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Page d'accueil À propos de nous Rapport Document de recherche 1999 Les sévices contre les enfants placés en établissements

À propos de nous

Rapport

Document de recherche

Les sévices contre les enfants placés en établissements


Ce document a été préparé pour la Commission du droit du Canada sous le titre Apologising for Serious Wrongdoing: Social, Psychological and Legal Considerations. Les points de vue exprimés sont ceux de l'auteure et ne réflètent pas nécessairement ceux de la Commission. L'exactitude de l'information contenue dans ce document est l'unique responsabilité de l'auteure.

This document is also available in English under the title Apologising for Serious Wrongdoing : Social, Psychological and Legal Considerations.



La présentation d'excuses relatives à une faute grave : considérations sociales, psychologiques et juridiques


Susan Alter
Recherchiste, Commission du droit du Canada

Rapport final pour la
Commission du droit du Canada

Mai 1999



TABLE DES MATIÈRES

        A.    Les éléments essentiels pour que les excuses soient valables
               1.    La reconnaissance du préjudice
               2.    L'acceptation de la responsabilité du préjudice
               3.    L'expression de regrets sincères et de remords profonds
               4.    L'assurance ou la promesse que le préjudice ne se reproduira pas
               5.    La réparation au moyen de mesures concrètes
        B.    Les considérations d'ordre pratique qui sous-tendent la présentation
        d'excuses valables
               1.    La liberté de demander des excuses
               2.    La liberté de choisir le genre d'excuses
               3.    La participation des deux parties
               4.    La personne qui présente les excuses et la forme des excuses
               5.    Les excuses doivent être faites dans un délai raisonnable
                        a.    Excuses individuelles
                        b.    Excuses collectives
                        c.    Coûts humains découlant d'excuses tardives
       - quelques exemples
                                i    Le cas de Grandview
                                ii.    La leçon de Martin Kruze
                6.    Formulation des excuses en termes simples, clairs et directs
                7.    Sensibilité culturelle
        A.    Procédures judiciaires
                1.    Les excuses : un aveu de culpabilité ou de responsabilité?
                2.    Les excuses relatives à des infractions criminelles
                3.    Les excuses présentées dans le cadre de procès civils
                4.    Le pouvoir de guérison d'excuses ordonnées par le tribunal
        B.    Mécanismes extrajudiciaires
VI.    Conclusions



I.    Aperçu des questions

       Pendant leur vie, les gens reçoivent et présentent des excuses dans des situations aussi fréquentes que diverses. À une extrémité de la courbe, il y a les sempiternels « je suis désolé » qui ponctuent la conversation dès qu'une légère transgression sociale est commise. « Je suis désolé de vous avoir marché sur le pied. » « Je suis désolé de vous avoir interrompu. » « Je suis désolé d'avoir oublié notre rendez-vous. » À l'autre extrémité de la courbe, on retrouve, mais beaucoup moins fréquemment, l'expression d'un regret profond et sincère pour avoir causé à autrui de grandes souffrances. C'est de ce genre d'excuses -- celui qui vise à faire pardonner un mal et un préjudice graves -- dont il est question ici.

       La présentation d'excuses pour avoir causé un grave préjudice à autrui est un acte moral et éthique ainsi qu'un acte d'apaisement de la conscience et une manifestation de respect. Toutefois, les mécanismes judiciaires découragent souvent les personnes responsables d'une faute de s'en excuser auprès de leurs victimes parce qu'elles craignent que l'expression de leur regret soit interprétée comme un aveu de culpabilité ou de responsabilité. Les excuses ne constituent un redressement juridique valable que dans des situations conflictuelles précises, par exemple dans les cas de discrimination. Dans les autres cas, les excuses ne sont pas une caractéristique obligatoire des mécanismes judiciaires visant la réparation des fautes commises. Il arrive qu'une personne déclarée coupable présente des excuses, que ce soit volontairement ou dans l'espoir de réduire la peine qui lui sera infligée. Mais dans l'ensemble, il est rare que des excuses soient présentées devant les tribunaux.

       Les excuses ont globalement pour but de restituer la dignité et de rétablir l'harmonie sociale. Il est évident que ces objectifs sont compatibles avec ceux de la justice. En pratique, pourtant, la présentation d'excuses n'est pas largement répandue dans notre système juridique actuel. Puisque les excuses sont réputées équivaloir à un aveu de responsabilité, elles sont également considérées comme incompatibles avec la préparation d'une défense. On considère habituellement que le fait de présenter des excuses et de faire « la chose honorable » sur le plan moral et dans l'intérêt de la justice est la « mauvaise chose » à faire pour assurer sa défense dans le cadre du système accusatoire.

       Lorsque des personnes infligent ou laissent infliger un préjudice grave à ceux et celles dont ils ont la charge -- par exemple des violences sexuelles contre des enfants placés dans leurs établissements -- il faut remédier aussi efficacement que possible au terrible sentiment de trahison et d'abus de confiance qu'éprouvent les victimes.

       La reconnaissance du préjudice et la présentation d'excuses sont des étapes essentielles pour qu'il y ait amende honorable. Du point de vue de la victime, les excuses sont souvent considérées comme la clef qui ouvre la voie à la guérison.

       Étant donné l'importance des excuses aux yeux des ceux et celles qui ont été victimes de violences sexuelles dans des établissements, il est malheureux et troublant que les mécanismes juridiques traditionnels favorisent l'intransigeance, le manque de respect et l'absence de remords chez les auteurs des préjudices. Ce résultat bancal est en soi une raison pour apporter des solutions de rechange aux mécanismes juridiques traditionnels -- solutions qui feront en sorte que l'impératif juridique (le droit de l'auteur du préjudice de proclamer son innocence et de ne pas s'incriminer lui-même) puisse être concilié avec l'impératif social (le besoin de la victime d'obtenir des excuses) et non pas y faire échec. Une fois qu'il s'est engagé à faire des excuses, l'auteur du préjudice devrait s'assurer que celles-ci sont opportunes, sincères et satisfaisantes. Des excuses que le destinataire juge hypocrites, insuffisantes ou autrement inacceptables peuvent porter un coup dévastateur à une victime qui est meurtrie sur le plan affectif et rouvrir certaines blessures.

       Pendant l'analyse qui suit, les excuses seront attentivement examinées sous de nombreux angles, y compris les angles juridique, social et psychologique. Il s'agit de savoir pourquoi les excuses sont nécessaires, quel genre d'excuses est nécessaire dans les cas de violence et en quoi doivent consister les excuses pour être valables aux yeux des victimes. Nous ferons également une comparaison entre différentes excuses qui ont été présentées dans un cadre judiciaire et extrajudiciaire.

II.    Pourquoi les excuses sont-elles nécessaires ?

        Même si la déclaration de culpabilité était importante à leurs yeux, elle ne leur apportait aucune joie. ...Au lieu de cela, l'homme [Bergeron] a perpétué le mensonge avec lequel lui [Belecque] et les autres ont dû composer toute leur vie durant. « Si cet homme s'était excusé, cela aurait bien plus compté pour moi » a dit Belecque1.        

        Je ne me sentirai pas soulagé tant que je n'aurai pas obtenu une lettre d'excuses et des excuses publiques. Ce n'est qu'alors que je pourrai tourner la page2.        

        J'attendais des excuses et j'en ai obtenu. C'est le plus important3.        

       Le psychiatre Aaron Lazare, qui s'est intéressé au pouvoir guérisseur des excuses après avoir étudié la honte et l'humiliation pendant plusieurs années, a identifié quatre raisons ou motifs pour lesquels les auteurs d'une faute présentent des excuses. Ces quatre motifs sont : (1) sauver ou rétablir une relation gravement compromise ; (2) exprimer des regrets et des remords pour avoir fait souffrir une personne et essayer d'atténuer sa douleur ; (3) échapper au châtiment ou le réduire ; et (4) soulager sa conscience4.

       Les motifs qui sous-tendent les excuses révèlent quel rôle jouent ces dernières ou, du moins, ce qu'elles peuvent accomplir pour la personne qui les présente. Les excuses sont (1) une offre de paix ; (2) un acte d'humilité et d'humanité ; (3) une force modératrice face au châtiment ; et (4) un baume mental.

       La personne qui reçoit les excuses -- à supposer que celles-ci répondent à ses attentes -- peut également en tirer des avantages importants. Les excuses sont une transaction sociale qui suppose un échange de pouvoirs considérable, échange qui est essentiel au rétablissement de l'équilibre et de l'harmonie. Lazare décrit ainsi cet échange :

        [C]e qui rend les excuses efficaces est l'échange de honte et de pouvoir entre l'offenseur et l'offensé. En présentant des excuses, nous nous approprions la honte de notre faute et nous la redirigeons vers nous-mêmes. Nous reconnaissons avoir fait du mal à quelqu'un ou l'avoir rabaissé et nous disons qu'en réalité c'est nous qui sommes rabaissés -- C'est moi qui ai eu tort, qui me suis trompé, qui me suis montré insensible ou stupide. En reconnaissant notre propre honte, nous donnons à l'offensé le pouvoir de pardonner. L'échange est une partie essentielle du processus de guérison5.        

       En admettant le mal qui a été fait, l'auteur de la faute reconnaît que son sens moral lui a fait défaut et il confirme que la personne lésée n'a rien fait de mal6. Par conséquent, la honte passe de la personne lésée à l'auteur de la faute.

De plus, en reconnaissant les actes fautifs commis à l'endroit de la personne lésée et en lui demandant pardon, l'auteur du préjudice adopte une position de vulnérabilité et donne à la personne lésée le contrôle de la transaction. La dignité de cette personne est rétablie. Elle se retrouve en position de force7.

       Après que le transfert de pouvoir a eu lieu au moyen des excuses, la personne qui reçoit les excuses possède le contrôle absolu. Elle peut choisir de les accepter ou non, de pardonner ou non à celui qui lui a fait du mal8.

L'auteur de la faute ne doit ni s'attendre à être pardonné ni exiger de l'être. Comme le dit Martha Minow :

        Le pardon est un pouvoir que détient la victime, pas un droit qui peut être revendiqué. La capacité d'accorder, mais aussi de refuser, le pardon est une capacité ennoblissante et fait partie de la dignité que doivent regagner ceux et celles qui survivent à la faute. Même la victime qui, individuellement, choisit de pardonner ne peut valablement le faire au nom des autres victimes. S'attendre à ce que les victimes pardonnent, c'est les accabler d'un fardeau supplémentaire9.        

       Trudy Govier reconnaît elle aussi que le pardon doit être librement donné, et elle se réfère à Alice Miller qui a tiré la conclusion suivante : « Lorsque l'on presse les personnes meurtries de " pardonner ", ces dernières sont davantage meurtries parce que l'on exerce des pressions sur elles afin qu'elles répriment ou transforment leur colère10 ». Govier souligne ensuite que « l'utilité des propos de Miller tient notamment à ce qu'ils nous rappellent avec force pourquoi, à la base, les victimes occupent le premier rang sur le plan moral.

       Essentiellement, ce sont les victimes qui ont été injustement traitées et ce sont les victimes qui ont besoin de se rétablir11 ». Elle reconnaît également que « [p]ardonner et se réconcilier c'est faire de nouveau confiance. Mais parfois, nous ne devrions pas faire de nouveau confiance, et nous ne le faisons qu'en nous exposant à de graves risques12 ». D'un autre côté, toutefois, Govier précise que les victimes doivent savoir que le pardon peut leur apporter des avantages en même temps que les risques :
        À certains égards importants, le pardon peut également être avantageux pour la victime : il est bon pour sa santé mentale. Elle renonce à ses sentiments de colère, de ressentiment et de haine à l'endroit de l'agresseur ; elle accepte qu'une injustice a été commise, en n'atténuant pas cette injustice mais en étant disposée à aller de l'avant au lieu de s'appesantir sur le passé13.        

       Elle souligne également que le pardon n'oblige pas la victime à transiger avec son sens du bien et du mal :

            Pardonner ne signifie pas excuser, fermer les yeux sur la faute, cesser tout reproche, perdre tout respect envers les victimes ou oublier que la faute a eu lieu. Ce qui se passe lorsque nous pardonnons, c'est que nous renonçons à notre sentiment de haine et à notre ressentiment et acceptons le fait que l'auteur de la faute s'est repenti et amendé14.

       Il est manifeste que les excuses et le pardon sont des processus délicats qui supposent que l'on coure des risques tout en retirant des avantages.

Au bout du compte, chaque personne qui reçoit des excuses doit se débattre avec la question de l'acceptation et du pardon -- elle en a le droit moral. Toutefois, pour que les victimes puissent, au départ, se prévaloir de ce droit, les personnes qui leur ont fait du mal doivent être pleinement conscientes de l'importance de l'obligation morale qui leur est faite de présenter des excuses, lorsque des excuses sont demandées.

       Des recherches sur les besoins des personnes qui ont été victimes de sévices en établissement pendant leur enfance, que l'Institute for Human Resource Development a effectuées pour le compte de la Commission du droit du Canada, ont montré que les victimes ont besoin de recevoir des excuses de la part des responsables des méfaits15. Une étude distincte portant sur les effets thérapeutiques du recours aux mécanismes judiciaires et extrajudiciaires pour trancher les allégations de violences sexuelles a tiré des conclusions fort semblables. Les chercheurs qui ont participé à cette étude ont conclu que la majorité des revendicateurs étaient davantage motivés par le besoin de guérison que par des besoins financiers. Plus précisément, « les répondants ont uniformément insisté sur leur désir d'être entendus, de voir les violences qui leur ont été infligées reconnues et la justesse de leurs prétentions prouvée, et de recevoir des excuses16 ».

       Les événements qui ont entouré la négociation du Helpline Reconciliation Agreement montrent la grande importance que les victimes peuvent attacher à l'obtention d'excuses. Après deux années passées à essayer d'en arriver à une entente, l'opération a failli échouer en raison du refus de certaines parties de s'engager à présenter des excuses17. Dans l'entente qui a finalement été conclue, on a reconnu au paragraphe introductif le rôle essentiel des excuses :

        Les excuses sont au coeur même du processus de réconciliation. En fait, on ne saurait guérir de la dévastation personnelle que les violences ont causée sans des excuses. Axée sur la réconciliation et la guérison, la présente entente veut faciliter la présentation d'excuses par les responsables lorsque le mécanisme d'établissement du bien-fondé des revendications qui a été instauré dans le cadre de la présente entente a permis de conclure à l'existence de préjudices. L'entente a pour objectif de rétablir la confiance envers les institutions spirituelles et laïques de la société18.         

       Aux yeux de la personne qui les reçoit, les excuses peuvent avoir une valeur incommensurable. Comme l'a dit une victime du Shelburne Youth Training Centre : « J'ai obtenu des excuses et cela n'a pas de prix19 ».

       Malgré la grande importance que les victimes attachent aux excuses, il est arrivé que des dirigeants priés de présenter des excuses pour des préjudices passés aient refusé de le faire pour le motif que l'on ne peut réécrire l'histoire.

C'est la position qu'avait adoptée l'ancien premier ministre Pierre Trudeau en refusant de présenter des excuses aux Canadiens et Canadiennes d'origine japonaise qui avaient été internés dans des camps au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Lors de son dernier jour en qualité de premier ministre, à la Chambre des communes, il a rejeté les demandes de réparation, insistant sur le fait que l'internement et la confiscation des biens avaient été légitimement autorisés par des représentants élus. « Il [le gouvernement] ne peut pas réécrire l'histoire », a-t-il dit, « [n]ous sommes là pour nous occuper de ce qui se passe actuellement et c'est ce que nous avons fait en présentant la Charte des droits20 ».

       Les excuses n'ont pas la prétention et n'ont pas même pour but de réécrire l'histoire. Elles ont pour rôle, comme nous l'avons vu, de faciliter la réconciliation et la guérison. Il s'agit de regarder les choses en face, non pas de réécrire ni de réinventer les faits. Comme l'a reconnu l'ancien premier ministre Brian Mulroney, en 1998, lorsqu'il a présenté ses excuses aux Canadiens d'origine japonaise à la Chambre des communes : « Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous devons, en tant que nation, avoir le courage de reconnaître ces faits historiques21 ». Martha Minow traduit un point de vue semblable lorsqu'elle dit : « Les excuses peuvent rétablir une part de dignité mais pas remettre les vies dans l'état où elles étaient avant les violations22 ».

       Pour conclure sur l'importance des excuses, il faut admettre que ce ne sont pas toutes les victimes qui les estiment essentielles. Ainsi, Gilbert Oskaboose, qui dit avoir survécu à dix années « d'enfer » au pensionnat pour enfants autochtones Garnier, à Spanish, en Ontario, affirme catégoriquement que les excuses lui importent peu :

        Je n'ai aucune espèce d'intérêt pour vos foutues excuses. Les excuses ne sont que des mots et les mots sont comme la poussière dans le vent. Ils ne veulent rien dire. Il n'est pas possible de faire du mal à quelqu'un durant dix ans et de dire, ensuite, « Ah ! je m'excuse ! », de « souffler le chaud et le froid » sur un groupe, puis d'aller se balader main dans la main avec lui à l'heure rose du crépuscule. Ça ne marche pas de cette façon23.        

III.    Les deux genres d'excuses qui sont demandées dans les cas de violences

        Notre peuple ne mérite rien de moins que ce qui a été accordé aux Canadiens d'origine japonaise en 1988 -- des excuses officielles de la part du premier ministre du pays, ... présentées au nom de la Chambre des communes, au nom de tous les partis qui siègent au Parlement, au nom de l'ensemble des Canadiens et Canadiennes... Des excuses officielles24 .        

