sociale entre l'auteur et la victime d'un délit. Le point de départ de la justice rétributive est la réparation de l'égalité dans le tissu social. Pourtant, dès que l'on comprend cet engagement commun à la réparation de l'équité sociale, on commence à comprendre en quoi la théorie réparatrice et la théorie rétributive divergent de leur terrain commun conceptuel.

    La théorie rétributive identifie l'atteinte de l'équité sociale avec un ensemble particulier de pratiques historiques (typiques d'un vaste éventail de sociétés) souvent connues comme étant un châtiment. Autrement dit, la justice rétributive nomme la punition comme moyen nécessaire d'atteindre l'égalité; elle identifie la notion même de réparation avec celle de châtiment. Elle tâche de rétablir l'équité sociale par le biais de la rétribution contre l'auteur d'un délit, en l'isolant du reste de la société. Par contre, la justice réparatrice vise le problème du choix de pratiques pouvant, dans un certain contexte, atteindre l'objectif du rétablissement de l'équité sociale. Par conséquent, pour la théorie de la justice réparatrice, l'identification de ces pratiques exige un dialogue social60 faisant intervenir l'auteur et la victime du délit, ainsi que la collectivité, et exige la considération concrète du besoin de chacune des parties d'obtenir réparation.    

    Par justice rétributive, nous entendons toutes les théories qui préconisent le châtiment comme moyen de rendre justice. Toutefois, il est important de reconnaître la distinction entre les théoriciens traditionnels qui estiment que le châtiment est nécessaire en tant que tel, et ceux qui proposent des justifications instrumentalistes. En ce qui nous concerne, il faut noter que les deux justifications défendent le châtiment comme méthode de réparation. D'ailleurs, les théories instrumentalistes de la punition n'ont que peu d'écho dans les débats actuels sur les mécanismes de punition. De tels arguments ont été discrédités par le travail de criminologistes, surtout entre 1960 et 1980.61 Comme l'indiquent Braithwaite et Pettit,

        ...la criminologie positive a accumulé des masses de preuves montrant l'échec de telles doctrines utilitaires. Toutes sortes de programmes de réadaptation pour les contrevenants ont été mis à l'essai sans produire de preuves convaincantes qu'ils réduisent le taux de récidive. Les ouvrages sur la dissuasion n'ont pas non plus prouvé que des forces de police plus puissantes, des prisons plus nombreuses et des châtiments plus lourds et systématiques produiraient un effet sensible sur le taux de criminalité.62        

Pour commencer, nous estimons que la raison pour laquelle aucune preuve n'apparaît à cet égard et que les programmes n'ont pas produit les résultats prévus, c'est que ces derniers sont défectueux. En ce qui concerne la dissuasion, la réadaptation et l'élimination de la récidive, les objectifs visés sont louables. Toutefois, ils ne seront pas atteints par le moyen du châtiment. Quoi qu'il en soit, qu'on se laisse convaincre ou non par cette explication de l'échec des justifications instrumentalistes de la punition, il n'en reste pas moins vrai qu'elles se sont avérées oiseuses. La punition ne suffit tout simplement pas à atteindre les objectifs visés par ces théories.

    Au lieu d'abandonner l'idée de punition par suite de l'échec des justifications instrumentalistes, d'après Braithwaite et Pettit, " ...nombre de criminologistes parmi les meilleurs sont partis à la recherche d'autres façons de justifier le rôle prépondérant joué par le châtiment dans la réponse au crime ".63 Ils ont trouvé cette justification dans l'histoire. La rétribution a été ressuscitée dans l'espoir de justifier le châtiment. " La notion de rétribution est fort utile [aux partisans de la punition] , affirment Braithwaite et Pettit, car cela permet à la collectivité de croire qu'il n'est pas important de savoir si le châtiment la protège ou non : il faut châtier les contrevenants parce que c'est ce qu'ils méritent ".64 La conception rétributive de la justice a donc été dépoussiérée. Toutefois, il est trop simpliste de suggérer que la justice rétributive se résume à une sorte de règlement de comptes. S'il en était ainsi, il serait facile de la rejeter comme n'ayant rien avoir avec nos efforts pour rendre justice de façon humanitaire, car elle se réclamerait plutôt d'une prérogative divine. Comme nous l'avons affirmé plus haut, la justice rétributive est fondamentalement liée à la notion d'équité sociale. Son objectif est de mettre l'auteur et la victime du délit sur un pied d'égalité en châtiant le contrevenant comme il le mérite. Comme l'explique Martin Wright, la justification philosophique de la rétribution est éminemment sociale.

        [La justification est que] le préjudice causé à une personne se prolonge au-delà de sa famille; c'est un tort fait à une collectivité dont elle fait partie; par conséquent, le contrevenant peut être considéré comme un ennemi public. Cela reflète des changements dans l'organisation d'une société. Dans une société rurale, le chef ne s'occupait pas des litiges de nature civile entre les particuliers, sauf pour aider, contre paiement de droits, au versement de l'indemnité habituelle... Les sociétés s'incarnent dans la Couronne : " le roi, qui symbolise la majesté de toute la collectivité, est censé, par l'effet du droit, être la personne lésée par toute infraction aux droits publics de cette société " : le pouvoir des magistrats de punir dérive du contrat social auquel, en théorie, souscrivent les citoyens.65         

Par conséquent, la justice rétributive reconnaît que le préjudice dépasse le particulier pour s'étendre à la relation entre les contrevenants, les personnes directement concernées par leurs gestes et la collectivité dont ils font partie. Toutefois, tout en reconnaissant la nature relationnelle de la justice et l'objectif de rétablir l'équité sociale, elle est vouée à l'échec quant à la façon de produire une réparation. Wright décrit l'exemple le plus clair de cet échec, où la justice rétributive met la société à la place du roi, contournant entièrement la collectivité.

    Braithwaite et Pettit ont suggéré que l'abandon des justifications instrumentalistes du châtiment en faveur de motifs rétributifs était motivé par le désir d'éviter les injustice commises au nom de la réadaptation et de la dissuasion. Les nouveaux théoriciens de la rétribution, selon eux, se sont rendu compte qu'en plus d'être voués à l'échec, les arguments instrumentalistes peuvent mener à toutes sortes d'abus : par exemple, l'incarcération prolongée ou perpétuelle de certains détenus au nom de la réadaptation, alors que d'autres, par tricherie ou par corruption, bénéficient d'une libération anticipée. Les tenants de la rétribution considéraient le châtiment proportionnellement au préjudice causé par les actions des contrevenants comme une solution à l'injustice qui entache les pratiques actuelles. Un examen attentif de cette idée de châtiment égal à l'infraction révèle que c'est tout aussi arbitraire et potentiellement injuste que les systèmes instrumentalistes de punition. Toutefois, nous estimons comme Braithwaite et Pettit que les tenants de la rétribution sont bien partis mais qu'ils se sont égarés en chemin. En effet, ils ont jeté bébé avec l'eau du bain. Ils ont été aveuglés par l'injustice causée par leurs méthodes coercitives, les empêchant de percevoir des moyens plus positifs d'atteindre des méthodes humanitaires et réparatrices.66 La justice réparatrice, en revanche, s'arrange pour garder l'accent sur ce type de méthodes tout en évitant la coercition nécessaire dans les pratiques pénales. La reconnaissance du préjudice que le châtiment peut causer à l'auteur d'un délit et à ses perspectives de réparation pose une contrainte morale plus stricte sur l'utilisation de la rétribution à des fins de contrôle social (c'est-à-dire la dissuasion) que la contrainte implicite dans l'idéal rétributif, avec ses concepts d'agence, de volonté et de concordance entre le crime et le châtiment. En fait, l'idée rétributive légitimise la passion pour la vengeance, ou la furie rétributive, sans établir de paramètre définitif pour limiter la gravité de la punition. (N'oublions pas l'échec de la théorie rétributive à formuler, sur la base de cette idée elle-même, les limites du châtiment pour une infraction en particulier. La loi du talion (" un oeil pour un oeil, une dent pour une dent "), même avec cette limitation, est surtout une convention fondée sur l'application de l'idée du transfert d'autres idées de la justice à la rétribution : lorsqu'on dépasse la justice restitutive et corrective, au-delà du " transfert ", pourquoi pas deux jambes pour un oeil en vue de rétablir l'équilibre social, par rapport à la volonté subjective de vengeance qui a été moralement détachée de l'idéal rétributif?)

    Étant engagée envers le châtiment comme façon de concrétiser la réparation, la justice rétributive est tout à fait différente de la justice réparatrice même à partir d'un terrain conceptuel commun. Comme l'observe Howard Zehr, le point de départ de la justice rétributive est la culpabilité individuelle. La culpabilité est ce qui justifie la punition, mais la nature de la punition appropriée est presque une idée subsidiaire. La justice rétributive a donc les yeux tournés vers le passé, puisqu'elle s'occupe surtout de ce qui s'est passé, et non de ce qu'il faut faire pour y remédier. Alors que la justice rétributive présume que la punition est nécessaire pour rétablir l'équité sociale, la justice réparatrice demande ce qu'il faut faire. Nous avons déjà mentionné que la justice réparatrice s'intéresse à l'avenir. Elle jette certes un coup d'oeil vers le passé, mais c'est pour améliorer la relation endommagée. La justice réparatrice est axée sur le rétablissement de la relation afin d'instaurer l'égalité dans la dignité, le respect et la considération, et ne se contente de se demander qui est le coupable. En ce sens, même sans rechercher un effet dissuasif, on se retrouve avec idée de prévention des torts futurs; l'idée de la transformation est d'atteindre un état de stabilité futur où les parties préserveront un rapport d'équité sociale. Enfin, la justice rétributive étant axée sur le châtiment comme réponse à l'infraction, elle s'intéresse au processus : la déclaration de culpabilité et l'énoncé du châtiment. La justice réparatrice, d'un autre côté, est plus concernée par le résultat du processus que par le mécanisme lui-même.67 Elle est adaptable dans sa réponse à un préjudice, à condition d'atteindre l'objectif de la réparation. Par conséquent, tandis que la justice rétributive comprend la justice de façon similaire à la conception romaine des règles de droit et mesurée par l'intention et le processus, Zehr suggère que la justice réparatrice est mieux comprise par référence à la tradition hébraïque, définie comme l'établissement de bonnes relations et mesurée par le résultat.68

    Il est donc clair que la justice rétributive est concernée par la réparation de l'équité sociale, caractérisée par des relations de dignité, de sollicitude et de respect à titre égal. Si cette conception est correcte, on peut dire que la justice rétributive ressemble moins à une théorie distincte de la justice qu'à un mécanisme visant la justice réparatrice. Toutefois, en tant que théorie ou stratégie, le résultat reste le même -- la justice rétributive ne peut servir l'objectif de la justice comme restauration de l'équité sociale. La punition est en soi un isolement, puisqu'elle est par définition imposée. Le châtiment escamote le contrevenant, prohibant toute relation, et donc, l'égalité des rapports.69 Un problème clé de la punition, du point de vue de la justice réparatrice, c'est qu'elle n'est pas volontaire. Il est faux que la justice réparatrice n'exigera jamais que le contrevenant ait à souffrir ou à sacrifier quelque chose. Il s'agit plutôt d'un processus réparateur auquel il doit se soumettre volontairement à la suite de négociations avec les parties concernées par le délit, et dans le cadre de ses efforts en vue de rétablir l'égalité dans le rapport.

    Le moment semble propice pour répondre à une critique importante de la justice réparatrice : qu'elle constituerait une option " douce ".70 Certains estiment que la justice réparatrice est indulgente, qu'elle laisse les contrevenants " s'en tirer " trop facilement. Or, c'est le contraire qui est vrai. En fait, la punition n'exige quasiment rien de l'auteur d'un délit. Dans un système rétributif, tout ce que le contrevenant aura à faire, c'est de subir son châtiment de façon passive. La justice réparatrice, quant à elle, exige que l'auteur d'un délit cherche activement le rétablissement de la relation.71 En effet, la punition peut inciter l'auteur d'un délit à éviter d'assumer toute responsabilité, parce qu'il peut alors se concentrer sur l'injustice dont il devient victime sous la forme du châtiment. Ce dernier peut servir à justifier les raisons que les contrevenants évoquent pour défendre ou excuser leurs actions : par exemple, le sentiment d'impuissance et de persécution. La justice réparatrice exige qu'un contrevenant soit confronté à sa victime et à lui-même au sujet de ce qu'il a fait, elle l'empêche d'échapper à sa responsabilité. Nous avons tous connu ce genre de situation dans notre vie privée. Mettons que vous avez fait du tort à quelqu'un que vous aimez et que vous ayez envie de vous faire pardonner. Si cette personne vous tourne le dos ou se met à bouder, vous saurez qu'il vous suffit d'attendre pour que les choses s'arrangent. La situation devient plus pénible si aucune solution n'est offerte et que vous deviez vous-même décider comment réparer votre relation.

La restauration de l'équité sociale n'est donc pas atteinte par le châtiment. Cela signifie que la justice rétributive est vouée à l'échec sur son propre terrain. Il faut donc chercher la justice réparatrice dans des pratiques qui intègrent l'auteur du délit afin de lui permettre de demeurer dans la relation, et non dans le châtiment qui l'isole.

Table of ContentsLa justice réparatrice

        Que veut-on dire lorsqu'on affirme que la justice est réparatrice de par sa nature même? Par notre comparaison avec d'autres conceptions de la justice, nous avons acquis une image plus claire de ce qu'est et n'est pas la justice réparatrice. Nous utiliserons maintenant cette discussion pour brosser un tableau d'une théorie de la justice réparatrice.

        Nous réitérons notre affirmation que la justice est une réponse à une interpellation morale : il faut faire quelque chose. La justice réparatrice affirme que pour satisfaire ce sens moral, cette " chose " qu'il faut faire, c'est d'établir ou de rétablir l'égalité. Cela permet de savoir pourquoi un tel sentiment existe en l'absence de toute chose ayant troublé l'ordre. Par conséquent, si la justice signifie l'égalité, notre sens moral sera mis en demeure (ou devrait l'être) chaque fois que les choses sont déséquilibrées ou inégales.72 Toutefois, nous avons vu que la justice ne peut traiter de l'égalité dans l'abstraction. Plutôt, cette égalité doit être une équité sociale. Si la justice est un souci humain, elle doit être centrée sur l'égalité entre les humains. Par conséquent, la justice doit concerner l'établissement ou le rétablissement d'une équité sociale, et non une notion abstraite de l'égalité morale.

    L'équité sociale veut donc dire l'égalité dans les relations. Elle existe lorsque les rapports sont tels que chaque partie jouit de son droit à la dignité, à la sollicitude et au respect. La justice réparatrice vise à rétablir des relations. À ce titre, elle est fondamentalement relationnelle, et c'est ce qui la distingue des autres conceptions de la justice. La justice réparatrice reconnaît que pour avoir un sens, pour être instaurée dans la vie réelle et pas seulement dans la fantaisie des poètes ou des dieux, elle doit prendre compte de notre identité humaine. Elle doit observer une vérité au sujet des êtres humains qui a été occultée par les extrêmes de l'individualisme et du collectivisme dans la culture occidentale. Plus récemment, plusieurs des plus réfléchies des féministes qui ont rejeté ces extrêmes ont fait ressortir la vérité que les êtres humains sont fondamentalement relationnels. L'ego existe grâce aux rapports avec d'autres.73 Cela ne revient pas à nier notre individualité, mais à dire que l'individu se situe dans le contexte de relations humaines.74 En effet, tout comme nous ne sommes jamais entièrement indépendants des autres, nous ne sommes pas pour autant dans une relation de dépendance avec eux : nous sommes interdépendants. Il s'ensuit que la justice étant directement liée à l'être humain, elle doit se concentrer tout d'abord sur les relations humaines. Cela aidera à transformer l'image que l'on se fait normalement de la justice. Ce point de départ à la réflexion permet de brosser un tableau totalement différent à partir de l'image courante de la règle et du principe que l'on retrouve d'habitude dans la théorie rétributive, car cette conception est fondée sur la conception individualiste du soi et de l'humanité.75

        Quelles différences cela fait-il de mettre l'accent sur les relations? En premier lieu, il est important de réviser l'image de la justice dérivée d'une vision individualiste, ainsi que la théorie qui en résulte. La justice, comme nous l'avons vu par notre comparaison entre la justice réparatrice et les autres théories contemporaines de la justice, plus particulièrement la justice rétributive, est comprise comme un ensemble de règles et de principes abstraits conçus pour protéger chaque personne contre autrui, et pour assurer qu'elle reste libre de toute intrusion. Il est intéressant de noter comment cela s'est traduit dans différents domaines de notre système juridique. Dans le domaine constitutionnel, cela a produit la primauté des droits négatifs sur les droits positifs; dans le domaine du droit de la responsabilité civile délictuelle, cela signifie que la justice corrective sert à résoudre un conflit entre des particuliers, et en droit criminel, cela produit le concept de la justice rétributive (l'isolement étant l'objectif, et l'accent étant mis sur les délits particuliers). D'autre part, cette conception de la justice ressort du modèle contradictoire du système juridique tout entier.

        Quelle différence cela ferait-il de placer les relations et les liens humains au départ de la réflexion sur les paramètres de la justice? La justice viserait la création ou la protection de rapports humains. Autrement dit, la justice doit prendre la connexion comme objectif, et non l'aliénation et la séparation. Pour atteindre cet objectif, la justice doit être un mécanisme contextuel et non un ensemble abstrait de règles et de principes applicables à chaque situation. Pour constituer, promouvoir et protéger les relations, la justice examinera ces rapports et déterminera s'il s'agit de relations " saines " dans l'optique décrite ci-dessus (c'est-à-dire, des rapports fondés sur la dignité, la sollicitude et le respect dans l'égalité). Si les rapports ne sont pas d'égalité, la justice doit cerner ce qui est nécessaire pour rétablir l'idéal. La théorie de la justice qui émerge ici est réparatrice et entièrement différente des théories fondées sur des postulats individualistes.

    La nature relationnelle de la justice réparatrice éclaircit la réponse déjà donnée à la question souvent posée de savoir à quoi doit mener la réparation. Maintenant que nous avons compris que la justice réparatrice vise le rétablissement de relations, il est évident que la réparation ne saurait signifier le retour au status quo ante, à l'état des choses juste avant le tort. En effet, l'infraction est non seulement la cause de l'inégalité, elle résulte souvent d'une iniquité préexistante. Par conséquent, rétablir la situation telle qu'elle était avant l'infraction ne suffira le plus souvent pas à résoudre les problèmes relationnels qui ont permis ou perpétué les abus. En fait, au lieu de viser le tort et de s'assurer qu'il ne se produise plus, il faut se concentrer sur l'état du rapport social dans le cadre duquel l'infraction a eu lieu et essayer d'établir un état idéal d'égalité. Il ne faut surtout pas oublier ici qu'il ne s'agit pas pour nous de suggérer que cet idéal sera atteint de la même façon dans chaque cas. Le contexte revêt une importance vitale dans toute tentative de réparation. Dans une approche réparatrice, il est essentiel d'aborder la question de savoir ce qui permet d'établir la dignité, la sollicitude et le respect en toute égalité dans la relation. Il s'agit donc moins de savoir comment rétablir les relations en général, mais telle ou telle relation entre certaines personnes dans un contexte donné. Toutefois, les valeurs visées par la réparation restent les mêmes pour chaque situation. Les rapports d'égalité sont ceux dans lesquels chacune des parties voit sa dignité préservée et traite l'autre avec une sollicitude égale et un respect égal.

    Retournons donc à la description de la justice réparatrice proposée par Marshall au début de cette section. Compte tenu de l'accent qu'elle met sur les rapports et sur l'importance du contexte dans toute tentative de rétablir des relations, on voit clairement pourquoi un processus de justice réparatrice doit réunir " toutes les parties intéressée par un événement en particulier ". En outre, si l'on comprend que l'égalité visée est l'équité sociale, l'égalité dans le tissu social, il est important de reconnaître le rôle de la collectivité en tant que partie ayant un véritable intérêt à voir le rétablissement des rapports. La collectivité est tissée de liens entre des particuliers. Par conséquent, toute atteinte à ces liens endommage également la collectivité. D'autre part, la collectivité forme le contexte dans lequel s'insèrent les rapports sociaux. C'est pourquoi elle a un rôle si important à jouer dans le rétablissement des relations et dans la prévention des préjudices futurs. Dans la section suivante, nous explorons les besoins spécifiques de chacune de ces parties, ainsi que leurs fonctions respectives dans un processus de réparation.

Table of ContentsDE LA THÉORIE À LA PRATIQUE

        Dans cette section nous examinons la justice réparatrice dans son application pratique. Nous cherchons une réponse à la question de savoir quels sont les éléments constitutifs de la justice réparatrice, autrement dit, quelles sont les caractéristiques nécessaires à un processus pour être considéré comme réparateur.

    Dans la section précédente, nous avons démontré que les modèles de la justice réparatrice dépendent du contexte. L'importance du contexte pour déterminer ce qui est requis pour restaurer un lien social déterminé empêche d'offrir un ensemble de mécanismes de réparation pouvant s'appliquer à toutes les situations. Il n'existe aucun modèle institutionnel unique pour la justice réparatrice. Par conséquent, nous ne pouvons pas offrir un étalon de la justice réparatrice permettant auquel devront se mesurer les modèles qui se disent réparateurs. Chaque processus de justice réparatrice peut être de conception fondamentalement différente tout en restant de nature tout à fait réparatrice. Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes incapables de faire la distinction entre une pratique réparatrice et non réparatrice. Parmi les différentes formes de la justice réparatrice, mentionnons un engagement envers la réparation de préférence à la rétribution, la réintégration au lieu de l'isolement; un engagement à comprendre la collectivité comme partie intégrante de la création du conflit et de la solution à celui-ci, avec la reconnaissance qu'elle peut se centrer sur l'auteur ou la victime du délit ou sur la collectivité, mais sa portée dépasse toujours l'individu; un engagement à regarder vers l'avant, à considérer le résultat ou les répercussions d'un tort pour l'avenir; et un engagement à réunir toutes les parties concernées par la création de cet avenir.76 Il est donc possible d'identifier les éléments requis de tout processus de réparation. Ces éléments sont nécessaires, mais non suffisants pour qu'un processus soit réparateur. On peut alors confronter un processus à ces normes afin de voir s'il est réparateur. Nous avons parlé de plusieurs de ces éléments dans la section analytique ci-dessus. L'objectif de la présente section n'est pas de prendre encore une fois la défense des éléments de la justice réparatrice (par rapport aux autres modèles de justice), mais bien plutôt de donner une idée du sens pratique ce ces impératifs théoriques. Quelles démarches faut-il suivre en pratique pour fonder un modèle réparateur de la justice?

    La première question à poser est celle-ci : qui doit participer à un processus de réparation?77 Comme il a été dit dans la section sur la théorie de la justice réparatrice, celle-ci vise le résultat d'une infraction ou d'un conflit ou encore, ses répercussions sur l'avenir. En fait, d'après la conception réparatrice de la justice, les torts ou les litiges exigent de l'attention précisément parce qu'ils abîment les rapports sociaux. L'orientation de la justice réparatrice en pratique consiste à résoudre ce préjudice. Une étape importante du mécanisme de la justice réparatrice serait donc d'explorer la nature et la portée exactes du préjudice subi dans chaque situation.78 Il faut donc mettre de côté le postulat courant que les " victimes " sont les seules parties lésées par l'infraction. Nous devons comprendre que les collectivités et même l'auteur du délit sont, dans un certain sens, également lésés. L'orientation relationnelle de la justice réparatrice est claire : si les préjudices lié aux délits sont des torts faits aux rapports visés, l'auteur du délit souffre également d'un préjudice parce qu'il est, lui aussi, intéressé par ces rapports. Cela ne veut pas dire que les seuls torts qui concernent la justice réparatrice sont des dommages abstraits causés aux rapports. En fait, les torts tangibles et intangibles (par ex., perte de biens ou de revenu, frais médicaux, perte du sentiment de sécurité, dommages psychologiques, etc.) découlent de la rupture des rapports d'équité sociale. Les rapports de dignité, de sollicitude et de respect dans l'égalité (l'équité sociale) ne permettraient pas de tels dommages. C'est seulement en cas de rupture ou d'absence d'équité sociale que l'infraction se produit et qu'un préjudice en découle.

