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Table des matières

Parlons franchement à propos des traités

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La voie à suivre

Hamar Foster

Hamar Foster, professeur de droit et doyen adjoint à la Faculté de droit de l’Université de Victoria, a pratiqué le droit à Vancouver avant de se joindre à la faculté de Droit en 1978. Au cours des vingt dernières années, il a écrit plusieurs ouvrages traitant de l’histoire du droit au Canada, du droit autochtone, et du droit comparé entre le droit criminel au Canada et aux États-Unis, et a notamment collaboré à la rédaction de deux volumes d’une série d’essais portant sur l’histoire du droit dans l’Ouest du Canada et des États-Unis.

En 2001, il sera reçu Fellow au Centre for Studies in Religion and Society de l’Université de Victoria, et travaille présentement à la rédaction d’un livre intitulé « We Are Not O'Meara's Children: The Quest for Aboriginal Title in British Columbia, 1849-1928. »

Ce n'est pas sans une certaine réticence que j'ai accepté de présenter cet essai pour la séance « La voie à suivre ». Je m'intéresse aux traités à titre d'historien du droit et d'éducateur, non à titre de participant; je ne suis ni un négociateur de traité ni une personne directement concernée par la négociation des traités. Non plus, pour paraphraser Leonard Cohen, puis-je prétendre détenir la clé qui nous mènera au cœur de cette question ou de toute autre. Mais, comme toute personne ici au Canada, j'ai à cœur le processus de négociation, et la question fondamentale que je me pose est de savoir comment nous allons partager le fardeau de l'histoire que nous a légué notre passé colonial. Ou, pour être plus direct, comment nous allons pouvoir à la fois reconnaître le caractère injuste et illégal de ce qui s'est passé en Colombie-Britannique et trouver des solutions qui soient aujourd'hui viables et justes ?

Il est clair que nous voulons tous trouver « la voie à suivre », autrement nous ne serions pas réunis ici aujourd'hui. La Cour suprême, dans l'affaire Delgamuukw , nous a indiqué la destination, même si ses juges, comme à l'habitude, se sont avérés plutôt avares de détails. Le secret de la réussite est la réconciliation des droits ancestraux et du titre aborigène préexistants avec la souveraineté de la Couronne. La Cour a dit que cette réconciliation devait se faire par la négociation, renforcée par ses propres arrêts, et qu'il fallait qu'elle se fasse, car c'était tout simplement la chose à faire. « Il faut se rendre à l'évidence, nous sommes tous ici pour y rester »1. La participation au processus de négociation signifie donc que nous devons prendre au sérieux les droits constitutionnels spéciaux des Premières Nations et aussi que, pour diverses raisons, nous devons parvenir à un règlement politique par la négociation plutôt qu'à un règlement judiciaire devant les tribunaux. Pareil engagement entraînera évidemment des compromis; mais il peut très bien ne pas conduire immédiatement à la conclusion de traités.

Le présent forum vise à essayer de sortir de l'impasse, non pour la perpétuer; je n'aborderai donc pas toutes les objections au processus actuel qui se sont manifestées au fil des années. Je laisserai de côté les objections aux droits ancestraux per se, aux droits ancestraux comme droits collectifs et à l'idée d'une souveraineté autochtone limitée ou partagée, selon les diverses interprétations. Ces thèmes ont eu leur temps, à mon avis, et bien que pareilles objections soient d'un intérêt philosophique certain, il ne s'agit peut-être plus de cela aujourd'hui2. Je laisserai également de côté les objections à la participation de la province aux rondes de négociations, les appels pour un changement fondamental de l'attitude du Canada vis-à-vis de la souveraineté autochtone et les différentes interprétations de l'arrêt Delgamuukw. Il s'agit là d'importantes questions et les désaccords sur l'arrêt constituent à eux seuls un obstacle évident à plusieurs tables de négociations. Je ne pense pas cependant que, dans la plupart des cas, il faille au préalable répondre à toutes ces questions pour pouvoir « réussir » à court terme. Si c'était le cas, on risquerait de ne jamais y arriver.

