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Page d'accueil À propos de nous Rapport Document de discussion 1999 Document de discussion - La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle...

À propos de nous

Rapport

Document de discussion

La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes

Document de discussion

Mai 2000
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Préface

La Commission du droit du Canada a choisi le thème des « rapports personnels » dans le cadre de ses recherches, notamment pour souligner l'importance que les êtres humains attachent aux rapports qu'ils tissent entre eux. La Commission du droit énonçait d'ailleurs dans son Plan stratégique à cet égard que « le droit canadien repose sur un certain nombre d'hypothèses sur la manière dont les personnes organisent leur vie privée et se lient avec leurs partenaires, parents et enfants et ceux et celles qui forment un Foyer. Ces hypothèses sont souvent dépassées par les faits. ».

Ce Document de discussion aborde la question des rapports personnels étroits entre adultes. La Commission du droit a constaté que les adultes établissent, pour une foule de raisons, des rapports personnels étroits entre eux, et que ces rapports présentent également une grande diversité. Ce document examinera donc les prémisses et les objectifs qui sous-tendent les dispositions législatives actuelles régissant ces rapports, en amorçant une réflexion sur les raisons qui justifient l'intervention du législateur de réglementer les rapports de nature personnelle entre adultes.

Les solutions actuelles retenues par le Parlement en matière de reconnaissance et de soutien des rapports personnels entre adultes ne correspondent pas toujours aux attentes de la société à cet égard. La Commission a relevé, dans le présent Document, certains des principaux enjeux dont le Parlement devra tenir compte s'il entend procéder à une réforme du droit régissant les rapports de nature personnelle entre adultes. Quels concepts juridiques pourraient guider le Parlement afin qu'il apporte des réponses pertinentes aux besoins de notre société contemporaine tout en ne faisant aucune discrimination indue entre les divers types de rapports personnels entre adultes?

La version préliminaire de ce Document de discussion a été réalisée par Nathalie Des Rosiers, vice-présidente de la Commission du droit du Canada. La documentation ayant servi à la préparation du document fut principalement recueillie et colligée par Susan Alter, agent de recherche à la Commission. Nous leur sommes très reconnaissants pour les efforts qu'elles ont consacrés à peaufiner le fruit de nos recherches. Nous aimerions également remercier les autres personnes ayant collaboré à la bonne marche de ce projet élaboré sous le thème des rapports personnels ayant trait aux adultes. Notamment, les professeurs Martha Bailey, Brenda Cossman, Kathleen Lahey, Bruce Ryder, et Claire Young qui ont chacun rédigé un document de travail pour le compte de la Commission. Aussi, les suggestions et commentaires de ceux et celles qui ont participé au Comité d'étude constitué dans le cadre de ce projet ont également été grandement appréciés.

La Commission du droit espère, grâce à ce Document de discussion, susciter un débat de fond qui apportera un éclairage supplémentaire à nos recherches et aidera la Commission à préparer son rapport en la matière. Nous vous invitons à nous faire part de vos commentaires concernant les approches adoptées jusqu'à maintenant à cet égard en droit canadien ainsi que vos réflexions sur les changements qui pourraient ou, le cas échéant, devraient être apportés à notre droit afin que celui-ci tienne compte de la diversité des rapports de nature personnelle entre adultes que nous constatons dans la société d'aujourd'hui. N'hésitez pas à nous faire part de vos commentaires et réflexions à l'adresse suivante :

Par la poste :Commission du droit du Canada
473, rue Albert, pièce 1100
Ottawa (Ontario)
Canada, K1A 0H8
Par télécopieur :(613) 946-8988
Par courriel :info@cdc.gc.ca
Via Internet :http://www.cdc.gc.ca


Table des matières

A. La diversité des rapports personnels entre adultes
B. La nature et la raison d'être des rapports personnels entre adultes

A. L'organisation des politiques juridiques
B. L'intérêt de l'État en matière de rapports personnels entre adultes

A. Cohérence
B. Égalité
C. Efficacité et vie privée

A. Concilier les politiques et la pratique
B. Statut et reconnaissance



Sommaire

Les rapports humains constituent les fondements de la société. Ces rapports peuvent se présenter sous plusieurs formes. Il s'agit parfois de rapports occasionnels, dénués d'intimité, ou alors, de rapports empreints d'affection et de continuité. Ce Document de discussion porte sur l'étude des rapports personnels étroits entre adultes. Il commence tout d'abord les divers types de rapports de nature personnelle entre adultes que l'on retrouve au Canada aujourd'hui. Ensuite, il examine les motifs pour lesquels l'État a choisi de reconnaître et de soutenir certains de ces rapports personnels et comment il a procédé pour ce faire. Le Document de discussion se penche alors sur les difficultés rencontrées par le Parlement dans sa quête visant à arrimer convenablement les règles de droit aux besoins et aux attentes de la société. Dans ses conclusions, le document présente différentes pistes permettant d'entreprendre une réforme des approches adoptées jusqu'à présent dans notre droit en vue de reconnaître et de soutenir les rapports de nature personnelle entre adultes.

Les amis, la famille et les êtres chers

Une grande diversité de rapports étroits entre adultes au sein d'une société témoigne de son dynamisme. Par ailleurs, le fait qu'il soit permis aux individus de tisser des rapports significatifs entre eux qui apportent bonheur et réconfort témoigne du pluralisme et de la liberté au sein d'une société. De nos jours, la plupart des rapports personnels étroits entre adultes se manifestent par le fait pour deux personnes de vivre sous un même toit. Il arrive souvent que ces adultes soient mariés, mais cela n'est pas toujours le cas. Parfois, ces rapports s'établissent entre deux adultes de sexe opposé faisant vie commune. Il arrive aussi qu'ils s'établissent entre deux adultes de même sexe vivant ensemble. Aussi, à l'occasion, des rapports personnels étroits s'établissent entre amis, frères et soeurs, ou encore entre des parents et leurs enfants devenus adultes, ou entre d'autres personnes qui partagent un même domicile.

Les adultes tissent des rapports étroits entre eux pour une foule de raisons. L'établissement d'un rapport de nature personnelle entre deux adultes permet généralement à chacun d'y trouver une source de sécurité, de soutien mutuel, d'affection et d'épanouissement. Normalement, les tâches et responsabilités quotidiennes deviennent plus faciles à gérer lorsqu'elles sont partagées. Il arrive, évidemment, que les rapports personnels étroits entre adultes soient également source de peine, de douleur, d'exploitation, et même de violence. Sans aucun doute, le soutien physique, psychologique, émotionnel et économique sont des éléments essentiels liés à l'intimité et l'interdépendance que chaque partenaire retrouve dans le cadre de ses rapports personnels.

La reconnaissance juridique des rapports de nature personnelle entre adultes

Le droit canadien consent des efforts considérables à la protection des intérêts des individus. Ce qui est néanmoins moins apparent, ce sont les multiples interventions législatives visant la reconnaissance, le soutien et la protection des rapports entre ces mêmes individus. Règle générale, les lois tiennent compte de la valeur intrinsèque des rapports personnels étroits entre adultes et, dans plusieurs cas, cherchent explicitement à les soutenir et à les encadrer. De plus, le Parlement s'inspire parfois de ces rapports pour mettre en oeuvre diverses autres politiques et offrir des programmes sociaux. Les gouvernements sont conscients que les adultes qui prennent soin l'un de l'autre et qui se prêtent un secours mutuel sont sans doute les mieux outillés pour assumer certaines des responsabilités qui pourraient par ailleurs incomber à ces mêmes gouvernements.

Or, jusqu'à maintenant, le Parlement n'a pas énoncé clairement les raisons motivant ses interventions au soutien des rapports personnels étroits entre adultes. La plupart du temps d'ailleurs, il a tout simplement fait référence au modèle le plus évident de rapports personnels établis entre adultes -- les rapports établis entre époux -- et en a fait un véhicule pratique pour promouvoir la mise en oeuvre de politiques et de programmes spécifiques. Qui plus est, en raison de la tentation de recourir à ce modèle passe-partout pouvant commodément servir à définir les rapports de nature personnelle entre adultes, plusieurs autres politiques qui n'ont rien à voir comme tel avec l'objectif de soutenir les rapports entre adultes ont été conçues par référence à ce modèle.

Au fil des ans, afin de suivre l'évolution de la société, le Parlement s'est senti dans l'obligation d'étendre l'application de bon nombre de ses programmes au-delà du seul groupe des couples mariés. En premier, ce mouvement a étendu le traitement réservé aux personnes mariées aux personnes faisant vie commune. Par la suite, pour se conformer aux décisions des tribunaux, le Parlement a choisi de conférer aux couples non mariés homosexuels et hétérosexuels des droits et obligations identiques. Pourtant, puisque le Parlement n'avait pas procédé à une analyse globale des raisons sous-tendant les politiques à la base des divers programmes offerts par l'État, il s'ensuivit que tous les rapports personnels étroits entre adultes n'ont pas joui d'une reconnaissance juridique équivalente. Lorsque l'on fait la corrélation entre les objectifs issus des politiques apparemment visés par leur adoption, nous constaterons que plusieurs lois pourraient aujourd'hui être caractérisées à la fois par une trop faible inclusion ou une trop large inclusion des individus qu'elles visent.

Les défis sur le plan du droit et des politiques

Les orientations qui teintent présentement la reconnaissance et le soutien des rapports personnels étroits entre adultes sont de plus en plus remises en question. Lorsque le Parlement sera appelé à reformuler ses lois, il aura d'énormes défis à relever. Tout d'abord, afin de surmonter le problème d'inclusion soit trop faible, soit trop large, il devra réfléchir sérieusement aux politiques sous-tendant ses interventions dans chaque cas. En effet, il ne faut pas traiter de façon identique toutes les situations où des rapports personnels étroits entre adultes sont en cause. Le Parlement sera alors interpellé quant à l'opportunité de déterminer la portée des programmes qu'il propose en se référant aux objectifs qu'il entend réaliser, plutôt qu'en se référant à des concepts -- comme le mariage, par exemple -- qui se substituent en quelque sorte à ces objectifs.

Parmi ces défis, il faudra veiller à ne pas répéter les scénarios antérieurs empreints de discrimination et d'iniquité. Il arrive fréquemment que des lois reproduisent, par mégarde, des distinctions qui rendent inéquitables les effets de leur application, même si à prime abord la conception de telles dispositions législatives semble neutre. L'atteinte de l'égalité dans les lois régissant les rapports de nature personnelle entre adultes exige que le Parlement élabore les critères d'inclusion et d'exclusion en tenant pleinement compte à la fois de la forme et de l'effet réel des critères retenus.

Un dernier défi qu'il faudra relever consistera à trouver un juste équilibre entre, d'une part, les objectifs de cohérence et d'égalité et, d'autre part, les impératifs d'efficacité et de respect de la vie privée. Parfois, les coûts liés à l'établissement et au suivi de critères d'admissibilité seront trop onéreux par rapport aux objectifs poursuivis par le texte législatif envisagé. À d'autres occasions, l'application des critères prévus exigerait que des fonctionnaires se mêlent des détails intimes de la vie des personnes visées par les lois en cause. Le plus grand défi que le Parlement aura à relever en matière de réforme du droit consiste sans doute à découvrir des concepts juridiques permettant de mettre de l'avant les politiques désirées, de s'assurer qu'elles seront relativement faciles à administrer et qu'elles soient conformes aux exigences inhérentes au respect de la vie privée des individus.

La reconsidération des rapports personnels étroits entre adultes

Quels principes devraient régir la reconsidération des textes législatifs visant des situations mettant en cause des rapports de nature personnelle entre adultes, et comment pourrait-on mettre ces principes en pratique? En premier lieu, il faudrait que le Parlement passe en revue toutes les lois actuelles pour déterminer si le recours aux concepts que sont notamment le concept de mariage et le concept de conjoint, est effectivement lié à une question se rapportant à un rapport d'ordre matrimonial. Dans la négative, il y aurait lieu de reformuler les lois en cause de manière à ce qu'elles expriment les objectifs visés par leur adoption en faisant appel à des concepts qui sont liés aux objectifs que le Parlement cherche réellement à atteindre.

Ensuite, le Parlement devra décider comment énoncer le plus convenablement possible les dispositions législatives ayant directement trait à des rapports étroits entre adultes de manière à s'assurer à tout coup qu'il y ait effectivement cohérence entre la politique désirée et le libellé des textes employés pour la réalisation de cette politique. Il faudra alors distinguer entre les conséquences juridiques qui ont jusqu'à maintenant été liées au fait que l'on ait conféré un statut à un rapport personnel donné, et le rapport personnel effectivement visé par ce statut.

Afin de rédiger convenablement les lois énonçant les conséquences qui sont censées découler d'un rapport de nature personnelle entre adultes, le Parlement devrait suivre un processus en trois étapes. Premièrement, il conviendrait de clarifier les objectifs qui sous-tendent -- ou devraient sous-tendre -- les politiques et programmes mis de l'avant. Deuxièmement, le Parlement devrait élaborer de nouveaux concepts juridiques qui s'adressent effectivement aux rapports personnels visés par les politiques envisagées. Troisièmement, il y aurait lieu d'évaluer l'effet de l'application de ces nouveaux concepts dans le cadre du contexte dans lequel ces concepts sont appelés à intervenir.

Le fait de clarifier les politiques législatives et d'inventer des nouveaux concepts permettant de lier directement les politiques législatives aux faits observables inhérents à des rapports étroits entre adultes aidera sans contredit à assurer la cohérence, la justice et l'efficacité des mesures législatives. Mais pour plusieurs personnes au Canada, ce qui est en cause c'est bien davantage que la substance même des règles de droit régissant les rapports personnels étroits entre adultes. En effet, ces personnes estiment que tant et aussi longtemps que le Parlement continuera à reconnaître au mariage un statut privilégié sur le plan des rapports personnels, tous les couples qui désireraient se marier devraient être en droit de le faire.

Plusieurs possibilités s'offrent au Parlement s'il juge opportun de reconsidérer le statut qu'il entend conférer à divers rapports personnels étroits entre adultes. Notamment, il pourrait redéfinir le mariage de manière à y inclure des rapports personnels qui en sont présentement exclus. Ou encore, supplémenter ou remplacer le concept du mariage par un système d'enregistrement des rapports personnels. Il pourrait alors proposer une gamme de statuts assujettis à l'enregistrement, parmi lesquels les gens pourraient choisir suivant le statut qui conviendrait le mieux, à leur avis, à leur situation.

La recherche du moyen qui convient le mieux pour assurer la reconnaissance et le soutien des rapports personnels étroits entre adultes interpelle le Parlement en le confrontant à des problématiques complexes. Non seulement ces problématiques soulèvent-elles des questions quant à notre conception du rôle de l'État, mais aussi quant à nos croyances les plus profondément ancrées concernant la manière dont les adultes devraient pouvoir organiser les rapports qu'ils tissent entre eux. Peu importe s'il décide ou non d'entreprendre une réflexion sur la question du statut conféré à divers rapports personnels entre adultes, le Parlement ne pourra pas éviter de remettre en cause les concepts qui lui servent présentement de fondement pour cibler les bénéficiaires des programmes qu'il met de l'avant. Ce n'est qu'après un tel exercice qu'il pourra avoir l'assurance que ces programmes bénéficient effectivement à tous les rapports personnels étroits entre adultes qu'il entend réellement reconnaître et soutenir.


I Introduction

Les souvenirs et albums photo de notre enfance nous rappellent nos amis, nos familles et les autres êtres qui nous sont chers. Ces souvenirs et ces albums recèlent une mine d'informations au sujet des personnes qui importaient le plus à nos yeux à cette époque. Le générique des personnages qui y figurent révèle la grande diversité des rapports personnels que nous avions établis alors. Avec le recul, nous constatons aujourd'hui à quel point ce tissu de rapports personnels liant les personnes qui nous sont chères était complexe.

Ce sont maintenant les enfants d'aujourd'hui qui gravent dans leur mémoire les souvenirs de leurs amis, de leur famille et des êtres qui leur sont chers. Imaginons-les en train de nous parler de leurs proches. L'un de ces enfants nous parle du vingt-cinquième anniversaire de mariage de ses parents, de son père qui doit voyager d'une ville à une autre à chaque semaine en raison de son travail, de son frère aîné handicapé qui habite dans un foyer avec d'autres adultes, et du père de sa mère qui habite dans une résidence pour personnes âgées. Un autre nous décrit son père et sa mère par alliance, lesquels viennent d'adopter un jeune garçon, sa mère habitant avec son nouvel ami de coeur, la mère de son père qui vit avec une tante qui ne s'est jamais mariée, et son cousin qui vient tout juste d'emménager chez eux pour poursuivre ses études. Un troisième enfant parle de sa mère qui habite maintenant avec un conjoint de sexe féminin, de la personne à la retraite qui habite en pension chez sa mère et son amie, et de membres de sa parenté qui habitent ensemble dans une coopérative de logements. Un autre enfant raconte l'histoire de son oncle qui arrive d'outre-mer et qui vient d'emménager avec elle et ses parents, de la veuve qui habite près de chez eux et qui vient souper tous les jeudis, et de son grand-père dont l'aide-ménagère habite chez lui.

Les enfants décrivent habituellement les personnes qui vivent dans le cadre de toutes ces diverses situations de cohabitation comme faisant partie de leur famille -- et ceci même lorsqu'il n'existe aucun lien juridique officiel entre ces personnes. Nos enfants voient bien qu'il existe toutes sortes de rapports entre adultes qui soit vivent ensemble, soit vivent très rapprochés l'un de l'autre, et qui ont développé des liens d'affection entre eux. Les rapports caractérisés par une interdépendance émotive et économique des existences des individus sont à la base de la vie en société que l'on connaît aujourd'hui au Canada. Or, la diversité de ces rapports continue à créer, comme toujours d'ailleurs, des défis particuliers pour notre système de droit.

Ce Document de discussion aborde la problématique des rapports de nature personnelle entre adultes. Ceci ne signifie pas que d'autres types de rapports personnels étroits, par exemple les rapports entre générations dans le cadre de l'éducation des enfants, n'ont pas autant d'importance. Nous avons choisi de cibler, dans le cadre de la présente recherche, les rapports d'interdépendance entre adultes qui vivent présentement, ou qui ont déjà vécu, ensemble dans un même ménage.

Dans le premier chapitre, nous faisons un survol des divers types de rapports personnels entre adultes qui existent présentement au sein de la société canadienne. L'on y présente certaines des raisons motivant l'établissement de rapports personnels étroits par des adultes, et aussi certains des besoins que l'on cherche à combler en tissant ces rapports.

Au deuxième chapitre, l'on examine les prémisses et les objectifs qui sous-tendent les politiques législatives qui existent aujourd'hui. Il y est également question des raisons motivant l'intervention de l'État, par sa réglementation, dans des rapports personnels étroits entre adultes, passant brièvement en revue certains programmes mis de l'avant par le Parlement dans le cadre de ces politiques.

Le troisième chapitre relève un certain nombre de difficultés occasionnées par la façon que le Parlement a conçu, jusqu'à présent, le rôle qui lui appartient dans la reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes. L'on y aborde les défis que les gouvernements doivent relever s'ils veulent s'assurer que le droit réponde convenablement aux attentes de la société, compte tenu des politiques et des objectifs qu'ils cherchent à mettre de l'avant.