    Lorsque nous avons compris que le préjudice est ressenti par toutes les parties intervenant dans les rapports endommagés par l'infraction ou le conflit, il ressort clairement pourquoi l'approche réparatrice exige la participation de chacun. D'abord, si la justice réparatrice vise à réparer un préjudice commis, il faut absolument que chaque partie intervienne dans le processus afin d'expliquer la nature et la portée du préjudice subi, et, d'autre part, d'intervenir dans la décision visant la meilleure façon de réparer le préjudice. En deuxième lieu, dans un sens plus général, la justice réparatrice vise à rétablir des relations entre les parties et doit donc rassembler toutes les parties en tant que première étape à franchir vers l'atteinte de cet objectif.

    Il est donc important d'examiner qui sont les " parties ". Qui est lésé par le conflit et l'infraction et donc, qui doit faire partie de l'effort de justice réparatrice? Bien entendu, nous avons déjà répondu à cette question dans le cadre de notre exposé sur la théorie. Les parties lésées par l'infraction comprennent l'auteur et la victime du délit, directement visés, et, par extension, les collectivités dont ils font partie. Il est intéressant de considérer chacune des parties en cause ici. Nous reconnaissons qu'il est impossible de connaître les torts spécifiquement subis par chaque victime et auteur d'un délit et par la collectivité parce qu'ils dépendent du contexte, mais il est possible de traiter de façon générale du rôle joué par chacun dans le litige et son règlement.

Les conceptions conventionnelles de la justice, surtout corrective et rétributive, sont étroitement liées à la notion de volonté humaine produisant une notion de bipolarité; l' " auteur d'un délit " a la volonté de causer du tort à la victime. Cette agence ou volonté justifie à son tour l'abrogation des droits du contrevenant qui est le résultat de la coercition, même dans les causes civiles, mais encore plus, dans le châtiment. Dans le présent travail, nous utilisons les termes " auteur et victime d'un délit " de façon très vaste, afin de désigner les parties devant participer au processus de réparation. En ce qui concerne la justice réparatrice, qui rejette la coercition dans le sens strict, ces références n'ont pas besoin de renvoyer aux postulats les plus courants touchant la volonté. Ces exigences conventionnelles ont créé des difficultés théoriques majeures dans lesquelles la revendication de la justice possède des éléments intergénérationnels, où les torts sont fondés sur des comportements collectifs complexes ou des structures organisationnelles particulières (génocide, discrimination systémique, harcèlement sexuel, responsabilité des officiers à l'égard des simples soldats en Somalie, etc.), ou lorsqu'une solution au problème ne peut être prise en considération sans l'intervention d'une partie qui n'est ni l'auteur, ni la victime du délit (le conjoint innocent, par exemple, dans un cas de mauvais traitements à un enfant, ou les confrères et consoeurs dans une situation de harcèlement sexuel).

    La justice réparatrice pose la question de savoir qui a besoin de réparation en partant non du point de vue classique de la volonté (qui est le sujet et qui est l'objet du tort délibérément commis), mais des besoins de ceux qui sont touchés. Cela diffère clairement selon la nature des relations au tort. Mais le besoin de réparation ne signifie pas qu'on cadre dans des catégories classiques (contrevenant, auteur du délit, victime). Dans l'utilisation du langage ci-dessous pour l'identification de différents types de besoins de réparation, nous ne voulons pas importer dans notre analyse l'héritage des théories de la volonté.

Table of ContentsVictimes et personnes lésées

    On parle souvent de victimisation dans la société occidentale de nos jours. Avec l'aide des sciences sociales et de la psychologie, il semble que tout le monde peut trouver qui blâmer pour ses actions et sa situation sociale. En particulier, les théories de la détermination sociale ont mené à une situation où tout le monde semble être capable de revendiquer le statut de victime. Nous n'avons pas pour intention de jeter le discrédit sur ces théories, mais nous voulons seulement mettre l'accent sur les difficultés que l'on trouve à tenter d'identifier et de rectifier les besoins des victimes dans un mécanisme de réparation. Cette difficulté est aggravée par le fait que du point de vue de la justice réparatrice, le contrevenant et la collectivité sont également considérés comme subissant un préjudice. Sont-ils également victimes? Le problème est le suivant : comment est-il possible de parler de victimes de l'infraction ou du litige de façon intelligente si tout le monde peut se réclamer du statut de victime?

    Il ressort clairement que nous devons faire une distinction pour comprendre de qui nous parlons lorsque de utilisons le mot " victime ". Nous devons distinguer les victimes des autres parties qui subissent un tort ou des dommages à cause d'un conflit. La perspective réparatrice établit clairement que ce n'est pas seulement la victime mais aussi l'auteur d'un délit et la société qui sont lésés par l'infraction ou le conflit. Cela peut conduire certains à conclure que chacune de ces parties est une " victime ", à identifier le préjudice ou le tort avec le statut de victime. Cette conclusion, toutefois, ignore la question importante de la source et de la position relative au préjudice ou au dommage. C'est à cause de cette distinction qu'on se refuse à considérer l'auteur d'un délit comme une victime. Même s'il est vrai que l'auteur d'un délit subit, dans un certain sens, un préjudice et un dommage, cela ne suffit pas à en faire une victime. Il existe une grande différence entre l'expérience du préjudice par l'auteur d'un délit et celle de la " victime " : ce sont les propres actions de l'auteur du délit qui ont produit le préjudice subi par lui et par la victime. Les victimes sont lésées à cause des actions d'autrui.79

        Dans la catégorie de victime, il existe une autre distinction digne de considération. Étant donné que l'objectif de la justice réparatrice est de remédier aux torts ou préjudices soufferts à cause de l'infraction, il est important de faire la distinction entre les besoins des victimes directement lésées par l'auteur d'un délit et celles dont les préjudices ont une cause indirecte.

        La distinction n'est pas censée exclure les victimes indirectes de la catégorie de victime ou les empêcher de participer au mécanisme de réparation, et elle ne signifie pas le retour à une perspective étroite et conventionnelle de la notion de volonté. Toutefois, il est important de reconnaître que ces victimes sont situées de façon différente de l'auteur d'un délit et de son obligation à faire amende honorable. Compte tenu de la nature indirecte du préjudice subi par les victimes secondaires, d'autres facteurs au-delà des actions de l'auteur d'un délit ont dû contribuer au tort. Il ne serait pas juste de demander à l'auteur d'un délit de redresser ces préjudices. En plus de ce souci de justice, ces victimes n'ont guère de chances de voir la réparation des préjudices qu'elles ont subis si elles n'en explorent pas adéquatement les causes.

    Van Ness et Strong parlent également du problème posé par la réparation pour les victimes secondaires. Comme ils l'expliquent, dans certains cas, il ne s'agit pas de réparation, mais de déterminer à quel degré l'auteur d'un délit est responsable.80 D'autre part, ils suggèrent que cette distinction est importante afin de déterminer les priorités dans le cas de ressources limitées. Il faut accorder la priorité à la victime primaire, qui a subi un préjudice direct à cause des actions de l'auteur du délit.81

    Même s'ils cernent le besoin de faire la distinction entre victimes primaires et secondaires, Van Ness et Strong affirment qu'il faut cerner certains besoins communs aux deux, distinguant deux besoins de base des victimes : reprendre le contrôle de leur vie et faire valeur leurs droits. Ces deux besoins sont, bien entendu, interreliés. Dans l'optique de notre définition de la justice réparatrice, les victimes ont besoin que l'on remédie aux préjudices subis, et c'est seulement lorsque cela s'est produit qu'ils seront en mesure de ressaisir le contrôle de leur vie. Le deuxième besoin est lié au premier. Avant d'entamer le processus de réparation, on droit reconnaître les droits des victimes. Il faut admettre qu'une infraction a eu lieu. Cette reconnaissance confirme l'idéal de la réparation pour la victime. Essentiellement, le fait d'expliquer à la victime que ce n'est pas comme cela que les choses devraient se passer confirme leur attente relativement aux rapports d'équité sociale.

    Le principal besoin des victimes est donc celui de rétablir les relations. Toutefois, il ne suffit pas pour cela de se livrer à des exercices de reconnaissance et de restauration. Pour atteindre la réparation des rapports, le préjudice subi par la victime doit être redressé. À première vue, on pourrait penser que cela n'exige d'efforts que de la part du contrevenant; après tout, c'est lui qui a causé le préjudice et qui doit donc faire amende honorable. Toutefois, les besoins des victimes dépassent le cadre du redressement par l'auteur du délit, pour s'étendre à la collectivité. Le fait d'être une victime produit souvent une victimisation renouvelée par la société. Il est généralement évident que l'un des besoins des contrevenants après une infraction, c'est celui de réintégration. Par ses actions, le contrevenant s'est coupé de la société, et cette dernière l'a isolé physiquement ou autrement. Par conséquent, l'un des principaux besoins de l'auteur d'un délit dans toute tentative de réparation, c'est la réintégration dans la collectivité. Il est moins évident de dire que la réintégration est également nécessaire pour les victimes. Toutefois, en examinant l'expérience de victimes, on se rend compte que c'est un besoin aussi pressant pour les victimes que pour les contrevenants.

    Les victimes partagent souvent l'expérience de l'auteur d'un délit d'être coupé de la société. Cela peut se produire de plusieurs façons différentes. La victime ou son expérience peuvent être ignorées ou, plus souvent, expliquées comme étant le résultat d'une chose ou d'une autre que la victime a faite ou omis de faire. Ce type de réaction à la victimisation consiste à " jeter le blâme sur la victime ". Van Ness explique que cette réponse est souvent motivée par nos propres craintes. " Parce que nous avons peur du crime, nous avons parfois du mal à traiter avec les victimes. Elles nous rappellent notre propre vulnérabilité, de la même façon qu'une personne atteinte d'une maladie mortelle nous remet à l'esprit notre mortalité. Donc, nous les ignorons, nous les écartons, nous les blâmons. La victime devient invisible. "82 Les victimes sont stigmatisées par la collectivité de telle façon qu'elles en sont écartées.

        Il est donc important pour la victime non seulement d'entendre l'auteur du délit reconnaître que le crime n'était pas de sa faute, mais aussi que la collectivité reconnaisse également la même chose. Le conflit, comme nous l'avons dit, endommage les rapports entre la victime et l'auteur d'un délit et, ce faisant, porte atteinte à la collectivité. Puisque le lien entre la victime et l'auteur d'un délit est de nature sociale, et que c'est par le biais de ce lien que chacun est en rapport avec le reste de la collectivité, tout préjudice porté à ce lien nuit également aux relations entre la victime et la collectivité d'une part, et entre le contrevenant et la collectivité d'autre part. Il faut redresser ce préjudice avant de pouvoir atteindre la réparation. La victime doit retourner dans le giron de la collectivité.

    Les processus de la justice réparatrice doivent donc inclure la victime. Mais que faut-il offrir aux victimes pour atteindre la réparation? En quelques mots, les victimes doivent être habilitées par le processus de réparation. Pour répondre à leurs besoins, leur expérience du préjudice doit être entendue, reconnue et réparée. Cela exige la participation du contrevenant et de la collectivité.

    Howard Zehr a conçu ce qu'il appelle l' " étalon de la justice réparatrice " pour évaluer si un processus est ou non réparateur. En ce qui concerne les victimes, Zehr pose notamment les questions suivantes afin d'évaluer le potentiel réparateur d'un processus :

Les victimes estiment-elles que justice est faite?
  • Leur donne-t-on la chance de raconter leur propre vérité à des auditeurs pertinents?
  • Reçoivent-elles la compensation ou la restitution nécessaire?
  • L'injustice est-elle proprement reconnue?
  • Ont-elles voix au chapitre?83
Table of ContentsAuteurs de délits

    Avant de passer aux processus de réparation en général, nous voulons aborder certaines questions relativement aux auteurs de délits. Tout d'abord, et de façon peut-être plus controversée que d'autres, la perspective adoptée par la justice réparatrice exige que l'on reconnaisse que l'auteur d'un délit a subi un préjudice lié à l'infraction. Comme il a été expliqué dans notre description de la théorie de la justice réparatrice, celle-ci reconnaît que l'infraction et le conflit porte atteinte au tissu social, causant un préjudice à toutes les parties en cause : la victime, l'auteur du délit et la collectivité. Dans la section consacrée aux victimes ci-dessus, nous avons noté pourquoi cette reconnaissance a souvent fait l'objet d'hostilité. Les gens ne veulent pas admettre que le contrevenant subit un préjudice à cause de ses actions pour éviter d'en faire une victime, et donc, d'excuser son comportement. Ce qu'il faut ici, c'est reconnaître que les torts causés à l'auteur d'un délit peuvent l'inciter à se concentrer sur ceux-ci et à éviter d'accepter la responsabilité à l'égard de ses actions. Toutefois, reconnaître le préjudice subi par l'auteur d'un délit est en fait une étape essentielle pour qu'il accepte la responsabilité de ses actions. Cela l'empêche de se concentrer sur les dommages qu'il a effectivement subi et de fuir les conséquences de ses gestes. Comme il a été mentionné plus haut dans la description du système rétributif actuel, en amenant un tort sur l'auteur d'un délit par l'occultation du préjudice effectivement subi, on lui permet de se dispenser de penser au tort causé à d'autres ou, et ceci est plus grave encore, on lui donne une façon de justifier le préjudice qu'il a causé à autrui. Toutefois, en reconnaissant le tort subi par l'auteur d'un délit, on produit l'effet contraire. En effet, on lui donne le loisir de réfléchir à ses torts et d'éprouver des sentiments d'empathie envers autrui au lieu du ressentiment à voir qu'on remédie aux dommages des autres et non aux siens. Par cette reconnaissance, on permet à l'auteur d'un délit de confronter ses sentiments et de comprendre l'expérience vécue. Les contrevenants ont alors une base sur laquelle fonder leur compréhension de l'expérience de leurs victimes. Ils deviennent capables de sentir ce que les autres ressentent à cause de leurs propres sentiments. Si les préjudices occasionnés à l'auteur d'un délit sont ignorés, cela envoie le message contraire, et celui-ci risque de penser que puisqu'on ne se soucie pas de lui et du dommage qui lui a été causé, il n'a pas à se préoccuper d'autrui. Le sentiment d'empathie est important dans l'approche réparatrice. Cela permet au contrevenant d'entendre et de comprendre ce que la victime exprime sur son expérience. Cette compréhension est cruciale pour la réconciliation entre la victime et l'auteur d'un délit, et pour les efforts en vue d'en arriver à une entente appropriée pour réparer le dommage et restaurer les relations afin d'instaurer des rapports de dignité, de sollicitude et de respect en toute égalité.

    La reconnaissance du préjudice subi par l'auteur d'un délit n'est pas chose facile. Ce préjudice est souvent un mélange complexe de problèmes antérieurs qui contribuent à l'infraction et de ceux produits par ce geste. Il n'est pas toujours possible de les distinguer les uns des autres, et ce n'est pas non plus souhaitable du point de vue de la justice réparatrice. La justice réparatrice cherche à restaurer des relations. Cet exercice n'est possible que si chacune des parties est habilitée à y participer à part entière. Pour ce, les dommages subis par chacun doivent être reconnus. Ainsi, à l'égard de l'auteur du délit, le processus réparateur doit lui permettre d'assumer sa responsabilité et de rendre compte de ce qu'il a fait. Dans la plupart des cas, il faudra surmonter les préjudices soufferts par le contrevenant, qui risquent d'entraver le processus.

        L'un des principaux problèmes qu'il faudra surmonter dans ce contexte, c'est le rejet par la collectivité. Autrement dit, les contrevenants connaissent le même besoin de réintégration que les victimes.84 La collectivité stigmatise les auteurs de délits au même titre que les victimes. Paradoxalement, malgré la différence qui existe entre les positions morales occupées, le motif de la stigmatisation est similaire. Nous jetons le blâme sur les victimes dans l'espoir de nous rassurer que nous ne joindrons jamais leurs rangs. Nous blâmons l'auteur d'un délit afin de nous assurer qu'il n'est pas des nôtres, que ses actions sont réprouvées, les gestes d'un individu détraqué ou pervers qui n'a rien avoir avec la société où il vit. Les contrevenants sont exclus afin de les séparer, sous prétexte qu'ils sont différents. De même que les gens veulent croire que " cela " ne pourrait jamais leur arriver, ils veulent aussi croire qu'ils ne seraient jamais capables de faire quelque chose " comme ça ".

    Il existe une autre raison pour laquelle la réintégration de l'auteur d'un délit dans la société est importante au succès de tout programme de justice réparatrice. Non seulement elle permet à l'auteur du délit d'écouter et de comprendre l'expérience de la victime, d'assumer la responsabilité à l'égard du préjudice causé et de s'accorder sur un plan de réparation, elle est essentielle au succès de la réparation. Pour que l'auteur d'un délit puisse respecter son engagement à dédommager la victime, il ne faut pas qu'on le prive des moyens de le faire. Si l'auteur d'un délit reste isolé de la collectivité, il lui sera impossible de dédommager la victime.

    En partie, la réintégration peut se faire par la reconnaissance des dommages subis par l'auteur d'un délit et par la participation communautaire au processus de réparation. Toutefois, il existe d'autres étapes tangibles devant être franchies, au-delà du processus de réparation, pour que l'auteur d'un délit réussisse sa réintégration. Par exemple, il est essentiel de lever les obstacles empêchant la participation active à la société, comme le logement, l'alimentation, l'emploi, la l'éducation, la formation, le soutien communautaire, etc.

    Cela ne signifie pas que la société est tenue de donner à l'auteur d'un délit les moyens d'effectuer la réparation. Nous suggérons plutôt que l'engagement envers la justice réparatrice doit être le fait d'une collectivité tout entière afin d'assurer que les contrevenants ne soient pas tellement stigmatisés qu'il leur est impossible de dédommager la victime. Compte tenu du préjugé qui existe dans la société contre les délinquants, l'élimination des obstacles à la réintégration risque d'exiger bien plus que l'arrêt de la production d'obstacles. Il faut que la collectivité joue un rôle important à cet égard. Bien entendu, les conventions de réparation doivent tenir compte de ce qui est possible. Même si la société doit s'assurer que l'auteur d'un délit a l'occasion d'offrir un dédommagement, la convention ne doit pas imposer un montant impossible à respecter.

    Il faut également se faire une idée claire des raisons de la réintégration. D'après nous, faute de réintégration, la chance que la victime reçoive un dédommagement reste mince. Toutefois, il est important de ne pas confondre cet argument en faveur de la réintégration avec sa justification. Il ne suffit pas que la réintégration est nécessaire pour que la victime reçoive des indemnités. Ce faisant, on utilise l'auteur d'un délit comme moyen de parvenir à une fin. Nous suggérons à la place qu'un engagement envers la réparation exige que le contrevenant ait l'occasion de remédier au tort commis et qu'il se réconcilie avec la société afin d'entretenir des relations égales avec ses concitoyens. C'est, de toute évidence, une nécessité pour rétablir l'équité sociale.

Table of ContentsCollectivités

    Pour discuter du rôle des collectivités dans la justice réparatrice, il faut clairement comprendre ce qu'on entend par ce terme.85 Van Ness et Strong font ressortir trois grands usages de ce mot qui nous intéressent.86 Une collectivité peut être fondée sur la géographie, un intérêt commun, ou la société dans son ensemble. Chacun de ces types de collectivité peut subir des préjudices différents et à divers degrés à cause du conflit et de l'infraction. Par conséquent, il est possible pour chacune de participer au processus de réparation de manières divergentes. Elles peuvent jouer des rôles différents selon ce qui est exigé dans chaque cas. Par exemple, les collectivités fondées sur un intérêt commun peuvent soutenir soit la victime, soit l'auteur du délit. Nous pensons en particulier aux gens qui sont proches de l'une ou de l'autre partie à cause de liens de famille ou parce qu'ils sont membres d'une collectivité de soins. Ou encore, une telle collectivité peut remplacer la victime si celle-ci n'est pas capable ou disposée à participer.87 La collectivité géographique peut être touchée, par exemple dans le cas de cambriolages ou tout autre crime fondé sur un certain lieu. Bien entendu, il est assez arbitraire de diviser les collectivités alors qu'elles ne sont pas toujours distinctes l'une de l'autre. Par exemple, la collectivité géographique devient une collectivité d'intérêt des victimes dans le cas de vols commis dans le quartier.

        Van Ness et Strong font remarquer que les groupes géographiques ou d'intérêt sont généralement plus directement touchés par l'infraction ou le litige que la société. Nous avons déjà exploré les raisons pour lesquelles la collectivité, dans le sens de la société en général, est concernée et touchée par le litige et l'infraction. Par conséquent, la société sera toujours concernée par le processus de réparation, de même que les autres collectivités touchées par le litige ou l'infraction. Alors que la nature contextuelle de la justice réparatrice permet d'autres types d'intervention communautaire et différents modes et degrés de préjudice causés par un événement, Van Ness et Strong suggèrent qu'il est possible de généraliser que les collectivités sont lésées lorsqu'on menace la sécurité ou la confiance de leurs membres.88

    Dans les deux sections précédentes, nous avons parlé du besoin des victimes et des auteurs de délits d'être réintégrés dans la collectivité. Il n'a pas si évident que la réintégration est aussi nécessaire pour la collectivité en général que pour le contrevenant ou la victime en particulier. La collectivité doit réintégrer ses membres parce que sans cela, elle serait affaiblie par la désintégration et la fragmentation.89 D'autre part, le regroupement possible par la restauration de relations et la réintégration de la victime et du contrevenant permet à la collectivité de se rétablir et de se renforcer.

    Par conséquent, pour la justice réparatrice, la collectivité est aussi bien le sujet que l'objet; la justice réparatrice se concrétise dans la collectivité alors même qu'elle transforme cette dernière. La justice réparatrice offre aux collectivités la chance de surmonter les effets nocifs du conflit ou de l'infraction. En regroupant la collectivité dans un effort pour surmonter une situation donnée, on rétablit un sens communautaire, et on lui permet de participer à la résolution du conflit tout en renforçant les valeurs d'une société en santé.

Table of ContentsLe processus de la réparation

    Nous avons examiné les parties qui interviennent dans un mécanisme de réparation; passons maintenant au processus lui-même. Maintenant que nous avons une idée de l'identité des parties concernées, posons-nous la question suivante : comme ces parties feront-elles pour atteindre la réparation? Nous en profiterons pour examiner la structure et le fonctionnement du processus de réparation. Quels sont les différents éléments d'un processus de réparation? Comment sont-ils structurés? Quels sont leurs rapports les uns avec les autres?

    Une autre question qu'il faut commencer par aborder est de savoir qui initie le processus de la justice réparatrice. Tout simplement, n'importe laquelle des parties qui nous avons nommées. Ce n'est donc pas uniquement à l'auteur du délit ou à la victime de lancer ce processus, comme c'est souvent le cas dans les programmes de médiation victimes-contrevenants. À la place, il est approprié et souvent nécessaire pour la collectivité visée (et parfois même pour la société dans son ensemble) de mettre en branle90 un processus de réparation.

Table of ContentsÉléments d'une pratique de la justice réparatrice

    Dans son article Reconciliation Procedures and Rationale,91 Mark Chupp affirme que le processus de réparation vise " les faits, les sentiments et la restitution ". Pour les raisons déjà vues, nous parlerons de réparation au lieu de restitution (la restitution n'étant qu'une facette de la réparation), mais cette structure n'en semble pas moins un bon point de départ pour identifier les éléments d'un processus de réparation.