Le fait est que la province participe au processus de négociation; que tant le gouvernement fédéral que le gouvernement provincial reconnaissent qu'il existe un droit inhérent à une quelconque autonomie gouvernementale; et que les tribunaux n'iront certainement pas menacer cette tendance favorable3. Il me semble donc qu'informer le public pour qu'il sache pourquoi on en est là, et élaborer des mesures provisoires qui soient et justes et efficaces, feront sans doute beaucoup plus pour faire accepter le titre aborigène et la souveraineté d'une part et le processus lui-même d'autre part, que d'essayer de changer les esprits au niveau d'une volonté toute théorique. Donc à supposer que cela soit le cas, quels problèmes immédiats y a-t-il ?

Quelques problèmes du processus actuel de négociation

La première chose que je fis, quand j'ai réalisé que je devrais inaugurer la séance sur les solutions, fut de me rappeler ce que les architectes du processus actuel – les auteurs du Rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique – avaient à l'esprit4. Leur Rapport fut publié en 1991, une année après que la Cour suprême eut rendu sa décision dans l'affaire Sparrow5. Le procès Delgamuukw avait donné une indication de la longueur que pourraient prendre les litiges sur le titre aborigène et la Colombie-Britannique venait de décider de renverser 130 années d'opposition aux négociations. Le Groupe de travail voulait donc établir un cadre de travail pour un processus politique, plutôt que juridique, pour résoudre plus rapidement qu'un procès ne le ferait, l'infâme et perdurante « question des terres ». En particulier, il voulait renverser la règle fédérale qui confinait les négociations dans la province à un traité à la fois. Cette règle signifiait que les Premières Nations étaient obligées d'attendre pendant que les terres, qu'elles considéraient comme leur appartenant, se faisaient exploiter; cela a même poussé certaines à aller en cour – les Gitxsan et les Wet'suwet'en, par exemple. Donc, dans sa Recommandation 9, le Groupe de travail a laissé ouvert le nombre des négociations qui pouvaient avoir lieu concurremment.

Mais cela posait au moins deux problèmes. Le premier, évidemment, portait sur les ressources financières. La Recommandation 11 prévoyait que les équipes de négociations recevraient suffisamment de fonds mais 10 rondes de négociations, 20 ou – comme ce fut le cas – plus de 40, ça coûte cher. Le second problème concernait le chevauchement des revendications. La Recommandation 8 précisait que les Premières Nations devaient régler entre elles ces chevauchements de territoires et on s'attendait à ce que cela fût fait avant l'étape 4 (Entente de principe). Mais ce n'est pas ce qui s'est produit pour le litige entre les Nisga'a et les Gitanyow, et dans leur cas, les chevauchements sont aujourd'hui devant les tribunaux6.

Les choses n'ont donc pas vraiment fonctionné comme l'avait prévu le Groupe de travail et les problèmes suivants sont alors apparus (l'ordre est sans importance). Tout d'abord, il semble que la province, et probablement Ottawa aussi d'ailleurs, soit incapable de gérer efficacement en même temps plus d'une poignée de négociations rendues à l'étape 4 (à l'heure actuelle, 37 Premières Nations en sont à l'étape 4), et qu'il existe peut-être une volonté de ne pas engager de ressources pour faire plus que cela7. Deuxièmement, de nombreuses Premières Nations n'ont pas la capacité de négocier un traité, et elles ne l'auront pas de sitôt8. (Or, s'il faut en croire les enseignements de l'histoire, les traités signés à la hâte, alors que l'une des parties est mal préparée, ne sont pas des façons de faire avancer les choses). Troisièmement, les problèmes de chevauchement de territoires n'ont généralement pas été résolus. Quatrièmement, il y a la question de la Commission des traités elle-même : est-ce le modèle qui convient pour le genre de tâche à accomplir ? Et cinquièmement, il y a le problème des mesures provisoires. Qu'arrive-t-il aux terres revendiquées par la Couronne et par une ou plusieurs Premières Nations en attendant que chacun reçoive les fonds qui lui permettront de bâtir la capacité nécessaire pour régler les chevauchements et pour parvenir à une entente viable ? Et qu'arrive-t-il aux Premières Nations qui traînent à l'arrière, faute d'avoir réuni cette capacité ? La réponse est un mélange de désillusion et de frustration et un processus de négociation en difficulté. Il y a sans doute d'autres questions à soulever, mais nous avons là suffisamment de matière pour nous demander : si nous ne progressons pas comme nous l'avions prévu, pouvons-nous au moins progresser autrement ?