Enfin, ce Document de discussion fait le bilan de certaines des questions les plus épineuses auxquelles le Parlement devra s'attaquer s'il désire procéder à la réforme du droit régissant les rapports personnels étroits entre adultes. Quels concepts juridiques peuvent inspirer ses interventions de manière à répondre aux besoins de notre société contemporaine sans pour autant mener à une discrimination injuste entre les divers types de rapports de nature personnelle entre adultes?


II Les rapports personnels entre adultes dans la société d'aujourd'hui

Les êtres humains sont des êtres de nature sociable qui établissent constamment des rapports les uns avec les autres. Les rapports établis entre adultes se présentent sous diverses formes. Parfois, il peut s'agir de rapports étroits, continus et empreints d'affection. Par contre, d'autres rapports peuvent être occasionnels et dénués d'intimité. Ainsi, une personne peut établir un rapport de nature commerciale ou économique avec un garagiste ou un épicier. Une personne peut aussi entretenir un rapport de nature sociale avec des partenaires de quilles ou encore les membres d'un club de lecture. Une personne peut entretenir un rapport de type communautaire avec des gens de son quartier. Une personne peut ressentir un lien profond avec un cousin ou une cousine, ou avec un collègue de travail. Ou encore, une personne peut partager une maison ou un logement avec un conjoint, un ami ou un membre de sa famille.

Les adultes qui vivent ensemble, ou cohabitent, sous un même toit vivent cette situation en faisant appel à diverses modalités : ils peuvent être mariés; vivre en union de fait de nature hétérosexuelle ou homosexuelle; partager un logement avec leur enfant adulte, leur frère ou leur soeur, ou encore un ami; vivre dans une coopérative de logements avec d'autres personnes; vivre dans un foyer de groupe ou une résidence pour personnes âgées; et ainsi de suite. L'établissement d'un rapport personnel où des personnes cohabitent permet généralement à chacun d'y trouver une source de réconfort, de sécurité, d'épanouissement et de bonheur. Il arrive toutefois que de tels rapports soient également source de peine, de douleur, d'exploitation, et même de violence. Aussi, l'établissement de tels rapports peut avoir un effet positif sur le développement de l'individu, de sa personne, tout comme cela peut constituer une contrainte à cet épanouissement. Que cela soit pour le meilleur ou pour le pire, ces rapports servent à structurer le sentiment d'appartenance de l'individu à une collectivité et même à définir l'identité propre de l'individu.

En raison de l'importance que les personnes accordent aux rapports de nature personnelle établis entre des adultes qui se vouent une affection très profonde, il serait raisonnable de penser que les gouvernements prennent part à leur reconnaissance ou contribuent à tout le moins à leur épanouissement. Les gouvernements ont, ici au Canada, assumé un tel rôle. En effet, un grand nombre de politiques sociales en place aujourd'hui ont pour objet de soutenir et d'appuyer les rapports personnels entre adultes; aussi, de nombreuses obligations de nature juridique sont imposées aux personnes qui vivent présentement ensemble ou qui ont déjà vécu ensemble.

Cependant, la reconnaissance et le soutien officiels de ces rapports peuvent, dans certains cas, engendrer des effets indésirables, aussi bien pour la société en général que pour les personnes en cause. Par exemple, certaines dispositions législatives peuvent ériger des distinctions inéquitables entre divers types de rapports. Elles peuvent aussi conférer des avantages importants, ou encore imposer des responsabilités tout aussi importantes, aux individus participant à certains types de rapports personnels. En contrepartie, ces avantages ou ces responsabilités, selon le cas, peuvent inciter certaines personnes à demeurer dans une relation alors que les rapports personnels établis avec l'autre ont évolué de manière à engendrer de la violence ou de l'exploitation. Ou encore, ces interventions peuvent inciter des personnes à éviter d'établir un certain type de rapport personnel avec une autre personne alors qu'elles désireraient par ailleurs établir une telle relation en l'absence de ces interventions de nature juridique.

Certains estiment donc, pour les raisons exprimées ci-dessus, qu'il y aurait lieu de revoir certaines conceptions présentement véhiculées dans nos lois. À leur avis, les gouvernements ne devraient pas adopter des politiques dont l'objectif général est de reconnaître et de soutenir les rapports personnels, surtout lorsqu'il s'agit de rapports personnels étroits entre adultes. Ils proposent plutôt que le Parlement devrait orienter ses interventions en fonction de la protection des individus. Dans une telle perspective, ils avancent qu'il faudrait s'assurer qu'autant que possible les adultes vivant des rapports personnels étroits aient exactement les mêmes droits et obligations que les personnes qui ne participent pas à de tels rapports personnels étroits.

Cette réflexion sur les effets potentiels des interventions gouvernementales sur les décisions que nous prenons à titre d'individus quant à l'établissement ou au maintien d'un rapport personnel étroit avec un autre adulte soulève des questions fondamentales en matière de politique juridique. Jusqu'à quel point les gouvernements devraient-ils assumer un rôle qui ultimement influence l'établissement de rapports personnels de cette nature? Devraient-ils délibérément chercher à concevoir des politiques et des programmes dans le dessein de maintenir les rapports établis entre eux par des adultes? Ou devraient-ils plutôt voir à orienter leurs politiques en fonction de l'individu, en ne cherchant à promouvoir et à régir les rapports personnels entre adultes uniquement lorsque l'approche centrée sur l'individu s'avère inappropriée?

A. La diversité des rapports personnels entre adultes

De toute évidence, il n'est pas facile de répondre à ces questions. Plusieurs personnes répondraient sans doute : « Tout dépend du genre de rapport personnel dont il s'agit. » En somme, la difficulté liée à la recherche des réponses à ces questions est due à la grande variété de rapports de nature personnelle que les adultes ont choisi d'établir. Le fait qu'aucun rapport personnel n'est identique est une vérité incontournable. Même si l'on voulait classer en des catégories générales certains types de rapports personnels étroits -- par exemple, l'amitié profonde entre deux adultes vivant ensemble, le mariage, les rapports familiaux caractérisés par un soutien mutuel, les unions libres -- les rapports personnels ainsi établis ne présenteraient pas tous des caractéristiques identiques à l'intérieur d'une même catégorie.

La diversité des divers rapports personnels dont il est question apparaît aisément lorsque l'on réfléchit aux interrogations suivantes qu'il y a lieu de se poser au sujet des rapports personnels étroits entre adultes :

  • Quel est le degré d'intégration et d'interdépendance au sein du rapport en cause?

  • Quel est le degré de dépendance mutuelle au sein du rapport en cause?

  • Quel est le degré d'intimité au sein du rapport en cause?

  • Jusqu'à quel point s'agit-il d'un rapport personnel durable?

  • Jusqu'à quel point le soutien des autres personnes à charge est-il important au sein du rapport en cause?

  • Jusqu'à quel point le fait de vivre au sein du même ménage est-il un élément important du rapport en cause?

  • Quel sens les personnes ayant établi le rapport en cause attribuent-elles à leur relation?

En tenant compte de ces divers éléments pouvant caractériser les rapports dont il est question, imaginez maintenant l'étendue de la gamme des différences pouvant exister entre chacun des rapports personnels établis par des adultes.

1. L'intégration et l'interdépendance : Le degré d'intégration et d'interdépendance est très élevé dans certains types de rapports personnels. Le public en général perçoit l'intégration et l'interdépendance par la manifestation des divers éléments de ces caractéristiques; parmi ceux-ci, signalons l'élément physique, l'élément intellectuel, l'élément économique, et l'élément émotionnel.

Une personne peut être physiquement dépendante d'une autre; cette personne peut avoir besoin d'aide pour satisfaire à ses besoins les plus intimes, sans nécessairement offrir en retour de l'aide à l'autre personne. Même en l'absence de dépendance au sens propre, les capacités physiques de personnes ayant établi des rapports personnels entre elles ne sont pas nécessairement les mêmes. Ainsi, l'une de ces personnes peut avoir à assumer une plus large part des tâches nécessitant un travail physique au sein d'un ménage.

Il existe aujourd'hui une multitude de rapports familiaux pour lesquels le langage n'a pas suffisamment évolué pour que nous soyons en mesure de les décrire convenablement. Cette situation risque d'avoir de sérieuses conséquences sur le plan politique. Par exemple, nous avons tendance à inclure sous le terme des relations « familiales » des conjoints les relations parent-enfant, les relations entre frères et soeurs et des relations familiales plus étendues. Une des hypothèses étant que les relations des conjoints et de la famille faisaient référence aux mêmes adultes, et pourtant ce n'est plus le cas pour un nombre grandissant de personnes. Celles-ci ne sont pas mariées et ne vivent pas non plus avec le parent biologique de leurs enfants, et par ailleurs elles peuvent très bien être mariées avec quelqu'un d'autre. Si ces relations sont simplement identifiées comme des relations « familiales », sans que l'on reconnaisse la différence fondamentale des relations qui sont en cause, on risque d'aboutir à une confusion des idées et à l'élaboration de politiques inadaptées. [notre traduction]

M. Eichler, Family Shifts -- Families, Policies, and Gender Equality, Toronto, Oxford University Press, 1997 aux pp. 2-3.

Dans le cadre d'autres rapports personnels entre adultes, il se peut qu'une personne n'ait pas les capacités intellectuelles requises pour pouvoir vivre de manière autonome, ou encore a peut-être dû abandonner ses études avant même d'avoir appris à lire ou à écrire. Alors, l'autre contribue à leurs besoins en se chargeant de l'organisation du budget du ménage et en s'occupant des fonctions qui requièrent des aptitudes financières ou d'autres compétences de cette nature.

La répartition du travail et des tâches nécessaires au maintien des rapports personnels établis entre adultes présuppose un certain degré d'interdépendance économique. Fréquemment, l'une de ces personnes travaille à la maison et s'occupe des tâches ménagères, alors que l'autre travaille à l'extérieur, gagnant alors un revenu permettant de financer cette façon de faire. Par contre, il arrive aussi que ce sont les deux personnes qui travaillent à l'extérieur du domicile et qui se partagent les tâches ménagères. Aussi, dans certains cas, ces personnes possèdent un compte bancaire conjoint alors que chez d'autres couples, cela n'est pas le cas.

Les personnes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux peuvent avoir des besoins différents sur le plan émotionnel. L'une peut posséder une forte personnalité, l'autre non. L'une peut avoir tendance à régler les conflits en les évitant, alors que l'autre a plutôt tendance à la confrontation. Tant au sein de leur relation qu'à l'égard des personnes à l'extérieur de cette relation, les personnes en cause peuvent adopter un rapport d'interdépendance impliquant la répartition des responsabilités de manière à satisfaire les besoins et les capacités de chacun sur le plan émotionnel.

2. La mutualité : Certains rapports entre adultes permettent aux personnes qui y participent de s'émanciper et de s'épanouir, alors que d'autres sont plutôt source de frustration et d'anxiété. Certains sont harmonieux et jouissent d'un niveau élevé de mutualité, alors que d'autres sont plutôt caractérisés par la prévalence d'un climat de crainte, de manipulation et de violence. D'autres encore passent souvent d'un climat d'affection à un climat d'exploitation.

3. L'intimité : Certains rapports sont caractérisés par la présence d'un degré élevé d'intimité -- les individus qui y participent se livrent leurs confidences, partagent leurs espoirs et leurs craintes, profitent de moments privilégiés ensemble. L'intimité peut se vivre sur les plans émotionnel, spirituel et physique. Certains rapports sont caractérisés par une intimité sexuelle. Par ailleurs, dans d'autres types de rapports, comme par exemple ceux établis entre les frères et soeurs vivant sous un même toit, il peut y avoir un niveau élevé d'intimité sur les plans émotionnel et spirituel, alors que l'intimité sur le plan sexuel se manifeste avec d'autres personnes.

4. La durée : Certains rapports de nature personnelle entre adultes durent jusqu'au décès de l'une des personnes participant à cette relation, alors que d'autres ne durent que peu de temps. Mais dès qu'un rapport personnel dure un certain temps, il évolue : les rapports personnels sont, en ce sens, dynamiques. Les changements peuvent se présenter sous diverses formes. Les rapports peuvent se détériorer avec le temps ou au contraire, ils peuvent s'améliorer. Ils peuvent évoluer en fonction des changements qui surviennent sur le plan économique ou social. L'une des personnes participant à la relation peut perdre son emploi, et alors l'autre devient peut-être le gagne-pain. Il arrive souvent que la santé physique, intellectuelle ou émotionnelle d'une personne connaisse des défaillances, parfois graves.

5. Le soutien apporté aux personnes à charge : Certains rapports sont caractérisés et modulés par la présence d'autres personnes, qui sont à la charge des adultes ayant établi un rapport personnel entre eux; il s'agit habituellement d'enfants qui sont à leur charge. Il peut s'agir d'enfants issus des personnes engagés dans cette relation, ou adoptés par eux; ou encore, il peut s'agir des enfants de l'une ou de l'autre de ces personnes, ou des deux. Dans certains cas, les personnes ayant établi des rapports personnels entre eux n'ont pas d'enfants, mais il peut y avoir néanmoins des personnes qui sont à leur charge : le père ou la mère, un membre de la parenté souffrant d'un handicap, ou encore un ami. Aussi, dans plusieurs cas, il n'y a aucun enfant ni quelque autre personne à charge, bien qu'il y en ait peut-être déjà eu auparavant.

6. Le partage d'un même ménage : La plupart des rapports personnels étroits entre adultes comportent généralement un élément de cohabitation physique. Ainsi, que les rapports soient établis entre des amis ou des époux, la plupart du temps ils vivent sous un même toit. Mais il n'en est pas toujours ainsi. Parfois, les personnes ayant établi des rapports personnels entre eux prennent leurs vacances à part. Dans certains cas, l'une des personnes habite la maison de campagne, alors que l'autre habite le plus souvent en ville. Dans d'autres circonstances, il se peut qu'une des personnes doive travailler loin de la maison pendant de longues périodes. Dans d'autres situations, alors que les personnes ayant établi des rapports personnels entre eux partagent peut-être la majeure partie d'une même maison, ils peuvent chacun avoir leur propre chambre ou même leur propre entrée.

7. L'identification des personnes à leur situation : L'identification des personnes à leur situation est une caractéristique commune à l'ensemble des rapports personnels étroits entre adultes. Dans bien des cas, les relations personnelles sont aussi reconnues en droit, et peuvent découler d'un engagement public pris par les partenaires, comme à l'occasion d'un mariage. Dans d'autres situations, l'engagement public découle de la manifestation publique de l'existence de leur couple au vu et au su de leurs voisins et des membres de leur communauté. Ou alors, comme c'est le cas par exemple lorsque des frères et soeurs ou des amis vivent ensemble, ils s'affichent publiquement comme étant des colocataires ou des personnes partageant le même logement. Toutefois, certains rapports personnels étroits sont établis entre adultes à titre privé, reposant sur un accord tacite ou même entériné par un contrat réglant les questions économiques et autres inhérentes à leur relation. Certains rapports sont établis et évoluent sans qu'aucun engagement formel quelconque n'ait été pris de part et d'autre. Et parfois, l'existence de certains rapports personnels est admise en privé mais niée en public.

* * *

Les réflexions qui précèdent nous incitent donc à penser qu'il n'existe aucun moyen facile permettant de définir ce qu'est exactement un rapport de nature personnelle entre adulte. Ces rapports sont à la fois nombreux et existent sous diverses formes fort différentes les unes des autres. Ils peuvent être orientés vers divers objectifs et avoir lieu à des époques et pour des durées différentes. Certains présentent un niveau élevé de mutualité et d'intimité alors que pour d'autres, cela n'est pas le cas. Certains durent toute une vie. D'autres sont davantage transitoires, et s'établissent en fonction de divers intérêts, du fait d'habiter à un certain endroit, ou de participer à une activité donnée. Enfin, certains jouissent d'une reconnaissance publique, même juridique, alors que d'autres ne jouissent pas d'une telle reconnaissance.

La diversité que l'on constate sur le plan des rapports personnels entre adultes ainsi que le vécu différent des personnes qui ont établi ce type de rapports personnels sont les signes de l'existence d'un pluralisme social au sein de notre collectivité, et témoignent de la liberté qui caractérise la vie en société au Canada. La capacité de choisir et d'adapter les rapports que nous établissons avec d'autres adultes en fonction de notre situation personnelle est une source de réconfort immense pour plusieurs d'entre nous. Les choix dans l'établissement des rapports entre nous et le respect par les gouvernements de l'exercice de ces choix comptent parmi les propriétés fondamentales qui caractérisent une démocratie libérale.

Deux frères, un frère et une soeur, des cousins, un parent avec son enfant adulte, des amis ou des colocataires peuvent cohabiter. Le secours mutuel peut également exister entre membres d'une même famille, entre amis, ou entre membres d'une même communauté. Ainsi, la relation maritale est un cas particulier de secours mutuel et de cohabitation parmi tant d'autres. Il nous faut donc, d'un point de vue psychologique, trouver d'autres critères plus précis et plus sélectifs pour définir la vie maritale.

La Juge Carole Julien qui cite Dr Nowakowsky, psychiâtre et témoin expert dans : Brunette c. Québec (Ministre de la Solidarité sociale), [1999] J.Q. no 5693 au para. 31 (C.S. (Chambre civile)) en ligne : QL (AQ).

Cependant, la variété de ces types de rapports et leur évolution au fil des ans posent autant de défis au législateur. Les défis ne résident pas uniquement dans le choix des politiques et des programmes qu'il faudrait mettre de l'avant afin de reconnaître et de soutenir les rapports personnels étroits entre adultes. Ils visent également les choix à faire concernant les rapports qu'il y a lieu de soutenir et les critères d'ordre juridique qu'il convient de retenir afin de cerner convenablement les rapports ainsi ciblés.

B. La nature et la raison d'être des rapports personnels entre adultes

Le Parlement doit tout d'abord posséder une connaissance approfondie de tous les faits avant de faire les choix qui conviennent sur le plan des politiques à incidence juridique. Mais ce n'est là qu'une première étape du processus législatif qui s'impose. L'élaboration d'une politique cohérente exige une réflexion du Parlement sur les éléments qu'il doit valoriser en ce qui a trait aux rapports personnels étroits entre adultes. En somme, avant d'élaborer les critères qu'il désire privilégier pour lui permettre de bien cibler les rapports personnels qu'il faut reconnaître et soutenir, encore faut-il que le Parlement ait compris la nature de ces rapports et leur raison d'être aux yeux des adultes qui ont choisi de les établir.

Lors de ses interventions passées touchant aux rapports entre adultes, le Parlement ne s'est jamais directement soucié de ces questions. En fait, depuis au moins un siècle, la réglementation de la plupart de tels rapports s'est faite dans le cadre juridique du droit relatif aux contrats. Ainsi, en droit canadien, les adultes peuvent établir des rapports entre eux en concluant des contrats. Le droit protège ensuite ces rapports en prévoyant notamment l'exécution d'un contrat lorsqu'une partie fait défaut d'en respecter les dispositions, ainsi que des mesures visant à protéger les rapports ainsi établis contre les interventions indues des tiers.