    Le premier élément d'un processus de réparation est l'" énoncé de la vérité ". Cet élément concerne la partie " faits " de la description de Chupp. Il est évident que la réparation doit reposer sur la vérité et non sur des mensonges, mais en plus, il s'agit d'un aspect important de la justice réparatrice. L'énoncé de la vérité est important au début du processus, et tout au long de son déroulement.

    Pour commencer, comme nous l'avons déjà dit, la participation à la justice réparatrice doit être volontaire. Une façon de s'en assurer consiste à demander au contrevenant de reconnaître ce qui s'est passé, et ce, dès le départ. Ainsi, pour que la justice réparatrice puisse avoir lieu, le contrevenant doit d'abord admettre ce qu'il a fait. À première vue, cela peut paraître un obstacle énorme, puisque le mécanisme de la réparation n'est possible que si le contrevenant est disposé à admettre sa responsabilité. Si l'on met de côté le pourcentage de cas où le contrevenant parvient à un règlement dans le système actuel, une réponse à ce problème repose au sein même de la perspective de réparation. L'adoption d'une telle approche a des chances d'inciter les contrevenants à admettre ce qu'ils ont fait afin de réparer les dommages causés. Même si l'objectif du système rétributif est de prouver la culpabilité afin de justifier le châtiment (ou la responsabilité civile afin de justifier un " transfert " comme des dommages-intérêts), l'objectif d'un système de réparation est de compenser le préjudice causé par l'infraction. Le système rétributif intègre des incitatifs pour que les contrevenants ne disent pas la vérité sur leurs actions. Dans ce système, l'exigence d'admettre sa responsabilité serait une limite extraordinaire. Toutefois, le système de justice réparatrice ne s'intéresse pas à établir la culpabilité afin de parvenir à un châtiment. Il s'intéresse plutôt à déterminer ce qui s'est passé afin de redresser le tort commis. Par conséquent, en justice réparatrice, il relève du meilleur intérêt du contrevenant d'admettre ce qui s'est passé, car cela l'aidera à résoudre la situation.92

        L'énoncé de la vérité est aussi important pendant le processus qu'avant celui-ci. Comme l'indique Chupp, un processus de réparation doit traiter des faits de la situation. La raison en est intuitivement claire : pour compenser le préjudice commis et essayer de rétablir les rapports, il faut savoir ce qui s'est passé. Par conséquent, tout processus de réparation doit être fondé sur la vérité. Toutefois, pendant le déroulement du processus, la vérité n'est pas limitée à l'auteur d'un délit comme auparavant. Une fois le processus mis en branle, il est important que l'auteur d'un délit et la victime racontent leur version de l'incident de façon entière et honnête.

Table of ContentsLa rencontre

    Cela nous amène à la question de la structure de la justice réparatrice. Nous avons dit qu'il est important de dire la vérité pendant le déroulement du processus, que la victime et le contrevenant doivent raconter leur histoire. Mais ce n'est pas suffisant : il ne suffit pas de dire la vérité, cette vérité doit être entendue par les autres parties. C'est ce que nous appelons la " rencontre ", l'un des éléments clés de la justice réparatrice. C'est dans ce contexte que le reste peut se produire. Nous rappelons la description de la justice réparatrice que nous avons tirée de Tony Marshall :

        La justice réparatrice est un processus par le biais duquel toutes les parties intéressées par une infraction donnée se réunissent afin de décider ensemble de la meilleure façon d'aborder les conséquences du délit ainsi que ses répercussions futures. (Nos italiques)         

Marshall ne se contente pas de dire que les parties interviennent ou qu'on demande leur opinion. La justice réparatrice ne cherche pas à faire de la diplomatie par personne interposée. La rencontre force les parties à se confronter.93 À cette occasion, elles remettent en question les versions contradictoires des événements. C'est dans cette confrontation et cette remise en question que l'on pourra trouver la vérité. Le concept de la vérité est insaisissable. On se demande même si la vérité objective est possible. L'énoncé de la vérité, dans le contexte d'une rencontre, met en évidence le type de vérité recherché par la justice réparatrice : la vérité intersubjective produite par la confrontation entre des vérités subjectives.94 C'est ce que Herman Bianchi appelle la vérité relationnelle. D'après lui, cela signifie que " la vérité est partout et toujours une notion sociale, qui s'insère dans le cadre d'une structure d'interaction ". La vérité relationnelle, comme la décrit Bianchi, n'est ni subjective, ni relative. À la place, " elle émane de la confirmation du fait réel que la vérité est toujours une interprétation de la réalité. La vérité existe entre les gens, et c'est une donnée qui a besoin d'être activée ".95 Ce concept de la vérité s'adapte tout naturellement à la justice réparatrice car elle est liée à une vision relationnelle de l'être humain. La justice comprise de façon réparatrice est concernée par l'établissement de relations adéquates, et la vérité qu'elle recherche est celle qui émerge de tels rapports. Cette vérité est " bien plus que la simple réponse à la question de savoir si la personne a vraiment commis le crime et dans quelles circonstances. Il s'agit ici de savoir si nous sommes capables d'éliminer le conflit produit par le crime et comment nous pouvons faciliter les choses pour la victime et pour le contrevenant ".96 La recherche et la découverte de la vérité relationnelle constitue une étape vers la réparation.

    En amenant les gens face à face l'un avec l'autre, on efface les mythes et stéréotypes mutuels.97 Cela permet au contrevenant de voir la victime, d'écouter son histoire et son expérience racontées en ses propres mots; cela permet à la victime de voir l'auteur du délit comme un être humain au lieu d'un criminel endurci; et cela permet à la collectivité de percevoir la vérité que la victime et l'auteur du délit ne sont guère différents des autres personnes. La rencontre est donc fondamentale à la réintégration car elle met en doute les stéréotypes qui justifiaient la ségrégation.

    Comme le raconte un contrevenant : " Face à ma victime, j'ai ressenti une peur terrible et une grande douleur... mais c'était important pour moi de lui dire `je t'ai volé'... ça créait un rapport entre lui et moi ".98 Il faut noter que d'après nous, ce rapport existait déjà entre le contrevenant et la victime, dans le sens que nous sommes tous en relation les uns avec les autres. Ce que cette personne décrit comme la création d'un rapport à l'occasion de la rencontre, c'était en fait la reconnaissance de cette relation qui les liait. Cette reconnaissance amène obligations et responsabilités. On peut remarquer que le contrevenant parle ici de " ma victime ", admettant par là une connexion et un sentiment de responsabilité.

    Enfin, la rencontre est importante à un autre égard. Nous avons parlé de son rôle essentiel dans l'établissement des " faits ", mais elle constitue également un élément clé dans le deuxième volet de la description de Chupp : les sentiments. La rencontre permet l'expression de sentiments dans la pratique de la justice réparatrice. Elle le fait en regroupant les parties pour leur permettre de se raconter leur propre histoire. Pour être clair, nous ne suggérons pas que les parties doivent exposer leurs émotions dans un processus de réparation : ce ne serait pas réparateur pour certains et pourrait même aggraver le préjudice. Toutefois, pour qu'un processus soit réparateur, les parties doivent être libres d'exprimer leurs sentiments, qui sont souvent aussi importants pour la réparation que les faits.

    Pour qu'une rencontre puisse réaliser sa promesse, il faut qu'elle revête certaines caractéristiques. Tout d'abord, elle doit être pilotée par les participants. Cela n'exclut pas le rôle d'un facilitateur. En fait, ce dernier à un rôle essentiel à jouer. En l'absence d'un facilitateur pour réunir les parties, structurer la discussion, élaborer des lignes directrices et s'assurer de leur respect, il serait impossible d'avoir un processus de réparation. Le facilitateur est nécessaire à cause du rôle crucial joué par la société dans la justice réparatrice. Les besoins respectifs de l'auteur et de la victime du délit en matière de réparation doivent être équilibrés et intégrés afin de parvenir à l'équité sociale. Cela exige la participation de particuliers qui n'ont pas eux-mêmes besoin de réparation parce qu'ils sont victimes ou auteurs du délit visé, mais dont la perspective peut inclure un élément social plus vaste. Toutefois, le rôle d'un facilitateur s'arrête là; autrement dit, le facilitateur doit assurer la mise en place d'un processus qui reflète les critères de la restauration de l'équité sociale sans essayer d'orienter ou de déterminer le résultats. Il ne doit pas intervenir dans le contenu ou le résultat du processus. Un facilitateur peut remplir un rôle symbolique représentant la collectivité dont il provient. Mais même dans ce cas, son rôle se limite à cela car la collectivité doit avoir une fonction explicite dans le processus de réparation qui dépasse le cadre des fonctions d'un facilitateur.99 Les rencontres doivent donc offrir aux participants la chance de décider ce qui est important dans leur situation et décider de la résolution qui leur convient sans l'intervention d'un facilitateur. En permettant au processus d'être piloté par les parties en cause, on aide les rencontres à tenir compte des rapports plus vastes qui existent entre les victimes et les contrevenants, sans les limiter à l'élaboration d'un plan d'action futures.

    La deuxième caractéristique importante d'une rencontre fructueuse, que nous avons déjà évoquée, c'est le récit. C'est bien plus que de réunir les parties face à face. Pris seul, cela ne mènerait à pas grand-chose. La rencontre que nous avons en tête est une notion bien plus substantielle. Ce n'est pas seulement une rencontre, mais un dialogue avec l'autre. Ce dialogue est possible lorsqu'on permet aux parties de raconter leur histoire, de communiquer leur expérience et de se faire écouter avec respect.100 Cet impératif signifie que les éléments à inclure et à exclure du processus sont déterminés uniquement par les limites du respect. Par conséquent, contrairement à notre système actuel qui interdit toute émotion, la justice réparatrice permet son expression et lui fait jouer un rôle important. Très souvent, c'est la seule façon de capturer la nature et la portée du préjudice qui a besoin d'être redressé. Tout en comprenant pourquoi l'émotion est nécessaire au processus narratif et donc à la réparation en général, on peut voir pourquoi il est impossible de la forcer. En effet, cela détournerait la narration et entraverait l'habilitation de la victime et du contrevenant.101

Table of ContentsLa protection des droits -- Un problème de manque d'équilibre

        Le concept de respect de la loi est revêt une très grande importance dans notre système judiciaire. Il s'agit de protections de procédure qui sont censées protéger contre les abus et la violation des droits. Puisque notre système actuel se concentre exclusivement sur les contrevenants, il n'est pas surprenant que ces garanties bénéficient ces derniers uniquement, et non la victime.102 Lorsque l'état a remplacé la victime dans le processus de justice criminelle, la disparité extrême causée dans l'équilibre du pouvoir a rendu ces protections nécessaires.103 Dans le contexte du droit criminel au moins, on peut penser qu'un processus réparateur visant à écarter l'état et à remettre la victime au centre du processus risquerait d'ignorer l'obligation de respecter la loi. Mais c'est le contraire qui est vrai. Même si l'auteur d'un délit n'est plus confronté à l'état tout-puissant et à ses ressources apparemment illimitées, l'adoption d'un système réparateur pourrait mettre en cause des questions de droits différentes mais tout aussi importantes pour la victime et le contrevenant. En fait, compte tenu de la nature contextuelle et moins systématique de la justice réparatrice, on peut dire que la possibilité d'abus est d'une certaine façon plus grande dans notre système actuel, très réglementé et structuré. La justice réparatrice doit donc se concerner du manque d'équilibre possible du pouvoir entre les parties au sein du processus, et en arriver à un accord, ainsi que sur l'utilisation de tactiques de coercition et de pression pour que les particuliers participent dès le départ. Lorsqu'on considère la pratique de la justice réparatrice, il est donc important de considérer le besoin de protéger les droits des participants à ces processus. Dans un certain sens, donc, la justice réparatrice en tant que processus doit incorporer ce qu'elle essaie d'atteindre comme résultat, c'est-à-dire l'égalité; en revanche, une partie du résultat peut provenir du fait d'être traité en égal dans le processus lui-même.

        Nous avons déjà parlé du besoin d'avoir une participation volontaire dans notre discussion théorique de la justice réparatrice. En pratique, cette exigence entraîne le besoin de protéger les victimes et les auteurs de délits d'une participation forcée. À l'égard des contrevenants, nous avons suggéré qu'une façon d'éviter de les forcer à participer est d'assurer qu'ils ne participent qu'après avoir de leur propre chef admis leur responsabilité. Il est plus difficile de s'assurer que les victimes participent volontairement. Pour ce, le processus doit leur être expliqué à fond afin de leur donner la chance de décider après mûre réflexion. Chupp suggère que pour se prémunir contre l'usage de la force et de la manipulation (même avec les meilleures intentions), il faudrait organiser des réunions préalables entre le contrevenant et la victime avant de se lancer dans le processus de réparation. De telles séances pourraient atteindre plusieurs objectifs, notamment : la chance d'écouter le récit de son expérience par la victime afin qu'elle se sente entendue; la chance pour le facilitateur de mieux comprendre la situation afin de décider qui doit participer au processus, la nature du conflit et les déséquilibres possibles des pouvoirs; et, ce qui est peut-être plus important encore, expliquer le processus aux deux parties afin de s'assurer que chacune dispose de l'information et des outils nécessaires pour prendre des choix informés et authentiques au sujet de la participation.104

    Une fois qu'on s'est assuré du caractère volontaire du processus, il reste le problème du déséquilibre des pouvoirs au sein du processus qui peut influencer la négociation des résultats. Le déséquilibre des pouvoirs existent pour plusieurs raisons : la nature des rapports antérieurs entre les parties (par exemple, conjoint violent) ou une situation sociale différente (par exemple, statut économique, âge, sexe, race). Le déséquilibre des pouvoirs est souvent difficile à détecter, car souvent, la personne qui a le plus besoin de protection se sent comme bâillonnée. Aussi, l'organisation du processus de justice réparatrice nécessite qu'on prête attention aux voix les plus menues, et qu'on demande à l'entourage des participants de découvrir la vraie nature des rapports. La collectivité a également un rôle à jouer. Souvent, pour assurer que les deux parties soient entourées, on peut inclure et habiliter les personnes les appuyant pour rétablir l'équilibre entre la victime et le contrevenant.105

        Même si la participation d'une communauté est un bon pas vers le rétablissement de l'équilibre des pouvoirs, il ne faut pas négliger la crainte de rencontrer un adversaire, crainte particulièrement forte dans certains cas. C'est en fait l'un des motifs inspirant la constitution du système de justice criminelle qui existe de nos jours : protéger les victimes contre une aggravation de la crainte et de l'intimidation de la part des contrevenants et empêcher ces derniers d'entrer en contact avec les victimes.106 Même si les victimes sont mal servies par le système actuel, et en fait, continuent à ressentir de la crainte, et autres sentiments parce qu'elles sont aliénées du processus et n'ont donc aucun moyen de faire face et de confronter ce qui leur est arrivé, il est encore important de reconnaître le désir motivateur de protéger les victimes et d'assurer que toute solution de rechange tienne compte de ce besoin des victimes. Le processus de la justice réparatrice doit donc protéger les victimes. La meilleure façon de le faire est peut-être d'habiliter les victimes afin de les empêcher de se sentir à la merci du contrevenant. La prestation de services de soutien et de rétablissement aidant les victimes à prendre un choix éclairé sur leur participation doit viser la protection de celles-ci. D'autre part, des mesures doivent être prises pour préparer les victimes en vue de cette participation, y compris la préparation avant le processus. La participation d'auxiliaires pendant le processus est également essentielle, comme on l'a dit plus haut.

        L'élimination du déséquilibre est plus facile en théorie qu'en pratique. Ce ne sont pas les processus en soi qui peuvent rétablir l'équilibre. L'idéal de la justice réparatrice peut en fait exiger des transformations sociales importantes, dépassant ce qui peut être réalisé dans tout processus spécifique à ceux qui sont directement impliqués dans le tort commis. Par conséquent, tout en reconnaissant que le fait qu'elle soit conçue comme système de justice veut dire que la justice réparatrice ne peut se cantonner à un rôle de thérapie sociale ou de perfectionnement de la société, elle reste ouverte à la possibilité qu'un processus du genre décrit n'est pas en mesure de répondre à l'idéal d'égalité dans la société sans des changements qui dépassent les choses que les contrevenants et les victimes peuvent faire. Nous avons déjà parlé du besoin de soutien social pour les différents éléments du processus de réparation.

    Cependant, tout cela ne doit pas minimiser la mesure dans laquelle le déroulement du processus lui-même est essentiel à la protection des droits des participants. Dès le départ, les parties doivent avoir voix au chapitre de l'établissement des " règles du jeu ". Ces règles diffèrent quelque peu des mesures d'équilibrage des pouvoirs décrites ci-dessus. Elles sont moins structurelles en termes de l'identité des participants et du déroulement de la rencontre (par ex., permettre aux gens de raconter leur expérience, etc.). Ces questions, qui doivent certes être expliquées et approuvées par les parties, ne sont pas censées faire l'objet de négociations. Les règles dont nous parlons touchent la façon dont les parties se comportent pendant le processus. Par exemple, il est interdit d'injurier les gens, de leur couper la parole, de lever la voix, d'émettre des menaces, de se lever de sa chaise, etc. En l'occurrence, le facilitateur devra amener les parties à bien comprendre le besoin de donner libre cours à l'expression (y compris émotionnelle) des expériences tout en protégeant le sens de sécurité ressenti par chaque partie. Ces directives offrent une protection accrue aux participants, car leur intervention dépend d'un certain comportement. D'autre part, le processus d'établissement des directives peut donner aux parties le sentiment d'être habilitées lorsqu'elles s'accordent sur les modalités de leur participation. Faisant partie du processus d'établissement des règles, les parties se sentent plus motivées à les respecter. Ils s'estiment obligés de les suivre parce qu'ils les ont élaborées. Ce processus peut également servir de lieu moins complexe et intimidant pour entamer le dialogue. Chupp suggère que l'établissement des règles est un " élément crucial à la création d'une ambiance et d'un contexte propices à une communication ouverte et à la réconciliation ".107

Table of ContentsLes résultats

    Enfin, nous devons parler du résultat de la rencontre. Van Ness et Strong parlent de cette étape comme d'une occasion de " considérer ou planifier l'avenir ".108 Cela implique ce que Chupp appelle la restitution109 et ce que nous appelons la réparation. On parle souvent de cette étape comme du point culminant du processus. Même si le résultat forme l'aboutissement de la rencontre (le plan visant à réparer le préjudice causé par l'infraction) il est trompeur de croire que c'est la fin du processus de réparation. À tout le moins, ce processus doit inclure le temps nécessaire pour mettre en oeuvre les modalités convenues, et peut-être plus encore.110

    L'entente entre les parties doit représenter le fruit du processus de réparation. Autrement dit, elle ne doit pas être bâclée. Il faut résister à la tentation de considérer l'entente comme l'objectif ultime et donc, de hâter la rencontre (l'établissement de ce qui est arrivé, la narration des expériences). Une entente vraiment réparatrice incarne la phase de la rencontre. Toute tentative de redresser le préjudice commis doit traduire une compréhension de ce qui s'est passé et du tort subi par la victime.

    Les ententes de réparation doivent être conclues de façon conforme au reste du processus. Elles doivent être le produit de l'écoute mutuelle et d'un engagement sincère à rétablir la relation pour qu'elle devienne la manifestation de la dignité, de la sollicitude et du respect dans l'égalité. Pour citer un exemple, Chupp suggère que le contrevenant soit le premier à proposer ce qu'il pourrait faire pour " se racheter ".111 C'est conforme à l'engagement de la justice réparatrice d'habiliter l'auteur d'un délit à accepter d'être responsable et de rendre des comptes pour ses actions. Pour ce, on donne à l'auteur d'un délit un rôle actif dans le processus au lieu du rôle passif qui lui est actuellement imposé par le système judiciaire. Cette proposition est également conforme à l'engagement d'habiliter les victimes. On les place au centre du processus, où elles ont le pouvoir de répliquer par une contre-offre ou d'expliquer pourquoi elles trouvent la proposition insuffisante.

        La condition que les ententes conclues soient de nature réparatrice signifie qu'il serait inacceptable d' " acheter " la victime ou de la séduire au moyen de promesses extravagantes à la seule et unique fin d'en arriver à une entente. L'objectif de l'entente doit être la réparation et non la simple acceptation par la victime. Aussi, l'entente doit avoir quelque chose à voir avec le préjudice.112 L'exigence relative à la nature des ententes place également des limites sur ce qu'on peut y faire figurer. La notion que la justice réparatrice est axée sur la victime est souvent mal comprise comme voulant dire que c'est la victime qui contrôle le processus. À l'étape du résultat du processus, cette idée erronée se traduit par l'affirmation qu'une entente est réparatrice si elle dédommage la victime. Mais il faut alors se demander : qu'est-ce qui dédommage la victime? C'est évidemment à la victime de le dire. Dans un tel mécanisme, la victime serait maître du jeu. Pour qu'il y ait réparation, le contrevenant doit faire tout ce dont la victime a besoin ou croit avoir besoin pour s'estimer dédommagée. Mais alors, que se passerait-il si la victime demandait à l'auteur d'un délit de renoncer à la vie, ou si la victime criait vengeance? À coup sûr, l'auteur du délit serait obligé de se conformer. Un tel scénario est fort troublant pour les défenseurs de la justice réparatrice. Nous avons déjà présenté nos arguments contre la justice rétributive pour le motif que la justice n'est pas faite par la vengeance. Comment pourrait-on demander à l'auteur d'un délit, au nom de la justice réparatrice, de se faire tuer pour dédommager la victime?

        La réponse à ce paradoxe, on la trouve dans la distinction entre un processus centré sur la victime et un processus contrôlé par elle. Comme nous l'avons dit, la justice réparatrice est centrée sur la victime. Elle place la victime et le préjudice subi au centre du processus. Cela signifie que c'est la victime, et non le gouvernement, le facilitateur ou la collectivité, qui est habilitée à décrire le préjudice subi et le dédommagement requis. Toutefois, cela ne veut pas dire que la justice réparatrice ait pour objectif de dédommager la victime, et seulement la victime. Comme nous l'avons vu, la justice réparatrice vise à restaurer le rapport pour qu'il revête les caractéristiques de l'équité sociale. C'est par là que la victime est dédommagée. La victime peut exiger certaines choses pour être capable de jouir de dignité et de respect par rapport à l'auteur d'un délit. Toutefois, ces besoins ne peuvent viser tout et n'importe quoi, car ce serait contraire à la notion de réparation. Il est impossible de parler de réparation pour la victime seule. Par conséquent, l'entente conclue dans le cadre du processus de justice réparatrice doit viser le rétablissement du rapport. La réponse à la victime qui crie vengeance, c'est que la vengeance n'a rien de réparateur, qu'elle ne suffit pas à redresser les iniquités qui ont mené à l'infraction et à produire une équité sociale.