        Je ne veux pas d'excuses de votre part [Marcel Gervais, archevêque catholique romain d'Ottawa]. Je veux des excuses des frères qui ont ruiné ma vie. Je veux des excuses de ces deux chiens -- ces deux pédophiles25.        

       La plupart des adultes qui ont été victimes de sévices dans les établissements où ils ont vécu pendant leur enfance veulent des excuses, quelle que soit la nature des violences qui leur ont été infligées -- physiques, sexuelles, affectives, psychologiques, culturelles ou spirituelles.

       Les sévices qu'ils ont subis ont eu des effets très néfastes sur eux, leur famille, leurs amis et leur collectivité26. Les excuses qui s'imposent dans ces cas ne sont donc pas les banalités et politesses du genre « je suis désolé » qui sont formulées par habitude et machinalement dans le cadre des interactions quotidiennes que nous avons les uns avec les autres. Ceux et celles qui ont été victimes de violence pendant leur enfance exigent des excuses complètes et mûrement réfléchies -- des excuses qui témoignent d'une compréhension et d'une empathie dont la profondeur et l'intensité sont proportionnelles au préjudice causé.

       Les victimes demandent habituellement deux genres précis d'excuses : (1) des excuses personnelles et privées ou (2) des excuses officielles et publiques. L'agresseur présente des excuses personnelles ou individuelles directement à la victime. Il s'agit d'une opération interpersonnelle, seul à seul, et habituellement privée. Les excuses peuvent être présentées de vive voix ou dans une lettre. Les excuses officielles et publiques ont tendance à être plus impersonnelles et calculées en ce sens que leur libellé tient compte non seulement des sentiments de la partie lésée (à qui elles s'adressent directement) mais aussi de ceux de la société dans son ensemble. L'auteur de la faute présente ce genre d'excuses à la personne ou au groupe à qui du mal a été fait dans un lieu public, comme une assemblée législative, une église ou une salle de réunions. Les excuses officielles et publiques sont presque toujours présentées sous une forme permanente ou dans un écrit officiel et public. Le fait d'exiger des excuses personnelles n'interdit pas d'exiger également des excuses publiques. Dans certains cas, les victimes veulent obtenir les deux genres d'excuses ; dans d'autres, elles ne veulent que l'un ou l'autre.

       L'examen des principales différences entre les excuses personnelles et les excuses officielles et publiques peut mettre en lumière les raisons pour lesquelles une victime pourrait préférer les unes aux autres ou exiger les deux. Deux des caractéristiques essentielles des excuses personnelles sont que l'auteur du préjudice doit s'adresser directement et exclusivement à la personne victime du préjudice et doit lui faire part de ses regrets ou de sa tristesse sincères. L'expression directe d'un véritable regret est donc essentielle à ce genre d'excuses.

       Comme le souligne Nicholas Tavuchis : « Quoi que l'on dise ou que l'on communique par ailleurs, ...les excuses doivent être l'expression d'un profond chagrin. Si la victime croit que l'agresseur est vraiment désolé, tout réconfort additionnel est superflu27 ».

       Puisque les excuses personnelles sont destinées à une personne en particulier, elles donnent à celui qui les présente la possibilité ou la capacité de reconnaître dans des termes très précis le mal qui a été fait. Les excuses officielles et publiques tendent par ailleurs à être moins personnalisées parce qu'elles visent habituellement des torts causés à un certain nombre de personnes et souvent, elles sont présentées par une personne qui parle et agit à titre officiel, par exemple un chef de gouvernement ou d'Église28.

       Bien que les excuses officielles et publiques soient moins susceptibles que les excuses personnelles de permettre la reconnaissance du mal infligé à chaque personne et de communiquer des regrets sincères, elles peuvent remplir un rôle unique. En effet, elles peuvent permettre de rétablir les faits et de redonner sa dignité à la personne ou au groupe lésé et ce, sous l'oeil attentif du public29.

        L'agresseur est alors plongé dans un monde pointilleux d'archives et de comptabilité sociale dans lequel la parole elle-même, en tant que performance, devient primordiale. Et dans un tel monde, tout ce qui fait partie des excuses doit être clairement formulé ; rien ne doit être tenu pour acquis ou ambigu.         

        C'est pourquoi les énergies d'une personne [celle qui présente les excuses officielles et publiques] sont consacrées à la publicité et à la transparence des excuses et l'intérêt supérieur de la multitude [les personnes qui reçoivent les excuses] consiste à ce que les excuses soient officiellement consignées par écrit, c'est-à-dire à obtenir une rétractation publique et soigneusement rapportée qui rétablit les aspects de l'intégrité et de l'honneur de la collectivité que l'agression est venue compromettre30.        

    Étant donné la différence entre les excuses personnelles et les excuses officielles et publiques, la victime qui veut un de ces deux genres d'excuses mais ne peut obtenir que l'autre, est susceptible d'éprouver un fort sentiment de frustration et d'insatisfaction. Le fait qu'un genre d'excuses ne peut remplacer l'autre a été clairement établi par l'homme qui a crié ce qui suit en plein milieu des excuses officielles que présentait monseigneur Gervais aux victimes de l'établissement St. Joseph's :

        Je ne veux pas de vos excuses. Je veux des excuses du frère qui m'a agressé. Ce chien a ruiné ma vie ! Je n'ai pas besoin de vos excuses. Vous n'avez rien à voir avec ce qu'il m'a fait. Je veux que ce soit lui qui me fasse des excuses31 !        

       Les excuses officielles et publiques les plus connues au Canada sont celles qui ont attiré l'attention de tous les médias, savoir notamment, celles que le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, a présentées aux orphelins de Duplessis à l'Assemblée nationale (en mars 1999)32, la Déclaration de réconciliation faite par la ministre fédérale des Affaires indiennes et du Nord, Jane Stewart, à l'intention des peuples autochtones (en janvier 1998)33 et celles que le premier ministre d'alors, Brian Mulroney a présentées aux Canadiens d'origine japonaise (en septembre 1988)34. Les quatre Églises responsables de l'éducation en établissement des enfants autochtones au Canada ont également présenté des excuses très publiques35.

    Voici quelques extraits de certaines de ces excuses publiques :

           Le très honorable Brian Mulroney (1988) :

           La plupart d'entre nous ont eu, à un moment ou un autre de leur vie, à regretter des choses qu'ils ont faites. L'erreur est humaine, mais c'est aussi le propre de l'homme de s'excuser et de pardonner. Nous savons tous par expérience que les excuses, aussi inadéquates qu'elles soient, sont le seul moyen d'apaiser notre conscience pour pouvoir affronter l'avenir avec sérénité.        

           Je sais que je parle au nom de tous les députés en présentant aux Canadiens d'origine japonaise les excuses officielles et sincères du Parlement pour les injustices qui ont été commises dans le passé envers eux, leurs familles, et leurs descendants, et en promettant solennellement aux Canadiens de toutes origines que pareilles injustices ne seront plus tolérées et ne se reproduiront plus jamais36.        
    

        Le primat Michael Peers (1993) :

           Je reconnais et je confesse devant vous et devant Dieu les fautes que nous avons commises dans les pensionnats. Nous avons manqué à notre devoir envers vous. Nous avons manqué à notre devoir envers nous-mêmes. Nous avons manqué à notre devoir envers Dieu. Je ne puis vous dire à quel point je regrette que nous ayons essayé de vous refaire à notre image. Je ne puis vous dire à quel point je regrette que dans nos écoles, un aussi grand nombre d'enfants aient été victimes de violences physiques, sexuelles, culturelles et affectives. Et en mon nom et au nom de l'Église anglicane du Canada, je vous présente mes excuses.        

           Je sais que vous avez très souvent entendu des paroles qui semblaient creuses parce qu'elles n'étaient pas accompagnées d'actes concrets. Je m'engage envers vous à faire tout mon possible et à ce que l'Église fasse tout son possible sur le plan national, pour cheminer avec vous sur la voie de la guérison37.        

       L'honorable Jane Stewart (1998) :

           Malheureusement, notre histoire en ce qui concerne le traitement des peuples autochtones est bien loin de nous inspirer de la fierté. Des attitudes empreintes de sentiments de supériorité raciale et culturelle ont mené à une répression de la culture et des valeurs autochtones. En tant que pays, nous sommes hantés par nos actions passées qui ont mené à l'affaiblissement de l'identité des peuples autochtones, à la disparition de leurs langues et de leurs cultures et à l'interdiction de leurs pratiques spirituelles. Nous devons reconnaître les conséquences de ces actes sur les nations qui ont été fragmentées, perturbées, limitées ou même anéanties par la dépossession de leurs territoires traditionnels, par la relocalisation des peuples autochtones et par certaines dispositions de la Loi sur les Indiens. Nous devons reconnaître que ces actions ont eu pour effet d'éroder les régimes politiques, économiques et sociaux des peuples et des nations autochtones...        

           Le gouvernement du Canada adresse aujourd'hui officiellement ses plus profonds regrets à tous les peuples autochtones du Canada à propos des gestes passés du gouvernement fédéral, qui ont contribué aux difficiles passages de l'histoire de nos relations38.         

       Le très révérend Bill Phipps (1998) :

            Au nom de l'Église unie du Canada je vous présente mes excuses pour les souffrances et les douleurs imputables à la participation de notre Église au régime des pensionnats pour enfants autochtones.         

            Nous sommes conscients de certains des préjudices que ce régime d'assimilation déplorable et cruel a infligés aux peuples et nations autochtones du Canada. Nous en sommes profondément et humblement désolés.        

            Aux personnes qui ont été victimes de violences physiques, sexuelles et psychologiques pendant qu'elles se trouvaient dans les pensionnats pour enfants autochtones dirigés ou administrés par l'Église unie, je présente mes plus sincères excuses. Vous n'avez rien fait de mal. Vous avez été et êtes toujours les victimes d'actes funestes qui ne sauraient en aucun cas être justifiés ou excusés. Nous prions pour que vous croyiez à la sincérité de nos paroles aujourd'hui et que vous soyez témoins des suites concrètes que nous donnerons à ces excuses dans nos actions futures39.        

       Contrairement aux excuses officielles, les excuses personnelles ne sont habituellement pas lues ou entendues par le public en raison de leur caractère privé. Ce n'est que lorsque des excuses personnelles sont présentées publiquement ou publiées que des personnes autres que leur destinataire immédiat savent ce qui a été dit. Par exemple, lorsque Francis Clancy, ex-employé de l'orphelinat Mount Cashel, a plaidé coupable devant la Cour provinciale relativement à deux chefs d'accusation d'agression sexuelle, il a présenté ses excuses directement aux victimes. Celles-ci ont été publiées dans le journal régional : « Je regrette énormément, Messieurs, les fautes que j'ai commises à votre endroit » a-t-il dit40.

       Le fait que l'auteur de la faute présente ses excuses, que celles-ci soient personnelles ou encore, officielles et publiques, ne signifie pas nécessairement que les victimes s'estimeront satisfaites ou que l'auteur sera disculpé. Des excuses, mêmes si elles s'accompagnent des meilleures intentions, peuvent se révéler insuffisantes. Certaines sont même un échec total. Pour que les excuses soient valables aux yeux de ceux qui les reçoivent et, par conséquent, qu'elles soient favorablement accueillies, certains éléments doivent être réunis. La présence de ces éléments dans les excuses n'est sans doute pas une garantie de réussite, mais leur omission mènera probablement à l'échec. Nous examinerons maintenant ces éléments.

IV.    En quoi doivent consister les excuses pour être valables?

        [L]a présentation d'excuses satisfaisantes est une opération délicate et incertaine41.        

        Il y a une bonne et une mauvaise façon de présenter des excuses. Plusieurs éléments doivent faire partie intégrante des excuses et si ces éléments ne sont pas tous présents, les excuses seront probablement vouées à l'échec42.        

        A.    Les éléments essentiels pour que les excuses soient valables

    Certaines études de l'anatomie ou des éléments constitutifs des excuses, effectuées notamment par des spécialistes des sciences sociales et du comportement, montrent que cinq éléments sont essentiels à la présentation d'excuses valables. Ces éléments fondamentaux, que nous examinerons ci-dessous, sont les suivants :

    1.    La reconnaissance du préjudice ou la désignation de la faute ;

    2.    L'acceptation de la responsabilité du préjudice ;

    3.    L'expression de regrets sincères et de remords profonds ;

    4.    L'assurance ou la promesse que le préjudice ne se reproduira pas ;

    5.    La réparation au moyen de mesures concrètes43.

    L'omission de l'un ou l'autre de ces éléments peut faire échouer les excuses et susciter une profonde déception chez la personne qui les reçoit. Ces éléments apportent donc des orientations sur ce que l'on doit inclure dans la présentation d'excuses pour que celles-ci soient valables aux yeux de la personne qui les reçoit ou, du moins, sur ce qu'il ne faut pas omettre. De plus, puisque la présentation d'excuses est un processus ou une transaction sociale, celui qui les présente doit porter une attention particulière à la manière dont se déroule ce processus. Les gouvernements et les organisations ont, collectivement, acquis une expérience pratique considérable, tout particulièrement au cours de la dernière décennie, dans la formulation d'excuses officielles. Nous examinerons les considérations d'ordre pratique qui se dégagent de cette expérience et dont il faut tenir compte pour formuler des excuses, tout de suite après l'examen des éléments essentiels des excuses.

                1.    La reconnaissance du préjudice

    Pour que des excuses soient valables, la première étape consiste à nommer la faute qui a été commise. De nombreuses victimes qui ont exigé des excuses ont dit vouloir que leurs agresseurs reconnaissent ce qu'ils ont fait et reconnaissent que c'était mal. En fait, elles demandent à l'auteur du préjudice de leur avouer qu'il sait qu'il a enfreint des préceptes moraux. Ces aveux ont pour effet de prouver la justesse des sensibilités morales auxquelles les préjudices ont porté atteinte. Cette reconnaissance amorce le processus qui mène à l'équilibre ou au rétablissement des rapports entre les deux parties (en rectifiant, par exemple, le déséquilibre moral entre l'agresseur et sa victime). Comme l'a souligné Aaron Lazare : « En reconnaissant qu'un précepte moral a été violé, les deux parties adoptent une échelle des valeurs qui est semblable. Les excuses [la reconnaissance] rétablissent un sens moral commun44 ».

        Lazare insiste également sur le fait qu'il est important de faire face à la réalité et d'être précis quant au préjudice qui a été causé : « Il faut nommer la faute -- pas question de se contenter de généralités du genre " Je suis désolé de ce que j'ai fait ". Pour être favorablement accueillies, les excuses doivent être explicites...45 ». Si la personne qui présente les excuses reste vague ou ne reconnaît pas le préjudice qui a été causé, celui ou celle qui les reçoit peut en conclure que cette personne ne comprend pas vraiment l'immoralité de ses actes. Et si elle n'en saisit pas l'immoralité, la personne qui s'excuse peut-elle être véritablement désolée46 ?

        Finalement, Lazare laisse entendre qu'en nommant la faute commise, l'auteur du préjudice doit également montrer qu'il comprend les conséquences de ses actes -- « " Je sais que je vous ai fait du mal et j'en suis profondément désolé "47 ».

Cet aspect de la reconnaissance est lié à un autre aspect fondamental des excuses : l'expression d'un remords véritable. Après tout, si les conséquences ne sont pas comprises, la personne qui présente des excuses peut-elle éprouver des remords sincères ?

                2.    L'acceptation de la responsabilité du préjudice

    L'auteur des excuses doit montrer à la personne qui les reçoit qu'il assume la responsabilité de ce qui est passé. En acceptant la responsabilité, l'auteur des excuses contribue à rétablir la confiance de la victime du préjudice. « Cela indique à la personne lésée qu'elle devrait se sentir en sécurité en votre compagnie, aujourd'hui et à l'avenir48 ».

    Minow fait observer que l'acceptation de la responsabilité est l'élément clef de la présentation des excuses -- sans elle, il n'y a pas d'excuses. Elle souligne également que l'obligation qui est faite à l'auteur de la faute d'assumer la responsabilité de ses actes est ce qui rend les excuses aussi efficaces aux yeux de la personne qui les reçoit :

        Il n'y a pas d'excuses si l'on se soustrait le moindrement à la responsabilité. C'est en raison de cette condition stricte que les excuses sont effectivement susceptibles d'apporter aux victimes et aux témoins quelque chose que ni les procès ni les commissions d'établissement de la vérité ni les redressements pécuniaires ou la restitution de biens ne peuvent leur apporter. L'entière acceptation de la responsabilité par l'auteur du préjudice est la marque distinctive des excuses49.        

    Dans les excuses qu'ils ont présentées aux Canadiens d'origine japonaise à la Chambre des communes, les dirigeants de l'époque ont assumé sans aucune réserve l'entière responsabilité des préjudices commis par le gouvernement du Canada pendant les années 1940. Le premier ministre Brian Mulroney a dit ce qui suit :

        Monsieur le Président, il y a près d'un demi-siècle, dans le chaos engendré par la guerre, le gouvernement du Canada a injustement traité des milliers de citoyens d'origine japonaise en les internant, en saisissant leurs biens et en les privant du droit de vote. Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous devons, en tant que nation, avoir le courage de reconnaître ces faits historiques50.        