Par ailleurs, le Parlement a aussi reconnu que certains types de rapports entre adultes, essentiellement les rapports personnels étroits établis entre eux, méritaient que l'on ne les considère pas uniquement comme de vulgaires contrats. Ces rapports emportaient également la notion de statut. Les rapports de filiation et de parenté -- comme entre les parents et leurs enfants, entre frères et soeurs -- sont des exemples de rapports liés à un statut. Le mariage en est un autre exemple. Le législateur est aujourd'hui confronté à une autre réalité et doit se demander, dans l'élaboration de ses politiques, s'il y a lieu d'attribuer aussi un statut dûment reconnu à d'autres types de rapports. Autrement dit, le Parlement doit décider s'il existe en principe des résultats socialement souhaitables émanant de rapports personnels étroits entre adultes qui font en sorte qu'il devrait encourager l'avènement de tels résultats en conférant expressément à ces rapports un statut juridique particulier.

Afin de pouvoir répondre convenablement à cette proposition, il faudrait procéder à des analyses plus poussées quant à la raison d'être et aux conséquences liées aux divers types de rapports personnels entre adultes. Par exemple, le législateur aurait alors intérêt à savoir si l'existence de l'adulte ayant établi une relation de nature personnelle avec un autre adulte s'en retrouve grandie ou, au contraire, diminuée, par rapport à l'existence d'une personne ayant choisi de vivre seule ou d'établir à l'occasion des rapports passagers. Supposons que les données recueillies à cet égard révélaient que l'existence des adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux étaient plus saine, plus heureuse, plus productive. Ceci justifierait-il en soi le soutien de tels rapports par les gouvernements? Le Parlement voudrait-il alors peut-être savoir s'il y a corrélation entre la situation de ceux qui jouissent d'un statut reconnu et leur bien-être individuel, ou si ce ne serait pas plutôt les caractéristiques mêmes de ces rapports -- leur nature, leur durée, la mutualité, par exemple -- qui seraient les principaux éléments responsables de cet état de bien-être. Supposons que les données révèlent par ailleurs que la reconnaissance officielle de ces rapports ajoute une dimension supplémentaire au sentiment de bien-être éprouvé par les adultes partageant des rapports de nature personnelle. Cela constituerait-il un motif suffisant justifiant la reconnaissance explicite de ces rapports par les autorités gouvernementales?

Évidemment, en procédant à ces analyses, il importe de connaître les paramètres qui serviraient de référence pour mesurer effectivement ces divers éléments que sont la santé, le bonheur, la productivité et le bien-être. L'amorce d'une réponse à cette dernière interrogation passe par une réflexion sur les types de besoins qu'ont les adultes tout d'abord à titre d'individus, peu importe qu'ils aient ou non établi des rapports personnels avec d'autres personnes. Ce n'est qu'alors que le Parlement pourra se pencher sur le rôle qui lui revient et le rôle propre aux rapports personnels étroits entre adultes dans la satisfaction de ces besoins. Les professionnels de la santé ont constaté que les gens ont une multitude de besoins et que chacun conçoit les siens d'une façon quelque peu différente.

Bien qu'il n'y ait aucun consensus quant à la possibilité de regrouper ces besoins par catégorie ou d'en établir une classification pertinente, il convient de signaler la nomenclature suivante des besoins qui guide souvent les psychologues et travailleurs sociaux dans leur travail. Ainsi, les êtres humains chercheraient notamment à satisfaire les besoins suivants :

  • les besoins d'ordre physiologique (par exemple, la nécessité de s'alimenter, de dormir);

  • les besoins relatifs à leur sécurité (par exemple, l'hébergement, la sécurité physique, la sécurité financière);

  • les besoins affectifs (par exemple, l'amour, le sentiment d'appartenance, les relations intimes);

  • les besoins relatifs au respect (par exemple, l'estime de soi, la reconnaissance de la part des autres et l'estime des autres); et

  • les besoins d'ordre spirituel.

Comme nous l'avons souligné précédemment, le Parlement doit d'abord s'interroger sur l'opportunité pour celui-ci d'assumer la responsabilité de satisfaire certains de ces besoins ou l'ensemble d'entre eux. Au Canada, les gouvernements ont généralement senti qu'il leur revenait, du moins en dernier ressort, de satisfaire les besoins des individus en eau, en alimentation, en matière d'hébergement, de sécurité physique, etc. Par contre, ils ne se sont généralement pas souciés de la satisfaction des autres types de besoins des individus que sont notamment leur besoin d'amour, d'estime de soi et de reconnaissance, bien qu'ils aient sans aucun doute, généralement tendance à promouvoir la tolérance, l'égalité et le civisme au sein de la société. Le débat concernant le rôle que les gouvernements devraient assumer dans notre société porte essentiellement sur l'importance du rôle que l'État devrait assumer dans la satisfaction de ces divers besoins, voire de l'opportunité pour l'État d'assumer un tel rôle.

Quelle que soit la conclusion d'un tel débat, le législateur devra réfléchir à un autre aspect de cette question. Si l'État choisit d'assumer la responsabilité de satisfaire à certains de ces besoins, comment devrait-il s'y prendre? Présentement, les gouvernements répondent parfois à ces besoins par le biais d'interventions directes, par exemple en embauchant des policiers, des pompiers, en fournissant des réseaux d'aqueducs et d'égouts à l'échelle des municipalités, etc. Dans d'autres cas, ils interviennent en accordant des exemptions fiscales, des crédits d'impôt ou encore des subventions à des organismes du secteur privé, par exemple aux églises, aux organismes de bienfaisance, aux organismes communautaires et autres organismes oeuvrant dans le milieu des services sociaux.

Dans sa quête des meilleurs modèles d'intervention pour s'acquitter des responsabilités qu'il aura choisi d'assumer, le Parlement devra se pencher, à un moment ou à un autre, sur le rôle des rapports personnels étroits entre adultes au sein de notre société. Alors que certains besoins seraient peut-être plus efficacement satisfaits par l'État ou par des organismes à vocation sociale ou religieuse, d'autres types de besoins -- le besoin d'amour et d'estime de soi, par exemple -- sont probablement mieux servis dans le cadre d'interactions humaines soutenues entre les individus qui y participent. En effet, ces derniers modes de rapports personnels étroits entre adultes se déroulent dans un contexte favorable à l'épanouissement de l'esprit de l'être humain.

La famille a une signification différente pour diverses personnes et le fait de ne pas opter pour le mariage traditionnel peut découler d'une multitude de raisons -- toutes aussi valables et toutes aussi dignes d'intérêt, de respect, de considération et de protection en vertu de la loi.

L'honorable Juge L'Heureux Dubé dans : Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418 au para. 102, en ligne : Cour suprême du Canada http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1995/vol2/html/1995rcs2_0418.html (date d'accès : 5 mai 2000).

Mais cela ne clôt pas le débat. Même si le législateur avait la certitude que le moyen le plus efficace, sinon le seul moyen de satisfaire certains besoins physiques, économiques et affectifs des individus soit de laisser cette responsabilité aux adultes ayant établi ces rapports de nature personnelle, il lui resterait au moins une autre problématique à résoudre. En effet, les rapports personnels entre adultes ne sont pas tous pareils. Parmi ces rapports, lesquels faut-il cibler pour permettre l'atteinte des objectifs que le Parlement entend mettre de l'avant dans le cadre de ses politiques? Il ne s'agit pas d'une question inédite ni inusitée. À chaque fois qu'il est fait appel à des organismes non gouvernementaux pour mettre en oeuvre des politiques ou réaliser des programmes, le législateur doit décider quels organismes il devra reconnaître à titre d'organisme religieux ou de bienfaisance, par exemple. Le législateur décide depuis des décennies déjà, au moins de façon tacite, quels types de rapports personnels entre adultes il reconnaît et soutient.

Règle générale, c'est en appliquant des critères précis que le Parlement exprime sa reconnaissance de rapports personnels donnés. Il a déterminé par exemple que les personnes qui adhèrent à un certain type d'engagement contractuel, comme le mariage, ont droit aux avantages issus de certaines politiques ou de certains programmes. Or, le Parlement pourrait bien décider de jeter un regard plus profond sur l'essence même d'un rapport personnel donné. Après tout, si l'on estime que le fait de fonder et d'entretenir des rapports personnels étroits et sains entre adultes représente un besoin important chez l'humain, le Parlement pourrait alors décider de ne reconnaître et ne soutenir que les rapports personnels qui ne sont pas dysfonctionnels ou malsains.

Encore une fois, il n'y a pas unanimité parmi les intervenants en soins de santé sur les caractéristiques essentielles pouvant indiquer si tel rapport personnel est sain ni s'il est plutôt de nature pathologique. Or, l'on s'entend généralement sur les questions dont l'on doit tenir compte afin de pouvoir apprécier la nature et le type d'un rapport personnel établi entre des adultes.

Le pouvoir exercé par les personnes participant à de tels rapports figure parmi les premiers éléments à considérer. Les personnes ayant établi des rapports de nature personnelle jouissent-elles d'un pouvoir égal au sein de la relation? Tout déséquilibre à cet égard est-il négocié, ou imposé? Un autre élément à vérifier a trait à l'intensité de l'engagement manifesté par les parties. Les deux individus manifestent-ils un niveau d'engagement égal? Leur relation est-elle affective ou utilitaire? Les intervenants en soins de santé évaluent également le niveau de respect de l'un envers l'autre au sein de la relation. Est-ce que les parties respectent mutuellement l'individualité de l'autre? L'une des parties à la relation fait-elle de l'autre une victime? Un quatrième élément à considérer a trait à la reconnaissance de la relation entre deux individus en la situant dans le contexte de l'établissement d'autres rapports personnels par l'une ou l'autre des parties. Chacun est-il libre d'établir et d'entretenir des rapports personnels avec d'autres personnes? Sont-ils chacun à l'aise dans la reconnaissance de l'existence des rapports personnels établis entre eux et dans le fait de les divulguer à d'autres personnes? Enfin, il faut considérer la question de la volatilité et de la sécurité au sein de la relation. Les rapports établis entre eux sont-ils instables ou incertains? Les rapports établis peuvent-ils s'épanouir au sein d'un environnement sécurisant pour les deux parties qui y participent?

Ce répertoire d'éléments de diagnostic repose sur la prémisse voulant que des rapports personnels étroits et sains entre adultes soient caractérisés par un niveau raisonnable d'égalité, par la mutualité sur le plan de l'engagement des parties, ainsi que par le respect, la reconnaissance et la sécurité des adultes qui y participent. Il semble donc que ce qui caractérise les rapports personnels étroits entre adultes (par opposition à tout autre type de rapport personnel entre adultes), ce sont les éléments liés à l'interdépendance -- qu'elle soit de nature physique, affective, économique ou spirituelle -- et à l'intensité de l'engagement des parties sur le plan de l'intimité, encore là que celle-ci soit de nature physique, affective, économique ou spirituelle.


III La société, le droit et la reconnaissance des rapports personnels entre adultes

Les rapports humains se tissent et évoluent sous l'effet d'une interaction complexe de forces sociales, culturelles, religieuses et économiques. Ce sont également ces forces qui façonnent la manière par laquelle le droit est amené à reconnaître et à régir ces rapports. Les lois ainsi adoptées sont ensuite répercutées dans la conscience et les attitudes socio-culturelles des individus et s'y intègrent. Ce phénomène est particulièrement évident lorsqu'il s'agit de rapports personnels étroits entre des adultes.

Les attitudes adoptées à l'égard de ces types de rapports, tant sur le plan social que juridique, ont depuis fort longtemps été liées au concept de la famille, et ceci en dépit du fait qu'il n'y ait pas toujours eu une correspondance parfaite des vues au sujet de ce qui constitue effectivement cette notion de famille. La conception que plusieurs personnes se font aujourd'hui au Canada -- la famille nucléaire autosuffisante, constituée d'un mari, d'une épouse et d'un petit nombre d'enfants -- représente en effet une réalité culturelle plutôt récente. Il y a seulement quelques années de cela, il était commun de retrouver des familles où il y avait sept ou huit enfants. Il y a seulement quelques années de cela, il était commun de voir les enfants devenus adultes demeurer encore chez leurs parents, et les parents vieillissants demeurer avec l'un de leurs enfants mariés. Il y a seulement quelques années de cela, il était commun de voir un réseau de frères, soeurs, tantes, oncles, cousins et cousines vivre une vie de famille tressée serrée. Il y a seulement quelques années de cela, il était commun pour les amis proches, les personnes engagées pour travailler à la ferme et les nourrices demeurant avec leurs pupilles d'être considérés comme faisant partie de la famille.

Or de nos jours, l'image que nous recevons de la famille nucléaire telle que véhiculée par la télévision a un effet puissant sur notre façon de percevoir et de caractériser tous les rapports personnels étroits entre adultes. Ce qui plus est, l'attitude adoptée par divers groupes et organismes sociaux, culturels, religieux, et économiques à l'égard de différents types de rapports établis entre adultes a également un effet considérable sur les choix posés par les adultes dans la manière de tisser les rapports qu'ils établissent, et sur le niveau de bonheur et de satisfaction qu'ils peuvent en retirer.

Voici quelques exemples de cet énoncé. L'acceptation par la communauté d'un couple vivant en concubinage et de leur pleine participation aux activités du quartier peut constituer un facteur positif dans le maintien du rapport établi entre ces deux adultes. Le fait qu'un enfant adulte soit considéré comme étant une personne à charge aux fins d'assurance déterminera son admissibilité à des prestations si le parent avec lequel il habite a un accident. Une coopérative d'habitation à admissibilité restreinte qui ne permet que l'adhésion de couples mariés sans enfant peut jouer un rôle important afin de soutenir un rapport personnel si elle admet l'adhésion et l'établissement dans un logement d'un frère et de sa soeur. Un employeur qui reconnaît les membres de la famille élargie d'un employé pourrait lui consentir un congé pour cause de mortalité à l'occasion du décès du père ou de la mère du meilleur ami de cet employé. Une congrégation religieuse qui permet les mariages entre personnes de même sexe peut ainsi donner un soutien émotionnel considérable à un tel couple.

De telles convenances et pratiques socio-culturelles, économiques ou religieuses peuvent influencer considérablement le droit. Mais il importe également de ne pas sous-estimer le rôle que le droit peut avoir dans l'avènement et le renforcement de telles convenances et pratiques. Les prémisses sous-jacentes au droit, de même que les jugements qu'il projette à cet égard, sont des mécanismes puissants d'orientation au sein de la société contemporaine.

A. L'organisation des politiques juridiques

En raison de la corrélation étroite entre l'existence des règles et principes juridiques et les attitudes et comportement sociaux, le Parlement ne s'arrête pas souvent pour réfléchir aux raisons qui les sous-tendent individuellement. Ceci est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de règles et de principes juridiques qui sont apparus il y a plusieurs décennies. C'est pourquoi il serait opportun d'examiner à fond la façon que notre droit reconnaît et régit de nos jours les rapports personnels étroits entre adultes.

Un examen succinct des lois actuelles peut nous offrir un portrait fidèle, bien qu'incomplet, de la gamme des jugements reflétés dans les politiques législatives telles qu'elles existent aujourd'hui. Une étude préliminaire effectuée par la Commission du droit du Canada révèle des milliers d'occurrences de termes ayant trait à des rapports personnels étroits entre adultes dans les lois, règlements et politiques administratives émanant du gouvernement fédéral. En outre, même en excluant la Loi de l'impôt sur le revenu, il existe plus de 1 800 articles de lois dans lesquels de tels termes apparaissent soit individuellement, soit en groupes. Dans une loi fédérale adoptée récemment, la Loi sur la modernisation des avantages et des obligations, l'on a relevé au-delà de 60 lois où l'on emploie notamment les termes mari, épouse, mariage, conjoint, divorce, pension alimentaire, etc. afin d'encadrer des politiques juridiques.

Les cinq exemples suivants illustrent comment certaines lois fédérales ciblent et régissent à l'heure actuelle, et de façon différente, des rapports personnels étroits entre adultes.

En vertu de la Loi sur la preuve au Canada, « nul ne peut être contraint de divulguer une communication que son conjoint lui a faite durant leur mariage. »

Le Règlement sur l'immigration adopté en vertu de la Loi sur l'immigration prévoit notamment que « une personne qui est citoyen canadien ou résident permanent est autorisé à parrainer la demande d'établissement d'un membre de la " famille " en tant que citoyen canadien ou résident permanent qui satisfait aux exigences suivantes ». Le terme parent s'entend du conjoint, fiancé, père ou mère, ou fille ou fils à charge. Aux fins de cet article, le terme conjoint désigne une personne de sexe opposé à laquelle la personne visée est liée par mariage. Cependant, le terme conjoint est défini à d'autres occasions de manière plus précise comme désignant une personne de sexe opposé qui cohabite au sein d'une relation conjugale avec la personne qui parraine la personne visée, cette cohabitation devant avoir existé de façon continue pendant au moins une année.

La Loi de l'impôt sur le revenu accorde un crédit d'impôt à une personne qui assure le soutien d'un conjoint. Le terme conjoint vise une personne de sexe opposé qui est mariée au contribuable ou est le conjoint de fait du contribuable. Pour l'année 1999, le montant maximal de crédit d'impôt accordé à ce titre était de 915 $, cette somme étant réduite une fois que les revenus du conjoint dépasse le seuil de 538 $. Le crédit de taxe pour conjoint, selon son appellation officielle, a été instauré pour reconnaître l'obligation d'un conjoint qui soutient l'autre conjoint qui n'est pas sur le marché du travail.

En vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, des prestations mensuelles sont versées au conjoint marié ou au conjoint de fait, selon le cas, d'une personne à la retraite qui reçoit déjà le supplément de revenu garanti en vertu de cette même loi.

La Loi sur la Banque fédérale de développement permet l'octroi de prêts à des individus qui sont en affaires, et interdit notamment de consentir un tel prêt à un administrateur siégeant au conseil d'administration de la Banque. Certaines personnes liées à un tel administrateur peuvent toutefois présenter une demande de prêt, mais leur demande doit être dûment approuvée par le conseil d'administration de la Banque. Les personnes dont il est question sont notamment l'époux ou l'épouse de l'administrateur, son conjoint de fait, un enfant, un frère, une soeur, le père ou la mère de l'administrateur; l'époux ou l'épouse de l'administrateur ou le conjoint de fait d'un enfant, d'un frère, d'une soeur, du père ou de la mère de l'administrateur; ainsi que le père ou la mère, la soeur ou le frère de l'époux ou de l'épouse, selon le cas, ou du conjoint de fait d'un administrateur.

À prime abord, deux observations nous viennent à l'esprit au sujet des cinq dispositions législatives qui précèdent. En premier lieu, dans tous les cas, la loi traite d'un rapport personnel étroit en employant des termes qui sont étroitement liés au concept de la famille, et plus précisément à la notion de mariage. Deuxièmement, les objectifs sous-tendant les politiques visées par l'emploi de termes se rapportant à la famille et au mariage diffèrent d'un cas à l'autre.