Tribunaux

Une question préliminaire concerne le rôle des tribunaux. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que la Commission du droit voulait dire en appelant son forum « Parlons franchement à propos des traités ». Je présume toutefois que la phrase était conçue pour faire savoir que, au moins depuis les années 1860, le pouvoir en Colombie-Britannique avait appartenu à des gouvernements non autochtones, non aux Premières Nations; et que même si nous faisions très attention à la façon dont nous caractérisons notre histoire partagée, ce déséquilibre avait longtemps été une entrave à la conclusion de traités efficaces9. Si le processus doit fonctionner, tel qu'il existe aujourd'hui ou selon une forme modifiée, toutes les parties devront faire des concessions. Personne n'a le monopole de la vérité et si les concessions accordées dans le traité avec les Nisga'a ne satisfont pas tout le monde, là encore il se peut qu'il y ait d'autres façons de faire.

Le titre du forum peut aussi être une façon de reconnaître que s'adresser aux tribunaux pour faire valoir ses droits est presque toujours un signe de faiblesse politique, non de force. (Les puissants ont généralement d'autres moyens plus efficaces.) Et pourtant, l'histoire de la question des terres des Indiens en Colombie-Britannique montre clairement que, sans le recours aux tribunaux, le processus de négociation n'aurait peut-être jamais vu le jour. En fait, même si Ottawa appuyait juridiquement le titre aborigène depuis au moins 1875, le gouvernement fédéral n'a pris le titre vraiment au sérieux qu'en 1973, quand la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Calder10. Et la Colombie-Britannique ne l'a pris au sérieux que lorsque plusieurs autres décisions ont été rendues, à commencer par l'affaire Meares Island en 198511. Donc, l'une de questions auxquelles font face les parties concerne, à mon avis, le rôle des tribunaux. Si le processus de négociation doit atteindre son objectif de réconciliation du titre aborigène et de la souveraineté de la Couronne uniquement par des règlements, une participation judiciaire importante est-elle aussi essentielle à la conclusion de traités qu'elle l'était pour faire démarrer le processus ? Si oui, une politique qui considère règlement judiciaire et règlement négocié comme s'excluant mutuellement, est-elle une bonne politique ? (Nous en discuterons davantage plus loin.) Il existe tellement de désaccords sur la signification de l'arrêt Delgamuukw, qu'il ne suffit pas de se demander si les ressources actuellement affectées au processus de négociation sont adéquates; il faut aussi se demander si elles sont affectées de façon judicieuse. Cela soulève alors la question du rôle de la Commission des traités elle-même.

La Commission des traités de la Colombie-Britannique

Ce forum a été convoqué par la Commission des traités de la Colombie-Britannique et par la Commission du droit du Canada, je présume donc que le rôle et le statut de la première ne sont pas sans importance. Je m'attends aussi à ce que les conférenciers et les discussions qui m'ont précédé aient déjà examiné la plupart des points que j'aborde dans cet essai quand viendra la séance de clôture. Je pense donc qu'il serait bon de consacrer, dans la présentation du sujet « la voie à suivre », quelques minutes à un bref aperçu de la Commission des traités dans son contexte historique.