        Cela signifie clairement que le châtiment n'a pas sa place dans un système de justice réparatrice. C'est une affirmation qui mérite qu'on y prête plus attention, car elle ne fait pas l'unanimité des défenseurs de la justice réparatrice. Un examen approfondi de la punition à la lumière de la justice réparatrice révèle qu'elle est impossible dans un tel système. Bianchi est sans doute celui qui met le plus d'ardeur à défendre cette opinion. Bianchi concorde avec la conception réparatrice de la justice que nous avons articulée. Comme il le dit lui-même, " justice est faite lorsque les gens -- victimes autant que criminels, plaignants autant que défendeurs -- deviennent libres des conséquences des conflits, ou plutôt des conséquences qu'il est possible de réparer pour tous ceux qui ont à faire avec le conflit ". La justice prise sous l'optique de la réparation ne peut être faite par le biais du châtiment car, d'après Bianchi, cela reviendrait à commettre une injustice qui " ne libère pas les gens de leurs craintes mais empire la situation en les rendant incompétents ".113 La justice, conclut-il, ne peut être liée à des mesures de contre-violence, car cela produirait la violence et non la réparation. Par ailleurs, le châtiment n'est pas dans l'intérêt de la réparation, car elle ne fait rien pour résoudre le conflit. La punition ne produit aucun règlement, car elle " crée un sentiment continu de malaise dans la nation [et, dirons-nous, chez la victime et l'auteur d'un délit] car les conflits sont encore là, comme des blessures à vif ... "114

    Il est important de dire clairement que nous n'entendons pas interdire une entente exigeant un sacrifice ou qui cause une souffrance chez l'auteur d'un délit. Il est souvent pénible de réparer le préjudice que l'on a causé à autrui. Ce que nous rejetons, c'est l'imposition d'un châtiment qui cause un préjudice ou une souffrance intentionnellement. Nous rejetons cela même si c'est vrai que le fait d'infliger la souffrance intentionnellement peut servir des fins supérieures. Quels que soient les autres intérêts pouvant être desservis, le fait d'infliger une souffrance ne peut produire une réparation et ne peut être le chemin vers des rapports de dignité fondés sur la sollicitude et le respect à titre égal.115 Ainsi, par exemple, une entente qui prévoit du travail en dédommagement des dégâts causés par un vandale ou la réparation d'un chambranle de porte abîmé par un cambrioleur ou encore le remboursement d'une mauvaise créance risque d'obliger l'auteur d'un délit à abandonner d'autres activités, à consacrer un certain temps ou, dans le cas de la restitution, à essuyer une perte financière, mais cette souffrance est directement liée au préjudice commis. Cela ne constitue pas l'imposition délibérée de douleur ou de souffrance, mais traduit le règlement négocié d'un conflit. Les ententes de réparation compensent un préjudice et, ce faisant, libèrent le contrevenant de la culpabilité et de la responsabilité à l'égard de l'infraction. Ces ententes pourront entraîner une certaine souffrance, mais en raison du travail fait par l'auteur du délit pour réparer le tort fait à la victime, et non la souffrance imposée par le biais du châtiment.116

Table of ContentsL'évaluation

        Au début de cette section, nous avons affirmé qu'en raison de la nature contextuelle de la justice réparatrice, il est impossible d'articuler un archétype permettant d'évaluer les autres mécanismes. Toutefois, nous avons réussi à établir certains des éléments constitutifs de la justice réparatrice. La présence de ces éléments est nécessaire pour qu'une pratique répondre aux besoins de la justice réparatrice. Ils ne peuvent toutefois servir de substitut, de baromètre de la justice réparatrice. Nous réitérons notre avertissement que ces éléments sont nécessaires mais pas nécessairement suffisants pour la justice réparatrice.

    Nous arrivons donc à la question de l'évaluation. S'il n'existe aucun modèle institutionnel unique pour la justice réparatrice, et qu'une liste d'ingrédients n'existe, comme faire pour évaluer un processus afin de savoir si c'est un bon exemple de justice réparatrice? Tout simplement, un processus doit être mesuré par son aptitude à la restauration. Cela veut dire qu'il n'existe aucune distinction à faire entre un processus de réparation en général et un processus de réparation réussi (entre l'intention et les résultats). La justice réparatrice est par définition, comme nous l'avons expliqué, orientée sur les résultats. Son but est de rétablir les relations; elle vise le préjudice produit par le conflit ou l'infraction. Un processus de justice réparatrice bien intentionné qui ne produit pas une réparation n'est pas réparateur du tout.

    On voit ainsi que la justice réparatrice doit être jugée par ses résultats. Comme l'indiquent Van Ness et Strong, cette évaluation sera tout à fait différente de celle utilisée dans le système judiciaire actuel. Alors que le système actuel évalue l'administration de la justice en fonction de la quantité de punitions imposées, un système réparateur parlera du montant de préjudice réparé,117 et se demandera si les relations ont été restaurées. Comme l'indique Bianchi, " l'acte de justice est jugé par ses résultats, tout comme on juge un arbre d'après ses fruits. L'arbre peut être joli à regarder ou tout de travers, et le système judiciaire a beau être solide et bien administré : ce qui compte c'est s'il produit les résultats escomptés ".118

Table of ContentsRésumé

    Nous avons identifié les éléments constitutifs de toute pratique qui prétend servir les intérêts de la justice réparatrice.

Une pratique réparatrice doit :

  • faire participer toutes les parties intéressées par le règlement du conflit : la victime, le contrevenant et la collectivité doivent tous intervenir dans le processus et être habilités à y contribuer pleinement.
  • reconnaître et vouloir dédommager les torts subis par autrui, sans oublier que ce n'est pas seulement la victime qui subi un préjudice, mais également l'auteur du délit et la collectivité.
  • être volontaire. La participation ne doit pas être le résultat de la coercition, de la crainte, de menaces ou de manipulation, qui ce soit à l'égard de la victime ou de l'auteur du délit.
  • exiger qu'on dise la vérité. L'énoncé de la vérité sous forme d'admission de responsabilité de la part du contrevenant est la condition préalable à tout processus de réparation; sous forme de narration franche de l'expérience de chacun, il forme un élément essentiel du processus.
  • prévoir une rencontre (face à face, avec récit des expériences mutuelles) entre la victime et l'auteur du délit ainsi que la collectivité.
  • protéger les droits des victimes et des auteurs de délits
  • faire intervenir un facilitateur capable de veiller à préserver une perspective sociale plus vaste
  • viser la réintégration de la victime et de l'auteur du délit dans la collectivité
  • prévoir un plan d'avenir ou une entente visant un règlement émanant de la négociation
  • ne pas imposer de châtiment
  • être évalué en fonction de ses résultats (réparation ou non)
Table of ContentsLIMITES DE LA JUSTICE RÉPARATRICE : promesses, possibilités et problèmes

        Dans cette section, nous parlerons de la portée de la justice réparatrice. Le terminologie utilisée dans ce système est celle d'usage courant en droit criminel. Toutefois, il ne faut pas oublier les possibilités de la justice réparatrice dans d'autres domaines du droit. Nous examinerons les domaines où il est possible de mettre en oeuvre la justice réparatrice, par exemple, dans les domaines du droit civil, international, de la famille, du travail et de la réglementation. Compte tenu que l'ambition globale de ce projet consiste à constituer un cadre de réflexion pouvant servir à fonder l'application future de ce modèle dans différents contextes, cet examen sera de nature limitée. Notre espoir est d'éclairer les possibilités d'études et d'applications futures et d'offrir une orientation pour ces explorations.

    Cette section traitera également de certains des problèmes que les partisans de la justice réparatrice risquent de connaître lorsqu'ils veulent utiliser ce modèle. Nous verrons, par exemple, comment aborder les cas où l'une des parties ou les deux ne veut pas participer. En particulier, nous répondrons aux questions soulevées lorsqu'un contrevenant n'est pas en mesure de participer à un mécanisme de réparation en raison de son état de santé mentale. Cela comprend un examen de la façon dont il faut aborder la protection de la société, par exemple dans le cas des soi-disant " contrevenant dangereux ". Ce questionnement mettra en lumière les limites de la justice réparatrice lorsqu'on la mesure à d'autres valeurs sociales.

    Enfin, nous aborderons le problème posé par les situations transculturelles : différentes collectivités ont des idées contradictoires de ce qui fait la réparation.

Table of ContentsPortée de la justice réparatrice

        Il est maintenant évident que l'élaboration des idées touchant la justice réparatrice a surtout eu lieu dans le contexte du droit criminel. Nous avons suggéré que cela s'explique au moins partiellement par la tendance à définir la justice réparatrice par son contraire, la justice rétributive telle qu'elle se manifeste dans le système actuel de la justice criminelle. Il existe cependant une autre explication plausible. On dit souvent que le système actuel de la justice criminelle ne marche pas. La hausse des taux d'incarcération a produit un résultat contraire à celui escompté : les taux de criminalité augmentent, alors que la récidive est de norme. Comme Zehr l'a suggéré dans son examen de la justice rétributive et de la justice réparatrice, nous devons commencer par ce que nous connaissons. Et que savons-nous, d'après Zehr? " Nous savons que le système dit de 'justice criminelle' ne fonctionne pas...Nous le savons depuis des années, et nous avons mis à l'essai bon nombre de réformes, mais en vain. "119 La crise perçue du système incite les gens à chercher des solutions. Elle a mené à des réformes, et dans certains cas, on met radicalement en cause les fondements du système, en proposant l'adoption de la justice réparatrice. Malheureusement, ce questionnement radical est resté concentré sur la justice criminelle. On en est donc venu à voir la justice réparatrice comme une façon d'appliquer la justice criminelle, et non comme une nouvelle perspective sur la justice dans son ensemble.

    Lorsqu'on a compris que la justice réparatrice s'intéresse à la restauration de rapports, on ne peut plus justifier sa limitation aux seuls conflits considérés comme relevant du droit criminel. D'ailleurs, maintenant que la justice réparatrice se concentre sur le préjudice et non sur la violation des lois, on perçoit la nature arbitraire de la distinction entre le droit public et privé en général. Pour la justice réparatrice, ce qui compte, c'est le préjudice produit : on ne veut pas savoir si l'acte à la racine du préjudice est ou non un crime. Van Ness et Strong ont également jeté le doute sur cette distinction, du point de vue de la justice réparatrice.

        Puisque l'action délictuelle sous-jacente est fondamentalement la même en droit criminel ou en droit de la responsabilité civile délictuelle, pourquoi un traitement différent? Le plus souvent, on répond que si les causes civiles s'occupent de la violation de droits individuels, les causes criminelles concernent des droits plus vastes détenus par la société; les procès criminels ne peuvent pas être commencés par les victimes, car le respect de la politique publique ne doit pas dépendre de la décision d'une personne de lancer une procédure juridique.120        

Cette explication couramment donnée complique la tâche de justifier la distinction, compte tenu de son origine. Comme on l'a vu dans le tableau des sources historiques de la notion de justice réparatrice, la décision de désigner certains actes comme criminels était éminemment politique, puisqu'elle était inspirée par la soif de pouvoir politique et économique ressentie par les monarques. C'est pour cette raison, et non à cause d'une différence quelconque dans leur nature, que certains actes ont été nommés criminels. Une fois désignés ainsi, ces actes ont été traités différemment. La victime s'est fait évincer en faveur du monarque ou de l'état, dans le rôle de procureur, donnant un caractère tangible à cette distinction arbitraire. L'état a dérobé le conflit qui appartenant à la victime, faisant oublier le fait que ces différends, tout comme ceux de nature " civile ", se produisent entre des particuliers.

    Compte tenu de ces origines, il est difficile sinon impossible de proposer une bonne raison pour cantonner la justice réparatrice aux seules affaires criminelles. En effet, si l'approche relationnelle de la justice réparatrice convient au contexte criminel, où le conflit entre les particuliers est tellement occulté, comment ne serait-elle pas appropriée à d'autres domaines du droit, où la dimension relationnelle est évidente? Autrement dit, en révélant la dimension relationnelle du crime, en tant que différend entre le contrevenant et la victime, la justice réparatrice se débarrasse de la distinction qui est faite entre le droit criminel et les autres domaines. Par extension, si la justice réparatrice est applicable au contexte du droit criminel, elle s'applique aussi à tous les types de différends.

    La justice réparatrice est donc appropriée dans les contextes où le préjudice est le résultat d'un conflit entre des parties. De cette perspective, la distinction entre droit criminel et droit de la responsabilité civile délictuelle (public et civil) disparaît. Nous ne suggérons pas par là que le droit criminel devrait cesser d'exister au profit d'un droit de la responsabilité civile permettant à tous les différends de demeurer du ressort de la victime. Nous disons plutôt qu'en adoptant une perspective réparatrice, la distinction entre les deux domaines s'estompe. Il s'agit maintenant de savoir si le préjudice produit par l'infraction ou le conflit et l'objectif dans les deux cas est la restauration de l'équité sociale (réparation du préjudice). Pour ce, il faut s'inspirer des deux systèmes, en adoptant, par exemple, le financement public et le soutien de l'état dans le système du droit criminel, ou le contrôle et la participation de la victime dans le processus civil, ou les rencontres prévues par le droit de la responsabilité civile délictuelle, etc.

    En éliminant la barrière entre le public et le privé, on perçoit une vérité : que la justice réparatrice a énormément à offrir à tous les domaines de notre système juridique. D'autre part, alors qu'il reste encore beaucoup à faire sur le plan des détails pratiques, le travail théorique sur la justice réparatrice qui a été fait dans le contexte criminel s'applique aussi à d'autres domaines. Bien entendu, on peut penser immédiatement à des exemples où il est évident que l'approche réparatrice conviendrait parfaitement. Nous en cernons quelques-uns dans la section suivante, en espérant que cela incitera d'autres à explorer les possibilités de la justice réparatrice dans leur propre domaine.

  • Droit du travail -- Il existe une multitude de possibilités pour la justice réparatrice dans ce contexte, surtout en ce qui concerne les différends liés à l'emploi. Dans de nombreux cas, ces différends, qui concernent les rapports entre un employé et son employeur, ont des répercussions sur les autres employés, d'autres employeurs dans l'industrie et même l'ensemble de la collectivité (dans le cas des normes de sécurité, par exemple). Ces différends sont parfois soumis à un groupe d'étude ou à un médiateur afin d'éviter d'avoir recours aux tribunaux. Toutefois, ces procédures sont limitées aux parties immédiatement concernées. Par conséquent, elles souffrent d'un déséquilibre des pouvoirs et ne tiennent pas compte du contexte plus large où existe le conflit. En revanche, un processus réparateur permet à d'autres collectivités de participer aux événements. Cette participation permet de toucher des questions de déséquilibre des pouvoirs et d'assurer que toutes les questions sont proprement résolues. Il existe un autre avantage à utiliser le processus de réparation dans ce contexte. Lorsqu'on traite les conflits particuliers de façon individuelle, loin de la collectivité qui est intéressée par les questions en litige, le résultat est souvent de portée limitée. Un processus réparateur, qui fait intervenir toutes les parties concernées, permet l'élaboration d'un plan d'avenir qui touche les questions générales et systémiques. Une approche réparatrice peut alors réduire le nombre de différends individuels en faisant intervenir les autres parties qui peuvent alors prendre action afin d'assurer que les conditions ayant mené à ce conflit sont résolues afin d'empêcher un autre incident de ce genre. Il est loin d'être garanti que cela sera le résultat de chaque cas. Néanmoins, une approche réparatrice permet cette possibilité, alors que les approches individualistes actuelles ne le font pas. Même lorsque les membres des collectivités d'intérêt ne participent pas au plan d'avenir, leur présence durant la procédure et leur exposition à d'autres perspectives peuvent les sensibiliser à ces questions dans leur propre contexte.
        Comme nous l'avons indiqué, une approche réparatrice offre également l'avantage de permettre aux parties de décider ce qui compte dans le règlement de leur différend, et de se montrer créatives dans l'élaboration de la solution. C'est utile dans le contexte du droit du travail parce que les affaires sont souvent le résultat d'une accumulation de causes, et ne peuvent être réduites à un seul acte ou incident. C'est particulièrement vrai dans le cas de différends syndicat-direction, où il ne s'agit pas d'un employé particulier et d'un incident particulier, mais d'un conflit entre les employés et l'employeur en général. La justice réparatrice peut traiter des questions multiples et offrir des solutions plus complexes.
  • Droit de la famille -- Tout comme le système de justice criminelle, le droit de la famille a fait l'objet de critiques virulentes qui ont entraîné l'adoption d'innovations et de réformes, notamment le mode amiable de règlement des litiges, qui est devenu la première étape du processus de médiation dans la plupart des conflits familiaux. Nous examinerons plus loin le mode amiable de règlement des litiges et la mesure dans laquelle il répond aux besoins de la justice réparatrice. À présent, nous voulons faire la lumière sur ce que la justice réparatrice peut offrir au droit de la famille. Compte tenu de la nature privée de la plupart des différends familiaux, le déséquilibre des pouvoirs est un grand souci. En fait, comme nous le verrons, l'une des principales critiques faites à l'utilisation du mode amiable de règlement des litiges est justement la mesure dans laquelle ces procédures moins formelles favorisent l'élaboration d'ententes forgées au détriment de la partie vulnérable. Comme l'indiquent les critiques féministes de l'éloignement des tribunaux en droit de la famille, les femmes se retrouvent généralement dans une position moins favorable dans de telles situations. Que ce soit à cause de leur position économique, parce qu'elles s'occupent des enfants ou à cause d'antécédents de violence ou la crainte de violence future, il demeure que lorsqu'une femme doit négocier avec son conjoint, les résultats sont souvent défavorables pour les deux. D'autre part, le déséquilibre des pouvoirs peut susciter chez les femmes l'impression d'être victimisée par le processus lui-même. La participation des collectivités de soutien utilisées dans la justice réparatrice et, mieux encore, de l'ensemble de la collectivité intéressée à empêcher une telle inégalité, permettrait de mitiger ce phénomène. Très souvent, la présence de collectivités de soutien habilitera la partie plus faible à représenter ses intérêts dans le processus. Cela signifie également que le règlement du conflit n'est pas seulement une question pour ces deux particuliers, ce qui rend plus difficile pour une partie de forcer l'autre à accepter une certaine entente. D'autre part, l'objectif de la justice réparatrice est le rétablissement de rapports afin qu'ils soient d'équité sociale. Cet objectif est incompatible avec les ententes faites au détriment de l'une des parties.
            La justice réparatrice peut également tenir compte du rôle important joué par les émotions dans les différends familiaux, rôle ignoré par le système des tribunaux. Un juge du tribunal unifié de la famille à Kingston (Ontario) par le du phénomène de " Tupperware émotionnel " pour décrire comment la dimension émotionnelle des différends familiaux parvient à se manifester dans un système qui refuse de reconnaître son existence. Au lieu d'exprimer la douleur et la souffrance ressenties, ou de chercher à faire valoir leur contribution à la relation, les parties s'attachent aux biens matériels comme échappatoire. Les batailles qui font rage autour du chalet, d'un ou de l'argenterie portent aussi souvent sur les séquelles émotionnelles que sur l'objet en tant que tel. Dans un processus de justice réparatrice, les parties peuvent cerner les questions qui comptent vraiment. On leur donne la possibilité, par la narration de leur expérience en leurs propres mots, de présenter les questions émotionnelles. Par ailleurs, le règlement négocié par les parties n'est pas limité à la distribution de biens matériels. Il existe dans le processus la possibilité de poser les vraies questions et de parler des torts causés par la rupture de la relation.
        Comme nous l'avons vu, les processus de réparation rassemblent toutes les parties concernées par le règlement du différend. Cette caractéristique pourra s'avérer particulièrement importante dans le droit de la famille. Trop souvent, les conflits au sein d'une famille ne peuvent être analysés en termes individuels; les différends entre certains membres de la famille touchent tout naturellement les autres membres. C'est certainement le cas de conflits entre les parents. Il n'est pas naturel de vouloir traiter les problèmes touchant chacun dans des procédures séparées, et pourtant, l'option de traiter des deux en même temps crée le danger, dans notre système actuel, de devenir une annexe à une question plus importante. Le mécanisme de réparation est fondé sur la reconnaissance de l'interdépendance des particuliers et de leurs relations. Il adopte une approche holistique au conflit et à sa résolution.
  • Droit international -- Le droit international a une vaste portée, allant du droit criminel à la réglementation des échanges. Pour explorer toutes les possibilités de la justice réparatrice dans ce contexte, il faudrait examiner tout le domaine du droit. Prenons un exemple où une approche réparatrice a été utilisée dans le contexte international. Le traitement des crimes contre l'humanité et des abus graves contre les droits humains est un défi à relever sur la scène internationale au moins depuis Nuremberg. L'entente récemment conclue à Rome de créer un nouveau tribunal international fermement axé sur une conception rétributive de la justice nous amène à penser que les idées de la justice réparatrice n'ont guère d'influence dans ce domaine. Pourtant, une option de rechange aux procès criminels se développe depuis une vingtaine d'année : celle des commissions de la vérité. Elles ont pris plusieurs formes, avec des objectifs, mandats et pouvoirs différents, mais leur récente incarnation sous forme de la Truth and Reconciliation Commission en Afrique du Sud met en évidence leur évolution vers une solution sérieuse pour traiter les abus commis contre les droits humains.121 La commission sud-africaine a mis en présence les victimes, les contrevenants et la société afin d'apprendre la vérité sur le passé en vue d'ouvrir la porte vers un avenir fondé sur le respect des droits humains. La commission écoute les expériences de tous les intéressés : victimes, contrevenants, collectivités. Mieux encore, par le biais de la commission, les gens écoutent les histoires de chacun et commencent à comprendre l'expérience des autres. Les contrevenants qui admettent leur responsabilité et révèlent tout sur leurs actions bénéficient d'une amnistie. De cette façon, les contrevenants demeurent libres de travailler dans le sens de la réparation. On offre un dédommagement aux victimes dans un effort de redresser le préjudice subi.
            Ce genre de commission ne constitue pas un modèle parfait pour la justice réparatrice. Par exemple, elle est eu du mal à établir des connexions formelles entre les victimes et ;es contrevenants en termes d'amnistie et de réparation. Toutefois, le modèle sud-africain a fait de la commission de vérité un mécanisme viable et efficace de la justice réparatrice. Ce type de commission fait contraste avec l'équivalent rétributif des procès criminels. Ces derniers sont axés sur les particuliers et leurs gestes illégaux, alors que les commissions de la vérité veulent rétablir l'équité sociale en parlant du préjudice causé par le conflit.
  • Administration des personnes morales --Braithwaite a suggéré que les processus de réparation sont des outils efficaces dans le domaine commercial. Plus particulièrement, Braithwaite examine les possibilités dans le domaine des crimes économiques.122 Son analyse est fondée sur la critique fréquente que les crimes des puissants ne sont pas toujours punis. Il conclut qu'une partie de la raison de l'omission quasiment chronique de poursuivre les crimes commis par les personnes morales, c'est que les poursuites n'aboutissent à rien. Toutefois, Braithwaite note de façon intéressante que les stratégies visant la réglementation et non la rétribution produisent les résultats escomptés. Dans sa recherche d'une explication pour cette différence dans les résultats, Braithwaite a cerné la principale différence entre ces approches : l'une est rétributive, et l'autre, réparatrice. Les programmes de réglementation cherchent à résoudre le préjudice causé par l'acte et élaborent un plan d'avenir visant à éviter toute récidive. D'autre part, l'approche réparatrice réunit toutes les parties intéressées au règlement du conflit. Dans le contexte des personnes morales, on réunit les sociétés relevant de la même industrie ou d'industries apparentées avec des groupes de citoyens ou de défense. Résultat, l'effet du règlement convenu s'étend bien au-delà du contrevenant et de la victime pour réglementer les pratiques dans toute l'industrie.
Table of ContentsDifficultés à surmonter par la justice réparatrice

Table of ContentsLa réparation est-elle possible en l'absence d'une des parties?

        On peut se poser une question évidente à l'égard de la justice réparatrice : et si l'une des parties refuse de participer? C'est là, à notre avis, que la collectivité joue son rôle le plus important dans la réparation. S'il est important de rétablir la relation particulière où le tort s'est produit, parfois, ce n'est pas possible (maintenant ou jamais). Cela ne veut toutefois pas dire qu'il n'y a rien à faire. Il est important de savoir que même si c'est la relation entre la victime et l'auteur du délit qui compte le plus, ce n'est pas la seule relation à être endommagée par le tort commis. La victime et l'auteur du délit sont tous deux membres d'une collectivité et leur rapport avec celle-ci a également subi des dommages. Par conséquent, la collectivité peut jouer un rôle pour aider la victime et le contrevenant à retourner en son sein après avoir été isolés par l'infraction.