Les termes se rapportant au mariage et à la famille

Les politiques juridiques sous-jacentes à toutes ces lois sont fondées sur les deux principaux rapports personnels qui ont traditionnellement été associés à l'appartenance à une famille : le mariage et la parenté. Le mariage est une institution qui a été très réglementée et ce, depuis fort longtemps. Le droit a habituellement imposé des restrictions relativement rigoureuses quant aux personnes qui pouvaient légalement s'épouser. En outre, il y a à peine quelques décennies, il était difficile pour une personne de se marier à nouveau car il n'y avait que très peu de motifs en vertu desquels les couples mariés pouvaient obtenir l'annulation de leur mariage ou un divorce.

Le droit s'est également appliqué de façon rigoureuse en matière de liens de parenté. Ceci est surtout évident en ce qui concerne les enfants. Auparavant, des distinctions avaient été établies entre diverses catégories d'enfants en fonction des rapports établis entre leurs parents : les enfants issus de parents qui étaient mariés lors de la naissance de ces enfants; les enfants issus de parents qui se sont épousés après la naissance de ces enfants; les enfants nés d'une femme non mariée; et les enfants adoptés. Ces distinctions ont entrainé des conséquences importantes pour les personnes visées par celles-ci.

De nos jours, bon nombre des restrictions imposées historiquement dans le cadre du mariage ou du divorce ont disparu, et il n'existe à peu près plus aucune mesure de nature discriminatoire relativement aux enfants dans notre droit. De plus les couples non mariés qui, à tous les égards, apparaissent et agissent tout comme les couples mariés, sont souvent traités dans notre droit comme s'il s'agissait de couples effectivement mariés. Aussi, même les enfants qui n'ont aucun lien juridique formel ni lien de consanguinité avec un adulte (par exemple, les enfants du conjoint de fait d'une personne) peuvent généralement exiger une pension alimentaire d'un père ou d'une mère de facto.

Néanmoins, il existe encore plusieurs rapports de nature personnelle entre adultes qui sont demeurés hors d'atteinte, jusqu'à maintenant, soit des concepts élargis de conjoint, soit des concepts élargis de parenté. En effet, sans aucun doute, l'élargissement contemporain de ces concepts, une notion relativement traditionnelle de la famille continue à sous-tendre la rédaction de ces dispositions législatives.

La diversité des objectifs visés par les politiques

Les objectifs des politiques que le Parlement cherche à atteindre par ces divers textes de loi ne sont pas les mêmes. Parfois, l'objectif poursuivi semble être de soutenir la stabilité des rapports personnels étroits entre adultes. Par exemple, dans la Loi sur la preuve, le privilège conféré aux conjoints en vertu duquel ils ne peuvent être contraints de témoigner l'un contre l'autre avait pour but de maintenir l'harmonie au sein de la famille et de favoriser la franchise et l'intimité dans les rapports conjugaux. Et pourtant, plusieurs estiment que cet objectif semble trop étroitement défini. Ainsi, si l'objectif est de favoriser le respect du sentiment de loyauté lorsqu'il arrive qu'une personne soit contrainte à témoigner contre l'un de ses proches, l'on peut aisément concevoir que le dilemme d'une mère ou d'un père appelé à témoigner contre l'un de ses enfants peut être tout aussi grand.

Bien des discussions sur le mariage et la cohabitation supposent que les droits associés au mariage sont acquis et que le seul problème consiste à déterminer si les droits des personnes qui cohabitent devraient atteindre le même niveau. Toutefois, lorsque l'on considère les réformes possibles, nous ne devrions pas supposer que les changements vont nécessairement entraîner une augmentation des droits et des obligations des personnes qui cohabitent. Il est possible qu'une réduction des droits et des obligations pour les deux conjoints mariés et/ou les cohabitants soit plus appropriée. [notre traduction]

W. Holland, «Intimate Relationships in the New Millennium : The Assimilation of Marriage and Cohabitation?» (2000) 17 Rev.Can.D.Fam./17 Can.J.Fam.L. 114 à la p. 116.

Le Règlement sur l'immigration adopté en vertu de la Loi sur l'immigration peut à première vue sembler témoigner d'un souci quant au bien-être des familles dans leur ensemble. Certes, la séparation des membres d'une même famille peut constituer une source immense d'angoisse. Cela peut tout autant nuire au bien-être physique et mental des personnes demeurant au Canada que de leurs êtres chers demeurés à l'étranger. Et pourtant, là encore, la portée de cette disposition peut sembler trop étroite, en ce qu'elle ne permettrait pas qu'une personne parraine une ou un ami adulte avec laquelle ou lequel, selon le cas, cette personne entretient des rapports des plus étroits.

Le recours au concept de la famille dans le cadre de la Loi sur la Banque fédérale de développement, par contre, est bien éloigné de l'objectif de la protection des familles. Les raisons ayant mené à l'élaboration de telles dispositions relèvent de la crainte des pertes que la Banque pourrait encourir à cause de décisions d'ordre commercial que pourraient prendre un administrateur qui choisirait de favoriser ses proches au lieu de procéder à une évaluation objective du risque qu'ils pourraient représenter pour la Banque à titre d'emprunteurs. Dans un tel contexte, il importe peu que l'emprunteur soit l'époux ou l'épouse de l'administrateur, un ami proche ou son conjoint du même sexe, la question de la loyauté ambivalente de l'administrateur étant tout aussi problématique quelles que soient les circonstances. Ici encore, le libellé de la loi semble trop étroit.

Certaines lois tentent de cibler non seulement des personnes en particulier mais également des personnes qui leur sont liées. Par exemple, certaines règles adoptées dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement à certains types de prestations ont été conçues à une époque où l'on s'attendait à ce qu'il n'y ait qu'un seul revenu par ménage. Souvent, l'on prenait aussi pour acquis que des enfants étaient issus de l'union et que leur mère se chargeait de les élever à la maison, sans rémunération ni autre compensation, et sans qu'elle ait l'occasion d'accumuler des économies de manière à assurer la sécurité de ses vieux jours. Cependant, tous les rapports qui seraient admissibles, par exemple, à certains des avantages conférés par le RÉER du conjoint décédé ne sont pas établis suivant ce modèle. Des enfants ne sont pas nécessairement issus de toutes ces unions. Dans d'autres couples, les deux conjoints ont peut-être toujours travaillé à l'extérieur du foyer. Il semble qu'ici le terme conjoint ait une connotation trop large.

Enfin, d'autres lois ont pour but d'assurer des revenus convenables pour les couples à la retraite qui ne disposent pas de rentes ni de revenus suffisants à leur retraite. L'hypothèse à la base des dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est à l'effet que les seuls rapports impliquant un soutien mutuel entre des personnes qui ont arrêté de travailler sont des rapports établis entre des époux ou des conjoints de fait. Dans ce cas-ci, le recours aux termes époux et conjoint de fait emporte une connotation trop étroite.

Évidemment, ces dispositions législatives ne sont pas seulement importantes en raison de leurs liens étroits aux politiques et programmes mis de l'avant par l'État. Le Parlement encourage aussi d'autres institutions, notamment les églises, associations de bénévoles et organismes de bienfaisance, à favoriser l'épanouissement des rapports entre adultes. Là encore, de nombreux programmes d'assurance emploi et des régimes privés de même nature s'inspirent du régime officiel mis en place par l'État. C'est notamment le cas en ce qui touche la désignation des bénéficiaires de régimes privés d'assurance, de régimes de retraite, de soins de santé et de prestations d'invalidité. L'on constate également le même phénomène en ce qui a trait à d'autres types d'avantages, comme par exemple l'accès aux logements fournis par une entreprise à ses employés, l'adhésion aux clubs récréatifs, aux clubs de golf, les frais de séjour lors d'un congrès, etc. Même les gestes les plus anodins, comme le fait d'offrir des billets de courtoisie à l'intention des conjoints pour le transport, des activités culturelles ou d'autres services peuvent reproduire les politiques officielles établies par l'État.

Plusieurs des privilèges, avantages et autres services ainsi offerts sont le fruit d'une volonté explicite exprimée par le législateur, alors que d'autres sont la manifestation de pratiques informelles, issues des us et coutumes. Il n'en demeure pas moins qu'elles illustrent bien comment le modèle préconisé par le Parlement en ce qui a trait aux rapports personnels étroits entre adultes peut influencer les décisions des employeurs, des fournisseurs de services du secteur privé et d'autres entreprises et organismes.

B. L'intérêt de l'État en matière de rapports personnels entre adultes

Les cinq exemples que nous venons de voir illustrent la diversité des politiques et programmes à incidence juridique qui ont été structurés par référence à divers rapports personnels étroits entre adultes. Mais ils ne vont pas jusqu'à proposer des pistes pouvant nous aider à savoir quelle attitude le Parlement devrait adopter à l'égard de tels rapports. Ils ne nous renseignent plus davantage quant à l'opportunité pour l'État de chercher à favoriser, ou non, les rapports personnels de ce type. La question qui se pose donc est celle, à savoir, quels sont les principaux intérêts que le Parlement semble vouloir poursuivre dans les dispositions législatives adoptées à ce jour et qui visent les rapports personnels étroits établis entre adultes. Ces intérêts peuvent être regroupés sous diverses rubriques générales, nommément la sécurité physique, l'intégrité et la solidarité, la sécurité psychologique et affective, et la sécurité économique.

La sécurité physique

Certaines lois ont pour objet la promotion de la sécurité physique des adultes ayant établi des rapports personnels entre eux. Cependant, le libellé des dispositions pertinentes vise clairement la protection des individus. Aucun aspect particulier du rapport personnel ainsi visé ne fait l'objet d'une attention spéciale. Par exemple, l'agression d'une personne commise contre son conjoint constitue un acte criminel, sans pourtant faire l'objet d'une définition différente que l'agression commise dans d'autres circonstances.

Auparavant, les adultes ayant établi certains types de rapports personnels étroits entre eux jouissaient parfois d'une protection moins rigoureuse dans certains cas. Par exemple, le mariage consacrant l'union d'un mari et de son épouse faisait en sorte que le mari n'était pas censé, sur le plan juridique, être susceptible d'être accusé du viol de son épouse. Toutefois, le Code criminel fut modifié il y a quelques années afin de supprimer la règle adoptée à cet égard.

De nos jours, il existe des lois qui reconnaissent la vulnérabilité accrue d'adultes ayant établi certains types de rapports personnels étroits. À cet effet, signalons la Loi sur la protection des témoins et aussi le principe judiciairement reconnu sous le vocable de la défense dite de la « femme battue », lesquels peuvent procurer une certaine sécurité physique pour les personnes qui sont ou ont déjà été parties à un rapport personnel étroit avec un adulte violent.

L'engagement est le ciment qui lie les relations. Si les conjoints ne s'étaient pas engagés l'un envers l'autre, ils n'arriveraient probablement pas à supporter les difficultés qui se présentent au cours d'un mariage. [notre traduction]

L. Larson, J. Goltz & B. Munro, Families in Canada- Social Context, Continuities and Changes, Toronto, Prentice Hall, 2000 à la p. 184.

L'intégrité et la solidarité

Plusieurs lois ont pour objet de favoriser l'intégrité et la solidarité au sein de certains rapports personnels. Règle générale, ces lois visent directement un certain type de rapport personnel étroit entre adultes, par opposition à celles visant spécifiquement la sécurité physique des adultes participant à de tels rapports. Ainsi, le concept du caractère confidentiel des communications entre époux, reconnu dans la Loi sur la preuve et dont nous avons discuté précédemment, est habituellement justifié par la prémisse voulant que le but visé par cette disposition est le maintien de l'harmonie au sein du couple ainsi que de favoriser la franchise et l'intimité des échanges dans le cadre de la relation matrimoniale des conjoints. Cette préoccupation semble également motiver le traitement privilégié dont jouissent des conjoints accusés ensemble de complot, ou encore lorsque l'un d'eux est accusé de complicité après le fait à la suite d'un acte criminel prétendument commis par son conjoint.

La solidarité des rapports personnels étroits entre adultes est souvent favorisée par des politiques à incidence économique. Par exemple, le concept voulant que certains biens acquis durant le mariage font partie du « patrimoine familial » des époux, consacrant ainsi les intérêts de chacun dans ces biens, ainsi que la politique visant l'instauration d'un régime de prestations sociales axées sur la famille, ont effectivement pour objet la promotion de l'interdépendance économique des adultes au sein de tels rapports. Également, le fait de permettre aux personnes à la charge d'un adulte de réclamer des dommages-intérêts en cas de faute commise par un tiers constitue un autre exemple d'une solution juridique visant à favoriser la solidarité.

Il n'y a pas si longtemps, certaines dispositions législatives ont été modifiées en sacrifiant quelque peu la solidarité au sein d'une relation pour plutôt favoriser une protection accrue des individus qui y participent. Par exemple, pendant longtemps il était présumé que le mari qui s'appropriait des biens de son épouse, contre le gré de celle-ci, ne commettait pas un vol pour autant. Aussi, le droit prévoyait que les conjoints ne pouvaient pas se poursuivre l'un l'autre en dommages-intérêts. Ces règles de droit ont été abolies et sont maintenant choses du passé. Il arrive parfois que la loi agisse indirectement de manière à miner la solidarité au sein d'une relation. La présence de règles fiscales imposant des conditions rigoureuses à la réclamation d'une déduction par un conjoint du salaire versé à l'autre conjoint à titre de dépense liée à l'exploitation d'une entreprise, en est un bon exemple.

La sécurité psychologique et affective

Le Parlement cherche également par diverses mesures à assurer la sécurité psychologique et affective des adultes. Les règles visant à éviter l'exploitation et l'asservissement de personnes ayant établi des rapports personnels étroits entre elles sont légion. Mais le droit est beaucoup plus incertain quant au rôle qui lui revient lorsque vient le moment de promouvoir concrètement la reconnaissance de rapports personnels sains. Cependant, il semble évident que cet objectif était à l'esprit du législateur lorsqu'il a mis en oeuvre une politique visant la réunification des familles, en adoptant les dispositions à cet égard dans la Loi sur l'immigration.

La sécurité économique

La sécurité économique des adultes ayant établi entre eux des rapports personnels étroits semble également au coeur des préoccupations du Parlement. Cet objectif se manifeste dans les dispositions législatives et autres mesures privées visant à procurer aux couples divers avantages, notamment liés à l'emploi. Les mesures fiscales favorisant la mise en commun des ressources des adultes au sein d'un couple est une autre façon pour le législateur de promouvoir leur sécurité économique.

Mais ce n'est souvent que lorsqu'il est mis fin à une relation que l'objectif de la promotion de la sécurité économique des personnes y ayant participé devient évident. Ainsi, les préoccupations du législateur à cet égard se manifestent surtout par l'adoption des concepts juridiques liés au versement d'une pension alimentaire et à d'autres mesures à caractère privé visant le transfert de certains biens entre les anciens conjoints, tel le partage des fonds de retraite, des assurances et des autres avantages liés à l'emploi. Le fait de permettre à une personne de réclamer des biens faisant partie de la succession de son conjoint lorsque les dispositions testamentaires n'ont pas suffisamment pourvu aux besoins de cette personne constitue un autre exemple de l'expression d'une politique en vertu de laquelle le droit favorise la mutualité entre des adultes au cours de leur relation en prévoyant une certaine sécurité économique pour ceux-ci lorsque leurs rapports personnels prennent fin.

* * *

En résumé, l'on pourrait dire que le Parlement reconnaît déjà un certain nombre d'intérêts comme il doit le faire en ce qui a trait aux rapports personnels étroits entre adultes. Il existe toutefois un écart considérable entre la réalité sociologique contemporaine des rapports personnels étroits entre adultes que l'on connaît au Canada, et les rapports qui correspondent effectivement aux définitions et concepts juridiques énoncés par le Parlement pour mettre ses politiques de l'avant et réaliser les programmes censés reconnaître et soutenir de tels rapports.

La présence d'un tel écart soulève la question, à savoir si le Parlement doit se soucier de l'absence de connectivité entre les lois qu'il a adoptées et la réalité sociologique. Aujourd'hui, la plupart des Canadiennes et Canadiens répondraient par l'affirmative à cette interrogation. En effet, à leurs yeux, la règle de droit officielle est l'institution la plus pertinente dans notre société permettant d'atteindre l'ordre social qu'ils souhaitent. Ils estiment qu'il doit généralement exister une conformité entre les règles de droit et les pratiques sociales. Autrement, la vie en société serait instable, incertaine, imprévisible et laisserait libre cours à l'exploitation de la part de ceux qui disposent des ressources leur permettant d'utiliser les lois contre d'autres individus.

Il est évidemment plus facile d'affirmer qu'il doit y avoir conformité entre les règles de droit et les pratiques sociales, que d'atteindre effectivement une telle conformité. Donc, une deuxième question qu'il faudrait poser à cet égard au législateur serait celle-ci, à savoir s'il y a lieu d'adopter une approche en vertu de laquelle l'on devrait adapter les lois à la réalité, ou plutôt renforcer les lois pour tenter de contrôler plus étroitement les pratiques sociales. Règle générale, les Canadiennes et Canadiens semblent d'avis que les valeurs énoncées dans la Constitution (soit la liberté d'expression, la liberté religieuse, l'équité du processus judiciaire, l'égalité de toutes et de tous devant la loi) devraient nécessairement avoir préséance par rapport aux pratiques sociales. Le rôle des tribunaux est, par ailleurs, de s'assurer que les pratiques sociales soient conformes aux valeurs essentielles préconisées par la Constitution.

Or, tout en désirant que le Parlement assure la sauvegarde des principes constitutionnels, les Canadiennes et Canadiens désirent également qu'il prenne bonne note de l'évolution de la réalité sociale et qu'il soit attentif à l'évolution des valeurs au sein de la société. En effet, la plupart du temps que le Parlement est appelé à modifier les lois ou à réformer le droit, c'est en réponse à la volonté du public qui estime que les règles de droit sont dépassées et doivent être modernisées. En général, le public a tendance alors à croire que le rôle des lois devrait être de faciliter l'atteinte des objectifs des individus, et non de les frustrer ni de les réprimer.


IV Les défis sur le plan du droit et des politiques

Chaque fois que le Parlement décide de promouvoir une politique sociale ou d'instaurer un programme, il est appelé à faire plusieurs choix quant à la façon de libeller les mesures législatives permettant de réaliser ses objectifs. Après tout, les lois ne se font pas toutes seules.

Dans un premier temps, le législateur doit s'interroger sur ce qu'il entend effectivement réaliser. Prenons l'exemple suivant. Le Parlement pourrait songer à créer un programme visant à soutenir les personnes âgées qui ont pris leur retraite et qui n'exercent plus d'emploi rémunérateur. Ce projet suscitera probablement un vif débat sur la question de savoir si l'État devrait se mêler de verser des prestations aux aînés ou si c'est plutôt le secteur privé qui devrait s'en charger. Dans le même ordre d'idées, la question de savoir si un régime universel devrait être instauré ou si les prestations en question devraient uniquement servir à compléter le revenu des personnes dans le besoin pourrait susciter un débat animé. La question de principe initiale est toujours celle de déterminer le véritable objectif du programme envisagé.