La Commission des traités de la Colombie-Britannique est le troisième organisme créé pour s'attaquer à la question des terres indiennes dans la province. La première, la Indian Reserve Commission, exista de 1876 à 1908. Cette commission fut créée pour résoudre l'impasse, entre Ottawa et la Colombie-Britannique sur le titre aborigène et la superficie des réserves indiennes de la Colombie-Britannique, qui s'était produite peu après la Confédération en 1871 et pour répondre à la colère des Autochtones devant la perte de leurs terres. Elle résolut l'impasse, mais en mettant de côté la question du titre aborigène. La première année de son existence, la composition de la Commission fut mixte, avec un représentant de la province, un représentant du dominion et un commissaire. La province trouvait cela trop coûteux, donc après 1878 la Commission ne fut plus composée que d'un commissaire. Les différends entre Ottawa et la Colombie-Britannique ont finalement conduit à une autre impasse, cette fois sur la question de savoir sous le contrôle de quel gouvernement se situaient les terres que les Indiens avaient abandonnées, et la province mit un terme à la Commission en 1908. Le gouvernement Laurier, à Ottawa, a alors essayé de porter la question du titre aborigène en Colombie-Britannique devant la Cour suprême du Canada, mais la Colombie-Britannique s'y opposa.

À la chute du gouvernement Laurier, à l'élection de 1911, le nouveau gouvernement conservateur oublia l'idée et convint avec la Colombie-Britannique en 1912 de créer un autre organisme, la Commission McKenna-McBride, pour traiter de la question des terres indiennes dans la province. Une fois de plus, Ottawa accepta, sur insistance de la Colombie-Britannique de n'inclure dans les négociations que les terres des réserves et les terres extérieures aux réserves, objet d'un titre aborigène. La Commission McKenna-McBride a présenté son rapport controversé en 1916. Bien que ni elle-même ni la Commission qui l'avait précédée n'aient été autorisées à traiter du titre aborigène per se, les deux avaient un pouvoir d'enquête et dans une certaine mesure, de décision que la Commission actuelle ne possède pas.

Jusqu'en 1880, par exemple, la Indian Reserve Commission pouvait découper et a découpé des réserves indiennes sur les terres de la Couronne, y compris sur des terres données à bail, sans avoir à obtenir l'approbation de la province, obligation qui lui fut imposée plus tard. Les deux commissions, par ailleurs, étaient des commissions d'enquête (tout comme le tribunal Waitangi en Nouvelle-Zélande) dont les rapports détaillés et factuels sont –quoi qu'on puisse en penser – en grande partie responsables du système de réserves que l'on connaît aujourd'hui. Le fait est que, quels qu'aient été les objectifs des gouvernements fédéral et provincial à l'époque, ceux-ci en étaient venus à la conclusion que s'ils voulaient accomplir quelque chose de sérieux, l'organisme créé pour ce faire devait en avoir les moyens.

Là résidait la force des deux commissions précédentes. Elles avaient aussi des faiblesses qui, on peut le dire, nous ont conduits là où nous en sommes aujourd'hui. Tout d'abord, aucun de leurs membres n'était autochtone. Ensuite leur mandat était d'attribuer des terres en vertu d'un pouvoir exécutif, non du titre aborigène et aucun tribunal ne s'était prononcé sur ce titre en Colombie-Britannique12. Aussi, ces commissions furent créées après que d'importantes parcelles de terrain eurent déjà été transférées (par exemple, les transferts à la compagnie de chemins de fer CP sur l'île de Vancouver) et elles n'avaient pas les pouvoirs nécessaires pour arbitrer ou régler les conflits entre différents titres.