        La collectivité peut donc jouer deux rôles distincts dans la réparation. Elle peut servir d'intermédiaire ou de médiateur, dans les cas où les parties ne sont pas capables de se confronter l'une l'autre. Elle peut également servir les intérêts de la réparation dans la mesure du possible si l'une des parties refuse de participer.

        Prenons d'abord le cas où les parties sont disposées à travailler vers la réparation dans un certain sens, mais sans pouvoir être face à face. La collectivité peut alors organiser un processus visant à discerner les besoins de la victime, puis avec le contrevenant pour savoir ce qu'il veut. Ensuite, la collectivité essaie de réfléchir avec chaque partie sur le rôle et la position de l'autre. Ce n'est pas une situation parfaite, car une rencontre est essentielle à la justice réparatrice. Les parties directement touchées par l'infraction doivent se retrouver face à face afin d'apprendre à négocier. C'est un élément crucial de la réparation. La collectivité doit donc tout faire pour réunir les parties. Toutefois, avant qu'elles ne soient disposées à se rencontrer, la collectivité peut contribuer largement à entamer le processus. Elle peut s'efforcer d'inciter chaque partie à réfléchir à ses besoins et à sa contribution au rétablissement de la relation. En outre, elle peut commencer le travail de restauration de la relation des parties en son sein (sans oublier que la collectivité a une responsabilité à l'égard de l'infraction, qui lui a également causé un tort). La collectivité peut demander ce dont a besoin à victime et négocier avec l'auteur du délit pour savoir comme il compte redresser le préjudice qui lui a été causé.

        Lorsqu'une partie refuse de participer, on se retrouve dans la même situation où une partie ou les deux ne se sentent pas capables de se rencontrer. Dans les deux cas, la collectivité joue un rôle important pour avancer vers la réparation. Dans le cas où une partie refuse de participer, la collectivité peut s'efforcer d'atteindre la réparation avec la partie qui est disposée. La cas le plus difficile se présente souvent lorsque l'auteur du délit est disposé à participer, mais pas la victime (c'est également le cas où nous pouvons le plus compatir avec un refus de participer). Il est important de développer une réponse à cette situation afin d'éviter que la partie qui refuse ne mette en danger les perspectives de réparation. Ainsi, même s'il est idéal que la victime prenne part au processus, en cas de refus, les représentants de la collectivité ou du groupe dont fait ou faisait partie la victime peuvent prendre sa place (par ex., les groupes de soutien aux victimes d'un crime particulier, le représentant du quartier où a eu lieu le cambriolage, un membre du groupe religieux, ethnique ou racial de la victime, lorsque l'infraction la touche en tant que membre d'un tel groupe). Nous avons brièvement parlé de l'option des groupes victimes-contrevenants dans notre description du rôle de la collectivité dans le processus de réparation.123 Ces groupes peuvent remplir plusieurs rôles. On peut avoir un groupe de victimes qui rencontrent un contrevenant en particulier (avec sa collectivité de soutien) et essayer un processus de réparation faisant intervenir ces parties. On peut également avoir des groupes de contrevenants qui rencontrent des groupes de victimes (donc des personnes sans liens l'une avec l'autre mais touchées par le même genre d'incident ou de différend). Ici encore, cette option n'est pas parfaite car elle ne permet pas la réparation entre les particuliers directement concernés. Toutefois, elle présente la chance de rencontrer des personnes ayant une perspective différente. C'est pourquoi elle offre certains des avantages de la rencontre : donner aux parties la chance de raconter leur expérience dans un contexte où on les écoutera avec respect, et annuler les stéréotypes que chaque groupe entretient sur l'autre. En fait, elle sert à humaniser l'autre partie et le conflit en général.

        L'autre option dans une situation où la victime refuse de participer consiste à convier l'auteur du délit à s'efforcer de rétablir sa relation avec la collectivité tout en faisant des efforts pour initier une réparation avec la victime. La réparation envers la collectivité peut faire intervenir les groupes victimes-contrevenants décrits ci-dessous, ou d'autres mécanismes par lesquels la collectivité a l'occasion d'exprimer comment elle a subi un préjudice et souhaite obtenir un redressement de la part de l'auteur du délit.

        Le cas le plus facile est peut-être celui où l'auteur du délit n'est pas disposé à participer au processus. Il existe deux scénarios possibles, selon la structure dont fait partie le processus de réparation. Cela concerne la question plus vaste de savoir si la justice réparatrice devrait constituer une solution de rechange au système rétributif et correctif déjà en place dans une sorte de mécanisme double, ou si elle devrait remplacer le système existant. Nous reviendrons sur cette question dans notre examen des agents de la justice réparatrice. Pour l'instant, on peut supposer qu'au départ, les mécanismes de la justice réparatrice devraient fonctionner en tandem avec le système existant, car il ne serait ni possible, ni désirable d'abandonner le système actuel tout de bloc. À la place, le changement doit être planifié avec soin et se produire de façon graduelle. Il est donc sage de réfléchir aux options qui existent dans les deux systèmes au cas où une victime refuse de participer au processus de réparation -- c'est-à-dire, dans un système dualiste où la justice réparatrice coexiste avec le système actuel, et dans un système unique où elle constitue le système judiciaire tout entier.

        Auparavant, il vaut la peine d'approfondir la question de la volonté.124 Pourquoi est-il impossible de forcer l'auteur d'un délit à participer au processus de réparation? La réponse à cette question relève de la nature même de la justice réparatrice. Cette dernière a pour caractéristique fondamentale de viser la réintégration. Étant donnée qu'elle veut rétablir la relation entre les parties en cause, le contrevenant doit demeurer dans cette relation. Il est cependant impossible de forcer quelqu'un à demeurer dans une relation. L'imposition de mesures d'isolement sur l'auteur d'un délit est évitable pour conserver la possibilité de réintégration, mais il est impossible d'empêcher une personne de fuir les gens, de s'imposer un auto-isolement. On peut comparer cela à la demande de pardon, qui révèle l'impossibilité logique de forcer quelqu'un à rester dans une relation.125

        La Truth and Reconciliation Commission d'Afrique du Sud a connu un tel dilemme lorsqu'elle devait décider des exigences à remplir pour qu'une personne puisse se faire amnistier pour les crimes commis sous le régime de l'apartheid. L'une des questions était celle de savoir si les particuliers devraient regretter leurs actions avant de pouvoir bénéficier de l'amnistie. Les demandeurs devraient-ils demander pardon pour cela? Des arguments frappants ont été présentés en faveur de cette position. L'idée que les gens pourraient ne manifester aucun remords, qu'ils pourraient même défendre leurs actions et recouvrer la liberté, cette idée était ressentie par scandaleuse. Mais en fin de compte, c'est la réalité de la disposition d'amnistie, puisque personne n'est obligé à demander pardon. Même les gens les plus opposés à l'amnistie ont dû reconnaître le bien-fondé de cette décision. Si on offre une amnistie, on ne peut pas l'assujettir à l'obligation de demander pardon. Les créateurs de la commission ont reconnu la vérité toute simple qui veut que des excuses exigées de force (la situation si la seule autre option était de se faire poursuivre en justice) ne constituent pas une demande de pardon. En effet, une demande de pardon doit être sincère, présentée librement et inspirée par un remords véritable. D'autre part, elle doit être accompagnée de la promesse formelle de ne plus commettre les mêmes infractions.

        Cela se compare au rétablissement d'une relation. Il est impossible de forcer quelqu'un à restaurer une relation. Des relations marquées par l'égalité présuppose une participation volontaire et un désir des deux côtés. La participation au mécanisme de réparation doit donc être volontaire pour que ce dernier ait une chance de réussir.

        Compte tenu de la condition que la justice réparatrice doit veiller à la libre volonté des parties, examinons maintenant les options qui existent lorsqu'un contrevenant refuse de participer à un mécanisme de réparation, dans un modèle double et un modèle unique.

        Puisque le modèle double est le plus réaliste, du moins à court terme, examinons-le en premier. Ce système comporterait un mécanisme de réparation côte à côte avec le régime actuel. Ainsi, dans le contexte du droit criminel, par exemple, le contrevenant aurait un choix entre le système rétributif et le mécanisme de réparation. Au départ, on pourrait objecter que ce modèle est contraire à la condition de participation volontaire, puisque le contrevenant est forcé de participer au processus de réparation sil ne veut pas subir le châtiment imposé par le régime rétributif.126 Nous admettons que le système dualiste pose un tel dilemme. Nous devons nous demandons si certains ne choisiront le mécanisme de réparation que pour éviter le régime rétributif,127 et qu'ils ne participeront pas à la réparation par désir sincère. Toutefois, on peut remédier à ce problème en s'assurant d'expliquer clairement la nature du mécanisme de réparation. D'après nous, la crainte que le choix entre la justice rétributive et la justice réparatrice ne soit pas un vrai choix est surtout fondée sur la fausse perception que la justice réparatrice est plus indulgente, et qu'au lieu de châtier le contrevenant comme la justice rétributive, elle le laisse aller sans plus. Nous avons déjà démenti cette perception de la justice réparatrice. Si on explique aux contrevenants combien de temps, d'efforts et de travail sont exigés par le mécanisme de réparation, ils sauront que le choix entre les deux régimes exige beaucoup de réflexion. Ànotre avis, si l'on tient compte du voeu d'aider l'auteur d'un délit à réformer sa vie et à redresser les torts commis, la justice réparatrice est incomparable au régime rétributif. En simples mots, la justice réparatrice fonctionne, alors que la justice rétributive est vouée à l'échec. La décision d'un contrevenant, prise dans de telles conditions, ne doit pas susciter d'inquiétudes sur son caractère volontaire. S'il fait un choix entre deux régimes en fonction de celui qui offre les meilleures chances de transformation et de redressement, cela montre déjà un engagement envers la réparation. Par conséquent, ces craintes sont dissipées par la fourniture de renseignements complets et réalistes sur les exigences de chaque régime. Ces considérations s'appliquent grosso modo aux cas où le choix doit être fait entre la réparation et le système de justice civile conventionnelle.

        Supposons donc que l'auteur d'un délit décide de ne pas participer128 à un système dualiste de justice réparatrice. Alors, quoi? Il reste dans le système actuel, alors que l'engagement envers la justice réparatrice suggère que ce choix n'est pas irréversible. Pour éviter les abus, il faudrait certainement prévoir un point de non-retour où il est impossible d'éviter les conséquences du système de justice rétributive ou corrective par le passage au mécanisme de réparation, mais il faut prévoir la possibilité que l'auteur d'un délit change d'idée et décide qu'il est prêt à se lancer dans la réparation. De même, il ne devrait pas exister d'obstacles lorsque l'auteur d'un délit veut participer à un mécanisme de réparation alors qu'il est déjà passé par le système rétributif ou correctif.129 L'engagement envers la justice réparatrice constitue un engagement permanent envers le rétablissement des relations; à aucun moment peut-on dire qu'il est trop tard pour tenter une réparation.

Table of ContentsLa dissuasion, la protection sociale et les limites d'un système purement réparateur

        Le système unique pose d'autres difficultés. Dans un tel régime, la justice réparatrice constitue la seule option. Comment traite-t-on alors les contrevenants qui refusent tout rétablissement, puisqu'il est impossible de les forcer à participer? Il est impossible de les laisser échapper à toute sanction, car ce serait à la fois inacceptable et contraire aux intérêts de la réparation. Il existe donc clairement un besoin de dissuasion. Dans le contexte criminel, il s'agit de savoir comment amener cette dissuasion sans violer l'interdiction frappant le châtiment qui est fondamentale à tout régime de justice réparatrice. Dans certains cas, la réponse est que les particuliers doivent d'abord être écartés de la société pour les empêcher de continuer à faire du tort. Mais se faisant, il ne faut surtout pas penser qu'on a fait justice. L'isolement de la personne se fait au nom de la protection sociale, et non de la justice. Toutefois, cela ne veut pas dire que dans cette situation, on abandonne tout espoir de faire justice. Il faut encore et toujours viser l'objectif de la justice. Le rapport entre les valeurs de la justice réparatrice, la dissuasion et la protection sociale mérite une explication. Dans un monde idéal, le mécanisme de la justice suffirait à remplir tous ces rôles. Toutefois, comme le révèle la situation du contrevenant récalcitrant, ce n'est pas toujours le cas. Il faut donc décider de ce qui va se passer quand ces valeurs entrent en conflit. L'idée de Wright, qui parle d'un " facteur de limitation ", est utile en l'occurrence. Wright affirme que pour éviter les contradictions, la justice réparatrice doit se fixer un objectif primaire. Mais, selon Wright, cela ne veut pas dire qu'un tel système ne peut pas essayer d'atteindre certains autres buts. Ces autres ambitions, cependant, doivent rester subsidiaires au but principal. Wright explique qu'un but subsidiaire " est un but désirable, mais subordonné au but primaire si les deux sont incompatibles ".130 Pour citer un exemple, nous avons montré que le but primaire de la justice réparatrice est de rétablir les relations de façon qu'elles se caractérisent par l'équité sociale. Un but subsidiaire pourrait être celui de la dissuasion.131 Cette dernière n'est recherchée que si elle est compatible avec la réparation. Wright suggère qu'il existe également des facteurs de limitation, " des conditions de fonctionnement qu'il est impossible d'ignorer ".132 En fait, ces facteurs servent de mesure de contrôle pour le but primaire. D'après nous, les actions relevant de la protection sont précisément des facteurs limitant la justice réparatrice. La valeur de la protection sociale n'a pas priorité sur celle de la réparation. À la place, cela sert à limiter la façon dont on peut parvenir à la réparation. La réparation reste notre principal objectif, et nous devons toujours chercher à atteindre cet objectif, mais pas au prix de la protection sociale. Quel que soit l'aboutissement d'un mécanisme de rétablissement, il ne doit pas menacer la sécurité de la société en général.

        En revanche, même dans les cas où il n'est pas évidemment possible de placer une personne dans un régime de réparation, lorsqu'il faut l'incarcérer au nom de la sécurité du public, nous devons toujours chercher à atteindre le but primaire de la réparation. Cela touchera la façon dont la protection du public est réalisée. Cela signifie qu'on ne claque jamais la porte sur la possibilité de mettre en oeuvre un mécanisme de réparation. En pratique, dans tout ce que nous faisons, par exemple incarcérer une personne au nom de la protection du public, il faut tâcher d'amener le contrevenant et la victime dans un mécanisme de réparation. Comme l'affirment Van Ness et Strong, " les contrôles sociaux imposés sur le contrevenant ne doivent pas poser des obstacles indus à l'objectif de la réparation ".133 Par conséquent, dans le cas de l'auteur d'un délit qui doit être incarcéré au nom de la protection du public, cet emprisonnement doit être d'une nature totalement différente de ce qu'il est de nos jours; ces mécanismes doivent être conçus en vue d'amener le contrevenant au point où il est capable de participer à un régime de réparation au lieu d'exister aux seules fins de le châtier. Par conséquent, l'incarcération est accompagnée de programmes d'éducation et de formation, de thérapie, bref, de tout ce qu'il faut pour aider une personne à comprendre le besoin de rétablir les relations et à devenir capable de le faire.

        Bien entendu, il existe des cas où il est impossible d'amener l'auteur d'un délit dans un mécanisme de réparation. Bien sûr, on peut s'inquiéter de savoir ce qui arrivera aux gens qui n'atteignent jamais l'étape où ils sont prêts à participer. Faut-il leur interdire à jamais de participer librement à la société? C'est une question difficile. La réponse dépendra certainement des raisons pour lesquelles la personne ne participe pas au mécanisme. Si la raison en est qu'il est mentalement ou psychologiquement inapte incapable d'y participer, la réponse consiste à lui offrir un traitement et des soins prolongés dans un cadre où il peut vivre sa vie au mieux de ses moyens sans porter atteinte au droits des autres à faire de même. Si la raison est le refus de participer, il faut se demander sérieusement quels torts cette personne pourrait occasionner si on la laissait faire. Il relève du meilleur intérêt de la société de protéger les relations contre tout nouveau préjudice causé par de telles personnes. L'inquiétude que cette question suscite à l'égard des droits des contrevenants est quelque peu soulagée par le fait qu'il ne s'agit pas de les punir. Dans la mesure du possible, on ne leur interdit pas de vivre pleinement leur vie.

        Enfin, il ne faut pas oublier le problème auquel se heurte la réparation dans les circonstances où l'auteur ou la victime d'un délit est absent pour des raisons autres que le refus de participer. Nous pensons notamment aux débats entourant la responsabilité des jeunes Allemands à l'égard des victimes de l'holocauste et de leurs familles. De tels cas sont pratiquement insolubles pour les théories conventionnelles de la justice, qui sont obnubilées par leur orientation bipolaire et leur conception étroite de la volonté. Dans un régime de justice réparatrice, il n'est pas nécessaire d'affubler les jeunes générations des qualificatifs de " coupables " ou " criminels " pour reconnaître qu'elles entretiennent peut-être un besoin de réparation, un besoin relié à leur propre besoin de pouvoir aimer et honorer leurs parents, grands-parents et toute autre personne ayant trempé dans ces crimes affreux. Autrement dit, un mécanisme de réparation n'est pas seulement possible, mais nécessaire, même lorsque les " véritables " contrevenants  (sous la perspective conventionnelle de la théorie d'agence) ont disparu. Il prendra néanmoins une forme différente, en raison des besoins des vivants, qui doivent désormais voir le rétablissement d'une relation d'égalité dans la société. En revanche, les familles des victimes auront des besoins de réparation différents de ceux des victimes primaires qui ne sont plus là.

Table of ContentsLes différentes notions de la réparation

    Une autre limite placée sur la justice réparatrice est celle des situations transculturelles, qui montrent l'existence de notions radicalement différentes de réparation. La justice réparatrice peut-elle fonctionner si les parties en cause entretiennent différentes idées sur la réparation? Laquelle doit prédominer? Mettons, par exemple, que le différend ait lieu au sein d'une collectivité autochtone. Un régime de réparation peut sembler approprié dans une telle situation, car la collectivité partage un sentiment commun sur ce qu'il faut faire pour mettre en place des relations d'équité sociale. Que se passe-t-il toutefois si l'une des parties n'appartient pas à ce groupe? Pour compliquer les choses, supposons que cette partie vient d'une culture ayant des idées tout à fait différentes sur l'équité sociale. Faut-il perdre espoir sur les perspectives de la justice réparatrice en l'absence d'une notion commune de la réparation?

    D'après nous, la réponse est fermement négative : le succès de la justice réparatrice ne dépend pas d'une notion culturelle commune de la réparation. D'ailleurs, la justice réparatrice peut servir de lieu pour débattre des différentes idées sur la réparation et de parvenir à un compromis bien adapté à la situation. Le règlement que l'on recherche dans la justice réparatrice doit être le produit de la négociation entre les parties concernées. Par définition, les conditions nécessaires pour rétablir la relation ne peuvent être dictées par une partie à l'autre, car cette dernière serait alors exclue du processus. À ce stade, il est utile de rappeler qu'il ne s'agit pas qu'une partie dédommage l'autre, mais de rétablir la relation entre les parties. Compte tenu de cet objectif, il est clair qu'il est impossible de parvenir à une entente aux dépens d'une partie ou de l'autre. À la place, elle doit être le produit d'une négociation entre les parties, et il doit exister une garantie que l'entente ne produira pas de nouveaux préjudices. Comme nous l'avons indiqué, cette négociation constitue en elle-même une étape importante vers la réparation de la relation. Par conséquent, dans le contexte d'un conflit transculturel, la justice réparatrice interdit l'imposition d'une conception donnée de la réparation, mais demande que les deux parties se réunissent afin de discuter du meilleur compris possible pour résoudre leur différend.

    Bien entendu, c'est plus vite dit que fait. En effet, il est souvent plus difficile de négocier que d'imposer un règlement. Toutefois, l'effort en vaut la peine, puisque les règlements négociés ont plus de chances de durer. Le mécanisme par lequel les parties négocient un règlement peut devenir le sujet de discorde entre deux groupes. Dans ce cas, les collectivités visées doivent se réunir afin de convenir des détails du mécanisme de réparation avant d'entamer le processus. La réunion entre les groupes doit, de toute évidence, se dérouler dans un esprit propice à la réparation.

    On peut présenter un autre argument en faveur de la justice réparatrice dans un contexte transculturel. Comme l'affirmaient certains répondants à un sondage récent du ministère de la justice de la Nouvelle-Zélande sur la justice réparatrice, cette dernière est en fait plus apte que les autres mécanismes à surmonter les différences culturelles, car elle autorise diverses expressions culturelles.134 Nous avons déjà affirmé que l'un des grands avantages de la justice réparatrice est son ouverture. Un mécanisme de réparation permet aux participants d'exprimer leurs expériences de leur propre point de vue et de décider eux-mêmes ce qui peut le mieux résoudre le conflit. Il n'y a pas de parti pris sur la nature du conflit et du règlement qui risquerait d'exclure certaines expressions culturelles. Pour rétablir l'équité sociale, un régime de réparation doit ouvrir la porte au dialogue social sur la meilleure façon de parvenir à une telle égalité. Le dialogue qui fait partie intégrante de la justice réparation permet à différentes perspectives de s'exprimer.

Table of ContentsPROGRAMMES ACTUELS

    La justice réparatrice a attiré l'attention de plusieurs réformateurs. En peu de temps, elle est devenue le mot d'ordre de ceux qui veulent offrir des solutions de rechange à la pratique juridique traditionnelle. Au début de ce projet, nous avons cerné le besoin d'avoir un cadre de réflexion afin de faire la distinction entre des pratiques véritablement réparatrices et des pratiques qui sont tout simplement en apparence différentes des pratiques actuelles. Nous avons vu que la justice réparatrice n'est pas seulement différente en apparence du régime contradictoire (deux avocats et un juge dans une salle d'audience), mais qu'elle est fondée sur une conception radicalement différente de la justice, l'idée que la justice doit servir à rétablir les relations de sorte à les rendre conformes à l'équité sociale. Toutefois, l'étiquette de justice réparatrice continue à être collée à tout venant sur des pratiques différentes qui cherchent une légitimité. Pour faire avancer la cause de la justice réparatrice, il est important de bien savoir ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, de la distinguer de ce qui n'est qu'une pratique différente.

    L'évaluation des pratiques qui se prétendent de nature réparatrice doit se faire au cas par cas, en prêtant attention à la structure de la pratique et à son contexte. En outre, une telle évaluation doit se faire en permanence, car si les contextes changent, les pratiques visant la réparation doivent, elles aussi, évoluer. L'évaluation des programmes existants qui se présentent comme étant de nature réparatrice dépasse notre mandat. Toutefois, nous désirons dire un mot sur la façon dont on pourrait faire une telle évaluation, sur la manière de comprendre en quoi la justice réparatrice se distingue des nombreuses solutions de rechange qui existent en marge de la pratique traditionnelle. À cette fin, nous nous pencherons sur le rapport entre la justice réparatrice et le mode amiable de règlement des litiges afin d'en tirer quelques enseignements.

    Nous ne visons pas à offrir une description exhaustive du mode amiable de règlement des litiges ou à émettre une opinion sur l'efficacité ou l'utilité d'un tel programme. En fait, nous ne parlerons que des rapports qui existent entre la justice réparatrice et le mode amiable de règlement des litiges, c'est-à-dire, la mesure où ce mode peut être considéré comme relevant de la justice réparatrice. Le mode amiable de règlement des litiges se prête parfaitement à notre recherche, car on désigne par ce terme toutes les pratiques échappant au système judiciaire traditionnel. La justice réparatrice est souvent prise pour de telles pratiques. En sachant en quoi le mode amiable de règlement des litiges reflète des valeurs de réparation et pourquoi il ne parvient pas à répondre aux besoins de la justice réparatrice, on comprendra mieux comment évaluer les autres pratiques.