    Ed Broadbent, qui était alors chef du Nouveau Parti Démocratique, a clairement nommé les fautes qui ont été commises et a reconnu que le gouvernement du Canada, celui des années 1940 comme celui d'alors, était responsable :

        Dans les années 40, notre gouvernement, élu démocratiquement, a commis envers quelque 22 000 citoyens qui n'avaient rien fait de mal une grande injustice et, pour ceux qui sont morts, une injustice permanente. Ces Canadiens d'origine japonaise ont vu leur foyer détruit, leurs biens confisqués et leurs entreprises anéanties. Obligés de quitter leur domicile sur le littoral de la Colombie-Britannique, ils ont été déplacés vers l'intérieur des terres et dans diverses régions du Canada.         

        On n'avait pourtant rien à leur reprocher personnellement. Ces Canadiens ont été la proie de l'intolérance et du racisme provoqués par l'état de guerre non pas avec eux mais avec le pays de leurs ancêtres. Ils n'avaient fait de mal à aucun autre Canadien. ...         

        ... Nos prédécesseurs à notre éminente Chambre [ont fait des erreurs]. Une des façons importantes et fondamentales de réparer ces erreurs est au moins de faire des excuses publiques et de reconnaître les graves injustices commises alors, et que nous commettons actuellement51.         

    L'acceptation de la responsabilité est probablement l'aspect le plus délicat et le plus potentiellement explosif de la présentation d'excuses valables. La personne qui les présente pourrait, parce qu'elle veut sauver la face ou protéger d'autres personnes, être tentée d'accompagner son acceptation de responsabilité d'une explication quant à la perpétration du préjudice. Toutefois, une explication irréfléchie ou mal formulée peut facilement se transformer en une tentative de justifier ou d'excuser des actes qui sont, en réalité, injustifiables.

        Une attitude défensive ou des justifications sont fort susceptibles d'exacerber la douleur qu'éprouve la victime du préjudice et non pas de contribuer à la soulager52. Par conséquent, du point de vue de la partie lésée, une acceptation de la responsabilité, sans réserve aucune -- formulée en des termes qui reconnaissent la responsabilité sans s'accompagner d'explications -- est probablement ce qu'il y a de mieux.

        Tavuchis, qui comprend les dangers possibles d'une explication ou d'une justification, recommande de les éviter complètement. Il affirme que les excuses ne doivent pas être atténuées par des explications ni s'appuyer sur des faux-fuyants. Il fait observer que les explications, aussi sincères soient-elles, et les justifications, aussi irrésistibles qu'elles puissent sembler, font comprendre (à la personne qui reçoit les excuses) que celui qui les lui présente essaie de se distancier ou de se détacher du préjudice causé. Selon Tavuchis, les excuses ne doivent pas avoir pour but la distanciation mais seulement la reconnaissance de la faute : « Les excuses ... supposent non pas le détachement, mais la reconnaissance et la douloureuse prise en charge de nos actes, accompagnées d'une déclaration de regret53 ». Il ajoute : « Présenter ses excuses, c'est déclarer volontairement que l'on n'a ni échappatoire ni défense ni justification ni explication relativement à une action (ou une inaction) qui a " insulté, déçu, blessé ou lésé autrui "54 ».

        Si une personne s'estime néanmoins tenue de donner une explication, la meilleure solution consiste sans doute à simplement faire l'aveu suivant à la partie lésée : « Rien ne saurait excuser ce que j'ai fait. J'ai vraiment mal agi ». C'est ce genre d'« explication » qu'ont donné les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée lorsqu'ils se sont excusés des violences physiques et sexuelles infligées dans les pensionnats pour enfants autochtones : « Loin de chercher à justifier ou à rationaliser ces violences de quelque façon que ce soit, nous voulons déclarer publiquement que nous reconnaissons qu'elles étaient inexcusables et intolérables et ont constitué une des pires formes d'abus de confiance55 ». Le procureur général de la Colombie-Britannique a fait la même chose lorsqu'il a présenté des excuses aux élèves qui ont été victimes d'actes de violence à l'école Jericho Hill : « Ces événements [les violences sexuelles] ... n'auraient jamais dû avoir lieu. Rien ne peut excuser ou justifier ce qui s'est passé. Les victimes ne sont nullement responsables d'événements sur lesquels elles n'exerçaient aucun contrôle56 ».

        En admettant n'avoir aucune explication, en résistant à la tentation de chercher à dissimuler sa honte derrière des faux-fuyants, celui ou celle qui présente ses excuses fait preuve d'humilité et montre qu'il assume l'entière responsabilité du préjudice causé. Au bout du compte, la manière dont l'auteur des excuses montre qu'il accepte la responsabilité de ce qui s'est passé indique à celui ou celle qui les reçoit si cette personne essaie vraiment de présenter des excuses significatives et valables.

        Si celui qui reçoit les excuses conclut que leur auteur n'assume pas la responsabilité du préjudice, les excuses sont vouées à l'échec57. Lazare souligne que la principale raison pour laquelle les excuses publiques sont aussi souvent rejetées, c'est que « l'agresseur ne reconnaît pas ce qu'il a fait ou n'en assume pas la responsabilité58 ».

                3.    L'expression de regrets sincères et de remords profonds

    Tavuchis dit que « l'élément central » des excuses est « l'expression du chagrin et des regrets59 ».

Lorsque la personne qui s'excuse exprime des remords profonds en ce qui concerne la faute qu'il a commise ou qu'il a laissée être commise, la personne qui reçoit les excuses a l'assurance que la première comprend la nature du préjudice qui a été commis et qu'il est donc probable que celui-ci ne se reproduira pas. Ces assurances permettent ensuite à la victime du préjudice de s'engager sur la voie du pardon60.

    Les manifestations les plus sincères des regrets sont verbales et constatées de première main. Lorsque les excuses sont écrites, il est difficile de mesurer la profondeur des remords de celui qui les présente. Des paroles écrites dissimulent l'émotion qu'exprime le ton de la voix ou les larmes qui embuent les yeux. Que les excuses soient présentées oralement ou par écrit, toutefois, la personne qui les présente doit d'une façon ou d'une autre faire comprendre que les regrets viennent du coeur.

    Le 6 août 1993, le primat de l'Église anglicane du Canada, Michael Peers, a présenté en personne des excuses empreintes d'une vive émotion devant une assemblée d'Autochtones dont plusieurs avaient été victimes de violences dans les pensionnats pour enfants autochtones61. Le lendemain, Vi Smith a accepté ces excuses au nom des Aînés et des participants réunis à cet endroit parce que : « Elles venaient du fond coeur et ont été présentées avec sincérité, sensibilité, compassion et humilité 62».

        De bonnes excuses font nécessairement souffrir leur auteur. Pour qu'elles soient considérées comme sincères, il faut exprimer un regret véritable qui est le fruit d'une profonde introspection. Si vous ne communiquez pas un sentiment de culpabilité, d'anxiété et de honte, les gens douteront de la profondeur de vos remords63.        

               4.    L'assurance ou la promesse que le préjudice ne se reproduira pas

    Les victimes de sévices graves ont besoin d'avoir l'assurance que le préjudice qu'elles ont subi ne sera plus jamais infligé, ni à elles ni à qui que ce soit d'autre. Ainsi, une femme qui a participé à un programme de médiation entre agresseurs et victimes et qui a reçu et accepté des excuses personnelles de l'homme qui l'avait violée dix ans auparavant, a dit à la journaliste qui l'interviewait qu'elle attend autre chose de son agresseur : « Il reste probablement certaines choses dont lui et moi devons encore parler. Je veux pouvoir lui dire " Vous ne ferez plus ça, n'est-ce pas ? Je peux vous faire confiance, n'est-ce pas ? Si vous sortez de prison, vous ne me ferez pas de mal, n'est-ce pas ? "64 ».

    Dans les cas où des excuses officielles et publiques sont présentées, les victimes veulent également que les dirigeants responsables leur garantissent que les erreurs du passé ne se reproduiront pas. Lors d'une conférence de presse, le propriétaire des Maple Leafs de Toronto, Steve Stavro, a publiquement promis aux victimes et à leurs familles que son club de hockey ferait en sorte que les employés des Leafs ne commettent plus jamais de sévices sexuels contre des enfants65. La ministre fédérale des Affaires indiennes, Jane Stewart, a reconnu dans la Déclaration de réconciliation qu'elle a faite aux peuples et nations autochtones du Canada que « [p]our renouveler notre partenariat, nous devons veiller à ce que les erreurs ayant marqué notre relation passée ne se répètent pas66 ». À la fin des excuses publiques que son gouvernement a présentées aux victimes de l'école Jericho Hill, le procureur général de la Colombie-Britannique, Colin Gableman, a pris l'engagement suivant : « [N]ous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que des sévices soient de nouveaux commis à l'avenir et pour accélérer le processus de guérison là où des sévices ont été commis dans le passé67 ». Et le premier ministre Brian Mulroney, qui, depuis le parquet de la Chambre des communes, présentait des excuses aux Canadiens d'origine japonaise pour le traitement qui leur a été infligé pendant la Seconde Guerre mondiale, a promis « solennellement aux Canadiens de toutes origines que pareilles injustices ne seront plus tolérées et ne se reproduiront plus jamais68 ».

    Tout comme la reconnaissance du préjudice infligé peut servir à rétablir les faits ou à regagner le terrain perdu sur le plan moral, lorsque des excuses officielles sont présentées, l'engagement formel de veiller à ce que le préjudice ne se reproduise pas peut donner aux victimes, qui en ont bien besoin, l'assurance que le terrain ainsi gagné ne sera pas de nouveau perdu.

                5.    La réparation au moyen de mesures concrètes

    Lorsqu'une faute grave a été commise, de simples paroles d'excuse ne suffisent pas à rétablir l'harmonie sociale et à réparer des relations compromises. Les préjudices infligés, par exemple la destruction d'un rapport de confiance lorsque des adultes commettent des sévices contre des enfants, sont trop graves pour être atténués par de simples paroles. Les mots prononcés dans ce cas doivent s'accompagner de mesures concrètes comme l'indemnisation pécuniaire ou l'accès à une thérapie spirituelle ou psychologique. Les mesures concrètes aident à convertir un message d'excuses statique en un processus dynamique de réconciliation et de guérison.

    Comme le souligne Minow, les excuses officielles doivent tout particulièrement être accompagnées de mesures directes et immédiates :

        Les excuses officielles peuvent rectifier des faits, permettre la reconnaissance publique d'une violation, attribuer le blâme et réaffirmer les valeurs morales qui permettent de définir les violations de normes fondamentales. Elles sont moins susceptibles de garantir le respect d'une quelconque promesse quant à l'avenir, étant donné les constants changements parmi les titulaires de charges. À moins d'être accompagnées de mesures directes et immédiates (par exemple le versement d'indemnités) qui témoignent de la responsabilité à l'égard de la violation, les excuses officielles peuvent paraître superficielles, peu sincères ou vides de sens69.         

    En 1994, par exemple, l'Église unie du Canada a reconnu que « le repentir et la réconciliation se traduisent par des actes tout autant que par des paroles d'excuse70 » et elle a créé le Healing Fund afin de contribuer au financement d'activités favorisant la guérison au sein des collectivités autochtones71. Pour bien marquer l'engagement du gouvernement fédéral à renouveler le partenariat avec les peuples autochtones du Canada et pour aider ces derniers à composer avec les souvenirs des sévices physiques et sexuels exercés dans les pensionnats pour enfants autochtones, la ministre des Affaires indiennes et du Nord a annoncé, en même temps qu'elle a fait sa Déclaration de réconciliation, que le gouvernement canadien accorderait 350 millions de dollars afin de contribuer à la mise sur pied d'initiatives de guérison communautaires72. De plus, pour accompagner les excuses officielles que le Parlement a présentées aux Canadiens d'origine japonaise en 1988, le gouvernement a lancé une série de mesures de réparation concrètes, y compris « le versement de paiements de redressement symboliques de 21 000 $ aux Canadiens d'ascendance japonaise admissibles... qui ont été déplacés, internés et (ou) déportés... [et] d'une somme de 12 millions de dollars aux Canadiens japonais, par l'entremise de la National Association of Japanese Canadians (NAJC), pour la mise en oeuvre d'activités qui contribueront au mieux-être de la communauté sur les plans éducatif, social et culturel ou à la promotion des droits de la personne... 73 ».

        B.     Les considérations d'ordre pratique qui sous-tendent la présentation d'excuses valables

    Le processus d'élaboration et de présentation d'excuses officielles (qu'elles soient personnelles ou publiques) peut être aussi essentiel à leur succès que la teneur même des excuses. La présentation d'excuses est un échange interactif entre les parties concernées. Donc, pour que la présentation des excuses soit efficace et utile, il faut s'assurer que la démarche utilisée, tout autant que le contenu, sont satisfaisants.

                1.    La liberté de demander des excuses

    Puisque ce ne sont pas toutes les personnes qui ont été victimes de sévices en établissements pendant leur enfance qui veulent des excuses, ces personnes devraient être libres de décider si elles veulent ou non des excuses individuelles. Ce choix leur permet de prendre elles-mêmes le contrôle.

    Il est possible que des excuses officielles et publiques demandées par un groupe de victimes soient reçues par des personnes qui ne voulaient pas les entendre.

Dans un cadre public et lorsque les victimes ne sont pas unanimes à exiger des excuses, il est inévitable que cela se produise. Toutefois, des excuses personnelles peuvent et doivent être présentées exclusivement sur demande.

    Ainsi, aux termes de l'entente de réconciliation intervenue entre les victimes principales du père George Epoch et les Pères jésuites du Haut-Canada, laquelle disposait que chaque personne dont la revendication était établie avait droit à des excuses individuelles, ces personnes devaient, pour se prévaloir de la possibilité de recevoir des excuses, remplir un formulaire intitulé «demande d'excuses». Dans ce formulaire, les victimes étaient également invitées à exposer à grands traits ce que devaient contenir les excuses personnelles qui leur seraient présentées.74.

                2.    La liberté de choisir le genre d'excuses

    Puisque les victimes exigent habituellement des excuses personnelles, des excuses officielles et publiques ou les deux, il faut leur donner la possibilité de choisir le genre d'excuses qu'elles veulent. Ces choix peuvent leur être offerts au moyen de mécanismes de réconciliation extrajudiciaires.

    Il est précisé dans le Helpline Agreement conclu avec les victimes des établissements St. John's et St. Joseph's que « les personnes dont les revendications sont établies ainsi que les membres de leur famille peuvent avoir individuellement et collectivement droit à des excuses75 ». Aux termes de cette entente, les détails, notamment le genre d'excuses qui serait présenté, devaient être réglés ultérieurement : « Les participants, par l'intermédiaire du comité, établiront des critères permettant de déterminer qui a droit à de telles excuses, quelle doit être leur teneur et à quel moment elles seront présentées76 ». Par la suite, on a conclu un accord connexe appelé le Helpline Companion Agreement, aux termes duquel « toute personne dont les revendications sont établies » a droit à « des excuses personnelles qui répondent expressément à ses besoins et à ceux de sa famille » ainsi qu'à des excuses officielles des archevêques d'Ottawa et de Toronto et du gouvernement de l'Ontario (ces dernières devant être présentées au moyen d'une résolution unanime des partis proposée par le premier ministre de l'Ontario à l'Assemblée législative)77.

    Aux termes de l'entente intervenue entre le groupe de soutien des victimes de Grandview (GSSG) et le gouvernement de l'Ontario, des excuses personnelles et des excuses publiques devaient être présentées. On y lit ce qui suit : « Chaque bénéficiaire aura le droit de recevoir du gouvernement une reconnaissance ... sous une forme générale », le procureur général devant en faire lecture à l'Assemblée législative « en temps utile »78. L'entente donnait également à chaque bénéficiaire, une fois sa revendication établie, le droit « de recevoir du gouvernement une reconnaissance dont la forme doit être déterminée conjointement par la personne concernée, le groupe de soutien (GSSG) et le gouvernement ». L'entente stipulait toutefois que la présentation de ces excuses personnelles serait reportée jusqu'à ce que toutes les poursuites criminelles connexes aient pris fin79.

    L'entente de réconciliation intervenue entre les victimes principales du père George Epoch et les pères jésuites du Haut-Canada stipulait que sur demande, « toute personne dont la revendication est établie a droit à des excuses individuelles des pères jésuites du Haut-Canada80. De plus, l'entente précisait que le directeur provincial des jésuites devait publier les excuses de l'ordre (savoir des excuses officielles et publiques) en respectant le texte prescrit à l'annexe « F »81.

                3.    La participation des deux parties

    Si l'on veut que des excuses soient valables, la partie qui les présente ne doit pas le faire unilatéralement, sans faire participer celle qui les reçoit à la démarche. La présentation d'excuses valables exige que l'auteur et la victime du préjudice s'engagent dans un dialogue. « Les excuses ne sont pas un soliloque », souligne Minow. « Elles nécessitent au contraire une communication entre l'auteur d'un préjudice et la victime ; il n'y a pas d'excuses sans la participation de chacune des parties82 ».

    Donc, même si les excuses contiennent tous les éléments nécessaires, elles pourraient néanmoins échouer parce que les deux parties n'ont pas participé à leur élaboration. Comme le souligne Lazare :

        Au bout du compte, le succès des excuses dépend de la dynamique entre les deux parties, non pas d'une recette toute faite. Les excuses sont un processus de négociation interactif dans le cadre duquel il faut conclure un marché qui soit satisfaisant sur le plan affectif pour les deux parties en cause83.        