Même dans les années 1870, de grandes étendues de terres sans doute soumises au titre aborigène avaient déjà été soit acquises par préemption soit concédées à des colons. Ces acquisitions par préemption et ces concessions, étaient pour la plupart illégales; elles étaient certainement injustes. Mais, comme l'a souligné le commissaire Gilbert Malcolm Sproat, il n'était pas juge et ne pouvait juger de ces questions de façon péremptoire. Compte tenu du déséquilibre entre les forces constaté ci-dessus, cela signifiait que la concession ou l'acquisition par préemption avait habituellement préséance. Et ce fut aussi le cas pour de nombreuses terres données à bail. C'était là, de quelque façon, la version XIXe siècle des tensions entourant aujourd'hui les mesures provisoires. Et bien que Sproat ait réussi quelque peu en transformant en réserves des terres « vacantes » de la Couronne, lui et ses successeurs se sont souvent heurtés au problème des concessions préexistantes. Comme il l'a déclaré pour contester la proposition d'accorder à George Vernon, commissaire en chef des terres et des travaux de la Colombie-Britannique, un droit de veto sur les affectations de terres par la commission :

[Traduction] Les Vernon... et quelques autres grands propriétaires de bétail disposent de pratiquement tout le pays pour faire paître leurs bêtes. Je ne dis pas qu'ils ont été personnellement malveillants envers les Indiens mais ils pensent vraiment, que c'est une idée originale que les Indiens doivent avoir une part complète des merveilles naturelles que recèle leur propre pays13.

Voilà le genre de discours qui met en péril le boulot d'un gars14.

Et je me demande si le fait d'accepter cette « idée originale » à laquelle se réfère Sproat n'est tout simplement pas un obstacle tout aussi énorme au succès des négociations de l'an 2000 que ne le fut l'attribution aux réserves dans les années 1870. Après tout « une part complète » fondée sur des droits mutuels plutôt que sur des droits au bien-être social a depuis toujours été un des thèmes constants des Autochtones. Je me demande aussi si une commission qui n'est que « la gardienne » d'un processus qui se conforme au modèle traditionnel de négociation est le genre de commission qui convient. Par exemple, si l'on doute du pouvoir des négociateurs de représenter leur Premières Nations, la commission a-t-elle les pouvoirs suffisants pour en décider ? Si l'on doute de la capacité de la Premières Nations de négocier un traité, ou s'il devient évident qu'Ottawa ou la Colombie-Britannique ne peuvent négocier plus d'un certain nombre de traités à la fois, la commission peut-elle faire quelque chose pour remédier à ces situations ? Et si l'une des parties se montre déraisonnable vis-à-vis d'une question particulière ou ne négocie pas de bonne foi, que peut encore faire la commission15 ?

En résumé, une commission des traités post-Delgamuukw a-t-elle besoin de plus de pouvoir ? Il y a plus de cent ans, Sproat pensait qu'il lui en fallait plus, alors qu'il disposait déjà de beaucoup plus de pouvoir que n'en a cette Commission. Et si, comme cela semble être le cas, la Colombie-Britannique vient à penser que c'est la Commission et non les tribunaux qui devrait surveiller le processus de négociation, cela ne renforce-t-il pas l'argument en faveur d'une commission des traités disposant de plus de pouvoir qu'aujourd'hui16 ? Après tout, quand le modèle actuel a été créé au début des années 1990, la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait décidé qu'il n'existait en Colombie-Britannique aucun droit ancestral sur les terres et que s'il en existait, ils étaient loin de représenter un titre17. Quels que soient les désaccords actuels sur la bonne interprétation à donner au jugement Delgamuukw, ce jugement reconnaît aux Autochtones certainement beaucoup plus que cela. Il est donc légitime de se demander si le modèle de 1993 n'est pas un peu dépassé.

Obstacles constitutionnels mis à part, je ne suggère pas qu'une commission des traités disposant de pouvoirs semblables à ceux d'un tribunal visé par l'article 96 soit à la fois viable et nécessaire18. Mais les participants au forum voudront peut-être examiner si une commission disposant des pouvoirs dont bénéficie le tribunal Waitangi en Nouvelle-Zélande serait un modèle plus approprié. Ce tribunal mène des enquêtes fouillées et bien documentées; il reçoit des preuves, soit verbalement soit sous forme de pièces; ses rapports sont des documents publics qui font l'objet d'une large couverture médiatique; et tant le gouvernement de la Nouvelle-Zélande que le public néo-zélandais – les Maoris et les Pakehas aussi – prennent ces rapports très au sérieux19. Ce tribunal, que certains considèrent comme la « conscience de la nation » peut, dans certains cas, faire des recommandations exécutoires, aux termes desquelles la Couronne doit reprendre des terres transférées à des tiers pour les remettre au hapu Maori20.

