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Table des matières

Parlons franchement à propos des traités

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Réexamen du processus d'établissement des traités en Colombie-Britannique

James Tully

James Tully est professeur et également directeur de la Faculté de sciences politiques de l'Université de Victoria. Il fut également professeur et directeur de la Faculté de Philosophie de l'Université McGill, à Montréal. Le professeur Tully a écrit de nombreux ouvrages et prononcé plusieurs allocutions sur les droits des peuples autochtones, au Canada et en Australie, ainsi que sur le processus d'établissement des traités en Colombie-Britannique. Ses recherches ont récemment porté sur les droits des Autochtones et les traités conclus avec ceux-ci, dans le contexte du droit international. Il a également agi à titre de conseiller spécial auprès de la Commission royale sur les peuples autochtones, notamment dans l'élaboration de la vision de la Commission royale pour l'établissement de nouveaux rapports avec les peuples autochtones. Dans l'ouvrage qu'il a publié sous le titre « Strange Multiplicity: Constitutionalism in an Age of Diversity », il examine les mécanismes qui pourraient permettre de concilier la volonté d'autodétermination des peuples autochtones et les structures démocratiques constitutionnelles du Canada et d'autres structures issues de la common law.

Introduction

C'est un grand honneur pour moi que de vous présenter ce soir le discours inaugural de ce forum. Je remercie les peuples Salish du littoral pour leur hospitalité; grâce à eux, nous pouvons nous réunir ici et discuter de ces importantes questions sur leur territoire traditionnel. J'aimerais également remercier les deux hôtes qui m'ont invité à parler, la Commission du droit du Canada et la Commission des traités de la Colombie-Britannique. En particulier, je remercie Roderick Macdonald, président de la Commission du droit qui, très gentiment, m'a demandé si j'aimerais vous présenter une communication.

Il m'est difficile de m'adresser à cet auditoire pour deux raisons. Tout d'abord, vous connaissez tous beaucoup mieux que moi le processus d'établissement des traités. Deuxièmement, ce sont les discussions franches et honnêtes de demain qui constitueront le forum dans lequel nous essaierons, en parlant franchement de part et d'autre, de voir si et pourquoi ce processus d'établissement des traités est entré dans une impasse; et, si c'est le cas, comment résoudre cette impasse. Par conséquent, je me sentirais beaucoup plus à l'aise si je faisais ce discours demain soir, après avoir entendu vos exposés et assisté à vos délibérations. Je pense que je serais alors mieux préparé pour dire quelque chose de valable au sujet de cette situation difficile dans laquelle nous nous trouvons et sur comment nous pourrions essayer d'en sortir. Je suis sûr que tout ce que j'ai à dire ce soir, avant le forum, aura besoin d'être corrigé et peut-être même d'être rejeté à la lumière de nos échanges de demain.

Néanmoins, je vais tenter de parler ce soir de certaines des difficultés et de certains des blocages des négociations d'aujourd'hui et sur la façon dont nous pourrions utiliser cette occasion pour réexaminer le processus lui-même. Je ne sais si ce que j'ai à dire donnera le ton au forum dans son ensemble. J'espère, toutefois, qu'il nous aidera à mesurer l'importance capitale de ce processus pour tous les peuples autochtones et pour les Canadiens. Le juge en chef Lamer avait certainement raison lorsqu'il disait que le processus d'établissement des traités était la question la plus importante et la plus difficile à laquelle ferait face le Canada au XXIe siècle.

Le forum

Lorsqu'un processus complexe de traités est établi et mis en route à la hâte, des problèmes et des difficultés non prévus se présentent et il y a inévitablement des moments où ce processus doit être réexaminé et amélioré selon des modalités extraordinaires. Donc, le réexamen en cours n'est pas quelque chose d'inhabituel à cet égard. Ce moment de réflexion devrait être considéré comme une occasion. Pareils examen et amélioration devraient tenir compte de toutes les meilleures critiques et recommandations possibles. Tout d'abord, au cours de la dernière décennie, les négociateurs tant autochtones que non autochtones ont formulé un certain nombre de critiques. Il faut tenir compte de ces critiques et recommandations et les intégrer dans toute reformulation du processus. J'ai un immense respect pour les Premières Nations, pour les négociateurs provinciaux et fédéraux – pour le temps, l'énergie et la bonne volonté qu'ils ont consacrés à ces étapes complexes de la négociation. Leurs critiques et recommandations sont fondamentales à toute reformulation du processus. J'espère que nous discuterons demain de ces critiques.