    Habituellement, les victimes ont une idée assez précise de ce que doivent contenir les excuses et de la manière dont celles-ci doivent être présentées pour qu'elles les jugent satisfaisantes. Ainsi, Lawrence Norbert, coordonnateur du cercle de guérison du pensionnat Grollier Hall, a clairement expliqué l'opinion des victimes en matière d'excuses à des représentants du gouvernement fédéral lors de « dialogues exploratoires » sur les mécanismes extrajudiciaires de règlement des doléances relatives aux sévices infligés aux enfants placés en établissement. Il a plus tard fait le compte rendu suivant aux victimes :

        Nous avons préconisé la présentation d'excuses avant ou pendant un quelconque processus extrajudiciaire de règlement des différends puisque sans excuses, on ne saurait guérir de la dévastation personnelle causée par les sévices. Nous avons fait valoir notre position, savoir :        
  • chaque victime des pensionnats est en droit de recevoir des excuses personnelles de l'Église ;
  • les excuses doivent être également présentées à la famille, si on le demande ;
  • elles doivent être faites par écrit et remises à la victime ;
  • elles doivent souligner le courage dont la victime a fait preuve en divulguant les sévices qui lui ont été infligés ;
  • elles doivent reconnaître que le ou les agresseurs sont responsables des sévices qu'ils ont infligés ;
  • elles doivent indiquer clairement qu'on ne saurait reprocher à la victime les sévices qu'elle a subis et qu'elle n'en est nullement responsable ; et
  • elles doivent mentionner la volonté de l'Église et du Canada de veiller à ce que de tels sévices ne se reproduisent plus84.
       Les victimes veulent participer à l'élaboration du contenu des excuses. L'entente de réconciliation entre les victimes principales du père George Epoch et les pères jésuites du Haut-Canada a reconnu et tenu compte de ce besoin. Au paragraphe 2.03 de l'entente, il était précisé que « dans tous les cas, le libellé des excuses écrites doit être conforme à toute demande raisonnable faite à l'avance par la victime ». Ces demandes étaient faites au moyen du formulaire intitulé « demande d'excuses » qui était annexé à l'entente et sur lequel les victimes pouvaient mentionner brièvement les déclarations particulières qu'elles voulaient voir incluses dans les excuses. De plus, l'entente promettait que certains éléments feraient partie de toutes les excuses individuelles :

        En plus de tenir compte de la volonté explicite de chaque personne dont la revendication a été établie, les excuses individuelles doivent :        
        (i)     reconnaître le courage dont la victime a fait preuve en divulguant les sévices qui lui ont été infligés ;        
        (ii)     reconnaître que le père Epoch est responsable des sévices. Les excuses individuelles doivent également préciser clairement qu'on ne saurait reprocher à la victime les sévices qu'elle a subis et qu'elle n'en est nullement responsable ;        
        (iii)     mentionner l'engagement des jésuites envers le processus de guérison et de réconciliation. Les excuses individuelles doivent également indiquer que les jésuites entendent veiller à ce que de tels sévices ne se reproduisent plus jamais85.        

    Des excuses, qu'elles soient personnelles ou publiques, qui ne mettent pas les victimes à contribution, ne tiennent pas compte de leurs besoins et ne font pas écho à leur point de vue, sont vouées à l'échec. La présentation d'excuses est nécessairement un processus souple et interactif.

                4.    La personne qui présente les excuses et la forme des excuses

       Quand l'auteur de la faute est disposé à s'excuser, il n'est pas acceptable que les excuses soient faites en son nom par un tiers. En effet, l'obligation liée à la reconnaissance de la responsabilité d'une faute consiste en partie dans la présentation d'excuses personnelles. Toutefois, dans le cas de fautes historiques -- quand un gouvernement, une église ou une organisation quelconque porte la responsabilité d'actes ou d'omissions préjudiciables remontant à un grand nombre d'années --, les dirigeants qui à l'époque étaient responsables de ce qui s'est passé risquent d'avoir quitté leur charge depuis longtemps. « Dans le cas de fautes dont l'incidence est catastrophique pour des personnes, des groupes ou des nations, les excuses peuvent être différées pendant des décennies et être présentées par une autre génération86. »

       Par conséquent, les excuses officielles sont habituellement faites par un représentant de l'institution fautive qui, sans être personnellement impliqué dans les faits, porte une certaine responsabilité en raison de sa charge. Ainsi, le premier ministre Brian Mulroney a présenté des excuses au nom du Parlement du Canada, en 1988, pour des mesures qui avaient causé du tort à des personnes au cours des années 1940. Le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, a présenté des excuses en mars 1999 à l'égard des sévices infligés à des orphelins pendant les décennies 1940 et 1950 -- les années Duplessis. Le procureur général de l'Ontario, Charles Harnick, a fait de même en 1996 dans le dossier des mauvais traitements infligés dans les établissements St. John's et St. Joseph's, des années 1940 aux années 1970.

       Selon des articles de journaux, plusieurs des victimes de violences dans les établissements St. John's et St. Joseph's ont éprouvé un sentiment de colère parce que les excuses officielles et publiques du gouvernement de l'Ontario n'ont pas été présentées par le premier ministre Mike Harris87. Des groupes et des particuliers ont aussi manifesté leur déception du fait que les excuses faites en janvier 1998 par le gouvernement du Canada aux Autochtones victimes de mauvais traitements dans des pensionnats ont été présentées seulement par la ministre des Affaires indiennes. Ils estimaient que la Déclaration de réconciliation aurait dû être lue par le premier ministre88. Le grand chef de l'Assemblée des Premières nations, Phil Fontaine, avait obtenu une audience avec le pape au Vatican en novembre 1998, au cours de laquelle il entendait demander des excuses à l'Église catholique pour le rôle qu'elle a joué dans le régime canadien des pensionnats pour enfants autochtones. Mais cette audience a été par la suite annulée en raison de « problèmes d'agenda »89.

       Lorsque la personne qui présente les excuses officielles d'une organisation ou d'un gouvernement n'est pas considérée comme le plus haut responsable par les destinataires, ces derniers risquent d'estimer que les excuses reçues n'ont pas toute la qualité voulue. Pour eux, des excuses faites par une personne dont le poste est moins important ne sont pas aussi valables.


       Outre le titre de la personne qui présente les excuses officielles, la façon dont celles-ci sont présentées ou formulées peut aussi contribuer à leur efficacité. Par exemple, le texte imprimé des excuses faites aux Canadiens d'origine japonaise qui ont participé au processus de réparation se prêtait bien à l'encadrement (il était imprimé sur un papier de qualité de dimensions standard). On pouvait donc aisément l'afficher au mur, comme un prix ou une plaque souvenir. Les armoiries du Canada étaient reproduites au haut des excuses et la signature du premier ministre figurait au bas.

Ces éléments graphiques étaient d'importants symboles pour les destinataires parce qu'ils étaient demeurés loyaux envers le Canada, malgré les épreuves et les indignités que le pays leur avait fait subir.

       Les excuses présentées par l'Église unie St. Andrew's d'Alberni, en Colombie-Britannique, à l'ensemble des membres de la nation Nuu-Chah-Nulth dont la vie avait été perturbée par leur séjour au pensionnat d'Alberni, sont un cas dans lequel on a accordé une grande attention à la façon dont le message était communiqué. Le texte des excuses avait été rédigé en collaboration avec les membres des Premières nations, car on voulait être certain qu'il leur soit acceptable. Ensuite, les excuses ont été présentées à la Maht Mahs, une grande salle située sur le territoire de la nation Shewish, lors d'une cérémonie organisée sur les conseils et avec la collaboration des membres des Premières nations. La cérémonie d'excuses, qui a duré toute une soirée, comprenait plusieurs volets: prière inaugurale par un ancien de la nation Nuu-Chah-Nulth; lecture à haute voix du texte des excuses par le pasteur de l'église; présentation du texte encadré à tous les chefs; remise de cadeaux offerts par la communauté des fidèles (couvertures, châles tissés à la main, arbre, somme d'argent destinée à la préservation de leur langue). Un repas a été servi, qui avait été préparé par les fidèles. Il y a eu ensuite des discours, des chants et un échange spontané de souvenirs et d'impressions90.
  1. Des excuses faites dans un délai raisonnable
       Il est d'une importance vitale, pour les victimes, que les excuses soient faites dans un délai raisonnable. Le fait qu'il faille attendre plusieurs mois, plusieurs années, voire des décennies dans certains cas pour obtenir des excuses valables peut avoir de graves conséquences pour les victimes, dont la guérison nécessite cette étape. Plus longtemps une personne lésée doit attendre pour obtenir des excuses véritables une fois que celles-ci ont été réclamées, plus il est probable que cette personne commencera à éprouver du ressentiment ou, pire, à se sentir « victimisée » de nouveau. En outre, plus les excuses tardent, plus il risque de s'avérer difficile de trouver des mots efficaces.

        [L]'expérience personnelle et toute une gamme de descriptions relevant de la vie quotidienne portent à croire que plus on attend après que des excuses ont été réclamées, plus il devient difficile d'en présenter, plus il faut choisir avec soin les mots utilisés, et moins les excuses ont de valeur. [...] En résumé, il existe après qu'une faute a été commise, si l'on peut s'exprimer ainsi, un moment sensible qui, s'il est [...] prolongé par négligence, risque de durcir les coeurs plutôt que de favoriser des sentiments salutaires de chagrin et de pardon91.        

       Par contre, lorsque des cas individuels de sévices infligés dans un établissement font l'objet de mécanismes officiels de réparation -- procès ou programmes de réconciliation extrajudiciaires --, les chances que des excuses soient faites au « moment sensible » sont artificiellement limitées par ces mécanismes eux-mêmes et les règles qui les régissent. En outre, le type d'excuses susceptibles d'être réclamées par la victime peut influer sur ce qui sera considéré comme le moment le plus propice pour des excuses. Les excuses destinées à des personnes en particulier ne peuvent être faites d'une façon aussi rapide que les excuses destinées à un groupe.

                        a.    Excuses individuelles

       Dans le cas de mécanismes judiciaires, si des excuses doivent être faites, elles le seront vraisemblablement à la fin du procès, quand le tribunal aura statué sur la culpabilité ou la responsabilité. (En effet, des excuses faites à une personne pourraient être utilisées en preuve, devant un tribunal, contre le défendeur ou l'accusé ayant fait ces excuses.) Parallèlement, dans les mécanismes de réparation extrajudiciaires, les excuses ne sont normalement pas présentées avant que tous les autres éléments de l'entente n'aient fait l'objet d'un accord et que le processus soit bien engagé ou près de son achèvement.

       Le moment auquel seront présentées les excuses, dans ce dernier cas, est négocié entre les parties ou est inscrit dans le mécanisme qui est établi.

Par exemple, on promet, dans les lignes directrices du programme de réparation des préjudices subis par les victimes de Jericho, la remise « [d']une lettre d'excuses du gouvernement de la Colombie-Britannique dans le mois qui suivra la transmission des formulaires de décharge et de demande d'excuses aux responsables du programme JIC92. » Les conditions de l'entente de réconciliation conclue avec les victimes du père George Epoch précisaient que des excuses individuelles « seront présentées au demandeur dont les revendications ont été établies dans les trente (30) jours suivant l'établissement des revendications93. »

       Quand il est prévu que des excuses individuelles ne seront présentées qu'après le règlement des revendications, on se trouve à retarder d'autant l'effet bénéfique qu'elles peuvent avoir pour la victime. Or cette dernière risque de mal supporter ce retard. En revanche, l'auteur du préjudice est en mesure de faire des excuses plus efficaces à ce stade du processus, puisque les faits auront été mis au jour et pourront être pleinement reconnus dans le cadre des excuses. Un délai qui dépasserait la limite de 30 jours après le règlement établie dans le cas des jésuites et celui de Jericho serait déraisonnable, injuste et témoignerait d'un manque de sensibilité à l'égard des besoins des victimes.

                        b.    Excuses collectives

       On a constaté, dans la pratique, que les excuses peuvent être présentées plus tôt dans le processus judiciaire ou le processus de réconciliation lorsqu'elles sont faites à un groupe de victimes plutôt que d'une manière individuelle. Par exemple, la ministre fédérale des Affaires indiennes, Jane Stewart, a publié la Déclaration de réconciliation ou d'excuses aux Autochtones alors que des milliers de plaintes individuelles reliées aux mauvais traitements subis dans des pensionnats n'avaient pas encore été déposées ou réglées. D'autre part, l'entente conclue entre les jésuites et les victimes du père Epoch comprenait, en annexe, des excuses adressées à toutes les « victimes principales » (Institutional Apology) . Dans ces deux exemples, les excuses collectives ont précédé les mesures visant au règlement de plaintes individuelles.

       Pour présenter des excuses collectives, il n'est pas nécessaire d'identifier personnellement tous les individus qui font partie du groupe de victimes. Dès qu'on a constaté qu'un groupe de personnes a été victime de mauvais traitements et que l'on connaît l'étendue générale de ces mauvais traitements, il est possible de présenter des excuses au groupe dans son ensemble. En outre, dans des excuses officielles et publiques faites à un groupe, les torts causés tendent à être décrits en termes plus généraux que dans des excuses individuelles. Par conséquent, des excuses de ce type risquent peu de servir de preuve de responsabilité dans les demandes de réparation individuelles, et elles ne devraient pas être invoquées pour justifier le report des excuses jusqu'au moment où les demandes individuelles seront réglées.

                        c.    Coûts humains découlant d'excuses tardives --
                                quelques exemples

       Le fait de retarder d'une manière déraisonnable les excuses réclamées par des victimes peut nuire gravement à leurs efforts de guérison. Les victimes d'abus sexuels dans les affaires de l'école Grandview et du Maple Leaf Gardens ont payé directement le prix de tels retards.


                                i.    Le cas de Grandview

       L'entente de réconciliation conclue entre le groupe de soutien des victimes de Grandview et le gouvernement de l'Ontario stipulait que, dans tous les cas, des excuses individuelles ne seraient faites « qu'après la conclusion des poursuites pénales connexes susceptibles d'être intentées [...]94. » Ce report des excuses était considéré comme « essentiel95 ».

       Les poursuites pénales reliées à ces cas individuels d'abus sexuels se sont terminées en 1998, soit sept ans après le début des enquêtes policières. À la fin mars 1999, plusieurs mois donc après la conclusion de ces poursuites, aucune des victimes n'avait encore reçu d'excuses personnelles de la part du gouvernement de l'Ontario.96

       En outre, à la fin mars 1999, les victimes de Grandview n'avaient pas encore reçu les excuses publiques qui, d'après une promesse figurant dans l'entente, devaient être lues à l'Assemblée législative de l'Ontario « en temps utile ». Pour les victimes qui cherchaient la guérison, ces excuses se firent attendre trop longtemps97. Il faut donc présumer que le gouvernement jugea du moment opportun en fonction de ses propres priorités, et non en fonction des besoins des victimes.

       Le retard mis par le gouvernement à présenter des excuses personnelles, officielles et publiques aux victimes de Grandview a été mal accueilli par bon nombre des intéressées98. Elles éprouvent un vif sentiment de déception, de colère et de frustration. Encore une fois, le gouvernement leur a fait faux bond :

        « Je ne me sentirai pas soulagée avant d'avoir reçu une lettre d'excuses et des excuses publiques. C'est seulement à ce moment-là que je sentirai que la page est tournée. »        

        « Je voulais des excuses, que je n'ai toujours par reçues. »        

        « Pour moi, le dossier ne sera pas clos tant que je n'aurai pas obtenu des excuses. »        

        « Je n'estime pas avoir obtenu réparation parce qu'on m'a donné quelques dollars. Je n'ai pas reçu une vraie lettre d'excuses. »        

        « Vous recevez plusieurs lettres dans lesquelles on vous dit que vous allez avoir des excuses. Mais quand ? Lorsque nous serons tous mortes ? »99        

                                ii.    La leçon de Martin Kruze

       Martin Kruze s'est donné la mort en se jetant du viaduc Bloor, à Toronto, en octobre 1997. Il était la première personne à avoir fait publiquement état des abus sexuels que lui avaient fait subir pendant des années George Hannah et Gordon Stuckless, d'anciens employés du Maple Leaf Gardens. « Martin Kruze a obtenu, par sa mort, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir de son vivant : des excuses complètes du Maple Leaf Gardens et la promesse des dirigeants du temple du hockey qu'ils feraient tout en leur pouvoir pour éviter que d'autres enfants ne soient victimes de sévices sexuels dans ce lieu100. »

       Le suicide de Kruze a eu lieu trois jours après la condamnation de Stuckless à deux ans de prison moins un jour pour son crime. Dans le cas de Hannah, il n'y a pas eu de poursuites : il était mort en 1984. Même si les tribunaux étaient saisis de dix actions civiles engagées contre le Gardens, la direction des Maple Leafs s'était abstenue de présenter des excuses publiques à l'ensemble des victimes. La mort de Kruze l'a amenée à modifier son attitude. Le propriétaire des Maple Leafs, Steve Stavro, a présenté des excuses officielles à la famille de Martin Kruze et aux autres victimes trois mois après le suicide.

                6.    Des excuses formulées en termes simples, clairs et directs

       La formulation d'excuses officielles est élaborée avec prudence et en termes soigneusement mesurés. Chaque phrase est ciselée « par des rédacteurs anonymes [...] avec très peu de réserves ou de détails, afin d'éviter les ambiguïtés ou de nouvelles blessures, et en termes propres à garantir la bonne foi du fautif101. »

       Les termes employés dans des excuses doivent être simples, clairs et directs. La formulation d'excuses valables vise à aider la personne à qui elles sont destinées. Les excuses doivent donner une impression de naturel et de sincérité, comme si elles reflétaient les sentiments de la personne qui les présente, et non comme si elles étaient l'oeuvre d'un avocat ou d'un tiers indifférent. Les faits, par exemple les torts commis et leur incidence, doivent y être décrits d'une façon directe, sans faux-fuyants.