Le législateur doit ensuite décider quels sont les mécanismes juridiques qu'il entend utiliser pour mettre en oeuvre la politique retenue. Il pourrait, par exemple, faire parvenir chaque mois un chèque aux bénéficiaires admissibles. Ou encore, il pourrait se contenter d'accorder une déduction fiscale aux personnes âgées ou leur distribuer des coupons leur permettant de bénéficier d'abattement sur certains biens et services. La question technique que le Parlement doit se poser est celle de savoir s'il existe des mesures d'intervention bien ou mal adaptés -- subventions, déductions fiscales ou crédits d'impôt, contrats -- et de meilleures ou moins bonnes façons d'utiliser ces outils d'intervention pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.

Finalement, une fois que le Parlement a arrêté son plan d'action et a décidé quel est le moyen d'intervention juridique qu'il privilégie, il lui reste quand même à rédiger une loi qui réunit ces deux aspects. Il arrive que le législateur se rende compte qu'il a formulé une politique en recourant à des idées et à des concepts qui ne sont pas adaptés à la situation sur laquelle il veut légiférer. Supposons qu'il ait retenu le versement mensuel d'une somme comme moyen d'intervention. Il se peut qu'il ait d'abord pensé qu'il lui suffisait de fixer un âge, par exemple 65 ans, où les gens seraient réputés de par la loi être « à la retraite » et, par conséquent, être admissibles à la prestation mensuelle. Or, de nos jours, il y a des gens qui prennent leur retraite à 60 ans, alors que d'autres continuent à travailler bien après avoir atteint l'âge de 70 ans. Confronté à cette réalité, le législateur pourrait décider de redéfinir l'objectif de sa politique. Ou encore, il pourrait tout simplement accepter qu'en pratique, le programme se traduise par une trop faible ou une trop large inclusion des personnes qu'il vise. Finalement, il pourrait repenser le concept juridique sur lequel il se fondait au départ pour définir l'admissibilité de manière à mieux harmoniser les grands objectifs qu'il vise avec les répercussions concrètes de l'outil d'intervention qu'il choisit d'utiliser.

Chaque fois qu'il songe à légiférer sur une question, le législateur est nécessairement appelé à s'interroger sur la politique qu'il devrait adopter, sur les mesures législatives qu'il devrait prendre et sur la façon dont il devrait en libeller les définitions. Le présent chapitre signale certaines des difficultés spéciales auxquelles le législateur est confronté lorsqu'il élabore des lois pour répondre aux besoins d'une société pluraliste et en évolution. Il convient tout d'abord de s'arrêter aux principales raisons de l'existence de ces difficultés.

Tout d'abord, les faits et notre perception des faits évoluent. Quelle qu'ait pu être ou sembler être la situation il y a une cinquantaine ou une centaine d'années, il est évident qu'il existe au Canada de nombreux ménages composés de deux ou de plusieurs adultes non mariés qui vivent sous le même toit qui s'apportent un soutien mutuel. On songe immédiatement aux nombreuses unions de fait. Il y a également lieu de signaler les communautés de vie formées par des frères et soeurs, amis, enfants adultes et leurs parents, conjoints de même sexe, etc. qui sont à tout le moins plus visibles qu'auparavant.

Par ailleurs, le cadre juridique général subit lui aussi des transformations, de sorte que certains postulats à la base de principes juridiques et de programmes qui existent depuis longtemps ne semblent plus justifiés, compte tenu de l'évolution des comportements et des valeurs des Canadiens ou des Canadiennes. À partir des années soixante, les gouvernements ont commencé à adopter des lois sur les droits de la personne pour empêcher ce que les Canadiennes et les Canadiens considéraient être des situations injustes et discriminatoires ou pour corriger ces situations. Avec l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, l'idée qu'aucun programme gouvernemental ne devrait établir de distinction illicite est devenue un principe constitutionnel.

Finalement, les objectifs des politiques publiques et les lois changent. Au cours des dernières décennies, les gouvernements ont assumé beaucoup de responsabilités. Par le truchement du régime fiscal et des programmes de sécurité sociale et par son intervention de plus en plus marquée dans l'économie, l'État joue un rôle de plus en plus actif en ce qui concerne l'appui à donner à tous les types de rapports personnels étroits entre adultes. Il est de plus en plus difficile de recourir aux concepts sous-jacents aux programmes visant les rapports familiaux pour rendre compte des relations visées par ces nouveaux programmes.

Ces facteurs obligent l'État à surmonter trois obstacles. D'abord et avant tout, dans de nombreux cas, le législateur est confronté au manque de cohérence entre les objectifs en matière de politique qu'il s'est fixé et le concept juridique employé pour concevoir la politique en question. Il doit ensuite réexaminer l'utilisation qu'il fait de distinctions qui semblent neutres de prime abord, mais qui créent des inégalités et se traduisent par des injustices. Finalement, il lui faut trouver un juste équilibre entre les objectifs de cohérence et d'égalité, d'une part, et les considérations d'efficacité et de protection de la vie privée, d'autre part.

Les politiques doivent évoluer en fonction des circonstances. À l'heure actuelle, il semble y avoir un consensus sur le fait que les politiques et la réalité divergent, mais on ne semble pas s'entendre sur la façon de procéder pour les remettre sur la même longueur d'ondes. L'opinion publique est divisée sur les réponses à donner. Certains affirment que nous devrions offrir notre aide aux familles, quel que soit le type de relations familiales en cause, sans égard aux relations biologiques, maritales ou autre type de rapports sexuels en cause. D'autres par contre invoquent le fait que les problèmes proviennent précisément de ces facteurs et que nous devons protéger la famille nucléaire contre les exigences des autres types de familles qui veulent être traitées sur le même plan. [notre traduction]

M. Eichler, Family Shifts -- Families, Policies, and Gender Equality, Toronto, Oxford University Press, 1997 à la p. 3.

A. Cohérence

La question de savoir si un régime législatif déterminé est cohérent ou non au sens où ce terme est employé dans le présent document dépend du jugement que l'on pose sur le bien-fondé de la politique défendue par le législateur. Supposons, par exemple, que le législateur ait expressément déclaré que l'objectif de sa politique est d'appuyer le mariage. Dans ce cas, une loi qui s'applique exclusivement aux couples mariés serait cohérente.

Mais, ainsi qu'il ressort des dispositions législatives citées au chapitre précédent, exception faite des lois comme la Loi sur le mariage (degrés prohibés) qui définissent les conditions permettant de contracter mariage, et de lois comme la Loi sur le divorce, qui énumèrent les conditions permettant de dissoudre un mariage, il est rare que le Parlement formule simplement l'objectif de sa politique comme une volonté déclarée d'appuyer le mariage. L'objectif qu'il vise consiste habituellement à atteindre un autre résultat concret qui se rattache souvent au lien conjugal, sans se confondre parfaitement avec celui-ci. Le législateur se sert simplement du mariage pour définir des critères plus précis pour dresser la liste des divers types de rapports personnels étroits entre adultes auxquels il désire qu'une politique déterminée s'applique.

Le recours généralisé à des concepts comme le mariage et le conjoint soulève carrément des problèmes de convenance. Dans certains cas, les concepts sont trop étroits; dans d'autres, ils sont trop larges et dans certains, ils sont à la fois trop larges et trop étroits. Même lorsque les lois sont rédigées de manière à s'appliquer de façon plus générale aux relations « conjugales » -- c'est-à-dire lorsqu'elles sont libellées de manière à s'appliquer tant au mariage qu'aux unions de fait --, elles risquent quand même de ne pas concorder avec ce qui semble être les principes fondamentaux de la politique ou du programme proposé par le législateur.

Prenons un exemple. Lorsque l'État désire encourager et appuyer la prestation de soins aux enfants, il a recourt habituellement aux concepts de mariage et d'union de fait pour définir l'unité qui recevra la prestation ou le service offert. Il existe cependant beaucoup de couples mariés et de conjoints de fait qui n'ont pas d'enfants. Dans d'autres cas, les enfants ont grandi et ont quitté la maison. Certaines personnes se marient ou vivent en union libre après que la femme a dépassé l'âge de procréation. En revanche, il existe beaucoup d'autres types de rapports personnels étroits entre adultes dans lesquels les enfants sont élevés et reçoivent de l'attention et des soins. Il arrive souvent que les grands-parents ont la charge de leurs petits-enfants. Il en va de même pour les beaux-parents et les conjoints de même sexe dont un d'entre eux a donné naissance à un enfant ou en est le père.

Voici un autre exemple. L'État reconnaît souvent l'interdépendance économique qui existe entre des adultes qui vivent ensemble ou qui ont vécu ensemble, surtout lorsque les ressources financières personnelles qu'ils ont acquis au cours de la cohabitation sont inégales. Là encore, il n'est pas certain que le fait de recourir aux catégories générales du mariage et de la relation de type conjugal soit bien utile pour déterminer qui devrait être assujetti à un régime réglementaire qui définit de façon ordonnée les droits et les obligations de personnes qui ont déjà vécu ensemble mais qui ont décidé de se séparer. Certains conjoints mariés ou conjoints vivant maritalement sont autonomes sur le plan financier. Ils disposent de ressources relativement égales et s'occupent chacun de leurs affaires. En revanche, on constate dans bien des cas une interdépendance économique marquée chez les adultes qui ont des rapports personnels étroits non conjugaux. C'est le cas du parent âgé qui vit chez son fils ou sa fille et qui « prête » une partie de sa pension pour payer le loyer ou pour acheter de la nourriture. C'est également le cas de la soeur qui vit avec son frère handicapé ou de la grand-mère qui emménage chez sa fille qui vient de divorcer pour l'aider à s'occuper de ses enfants.

Prenons un troisième exemple. L'État a intérêt à empêcher l'exploitation et la violence dans les rapports personnels. L'exploitation d'un des membres de la famille n'est pas l'apanage exclusif des gens mariés ou même des conjoints de fait hétérosexuels. On relève aussi des cas d'exploitation chez les parents vivant avec leurs enfants adultes, chez les frères et soeurs ou amis qui vivent ensemble ou encore chez les conjoints de même sexe.

Dans chacun des cas susmentionnés, l'utilisation de catégories telles que le mariage, le conjoint et l'union de fait pour désigner les bénéficiaires des divers programmes et politiques gouvernementaux est à la fois trop restrictive et trop large. Mais il ne s'agit là que de trois exemples. Un des défis les plus urgents que doit relever le Parlement aujourd'hui est de définir et de formuler plus précisément les objectifs fondamentaux de ses politiques. Ce n'est en effet qu'une fois que ces objectifs auront été clarifiés qu'il sera possible de se demander si un texte législatif qui prend pour modèle le couple hétérosexuel marié répond à ces objectifs. Pour assurer la cohérence entre l'objectif d'une politique et le concept juridique qui est utilisé pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d'examiner et d'évaluer chacun des articles de chacune des lois où les concepts de mariage et de conjoint sont présentement utilisés.

Voici quelques-uns des objectifs que vise présentement le législateur par des lois dans lesquelles il recourt aux concepts de conjoint ou de mariage pour préciser les personnes auxquelles elles s'appliquent :

  • Protéger l'intimité et la confiance au sein du couple
  • Encourager la fourniture de soins aux personnes à charge
  • Empêcher l'exploitation du conjoint économiquement faible
  • Reconnaître l'interdépendance économique
  • Encourager la redistribution de la richesse au sein de la famille
  • Reconnaître et encourager la cohabitation
  • Promouvoir la stabilité des unions
  • Créer un climat de certitude en ce qui concerne les droits et les obligations qui découlent des relations personnelles
  • Protéger les enfants

Y a-t-il d'autres objectifs que l'État devrait poursuivre en ce qui concerne les rapports personnels étroits entre adultes?

B. Égalité

De nos jours, on reproche souvent aux lois leur manque de cohérence. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle il y a lieu de jeter un regard neuf sur les concepts sur lesquels le Parlement se fonde pour élaborer ses politiques et ses programmes en matière de rapports de nature personnelle entre adultes. Un régime législatif qui a une trop large portée ou une portée trop étroite risque également de créer de véritables inégalités ou de les perpétuer. Dans bien des cas, des programmes et des politiques législatifs risquent également de perpétuer des attitudes discriminatoires dans le cas de certains adultes ayant établi des rapports personnels étroits.

La question à la réponse de savoir si un régime législatif déterminé crée des inégalités dépend de l'appréciation que l'on fait de la raison d'être des distinctions sur lesquelles elles reposent. L'établissement d'une distinction n'entraîne pas nécessairement une discrimination injuste. Certaines distinctions donnent toutefois lieu à une discrimination illicite, surtout lorsqu'elles tirent leur origine de conceptions socioculturelles bien ancrées. Avec les changements que connaissent les modèles de vie en société, les véritables postulats sur lesquels reposent un grand nombre de concepts juridiques sont, pour la première fois, dévoilés.

L'évolution du concept de mariage illustre bien les transformations que subissent les valeurs de la société. Même si l'on continue à établir une distinction entre les conjoints mariés et les conjoints de fait, un grand nombre des conséquences que cette distinction entraînait auparavant ont été supprimées. Il y a encore quelques années, les personnes qui à toutes fins utiles se comportaient comme si elles étaient mariées mais qui ne l'étaient pas avaient l'une envers l'autre des droits et des obligations juridiques qui différaient de ceux des personnes mariées. De nos jours, les conjoints de fait peuvent avoir des droits et des obligations importants l'un envers l'autre. En outre, un grand nombre de prestations, comme les allocations sociales et les pensions, peuvent être réclamées tant par les conjoints mariés que par les conjoints de fait.

Les modifications qui ont été apportées aux lois ont largement contribué à éliminer les distinctions injustes qui étaient faites entre les divers types de rapports personnels étroits entre adultes. Qui plus est, bon nombre des distinctions que la loi fait toujours -- par exemple entre les couples mariés et les couples hétérosexuels vivant en union libre, entre les couples hétérosexuels vivant en union libre et les couples composés de conjoints de même sexe -- sont contestées devant les tribunaux. Les tribunaux ont à l'occasion conclu que ces distinctions constituaient des actes discriminatoires qui portaient atteinte au droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les tribunaux ont implicitement invité le Parlement à examiner attentivement toutes les dispositions législatives dans lesquelles des mots comme conjoint, mariage et couple sont employés pour définir des droits, des obligations ou une admissibilité. Le Parlement est tenu, de par la Constitution, de se pencher sur la question des inégalités créées par la façon dont il traite les rapports personnels entre adultes et de corriger ces inégalités.

La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne.

L'honorable Juge Iacobucci dans : Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1999] 1 R.C.S. 497 au para. 53, en ligne : Cour suprême du Canada http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1999/vol1/html/1999rcs1_0497.html (date d'accès : 5 mai 2000).

Mais récrire des lois pour les rendre non discriminatoires est une tâche plus difficile qu'il n'y paraît de prime abord et ce, pour deux raisons. Ainsi, il arrive parfois que les modifications qui sont apportées à un concept législatif existant ne réussissent pas à en supprimer les effets discriminatoires. Il arrive aussi à l'occasion qu'un concept qui, en principe, n'est pas discriminatoire crée en pratique des inégalités.

Certains ont avancé l'idée qu'il suffit d'élargir les catégories de personnes qui peuvent contracter mariage pour résoudre les problèmes d'inégalité que suscite la définition des droits et obligations des personnes vivant des rapports personnels étroits entre adultes. Ce faisant, on engloberait la plupart des adultes qui vivent ce genre de rapports. Mais ce n'est pas nécessairement le cas.

Il convient tout d'abord de signaler que bon nombre d'unions sont encore créées en dehors du cadre traditionnel du mariage, même par ceux qui ont le droit de se marier. Les raisons pour lesquelles un nombre aussi élevé de personnes choisissent de ne pas se marier sont complexes. Certains couples refusent que l'État joue quelque rôle que ce soit dans l'organisation de leurs rapports; ils s'opposent carrément à ce que l'État leur imposent des obligations du fait de leur cohabitation. D'autres couples s'opposent à l'institution du mariage parce qu'ils la considèrent comme une institution sexiste et qu'ils désirent exprimer publiquement leur rejet. D'autres ne se marient pas parce qu'ils ne sont pas psychologiquement prêts à s'engager à long terme. Finalement, bon nombre de gens ne se marient pas parce qu'ils ne sont pas en mesure de le faire en raison d'un mariage antérieur non dissous, parce que les deux conjoints sont du même sexe ou encore parce que, bien qu'ils vivent des rapports intimes sur le plan émotif, leur relation ne peut pas être une relation conjugale.

Même si l'on redéfinissait le concept du mariage de manière à permettre aux personnes de même sexe de se marier, on ne résoudrait qu'en partie le problème des personnes qui vivent des rapports personnels étroits qui ne peuvent dans l'état actuel des choses se marier. On ne répondrait pas non plus aux besoins des adultes qui vivent ensemble dans le cadre de rapports personnels étroits non conjugaux. Et, finalement, on ne réglerait pas le cas des couples dont au moins un des conjoints n'est pas prêt à se marier.

Voilà pourquoi il ne suffit pas de redéfinir les catégories de personnes aptes à contracter mariage pour atteindre l'égalité de traitement chez les adultes ayant établi des rapports de nature personnelle. Pour venir vraiment à bout des postulats discriminatoires et pour garantir l'égalité dans ses politiques et ses programmes, le Parlement doit se concentrer sur les conséquences pratiques de ses lois. Même s'il était en mesure de redéfinir des concepts comme le mariage de manière à englober la plupart des rapports personnels étroits entre adultes dans la définition de cette notion, le législateur aurait quand même à examiner si ses politiques permettent de résoudre le problème des inégalités fondamentales qui existent entre différents types de rapports et à l'intérieur de ceux-ci.

Par le passé, les rapports personnels étroits entre les hommes et les femmes étaient marqués par un partage inégal du pouvoir. Ainsi, certaines des pressions sociales entourant le mariage avaient parfois pour effet de garder les femmes dans des relations où elles étaient victimes de violence physique, sexuelle ou psychologique. En raison du fait que les femmes avaient en règle générale moins facilement accès au marché du travail que les hommes et que la responsabilité d'élever les enfants leur revenait au premier chef et à cause des définitions traditionnelles des rôles sexuels, il s'ensuivait fréquemment que les femmes étaient économiquement dépendantes des hommes avec lesquels elles vivaient. Ainsi, une femme qui vivait en union libre et qui voulait épouser son conjoint de fait n'avait parfois d'autre choix que de rester avec celui-ci, surtout lorsque des enfants étaient en cause, et ce, même lorsque son compagnon lui disait qu'il ne la marierait jamais. Cette situation d'inégalité ne saurait être ignorée.

La discrimination et l'inégalité ne sont pas uniquement le fruit du traitement que la loi réserve aux divers types de rapports personnels étroits entre adultes. Les rapports eux-mêmes les engendrent parfois. Elles peuvent aussi découler des inégalités créées par des politiques et programmes qui, à première vue, semblent justes et non discriminatoires. Trouver des façons de parvenir à l'égalité sous tous ses rapports constitue un défi particulier lorsqu'il s'agit de remanier des politiques et des programmes pour reconnaître et appuyer les rapports personnels étroits entre adultes.

C. Efficacité et vie privée

Les lois qui ne couvrent pas complètement les situations auxquelles elles sont censées s'appliquer manquent de cohérence. Dans bien des cas, les défauts qui ont marqué leur conception ont également pour effet de perpétuer ou d'encourager des inégalités. Ces lois ont habituellement aussi un troisième défaut. Elles sont inefficaces. Ainsi, un programme d'aide sociale ne réussira pas à enrayer la pauvreté si le concept retenu pour définir l'admissibilité est tellement étroit qu'il exclut un segment important des bénéficiaires auxquels il est censé s'appliquer. Ici, l'efficacité du programme peut être mesurée en fonction de ses effets pratiques.