Actions en justice et négociations

Afin de pouvoir participer aux négociations organisées par la Commission des traités, les Premières Nations n'ont pas besoin de prouver leur titre aborigène. Par ailleurs, si des problèmes de chevauchement surviennent ou que les parties ne peuvent s'entendre sur des points fondamentaux, il est évident que cela risque d'entraver sérieusement le processus de négociation. Il est donc concevable qu'une décision judiciaire soit nécessaire pour clarifier la procédure ou les droits ou même éventuellement pour fixer le titre. Il est certain que si les Premières Nations ne résolvent pas elles-mêmes les chevauchements et que la Commission n'a pas le pouvoir de les arbitrer ou de les régler, il est difficile de concevoir comment parvenir à un traité sans le recours préalable à une décision judiciaire quelconque21.

Deux propositions concernant les actions en justice et les négociations me paraissent évidentes. D'abord, dans les procès civils ordinaires, la clarté des droits juridiques en cause permet généralement de parvenir à une meilleure négociation. Deuxièmement, dans les procès civils ordinaires, les parties négocient habituellement sur une base « sans préjudice », tant avant qu'après l'émission des brefs. Il semblerait donc qu'une politique qui interdit ou décourage action en justice et négociation menées simultanément soit exceptionnelle et doive être justifiée. (Avant les années 1990, cette question ne se posait pas : le gouvernement de la Colombie-Britannique niait l'existence du titre aborigène et considérait qu'il n'y avait rien à négocier. Un procès était donc la seule option possible.)

Une autre question est la suivante : si les parties ne peuvent s'entendre sur des questions fondamentales, et si ces désaccords entravent sérieusement le processus de négociation, n'est-ce pas là une raison pour admettre un minimum de recours aux tribunaux ? Bien qu'il soit vrai qu'aucune des parties ne souhaite se lancer dans une grande aventure judiciaire – c'est d'ailleurs pourquoi existe le processus de négociation – le processus global ne nous y mène pas moins; peut-être pourrait-il alors aussi nous aider à « réussir ». Tout cela a d'importantes répercussions pour l'allocation des ressources. Et si la perspective d'un recours accru aux tribunaux n'est pas très encourageante, raison de plus pour rendre le processus actuel de négociation plus efficace22.

Mesures provisoires

Lorsqu'une Premières Nations partie au processus de négociation s'oppose au développement des ressources sur des terres faisant l'objet d'un titre aborigène éventuel, le fait que ce titre n'a pas à être établi pour joindre le processus de négociation perd en pratique tout son sens, si ce développement peut être justifié par l'absence de preuve du titre. Il est vrai que la plupart des obligations que l'arrêt Delgamuukw impose au gouvernement dépend de l'existence de droits ancestraux ou d'un titre aborigène. Mais si les gouvernements opposent cette réponse aux objections autochtones au développement, que va-t-il advenir des avantages les plus importants à court terme du processus de négociation, soit la réconciliation de la souveraineté de la Couronne et du titre aborigène pendant le processus lui-même ? Pourquoi alors négocier plutôt que d'aller en cour ou de revendiquer directement des droits à la terre ? Les gouvernements doivent évidemment garder à l'esprit le bien-être économique général de la province. Mais quel est l'intérêt d'avoir un processus de négociation, si la différence entre attendre d'avoir sa place à la table des négociations comme en 1989 et siéger à la commission tripartite de l'an 2000, c'est de voir se multiplier le nombre des négociateurs de traité, ce que les détracteurs appellent avec dérision « l'industrie indienne »23 ? Compte tenu de la complexité des questions en jeu et le fait réel que de nombreuses Premières Nations n'auront pas la capacité de conclure des traités efficaces pour les années à venir, ne devrait-il pas y avoir dès aujourd'hui l'engagement ferme, appuyé des fonds nécessaires, de réconcilier le titre autochtone et la souveraineté de la Couronne, sur une base provisoire ?