Il y a ensuite d'importantes oppositions au processus d'établissement des traités, pris dans son ensemble, de la part des Premières Nations qui sont restées à l'écart du processus lui-même, de l'APN et de ceux qui ont décidé de quitter la table des négociations. Aucun examen ne serait digne d'intérêt si l'on ne tenait pas compte de leurs objections et recommandations. Je suis persuadé que nous en discuterons demain aussi. Troisièmement, un certain nombre de critiques ont également émergé des discussions publiques qu'ont tenues les citoyens de la Colombie-Britannique sur le processus. Il faut aussi tenir compte des préoccupations des citoyens, car aucun processus de traité ne sera légitime et stable, dans une démocratie constitutionnelle, s'il n'a pas l'appui de la population qui devra vivre et travailler conformément aux ententes signées. Je ne fais pas allusion ici uniquement aux citoyens non autochtones qui se sont montrés préoccupés mais aussi aux citoyens autochtones des Premières Nations qui ont soulevé des inquiétudes face à la relation existant entre les négociateurs et leurs communautés et face à l'efficacité éventuelle des ententes signées. Je suppose que ces critiques feront aussi partie des discussions. Enfin quatrièmement, nous devons entendre aussi les professionnels, les experts du processus de négociation au Canada, à savoir les avocats, les fonctionnaires, les experts du règlement des différends, les consultants en affaires et les universitaires. C'est grâce à un échange franc d'objections et de suggestions en provenance de ces quatre secteurs informés de l'opinion publique que les problèmes qui nous confrontent s'éclairciront et que nous trouverons les moyens de les résoudre.

Je ne peux prétendre passer en revue et résumer toutes les critiques et recommandations constructives formulées par ces quatre groupes pour donner un cadre aux discussions de demain. Nous serons peut-être en mesure de le faire d'ici demain soir. Ce que je peux faire ce soir, c'est quelque chose de beaucoup plus modeste et provisoire. Ce que je peux faire, c'est vous présenter en termes très généraux comment je vois la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons et les grandes lignes d'une amélioration possible. Cette ébauche ne survivra certainement pas aux discussions de demain, mais c'est au moins un point de départ que nous pourrons modifier ou écarter au fur et à mesure que nous avancerons dans nos travaux.

Les raisons d'une nouvelle relation

Tout d'abord, il faut se rappeler la grande importance du processus d'établissement des traités. Il a été mis sur pied pour établir une relation juste et durable entre les Premières Nations, qui étaient organisées en sociétés et qui occupaient le territoire depuis des temps immémoriaux et la Couronne qui affirma sa souveraineté dès 1846. Une telle relation juste et honorable n'a jamais été établie en Colombie-Britannique. Au contraire, une relation injuste et déshonorante a été imposée unilatéralement par le système des réserves et la Loi sur les Indiens, sans le consentement du peuple autochtone et au mépris de ses droits. Les peuples autochtones souhaitent des relations justes et honorables depuis l'arrivée de la Couronne, mais celle-ci a éludé la question en Colombie-Britannique aussi longtemps que possible, c'est-à-dire jusqu'à l'arrêt Calder en 1973. Après l'arrêt Calder, il est devenu clair que les gouvernements fédéral et provincial avaient l'obligation morale et constitutionnelle, dans le but aussi de sauvegarder l'honneur de la Couronne, d'établir de telles relations; c'est pour cela que fut créé le processus d'établissement des traités.

Les Premières Nations, la Cour suprême, le droit international et les principes de justice de la démocratie libérale convergent pour dire qu'on ne peut pas revenir en arrière. Il faut établir des relations justes pour des raisons de légitimité constitutionnelle et démocratique, mais aussi pour des raisons pragmatiques : stabilité, amélioration des conditions sociales et économiques, capacité économique des communautés autochtones, autonomie gouvernementale des Autochtones, développement d'un cadre de travail pour les terres, l'eau, l'utilisation des ressources et la protection de l'environnement. Toutes ces raisons sont citées dans les documents de base du processus d'établissement des traités en Colombie-Britannique et continuent de nous lier. En outre, les sondages montrent que la majorité des citoyens de la Colombie-Britannique réitèrent ces raisons et souhaitent voir s'établir une relation durable.