Axer le soutien gouvernemental sur les couples vivant en union conjugale, mariés ou non, hétérosexuels ou homosexuels, peut constituer une façon indirecte de soutenir les familles qui ont développé une interdépendance économique ou élevé des enfants ensemble. L'État peut-il ou devrait-il cibler plus précisément son soutien, voilà une question de politique sociale qui devra être envisagée. Il se peut que le mariage, l'enregistrement et la cohabitation constituent les seules «caractéristiques» que l'État pourrait raisonnablement dégager et qu'il serait simplement trop difficile de diriger les prestations en s'appuyant sur le fait que la famille remplit les fonctions que l'État a un intérêt légitime à soutenir.

M. Bailey, Le mariage et les unions libres, Ottawa, Commission du droit du Canada, 1999 aux pp. 134-135, en ligne: Commission du droit du Canada http://www.cdc.gc.ca/fr/themes/pr/cpra/bailey/index.asp.

Mais l'efficacité d'une politique n'est qu'un type d'efficacité. L'économie en est un autre. Habituellement, les gouvernements ne veulent pas consacrer trop d'argent à l'administration. En théorie, une loi pourrait énoncer des conditions d'admissibilité détaillées qui assurerait une parfaite cohésion entre les politiques et les résultats. Il faudrait probablement pour ce faire obtenir des données factuelles précises sur la nature d'un rapport personnel étroit déterminé. En théorie, l'État pourrait aussi embaucher un nombre important de fonctionnaires et les charger de trouver tous les bénéficiaires possibles, et un grand nombre de juges pourraient entendre tous les litiges portant sur l'admissibilité qu'un critère factuel déterminé pourrait susciter. Mais si les coûts administratifs qu'une politique ou un programme bien précis engendre sont disproportionnés par rapport à l'efficacité de la politique ainsi atteinte, il est peu probable que le Parlement adopte une politique ou un programme ainsi conçu.

Le respect de la vie privée est un autre facteur d'efficacité dont le législateur devrait tenir compte. Une fois qu'on a décidé de faire reposer une politique ou un programme sur des aspects essentiels de certains rapports personnels entre adultes, il est nécessaire d'examiner ces rapports en détail. En d'autres termes, il se peut qu'on n'obtienne une cohérence absolue entre une politique déterminée et les résultats qu'au prix d'une intrusion poussée dans la vie privée des gens. Compte tenu de l'importance accordée à la protection de la vie privée dans le système juridique canadien, on peut comprendre l'hésitation du législateur canadien à adopter des lois qui obligent les gens à prouver publiquement que leurs rapports sont des rapports conjugaux ou qu'ils impliquent une intimité sexuelle.

En partie pour minimiser les frais d'administration et pour éviter de s'immiscer de façon excessive dans la vie privée des gens, le législateur s'est souvent contenté de définitions établissant une admissibilité qui ne sont qu'approximatives, mais qui sont relativement peu dispendieuses et qui sont faciles à appliquer. D'où l'importance traditionnellement accordée aux concepts de mariage et de conjoint. En principe, une personne est mariée ou ne l'est pas. Il existe un système d'enregistrement qui permet de s'en assurer rapidement. Il n'est pas nécessaire de vérifier certains faits précis au sujet des rapports personnels étroits entre adultes.

Le recours à un concept traditionnel comme le mariage pour définir les bénéficiaires d'une politique ou d'un programme est également efficace pour d'autres raisons. C'est un concept qui comporte un élément de fiabilité. Le mariage confère un statut auquel on ne peut mettre fin que par le décès ou au moyen d'un divorce prononcé par une cour de justice. C'est un concept qui peut être vérifié indépendamment des prétentions des personnes qui ont établi ce rapport. En effet, la question de savoir si deux personnes sont mariées ou non ne dépend nullement du fait qu'ils sont d'accord pour dire qu'ils sont mari et femme. C'est un concept qui, en théorie, repose sur un engagement libre et volontaire des deux parties. Par conséquent, si les conjoints décident de se marier ou de demeurer mariés, on peut présumer qu'ils souscrivent aux effets que le législateur accorde à ce statut. Finalement, c'est un concept qui est généralement reconnu par les systèmes juridiques étrangers. Un concept juridique internationalement reconnu facilite la détermination des droits des enfants nés à l'étranger, la propriété de biens situés dans un autre pays et le droit d'immigrer au Canada ou de visiter un pays étranger.

Ce sont là quelques-uns des avantages que comporte l'utilisation de critères comme le mariage et le conjoint pour orienter des politiques et des programmes. Mais même de nos jours, la loi ne reconnaît pas toujours une valeur absolue à un certificat de mariage. Les faits devront être vérifiés. Par exemple, les tribunaux ne reconnaissent pas les mariages « simulés », surtout lorsqu'une personne en épouse une autre uniquement dans le but de pouvoir immigrer au Canada. De même, le droit du conjoint survivant de toucher la pension de retraite de son conjoint décédé est parfois annulé lorsque la différence d'âge est trop grande.

Certaines lois sont maintenant libellées de manière à étendre l'admissibilité pour englober les conjoints qui, même s'ils ne sont pas véritablement mariés, cohabitent depuis un certain temps. Ces lois exigent évidemment des constatations de faits qui sont plus difficiles à faire et qui peuvent être contestées. Il peut y avoir désaccord entre deux personnes au sujet de la date à laquelle leur cohabitation a commencé. Un des conjoints peut en minimiser la durée pour éviter d'être obligé de verser une pension alimentaire à l'autre. Il est également possible que les conjoints se rendent coupable de collusion et prétende que leur cohabitation dure depuis plus longtemps que ce n'est effectivement le cas pour se prévaloir d'une allocation gouvernementale quelconque.

En partie pour ces raisons, on utilise aussi parfois d'autres critères. Dans certains cas, il suffit de prouver que l'enfant est issu du couple. À l'occasion, la loi exige seulement que les conjoints se présentent publiquement comme « mari et femme ». Pourtant, même ces critères supposent la vérification de faits qui peuvent s'avérer inefficaces ou porter atteinte au droit à la vie privée. Ainsi, ils rendent nécessaire des recherches assez approfondies sur la paternité d'un enfant dans des cas où la question n'a rien à voir avec l'enfant, mais concerne l'applicabilité d'une politique ou d'un programme visant des rapports de nature personnelle entre adultes.

Les préoccupations soulevées au sujet de l'efficacité imposent des contraintes quant à l'utilisation de critères factuels pour orienter des politiques et des programmes législatifs. Un des défis les plus importants que doit relever le Parlement pour décider de la meilleure façon de formuler ses politiques est de trouver un juste équilibre entre l'efficacité des politiques, l'efficacité administrative et le respect de la vie privée des adultes qui établissent des rapports personnels étroits.

L'une des approches visant à déterminer les politiques dont l'objet est de soutenir les rapports personnels étroits entre adultes consiste à faire appel à un critère formel comme celui du mariage. Une autre approche consisterait à énoncer un critère lié aux faits spécifiques caractérisant un tel rapport, par exemple la nature du rapport en cause et sa durée. Une troisième approche consisterait à permettre aux adultes participant à ces rapports de déterminer par eux mêmes s'ils veulent que leurs rapports bénéficient des politiques et des programmes préconisés par l'État. Un critère essentiellement formel risque de ne pas atteindre tous les bénéficiaires auxquels s'adressent les politiques et programmes préconisés. Un critère factuel risque de donner lieu à des vérifications coûteuses visant à examiner de près la vie privée d'adultes ayant établi des rapports personnels étroits. Un critère qui permettrait aux adultes ayant établi des rapports personnels étroits à déclarer volontairement leur situation pourrait mener à des abus en faussant l'admissibilité au programme en cause.

Comment l'État peut-il concilier l'impératif d'une gestion efficace des critères d'admissibité et l'impératif d'atteindre effectivement les bénéficiaires visés par les politiques qu'il préconise?

Cet équilibre doit-il toujours être atteint de la même manière, ou cela peut-il varier en fonction de la nature de la politique, du programme ou de l'obligation en cause?


V Repenser les rapports personnels étroits entre adultes

L'utilisation de concepts comme le mariage et le conjoint pour définir les bénéficiaires de politiques et de programmes visant à appuyer les rapports personnels étroits entre adultes repose sur divers postulats quant à la façon dont les adultes font vie commune. Elle suppose aussi un jugement sur les rapports qui devraient être reconnus et une compréhension des façons les plus efficaces de rédiger des lois visant ces rapports. Bon nombre de ces postulats, jugements et compréhensions ne sont plus en accord avec les pratiques sociales actuelles. C'est la raison pour laquelle les lois relatives aux rapports personnels étroits entre adultes sont mûres pour un réexamen. Bien sûr, le Parlement doit être à la fois modeste et pragmatique lorsqu'il s'agit de remanier des lois. Les rapports en question sont en constante évolution. Ils ont beaucoup changé au cours des trente dernières années et continueront sans doute à évoluer au cours des prochaines décennies. Comment le législateur devrait-il donc réagir?

On peut commencer par l'idée que le Parlement devrait examiner toutes les lois actuelles en vue de discerner les objectifs précis qu'elles visent. De nos jours, ce ne sont pas toutes les lois qui recourent aux concepts de mariage et de conjoint qui ont rapport aux relations de nature personnelle entre adultes. La première tâche consiste donc à mettre le doigt sur ces situations et à récrire les lois de manière à ce que les objectifs visés par les politiques ne soient pas exprimés avec des mots qui sont sans rapport avec ces objectifs. Une fois cette étape franchie, le législateur peut concentrer son attention sur les lois qui se rapportent directement aux rapports personnels étroits entre adultes.

Pour trouver des moyens de remanier les lois en question, le législateur doit tenir compte de la distinction qui existe entre le fond et la forme du droit, c'est-à-dire entre les conséquences juridiques qui, jusqu'à maintenant, dépendaient de l'établissement de rapports créant un certain statut, et les rapports eux-mêmes. Sur le fond, le rôle du législateur consiste à déterminer les effets et les conséquences qu'il souhaite et à s'assurer que les résultats désirés sont effectivement atteints. Ce n'est qu'alors qu'il sera bien placé pour décider quels rapports personnels étroits entre adultes devraient être officiellement reconnus.

A. Concilier les politiques et la pratique

Ainsi que nous l'avons déjà signalé, dans bon nombre de lois, le Parlement recourt désormais aux concepts de mariage, de conjoint et de relation conjugale pour orienter les politiques et les programmes de manière à appuyer les rapports de nature personnelle entre adultes. Indépendamment de la situation passée -- et il est loin d'être évident que ces concepts socioculturels traditionnels ont jamais constitué un bon point de repère --, il est évident qu'ils sont dépassés et ne permettent plus d'atteindre les objectifs visés par le législateur.

Nous soutenons que toute relation non conjugale avec interdépendance financière mérite autant que les autres des structures juridiques qui répondent à ses besoins particuliers. Un couple comme celui, imaginaire, formé par Matthew et Marilla Cuthbert dans le roman Anne -- la maison aux pignons verts, serait privé des avantages prévus en vertu du projet de loi C-23, même s'il s'agit d'une homme et d'une femme qui habitent ensemble, ont adopté un enfant et sont par conséquent, pour Anne, des parents bien aimés. Ils seraient privés des avantages prévus par le projet de loi C-23, même si pour des étrangers, ils ressemblent probablement à une famille heureuse et si, au sein de leur collectivité, beaucoup pensent peut-être même qu'il s'agit d'un couple marié.

Nombre de ménages méritent d'avoir une protection, et j'en ai mentionné quelques-uns. Cela pourrait concerner aussi un parent âgé et un enfant adulte qui s'en occupe. [notre traduction]

Mme Janet Epp Buckingham, conseillère juridique pour l'Evangelical Fellowship of Canada, Chambre des Communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages (2 mars, 2000) 3, en ligne : Enregistrement électronique du Comité permanent de la justice et des droits de la personne http://www.parl.gc.ca/InfoComDoc/36/2/JUST/Meetings/Evidence/justev29-f.htm (date d'accès : 3 mai 2000).

Ces problèmes d'adaptation ont suscité au cours des cinquante dernières années une réponse prévisible de la part de l'État. Au lieu d'annoncer directement sa politique et de redéfinir le champ d'application des lois pour les harmoniser aux objectifs poursuivis, le législateur s'est dans la plupart des cas contenté d'élargir la portée de la loi en étendant les concepts existants par analogie. Ainsi, au cours de la Seconde Guerre mondiale, il a adopté une loi prévoyant que la plupart des conjointes de fait des soldats tués en service actif pouvaient réclamer une pension de veuve aux mêmes conditions que les veuves légalement mariées. Au cours des cinquante années qui ont suivi, ce genre d'extension par analogie est devenu un mécanisme courant.

Dans certains cas, l'extension par analogie peut constituer un moyen efficace de modifier une loi. Mais souvent, ce n'est pas le cas. Parfois, l'analogie fonctionne mal et le nouveau concept devient une pure fiction. Parfois, le concept élargi entre en conflit avec la façon dont le concept initial est utilisé dans d'autres contextes juridiques. Parfois encore, le concept élargi ne cadre pas avec l'objectif législatif poursuivi. Dans d'autres cas, le concept est également utilisé par d'autres groupes ou organismes (telles que les groupes religieux) qui ont des idées bien arrêtées au sujet de la définition et de la portée du concept. Néanmoins, parce que les diverses extensions qu'ont connues jusqu'à maintenant les concepts de conjoint et de mariage ont toujours constitué une réponse ponctuelle à une situation particulière qui recueillait un large appui de la part de la population canadienne, elles n'ont jamais provoqué de remise en question des principes de base sur lesquels reposaient les dispositions législatives auxquelles elles s'appliquaient.

Aujourd'hui, cette remise en question ne peut cependant plus être évitée. Pour évaluer comme il se doit les questions de fond auxquelles le Parlement est confronté, il est nécessaire de recourir à un processus en trois étapes. En premier lieu, il est nécessaire de clarifier les objectifs à la base des politiques et des programmes. Deuxièmement, il est nécessaire de déterminer si l'on peut élaborer des concepts juridiques qui cadrent effectivement avec les types de rapports visés par ces politiques. Troisièmement, il est nécessaire d'évaluer attentivement le contexte factuel dans lequel les nouveaux concepts et les nouvelles définitions doivent s'inscrire.

Clarifier les objectifs à la base des politiques et des programmes

Pour clarifier les objectifs à la base de ses politiques et de ses programmes, le Parlement ne se contentera pas de nommer les objectifs qu'il vise présentement et à se demander s'il les atteint effectivement. Compte tenu de l'évolution des rapports personnels entre adultes au sein de la société canadienne, il est fort possible que le législateur canadien conclue que ses objectifs actuels sont mal formulés ou qu'ils sont incomplets. Dans son Report on Recognition of Spousal and Family Status, le British Columbia Law Institute énumère huit principes qui, à son avis, devraient servir de guide lorsqu'il s'agit de légiférer dans ce domaine :
  • protection des rapports reposant sur un choix personnel

  • non-discrimination dans l'accès à un statut social

  • libre arbitre

  • protection des personnes vulnérables

  • protection des attentes

  • équité dans l'attribution des prestations et avantages

  • égalité dans les rapports familiaux

  • protection de la vie privée.

D'autres commissions de réforme du droit et organismes publics ont dressé des listes semblables. Dans chaque cas, toutefois, les déclarations de principe établissent une corrélation entre les objectifs visés et les concepts de statut familial ou conjugal. Ils ne portent pas directement sur les rapports entre adultes qui n'impliquent pas de cohabitation conjugale et ne sont pas censés s'y rapporter. Il y aurait peut-être lieu de se pencher sur les principes complémentaires applicables aux autres types de rapports. On pourrait ainsi examiner la protection et le développement de l'autonomie, les mesures permettant d'empêcher la violence et l'exploitation physique et psychologique, la protection de l'intégrité des rapports contre les menaces et pressions extérieures et la minimisation des conflits d'intérêts déstabilisants opposant des adultes ayant établis des rapports étroits.

Il ne suffit toutefois pas de se contenter d'énumérer les principes qui devraient orienter les interventions législatives. Après tout, ces principes risquent d'entrer en conflit l'un avec l'autre dans certains cas. Le législateur devra par ailleurs décider lesquels sont les plus importants, compte tenu des objectifs qu'il souhaite atteindre dans le cas d'une politique ou d'un programme déterminé. Par exemple, il se peut que la protection des personnes vulnérables implique que l'on écarte le principe du libre arbitre, du moins jusqu'à un certain point lorsqu'il s'agit d'élaborer les règles régissant les conséquences économiques découlant d'une rupture. Il s'ensuit qu'il reste beaucoup de travail à faire pour cerner, clarifier, classer et peut-être élargir les divers objectifs que le législateur pourrait poursuivre en matière de rapports personnels étroits entre adultes.

Les auteurs de bon nombre de rapports portant sur les rapports de nature personnelle entre adultes ont retenu les huit principes suivants, qu'ils considèrent appropriés et suffisants pour guider la réflexion du législateur :

  • protection des rapports reposant sur un choix personnel

  • non-discrimination dans l'accès à un statut social

  • libre arbitre

  • protection des personnes vulnérables

  • protection des attentes

  • équité dans l'attribution des prestations et avantages

  • égalité dans les rapports familiaux

  • protection de la vie privée

Ces principes sont-ils suffisants?

Comment l'État devrait-il s'y prendre pour résoudre les conflits entre ces principes?


Élaboration de concepts juridiques qui cadrent avec les types de rapports envisagés

Une fois que le législateur est relativement convaincu d'avoir réussi à cerner les politiques appropriées pour régir les rapports personnels entre adultes, il lui faut ensuite trouver les mots et les concepts voulus pour mettre ces politiques en oeuvre. Cette recherche comporte des difficultés spéciales lorsqu'un des objectifs clés est de modifier une définition dont il considère la portée à la fois trop large et trop étroite.

Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, une des techniques utilisées pour ce faire consiste à étendre par analogie législative un concept existant. Pour mettre en oeuvre des politiques portant sur rapports personnels étroits entre adultes, le législateur pourrait, s'il adopte cette technique, redéfinir les termes mariage et conjoint de manière à ce que tous les rapports personnels étroits entre adultes -- qu'il s'agisse de conjoints de même sexe, de frères et soeurs, d'enfants adultes et de leurs parents, d'amis, etc. -- tombent sous le coup de la nouvelle définition. Le législateur serait ainsi dispensé de l'obligation de récrire chaque disposition législative dans laquelle apparaissent les mots mariage ou conjoint.

Une seconde technique consisterait à renoncer aux concepts actuels comme point de référence de la politique visée. Normalement, lorsqu'il choisit ce moyen, le législateur se concentre sur l'objectif fondamental visé par la politique. Pour mettre en application des politiques publiques portant sur des rapports de nature personnelle entre adultes, le législateur pourrait, en adoptant cette technique, récrire la loi de manière à ce que les critères d'inclusion et d'exclusion se rapportent aux objectifs de la relation, tels que la durée ou la nature de la relation, ainsi qu'à des faits observables. Cette technique oblige évidemment le législateur à créer un nouveau concept, par exemple celui de « rapports d'interdépendance » et à préciser les caractéristiques fondamentales des rapports personnels entre adultes qu'il ferait entrer dans le nouveau concept.