       Il faut utiliser des mots ordinaires dont chacun puisse saisir parfaitement le sens sans disposer de connaissances techniques. Employer une langue simple, cela signifie aussi éviter le style ampoulé et brumeux. Les métaphores et les fioritures peuvent être agréables à l'oreille et à l'oeil, mais elles n'atteindront pas le coeur si le message n'est pas clair. Des déclarations vagues ne répondent pas aux besoins de la victime, qui souhaite voir reconnues d'une façon claire et directe les fautes qui ont été commises et leurs conséquences. Des expressions vagues risquent par ailleurs d'être vues comme des tentatives délibérées ou inconscientes pour éviter d'assumer la responsabilité des faits. Elles peuvent donner l'impression qu'on ne souhaite pas vraiment s'excuser.

       Voici deux exemples d'excuses, qui ont été présentées à plus de dix ans de distance à des Autochtones au sujet du rôle joué par l'Église unie dans le régime des pensionnats pour enfants autochtones. Il est intéressant de comparer les deux formulations du point de vue de la simplicité, de la clarté et du caractère direct des termes employés:

        (1)    Nous avons confondu la culture et les façons de faire occidentales avec la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de l'Évangile du Christ. Nous avons imposé notre civilisation comme condition de l'acceptation de l'Évangile. Nous avons essayé de vous forcer à nous aimer et, par là, nous avons contribué à la destruction de la conception qui faisait de vous ce que vous étiez. Vous comme nous en sommes sortis appauvris et l'image du Créateur en nous est faussée, obscurcie, et nous ne sommes pas ce que Dieu souhaite que nous soyons102.        

        (2)    Au nom de l'Église unie du Canada je vous présente mes excuses pour les souffrances et les douleurs imputables à la participation de notre Église au régime des pensionnats pour enfants autochtones. Nous sommes conscients de certains des préjudices que ce régime d'assimilation déplorable et cruel a infligés aux peuples et nations autochtones du Canada. Nous en sommes profondément et humblement désolés103.        

                7.    Sensibilité culturelle

       Comme le but principal d'excuses véritables est de favoriser la guérison d'une personne qui a subi un préjudice, elles doivent être faites dans le respect de la culture de cette personne. La culture à laquelle appartient le destinataire des excuses peut avoir une incidence directe sur ce qu'il attend de celles-ci. Par exemple, Hiroshi Wagatsuma et Arthur Rosett observent : « [P]our les Japonais, des excuses sans reconnaissance d'une faute ne sont pas sincères, tandis qu'un Américain aura davantage tendance à considérer des explications disculpatoires comme équivalentes à des excuses [...]104. » Sur la base de ces remarques relatives aux différences culturelles, on peut conclure qu'un Américain se contentera sans doute de simples excuses ou explications sur les raisons pour lesquelles un tort a été causé, alors qu'un Japonais ne sera satisfait que si la personne qui présente les excuses assume aussi la responsabilité de la faute commise.

       Des excuses présentées uniquement selon la perspective culturelle de la personne qui les fait risquent d'être très mal reçues si le destinataire a des convictions différentes, alors qu'elles pourront au contraire être considérées comme très satisfaisantes par la personne dont les convictions coïncident avec celles de l'auteur des excuses. Par exemple, si des excuses officielles présentées par une Église chrétienne sont imprégnées du vocabulaire et du point de vue chrétiens, elles seront sans doute accueillies favorablement par un destinataire chrétien mais risquent au contraire de heurter la personne dont les convictions religieuses ou spirituelles sont différentes.

       Les excuses présentées en 1994 aux peuples autochtones du Canada par l'Église presbytérienne du Canada prennent en compte à la fois le point de vue chrétien et le point de vue autochtone. On y trouve par exemple le passage suivant : « Dans notre arrogance culturelle, nous n'avons pas vu du tout que notre propre compréhension de l'Évangile avait été culturellement conditionnée, et à cause de notre insensibilité aux cultures autochtones, nous avons exigé des peuples autochtones davantage que ce que l'Évangile réclame, présentant ainsi faussement Jésus-Christ [...] ». On y fait un autre aveu : « L'Église presbytérienne du Canada a eu recours à des méthodes disciplinaires qui étaient étrangères aux peuples autochtones, et pouvaient donner lieu à une exploitation sous la forme de châtiments corporels et psychologiques outrepassant toute maxime chrétienne ayant trait aux soins et à la discipline105. »

       Puisque la langue fait partie intégrante de la culture, les excuses doivent être rédigées dans la langue première du destinataire. Le texte des excuses présentées aux Canadiens d'origine japonaise par l'ancien premier ministre Mulroney au nom du Parlement a ainsi été imprimé en anglais et en japonais. Le discours dans lequel le procureur général de la Colombie-Britannique, Colin Gablemann, s'est excusé auprès des victimes de l'école Jericho Hill a fait l'objet d'une interprétation simultanée en langage ASL (langage gestuel américain)106.

Pour les Autochtones du nord de l'Ontario, afin de souligner le premier anniversaire du lancement du programme Rassembler nos forces, la Déclaration de réconciliation du gouvernement fédéral adressée aux peuples autochtones a été traduite dans la langue oji-cri107.

V.    Comparaison entre les excuses faites dans le cadre d'une procédure judiciaire et dans le cadre d'un mécanisme extrajudiciaire de réparation

        A.    Procédures judiciaires

        [F]aire des excuses sincères est un geste qui peut s'avérer stupide et coûteux, notamment lorsque les excuses concernent une faute grave108.        

        L'absence d'excuses n'est pas neutre : elle a un effet. La personne lésée [...] a le sentiment que la faute est amplifiée lorsqu'elle n'est pas reconnue par son auteur. [...] Une explication franche, par laquelle on accepte sa responsabilité lorsque cela est opportun, ne peut avoir que des effets favorables. Dans certains cas relativement anodins, elle dissuadera la victime d'engager une action. [Dans un cas où la preuve est accablante], lorsqu'il est futile de nier sa responsabilité, des aveux rapides réduiront les dépens109.        

                1.    Les excuses : un aveu de culpabilité ou de responsabilité ?

       Les actions en justice -- et la menace de telles actions -- ne sont habituellement pas favorables à la présentation d'excuses. Comme le rôle des avocats de la défense est de protéger les intérêts de leurs clients (soit en obtenant gain de cause, soit en essayant d'obtenir pour eux la peine la moins sévère ou la responsabilité la moins grande possible), ils dissuadent normalement leurs clients de faire des excuses à l'égard de fautes qui leur sont reprochées. En tout cas, ils recommandent de ne pas le faire avant qu'un tribunal ait statué sur l'affaire ou qu'elle ait été officiellement réglée, et que la non-responsabilité de leur client ait été reconnue.

       « Il est arrivé à tout avocat de conseiller à un client de ne pas faire d'aveux, même lorsque la négligence, ou une faute encore plus grave, était flagrante. D'une manière générale, nous faisons aussi une mise en garde au sujet de ce qui pourrait être interprété comme un aveu, y compris des excuses », explique Trevor Aldridge, un avocat britannique qui a déjà été membre de la  Law Commission110. La possibilité de voir les tribunaux assimiler des excuses à un aveu de responsabilité ou de culpabilité, par conséquent, peut inciter le défendeur engagé dans une procédure contradictoire à s'abstenir d'en présenter111.

       Puisque les excuses sont étrangères à la dynamique gagnant-perdant des procédures judiciaires contradictoires, les avocats risquent également d'accueillir avec suspicion les demandes d'excuses. Ne risquent-elles pas d'être une ruse ou un piège112 ? Étant donné l'aspect « gagnant-perdant » qui caractérise les procédures contradictoires, le défendeur est amené à se désintéresser des préoccupations d'ordre moral (par exemple, le fait qu'il serait juste de faire des excuses) pour se soucier davantage de stratégies défensives et de manoeuvres propres à lui donner gain de cause :

        Si la crainte des aveux explique l'opposition des avocats à la présentation d'excuses, la culture du litige crée des pressions additionnelles en ce sens. La judiciarisation des différends fait en sorte que les parties s'intéressent moins aux aspects moraux d'ordre privé qu'aux manoeuvres stratégiques et aux conséquences juridiques113.        

       Pourtant, les préoccupations morales l'emportent parfois sur les préoccupations d'ordre juridique, même une fois que les lignes de combat ont été tracées et que les tribunaux ont été saisis d'un litige. Ainsi, alors que dix actions civiles étaient engagées contre le Maple Leaf Gardens, le propriétaire des Maple Leafs de Toronto, Steve Stavro, s'est excusé auprès des personnes qui, enfants, avaient été victimes d'abus sexuels commis par des employés de l'organisation. Ken Dryden, le président et chef de la direction des Maple Leafs, a évoqué en ces termes la possibilité qu'on voie dans les excuses du club de hockey un aveu de responsabilité : « Notre sentiment de regret ne saurait être considéré comme un aveu de responsabilité juridique. Il appartient aux tribunaux de statuer sur cette question114. »

       Il ne fait pas de doute que des excuses faites avant ou pendant une procédure judiciaire risquent de se retrouver parmi les nombreux éléments de preuve admis par le tribunal. Même dans ce cas, toutefois, leur valeur probante dans le cadre de la responsabilité du défendeur dépendra en fin de compte de la teneur des excuses. Il s'agit de savoir, par exemple, si elles contiennent la reconnaissance de certains faits, des confessions ou des aveux relatifs à des fautes, et si ces déclarations particulières contribuent à établir des éléments qui doivent être prouvés dans le cadre de l'action115.

       Comme la reconnaissance de la responsabilité et la désignation des fautes commises sont la marque d'excuses valables, le fait de présenter des excuses véritables et efficaces pourrait compromettre la défense de leur auteur dans le cadre d'une action en justice. La sagesse juridique traditionnelle (suivant laquelle il vaut mieux éviter de faire des excuses) semble donc appropriée pour celui dont le seul objectif consiste à réfuter toute responsabilité pénale ou civile.

       En revanche, la possibilité que des excuses soient utilisées pour établir la culpabilité ou la responsabilité de leur auteur ne signifie pas que la personne poursuivie au civil ou au pénal ne peut jamais en présenter. Par exemple, il est possible de s'excuser une fois le procès pénal terminé -- ce qui arrive parfois, d'ailleurs. Dans certains types d'actions civiles, par exemple celles qui ont trait à la diffamation et aux droits de la personne, il arrive que le défendeur présente des excuses officielles.

Enfin, il importe de signaler que les excuses sont un élément essentiel des mécanismes extrajudiciaires de réparation ou de règlement des différends.

                2.    Excuses relatives à des infractions criminelles

       Toute personne inculpée d'une infraction a le droit de ne pas être contrainte de témoigner contre elle-même dans des poursuites pénales reliées à l'infraction en question. Autrement dit, elle ne peut se voir forcée de faire des déclarations ou des aveux susceptibles de l'incriminer. Ce principe juridique est inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés116. Par conséquent, la personne inculpée ou déclarée coupable d'un crime relié à des sévices exercés sur un enfant ne peut être contrainte de présenter des excuses.

       Ce droit de ne pas témoigner contre soi-même -- et donc de ne pas présenter des excuses pour une infraction qu'on a commise -- vaut pour les crimes les plus odieux. Le juge Lang a fait des observations à ce propos en prononçant la peine infligée au frère English, un Irlandais membre des Frères des Écoles chrétiennes qui avait commis de graves agressions sexuelles sur des enfants de l'orphelinat Mount Cashel :

        Il y a 30 ans que j'exerce le droit, 11 ans que je suis juge et j'en suis environ à mon 85e procès devant jury ; or, je dois dire que c'est le pire procès que j'aie jamais eu à présider. [...] Je souhaitais et j'espérais que le frère English dise qu'il était coupable, que ses actes obéissaient à une pulsion irrésistible, qu'il demande pardon et manifeste quelque remords ; mais vous aviez le droit de ne rien dire [...] peut-être y a-t-il des raisons à ce silence117.        

       Avant de prononcer la peine, le juge demande à la personne déclarée coupable si elle voudrait dire quelque chose. Pour les délinquants qui le souhaitent, c'est une occasion de présenter des excuses à leurs victimes. Parfois, ils rejettent cette possibilité. C'est ce qui est arrivé lorsque Kenneth Walker, un ancien gardien à l'école Grandview, a été condamné pour des agressions sexuelles commises sur cinq fillettes qui fréquentaient cet établissement118. Dans d'autres cas, le délinquant profite de ce moment pour faire des excuses.

       Francis Clancy, reconnu coupable d'agressions sur deux garçons vivant à l'époque à l'orphelinat Mount Cashel, a déclaré avant le prononcé de la peine : « Je regrette ce que je leur ai fait subir. Je regrette énormément, Messieurs, les fautes que j'ai commises à votre endroit119. » Le juge Power a pris en compte les excuses présentées par Clancy à ses victimes dans la détermination de la peine. Il l'a condamné à deux mois de prison et à une période de probation de deux ans120.

       Si les tribunaux donnent aux accusés dont la culpabilité a été reconnue la possibilité de présenter des excuses à leurs victimes, et considèrent habituellement d'un oeil favorable les expressions de regret dans la détermination de la peine, les excuses faites à ce stade de la procédure pénale peuvent être absolument intéressées et ne traduire aucun remords véritable. Par exemple, Michael Harris, dans un livre consacré à la tragédie de Mount Cashel, relate le cas du père Hickey qui a déclaré, lors du prononcé de sa peine : « Je me rends compte de la douleur et de la peine que j'ai causées à des gens [...] le remords ne me quittera pas jusqu'à la fin de mes jours. » Le juge Reginald Reid, aucunement ému par ces propos, l'a tout de même condamné à cinq ans d'emprisonnement. « Près d'un an plus tard, le prêtre incarcéré disait clairement à soeur Nuala Kenny, qui lui rendait visite en prison, qu'il n'avait aucun remords, mais seulement la conviction amère d'avoir été traité injustement par le système121. »

       En plus d'exprimer des remords au moment du prononcé de la peine, certains délinquants ont aussi fait des excuses à leurs victimes en prenant part à des programmes de peine alternative ou de réparation. Dans le cadre de l'émission de radio Tapestry diffusée sur la chaîne CBC, on a présenté un documentaire intitulé « Apologies », dans lequel on relatait le cas d'un violeur qui s'était excusé auprès de sa victime 10 ans après les faits, dans le cadre d'un programme de médiation entre victimes et délinquants relevant du Service correctionnel122. Le juge Cunliffe Barnett, résumant certaines affaires jugées en Colombie-Britannique dans lesquelles des communautés autochtones avaient eu recours à des peines alternatives, a décrit un cas où c'est à l'occasion d'une « cérémonie de purification » que le délinquant s'est excusé envers tous ceux à qui il avait porté préjudice :

        R. v. B.(A.), novembre 1993, Bella Bella (BB #348). En état d'ébriété, B.(A.) avait commis une agression sexuelle sur une petite fille, dans la maison de celle-ci. Il avait été déclaré coupable à l'issue d'un procès et on lui avait dit que la peine « habituelle » était une incarcération de quelques 4 mois. Le procureur de la Couronne s'opposait au départ à toute forme de peine alternative, mais lorsqu'il est devenu évident que cette solution était appuyée par la communauté, il s'est laissé fléchir. B.(A.) a organisé une « cérémonie de purification » à laquelle un grand nombre de personnes ont assisté et pendant laquelle il s'est levé pour présenter des excuses à la victime, à sa famille et à la communauté tout entière. Il a ensuite comparu devant le tribunal, qui a différé le prononcé de la peine123.        

       Tous ces exemples montrent que des excuses sont possibles dans le cadre d'un procès pénal. Normalement, toutefois, elles ne sont pas présentées avant la condamnation de l'accusé.

       La question de savoir si un tribunal peut ordonner à un délinquant de présenter des excuses a été abordée dans au moins une décision judiciaire, relative non pas à une infraction criminelle, mais à une infraction environnementale. La Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) avait ordonné à une société administrée par le gouvernement des T.N.-O. de payer une amende et de publier des excuses dans un journal, à la suite d'un déversement de pétrole dans la Baie d'Hudson causé par la société124. La société avait été déclarée coupable d'une infraction définie dans la Loi sur les pêches. Le tribunal, investi par la Loi du pouvoir de punir le délinquant et de lui enjoindre « de prendre les mesures qu'il juge de nature à empêcher toute récidive125 », avait décidé d'obliger les administrateurs de la société, qui n'avaient exprimé aucun regret, à présenter des excuses publiques à l'égard de la négligence dont ils avaient fait preuve.

       Un appel a toutefois été interjeté par la société publique quant aux excuses ordonnées par le tribunal, et l'ordonnance en question a été annulée par la Cour suprême des T.N.-O126. Cette dernière a reconnu le mérite d'excuses faites librement par un délinquant désireux de modifier son attitude. Mais elle a considéré que des excuses imposées par une ordonnance judiciaire constituaient un type de sanction que le tribunal n'avait pas le pouvoir d'imposer :

        Imposées de force, [...] de soi-disant excuses faites à contrecoeur ne sont de toute évidence rien de plus qu'une concession faite avec réticence à un adversaire qui jouit, à ce moment-là, d'un avantage écrasant d'un type ou d'un autre. Tout donne à penser qu'on y verra surtout une forme d'humiliation injuste, pas forcément une mesure qui vise à faire triompher le bien. Par conséquent, de telles excuses sont loin d'avoir la même valeur que celles qui sont faites librement et procèdent d'un authentique sentiment de remords. Le délinquant, ainsi sans aucun doute que d'autres personnes, y voient une forme de châtiment et non pas de contrition.         