Cette nouvelle relation entre les citoyens de la Colombie-Britannique, autochtones et non autochtones, présente trois principales caractéristiques. D'abord, il s'agira d'une relation négociée entre les Premières Nations, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Deuxièmement, cette relation sera établie par des traités négociés de bonne foi, renforcée par des décisions judiciaires et fondée sur le consentement des trois parties. Enfin, le processus dans son ensemble devrait permettre de « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Majesté », selon les termes de la Cour suprême dans Delgamuukw1. Ce ne sont pas exactement les termes utilisés dans les premiers documents d'établissement des traités, mais ce sont les termes que nous avons utilisés au fur et à mesure que le processus se développait et que notre compréhension des droits des peuples autochtones se raffinait. Cette nouvelle relation incorpore donc une vision puissante de comment nous pouvons corriger les erreurs passées et établir un nouveau partenariat fondé à la fois sur des principes occidentaux et sur des traditions indigènes.

Si l'on s'entend largement sur les trois caractéristiques de cette nouvelle relation entre les parties, pourquoi alors le processus ne se déroule-t-il pas normalement ? Pourquoi de nombreuses Premières Nations quittent-elles la table des négociations et pourquoi les voix des Premières Nations restées à l'écart du processus gagnent-elles de plus en plus d'appui ? Pourquoi, par exemple, les chefs autochtones comme Herb George, Stewart Philip, Edward John, Phil Fontaine, Arthur Manuel et bien d'autres ont-ils pu s'entendre sur une déclaration condamnant le processus le 28 janvier 20002 ? Bien sûr, il existe d'importants problèmes internes au processus d'établissement des traités qui peuvent expliquer certaines des difficultés et qu'il faut résoudre. L'incertitude générée par différentes interprétations de l'arrêt Delgamuukw en est un autre facteur.

Toutefois, je crois qu'il existe un problème plus fondamental sous-jacent à ces difficultés internes et à la base de l'inertie et des dissensions auxquelles nous faisons face aujourd'hui. Le problème est que les participants ont deux façons différentes d'envisager le processus. Il existe une différence fondamentale dans la façon dont chacune des trois caractéristiques susmentionnées est comprise par les peuples autochtones d'une part et par les gouvernements fédéral et provincial de l'autre. Plus j'entends les négociateurs autochtones, provinciaux et fédéraux, plus je suis persuadé que les différences de vision sont à la source de nombreuses difficultés. Ces deux visions ont besoin d'être comprises et étudiées dans le forum de demain, si nous voulons reformuler le processus d'établissement des traités d'une façon qui soit acceptable pour tous et qui nous permette de nous orienter vers la réconciliation.

Deux visions différentes du processus d'établissement des traités

Permettez-moi d'esquisser brièvement ce que je considère être les principales différences pour chacune des caractéristiques du processus d'établissement des traités : la relation, le processus lui-même et la réconciliation.

La nouvelle relation

Tout d'abord, les gouvernements fédéral et provincial se considèrent comme des représentants de l'État entrant dans un processus de négociation avec des « minorités » du Canada. Le peuple autochtone s'entend des « Premières Nations » et des « peuples autochtones » du Canada, comme l'énonce l'Accord définitif Nisga'a3. Cela signifie que les Premières Nations sont déjà considérées comme des minorités subordonnées et dans une forme de soumission à l'État fédéral et à la province de la Colombie-Britannique.

Pour de nombreuses Premières Nations, cela met un terme à ce que les négociations devraient précisément être – l'établissement d'une nouvelle relation entre les Premières Nations, l'État fédéral et la province de la Colombie-Britannique. Pour que cette nouvelle relation puisse faire l'objet de négociations et d'un consentement, les Premières Nations doivent être traitées dès le début comme des partenaires « égaux » aux gouvernements fédéral et provincial et non comme des « minorités » subordonnées. Ces Premières Nations se voient, elles, comme les « Premières Nations » concluant des traités avec l'État fédéral et la province de la Colombie-Britannique, sur un pied d'égalité – de « nation à nation », et travaillant à l'établissement d'une nouvelle relation par la négociation de traités. Si, au contraire, elles sont traitées comme des minorités du Canada, alors les vieux liens injustes continueront à définir le processus relatif aux traités et une forme de « colonialisme » ou de « domestication » se poursuivra sans faire l'objet d'un examen. Cela signifie qu'on va éluder le processus de décolonisation des peuples indigènes, que le processus de négociation est censé régler, plutôt que de s'y attaquer dès le départ.