Conclusion

Compte tenu des difficultés susmentionnées, il se pourrait donc que les parties donnent au processus de négociation une orientation nouvelle. Cela pourrait se faire en modifiant les positions de négociation, en conférant plus de pouvoir à la Commission des traités, en finançant les recours aux tribunaux quand il s'agit d'obtenir des clarifications judiciaires et en modifiant la législation de manière à intégrer des mesures provisoires efficaces et en faire une partie essentielle du régime juridique de la Colombie-Britannique. Car si les fonds sont limités et la capacité est un problème pour chaque partie (bien que de façon différente), un fort régime de mesures provisoires risque d'être une meilleure solution que d'essayer d'aller de l'avant avec un processus qui n'est pas viable par rapport à ses objectifs d'origine. Cela ne signifierait pas d'abandonner le processus de négociation, mais de le modifier. Ce pourrait même être une façon de répondre tant aux critiques autochtones relativement au traité avec les Nisga'a – qui pensent que les Nisga'a ont fait trop de concessions – qu'aux critiques non autochtones qui pensent que la Couronne a fait trop de concessions, qui sont désormais gravées dans « le béton constitutionnel »24. De nombreux chemins mènent à la négociation et la pensée « archétype » – au moins tel que le terme est utilisé quelquefois – suggère une sagesse qu'aucun d'entre nous ne possède.

Une fois les questions de chevauchement et de représentation réglées, les Premières Nations, qui sont convaincues de pouvoir négocier un traité correspondant à leurs besoins, devraient le faire. Présentement, ce n'est pas le cas pour plusieurs Premières Nations. Il faudrait réorienter davantage de ressources engagées dans le processus vers la création d'un régime de mesures provisoires qui, en cas de succès, pourrait même évoluer vers une façon de réconcilier les droits ancestraux et la souveraineté de la Couronne sans que soit négocié un traité sur la sélection des terres, au sens classique du terme. Pareil régime permettrait aux Premières Nations de participer à la gestion et à la richesse de leurs territoires traditionnels; pendant ce temps, dans le cadre du processus de négociation, on continuerait à régler les difficultés; l'expérience ainsi acquise pourrait contribuer à trouver de nouveaux accommodements durables.

En bref, par une combinaison de stratégies, on pourrait atteindre nombre des objectifs du processus, au moins dans le court et le moyen termes, sans se heurter aux problèmes actuels. Entre-temps, bien des aspects du titre aborigène et de la souveraineté pourront être travaillés sur le terrain et le traité avec les Nisga'a (et d'autres modèles de processus de traité) pourra être comparé avec ce qui aura émergé de travaux sur la mise en œuvre de mesures provisoires viables. La principale alternative à ces stratégies est de remettre la sélection des terres aux mains de la justice, soit la chose même que le processus de négociation était censé éviter.

Il est indéniable que nous avons du chemin à faire avant d'atteindre « l'idée originale » de Sproat voulant que les Autochtones devraient avoir « une pleine part des merveilles naturelles que recèle leur propre pays ». Mais nous ne devrions pas perdre de vue le fait que nous avons déjà fait aussi beaucoup de chemin. Avant les années 1990, tout ce que ce forum discute aujourd'hui n'était que spéculation intellectuelle en Colombie-Britannique et le poids de l'histoire auquel je me référais plus tôt avait été pris à la légère et converti en des droits au bien-être social – avec les résultats misérables que l'on prédisait déjà en 1927 et qui sont si évidents aujourd'hui25. Nous ne devrions donc pas être surpris si, dans 10 ans, nous découvrons que notre première tentative pour améliorer les choses a des failles évidentes. Peu importe, il n'y aura plus de retour possible.