        [...]         

        [D]es excuses peuvent constituer une étape constructive et positive vers la réhabilitation du délinquant et le rétablissement de la paix au sein de la communauté. Cela est particulièrement important dans les nombreuses petites communautés des Territoires du Nord-Ouest. Je ne voudrais pas que l'on conclue de mes propos que des excuses publiques ne devraient selon moi jamais être faites, que ce soit dans le cadre d'une ordonnance de probation ou dans un autre contexte. Ce que je dis, c'est que des excuses ne devraient jamais être imposées, que ce soit par une ordonnance judiciaire ou d'une autre manière, dans le cadre de la détermination de la peine. Car après tout, des excuses qui ne sont pas librement présentées ne répondent pas aux caractéristiques d'excuses véritables et sont sûrement dénuées de valeur pour cette raison. Si elles sont imposées par le tribunal, cela tendra à coup sûr, tôt ou tard, à déconsidérer l'administration de la justice127.         

                3.    Les excuses présentées dans le cadre de procès civils

       Selon le common law, dans le cas d'actions civiles intentées par une personne en raison du préjudice qui lui a été causé, on accorde traditionnellement au demandeur une somme d'argent à titre d'indemnité. D'une manière générale, on ne force pas le défendeur à faire des excuses au demandeur dans le cadre de l'indemnisation pour le préjudice subi. Le droit civil du Québec offre peut-être davantage de possibilités que le common law en ce qui a trait aux formes de réparation non pécuniaires :

        En droit civil, la victime d'une faute extracontractuelle peut demander plus qu'une compensation par équivalent, i.e. pécuniaire. Ainsi, elle pourrait demander une exécution en nature [...]. [R]ien en droit civil n'interdit de demander une sanction qui va au-delà des dommages-intérêts. La position civiliste pourrait influencer le common law128.        

       Certains tribunaux administratifs, auxquels leur loi constitutive accorde des pouvoirs relativement étendus et souples quant à la condamnation à des sanctions de nature non pécuniaire lorsque cela est approprié, peuvent ordonner aux défendeurs de présenter des excuses à titre de dédommagement. Les tribunaux des droits de la personne, par exemple, jouissent de ce pouvoir, qu'ils exercent quand ils estiment que des excuses peuvent contribuer à redonner sa dignité à une personne victime de discrimination ou à lui confirmer qu'elle a raison de se sentir blessée.

       On trouve dans les décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne, organisme dont le fonctionnement est régi par la Loi canadienne sur les droits de la personne, plusieurs cas dans lesquels des défendeurs (appelés mis en cause dans ce contexte) se sont vu ordonner de remettre des lettres d'excuses. Le tribunal a ainsi ordonné en 1994 au commissaire des services correctionnels du Canada de présenter des excuses à Julius Uzoaba, qui avait subi une discrimination relative à l'emploi en raison de sa race et de sa couleur. On a jugé que des excuses étaient opportunes dans cette affaire, parce que l'employeur mis en cause avait agi d'une manière particulièrement insensible129. Dans une autre affaire, on a ordonné au Conseil national de recherches du Canada de présenter des excuses écrites au plaignant, Chander Grover, à cause d'actes discriminatoires commis à son endroit en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale130.

       La fonction principale des excuses dans des affaires civiles, cependant, ne réside pas dans une réparation ou une indemnisation de nature non pécuniaire. Les excuses ou l'absence de remords constituent plutôt des éléments pris en compte pour établir les dommages-intérêts accordés dans certains cas. Si des excuses sont faites, cela est susceptible de diminuer l'indemnité pécuniaire. Dans le cas contraire, ou si l'intéressé ne manifeste aucun remords, il peut y avoir augmentation de l'indemnité. De toute façon, les excuses sont un élément pris en considération, mais normalement les tribunaux ne les considèrent pas comme une forme de réparation.

       Les affaires de diffamation et celles dans lesquelles le demandeur réclame des dommages-intérêts exemplaires permettent de saisir le rôle limité que des excuses peuvent jouer dans certaines actions civiles. La publication d'excuses, ou le fait d'offrir de faire des excuses publiques, n'aura pas pour effet de disculper la personne qui a tenu des propos diffamatoires à l'endroit du demandeur et porté atteinte à sa réputation. Le défendeur qui publie rapidement des excuses et une rétractation a cependant des chances d'être condamné à des dommages-intérêts un peu moins élevés131.

       Il arrive fréquemment que des dommages-intérêts exemplaires soient réclamés dans des actions en responsabilité civile ayant trait à des sévices et à des abus sexuels infligés à des enfants.

       Pour statuer sur cette demande, le tribunal pourra tenir compte, notamment, du fait que le défendeur a manifesté des remords ou présenté des excuses -- ou ne l'a pas fait. Par exemple, deux personnes qui avaient poursuivi leur beau-père en raison des abus sexuels commis à leur endroit pendant une période de sept ans au cours de leur enfance ont obtenu chacune 30 000 $ de dommages-intérêts exemplaires parce que le défendeur n'avait exprimé aucun remords132. Dans le cas d'une jeune femme stérilisée contre son gré dans une école professionnelle, le tribunal a refusé d'accorder des dommages-intérêts exemplaires (même si cela aurait été justifié par les actions ayant abouti à la stérilisation) parce que le gouvernement de l'Alberta, qui était le défendeur, avait renoncé à invoquer la prescription. Sans cette concession, le procès n'aurait pu avoir lieu. Le tribunal a déclaré : « Cet abandon délibéré d'un moyen de défense complet est assimilable à des excuses. En fait, c'est davantage que des excuses : il s'agit [...] d'un effort véritable pour réparer le tort causé133. »

                4.    Le pouvoir de guérison d'excuses ordonnées par le tribunal

       Malgré le fait que les tribunaux judiciaires ou administratifs puissent parfois « ordonner » à une personne de faire des excuses, on peut se demander, sur le plan pratique, si des excuses ainsi imposée sont très utiles du point de vue de la guérison. Le remords ne saurait être suscité par une injonction du tribunal ; il doit être ressenti du fond du coeur par le délinquant. « Comme le sait tout parent qui a essayé d'enseigner à son enfant comment faire des excuses, [...] des excuses [non volontaires] comportent plusieurs inconvénients : absence de sincérité, absence d'engagement non équivoque quant au changement d'attitude, reconnaissance incomplète du méfait134. »

       Quand des excuses sont faites volontairement durant une procédure judiciaire, leur portée est limitée par les règles et la nature même de cette procédure. Devant le tribunal, les excuses ne sont habituellement présentées qu'une fois clairement établie la culpabilité ou la responsabilité. Or, pour la victime, ces excuses risquent d'être tardives et insuffisantes.

       De plus, lorsque des excuses sont faites, elles peuvent répondre à des motifs cachés, par exemple la recherche d'une peine moins sévère ou le souci d'éviter la condamnation à des dommages-intérêts exemplaires. De telles excuses ne seront probablement pas valables pour la victime, et elles risquent davantage de nuire au processus de guérison que de l'accélérer. Il arrive que des excuses tout à fait valables soient faites à la faveur d'une procédure judiciaire, mais normalement ce cadre ne favorise pas la présentation d'excuses utiles à la guérison.

       B.    Mécanismes extrajudiciaires


        Aucun tribunal ne présentera d'excuses. Aucun tribunal ne s'engagera, en matière de mauvais traitements infligés aux enfants, dans la sensibilisation du public, la prévention et la recherche, ni ne versera des indemnités aux familles et aux veuves de ces hommes. Nous avons conclu que cela ne pourrait ni nous guérir ni nous réconcilier135.        

       Quant on constate que les excuses jouent un rôle limité dans le cadre d'actions civiles et pénales et que leur caractère conciliatoire est incompatible avec les procédures de nature contradictoire, on en arrive à la conclusion que les mécanismes juridiques traditionnels ne sont pas ceux qui favorisent le plus la présentation d'excuses valables. À ce chapitre, les mécanismes extrajudiciaires de règlement des différends sont plus intéressants et plus prometteurs136. C'est le pari fait par les victimes de Grandview quand elles ont choisi de chercher réparation au moyen d'un mécanisme de règlement extrajudiciaire :

        La plupart des intéressées estimaient que, dans la mesure où le but principal de l'entente consistait dans la réparation et la réconciliation avec la communauté, une de ses caractéristiques les plus importantes était la reconnaissance par le gouvernement des mauvais traitements infligés et la reconnaissance que les femmes avaient subi un préjudice et n'étaient aucunement à blâmer. Elles estimaient qu'une telle reconnaissance de la part du gouvernement aurait été impossible si l'on avait opté pour la formule des actions individuelles137.        

       Le grand avantage de la recherche d'excuses par des mécanismes de réparation extrajudiciaires tient au fait que la nature et la teneur des excuses peuvent faire l'objet de négociations et d'une entente dès le départ. Les questions suivantes, par exemple, peuvent être clarifiées dans le cadre d'une entente :

  • les parties reconnaissent et soulignent l'importance des excuses, et s'efforceront ensemble de faire en sorte que les excuses présentées soient valables ;
  • les parties s'engagent à ce que les excuses ne soient pas présentées ou utilisées à titre d'aveu de responsabilité dans le cadre d'autres procédures138 ;
  • le type d'excuses (individuelles, officielles/publiques, ou les deux à la fois) qui seront faites, le moment où elles seront faites, la manière dont elles seront présentées et la personne qui les présentera ;
  • les mécanismes par lesquels les victimes pourront choisir de recevoir ou non des excuses personnelles et les moyens par lesquels on veillera à ce qu'elles participent à la formulation des excuses qui leurs seront faites.
       Bien que les chances de recevoir des excuses valables paraissent plus grandes lorsqu'on a recours à ces mécanismes de réparation extrajudiciaires plutôt qu'à des procédures judiciaires, cette solution a aussi des inconvénients. Elle exclut en effet la tendresse qui caractérise les excuses informelles provenant du fond du coeur parce que ces mécanismes, s'inscrivant dans un processus juridique plus large, sont jusqu'à un certain point revêtus d'un caractère bureaucratique et formaliste et que la teneur des excuses est alors élaborée avec la plus grande prudence. Par conséquent, le recours aux mécanismes extrajudiciaires ne favorise pas beaucoup les excuses vraiment personnelles et touchantes -- le type d'excuses par lesquelles on met son âme à nu et on verse des larmes. D'autre part, comme les excuses s'inscrivent alors dans un ensemble de mesures de réparation, elles sont indissociablement liées aux autres éléments de cet ensemble. Si des difficultés surgissent dans l'application globale de l'entente, la présentation d'excuses utiles risque de s'avérer impossible. Un des hommes ayant participé au mécanisme de réconciliation du Helpline Agreement a souligné des problèmes de cette nature en faisant le point sur son expérience :

        Il m'a fallu me battre pour recevoir mes prestations d'assurance soins médicaux et dentaires, me battre pour recevoir des services de counseling. Pourtant, tout cela était prévu dans l'entente. Ensuite, il m'a fallu me battre pour obtenir des excuses. Je me suis ainsi rendu compte que négocier l'entente et voir à son application étaient deux choses bien différentes139.        

       Le plus grand risque que courent les victimes est d'être déçues ou de se sentir blessées une fois de plus. Ce risque, elles doivent l'affronter dès qu'elles demandent des excuses -- que ce soit dans un cadre juridique ou non. Cependant, étant donné que ces mécanismes de réparation extrajudiciaires peuvent laisser espérer des excuses véritables aux victimes, la déception peut être encore plus grande si finalement elles n'en obtiennent pas.

       Du point de vue de la victime, la signature d'une entente dans laquelle on s'engage à lui faire des excuses ne garantit pas du tout qu'elle recevra des excuses satisfaisantes. Par exemple, des excuses « personnelles » ou une « reconnaissance individuelle » qui ne sont pas individualisées et ne constituent pas une véritable reconnaissance ne seront pas efficaces. La réaction de Gerry Stolz, un ancien élève de l'école Jericho Hill, à la « reconnaissance individuelle » qu'il a reçue le montre bien.

       Gerry était l'un des trois élèves de l'école Jericho Hill dont le témoignage avait contribué à faire déclarer le Dr Gallagher, le dentiste de l'établissement, coupable d'attentat à la pudeur. L'affaire a été soumise à la Cour suprême de la Colombie-Britannique140. Les abus sexuels dont Gerry avait été victime durant son enfance ont ainsi été portés à la connaissance du public, mais cela était indispensable pour mettre au jour le scandale des abus sexuels commis dans cet établissement et pour préparer la mise sur pied d'un programme d'indemnisation individuelle.

       Lorsque le programme d'indemnisation individuelle des victimes de Jericho a été lancé afin d'indemniser les victimes des sévices commis dans cet établissement, Gerry est encore une fois intervenu activement, par exemple en communiquant avec d'anciens élèves aveugles et malvoyants pour les mettre au courant de l'existence du programme. Pour l'application du programme d'indemnisation, il a constaté que les responsables lui donnaient leur appui ; ils ont écouté ce qu'il avait à raconter et ont reconnu les faits. Mais la lettre d'excuses personnelles adressée à Gerry par le procureur général, une fois ses revendications acceptées, n'était qu'une lettre type -- la même qu'on avait fait parvenir à tous ceux qui avaient pris part au programme. On n'y faisait pas état des préjudices particuliers qu'il avait subis (même s'ils étaient solidement documentés) et on ne soulignait d'aucune manière tout le travail qu'il avait accompli dans ce dossier.

       Quand on lui demande son sentiment au sujet de ces excuses personnelles, s'il en est satisfait ou si elles l'ont aidé, Gerry répond qu'il ne sait pas bien comment exprimer ce qu'il ressent. « Ce n'est pas ce que j'attendais... ce n'est pas suffisant. Par contre, je vis ma vie... je vais bien... mais ce n'est pas suffisant. » Les excuses personnelles dont il espérait qu'elles lui permettent de tourner la page n'ont pas eu cet effet, parce qu'on n'y faisait pas état de ce qu'il avait subi et de sa contribution personnelle au programme -- cette reconnaissance n'avait pas un caractère véritablement personnel141.

       Lorne Siple, qui pendant son enfance a été victime d'abus sexuels à l'école St. Joseph's, a quant à lui été consterné par la lettre d'excuses personnelles reçue des Frères des Écoles chrétiennes. Il n'avait aucunement pris part à sa formulation, n'avait pas été consulté ; il a simplement trouvé la lettre dans son courrier une bonne journée. C'était une lettre type, les mêmes « excuses personnelles » remises à tous ceux qui avaient subi des mauvais traitements dans l'établissement. On n'y faisait aucunement état de sévices qu'il avait subis personnellement. Lorne a indiqué à la Commission du droit ce qu'on devrait trouver, selon lui, dans une lettre d'excuses personnelles :

  • Elle devrait être adressée personnellement au destinataire ; ce ne doit pas être une lettre type ;
  • On devrait y reconnaître les préjudices causés au destinataire et lui promettre que de telles choses ne se reproduiront jamais ;
  • On devrait demander pardon (sans toutefois s'attendre à ce que je pardonne, parce qu'on m'a dépouillé de tout pouvoir, et je dois avoir le choix de décider, personnellement, si je pardonne ou non).
« Sans excuses de cette nature, je ne pense pas que le pardon ni la réconciliation soient vraiment possibles », a-t-il déclaré142.

       Ces deux exemples montrent que, dans la pratique, un mécanisme extrajudiciaire de réparation risque d'aboutir à la présentation d'excuses qui ne sont aucunement plus valables que celles obtenues au moyen de procédures judiciaires. Les personnes qui s'engagent dans cette voie risquent de recevoir des excuses personnelles ou autres qui les re-victimisent, les blessent, les insultent, qui les laissent avec un sentiment d'insatisfaction, d'amertume ou de colère. Il n'en demeure pas moins que ces mécanismes peuvent conduire à des excuses favorisant la guérison. La chose est possible dans la mesure où les personnes qui présentent des excuses comprennent à quel point il importe que celles-ci soient valables et veillent à ce qu'elles le soient effectivement.

V.    Conclusions

       Les procédures judiciaires n'aboutissent pas souvent à la présentation d'excuses valables. Le risque de voir des excuses être considérées comme un aveu par le tribunal constitue un obstacle important, à cet égard, lorsque des actions judiciaires sont en instance. La possibilité que des excuses soient effectivement assimilées à un aveu et contribuent ainsi à établir la culpabilité ou la responsabilité dépendra, dans une très large mesure, des faits de chaque affaire et de la nature des excuses qui sont faites.

La chose n'est cependant pas inimaginable -- surtout dans le cas d'excuses valables renfermant les éléments essentiels décrits dans ce document.

       On ne peut forcer un défendeur ou un inculpé à faire des excuses. L'inculpé a le droit de ne pas être contraint à témoigner contre lui-même et de proclamer son innocence. Quant au défendeur dans une action civile, il a le droit d'élaborer la meilleure défense possible. En revanche, le fait de ne manifester aucun remords ou de refuser de faire des excuses peut accroître la sévérité de la peine, en matière pénale, ou entraîner la condamnation à des dommages-intérêts exemplaires, en matière civile (si cela est justifié).