Cette vision d'un point de départ du processus d'établissement des traités qui soit juste – entre des peuples égaux – remonte dans l'histoire à l'occupation et au gouvernement de leurs territoires par les peuples autochtones, avant l'arrivée du Canada et ce, jusqu'à nos jours. Elle est confortée par le Rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones, publié après l'ouverture du processus d'établissement des traités et s'appuie aussi sur l'évolution du droit international à l'égard des peuples autochtones. On pourrait s'inspirer de ces documents pour remodeler cet aspect du processus des traités4.

Cela ne signifie pas que les Premières Nations soient « à l'écart » du Canada. La Cour suprême a expliqué que la Constitution du Canada avait le pouvoir, en vertu du droit international, de reconnaître « à tous les peuples le droit à l'autodétermination » à l'intérieur du cadre même de la Constitution et de concilier ce droit et ceux des autres membres de la Confédération5. Cela signifie qu'il existe une dimension internationale du processus de négociation et, dans cette optique, si le processus d'établissement des traités doit démarrer du bon pied, il doit donc démarrer sur la base de l'égalité des peuples qui participent aux négociations.

Objet du processus d'établissement des traités

Pour les gouvernements fédéral et provincial, l'objet du processus d'établissement des traités est envisagé par rapport au contexte de la politique sur les revendications globales de 1986. Par conséquent, les peuples autochtones ayant en common law des « droits ancestraux non définis » consacrés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la solution est de partir de ces droits ancestraux non définis pour aboutir à des droits bien définis dans le cadre de la Constitution. Le passage des uns aux autres se fait par négociation, comme dans l'Accord définitif Nisga'a. Il en résultera que les droits ancestraux non définis seront « modifiés » et « continués » dans des droits énumérés exhaustivement par traité et protégés par la Constitution. Ce processus signifiera la « renonciation » à tous les droits ancestraux non définis et leur « abandon ». Il apportera la « certitude » aux Premières Nations et à la Colombie-Britannique6.

Pour de nombreuses Premières Nations, l'objet du processus d'établissement des traités est bien différent. Elles considèrent ce que je viens juste de décrire comme une forme modifiée de la politique d'« extinction » et donc comme intolérable. Elles ne considèrent pas leurs droits ancestraux comme « non définis » ou incertains. Leurs droits sont des titres sur des territoires traditionnels et des droits à l'autonomie gouvernementale en tant que nation. C'est-à-dire que leurs droits sont des droits à l'autodétermination des peuples. Ils sont, ou seront, reconnus non seulement par le droit interne, mais aussi par le droit international, par leurs propres institutions juridiques et par leurs traditions7. Les peuples autochtones arrivent à la table des négociations avec ces droits. Cette façon de voir entraîne trois conséquences pour la négociation des traités.

Première conséquence : les traités ne portent pas sur les droits à la terre et à l'autonomie gouvernementale des peuples. Ces droits existent déjà et « coexistent » grâce aux négociations, tout comme les droits de la Colombie-Britannique et du Canada coexistent grâce aux négociations. Ils reconnaissent que le Canada dispose de titres sur ces mêmes terres et a aussi des droits à l'autonomie gouvernementale. Là non plus n'est pas la question. Aucune des parties n'abandonne ces titres sur ses terres. C'est ce que « l'égalité » signifie. Plutôt, ce que le processus de négociation doit aborder, étant donné que les titres fonciers se chevauchent et que l'exercice des pouvoirs des gouvernements se chevauche aussi, c'est comment partager la terre et les pouvoirs politiques à l'intérieur de partenariats justes et honorables qui respectent l'égalité et la coexistence des partenaires. L'objet des traités est alors d'établir une relation de partage mutuel entre des partenaires égaux et qui coexistent.

Les Premières Nations se fondent sur leurs 500 ans d'histoire de négociations de traité en Amérique du Nord pour considérer le processus de négociation comme un processus qui établit une relation de partage des terres, des ressources et des fonctions gouvernementales. Je ne pense pas que cela ait seulement effleuré les gouvernements provincial et fédéral quand le processus a été établi pour la première fois. Mais la Commission royale sur les peuples autochtones y a pensé et l'a indiqué dans son Rapport final de 19968. De plus, cette vision des traités dans un esprit d'égalité et de coexistence a été utilisée par la Commission royale pour critiquer et demander la révision de la politique sur les revendications globales, tout comme l'ont fait plus récemment les Treaty Seven Elders, l'APN, le Interior Alliance et le B.C. Summit9.