À la lumière de l'expérience du passé en matière d'extension par analogie des concepts de mariage et de conjoint, il serait peut-être préférable que le législateur élabore un nouveau concept qui établisse un lien direct entre les objectifs qu'il vise et les faits observables des rapports personnels étroits entre adultes qu'il vise. Ce faisant, il pourrait venir à bout du problème de la désuétude inévitable que comporte toute définition formelle et que supposent l'évolution constante et la diversité de toutes les formes de rapports personnels étroits entre adultes. Cette façon de procéder obligerait également le législateur à être davantage attentif aux objectifs précis qu'il désire atteindre et à réexaminer le bien-fondé de ces objectifs. Finalement, le fait de définir un nouveau concept en fonction de l'objectif fondamental de la politique visée permet au législateur d'établir une nette distinction entre des rapports qui confèrent un statut social et les conséquences pratiques qu'il souhaite réaliser tant pour les adultes qui revendiquent ce statut que pour ceux qui ne peuvent y prétendre.

Des concepts comme le mariage et le conjoint de fait ont traditionnellement été utilisés pour désigner ceux qui sont visés par des politiques déterminées. Ils ne permettent pas de connaître les objectifs à la base de ces politiques, et ne sont que des mécanismes servant à identifier les types de rapports visées par ces politiques. Si l'on désire étendre les politiques et programmes préconisés au-delà des rapports que sont le mariage et l'union entre conjoints de fait, les critères servant à cibler les personnes visées par ces politiques devraient être énoncés clairement en fonction des politiques ainsi préconisées.

Les politiques et programmes qui sont présentement conçus de manière à ne viser que les rapports que sont le mariage et l'union entre conjoints de fait devraient-ils être étendus à d'autres rapports personnels étroits entre adultes?

Si l'État retient d'autres concepts que ceux de mariage et de conjoint pour désigner les personnes visées par certaines politiques, quel genre de critères pourraient être utilisés pour désigner les bénéficiaires en question?

En effet, traditionnellement dans notre société, on a considéré que le partenaire non marié avait moins de valeur que le partenaire marié. Parmi les désavantages subis par les partenaires non mariés, mentionnons l'ostracisme social par négation de statut et de bénéfices. Au cours des dernières années, le désavantage subi par des personnes vivant en union illégitime a grandement diminué. Nous sommes loin du temps où elles étaient obligées d'afficher sur elles la lettre A (pour adultère). Néanmoins, on ne saurait nier le désavantage historique subi par ce groupe.

L'honorable Juge McLachlin dans : Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418 au para. 152, en ligne : Cour suprême du Canada http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1995/vol2/html/1995rcs2_0418.html (date d'accès : 5 mai 2000).


Comprendre le contexte dans lequel s'inscrivent les concepts et les politiques

Les rapports personnels entre adultes ne comportent pas tous une composante affective et d'interdépendance. Lorsqu'ils impliquent ces aspects, on peut présumer que leur reconnaissance et leur appui constituent des objectifs législatifs louables. Malheureusement, certains de ces rapports impliquent des conséquences désastreuses pour les personnes qui les vivent. Une politique législative qui vise sans réserve à appuyer ces rapports personnels étroits entre adultes risque donc de renforcer indirectement les aspects indésirables de certains rapports. Par exemple, les règles strictes concernant le divorce ont peut-être contribué à la stabilité du mariage, mais elles ont également contraint un grand nombre de personnes à continuer à vivre dans un climat malsain, voire pathologique.

Il importe donc, lorsqu'on examine des objectifs législatifs et que l'on choisit les concepts devant servir à la réalisation de ces objectifs, de reconnaître le risque d'exploitation et de violence que comportent tous les rapports personnels entre adultes. Il s'ensuit que le législateur ne devrait pas s'en remettre exclusivement aux personnes qui établissent des rapports personnels étroits entre adultes pour choisir le type de régime qu'elles estiment le mieux adapté à leur situation. Le législateur doit se demander s'il doit établir un nombre minimal d'obligations réciproques que les adultes en question seront réputés avoir acceptées, qu'ils le désirent ou non. Au nombre de ces obligations, mentionnons à titre d'exemple des normes minimales de comportement interdisant toute exploitation physique ou psychologique et qui s'étendent au soutien économique tant au moment de la rupture d'une relation personnelle étroite qu'après cette rupture.

Il est également nécessaire que le Parlement se penche sur la question de savoir s'il y a lieu d'établir une distinction entre, d'une part, les mesures visant à appuyer les rapports de nature personnelle entre adultes qui sont harmonieux et, d'autre part, les politiques qui s'appliquent à ces mêmes rapports en cas de rupture. Par exemple, une politique qui accorde un traitement fiscal favorable ou un programme de prestations-maladie et de retraite peut appuyer des rapports personnels étroits entre adultes et leur permettre de prospérer. Mais en cas de rupture, il se peut que ces politiques et ces programmes aient créé une situation dans laquelle les conséquences de la rupture, notamment sur le plan économique, ne sont pas supportées également par ceux qui avaient établi ces rapports. La question qui se pose est celle de savoir comment on peut s'assurer que des politiques qui visent à protéger la sécurité physique, psychologique et économique d'adultes ayant établi des rapports personnels étroits ne sont pas contrecarrées ou n'engendrent pas des conséquences négatives en cas de rupture.

Un troisième élément contextuel dont il faut tenir compte est celui de l'écart qui existe entre les obligations et les avantages inhérents aux rapports personnels étroits entre adultes. Ainsi, de nos jours, le législateur est parfois davantage disposé à reconnaître les rapports personnels étroits entre adultes lorsqu'il s'agit d'imposer des obligations -- comme celle de subvenir aux besoins de son compagnon ou ex-compagnon -- qu'il ne l'est lorsqu'il s'agit d'offrir les avantages prévus par divers programmes gouvernementaux. Le législateur devrait-il faire le contraire? Prenons un exemple. Il existe de bonnes raisons d'accorder les avantages fiscaux versés à l'unité familiale au frère et à la soeur qui vivent ensemble, pour la simple raison que ce type de rapport dispense l'État de l'obligation de leur fournir des services sociaux et de santé. Toutefois, en cas de rupture, il ne conviendrait peut-être pas d'imposer une obligation alimentaire au frère ou à la soeur en question faute de preuve incontestable démontrant que son frère ou sa soeur dépend de lui ou d'elle sur le plan économique.

Bon nombre de rapports impliquent une interdépendance économique et affective. Parfois, ces types de rapports permettent à des personnes de réclamer des prestations de l'État. Parfois, ils les obligent à assumer des obligations l'une envers l'autre. Parfois, ils leur permettent de réclamer des prestations en vertu de régimes privés de soins de santé, de soins dentaires, d'assurance et de retraite.

Beaucoup soutiennent que l'admissibilité à ce type de prestations devrait être assujettie à d'autres conditions que celles qui déterminent l'imposition d'une obligation alimentaire.

L'État devrait-il, lorsqu'il impose des obligations aux personnes ayant établi ce type de rapports, prévoir des critères différents de ceux qui régissent l'admissibilité aux prestations?

Dans l'affirmative, est-ce que cela devrait être plus facile ou plus difficile pour une personne d'établir son admissibilité à des prestations que d'être assujetti à une obligation?


B. Statut et reconnaissance

En clarifiant les politiques législatives, en évitant des concepts comme mariage et conjoint chaque fois que la politique ou le programme en question ne concerne pas le mariage et en élaborant de nouveaux concepts qui établissent un lien direct entre la politique visée et les faits observables concernant les rapports que le législateur veut viser, on peut contribuer largement à assurer la cohérence, la justice et l'efficacité de la loi.

Une approche aussi pragmatique ne règle cependant pas les questions de statut symbolique. C'est la raison pour laquelle il y a un débat public aussi animé au sujet de la reconnaissance que la loi accorde à un type bien déterminé de rapports personnels entre adultes, en l'occurrence le mariage. Beaucoup prétendent que, tant et aussi longtemps que le législateur continuera à accorder un statut privilégié au mariage, toutes les personnes qui désirent se marier devraient être autorisées à le faire.

Pour bien saisir les implications de cette prétention, il est utile de rappeler les restrictions actuelles au droit de contracter mariage. Présentement, les futurs époux doivent avoir atteint l'âge minimal pour consentir au mariage, exprimer effectivement leur consentement au mariage, ne pas avoir entre eux des liens de parenté trop étroits, ne pas être déjà mariés à quelqu'un d'autre et être de sexe opposé.

Ces conditions préalables ne sont évidemment pas coulées dans le béton. Elles ont été modifiées au cours des ans avec l'évolution des mentalités et des valeurs. De nos jours certaines sont explicitement contestées, en particulier l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe. Qui plus est, ces conditions préalables ne sont pas un donné naturel. Elles ont été formulées à l'origine pour promouvoir certaines valeurs sociales en renforçant par exemple une conception religieuse précise des rapports personnels étroits entre adultes. De nos jours, de nombreuses personnes font valoir que ce type d'objectif n'est plus adapté à une société pluraliste et séculière.

Le Parlement dispose de plusieurs options pour le cas où il déciderait de réexaminer le statut symbolique qu'il accorde à divers rapports personnels étroits entre adultes. Premièrement, il pourrait redéfinir le mariage de manière à étendre ce concept à d'autres types de rapports personnels qui en sont pour le moment exclus. Deuxièmement, il pourrait remplacer le mariage par un système d'enregistrement civil. En troisième lieu, il pourrait reconnaître divers statuts et permettre ainsi aux gens de choisir celui qui convient le mieux à leur situation.

Bien des couples s'engagent dans le mariage sans réaliser que le mariage n'est pas simplement un contrat entre deux personnes ayant choisi de vivre ensemble, mais qu'il s'agit d'un statut conféré à des individus par l'État. Contrairement aux autres contrats, le mariage n'est pas simplement un arrangement privé entre deux personnes. Il possède un caractère public et il est soumis à des lois qui dictent et contrôlent les droits, obligations et incidents du mariage, sans tenir compte des désirs des personnes qui se marient. Même si le mariage est fondé sur un contrat entre deux individus, l'État établit les conditions de sa création, de sa durée et de ses conséquences. [notre traduction]

L. Larson, J. Goltz & B. Munro, Families in Canada- Social Context, Continuities and Changes, Toronto, Prentice Hall, 2000 à la p. 171.

Redéfinir le concept de mariage

Le mariage n'est pas seulement une institution socio-religieuse solidement enracinée; c'est aussi un concept juridique. Depuis au moins deux cents ans, le législateur permet aux personne qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se marier à l'église de célébrer leur mariage dans le cadre d'une cérémonie civile présidée par un fonctionnaire public. En d'autres termes, il existe de nos jours une nette distinction entre le mariage religieux et le mariage civil. Qui plus est, les conditions préalables à la célébration de l'une ou l'autre de ces formes de mariage ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi, l'Église catholique interdit le divorce et refuse toute cérémonie religieuse si l'un des futurs époux n'a obtenu son divorce qu'en vertu de la Loi sur le divorce. Le droit canadien reconnaît toutefois le divorce civil et le remariage subséquent quelle que soit la religion des personnes concernées.

Un grand nombre de gens soutiennent que le législateur ne devrait pas hésiter à définir le terme mariage de manière à l'adapter à ses propres objectifs en matière de politiques. Une grande partie de l'opposition exprimée contre cet élargissement de l'aptitude à contracter mariage vient de certains groupes religieux. Ils estiment que le législateur ne devrait pas avoir le droit de redéfinir un concept qui, soutiennent-ils, était à l'origine un concept religieux.

D'autres personnes répondent que, même si les organisations religieuses peuvent continuer à employer le mot mariage et à en limiter la portée, elles ne devraient être autorisées à le faire que dans leur domaine propre, la vie religieuse. Le législateur devrait avoir le droit de définir le mariage comme il l'entend aux fins juridiques habituelles. Ce n'est que dans les théocraties, souligne-t-on, que les concepts séculiers correspondent nécessairement aux concepts religieux.

On peut donc penser que le Parlement pourrait instituer un mariage civil et séculier dans lequel certains rapports, dont ceux entre personnes du même sexe, seraient reconnus et qui existerait parallèlement avec le mariage religieux défini par diverses autorités religieuses. Les religions pourraient continuer à imposer leurs règles en matière d'aptitude à contracter mariage, et ne marier que les personnes qui respectent ces règles. Cette solution permettrait de répondre aux préoccupations formulées par beaucoup de gens qui souhaitent se marier mais ne peuvent le faire. Elle ne répond toutefois pas aux préoccupations exprimées par d'autres adultes qui ont établi des rapports personnels étroits -- les frères et soeurs, les amis proches, les parents et leurs enfants adultes --, qui réclament eux aussi une reconnaissance symbolique officielle de leur situation.

Bien que le mariage est souvent célébré dans le cadre d'une cérémonie religieuse, l'État a depuis toujours disposé de l'autorité de définir les conditions d'admissibilité au mariage comme bon lui semble et de permettre notamment la célébration de mariages civils (c.-à-d. non religieux). Les conditions prescrites sont généralement les mêmes que celles prescrites par la plupart des religions à cet égard. Dans certains pays, il est question d'autoriser le mariage de personnes du même sexe.

Les critères adoptés par les gouvernements pour déterminer quelles personnes ont le droit de se marier dans le cadre d'une cérémonie civile ou séculière devraient-ils continuer à correspondre à ceux issus des traditions religieuses?

La loi devrait-elle être modifiée de manière à permettre le mariage de couples formés de personnes du même sexe dans le cadre d'une cérémonie civile?


Les unions libres enregistrées

À titre de solution de rechange à l'élaboration par le Parlement de sa propre définition du mariage pour répondre aux attentes exprimées quant à l'égalité du statut des individus, il pourrait tout simplement choisir de supprimer les termes mariage, conjoint et époux des lois et textes réglementaires actuels. Aucune conséquence fondamentale n'en résulterait s'il prend, au préalable, des mesures afin de fonder ses politiques et programmes divers visant les rapports personnels entre adultes sur un nouveau concept axé sur l'identification des propriétés factuelles des rapports personnels visés par ses interventions. Après avoir disposé du concept juridique lié au mariage, le Parlement serait alors en mesure d'établir formellement un nouveau statut qui s'appliquerait à une vaste gamme de rapports personnels étroits entre adultes.

Il convient toutefois de souligner qu'il serait difficile pour le Parlement de ne pas remplacer le concept du mariage par un autre concept conférant un certain statut. En effet, tant les lois provinciales adoptées au Canada qu'un grand nombre de régimes juridiques des pays étrangers utilisent encore le concept du mariage pour fonder leurs diverses politiques visant les rapports personnels entre adultes. Par conséquent, à moins d'adopter un régime faisant appel à un concept en remplacement de celui du mariage, l'on se buterait à des problèmes considérables, notamment sur le plan de l'harmonisation des lois fédérales et provinciales, ainsi que de la reconnaissance des lois canadiennes à l'étranger.

Il est impossible de considérer les options de réforme sans remettre en question les raisons pour lesquelles toute notre attention porte sur les relations sexuelles-romantiques plutôt que sur un plus large éventail de relations qui pourraient inclure notamment des rapports fondés sur l'amitié ou d'autres liens similaires (ex. une famille composée de deux soeurs veuves habitant ensemble.) Si de telles relations sont appelées à être reconnues, quelles sont les options à envisager?

W. Holland, «Intimate Relationships in the New Millennium : The Assimilation of Marriage and Cohabitation?» (2000) 17 Rev.Can.D.Fam. / 17 Can.J.Fam.L. 114 aux pp. 117-118.

Si le Parlement choisissait cette avenue, il pourrait y procéder en établissant un régime en vertu duquel les rapports personnels étroits entre adultes, répondant aux conditions prescrites, feraient alors l'objet d'une déclaration assortie d'une publication. Certains régimes juridiques ont baptisé ce modèle juridique de rechange « registre des unions libres ». L'enregistrement des unions libres se ferait sur une base volontaire, dans le cadre d'un processus public et fiable, et qui serait susceptible d'être reconnu par d'autres pays. Les projets élaborés à cet égard à l'étranger prévoient notamment la coexistence du régime d'enregistrement des unions libres avec celui des mariages civils, et visent à y accueillir les personnes qui n'ont pas le droit de se marier ainsi que les personnes qui ont ce droit mais choisissent de ne pas s'en prévaloir.

La coexistence du mariage civil et du régime d'enregistrement des unions libres ne répondrait pas complètement aux attentes symboliques des personnes qui voudraient que l'on reconnaisse les mariages de personnes du même sexe. Ils avancent en effet que tant que les couples formés de personnes du même sexe n'auront pas le droit de se marier, l'instauration d'un régime d'enregistrement des unions libres ne ferait que leur conférer un statut de second rang. Donc, ceci signifierait que si l'on veut que le régime d'enregistrement des unions libres soit une option viable, il faudrait alors que le Parlement décide d'abolir le concept des mariages civils également, exigeant que les couples mariés dans le cadre d'une cérémonie religieuse enregistrent leur statut de membres d'une union libre, comme ils doivent le faire actuellement d'ailleurs pour que leur mariage soit reconnu par l'État.

Une telle approche permettrait aussi au Parlement d'établir les conditions en vertu desquelles les adultes qui ont établi des rapports personnels étroits mais qui ne cohabitent pas avec une autre personne dans le cadre d'une union à caractère conjugal, comme par exemple cela serait le cas de frères et de soeurs, d'amis qui se soutiennent mutuellement, de parents vivant avec un enfant adulte, pourraient adhérer au régime et y enregistrer leur union. Ainsi, l'instauration d'un régime d'enregistrement des unions libres faciliterait aussi l'identification de tous les rapports de nature personnelle auxquels s'adressent les politiques et programmes mis de l'avant par le Parlement.

Dans plusieurs pays, l'on songe à instaurer un registre des unions libres en vertu duquel les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux pourraient enregistrer publiquement les rapports qui les unissent. Certains projets proposent que le régime s'adresse autant aux personnes ayant le droit de se marier qu'aux couples -- notamment ceux formés d'adultes du même sexe -- qui choisissent de ne pas se marier présentement. D'autres projets élaborés à ce sujet proposent également que les autres adultes ayant établi des rapports personnels étroits pourraient enregistrer leur union dans ce registre, s'ils le désirent.

Le Parlement devrait-il instaurer un régime d'enregistrement des unions libres?

Dans l'affirmative, un tel régime devrait-il exister parallèlement au mariage civil, ou le régime d'enregistrement des unions libres devrait-il remplacer le concept juridique du mariage?

Dans l'éventualité où un tel régime serait instauré, devrait-il être consacré uniquement à l'enregistrement des unions des personnes ayant présentement le droit de se marier, aux personnes vivant présentement en union libre, ou devrait-il également être ouvert à toute personne ayant des rapports personnels étroits avec une autre personne?