       Les mécanismes de réconciliation extrajudiciaires sont davantage susceptibles que les procédures judiciaires de permettre aux victimes d'exercer leurs droits moraux et d'obtenir les excuses valables qui leur sont indispensables. Malheureusement, même la signature d'une entente de réconciliation dont un élément central consiste dans la présentation d'excuses ne garantit pas aux victimes qu'elles obtiendront effectivement des excuses satisfaisantes.

       Une promesse ou une entente concernant la présentation d'excuses doit être suivie par l'engagement sérieux de faire des excuses valables et de faire participer la victime à ce processus. Dans ce document de recherche, nous avons tenté de décrire certains des éléments essentiels que doivent comporter des excuses pour être valables, ainsi que les considérations pratiques qu'il faut avoir à l'esprit lorsqu'on élabore de telles excuses.

       En tant que société, nous comprenons de mieux en mieux l'importance -- et la complexité -- que revêt la présentation d'excuses valables et efficaces. Ce document se proposait d'aborder d'une façon générale, mais non exhaustive, la question des excuses relatives à des fautes graves. D'autres travaux seront nécessaires pour mieux comprendre l'interaction des enjeux sociaux, psychologiques et juridiques liés à la présentation d'excuses efficaces.
__________________

1 D. Henton et D. McCann, Boys Don't Cry -- The Struggle for Justice and Healing in Canada's Biggest Sex Abuse Scandal, Toronto, McLelland & Stewart Inc., 1995, à la p. 188 [ci-après Boys Don't Cry].

2 B. Feldthusen, O. Hankivsky et L. Greaves, «Therapeutic Consequences of Civil Actions for Damages and Compensation Claims By Victims of Sexual Abuse», (1999) 12:1 Canadian Journal of Women and the Law, [à paraître en 1999] Voir texte à la note 26.

3 Une victime anonyme citée dans Commission du droit du Canada, Rapport final - Étude des besoins des victimes de sévices en établissement, par l'Institute for Human Resources Development, Ottawa, le 16 octobre 1998, Annexe I -- Résumé des entrevues avec les victimes, à la p. 15 [ci-après Rapport de l'IHRD].

4 A. Lazare, «Go Ahead, Say You're Sorry» Psychology Today 28 :1 (janvier-février 1995) 40, à la p. 42.

5 Ibid.

6 Il va sans dire que l'auteur d'une faute peut également être de sexe féminin. Nous employons le masculin dans le présent document de façon générique.

7 M. Minow, Between Vengeance and Forgiveness -- Facing History after Genocide and Mass Violence, Boston, Beacon Press, 1998, aux p. 114 et 115. Minow explique ainsi les transferts de pouvoir :Les excuses rappellent les normes sociales à l'auteur de la faute parce qu'elles signifient qu'il admet les avoir transgressées. En racontant de nouveau sa faute et en demandant à être acceptée, la personne qui présente des excuses adopte une position de vulnérabilité à l'égard non seulement des victimes mais aussi de la collectivité des témoins au sens propre ou au sens figuré. ...Il est tout aussi important d'adopter une position qui confère un pouvoir aux victimes, savoir le pouvoir d'accepter ou de rejeter les excuses ou de n'en tenir aucun compte.

8 N. Tavuchis, Mea Culpa, Stanford, Stanford University Press, 1991, à la p. 23 [ci-après appelé Tavuchis]. Tavuchis décrit ainsi la dernière phase des excuses : «Le dernier terme de cette équation morale est la réponse de la partie lésée : faut-il les accepter et libérer l'auteur de la faute en pardonnant, rejeter à la fois les excuses et l'auteur de l'offense, ou accuser réception des excuses tout en remettant la décision à plus tard?».

9 Minow, supra note 7, à la p. 17.

10 T. Govier, Dilemnas of Trust Montréal & Kingston, McGill-Queen's University Press, 1998, à la p. 199.

11 Ibid. à la p. 200.

12 Ibid. à la p. 201.

13 Ibid. à la p. 189.

14 Ibid. à la p. 197.

15 Rapport de l'IHRD supra note 3, à la p. 58.

16 Manuscrit de Feldthusen, Hankivsky et Greaves, supra note 2, voir texte « Findings -- Motivation and Expectations ».

17 Boys Don't Cry, supra note 1, à la p. 169.

18 B. Hoffman, The Search for Healing, Reconciliation, and the Promise of Prevention -- The Recorder's Report Concerning Physical and Sexual Abuse At St. Joseph's and St. John's Training School for Boys, rapport présenté au Reconciliation Process Implementation Committee Ontario, Concorde Inc, le 30 septembre 1995 et mis à jour le 29 avril 1996, «Appendix A -- Helpline Reconciliation Model Agreement», au par. 2.01, [ci-après Helpline Agreement].

19 Rapport de l'IHRD, supra note 3 à la p. 31.

20 M. Omatsu, Bittersweet Passage -- Redress and the Japanese Canadian Experience (Toronto: Between the Lines, 1992) à la p. 168.

21 Débats de la Chambre des communes (22 septembre 1998) à la p. 19499.

22 Minow, supra note 7 à la p. 93.

23 Commission du droit du Canada, Besoins et attentes en matière de réparation pour les sévices commis contre les enfants placés dans les pensionnats pour enfants autochtones, par R. Claes et D. Clifton (SAGE), Ottawa, Commission du droit du Canada, 23 octobre 1998, à l'Annexe 6 [ci-après le Rapport SAGE].

24 Extrait d'un discours prononcé par Ovide Mercredi, ex-grand chef de l'Assemblée des Premières nations, Université Laurentienne de Sudbury (Ontario) d'après une dépêche de la Presse canadienne (22 janvier 1998), en ligne : QL (CPN).

25 Paul Gagnon, qui a pris la parole pendant une cérémonie religieuse à la cathédrale Notre-Dame d'Ottawa, au cours de laquelle l'archevêque catholique romain d'Ottawa, Marcel Gervais, a présenté les excuses officielles de son Église aux survivants de l'établissement St. Joseph's d'Alfred. D'après une dépêche de la Presse canadienne (21 avril 1996), en ligne : QL (CPN). Voir aussi l'article de A. Lindgren, «Abuse victims interrupt mass» The Ottawa Citizen (21 avril 1996).

26 La nature des violences infligées est abondamment examinée dans d'autres ouvrages. Voir par exemple les sources mentionnées dans l'ouvrage de Commission du droit du Canada, La violence faite aux enfants en milieu institutionnel au Canada, par R. Bessner, Ottawa, Commission du droit du Canada, octobre 1998, et le Rapport SAGE supra note 23.

27 Tavuchis, supra note 8, à la p. 36.

28 Tavuchis souligne que dans le monde officiel et public de la présentation d'excuses, «les interlocuteurs ne sont pas des personnes autonomes libres d'agir conformément à leurs propres principes moraux mais les titulaires de postes ou de fonctions à caractère institutionnel dont les attributions sont définies et limitées par des objectifs et intérêts collectifs. ...[E]n leur qualité de représentants du public, les personnes qui présentent les excuses doivent se conformer aux normes conventionnelles du décorum et du protocole» (Ibid à la p. 100).

29 Tavuchis souligne les différences inhérentes aux excuses officielles; à la p. 102 :Il s'agit ... d'un mode d'énonciation qui diffère nettement de celui de son équivalent interpersonnel. Comme il sied à leur caractère officiel et public, les excuses avalisées et rédigées par l'appareil institutionnel ont tendance à être libellées en des termes abstraits, indirects, modérés et affectivement neutres. Aussi sincère ou fidèle à un esprit de conciliation qu'il puisse être, le discours composé à des fins officielles établit et maintient une distance sociale et donc linguistique entre ceux ou celles qui sont habilités à parler, d'une part, et les véritables protagonistes, d'autre part. Il est à remarquer que ces tendances ne tiennent pas au simple fait que le discours est le fruit de la médiation, mais découlent également des obstacles que suppose sur les plans discursif et pratique la prise en compte d'un exposé collectif de faits qui documente de nombreux préjudices personnels, privations et souffrances remontant souvent à une époque lointaine. (Ibid. à la p. 100)

30 Ibid. à la p. 71.

31 «Apologies», deuxième partie, documentaire radio produit par P. Naylor pour l'émission radiophonique diffusée par la CBC Tapestry (Toronto, le 22 juin 1997) [ci-après «Apologies»].

32 Québec, Assemblée nationale, Journal des débates (4 mars 1999). Publiés en ligne : (date d'accès : 15 Novembre 1999).

33 «Voir Déclaration de réconciliation»comprise dans un discours prononcé par l'honorable Jane Stewart, ministre des Affaires indiennes et du Nord, à l'occasion du dévoilement de Rassembler nos forces : Le plan d'action du Canada pour les questions autochtones , Ottawa, Affaires indiennes et du Nord, 7 janvier 1998 en ligne: (date d'accès : 16 février 1999) [ci-après «Déclaration de réconciliation»].

34 Débats de la Chambre des communes, supra note 21, aux p. 19499 et 19500.

35 Voici quelques exemples d'excuses officielles ainsi présentées :Excuses présentées par les Églises qui ont joué un rôle dans les pensionnats pour enfants autochtones -- Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (1991) -- Excuses présentées par le président de la Conférence oblate du Canada, le révérend Doug Crosby, au nom des 1 200 Missionnaires Oblats de Marie Immaculée en fonction au Canada pour le rôle joué par les Oblats du Canada dans l'administration de pensionnats pour enfants autochtones [ci-après, Excuses des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée]. Voir le révérend Doug Crosby, «An apology to the First Nations of Canada by the Oblate Conference of Canada», Edmonton, Conférence oblate du Canada, 1991. Pour des extraits de ces excuses, voir Secrétariat à la santé de l'Assemblée des Premières nations, Residential School Update, Ottawa, Assemblée des Premières nations, mars 1998, à la p. 20.Église anglicane du Canada (1993) -- Message du primat, Michael Peers, dans lequel il présentait des excuses pour le rôle joué par l'Église anglicane dans les souffrances infligées dans les pensionnats. Présenté à la National Native Convocation, Minaki, Ontario, vendredi 6 août 1993. Voir Église anglicane du Canada, communiqué de presse «Anglican leader apologizes to aboriginal people for residential schools» (8 août 1993), auquel est joint le texte intégral des excuses et de la réponse [ci-après Excuses Anglican]. Enregistré en direct dans le cadre du film vidéo Dancing the Dream, Toronto, produit par Anglican Video pour le compte du Council for Native Ministries, 1993 [ci-après Dancing the Dream].Église presbytérienne du Canada (1994) - The Confession of the Presbyterian Church as Adopted by the General Assembly, Winnipeg (9 juin 1994) [ci-après Excuses presbytérienne]. Évêque de Churchill-Baie d'Hudson (1996) -- Excuses présentées par Reynald Rouleau, évêque de Churchill-Baie d'Hudson, aux anciens élèves de l'externat fédéral Joseph Bernier et de Turquetil Hall. Voir la lettre de Reynald Rouleau, évêque de Churchill-Baie-d'Hudson, diocèse de Churchill-Baie d'Hudson, Churchill, Manitoba, aux anciens élèves de l'externat Joseph Bernier et de Turquetil Hall (1955-1969), (18 janvier1996).Église unie de St. Andrew's (1997) - «An Apology from St. Andrew's United Church [Alberni, C.-B.] to First Nations People for Harm Caused by "Indian" Residential Schools», mai 1997. Église unie du Canada (1998) -- Excuses relatives à la complicité de l'Église dans le régime des pensionnats pour enfants autochtones. Présentées par le très révérend Bill Phipps, modérateur de l'Église unie du Canada, «United Church apologizes for its comperity in the Indian School System» Toronto, le 27 octobre 1998, en ligne : (date d'accès : 17 février 1999)[ci-après Excuse de l'Eglise unie du Canada 1998 ].Autres excuses présentées par des organismes ou ordres religieux --Comité central mennonite du Canada (1984) -- Excuses présentées aux Canadiens d'origine japonaise (en octobre 1984) parce que certains Mennonites ont profité de la détresse de ces derniers en achetant les biens que le gouvernement leur avait confisqués, tout particulièrement des fermes situées dans les basses terres du Fraser. Mentionnées dans l'ouvrage de Roy Miki et Cassandra Kobayashi, Justice in Our Time -- The Japanese Canadian Redress Settlement, Vancouver, Talonbooks, 1991, à la p. 80.Les pères jésuites du Haut-Canada (1994) -- Excuses pour les violences sexuelles infligées, présentées aux victimes du défunt père George Epoch dans Reconciliation Agreement Between the Primary Victims of George Epoch and the Jesuit Fathers of Upper Canada, «Institutional Apology», annexe «F» , à la p. 35, [ci-après Excuses jésuites].Autres excuses présentées par des gouvernements --Gouvernement de la Colombie-Britannique (1995) -- «Ministerial Statement on Report on Abuse of Students at Jericho Hill School», Debates Hansard, Victoria, 28 juin 1995, en ligne: (date d'accès : 26 mars 1999) [ci-après BC Hansard ].Gouvernement de la Nouvelle-Écosse (1996) -- L'honorable William Gillis, ministre de la Justice, a présenté ses excuses devant l'assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, le 3 mai 1996, aux personnes qui ont été victimes de sévices dans cinq établissements exploités par la Province. Les excuses ont été intégrées dans une annonce faite par le Ministre selon laquelle le gouvernement allait verser des indemnités à ces victimes. En ligne : (date d `accès : 6 avril 1999).Gouvernement de l'Ontario (1996) -- Excuses présentées aux victimes des établissements St. Joseph's et St. John's pour les sévices qui leur ont été infligés. Journal des débats de l'Ontario, Toronto, 25 juin 1996, en ligne :http://ontla.on.ca/hansard/ (date d'accès : 26 mars 1999). Voir aussi Wendy McCann, «Ontario Government Apologizes to Sex Abuse Victims», Presse Canadienne 25 juin 1996.Parlement de la Nouvelle-Galles du Sud, Australie (1997) - Motion en vue de la présentation d'excuses inconditionnelles aux peuples autochtones pour avoir systématiquement séparé des générations d'enfants d'autochtones d'avec leurs parents. Motion présentée par le premier ministre Bob Carr avec l'appui du chef de l'opposition Peter Collins. Voir Australie, Human Rights and Equal Opportunity Commission, communiqué de presse «NSW Parliamentary Apology -- Commission commends Premier Bob Carr and Opposition Leader Peter Collins» (9 juin 1997). En ligne: (date d'accès : 17 février 1999).Parlement de Victoria, Australie (1997)-- Motion en vue de la présentation d'excuses aux peuples autochtones pour les politiques passées en application desquelles des enfants autochtones ont été enlevés à leur famille. Motion présentée par le premier ministre Kennett. Parliament of Victoria Hansard Peruse, le 17 septembre 1997. En ligne: (date d'accès : 2 mars 1999).

36 Débats de la Chambre des communes, supra note 21, à la p. 19500.

37 Dancing the Dream, supra note 35 à plus ou moins 23 minutes.

38 «Déclaration de réconciliation», supra note 33.

39 Excuses présentées par l'Église unie du Canada pour sa complicité dans le régime des pensionnats pour enfants autochtones, Communiqué «United Church apologizes for its complicity in the Indian Residential School System» (27 octobre 1998).

40 B. Belec, «Ex-Cashel worker guilty, apologizes to victims», The Evening Telegram [de St. John's], (21 octobre 1998).

41 Tavuchis, supra note 8 à la p. 15.

42 Lazare, supra note 4 à la p. 42.

43 Ces cinq éléments sont tirés de différentes sources (Lazare, ibid.,Tavuchis, supra note 8, Minow, supra note 7 et Govier, supra note 10) citées dans l'analyse qui suit, ainsi que consultations auprès de victimes. Dans leur article intitulé «The Implications of Apology: Law and Culture in Japan and the United States»(1986) 20 : 4 Law & Society Review, p. 461, Hiroshi Wagatsuma et Arthur Rosett proposent, à la p. 469, un ensemble de cinq éléments semblables mais pas identiques :1. l'acte nuisible a été commis, a causé un préjudice et était fautif ;2. la personne qui s'excuse est fautive et regrette d'avoir participé à l'acte ;3. la personne qui s'excuse indemnisera la partie lésée ;4. l'acte ne se reproduira pas ; et5. la personne qui s'excuse a l'intention de travailler à l'établissement de bonnes relations à l'avenir.

44 Lazare, supra note 4 à la p. 42.

45 Ibid.

46 La question de savoir si les remords sont possibles en l'absence d'une reconnaissance du préjudice causé a été soulevée dans le cadre de la controverse qu'a suscitée la participation de l'évêque Hubert O'Connor à un cercle de guérison. Au lieu de subir un troisième procès relativement à des accusations d'agression sexuelle, l'évêque O'Connor a accepté de prendre part à un cercle de guérison où il se serait excusé d'avoir «dérogé à son voeu de chasteté». Parmi les détracteurs de cette démarche, certains laissent entendre que O'Connor n'a pas exprimé de remords en ce sens qu'il n'a pas reconnu le préjudice réel qu'il a causé en agressant ses victimes. Voir l'article de M. McLean, «Détermination des peines par cercle autochtone» Jurisfemme 18 : 1(1998), à la p. 4.