Je pense que les conséquences de l'arrêt Delgamuukw sont très importantes pour cet aspect du processus. D'après la vision fédérale et provinciale, les Premières Nations échangent des droits non définis sur des territoires traditionnels pour des droits clairement définis à des terres et à des ressources et à une indemnisation pour les territoires traditionnels qu'ils consentent à abandonner. Pour les Nisga'a, cela signifiait l'abandon de droits « non définis » sur plus de 80 p. 100 de leur territoire traditionnel. Pourquoi les Premières Nations devraient-elles accepter cela, après Delgamuukw, puisqu'on sait maintenant qu'elles ont un « titre exclusif » sur 100 p. 100 du territoire occupé par leurs ancêtres au moment où la Couronne a affirmé sa souveraineté. Évidemment, la charge de la preuve à établir sera difficile, tout comme le seront les consultations à mener et l'indemnisation à fixer, au cas où il y aurait chevauchement. Malgré cela, de nombreuses Premières Nations semblent préférer un règlement judiciaire à un règlement négocié qui leur ferait perdre de 80 à 95 p. 100 du territoire qu'elles ont traditionnellement occupé. (Et on a prétendu que la charge de la preuve pourrait être inversée10.) Donc, même si la Cour suprême n'a certainement pas endossé la vision autochtone de coexistence et de partage, elle s'est tout de même quelque peu éloignée de la politique sur les revendications globales pour se rapprocher d'une vision de coexistence préférée par les Premières Nations et par la Commission royale. Par conséquent, si les Premières Nations doivent retourner à la table des négociations, le processus doit être révisé de manière à être plus intéressant que semble l'être le règlement judiciaire. Mais alors les gouvernements fédéral et provincial risquent de croire qu'il s'agit là d'une mauvaise interprétation de Delgamuukw; que le fait d'aller en justice risque d'apporter une solution moins intéressante que le processus de négociation actuel11.

Deuxième conséquence : le fait d'envisager le processus d'établissement des traités dans cette optique suscite l'intervention de tout un ensemble de rituels et de récits dans lesquels les participants expliquent aux autres qui ils sont, quelle est leur culture, quelles sont leurs traditions et leurs façons de faire, comment ils se situent par rapport à la terre et comment ils pourraient négocier et se joindre aux autres tout en respectant leurs différences. Les négociations visent la conclusion d'un traité véritablement biculturel. Il ne s'agit pas simplement d'un exercice pratique régi par un ensemble de procédures et orienté vers un intérêt, mais aussi d'un exercice pratique orienté vers des identités et visant à une compréhension mutuelle par un échange de récits. Il ne s'agit pas d'un exercice futile préalable aux négociations. Il s'agit vraiment de transformer la relation existant entre les peuples autochtones et les citoyens de la Colombie-Britannique, car c'est la seule façon de déraciner en profondeur les malentendus qui se sont installés dans la relation depuis des années. Si l'on ne peut parvenir à une compréhension mutuelle à travers les dialogues, où narrations et récits sont échangés en toute franchise, alors aucune négociation, aucun partenariat entre ces différences culturelles ne pourra produire le niveau requis de confiance et de solidarité. Et, pour renforcer le processus d'établissement des traités dans les communautés plus importantes, ce genre d'enseignement mutuel doit se propager à travers la province.

Si ces dialogues de résolution des différends sont pris au sérieux, il sera plus facile de comprendre pourquoi la vision du processus modelé sur la Politique des revendications globales est inacceptable pour de nombreuses Premières Nations. Le premier récit que les peuples autochtones racontent à ceux qui les écoutent est celui de leur relation à leurs terres et à leurs eaux traditionnelles. Leur identité est intrinsèquement rattachée à la région écologique dans laquelle leur communauté vit depuis très longtemps. C'est ce que signifie le terme « indigène ». S'attendre à ce qu'ils abandonnent de 80 à 95 p. 100 de cela, c'est leur demander de cesser d'être Haida, Salish ou Nuu-Chah-nuulth – de cesser d'être Autochtones. Si le processus d'établissement des traités doit « réconcilier » les peuples indigènes et la Couronne, plutôt qu'assimiler les peuples indigènes à une identité non indigène, alors il doit respecter ce lien d'identité aux terres et aux eaux traditionnelles.