    Freeman affirme qu'il n'existe " aucune définition théorique ou abstraite généralement acceptée du mode amiable de règlement des litiges en tant que tel ".135 Tannis l'explique comme un " phénomène social ", un " mouvement ".136 Cela fait plusieurs décennies que l'on tente d'amener les différends hors de la salle d'audience (arbitrage ou tribunaux), mais le mode amiable de règlement des litiges n'a pris sa place qu'après 1980.137 On dit souvent que ce mouvement est né de la déception causée par les pratiques existantes, notamment à cause " du coût (en temps et en argent), de la complexité du processus (manque de participation des personnes en cause), et des résultats (imposition d'un règlement par un tiers, sous la perspective étroite d'options à somme nulle) ".138 Toutefois, même si l'adoption du mode amiable de règlement des litiges est liée à cette désaffection envers les mécanismes traditionnels, Freeman nous met en garde contre l'erreur de penser qu'il existe une différence fondamentale entre les deux régimes. Il est trop facile, d'après lui, de dire que le mode amiable de règlement des litiges et l'adjudication appartiennent à " des mondes normatifs distincts ". En fait, il est vrai que le plus souvent, le mode amiable de règlement des litiges " n'a pas cours dans des institutions indépendantes des normes et sanctions du système juridique. En fait, il se situe normalement tout près des institutions juridiques et dépend donc des normes et sanctions de celui-ci ".139 D'après Lover et Pirie, au lieu de considérer le mode amiable de règlement des litiges comme une façon de résoudre les différends hors des tribunaux, il faudrait le voir comme " un concept qui encourage les gens ou organisations liés aux parties en cause à examiner de près les solutions ou options qui existent pour les aider à résoudre le problème ".140 C'est pourquoi le mode amiable de règlement des litiges comprend l'adjudication traditionnelle.141 Certains auteurs estiment qu'il faudrait comprendre ce régime comme un continuum de pratiques allant de la négociation informelle à la procédure traditionnelle.142 Dans un manuel récemment publié par le gouvernement de l'Ontario sur le mode amiable de règlement des litiges, on y inclut les éléments suivants, seuls ou en combinaison : négociation, conciliation, médiation, évaluation neutre anticipée, mini-procès, procès sommaire avec juré, médiation/arbitrage, arbitrage.143 Ces initiatives peuvent diverger selon leur degré de libre participation,144 si l'entente conclue est imposée ou négociée, et selon l'éventail de recours ou d'options disponibles pour le règlement.

    Cette brève description du mode amiable de règlement des litiges met en évidence les problèmes liés à sa confusion avec la justice réparatrice. L'adoption de ce mode est motivée par certaines des mêmes valeurs que la justice réparatrice. En effet, relevant d'une " recherche d'une approche plus consensuelle au règlement des problèmes, plus accessible et orienté sur la collectivité... qu'un processus qui produit des résultats à somme zéro ou consistant à perdre ou à gagner ",145 ce mode a beaucoup de choses en commun avec la justice réparatrice. Par l'ampleur du concept qui regroupe quasiment toutes les stratégies employés pour résoudre un litige, la justice réparatrice pourrait facilement se voir englober par le mode amiable de règlement des litiges. Mais ce n'est pas là ce qui nous occupe, mais la question de savoir si le mode amiable de règlement des litiges est synonyme de justice réparatrice. Toutefois, s'il est possible d'inclure les initiatives de justice réparatrice sous le parapluie du mode amiable de règlement des litiges, le contraire n'est pas vrai. L'adoption de ce mode n'exige pas qu'on abandonne la conception de la justice qui sous-tend les méthodes traditionnelles, en fait bien des pratiques en relevant plongent leurs racines dans la même notion de rétribution que les méthodes traditionnelles. À cet égard, il est particulièrement révélateur de voir que les descriptions du mode amiable de règlement des litiges portent exclusivement sur les parties en cause. Même si la reconnaissance du rôle de la victime représente un progrès par rapport au régime judiciaire traditionnel, ce n'est pas suffisant du point de vue de la justice réparatrice, car on ne comprend toujours pas la nature sociale du litige. Autrement dit, le mode amiable de règlement des litiges ne remet pas en question l'idée fondamentale que les différents sont des incidents isolés qui se limitent aux parties en cause. Il se limite à chercher d'autres façons de rendre justice.

    Cela met en lumière le besoin d'évaluer les mécanismes en fonction de leur résultat (présence ou absence de réparation) au lieu de leurs différences par rapport aux pratiques existantes. Toutefois, il faut tenir compte des efforts déployés en vue d'atteindre le redressement, même s'ils ne mènent pas à la justice réparatrice. Plusieurs initiatives prises au nom du mode amiable de règlement des litiges ne répondent pas aux besoins de la justice réparatrice, mais il serait ingrat de ne pas reconnaître leur contribution à l'objectif général de la réparation. Certains affirment que tout changement dans un système doit se faire lentement et graduellement. C'est pourquoi ils oeuvrent à l'intérieur du système existant, afin de l'empêcher de nuire aux intérêts de la réparation.146 On pense ici aux nombreuses tentatives de réforme des condamnations, aux programmes de diversion, aux énoncés d'impact des victimes, aux peines de service communautaire qui remplacent l'incarcération, etc. À les analyser de près, on trouve que les éléments nécessaires à la justice réparatrice sont souvent absents. Une telle évaluation est essentielle à l'élaboration de pratiques vraiment réparatrices. Toutefois, il ne s'agit pas de décourager les gens d'essayer d'améliorer les pratiques actuelles en attendant l'adoption des mécanismes de réparation. Du point de vue de la réparation, il n'est pas oiseux d'essayer d'amoindrir le caractère rétributif du système. Ce qui nous dérange, par contre, c'est que l'on pense que les problèmes du système actuel peuvent être résolus en changeant quelques pratiques, et qu'il est possible de changer radicalement les choses sans remettre en question l'idée même de la justice sur laquelle ces pratiques reposent.147

Table of ContentsLES AGENTS DE LA JUSTICE RÉPARATRICE

" Un jour ou l'autre, des structures institutionnelles totalement neuves devraient émerger du mécanisme de la justice réparatrice ".148

        Dans cette dernière section, nous parlerons de ce qui constitue sans doute l'un des plus grands problèmes pratiques : comment mettre en oeuvre la justice réparatrice au sein de notre régime judiciaire? Nous convenons avec Van Ness et Strong que la justice réparatrice, en tant que système normatif, exigera éventuellement une réforme majeure du système actuel, mais il est évident qu'une réforme immédiate du tout au tout n'est ni possible, ni souhaitable. En effet, le changement doit se produire graduellement afin d'empêcher que l'on jette bébé avec l'eau du bain. Compte tenu de l'aliénation et des problèmes qui entachent le système existant, il est impossible de douter du besoin de mettre en place de nouvelles institutions. Néanmoins, ces dernières doivent émerger du questionnement et du travail sur les pratiques actuelles. Ainsi, nous devons approfondir la science de la justice réparatrice et demander comment on pourrait la mettre en oeuvre dès maintenant, dans notre système actuel. Ce travail formera le tremplin de changements plus radicaux à l'avenir.

    Le programme d'action pour l'avenir comprend certainement une étude approfondie de la manière dont on peut élaborer et mettre en oeuvre des mécanismes de réparation. Le présent mémoire ayant pour objectif de proposer un cadre de réflexion pouvant servir de point de départ à ce travail, nous ne nous livrerons pas à une analyse aussi rigoureuse. Il reste cependant quelques points importants à éclaircir avant d'essayer d'élaborer des mécanismes de réparation au sein de notre système actuel ou parallèlement à celui-ci.

    Dans cette section, nous explorons certaines des difficultés présentées par le travail de la justice réparatrice au sein d'un système dualiste. Nous considérerons le rôle du gouvernement et de la collectivité comme agents de la justice réparatrice. Enfin, nous parlerons du mécanisme devant permettre l'élaboration des pratiques de réparation.

Table of ContentsLa justice réparatrice dans le cadre d'un système dualiste

        La réalité que les pratiques de justice réparatrice existeront (du moins, au départ) à l'intérieur du système actuel, ou parallèlement à ce dernier, nous amène à émettre quelques réflexions sur ce rapport. D'après Zehr, un tel arrangement, surtout à l'égard de la justice criminelle, devrait déclencher des mises en garde de la part des défenseurs de la justice réparatrice. En particulier, il émet trois raisons pour lesquelles les projets de justice réparatrice risquent de ne pas atteindre leur objectif s'ils fonctionnent en tandem avec le système judiciaire actuel. Ceux qui envisagent la mise en oeuvre future d'un vision réparatrice seraient bien avisés de tenir compte de ces mises en garde s'ils veulent concevoir un système dualiste pouvant répondre aux visées de la justice réparatrice.149

    Les mises en garde de Zehr visent plus particulièrement le système de justice criminelle. Toutefois, nous avons déjà vu qu'à bien des égards, les inquiétudes soulevées à cet effet sont généralement valables pour le reste du système judiciaire. C'est particulièrement vrai au regard des inquiétudes visant la nature rétributive du régime judiciaire criminel, car l'ensemble du système de justice possède ces mêmes caractéristiques, qu'elles prennent la forme de décisions punitives en droit civil ou de procédures contradictoires. Zehr affirme donc que la mise en oeuvre de la justice réparatrice à l'intérieur du système actuel risque de s'avérer contraire à l'objectif de la réparation, pour les raisons suivantes :
  1. le système de justice criminelle est par nature rétributif et non réparateur
  2. le système est axé sur les contrevenants et non sur les victimes
  3. face au questionnement, le système criminel se replie sur lui-même150
Nous avons déjà fait allusion aux difficultés que ces caractéristiques du système actuel posent pour l'intégration d'une approche réparatrice.151 Toutefois, il est important d'accorder plus d'attention à ces difficultés, puisque nous envisageons d'intégrer la justice réparatrice dans notre système actuel. À l'instar de Zehr, Wright s'inquiète également du sort de la justice réparatrice dans un système dualiste.152 Il estime que les visées, les ambitions et la structure du système existant risquent d'enliser la justice réparatrice et d'entraver l'atteinte de la réparation.

    Pour répondre à ces sujets de préoccupation, il faut bien savoir qu'un système dualiste, entraînant la coexistence des pratiques réparatrices et existantes, ne consiste pas seulement à annexer la justice réparatrice au système actuel. Autrement dit, on ne répondra pas aux besoins de la justice réparatrice en se contentant de rattacher les mécanismes de celle-ci aux pratiques qui ont actuellement cours. À la place, il faut raccorder et régler le deux systèmes afin d'en permettre la coexistence et la coopération. Un système dualiste nécessitera des changements au régime actuel à mesure que les essais de pratiques réparatrices se soldent par des succès ou des échecs. Comme l'indique Zehr, l'ouverture et l'esprit d'adaptation ne figurent pas parmi les qualités du système actuel. C'est pourquoi il sera difficile de mettre au point un système dualiste faisant la place aux mécanismes de réparation. L'exemple des programmes de réconciliation victime-contrevenant, en Ontario, montre bien la résistance au changement qui se manifeste au sein du système existant.

    Le programme de réconciliation victime-contrevenant qui a été mis à l'essai à Kitchener (Ontario) en 1974 (l' " expérience de Kitchener ") est généralement considéré comme le premier du genre, et c'est donc l'une des premières approches réparatrices que l'on connaisse. Pendant plusieurs années, le programme a connu des succès notables. Les juges aiguillaient un nombre croissant de causes à ce programme afin d'aider les victimes et les contrevenants à se rencontrer afin de décider de la mesure à prendre pour remédier au préjudice causé. Toutefois, en 1982, une décision de la cour d'appel de l'Ontario a causé une chute vertigineuse du nombre de cas aiguillés au programme. Dans l'affaire R. c. Hudson153 une personne qui avait été prononcée coupable a fait appel d'une ordonnance de restitution au motif que ses circonstances l'empêcher de le respecter. Dans son jugement verbal, le juge ne s'est pas contenté d'annuler ou de modifier l'ordonnance en cause. Même si l'affaire ne concernait pas le programme en tant que tel, il a conclu que la méthode utilisée pour parvenir à l'ordonnance de restitution était en elle-même incorrecte. En outre, il a émis l'opinion que la détermination de la restitution à faire par le biais du programme constituait une délégation irrégulière de l'autorité du juge à l'égard du prononcé de la peine. Cette décision a eu de graves répercussions sur le programme de Kitchener. Il était certes possible de contourner la difficulté en ramenant les résultats du programme devant le tribunal afin qu'un juge prononce la décision, mais ces démarches ont eu pour effet de dissuader les juges d'avoir recours au programme car elles ne faisaient que prolonger un processus déjà complexe. C'est un exemple de situation où le système aurait pu modifier ses procédures pour permettre la mise en place de pratiques modernes et efficaces. Toutefois, le système a choisi à la place de veiller à sa propre survie en conservant son monopole sur les décisions relatives aux délits criminels.154    

        Cela ne veut pas dire que le système actuel a complètement tourné le dos à tout changement. Par exemple, la Loi de 1985 sur les jeunes contrevenants a manifesté une certaine ouverture à l'égard des solutions de rechange.155 D'ailleurs, Kim Pate fait remarquer que " des programmes de diversion pour la jeunesse qui font participer les victimes sont apparus un dans toutes les provinces canadiennes, ainsi que dans les Territoires du Nord-Ouest ".156

    Outre la résistance générale du système existant face au changement, les champions de la justice réparatrice perçoivent d'autres sujets d'inquiétude. Nous avons déjà parlé du caractère volontaire du système. On s'inquiète que la crainte de châtiment et non l'engagement envers la réparation motive les contrevenants à participer au mécanisme de réparation. C'est certainement une possibilité, mais il ne faut pas oublier qu'il est possible d'y remédier en offrant des renseignements corrects et réalistes sur la nature de la justice réparatrice afin de faire savoir que ce n'est pas une option " douce ".

    Bien entendu, il y a la question de l'uniformité qui se présente lorsque deux systèmes essaient de fonctionner en tandem. D'après Wright :

        Il serait possible, pendant la phase de transition, d'avoir un régime de justice réparatrice même si les tribunaux obéissaient toujours à la mentalité rétributive, mais cela produirait immanquablement des contradictions. C'est ce qu'on a constaté dans certains des projets expérimentaux qui existent au sein du système actuel, où certains contrevenants manifestant des sentiments de remords ont reçu des peines allant de la libération conditionnelle pour tentative de meurtre (dans des circonstances exceptionnelles) à une peine d'emprisonnement pour deux cambriolages.157        

De telles contradictions susciteraient certes des inquiétudes au sein d'un système dualiste, mais il est inévitable de voir des variations d'une entente à l'autre, et c'est même souhaitable dans un régime réparateur, compte tenu de son approche contextuelle. La justice réparatrice cherche une réponse particulièrement adaptée à la situation. Elle veut éviter tout caractère arbitraire en liant le règlement aux caractéristiques de chaque situation. Pour éviter l'arbitraire, en revanche, le système rétributif ignore le contexte en prononçant la même peine pour le même type d'action. Il ne serait donc pas surprenant de voir des contradictions si les deux systèmes coexistaient. Toutefois, le fait est qu'en choisissant le système réparateur, les gens sauraient que le résultat est adapté au contexte (et donc, imprévisible au départ).

    Cela nous mène à évoquer une autre inquiétude touchant le fonctionnement de la justice réparatrice au sein d'un système dualiste. Nous parlons des voies d'accès à établir entre les deux systèmes. On peut se demander qui décide quel cas appartient à quel système, et quels sont les critères à appliquer. N'oublions pas la mise en garde de Zehr : le système existant, face au questionnement, se repliera sur lui-même. C'est pourquoi ce système risque de corrompre le système réparateur si on lui donne le pouvoir de décider quels cas aiguiller vers l'autre système.158

    Cette inquiétude est sans doute fondée sur la crainte générale que dans un système dualiste, la justice réparatrice sera toujours prise pour la solution de rechange au statut quo. C'est pourquoi elle serait à la merci du système antérieur, devant se contenter des restes qui lui seraient réservés par celui-ci. On verrait alors que seuls les cas qui se prêtent à la libération ou à la probation lui seraient envoyés. On se retrouverait alors à garder dans le système judiciaire des affaires qui normalement auraient dû être écartées. Dans un tel cas, la justice réparatrice causerait une hausse du nombre de personnes prises au filet du système judiciaire. On peut éviter ce problème en s'assurant que ce soit à l'accusé de décider de participer au mécanisme de réparation,159 et même, que tout le monde ait ce choix.

Table of ContentsL'État et la collectivité, agents de la justice réparatrice

    Comme nous l'avons vu dans notre bref examen des racines des initiatives de justice réparatrice, elles sont grandement fondées sur les actions communautaires et sur le mouvement de la " justice informelle ". Proposant des solutions de rechange au système centralisé actuel, les programmes de justice réparatrice émanent, faut-il s'en étonner, de la collectivité et non du gouvernement (du moins, pas au départ). Cette caractéristique de la justice réparatrice est peut-être nécessaire et appropriée, compte tenu de l'importance de la collectivité et du besoin de proposer des réponses contextuelles aux litiges. Toutefois, s'il est clairement important et désirable que les collectivités jouent un rôle clé dans les programmes de justice réparatrice, cela empêche-t-il le gouvernement de prendre part au processus?

        D'après notre description du système dualiste, il faut répondre par la négative à cette question : le gouvernement ne peut être entièrement exclu à titre d'agent de la justice réparatrice. L'engagement envers la justice réparatrice exige l'engagement du gouvernement à être ouvert et à faciliter le changement requis au sein du système afin d'assurer la faisabilité du régime dualiste. D'autre part, exclure le gouvernement reviendrait à renoncer à ses connaissances expertes et à ses ressources. Par conséquent, la réponse ne saurait être mutuellement exclusive. La justice réparatrice n'est pas uniquement l'affaire du gouvernement ou de la collectivité. Elle donnera les meilleurs résultats par la coopération, les deux instances travaillant ensemble pour tirer parti de leurs ressources et de leurs compétences respectives.

        En raison de la nature contextuelle de la justice réparatrice, la participation des collectivités devient un impératif. La collectivité est sensible au contexte, qu'elle connaît bien. Elle peut naviguer entre plusieurs paliers, et donc, faire preuve de souplesse lorsqu'elle conçoit une solution à un litige. Toutefois, elle ne pourrait accomplir cette tâche, du moins avec efficacité, sans l'aide du gouvernement. Ces derniers peuvent dispenser les ressources nécessaires pour que toutes les collectivités, peu importe leur situation économique, puissent résoudre leurs conflits. Cela rappelle le besoin d'assurer que la justice ne dépende pas de la richesse de chacun, qui a motivé l'adoption d'un système centralisé. Malgré ses conséquences déplorables sur le sort des victimes, ce système a permis d'empêcher la justice d'être assujettie à la possibilité pour la victime de poursuivre le contrevenant.

        D'autre part, comme nous l'avons suggéré dans notre discussion sur la protection des droits, dans le mécanisme de réparation il faut assurer une certaine surveillance des procédures individuelles. Le gouvernement est en bonne place pour protéger les droits des parties à cet égard. Sa participation permettra également d'assurer le respect de certaines normes de justice réparatrice, et que les mécanismes qui se prétendent tels mènent effectivement à des mesures de réparation, qu'ils comprennent tous les éléments essentiels qui caractérisent la justice réparatrice.

Table of ContentsÉlaboration de processus de réparation

        L'argument le plus percutant à l'égard de l'identité des agents pour ces processus, c'est que l'élaboration et le fonctionnement de mécanismes de réparation doivent être conformes aux principes de la justice réparatrice. Par conséquent, lorsqu'on considère l'élaboration future de tels mécanismes, il faut se demander qui y participera et qui en sera responsable. Tout comme les processus eux-mêmes doivent faire intervenir toutes les instances concernées, leur élaboration doit également se dérouler avec leur participation. Il faut donc que les contrevenants, les victimes ou groupes de victimes, les représentants des collectivités, les fonctionnaires du gouvernement, etc., ne se contentent pas de participer au mécanisme, mais qu'ils interviennent dans leur conception même. Les processus et projets visant la justice réparatrice doivent être élaborés de façon à tenir compte des valeurs sous-jacentes de la justice réparatrice (participation, rencontre, etc.), élément clé à leur succès et aux visées d'ensemble de la réparation. L'élaboration d'initiatives de justice réparatrice d'une façon qui respecte les principes de la réparation y contribue grandement. D'autre part, il est important de faire intervenir les parties en cause dans le processus pour en assurer le succès. En effet, cela signifie que les parties seront engagées envers le processus car elles ont participé à sa conception. On ne peut se contenter d'imposer des mécanismes de réparation et de s'attendre à ce qu'ils fonctionnent. Les parties doivent comprendre les visées et exigences de la réparation et avoir leur mot à dire dans la meilleure façon de les remplir dans leur situation.

    Pour permettre la participation à l'élaboration et au fonctionnement des processus et des programmes, il est nécessaire de s'engager fermement envers la diffusion de l'information. Il ne suffit pas d'accorder de la place pour les initiatives de justice réparatrice. Les gens doivent être équipés en vue de la participation. Vivant dans une société axée sur la rétribution et les modes contradictoires de résolution des conflits, ils n'ont guère l'occasion de s'informer sur les autres façons d'aborder les litiges ou leur règlement. Le succès des programmes et processus de justice réparatrice dépendent de l'engagement des participants à la réparation et de leur volonté de travailler en vue d'atteindre cet objectif. Cet engagement ne peut avoir lieu que s'il y a éducation et dialogue.

    Pour terminer, il est important de reconnaître la nature dynamique de la justice réparatrice. Compte tenu de la nature contextuelle des programmes de justice réparatrice, les processus doivent être assujettis à une évaluation permanente et rester constamment ouverts au changement et à la remise en question.160 C'est pourquoi l'éducation des citoyens et leur dotation des moyens requis sont des conditions préalables de tout effort de justice réparatrice. La constitution de la justice réparatrice doit être un travail permanent relevant de tous.

Table of ContentsCONCLUSION : le cheminement de la justice réparatrice

    

        D'après notre cadre de réflexion pour la justice réparatrice, il devient évident que la réalisation de toutes les aspirations de cet idéal nécessiterait un travail énorme de reconstruction et de restructuration des institutions. Dans notre conclusion, nous exposons à nouveau le programme que nous proposons pour la recherche et l'élaboration de politiques en fonction des possibilités ouvertes par l'approche de la réparation.

    Tout d'abord, comme nous l'avons indiqué, la transition vers la justice réparatrice nécessitera une interaction complexe avec les processus, rôles et institutions qui existent déjà. En particulier, il existe un nombre énorme de pratiques institutionnelles qui devront être refondues; dans le contexte du droit criminel, on peut dire que la réparation commence dès l'application préventive des lois, pour s'étendre à la décision de poursuivre le prévenu et au prononcé de la peine (stade où trop souvent commencent à peine les solutions extrajudiciaires). La difficulté présentée par l'intégration de la réparation dans les différents contextes judiciaires qui existent (criminel, familial, commercial, etc.) ne peut être surmontée qu'en fonction du contexte de chaque cas. Dans le champ criminel, où les droits des accusés ont été largement constitutionnalisés de manière conforme à notre système actuel, il faut entreprendre des recherches en vue de déterminer comment cet héritage risque d'influencer les pratiques de réparation et comment la Charte devra être modifiée pour permettre la coexistence de la justice réparatrice et d'un régime conventionnel.

    En deuxième lieu, l'adoption d'une approche réparatrice doit se fonder sur un examen approfondi des notions transculturelles de la justice. Le cadre de réflexion présuppose la possibilité d'un dialogue entre les cultures afin de parvenir à une entente sur la justice, et il rejette donc une vision relativiste ou déterministe de cette question. Mais l'existence supposée d'un dialogue n'exclut pas qu'on ait besoin de l'entreprendre. La réparation doit nécessairement répondre aux intuitions morales de l'auteur et de la victime du délit, même si elles sont très vastes. Aucune approche réparatrice ne peut fonctionner en l'absence d'un processus d'élaboration de politiques pouvant au moins commencer par une large consultation et un vaste dialogue avec les Canadiennes et Canadiens de tous les horizons, en leur posant des questions difficiles comme, par exemple, pourquoi nous plaçons instinctivement le châtiment parmi les solutions, un dialogue où les voix des contrevenants et des victimes se font entendre.