47 Lazare, supra note 4 à la p. 42.

48 Ibid. à la p. 43.

49 Minow, supra note 7 à la p. 115.

50 Débats de la Chambre des communes, supra note 21, à la p. 19499.

51 Ibid. à la p. 19501.

52 Par exemple, dans son rapport sur l'enlèvement et l'internement des enfants doukhobors pendant les années 1950, l'ombudsman de la Colombie-Britannique examine les conséquences possibles d'excuses qui chercheraient, en fait, à attribuer la responsabilité à d'autres. Dans ce rapport, l'ombudsman recommande au gouvernement de présenter des excuses inconditionnelles, explicites et publiques aux victimes, aujourd'hui adultes, relativement à cette terrible épreuve qu'ils ont subie pendant leur enfance. «Le gouvernement doit se concentrer sur ce qui est arrivé aux enfants pendant qu'ils étaient internés et non pas rationaliser la conduite de l'État en s'appuyant sur des événements mettant en cause les parents des enfants concernés. Ce faisant, on ne ferait que « victimiser» et meurtrir de nouveau ces enfants qui sont maintenant des adultes et qui vivent avec ces souvenirs et ce traumatisme». Ombudsman de la Colombie-Britannique, Righting the Wrong: The Confinement of Sons of Freedom Doukhobor Children (Public Report No. 38) par D. McCallum, Victoria, Office of the BC Ombudsman, avril 1999, à la p. 2, en ligne: (date d'accès : 13 avril 1999).

53 Tavuchis, supra note 8 à la p. 19.

54 Ibid, à la p. 17.

55 Excuses des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, supra note 35 à la p. 2.

56 BC Hansard, supra note 35.

57 Ainsi, Dean Miller, ancien enfant de choeur qui avait été agressé par le révérend Jim Hickey, a été insulté et a éprouvé de la colère et du désespoir après avoir reçu des excuses écrites de l'archevêque de St. John's. Ces excuses faisaient partie d'un règlement global proposé par l'Église catholique romaine à un certain nombre d'anciens enfants de choeur qui avaient été agressés sexuellement par des prêtres à Terre-Neuve. «Tout ce que fait l'Église dans la lettre, c'est s'excuser de ne pas nous être venue en aide après le fait. Elle ne reconnaît nulle part être responsable d'avoir laissé ces agressions être commises» a dit Miller. Voir «Church apology no balm for victim», Presse canadienne (27 octobre 1997), en ligne : QL (CPN).

58 Lazare, supra note 4 à la p. 76.

59 Tavuchis, supra note 8 à la p. 23.

60 Govier, supra note 10 à la p. 185 : «L'un des fondements du pardon est la croyance dans le fait que l'auteur de la faute non seulement reconnaît que ce qu'il a fait était mal mais en outre, le regrette sincèrement et s'engage à ne plus le faire».

61 Dancing the Dream, supra note 35 à 23 minutes.

62 Excuse Anglican, supra note 35 à la p. 2.

63 Lazare, supra note 4 à la p. 43.

64 «Apologies», supra note 31.

65 M. Ulmer, «Abuse victims get apology from Gardens», The Ottawa Citizen (24 janvier 1998).

66 «Déclaration de réconciliation», supra note 33.

67 BC Hansard, supra note 35.

68 Débats de la Chambre des communes, supra note 21, à la p. 19500.

69 Minow, supra note 7 à la p. 116.

70 Église unie du Canada, Why the Healing Fund? The United Church Response (brochure publiée par l'Église à propos de son fonds de guérison), Toronto (non daté), à la p. 3.

71 Église unie du Canada, communique«United Church names David MacDonald as special advisor», communiqué de presse, Toronto (25 novembre 1998), en ligne: (date d'accès : 17 février 1999).

72 Ministère des Affaires indiennes et du Nord, communiqué «Le Plan d'action du Canada pour les questions autochtones: orienté vers les collectivités et fondé sur la réconciliation et le renouveau», Ottawa (7 janvier 1998). La Fondation pour la guérison des Autochtones, société à but non lucratif, a été établie le 1er avril 1998 afin d'administrer la subvention de 350 millions de dollars. Pour de plus amples renseignements, voir la Fondation pour la guérison des Autochtones, Guide du Programme 1999, Ottawa, 1998, à la p. 1, en ligne: (date d'accès : 15 novembre 1999).

73 Ministère du Patrimoine canadien, Rapport final sur la mise en oeuvre de l'entente de redressement pour les Canadiens japonais, 1988, Ottawa, Ministère du Patrimoine Canadien, novembre 1997, à la p. 5.

74 Excuse jésuites, supra note 35, au par. 2.03.

75 Helpline Agreement, supra note 18 au par. 2.02.

76 Ibid. au par. 2.02.

77 Ibid. aux par. 4.02 et 4.03.

78 «Agreement Between the Grandview Survivors Support Group and the Government of Ontario», 1994, au par. 2.3.0, [ci-après Grandview].

79 Ibid. au par. 4.5.0.

80 Excuses jésuites, supra note 35 au par. 2.03.

81 Ibid. au par. 2.04.

82 Minow, supra note 7 à la p. 114.

83 Lazare, supra note 4 à la p. 43.

84 L. Norbert, Memo (To The Boys on Alternative Dispute Resolution), Grollier Hall Residential School Healing Circle, Yellowknife, 27 octobre 1998, à la p. 2. Le «dialogue exploratoire» a eu lieu à Morley, en Alberta, les 21 et 22 octobre 1998.

85 Excuse jésuites, supra note 35 à l'al. 2.03c).

86 Lazare, supra note 4 p. 78.

87 W. McCann, «Ontario government apologizes to sex abuse victims», Presse Canadienne, (25 juin 1996), en ligne : QL (CPN). Le Helpline Agreement supra note 18 donnait à entendre que le premier ministre présenterait les excuses du gouvernement, dans la mesure ou l'alinéa 4.03(d) était ainsi formulé : «Le premier ministre de l'Ontario proposera une résolution unanime à l'assemblée législative, dans laquelle seront reconnus les sévices commis dans les deux établissements et seront présentées des excuses à cet égard [...].»

88 Mercredi, supra note 24. Voir également B. Wallace, «The politics of Apology», Maclean's 111:3 (19 janvier 1998) à la p. 33 : «Jean Chrétien [...] n'était pas présent lorsque son gouvernement a présenté des excuses officielles aux peuples autochtones du Canada la semaine dernière. L'absence de Chrétien a été remarquée par certains chefs qui, agacés, ont estimé que les excuses avaient de ce fait moins de poids, qu'elles étaient formulées en termes faibles et que leur portée n'était pas suffisamment large.»

89 E. Anderssen, «Native leader to seek apology from Pope on residential schools», The Globe and Mail (3 octobre 1998). «Vatican puts off Fontaine», The Globe and Mail (23 octobre 1998).

90 Description fondée sur le texte intitulé «Agenda for Presentation of the Apology» (mai 1997) et renseignements généraux fournis par Shirley et Terry Whyte, de Alberni (C.-B.), lors d'un entretien téléphonique le 30 mars 1999.

91 Tavuchis, supra note 8 p. 88.

92 Jericho Individual Compensation (JIC) Program, How to Make a Claim Yourself - Step by Step Guidelines, Victoria, C.B., 5 Juin 1997) «Step 9» à la p.18 [ci-après Jericho Guidelines] .

93 Excuse jésuites, supra note 35 par. 2.03.

94 Grandview, supra note 78 par. 4.5.2.

95 Ibid., par. 4.5.2. Donna Lee, une victime de Grandview, a expliqué que le gouvernement jugeait essentiel de retarder les excuses afin de protéger le «droit [des inculpés] d'être présumés innocents jusqu'à ce que leur culpabilité ait été établie», droit garanti par l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi Constitutionelle de 1982, constituant l'annex B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-après Charte]. Le gouvernement qui s'engageait à faire des excuses aux victimes individuelles, aux termes de l'entente de Grandview, était le même qui allait poursuivre les délinquants pour agression sexuelle. Le gouvernement craignait, semble-t-il, que les excuses, si elles étaient faites avant la fin des procès, soient utilisées pour prouver que le délinquant inculpé avait perdu son droit à la présomption d'innocence. Entretien téléphonique avec Donna Lee (29 mars 1999).

96 Le procureur général de l'Ontario, Charles Harnick, a fait parvenir des lettres d'excuses individuelles aux victimes de Grandview en mai 1999. (Ministère du Procureur Général de l'Ontario, Bureau de Ministre, Toronto).

97 Comme nous l'avons signalé plus haut, les excuses collectives peuvent être faites avant les excuses individuelles et elles devraient être présentées au début du processus de réconciliation. La raison invoquée pour retarder la présentation d'excuses individuelles aux victimes de Grandview ne peut être étendue au scénario des excuses collectives. Si le gouvernement faisait des excuses collectives, on ne s'attendrait pas à ce qu'il reconnaisse les préjudices particuliers causés à telle ou telle personne par un inculpé. On s'attendrait plutôt à ce qu'il fasse des excuses pour ne pas avoir protégé d'une manière adéquate les jeunes filles de Grandview contre les mauvais traitements et les abus sexuels, et indique les mesures qu'il entend prendre pour réparer les torts dont il était responsable.

98 D. Leach, Evaluation of The Grandview Agreement Process: Final Report, Ministère du Procureur Général de l'Ontario, Toronto, juin 1997, à la p. 67: «L'application de l'entente ne sera pas terminée tant que les femmes n'auront pas reçu leur déclaration de reconnaissance individuelle des sévices infligés. Elles n'estimeront pas que le gouvernement a fait ce qu'il devait faire tant qu'elles n'auront pas reçu leurs " excuses ".»

99 Feldthusen, Hankivsky et Greaves, supra note 2, voir texte à la note 26.

100 Michael Ulmer, «Abuse victims get apology from Gardens» The Ottawa Citizen (24 janvier 1998).

101 Tavuchis, supra note 8 à la p. 100.

102 «Apology to First Nations», 31e conseil général, Église unie du Canada, août 1986, en ligne: (date d'accès : 28 octobre 1998).

103 Voir Excuse de l'Église unie du Canada, supra note 35. C'est en ces termes que le modérateur de l'Église unie du Canada, le très révérend Bill Phipps, a présenté des excuses lors de l'annonce de la décision de l'Église unie de préparer des excuses officielles en consultation avec des représentants des communautés de fidèles des Premières nations et d'autres personnes. Cette annonce découlait d'une résolution prise par le comité de direction du Conseil général : «Que le comité de direction du Conseil général désigne un groupe de 4 ou 5 personnes et l'autorise à élaborer le texte intégral des excuses et à mettre au point la formule selon laquelle elles seront présentées. À cette fin, des consultations devront avoir lieu avec des représentants des communautés de fidèles des Premières nations, la Division de la mission au Canada et les avocats de l'église~. Voir Comité de direction du Conseil général de l'Église unie du Canada, «the Motions of the Executive of General Council, 23-26 octobre 1998».

104 Wagatsuma et Rosett, supra note 43 à la p. 473.

105 Excuses presbytérienne, supra note 35, paragraphes 4 et 5.

106 B.C. Hansard, supra note 35.

107 Wawatay News (14 janvier 1999), à la p. 6.

108 Tavuchis, supra note 8 à la p. 95.

109 T. Aldridge, «Say sorry -- It's a costly mistake to deny obvious liability», Solicitors Journal (23 mai 1997) à la p. 486.

110 Ibid.

111 Wagatsuma et Rosett, supra note 43 à la p. 483.

112 D. Levi, «The Role of Apology in Mediation», [1997] N.Y.U.L. Rev. 1165 à la p. 1187.

113 Ibid. à la p. 1188.

114 Ulmer, supra note 100.

115 Certains juristes américains estiment que la présentation d'excuses n'est pas nécessairement néfaste pour le défendeur, qu'en fait, elle est susceptible de l'aider. Voir, par exemple, P. Rehm et D. Beatty, «Legal Consequences of Apologising» (1996) 1 Journal of Dispute Resolution 115, à la p. 118 :L'admissibilité [des excuses] en preuve ne signifie pas nécessairement qu'elles peuvent contribuer à l'établissement de la culpabilité. Comme des excuses peuvent normalement être admises en preuve, et que certains demandeurs préfèrent voir dans des excuses un aveu de culpabilité, il paraît prudent de ne pas faire d'excuses. La jurisprudence [américaine] indique toutefois que les tribunaux ne voient pas les choses de cette manière. Les juges et les jurys semblent aimer les excuses et les accueillir favorablement. Souvent, les excuses n'aident aucunement le demandeur à s'acquitter du fardeau de la preuve.

116 Charte, supra note 95. 11c).

117 R. c. English (1991), 95 Nfld. & P.E.I.R. 147, 301 A.P.R. 147, aux par. 5 - 6. Le frère English a été déclaré coupable quant à 13 chefs d'accusation (soit neuf chefs d'attentat à la pudeur, deux de grossière indécence et deux de voies de fait ayant causé des lésions corporelles).

118 «Former guard found guilty of sex assault», Canadian Press Wire Service, (26 juin 1998), en ligne : QL (CPN).

119 B. Belec, «Ex-Cashel worker guilty, apologizes to victims», The Evening Telegram (21 octobre 1998).

120 R. c. Clancy (10 novembre 1998), décision non publiée (Prov. Ct. de T.-N. Power, J.).

121 Michael Harris, Unholy Orders - Tragedy at Mount Cashel, Markham, Penguin Books Canada Ltd., 1990, à la p. 12.

122 «Apologies», supra note 31, partie 1.

123 C. Barnett, «Circle Sentencing / Alternative Sentencing», (1995) 3 C.N.L.R. 1 à la p.6.

124 R. c. Northwest Territories Power Corporation (1989), 5 C.E.L.R. (N.S.) 57, à la p. 66.

125 L.R.C. 1985, c. F-14, par. 41(2).

126 R. c. Northwest Territories Power Corporation (1990), 5 C.E.L.R. (N.S.) 67, à la p. 80.

127 R. c. Northwest Territories Power Corporation (1990), à la p. 75 - 77.

128 Louise Langevin, lettre adressée à la Commission du droit du Canada au sujet du Renvoi de la Ministre sur les sévices contre les enfants placés en établissements, 21 janvier 1999, Faculté de Droit, Université Laval, Québec.

129 Uzoaba c. Service correctionnel du Canada (1994), 26 C.H.R.R. D/361, p. D/422 (C.C.D.P.).

130 Grover c. Conseil national de recherches du Canada (1992), 18 C.H.R.R. D/1, p. D/55 (C.C.D.P.). D'autres ordonnances relatives à des excuses figurent dans les décisions suivantes : Radovanovic c. Via Rail Canada Inc. (1994), 26 C.H.R.R. D/149, p. D/162 (C.C.D.P.) ; Brown c. Ministère du Revenu national (Douanes et accise) (1993), 19 C.H.R.R. D/39, p. D/61 (C.C.D.P.) ; Association canadienne des paraplégiques c. Élections Canada (1992), 16 C.H.R.R. D/341, p. D/376 (C.C.D.P.) ; Naqvi c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et Ministère des Affaires extérieures (1993), 19 C.H.R.R. D/139, p. D/171 (C.C.D.P.). On ne sait pas si ces excuses ont eu un effet sur le plan de la réparation et de la guérison. Dans de tel cas, les excuses sont imposées par le tribunal et élaborées unilatéralement par les mis en cause, qui ne consultent pas la victime quant à la formulation et au contenu.

131 Par exemple, Tornberg c. Worrell, [1995] A.J. No. 1312 (B.R.), in ligne: QL et Snider c. Calgary Herald (1985), 41 Alta. L.R. (2d) 11.

132 K.A.T. c. J.H.B., [1998] B.C.J. No. 1141 (C.S. C.-B.) en ligne: QL.

133 Muir c. Alberta (1996), 132 D.L.R. (4e) 695 (B.R. Alb.), au par. 153.

134 Minow, supra note 7 à la p. 112.

135 Boys Don't Cry, supra note 1 à la p. 175.

136 Wagatsuma et Rosett, supra note 43 à la p. 495: «Un mécanisme qui s'articulerait autour des excuses et de l'indemnisation serait bien adapté à un système de justice qui, de plus en plus, essaie de résoudre les conflits par les règlements amiables, la médiation ou les mécanismes extrajudiciaires de règlement des différends, plutôt que par le procès (Menkel-Meadow, 1984 :789).»

137 Leach, supra note 98 à la p. 54.

138 Par exemple, la clause 2.03 du Helpline Agreement, supra note 18: «Aucune déclaration équivalant à un aveu de responsabilité civile n'est prévue à titre d'élément des excuses qui seront faites» ; la clause 10.5 de l'entente de Grandview supra note 78: «Les parties sont convenues que la présente entente ne constitue pas un aveu de responsabilité, ni la renonciation à quelque moyen de défense qui pourrait être invoqué dans le cadre d'actions civiles si la présente entente n'avait pas été conclue» ; la clause 2.06 de l'entente de réconciliation des jésuites : «Aucune clause de la présente entente et de ses annexes ni les excuses qui pourraient être faites ne constitueront un aveu de responsabilité.»

139 David McCann, épilogue du livre intitulé Boys Don't Cry, supra note 1 à la p. 294.

140 R. c. Gallagher, [1995] B.C.J. no 1753 (décision sur la peine) en ligne: QL.

141 Entretien téléphonique avec Gerry Stolz, 30 mars 1999.

142 Source: propos de Lorne Siple à la réunion du comité d'étude sur les sévices dans les établissements (Commission du droit du Canada) tenue à Hull le 23 janvier 1999, observations écrites qu'il a fait parvenir à la Commission du droit le 31 mars 1999 et entretien téléphonique du 31 mars 1999.


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