Troisième conséquence : envisager le processus dans cette optique, c'est négocier des traités qui sont des ententes précises, à court terme, pragmatiques et renouvelables pour résoudre des problèmes précis auxquels fait face la communauté autochtone en question. Puisqu'elles ne portent pas sur des questions immensément complexes d'abandon de larges pans de territoires traditionnels en échange de droits à des terres et à des ressources dans un langage hautement technique, ces ententes peuvent se concentrer sur des problèmes plus immédiats concernant la façon de partager et de cogérer les terres, les ressources, l'autonomie gouvernementale, la façon de bâtir une capacité ainsi que des partenariats économiques, afin de renforcer les communautés autochtones et de bâtir des liens mutuellement bénéfiques avec les communautés non autochtones voisines. Naturellement, il existe de difficiles négociations sur la question de savoir quelles sont les terres qui pourront être utilisées en exclusivité et quelle sorte de partage prévaudra pour les autres terres; par ailleurs, la pression supplémentaire d'ententes très larges, voulant tout régler une fois pour toutes, tombe. La spécificité de ces négociations de traité apporte avec elle une espèce de « certitude » différente et distincte; plus proche de la certitude familière des contrats d'affaires renouvelables, mais qui contraste avec la certitude d'un règlement final et définitif des droits ancestraux que le présent modèle promet mais n'a pas encore donnée, sauf dans un cas.

La réconciliation

La troisième et dernière différence entre les deux façons d'envisager le processus de négociation est la notion de « réconciliation ». À ce sujet, se rappeler que la Cour suprême a décrit comme suit le processus global de réconciliation réalisé par le processus de négociation :

En bout de ligne, c'est grâce à des règlements négociés de bonne foi, et à des concessions mutuelles de chaque partie, renforcés par les décisions de cette cour, que nous pourrons… « réconcilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Majesté »12.

Pour les gouvernements fédéral et provincial, la « réconciliation », comme nous l'avons vu, est le règlement total et définitif des droits ancestraux non définis par négociation de traités qui conduisent à un Accord définitif énonçant de façon exhaustive les droits visés par l'article 35. C'est le libellé de l'Accord définitif Nisga'a et il est précédé, en reprise, de la citation extraite de Delgamuukw dans le préambule.

La plupart des Premières Nations, au contraire, évoquent le processus de négociation à l'époque des premiers contacts, comme une alternative à la vision de la « réconciliation ». Pour elles, la réconciliation est une activité permanente, un processus continu de dialogue interculturel qui s'étale dans le temps entre les partenaires sur des questions d'intérêt commun. Chaque traité est négocié à l'intérieur d'un processus plus large de discussions et il est appliqué, interprété et périodiquement révisé et repoli au fur et à mesure que les choses changent et que des conséquences imprévues apparaissent. Ainsi, le processus ne finit jamais. Le processus est un lien de gouvernance démocratique et constitutionnelle entre les Premières Nations et les gouvernements fédéral et provincial par lequel les traités se font, se révisent, se contestent, se modifient et se renouvellent avec le temps13.

C'est là l'une des plus grandes différences dans les façons de voir des peuples autochtones et des gouvernements fédéral et provincial, en matière de processus d'établissement de traités. Pour ces derniers, le processus se règle en y mettant fin aussi vite et aussi efficacement que possible. Ce but a été difficile à atteindre pour les raisons que j'ai soulignées. Le processus n'apporte ni finalité, ni certitude. Il est important de se souvenir que les opposants non autochtones au processus des traités se sont entendus sur ce point fondamental avec les Premières Nations. Leur principale objection au processus est que des ententes définitives, protégées par la Constitution, ne peuvent faire l'objet de révision ou de renouvellement. Par conséquent, si le processus pouvait être révisé, davantage sur la base d'une relation démocratique permanente de réconciliation dans laquelle les parties négocieraient et renégocieraient les conditions de leur partenariat au fil du temps, il pourrait surmonter certaines des difficultés actuelles et gagner des deux côtés un plus large appui du public.