    En troisième lieu, il existe un programme important dans ce qu'on pourrait appeler la psychologie normative. Bien entendu, le cadre de référence lui-même comprend une tentative de psychologie. Sans hypothèses sur les caractéristiques ou les besoins des gens, il est impossible de parler de réparation. En même temps, comme nous l'avons dit et répété, il existe une dimension empirique, sensible au contexte et irréductible à la détermination de qui et de quoi la réparation doit viser. Malheureusement, à côté d'une littérature prolifique sur la " guérison " et autres phénomènes du genre, ce type d'analyse vise une paix intérieure et une résignation qui n'a rien à avoir avec le rétablissement de l'équité dans les relations sociales. À tout le moins, nous devons réévaluer et réinterpréter ce que l'on dit de la " guérison " ou du dépassement de la victimisation (ou de la culpabilité et de la honte dans le cas des contrevenants), en visant l'idéal de la réparation elle-même.

    Enfin, n'oublions pas la connexion entre les problèmes de la justice réparatrice et la distribution des ressources en général dans la société, l'égalité des chances et, dans une certaine mesure, l'égalité des résultats sociaux. Il faut examiner plus à fond comment le filet social actuel, qui est présentement fragilisé, est relié aux chances de réparation. Il existe une corrélation entre la décision de dépenser plus sur les prisons et les " camps d'entraînement ", d'une part, et de réduire l'assistance sociale, l'éducation publique et l'accès aux foyers d'accueil, d'autre part. Le besoin d'habiliter, et non de punir, qui se manifeste dans l'idéal de la réparation entraîne une remise en cause fondamentale de la refonte des politiques publiques à laquelle nous assistons depuis quelques années dans de nombreuses juridictions, notamment au Canada. En étranglant les mécanismes de soutien qui sont nécessaires à la réparation, ses adversaires garantissent son échec, tout en chantant " je l'avais bien dit ". Ainsi, les conséquences de la justice réparatrice sur le plan des ressources doivent être examinées de près et clairement identifiées dans toute initiative d'élaboration de politiques. Dans de telles études, il faudra considérer une réorientation fondamentale des fonds de l'enveloppe sociale.

__________________

1 Le rétablissement des rapports ne signifie donc pas forcément la restauration de liens personnels ou intimes, mais bien plutôt l'équité sociale. Par exemple, dans le cas de la violence conjugale, il ne s'agit plus de tisser de nouveaux liens entre les personnes concernées, mais d'assurer leur coexistence, en toute sécurité et avec un droit égal au respect, au sein de la même collectivité.

2 Alexandre Kojeve parle de l'insuffisance incontournable de l'interprétation comportementale du droit pour capturer le phénomène humain dénommé droit : A. Kojeve, "The Specificity and Autonomy of Law", trad. ang. B-P. Frost, R. Howse, D. Goulet, Interpretation: A Journal of Political Philosophy (1996).

3 Cet examen est encore incomplet, car il reste encore beaucoup à faire sur le plan de la recherche historique dans ce domaine. Rappelons ici que ce genre d'étude est important à l'élaboration future d'une théorie de la justice réparatrice et de pratiques en rapport, et nous encourageons les personnes qualifiées à se lancer dans ce travail.

4 Howard Zehr "Rétributive Justice, Restorative Justice" New Perspectives on Crime and Justice -- Occasional Papers Series (Kitchener: Mennonite Central Committee, Canada Victim Offender Ministries 1985) : 12 (nos italiques). (Par la suite : Zehr 1.)

5 John Braithwaite 1997 Restorative Justice: Assessing an Immodest Theory and a Pessimistic Theory. Review Essay Prepared for University of Toronto Law Course, Restorative Justice: Theory and Practice in Criminal Law and Business Regulation. Cet article existe également sur la page Web de l'Australian Institute of Criminology -- http://www.aic.gov.au : 3.

6 Herman Bianchi Justice as Sanctuary: Toward a System of Crime Control (Bloomington: Indiana University Press, 1994) : 10. (Par la suite : Bianchi)

7 Bianchi : 9.

8 Bianchi : 10.

9 Bianchi : 9. Bianchi définit l'anachronisme comme un problème d'interprétation historique. " L'anachronisme est la tendance à réaliser une reconstruction erronée de l'histoire en attribuant nos propres modèles de pensée, nos coutumes et nos structures sociales à une période de l'histoire où ils n'ont pu exister. " Parmi les exemples d'anachronismes créés pour soutenir notre conception actuelle de la justice, mentionnons d'utilisation du droit pénal à l'égard de sociétés du passé. D'après Bianchi, la " simple utilisation des termes droit pénal et lutte contre le crime par rapport au droit et aux lois du passé constitue déjà un anachronisme. Après avoir utilisé le mot moderne " crime " dans une étude historique du droit ancien, nous l'appliquons à une culture qui, comme toutes les cultures du passé, ne connaissait ni les procureurs, ni les procès pénaux, et où le droit n'avait rien à dire sur la politique pénale. " Bianchi fait remarquer, d'autre part, que ni les Romains, ni les Grecs ne connaissaient de mots désignant les notions de crime et de châtiment. L'anachronisme le plus courant à l'égard des concepts de la justice est probablement l'utilisation de la Bible et du droit hébraïque pour justifier la rétribution. La loi du Talion de l'Ancien Testament (" un o oeil pour un oeil ") est souvent évoquée à cet égard. Par conséquent, on croit volontiers que la justice hébraïque et de l'Ancien Testament reposait sur la rétribution, justifiant par la même occasion notre propre système rétributif. Toutefois, il n'est pas vraiment possible d'évoquer la loi du Talion dans ce contexte. Comme l'indique Zehr, cette expression, que l'on croit essentielle au concept de la justice dans l'Ancien Testament, n'apparaît en fait que trois ou autre fois. (Zehr 1 : 10) Plus grave encore, elle a été traduite de façon inexacte. Zehr suggère déjà que l'interprétation de " un oeil par un oeil " comme une exigence rétributive est extrêmement simpliste. Quant à Bianchi, il condamne cette interprétation avec encore plus de sévérité : " On voit ici un exemple patent d' " erreur " intentionnelle dans la traduction du texte biblique " (Bianchi : 29), et il ajoute que " dans presque tous les passages de l'Ancien Testament où les traductions européennes, notamment anglaises, utilisent des termes comme rétribution, représailles, Vergeltung (en allemand), ou vergelding (en hollandais), dans le texte hébraïque on trouve la racine sh-l-m, bien connue sous la forme shalom, qui veut dire " paix ". " En fait, poursuit-il, non seulement la rétribution n'est pas préconisée, elle est même explicitement interdite : " Ne cherchez pas la vengeance, car la paix est de dieu, a dit le Seigneur ". (Bianchi : 29.) L'expression " un oeil pour un oeil " était censée représenter une limite, et non un appel à la rétribution. Le théologien allemand Martin Buber interprète ce passage comme signifiant " un oeil en dédommagement d'un oeil, et une dent en dédommagement d'une dent ". D'après Zehr, cela indique que la loi du Talion devait rétablir la paix par le moyen d'un dédommagement préservant l'équilibre du pouvoir entre les groupes. Lorsque les éléments constitutifs des sociétés étaient les familles et les tribus, comme au temps de l'Ancien Testament, il était possible de penser que pour rétablir l'équité sociale, il fallait exiger le sacrifice d'un membre de la tribu du malfaiteur pour compenser la perte essuyée par la tribu de la victime. L'idée centrale était donc le dédommagement, le rétablissement de l'équilibre perturbé par la perte d'un membre de la tribu. L'idée de shalom, de réparation et non de rétribution, était centrale au concept de la justice dans l'Ancien Testament. " La restitution et la réparation prenaient le pas sur le châtiment, car il s'agissait de rétablir l'intégrité des relations entre les gens " (Zehr 1 : 11).

10 Howard Zehr Changing Lenses: A New Focus for Crime and Justice (Waterloo: Herald Press, 1990) : 106. ( Par la suite, Zehr 2)

11 Zehr 1 : 6/7.

12 Zehr 2 : 100.

13 Zehr 2 : 107.

14 Daniel Van Ness and Karen Heetderks Strong Restoring Justice (Cincinnati: Anderson Publishing Co., 1997) : 6 (par la suite : Strong).

15 E. Adamson Hoebel The Law of Primitive Man: A Study in Comparative Legal Dynamics (New York: Atheneum, 1973) : 279.

16 Zehr fait remarquer que ces options, lorsqu'on y avait recours, restaient limitées. La vengeance était tempérée par l'existence de sanctuaires où les gens accusés de crimes pouvaient se réfugier et demander protection contre la rétribution (Cf. Bianchi Justice as Sanctuary: Toward a System of Crime Control). Les tribunaux jouissaient de pouvoirs limités. Ils n'avaient pas le droit d'entamer ou de continuer des poursuites en l'absence de la victime. En fait, les tribunaux existaient dans le contexte de la justice communautaire, où ils remplissaient le rôle d'arbitres chargés d'assurer l'équilibre des pouvoirs entre les parties afin de les aider à s'accorder sur quelque chose.

17 Zehr 2 : 104.

18 Bianchi : 15.

19 Bianchi : 16.

20 Zehr 2 : 107.

21 Zehr 2 : 110. Selon Van Ness, dans les pays dont le système d'administration de la justice est tributaire du système anglais, le règne de Guillaume le Conquérant est considéré comme le point culminant du passage de la justice restitutive à la justice axée sur l'État. Ce monarque et ses descendants ont utilisé le processus judiciaire pour accroître leur pouvoir politique, en se heurtant à l'influence grandissante de l'Église sur les affaires séculaires relevant du droit canon et aux systèmes locaux de résolution des différends contrôlés par les barons. Daniel Van Ness, " Restorative Justice ", éd. par Burt Galaway et Joe Hudson, Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (Monsey, New York: Criminal Justice Press, 1990) : 7/8. (Par la suite : Van Ness 1)

22 Cf. Harold J. Berman Law and Revolution: The Formation of the Western Legal Tradition (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1983).

23 Zehr 2 : 110.

24 Zehr 2 : 112.

25 Van Ness et Strong ont préparé un tableau qui aide à faire la distinction entre l'approche ancienne et l'approche actuelle par rapport à la criminalité. Strong : 7.
Ancienne approche Approche moderne

Crime
Préjudice causé aux victimes et à leur famille dans un cadre communautaire
Infraction à la loi

Parties

Victimes, malfaiteurs, collectivité et gouvernement

Malfaiteurs et gouvernements

But

Dédommagement et remise en état du tissu social
Réduire l'incidence future de la criminalité par la réinsertion sociale, le châtiment, la dissuasion ou l'invalidation.

26 Dans le compte rendu suivant, nous avons souvent repris les termes " victime " et " malfaiteur " pour désigner les deux catégories de personnes devant faire l'objet de la réparation. Or, cette terminologie n'est pas tout à fait exacte dans le contexte de l'approche préconisée dans le présent mémoire. En effet, elle semble vouloir limiter la justice réparatrice au domaine du droit pénal. Ensuite, en adoptant l'image bipolaire des théories plus conventionnelles de la justice, elle occulte les possibilités offertes par l'approche réparatrice dans le traitement de situations où des notions simplistes d'agence ne suffisent pas à rendre compte de la complexité de la participation d'une variété de particuliers et de collectivités dans une infraction (par exemple, la responsabilité inter-générationnelle, la responsabilité des personnes morales ou d'autres entités collectives, etc.). Pour éviter tout parti pris en la matière, nous avons utilisé les termes d' " auteur du délit " et de " partie lésée ", mais cette classification elle-même est encore trop rudimentaire. Par exemple, dans une société commerciale où l'on pratique une discrimination systématique contre certaines minorités, la réparation en faveur des " victimes " pourra tout aussi bien toucher d'autres personnes qui n'ont jamais subi de discrimination ou qui n'ont eu aucune participation directe à de telles actions. Du seul fait d'avoir eu affaire à un système injuste, ces personnes auront des besoins en réparation (thérapie, éducation, dialogue...), mais il n'est pas justifié de les classer dans des catégories telles que " victime ", " malfaiteur ", " auteur du délit " ou " partie lésée ". Cette question est traitée en détail plus loin, dans notre discussion de l'identité des personnes devant bénéficier de la réparation (p. 43).

27 Strong : 9.

28 R. B. Mqeke "Customary Law and Human Rights" The South African Law Journal 1995 : 364, 365.

29 Charles Villa-Vicencio "Identity, Culture, and Belonging: Religious and Cultural Rights" John Witte, Jr. et Johan D. van der Vyver éd., Religious Human Rights in Global Perspectives: Religious Perspectives (La Haye: Martinus Nijhoff Publishers, 1996) : 527. Cf. Également : Gabriel Setiloane African Theology: An Introduction (Johannesburg: Skotaville Publishers, 1996); Valiant A. Clapper "Ubuntu and the Public Official" Publico Décembre 1996 : 27; Lionel Abrahams, "Ubuntu or not to?" Sidelines Juin 1997 : 1.

30 Cf. John O. Haley "Confession, Repentance and Absolution" in Martin Wright et Burt Galaway éd. Mediation in Criminal Justice (London: Sage Publications 1989) 195 (par la suite : Haley); Daniel H. Foote "The Benevolent Paternalism of Japanese Criminal Justice" Cal. L. Rev. 80 (1992): 317; Strong : 60.

31 Haley : 195.

32 Haley : 199.

33 Haley : 209.

34 " Les Amérindiens et les Inuit des Territoires du Nord-Ouest ont depuis toujours un système de justice fondé sur la restauration de l'ordre et le dédommagement des personnes lésées. Ces types de justice traditionnelle ont été occultés par le système pénal anglo-canadien ... " Curt Taylor Griffiths et Allan L. Patenaude "The Use of Community Service Orders and Restitution in the Canadian North: The Prospects and Problems of `Localized' Corrections" Burt Galaway et Joe Hudson éd., Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (Monsey, New York: Criminal Justice Press, 1990) : 145.

35 Rupert Ross, dans un ouvrage décrivant son expérience de la justice autochtone, parle des conseils de détermination de la peine dans le Nord du Canada, des conciliabules de groupes familiaux en Nouvelle-Zélande et des processus de paix des Navajos aux États-Unis, les citant comme exemples des types d'initiatives réparatrices qui sont formulées à partir des conceptions autochtones de la justice. Rupert Ross Returning to the Teachings: Exploring Aboriginal Justice (Toronto: Penguin Books, 1996) chapitre un. (Par la suite : Ross)

36 Ross : 15.

37 Cité dans Ross : 27.

38 Strong : 24.

39 Nous sommes largement redevables au travail de Van Ness et Strong dans ce domaine. Cf. Strong : 16.

40 Cf. Jerold Auerbach Justice without Law? (New York: Oxford University Press, 1983); Nils Christie "Conflicts as Property" Burt Galaway et Joe Hudson éd., Perspectives on Crime Victims (Toronto: The C.V. Mosby Company, 1981); Roger Matthews, "Reassessing Informal Justice" in Roger Matthews éd., Informal Justice? (Newbury Park, C.A.: Sase Publications 1988).

41 Cf. Stephen Schafer Compensation and Restitution to Victims of Crime (Montclair, NJ: Patterson Smith, 1970); Stephen Schafer "The Restitutive Concept of Punishment" Joe Hudson et Burt Galaway éd., Considering the Victim (Illinois: Charles C Thomas, 1975); Randy E. Barnett et John Hagel, éd., Assessing the Criminal: Restitution, Rétribution, and the Legal Process (Cambridge, MA: Ballinger Publishing Co., 1977).

42 Cf. F. Carrington et G. Nicholson "The victims' movement: An idea whose time has come" Pepperdine Law Review 11 (23), 1984 : 1.

43 Cf. Robert Coates "Victim-Offender Reconciliation Programs in North America: An Assessment" Burt Galaway et Joe Hudson éd., Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (Monsey, New York: Criminal Justice Press, 1990); Dean Peachey "The Kitchener Experiment" Martin Wright et Burt Galaway éd., Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989). (Par la suite : Peachey)

44 Cf. Christine Alder et Joy Wundersitz, éd., Family Conferencing and Juvenile Justice: The Way Forward or Misplaced Optimism? (Canberra: Australian Institute of Criminology, 1994).

45 Martin Wright affirme lui aussi que la distinction entre un crime et les autres actions préjudiciables est aussi arbitraire que mouvante. Les crimes ne sont pas toujours fondamentalement différents des autres types d'actions par lesquelles les gens font du tort à autrui. Si quelqu'un s'approprie le terrain d'autrui en déplaçant une clôture, le conflit qui en résulte relève du droit civil, mais si quelqu'un s'approprie une voiture, c'est une infraction criminelle; pourtant, dans un cas comme dans l'autre, c'est le droit de propriété qui est en jeu. Le vol est généralement commis par une personne que la victime ne connaît pas. Il n'existe en fait aucune raison permettant de justifier le traitement différent accordé à ces deux types d'incidents, et d'ailleurs, les crimes constituent également des infractions au droit civil. Martin Wright Justice for Victims and Offenders (Philadelphia: Open University Press, 1991) (Par la suite Wright 1).

46 Zehr 1 : 3.

47 Pour Zehr, le changement nécessaire se compare à un changement de paradigme.

48 Cité dans Braithwaite : 5.

49 Braithwaite : 5.

50 Van Ness 1 : 10.

51 Le masculin a été choisi pour alléger la lecture.

52 Van Ness 1 : 7. Voir également : Strong : 56 fn: 33. Les auteurs font remarquer la ressemblance frappante entre les directives britanniques élaborées il y a quelques années sur la restitution et les préceptes du roi Ethelbert sur le même sujet, qui datent de plus de 1 400 ans.

53 Van Ness 1 : 7.

54 Par exemple, voir Ruth Morris, A Practical Path to Transformative Justice (Toronto: Rittenhouse, 1994); Jonathan Burnside et Nicola Baker, éd., Relational Justice: Repairing the Breach (Winchester, UK: Waterside Press, 1994); Marlene A. Young, Restorative Community Justice: A Call to Action (Washington, DC: National Organization for Victim Assistance, 1995).

55 Van Ness 1 : 8.

56 Il est intéressant de noter que le mot hébreu qui signifie rétribution ou récompense, shillem, a également la même origine que shalom et shilloum. Van Ness et Strong suggèrent que la notion de faire valoir ses droit faisait partie intégrante de l'idée de restitution. Il s'agissait là de faire prévaloir les droits de la victime et, plus généralement, d'assurer le respect de la loi. Toutefois, Van Ness et Strong estime à bon droit que cette notion a été mal comprise et détournée dans son sens dans notre concept actuel de la rétribution. On ne parlait pas de rétribution comme d'une vengeance, mot qui dérive d'une racine tout à fait différente. En fait, la rétribution voulait dire la satisfaction droits de quelqu'un. Strong : 9.

57 Van Ness 1 : 8.

58 Pour éviter toute confusion " indemnité " ou " compensation " peut servir à décrire la notion de restitution dans le cadre de la justice réparatrice et à distinguer la restitution intégrée dans un processus de restitution en tant que conception autonome de la justice.

59 Cf. E. Weinrib The Idea of Private Law (Cambridge, Mass: Harvard University Press, 1995).

60 Voir, par exemple, le rôle du dialogue social dans la réalisation de l'équité sociale dans J. Nedelsky et C. Scott "Constitutional Dialogue" in J. Bakan et D. Schneiderman, éd., Social Justice and the Constitution: Perspectives on a Social Union for Canada (Ottawa: Carleton University Press, 1992) : 59.

61 Voir en général John Braithwaite et Philip Pettit, Not Just Deserts: A Republican Theory of Criminal Justice (Oxford: Clarendon Press, 1990) (Par la suite : Pettit)

62 Pettit : 3.

63 Pettit : 5.

64 Pettit : 5.

65 Wright 1 : 5.

66 Pettit : 4.

67 Cela ne signifie pas que les prescriptions de la justice réparatrice n'imposent pas un éventail de critères et de contraintes importants sur le processus. Voir ci-dessous la section consacrée à la protection des droits.

68 Zehr 1

69 " La punition est censée posséder la valeur d'éveiller le sentiment de culpabilité chez les personnes coupables; on le cherche dans l'instrumentum de la réaction psychique appelée 'mauvaise conscience'. Par conséquent, on confond la psychologie et la réalité de la conscience même aujourd'hui : d'autant plus qu'elles s'appliquaient pendant la plus grande partie de l'histoire humaine, sa préhistoire!... En général, la punition rend les gens durs et froids; elle concentre; elle aiguise le sentiment d'aliénation; elle renforce le pouvoir de la résistance ". F. Nietzsche, " La généalogie de la morale " trad. libre et R. J. Hollingdale in W. Kaufman, éd., On Genealogy of Morals and Ecce Homo (New York: Vintage, 1967) II, 14.

70 Voir généralement Van Ness et Bianchi

71 Non seulement ce système offre une échappatoire pour les contrevenants, il est également plus facile pour les membres de la société. L'individualisme qui sous-tend la justice rétributive permet de jeter le blâme sur certaines personnes et de les isoler. " Cela nous permet de les condamner, et donc d'éviter de reconnaître, d'organiser et de financer les tâches et réformes sociales permettant de remédier à la gravité du crime ". Wright 1 : 110.

72 Dans notre discussion de la justice réparatrice, nous parlerons de situations où un tort bien particulier a été commis par une personne déterminée contre une personne dont l'identité est connue. Toutefois, cela ne signifie pas que l'approche réparatrice n'est valable que dans de telles situations. Comme il a été dit plus haut, la justice réparatrice ne se limite pas aux particuliers mais peut servir dans le cadre de groupes, d'institutions ou de collectivités. Il est donc important de parler de la possibilité que la justice réparatrice soit capable de traiter d'anciens problèmes d'oppression, d'inégalité et d'iniquité.

73 Voir généralement Jennifer Nedelsky "Reconceiving Rights As Relationship" (1993) 1 Rev. of Constitutional Studies : 13; M. Kay Harris "Moving into the New Millenium: Towards a Feminist Vision of Justice" The Prison Journal 67/2 (1987): 27-38; Christine Koggel Perspectives on Equality: Constructing a Relational Theory (Maryland: Rowman and Littlefield Publishers, Inc., 1998)

74 L'extrême du collectivisme sépare les individus en les subordonnant; l'extrême de l'individualisme les sépare aussi en plaçant chaque personne au-dessus de l'autre.

75 Voir en général Jennifer J. Llewellyn "Justice for South Africa: Restorative Justice and the South African Truth and Reconciliation Commission" Christine Koggel éd., Moral Issues in Global Perspectives (Ontario: Broadview Press, 1998).

76 Van Ness et Strong mettent en valeur trois propositions fondamentales qui, d'après eux, font l'unanimité des défenseurs de la justice réparative comme devant sous-tendre toute tentative d'édifier un système de justice répartrice. Ici aussi, leurs commentaires s'appliquent dans un contexte pénal. Voici ce qu'ils suggèrent :La justice réparatrice voit le crime comme plus qu'une infraction aux lois, et le crime cause plusieurs préjudices à la victime, à la société et au contrevenant lui-mêmeLa justice doit chercher à réparer ces préjudicesLe gouvernement ne peut monopoliser la réponse au crime : la collectivité doit habilitée à se mobiliser, et sa réponse doit faire intervenir lav victime, le contrevenant et la collectivité. Strong : 31.