Statuts divers susceptibles d'enregistrement

Compte tenu de la diversité des rapports de nature personnelle entre adultes au Canada, si le Parlement décide d'instaurer un régime d'enregistrement des unions libres pour remplacer le mariage, il ne devrait pas hésiter à établir divers autres statuts juridiques susceptibles d'enregistrement. En effet, les adultes devraient avoir le choix de définir eux mêmes la nature des rapports personnels étroits qu'ils désirent établir. Dans une telle perspective, le Parlement pourrait élaborer un ou plusieurs statuts intermédiaires, se situant entre l'union libre dûment enregistrée (remplaçant le mariage civil) et les formes non enregistrées de cohabitation. Ces statuts intermédiaires entraîneraient une graduation correspondante des obligations mutuelles de chacun pendant l'union en cause, à l'égard desquels seraient prescrites des modalités régissant l'annulation de l'adhésion au régime et le partage des biens acquis durant l'existence des rapports établis entre les personnes qui y auraient enregistré leur union.

Tout système au sein duquel chacun peut choisir parmi une gamme de statuts visant autant de rapports personnels étroits entre adultes peut toutefois engendrer d'autres problèmes. Bien des gens ne sont pas conscients des conséquences juridiques des choix qu'ils exercent. Il arrive souvent qu'ils prennent pour acquis que la loi les protège parce qu'ils cohabitent avec une personne depuis un certain laps de temps, pour ensuite avoir la malheureuse surprise du contraire lorsque leur conjoint meurt ou lors de la rupture de leur relation. Par ailleurs, le choix d'un régime prévoyant une multitude de statuts doit tenir compte de plusieurs facteurs au-delà de celui prévoyant la liberté de choix. Après tout, la décision de se marier, d'enregistrer une union ou de cohabiter comporte en soi des conséquences considérables, notamment sur le plan du droit à certaines prestations gouvernementales, de la prise en charge de responsabilités à long terme et d'engagements financiers, de la différence du traitement prévu dans le cadre des contrats d'emploi, etc.

Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, la stratégie la plus efficace consisterait sans doute à limiter le nombre de statuts susceptibles d'enregistrement (peut-être à deux seulement), si l'on veut à la fois tenter de satisfaire à tout le moins le besoin d'une certaine reconnaissance symbolique tout en évitant de semer la confusion, surtout si l'on considère en outre les besoins des personnes les plus vulnérables. Ceci n'empêcherait aucunement des adultes vivant des rapports personnels étroits de signer un contrat correspondant à l'expression de leurs souhaits en ce qui a trait à leurs droits et obligations respectifs, sous réserve de l'application des règles juridiques impératives concernant la sécurité physique de chacun et le partage des avantages et responsabilités de nature économique. Toutefois, à la lumière d'autres considérations dont la reconnaissance internationale et l'administration efficiente d'un tel régime, peut-être qu'il ne serait pas opportun pour le Parlement d'instaurer un système prévoyant une multitude de statuts susceptibles d'enregistrement.

À l'heure actuelle, le droit canadien impose divers droits et obligations aux personnes mariées ou qui font vie commune depuis un certain temps. Bon nombre des obligations qui leur incombent ont un caractère obligatoire et il n'est pas permis de s'y soustraire même par contrat. En vertu de certaines propositions visant l'instauration de régimes prévoyant l'enregistrement des unions libres, les couples qui omettraient d'enregistrer leur union ne pourraient pas ainsi se soustraire aux droits et obligations qui sont jusqu'à présent imposés aux couples vivant en union de fait.

Devrait-on élaborer des critères juridiques fondés sur des faits, qui permettraient d'élaborer des droits et des obligations qui s'appliqueraient à tous les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux, peu importe qu'ils aient le droit ou non de se marier ou qu'ils choisissent de ne pas se marier, ou choisissent de ne pas enregistrer leur union?

Le droit devrait-il notamment prévoir que les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux ne puissent pas se soustraire à l'obligation mutuelle de soutien qui leur serait imposée par l'État?


VI Conclusion

La recherche des meilleures solutions en vue de reconnaître et de soutenir les rapports de nature pesonnelle entre adultes exige que le Parlement se pose des questions à la fois complexes et difficiles. Ces interrogations concernent non seulement le rôle que l'État doit assumer à cet égard, mais également les croyances fondamentales quant à la manière dont les adultes doivent pouvoir organiser leurs rapports entre eux.

Ce Document de discussion a examiné la perspective adoptée à l'égard de ces rapports au Canada et soulevé diverses questions quant à la pertinence de celle-ci dans le contexte d'une société diversifiée et séculière. Il a relevé les avantages liés à la reconnaissance officielle et au soutien des rapports personnels étroits, tout en soulignant comment la manière d'encadrer une telle reconnaissance peut aussi engendrer des conséquences néfastes pour les adultes les plus vulnérables et les personnes dont les unions ne correspondent pas à une catégorie reconnue.

Tout le monde devrait pouvoir choisir librement son partenaire intime et son état civil légal sans encourir de pénalité de la part de l'État ou sans avoir à subir des incitations financières à abandonner son choix.

***

Le rôle du droit devrait être de soutenir toutes les relations susceptibles de faire évoluer des objectifs sociaux valables et de rester neutre concernant le choix des individus à l'égard d'une famille ou d'un statut en particulier. [notre traduction]

B. Cossman & B. Ryder, Gay, Lesbian and Unmarried Heterosexual Couples and the Family Law Act: Accommodating a Diversity of Family Forms, Toronto, Commission de réforme du droit de l'Ontario, 1993 à la p. 3 et à la p. 5.

À la lumière des diverses problématiques révélées dans ce Document de discussion, l'on saisit mieux les difficultés à surmonter afin de trouver le libellé juste des dispositions législatives permettant de cibler convenablement les personnes auxquelles s'adressent les politiques que le Parlement désire mettre de l'avant. Il s'en dégage quatre orientations principales qu'il convient d'analyser dans le cadre d'une réforme du droit régissant les rapports personnels étroits entre adultes :

1. Le Parlement doit faire la lumière sur les politiques qu'il préconise présentement et sur celles qu'il juge opportunes de préconiser.

2. Le Parlement doit évaluer la conformité des concepts juridiques qu'il utilise présentement dans le cadre de ses pratiques par rapport aux politiques qu'il cherche à mettre de l'avant.

3. Le Parlement doit évaluer s'il convient encore aujourd'hui de faire appel aux concepts traditionnels comme mécanisme pour cibler les personnes auxquelles s'adressent ses politiques et ses programmes.

4. Le Parlement doit décider s'il doit modifier les concepts actuels en matière de statut ou en élaborer des nouveaux qui tiendraient compte de la diversité des rapports personnels entre adultes qui ne jouissent pas à l'heure actuelle d'un statut juridique reconnu.

Dans le cadre de sa réflexion à ce sujet, le Parlement aura à se pencher sur un certain nombre de questions plus précises. Certaines d'entre elles sont posées dans ce Document à titre de points de discussion. Elles sont également reproduites sur les feuilles amovibles que l'on retrouve immédiatement à la suite de la présente conclusion. La Commission du droit du Canada vous invite à lui faire part de vos commentaires au sujet de la manière que pourrait adopter le Parlement en vue d'encadrer les politiques ayant pour objet la reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes. Vous pouvez notamment nous transmettre vos commentaires en les affichant à la page web de la Commission, à l'adresse suivante : http://www.cdc.gc.ca.


Liste sélective des références

Rapports, livres, revues, articles

Alberta Law Reform Institute, Report for Discussion No. 18.1 -- Family Law Project Overview, Edmonton, Alberta Law Reform Institute, 1998, en ligne : Faculté de droit, University of Alberta http://www.law.ualberta.ca/alri (date d'accès : 28 avril 2000).

Australie, Parlement de la Nouvelle-Galles du Sud, Comité permanent sur les questions sociales, Report No. 20, Domestic Relationships: Issues for Reform -- Inquiry into De Facto Relationships Legislation (décembre 1999), en ligne : page d'accueil du Parlement de la Nouvelle-Galles du Sud http://www.parliament.nsw.gov.au (date d'accès : 28 avril 2000).

Bailey, M., dir. invitée, Symposium -- Domestic Partnerships, (2000) 17 Rev.Can.D.Fam./ 17 Can.J.Fam.L.

Bailey, M., Le mariage et les unions libres, Ottawa, Commission du droit du Canada, 1999, en ligne : Commission du droit du Canada http://www.cdc.gc.ca/fr/themes/pr/cpra/bailey/index.asp (date d'accès : 28 avril 2000).

British Columbia Law Institute, Report on Recognition of Spousal and Family Status, Vancouver, British Columbia Law Institute, 1998, en ligne : BCLI http://www.bcli.org (date d'accès : 28 avril 2000).

Commission de réforme du droit de l'Ontario, Report on the Rights and Responsibilities of Cohabitants under the Family Law Act, Toronto, Commission de réforme du droit de l'Ontario, 1993.

Cossman, B. & B. Ryder, Gay, Lesbian and Unmarried Heterosexual Couples and the Family Law Act: Accommodating a Diversity of Family Forms, Toronto, Commission de réforme du droit de l'Ontario, 1993.

Eichler, M., Family Shifts -- Families, Policies, and Gender Equality, Toronto, Oxford University Press, 1997.

Larson, L., J. Goltz & B. Munro, Families in Canada -- Social Context, Continuities and Changes, Toronto, Prentice Hall, 2000.

L'Institut Vanier de la famille, Profil des familles canadiennes II, Ottawa, L'Institut Vanier de la famille, 2000.

Millbank, J., "The De Facto Relationships Amendment Bill 1998 (NSW): The Rationale for Law Reform" (1999) 8 Aus. Gay & Lesbian L. J. 1.

Nouvelle-Zélande, Ministère de la Justice, Same-Sex Couples and the Law -- Backgrounding the Issues, Wellington, N.-Z., Ministère de la Justice, 1999, en ligne : Ministère de la Justice de la Nouvelle Zélande http://www.justice.govt.nz/pubs/reports/1999/same_sex/background.html (date d'accès : 9 septembre 1999).

Causes

M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, en ligne : Cour suprême du Canada http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1999/vol2/html/1999rcs2_0003.html

Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, en ligne : Cour suprême du Canada http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/pub/1995/vol2/html/1995rcs2_0418.html

Législation

Projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada, 2e sess., 36e législature, 2000 (1re lecture le 11 février 2000).

Autres travaux de recherche entrepris par la Commission du droit du Canada

Pour obtenir de plus amples renseignements sur la recherche en cours à la Commission du droit portant sur la reconnaissance et le soutien des rapports personnels étroits entre les adultes, et pour se procurer des exemplaires des documents de recherche parus à la suite de la diffusion du présent Document de discussion consulter le site internet de la Commission à l'adresse : http://www.cdc.gc.ca.


Sommaire des points de discussion

L'établissement de rapports personnels au sein desquels des adultes partagent des sentiments profonds l'un pour l'autre est une caractéristique essentielle de la vie en société. Ces rapports fournissent un milieu favorable à la satisfaction de la plupart des besoins importants des individus, au sein desquels ils peuvent notamment trouver le réconfort, l'affection, la sécurité, l'épanouissement et le bonheur. Ils peuvent aussi constituer un mode efficace pour assurer la mise en oeuvre des politiques et des programmes sociaux.

Le droit au Canada est généralement organisé suivant la prémisse voulant que la plupart des adultes vont se marier sinon vivre en union de fait avec une autre personne. Il existe aussi plusieurs autres types de rapports personnels étroits -- entre le père et la mère et leurs enfants adultes, entre frères et soeurs, entre deux amis -- établis entre des adultes qui vivent ensemble ou non et qui se soutiennent mutuellement.

Point de discussion 1 :

Voici quelques-uns des objectifs que vise présentement le législateur par des lois dans lesquelles il recourt aux concepts de conjoint ou de mariage pour préciser les personnes auxquelles elles s'appliquent :

  • Protéger l'intimité et la confiance au sein du couple
  • Encourager la fourniture de soins aux personnes à charge
  • Empêcher l'exploitation du conjoint économiquement faible
  • Reconnaître l'interdépendance économique
  • Encourager la redistribution de la richesse au sein de la famille
  • Reconnaître et encourager la cohabitation
  • Promouvoir la stabilité des unions
  • Créer un climat de certitude en ce qui concerne les droits et les obligations qui découlent des relations personnelles
  • Protéger les enfants

Y a-t-il d'autres objectifs que l'État devrait poursuivre en ce qui concerne les rapports personnels étroits entre adultes?

Point de discussion 2 :

L'une des approches visant à déterminer les politiques dont l'objet est de soutenir les rapports personnels étroits entre adultes consiste à faire appel à un critère formel comme celui du mariage. Une autre approche consisterait à énoncer un critère lié aux faits spécifiques caractérisant un tel rapport, par exemple la nature du rapport en cause et sa durée. Une troisième approche consisterait à permettre aux adultes participant à ces rapports de déterminer par eux mêmes s'ils veulent que leurs rapports bénéficient des politiques et des programmes préconisés par l'État. Un critère essentiellement formel risque de ne pas atteindre tous les bénéficiaires auxquels s'adressent les politiques et programmes préconisés. Un critère factuel risque de donner lieu à des vérifications coûteuses visant à examiner de près la vie privée d'adultes ayant établi des rapports personnels étroits. Un critère qui permettrait aux adultes ayant établi des rapports personnels étroits à déclarer volontairement leur situation pourrait mener à des abus en faussant l'admissibilité au programme en cause.

Comment l'État peut-il concilier l'impératif d'une gestion efficace des critères d'admissibilité et l'impératif d'atteindre effectivement les bénéficiaires visés par les politiques qu'il préconise?

Cet équilibre doit-il toujours être atteint de la même manière, ou cela peut-il varier en fonction de la nature de la politique, du programme ou de l'obligation en cause?

Point de discussion 3 :

Les auteurs de bon nombre de rapports portant sur les rapports personnels étroits entre adultes ont retenu les huit principes suivants, qu'ils considèrent appropriés et suffisants pour guider la réflexion du législateur :

  • protection des rapports reposant sur un choix personnel
  • non-discrimination dans l'accès à un statut social
  • libre arbitre
  • protection des personnes vulnérables
  • protection des attentes
  • équité dans l'attribution des prestations et avantages
  • égalité dans les rapports familiaux
  • protection de la vie privée

Ces principes sont-ils suffisants?

Comment l'État devrait-il s'y prendre pour résoudre les conflits entre ces principes?

POINT DE DISCUSSION 4 :

Des concepts comme le mariage et le conjoint de fait ont traditionnellement été utilisés pour désigner ceux qui sont visés par des politiques déterminées. Ils ne permettent pas de connaître les objectifs à la base de ces politiques, et ne sont que des mécanismes servant à identifier les types de rapports visées par ces politiques. Si l'on désire étendre les politiques et programmes préconisés au-delà des rapports que sont le mariage et l'union entre conjoints de fait, les critères servant à cibler les personnes visées par ces politiques devraient être énoncés clairement en fonction des politiques ainsi préconisées.

Les politiques et programmes qui sont présentement conçus de manière à ne viser que les rapports que sont le mariage et l'union entre conjoints de fait devraient-ils être étendus à d'autres rapports personnels étroits entre adultes?

Si l'État retient d'autres concepts que ceux de mariage et de conjoint pour désigner les personnes visées par certaines politiques, quel genre de critères pourraient être utilisés pour désigner les bénéficiaires en question?

Point de discussion 5 :

Bon nombre de rapports impliquent une interdépendance économique et affective. Parfois, ces types de rapports permettent à des personnes de réclamer des prestations de l'État. Parfois, ils les obligent à assumer des obligations l'une envers l'autre. Parfois, ils leur permettent de réclamer des prestations en vertu de régimes privés de soins de santé, de soins dentaires, d'assurance et de retraite. Beaucoup soutiennent que l'admissibilité à ce type de prestations devrait être assujettie à d'autres conditions que celles qui déterminent l'imposition d'une obligation alimentaire.

L'État devrait-il, lorsqu'il impose des obligations aux personnes ayant établi ce type de rapports, prévoir des critères différents de ceux qui régissent l'admissibilité aux prestations?

Dans l'affirmative, est-ce que cela devrait être plus facile ou plus difficile pour une personne d'établir son admissibilité à des prestations que d'être assujetti à une obligation?

Point de discussion 6 :

Bien que le mariage est souvent célébré dans le cadre d'une cérémonie religieuse, l'État a depuis toujours disposé de l'autorité de définir les conditions d'admissibilité au mariage comme bon lui semble et de permettre notamment la célébration de mariages civils (c.-à-d. non religieux). Les conditions prescrites sont généralement les mêmes que celles prescrites par la plupart des religions à cet égard. Dans certains pays, il est question d'autoriser le mariage de personnes du même sexe.

Les critères adoptés par les gouvernements pour déterminer quelles personnes ont le droit de se marier dans le cadre d'une cérémonie civile ou séculière devraient-ils continuer à correspondre à ceux issus des traditions religieuses?

La loi devrait-elle être modifiée de manière à permettre le mariage de couples formés de personnes du même sexe dans le cadre d'une cérémonie civile?

Point de discussion 7 :

Dans plusieurs pays, l'on songe à instaurer un registre des unions libres en vertu duquel les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux pourraient enregistrer publiquement les rapports qui les unissent. Certains projets proposent que le régime s'adresse autant aux personnes ayant le droit de se marier qu'aux couples -- notamment ceux formés d'adultes du même sexe -- qui choisissent de ne pas se marier présentement. D'autres projets élaborés à ce sujet proposent également que les autres adultes ayant établi des rapports personnels étroits pourraient enregistrer leur union dans ce registre, s'ils le désirent.

Le Parlement devrait-il instaurer un régime d'enregistrement des unions libres?

Dans l'affirmative, un tel régime devrait-il exister parallèlement au mariage civil, ou le régime d'enregistrement des unions libres devrait-il remplacer le concept juridique du mariage?

Dans l'éventualité où un tel régime serait instauré, devrait-il être consacré uniquement à l'enregistrement des unions des personnes ayant présentement le droit de se marier, aux personnes vivant présentement en union libre, ou devrait-il également être ouvert à toute personne ayant des rapports de nature personnelle avec une autre personne?

Point de discussion 8 :

À l'heure actuelle, le droit canadien impose divers droits et obligations aux personnes mariées ou qui font vie commune depuis un certain temps. Bon nombre des obligations qui leur incombent ont un caractère obligatoire et il n'est pas permis de s'y soustraire même par contrat. En vertu de certaines propositions visant l'instauration de régimes prévoyant l'enregistrement des unions libres, les couples qui omettraient d'enregistrer leur union ne pourraient pas ainsi se soustraire aux droits et obligations qui sont jusqu'à présent imposés aux couples vivant en union de fait.

Devrait-on élaborer des critères juridiques fondés sur des faits, qui permettraient d'élaborer des droits et des obligations qui s'appliqueraient à tous les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux, peu importe qu'ils aient le droit ou non de se marier ou qu'ils choisissent de ne pas se marier, ou choisissent de ne pas enregistrer leur union?

Le droit devrait-il notamment prévoir que les adultes ayant établi des rapports personnels étroits entre eux ne puissent pas se soustraire à l'obligation mutuelle de soutien qui leur serait imposée par l'État?


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