Je crois aussi que cette optique de la réconciliation, en tant que processus continu plutôt que fin d'un certain état de choses, est plus proche de la décision de la Cour suprême. Dans le Renvoi relatif à la Sécession du Québec, la Cour voit la démocratie constitutionnelle canadienne comme un système global de règles et de pratiques dans lesquelles, avec le temps, les divers membres de la Confédération canadienne « concilient unité et diversité » « au moyen de processus continus de discussions et d'évolution » conformément aux principes constitutionnels fondamentaux14. Ce principe général de réconciliation est sûrement le même qui fut appliqué aux Premières Nations dans l'affaire Delgamuukw. Il me semble que si le processus d'établissement des traités en Colombie-Britannique était révisé sur ce modèle, non seulement il pourrait fonctionner plus efficacement mais il se trouverait en même temps plus en harmonie avec l'évolution de notre démocratie constitutionnelle.

Conclusion

J'ai essayé d'esquisser brièvement les principales différences des deux visions du processus d'établissement des traités. Le conflit entre les deux est, je crois, une des causes majeures de mésentente entourant ce processus. Je suis sûr qu'on peut les formuler plus clairement que je ne l'ai fait15. Néanmoins, je suggère de traiter ces différences d'une façon ou d'une autre demain, si l'on veut clarifier le processus dans lequel nous nous sommes enfoncés et envisager la possibilité de nous orienter vers la réconciliation.

Ces deux visions conflictuelles ne sont pas gravées dans le béton. Il est possible d'apprendre à connaître les forces et les faiblesses de chacun et de les modifier en conséquence. Elles n'ont pas besoin d'être entièrement irréconciliables. Il est tout à fait plausible d'imaginer, en définitive, un moyen terme, suffisamment souple pour que les participants retiennent ce qui est fondamental pour eux dans chacune des visions modifiées et être encore capables de négocier ensemble, de bonne foi, des ententes justes et honorables. Cela constituerait non seulement une étape vers la réconciliation, mais aussi une étape de la réconciliation.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1 Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 [ci-après Delgamuukw] réédité dans S. Persky, Delgamuukw: The Supreme Court of Canada Decision on Aboriginal Title, Vancouver (C.-B.), Douglas, MacIntyre, 1998, para. 168.

2 "Statement of The Assembly of First Nations, including the Union of B.C. Indian Chiefs, the Interior Alliance and the First Nations Summit", publiée le vendredi 28 janvier 2000.

3 Le gouvernement du Canada, le gouvernement de la Colombie-Britannique et la nation Nisga'a, Accord définitif Nisga'a, Victoria (C.-B.), Ministry of Aboriginal Affairs, 1998, Préambule, clauses 2, 3 et 6, p.1 [ci-après Accord définitif Nisga'a].

4 Pour ces documents, voir Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Une relation à redéfinir, 1e partie, vol. 2, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996, aux pp.182-269 [ci-après Une relation à redéfinir].

5 Renvoi relatif à la Sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, para. 109-136 [ci-après Renvoi sur la Sécession du Québec]. Pour une importante discussion de ces paragraphes, voir J. Borrows, "Remise en cause du titre du Canada sur les terres : les peuples autochtones et la primauté du droit", dans le présent volume.

6 Accord définitif Nisga'a, supra note 3, clauses 22-29, pp. 22-24.

7 Par exemple, S.H. Venne, Our Elders Understand Our Rights: Evolving International Law Regarding Indigenous Rights, Penticton (C.-B.), Theytus Books, 1998.

8 Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Un passé, un avenir, vol. 1, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1996, pp. 741-761.

9 Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, Conclure des traités dans un esprit de coexistence, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1993.

10 K. McNeil, "The Onus of Proof of Aboriginal Title" [à être publié dans Osgoode Hall L.J.].

11 Ceci a été suggéré par G. Dacks dans "Litigation and Public Policy: Lessons from the Delgamuukw Decision", document présenté à la réunion annuelle mixte de l'Association canadienne de science politique et de la Société québécoise de science politique et de la Société québécoise de science politique, Québec, 1er août 2000.

12 Delgamuukw, supra note 1, para. 186.

13 Une relation à redéfinir, supra note 4 aux pp. 11-116.

14 Renvoi sur la Sécession du Québec, supra note 5, para. 32-82.

15 Pour une importante formulation à venir de ces différences, voir T. Alfred, "Deconstructing the British Columbia Treaty Process", document préparé pour l'Assemblée des Premières Nations, août 2000.

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