77 Nous faisons la distinction entre ceux qui doivent intervenir à titre de participants au processus et ceux qui doivent organiser et faire fonctionner ce processus. Cette question sera examinée dans la section consacrée aux agents de la justice réparatrice.

78 Van Ness et Strong en parlent à l'égard de la justice réparatrice : " Un crime ne consiste pas seulement à violer les lois, c'est également un tort fait à d'autres; loin d'être la simple manifestation d'un préjudice sous-jacent, il constitue également la création de nouveaux préjudices... Comme nous le verrons, ces préjudices existent à plusieurs niveaux et sont ressentis par les victimes, les collectivités et mêmes les contrevenants. " Strong : 4.

79 L'école de pensée nommée " victimologie " offre une perspective différente. La victimologie se distingue de la criminologie, qui se concentre sur les criminels. Elle examine comment le rôle et la responsabilité de la victime. Dans son ouvrage publié en 1968, Stephen Schafer affirmait que " dans un certain sens, la victime fait le criminel et son crime ". Cf. : Victimology: The Victim and His Criminal (Reston, Va.: Reston Publishing Company, 1968) : 34. Daniel Van Ness explique que les victimologistes séparaient les victimes en différentes catégories selon leur degré de responsabilité à l'égard du crime. Trois catégories de base sont apparues : la victime sans rapport aucun, qui n'a aucune responsabilité; la victime provocatrice, dont les actions provoquent le contrevenant; la victime précipitative qui n'a pas l'intention de provoquer le criminel mais dont le comportement l'entraîne. Daniel Van Ness Crime and its Victims (Illinois: Intervarsity Press, 1986) : 29 (Par la suite : Van Ness 2) . Cf. aussi Stephen Schafer "The Beginning of Victimology" Burt Galaway and Joe Hudson éd., Perspectives on Crime Victims (Toronto: The C.V. Mosby Company, 1981) 15 (Par la suite : Crime Victims); B. Mendelsohn "The origin of the doctrine of victimology" Excerpta Criminologica 1963, 3(3); H. von Hentig The Criminal and His Victim: Studies in the Sociology of Crime (New Haven Conn: Yale University Press, 1948). Bien entendu, nous n'entendons pas responsabiliser la victime à l'égard du préjudice subi. En fait, à notre avis, c'est la principale caractéristique qui distingue les victimes des contrevenants. Toutefois, la victimologie nous invite à nous méfier d'une vision trop simpliste des rapports victime-contrevenant. Dans plusieurs cas (surtout lorsque la victime et le contrevenant se connaissaient avant le crime ou le conflit) il existe des facteurs d'un côté et de l'autre qui débouchent sur l'événement préjudiciable.

80 Strong : 54.

81 Van Ness et Strong proposent des diagrammes montrant qui doit être compensé. Strong : 92-92. Nous convenons certes qu'il existe des ressources limitées quant aux dommages matériels (tangibles), souvent le tort indirect subi par les victimes secondaires peuvent être redressés par le biais de la participation à un processus de justice réparatrice et un plan d'action peut également en découler.

82 Van Ness 2 : 28. Van Ness propose également que la tendance à blâmer la victime a pu inspirer les premiers travaux de la victimologie, tendant à rendre la victime responsable du crime.

83 Zehr 2 : 230.

84 Strong : 112.

85 Il faut reconnaître la difficulté de définir la notion de " collectivité " qui est centrale à la justice réparatrice. Ce qui est évident, c'est que cette idée doit être contextualisée pour chaque problème particulier de la réparation. La collectivité pertinente pour un processus particulier de justice réparatrice regroupera les intervenants concernés. Toutefois, l'une des difficultés, c'est que ces collectivités ne seront pas toujours identifiables avant le processus lui-même. Cela ne pose pourtant pas un problème insurmontable pour la justice réparatrice. En fait, cela met en valeur un aspect avantageux pour ce type de processus, c'est-à-dire qu'en réunissant les intervenants concernés, le processus peut renforcer la collectivité. Le cas de l'Afrique du Sud illustre bien les complexités liées à l'identification des collectivités concernées aux fins d'un processus de réparation. La Truth and Reconciliation Commission visait différentes collectivités, ainsi que les rapports entre elles. Par exemple, le soutien immédiat aux collectivités des victimes et des contrevenants faisait partie du processus (familles et amis), les collectivités raciales et ethniques plus vastes dépendant des limites tracées par l'apartheid, et le processus lui-même était central à la construction de la société sud-africaine en général.

86 Strong : 32.

87 C'est l'idée qui sous-tend les groupes victimes-contrevenants. Van Ness et Strong expliquent qu'il s'agit de groupes de victimes et de groupes de contrevenants qui sont généralement liés par un type commun de crime, mais si les crimes particuliers les concernant n'étaient pas les mêmes. Lanuay et Murray décrivent un tel projet, en Angleterre, appelé Victims and Offenders in Conciliation (VOIC), qui vise des cas de vol avec effraction. " Le but à atteindre est double : d'abord, aider les victimes à surmonter l'incident; ensuite, confronter les contrevenants avec les résultats de leur crime ". Ces programmes réunissent les contrevenants avec des groupes de victimes. Ceux-ci n'ont aucun lien entre eux, à part le fait qu'ils ont eu affaire à des vols avec effraction. Ces groupes constituent une option lorsqu'une victime n'est pas capable ou disposée à rencontrer son contrevenant. À la place, les contrevenants rencontrent d'autres victimes du même crime et écoutent leurs histoires et leurs expériences. Les victimes tirent également profit de cette expérience. Cela leur donne la chance de donner un visage humain aux contrevenants et de comprendre leur motivation et leur expérience, au cas où leur contrevenant n'est pas capable ou disposé à les rencontrer. Cf. Strong : 74; Gilles Lanuay et Peter Murray "Victim/Offender Groups" Martin Wright et Burt Galaway éd., Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989) : 113; Gilles Lanuay "Bringing victims and offenders together: a comparison of two models" Howard Journal, 24: 200-12; Tony Marshall Reparation, Conciliation and Mediation Home Office Research and Planning Unit Paper 27 (London: HMSO, 1984).

88 Strong : 120.

89 Rupert Ross, dans sa discussion de Hollow Water, met l'accent sur la guérison de la collectivité qui est nécessaire pour guérir chaque personne individuelle. Cf. Rupert Ross Return to the Teachings: Exploring Aboriginal Justice (Toronto: Penguin Books, 1996).

90 Comme nous l'indiquerons plus loin, la participation de la victime et du contrevenant doit être volontaire. Cela ne veut pas dire que la collectivité ne peut pas établir un processus et encourager les gens à y participer. Il faut toutefois faire attention de ne pas finir par forcer la main aux gens. Même s'il est impossible d'obliger l'auteur d'un délit à participer au processus de réparation, son absence justifie toute mesure que la collectivité peut prendre pour se protéger contre les préjudices futurs causé par lui.

91 Mark Chupp "Reconciliation Procedures and Rationale" Martin Wright et Burt Galaway éd., Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989) : 56.(Par la suite : Chupp)

92 Il peut être également plus facile d'admettre ce qui s'est passé dans un système de réparation parce que, comme le note Wright, cela n'exige aucune reconnaissance de culpabilité dans le sens juridique. La nature contextuelle de la justice réparatrice permet au contrevenant d'offrir une explication de ce qui s'est passé au lieu d'imposer le choix " tout ou rien " de coupable ou non coupable que le fait le système rétributif. Par exemple, dans un système de justice réparatrice, un contrevenant peut admettre avoir fait du tort à autrui, tout en affirmant n'en avoir pas eu l'intention. Cela permet au contrevenant d'assumer la responsabilité de ses actions tout en aidant à réparer le tort commis. La justice réparatrice encourage la compréhension et l'explication de l'événement au lieu de lui attacher une étiquette.

93 Le problème de la réparation impossible, par exemple lorsque la victime est décédée, est traité dans la section consacrée aux difficultés de la justice réparatrice.

94 Cf. Michelle Parlevliet "Considering Truth. Dealing with a Legacy of Gross Human Rights Violations" Netherlands Quarterly of Human Rights 16:2 June 1998 : 141.

95 Bianchi : 24.

96 Bianchi : 26.

97 Peachey : 18; Strong : 87.

98 Cité dans Chupp : 56 tiré du documentaire ABC Going Straight (Hollywood: Dave Bell Associates, 1982).

99 Il faut noter ici la différence entre les processus de la justice réparatrice et les projets en cours de réconciliation victime-contrevenant, ceux-ci étant limités à la représentation symbolique par le biais d'un médiateur impartial (souvent un bénévole).

100 L'écoute est le pendant de la narration. Souvent, nous omettons de dépasser les parties évidentes d'un processus pour voir les autres éléments qui en assurent le bon fonctionnement. L'écoute est une facette essentielle sans laquelle la narration reste stérile.

101 Strong : 71.

102 Et ce, malgré les efforts des groupes des droits des victimes, surtout aux États-Unis, en vue d'incorporer les droits des victimes dans la constitution.

103 Il est intéressant de noter que des protections similaires n'existent pas dans le système civil, où la victime reste une partie en cause et contrôle les poursuites.

104 Par exemple, pour s'assurer que le choix est volontaire, on peut constituer un réseau de soutien pour les victimes afin qu'elles reçoivent l'aide nécessaire pour se rétablir suffisamment afin de faire un choix éclairé. Cf. Chupp : 58.

105 John Braithwaite, en conversation avec les auteurs, raconte une anecdote sur un facilitateur qui n'arrivait pas à trouver d'appuis pour un contrevenant qui allait participer à un processus de réparation qu'il était en train de préparer. Braithwaite lui a dit de continuer à essayer. Braithwaite affirme, comme nous, qu'il est en théorie possible de trouver des soutiens pour tout le monde, c'est juste qu'il faut parfois se donner la peine de chercher.

106 Cf. Helen Reeves "The victim support perspective" Martin Wright et Burt Galaway éd., Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989) : 47. Il est important de rectifier une erreur fréquente au sujet du déséquilibre des pouvoirs dans la justice réparatrice. Lorsqu'on parle de protection dans cette optique, on pense le plus souvent que c'est la victime qui a besoin de protection. Même s'il est souvent vrai que les victimes doivent être protégées contre la revictimisation et qu'elles ont raison de craindre que leur contrevenant puisse de nouveau leur faire du tort, il n'en reste pas moins vrai que c'est le contrevenant qui a le moins de pouvoir dans le processus de réparation, surtout dans le cas de situations sociales différentes. Il arrive souvent que les contrevenant proviennent de couches socio-économiques plus basses, d'un groupe minoritaire ou souffrant d'un désavantage. En plus, puisque les victimes disposent généralement de soutiens plus forts, il devient évident qu'il faut prêter attention au soutien des contrevenants dans le processus.

107 Chupp : 63.

108 Strong : 71.

109 Chupp : 61.

110 Il est peut-être même oiseux de considérer un aboutissement au processus de réparation. Étant donné qu'il s'agit de donner aux rapports un caractère d'équité sociale, la justice réparatrice nécessite l'atteinte et le maintien d'un équilibre dans l'équité sociale. Ainsi, dans un certain sens, la recherche de justice dans l'optique de la réparation est un processus en évolution constante. Toutefois, cette explication risque d'être trop abstraite pour remplir les besoins d'un système judiciaire. Il est important de savoir que l'objectif du processus de réparation consiste à restaurer des rapports, et cela peut prendre un certain temps après la rencontre entre la victime et le contrevenant. Un processus de justice réparatrice comporte bien plus qu'une rencontre victime-contrevenant-collectivité. De la réunion préalable à la signature de l'entente, en passant par les programmes de guérison ou de la réadaptation au besoin, puis le suivi et l'évaluation, la réparation se poursuit bien après la rencontre.

111 Chupp : 64.

112 Strong : 94.

113 Bianchi : 26.

114 Bianchi : 27. Il signale l'incarcération parmi les problèmes les plus graves à cet égard. On peut étendre ses conclusions à tout mécanisme qui préfère le châtiment au règlement du conflit.

115 À notre avis, ce serait le cas même si la victime et le contrevenant convenait " délibérément " que ce dernier devrait subir une douleur sous prétexte qu'elle serait fondamentalement réparatrice. En effet, la douleur en tant que telle est toujours l'expression du pouvoir exercé sur autrui, et donc de l'inégalité. Cela contredit l'idée de la réparation en tant que restauration de l'équité sociale.

116 Voir généralement la discussion de Bianchi sur le rôle de la souffrance en justice : 33.

117 Strong : 41.

118 Bianchi : 19.

119 Zehr 1 : 1/2.

120 Strong : 46.

121 Cf. Jennifer Llewellyn and Robert Howse "Institutions for Restorative Justice: The South African Truth and Reconciliation Commission" mémoire non publié Université de Toronto, Faculté de droit 1998; Jennifer Llewellyn "Justice for South Africa: Restorative Justice and the South African Truth and Reconciliation Commission" Christine M. Koggel éd., Moral Issues in Global Perspectives (Ontario: Broadview Press, 1998).

122 Cf. J. Braithwaite, D. Gibson et T. Makkai "Regulatory Styles, Motivational Postures and Nursing Home Compliance" Law and Policy 16, 1994 : 363-94; John Braithwaite "Corporate Crime and Republican Criminologist Praxis" F. Pearce et L. Snider éd., Corporate Crime: Ethics, Law and State (Toronto: University of Toronto Press, 1995); John Braithwaite "The Nursing Home Industry" M Tonry et A.J. Reiss éd., Beyond the Law: Crime in Complex Organizations, Crime and Justice: A Review of Research (Chicago: University of Chicago Press, 1994); John Braithwaite To Punish or Persuade: Enforcement of Coal Mine Safety (Albany: State University of New York Press, 1985); John Braithwaite Corporate Crime in the Pharmaceutical Industry (London and Boston: Routledge & Kegan Paul, 1984).

123 Voir la note 68.

124 Voir la discussion du caractère volontaire dans les sections sur la théorie et sur la protection des droits.

125 Le rôle de la demande de pardon et du pardon dans la justice réparatrice devrait être approfondi. Cf. Donald Shriver Jr. "An Ethic for Enemies: Forgiveness in Politics" (New York: Oxford University Press, 1995); Nicholas Tavuchis, "Mea Culpa: a sociology of apology and reconciliation" (Stanford, California: Stanford University Press, 1991).

126 Cf. Robert Coates "Victim-Offender Reconciliation Programs in North America: An Assessment" J. Galaway et J. Hudson éd., Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (New York: Criminal Justice Press, 1990) : 128; Kim Pate "Victim-Young Offender Reconciliation As Alternative Measures Programs in Canada" Burt Galaway et Joe Hudson éd., Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (Monsey, New York: Criminal Justice Press, 1990) : 137-138.

127 Wright fait remarquer que c'est l'une des inquiétudes exprimées à l'égard des programmes de médiation en Grande-Bretagne. Cf. Martin Wright "Introduction" dans Martin Wright et Burt Galaway éd., Médiation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989) : 10. (Par la suite Wright 2) On peut noter que cette même inquiétude a motivé notre examen précédent de la protection des droits au sein du processus de réparation. Cf. la section consacrée à la protection des droits.

128 Il faut admettre la possibilité que certains particuliers ne seront pas capables de participer au mécanisme de réparation. Toutefois, il faut avancer avec prudence dans la voie d'une telle décision. On doit résister à la tentation d'exclure certaines personnes sous le prétexte de la nature de leur crime. Autrement dit, on ne peut pas présumer que certains actes sont si détestables que les personnes qui les commettent sont de prime abord exclus de la participation au mécanisme de réparation. Il est important de comprendre que ce sont souvent les actes qui violent l'idéal relationnel qui semblent trop affreux pour mériter la participation à un tel processus. Pourtant, ce n'est pas logique. En fait, ce sont c'est actes qui entraînent le plus grand besoin de réparation, car ils montrent le plus clairement la rupture de l'équité sociale. D'autre part, Wright montre qu'en général, ce sont les situations où les besoins des victimes sont les plus pressants et où la justice réparatrice serait la plus appropriée. (Cf.: Wright 1 : 122) La torture est un exemple d'un tel acte. Les gens disent souvent que la torture ne se prête pas à un mécanisme de réparation. Pourtant, l'engagement envers la justice réparatrice signifie que cette détermination ne peut être faite selon la nature de l'acte. Au lieu de cela, il faut examiner la personne individuelle et son aptitude à participer, à comprendre ses actions, à assumer la responsabilité à leur égard et à oeuvrer dans le sens de la réparation. Certaines personnes peuvent, après un tel examen, se sentir incapables de participer à un tel processus : les aliénés mentaux ou les sociopathes, par exemple.

129 En fait, ce n'est pas le seul lieu où les contrevenants peuvent participer à des programmes de justice réparatrice. Cf. la discussion d'Umbreit sur le projet Genesee dans Mark Umbreit "Violent offenders and their victims" Martin Wright et Burt Galaway éd., Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community (Newbury Park: Sage Publications, 1989) : 99. Toutefois, l'un des dangers de laisser les mécanismes de réparation à ce stade, c'est que la nature contradictoire du système actuel risque de séparer les parties plus encore, rendant la réparation d'autant plus difficile. Cf.: Chupp : 66. Wright suggère que l'une des façons dont le système contradicctoire peut produire cet effet est par le besoin d'avoir un " gagnant " et un " perdant ". Souvent, cette intervention officielle divise les parties encore plus. Par contre, les résultats dignes de la réparation sont le résultat de négociations entre les parties qui permettent un règlement d'où tout le monde sort gagnant. Wright 1 : 112.

130 Wright 1 : 114.

131 Dans sa discussion à ce sujet Wright préfère parler d'incitatifs généraux parce que la dissuasion suggère l'exemple par la crainte et la punition. L'incitatif général résulterait de l'intervention de la société et de son engagement à préserver des relations d'équité sociale. Wright 1 : 115.

132 Wright 1 : 114.

133 Strong : 51.

134 Restorative Justice: The Public Submissions (Wellington New Zealand: Ministry of Justice, 1998); pour recevoir des copies, écrire à : Ministry of Justice, P.O. Box 180 Wellington, New Zealand.

135 Michael Freeman "Introduction" Michael Freeman éd., Alternative Dispute Resolution: The International Library of Essays in Law and Legal Theory (New York: New York University Press, 1995.) : xi. (Par la suite : Freeman)

136 Ernest Tannis Alternative Dispute Resolution That Works! (Toronto: Captus Press, 1989).

137 Freeman : xi.

138 George W. Adams and Naomi L. Bussin "Alternative Dispute Resolution and Canadian Courts: A Time for Change" Advocates' Quarterly 17:2 (Mai 1995) : 142.

139 Galanter cité dans Freeman : xi.

140 John Lover et Andrew Pirie Alternative Dispute Resolution for the Community: An Annotated Bibliography (Victoria: Uvic Institute for Dispute Resolution, 1990) : vii. (Par la suite : Lover and Pirie)

141 Kanowitz rappelle que " le système judiciaire lui-même est un mode de règlement à l'amiable -- une solution de rechange à l'entraide, à la force, à la violence, à l'anarchie ", ce qui peut nous aider à comprendre l'affirmation que les tribunaux devraient être inclus dans notre conception de ce mode de règlement. Leo Kanowitz Alternative Dispute Resolution: Cases and Materials (Minnesota: West Publishing Company, 1985).

142 Lover and Pirie : vii.

143 Carolyn Stobo An Alternative Dispute Resolution Primer and Survey of Current Government Initiatives in Ontario: Current Issue Paper 165 (Toronto: Ontario Legislative Research Service, 1995) : 2/3. (Par la suite : Stobo)

144 Le mode de règlement à l'amiable attaché aux tribunaux est un concept qui commence à peine à faire l'objet d'attention. Stobo le décrit comme étant " le cas où un ou plusieurs mécanismes comme la médiation, l'évaluation neutre anticipée, les mini-procès et l'arbitrage sont directement intégrés à la procédure judiciaire ". Elle explique que dans le cas ou les mécanismes extrajudiciaires conviennent mieux au règlement d'un différent, le mode de règlement à l'amiable rattaché aux tribunaux permettrait aux parties de s'engager volontairement dans ces processus, ou , en l'absence d'entente, les parties devraient demander une ordonnance du tribunal avant de faire d'autres démarches dans une action ou une procédure. Stobo : 4.

145 D. Paul Emond "Alternative Dispute Resolution: A Conceptual Overview" Paul Emond éd., Commercial Dispute Resolution: Alternative to Litigation (Aurora: Canada Law Book Inc., 1989) : 4.

146 Compte tenu des contrastes et des conflits qui existent entre les conceptions rétributive et réparatrice, il est impossible de faire d'une pratique rétributive un mécanisme de réparation. Toutefois, on peut prévoir une protection contre les effets nocifs du système rétributif afin que la réparation demeure une option.

147 C'est ce que font les cercles de sentence. On les étudie depuis peu afin de redresser les problèmes de la justice occidentale dans les collectivités autochtones, mais on ne peut comprendre pourquoi ils fonctionnent si on les considère comme des pratique extrajudiciaires. Ils marchent parce qu'ils sont fondés sur une notion différente de la justice. Il ne suffit pas d'examiner la pratique : c'est le processus dans lequel il s'insère qui importe pour savoir s'il répond aux besoins de la justice réparatrice.

148 Strong : 45.

149 L'idée que le système judiciaire puisse prendre la forme d'un système dualiste, soit dans la phase de transition ou de façon plus permanente inspire des réflexions. L'exemple japonais pourra être évoqué dans le développement d'un tel système. Cf. John O. Haley "Confession, Repentance and Absolution" in Martin Wright et Burt Galaway éd. Mediation in Criminal Justice (London: Sage Publications 1989) 195; Daniel H. Foote "The Benevolent Paternalism of Japanese Criminal Justice" Cal L. Rev. 80 (1992): 317; Strong : 60. Remarquons aussi le système de la ex-RFA (similaire au système japonais), dans lequel une ordonnance n'est pas nécessaire si la réparation est faite. Le modèle autrichien est également intéressant : si la réparation est faite avant que l'infraction ne soit signalée à la police, on estime que cette dernière n'a pas eu lieu. Cf. : Wright 1 : 119.

150 Zehr 2 : 233-235; et voir notre discussion des affirmations de Zehr dans Strong : 59.

151 En particulier, voir la comparaison entre la justice rétributive et la justice réparatrice : 28.

152 Wright 2 : 12.

153 R. v. Hudson, Jugement verbal de la C.A.O., le 7 janvier 1982.

154 Il vaut la peine de noter qu'un réforme proposée en 1984 à la Chambre des communes proposait des changements au code pénal qui auraient permis aux juges de déléguer leurs pouvoirs à de tels programmes. Toutefois, ces réformes n'ont jamais été adoptées.

155 Alors que cette loi est en cours de révision, la récente Stratégie pour le renouvellement de la justice juvénile publiée par le ministère de la Justice montre que le soutien en faveur des programmes de diversion continuera. Stratégie pour le renouvellement de la justice juvénile (Ottawa: ministère de la Justice, 1998). Cf. K. Pate et D. Peachey "Face to Face: Victim-Offender Mediation under the Young Offenders Act" J. Hudson, J. Hornick et B. Burrows éd., Justice and the Young Offender in Canada (Toronto: Wall and Thompson, 1988).

156 Kim Pate "Victim-Offender Reconciliation as Alternative Measures Programs in Canada" B. Galaway et J. Hudson éd., Criminal Justice, Restitution, and Reconciliation (New York: Criminal Justice Press, 1990) : 135.

157 Wright 1 : 124.

158 Wright 2 : 10.

159 Wright 2 : 10.

160 Peachey préconise l'utilisation du mot " projet " à l'égard des initiatives de justice réparatrice dans l'espoir qu'il montrera la nature mouvante de ce mécanisme. Il explique que ce projet reflète une tentative de faire quelque chose qui peut utiliser plusieurs façons différentes d'accomplir une tâche particulière tandis que le terme " programme " suggère que quelque chose est établi ou en place. Peachey : 17.


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