Autres publications

« Aboriginal Title and the Provincial Obligation to respect it: Is Delgamuukw v. British Columbia `Invented Law' ? » (1998), 56 Advocate 221

« Indigenous Peoples and the Law: The Colonial Legacy in Australia, Canada, New Zealand, and the United States », dans Johnston et Ferguson, dir., Asia-Pacific Legal Development, UBC Press 1998, aux pp. 466 à 500.

« Honouring the Queen: A Legal and Historical Perspective on the Nisga'a Treaty », 1998/99, 120 BC Studies 11-35

« ‘Indian Administration' from the Royal Proclamation of 1763 to Constitutionally Entrenched Aboriginal Rights », dans Paul Havemann, dir., Indigenous Peoples' Rights in Australia, Canada, and New Zealand, Oxford UP, 1999, aux pp. 351 à 377.

« A Romance of the Lost: The Role of Tom MacInnes in the History of the British Columbia Indian Land Question », dans Baker and Phillips, dir., Essays in the History of Canadian Law, vol. VIII, Toronto (Ont.), 1999, aux pp. 171 à 212.

« Fighting the King's War: Harris Smallfence, Verbal Treaty Promises and the Conscription of Indian Men, 1944 » (1999), 33 UBC L. Rev., aux pp. 53 à 74 (en collaboration avec R. Scott Sheffield).

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1 Delgamuukw c. la British Columbia (1997), 153 D.L.R. (4e) 193, le juge en chef Lamer, para. 186.

2 Dans Delgamuukw, la Cour suprême aurait pu rejeter le droit à l'autonomie gouvernementale fondé sur l'art. 35 mais elle ne l'a pas fait. Et bien qu'on ne puisse déterminer dans quelle mesure ce droit à l'autonomie gouvernementale des Autochtones est un droit constitutionnel découlant de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, personne ne conteste qu'il s'agit bien là d'un droit. [Quelques mois après le Forum, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé cette opinion dans Campbell et al. c. P.G. C.-B. Canada et Nation Nisga'a et al. (24 juillet 2000), Vancouver A982738 (B.C.S.C.) [ci-après Campbell].

3 Voir Campbell, ibid.

4 Voir Canada, Rapport du groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique, juin 1991 [ci-après Rapport de 1991]. J'ai également examiné un document que M. Alan Grove et moi-même avions écrit sur les traités en 1992, juste au début du processus de négociation. Nous avions alors soulevé plusieurs préoccupations. Notamment, l'incapacité pour de nombreuses Premières Nations de négocier de façon efficace (déséquilibre des forces), le danger de gaspiller de l'argent en répétant des recherches déjà faites ou entreprises pas d'autres (réinventer la roue), le caractère inadéquat des règles de preuve (histoire orale). Nous pensions aussi qu'il était essentiel d'éduquer le public et un nombre suffisant de spécialistes et d'éviter de faire porter l'opprobre à l'une des parties. Voir Foster et Grove, "Looking Behind the Masks: A Land Claims Discussion Paper for Researchers, Lawyers and Their Employers" (1993), 27 U.B.C. L. Rev. 213 [ci-après "Looking Behind the Masks"].

5 Regina c. Sparrow (1990), 56 C.C.C. (3e) 263 [ci-après Sparrow].

6 Les négociations pour le traité avec les Nisga'a ont commencé, il est vrai, bien avant le lancement des négociations en C.-B. et se sont déroulées par la suite à l'extérieur de ce processus. Mais la plupart des négociations importantes ont eu lieu après 1993.

7 Les chiffres sont extraits du Rapport annuel de la Commission des traités (1999), p. 15.

8 Voir "Looking Behind the Masks," supra note 4, pp. 246 à 251.

9 A. Manuel écrivait récemment que son père, George Manuel, pouvait au moins rencontrer les politiciens de l'opposition pour lutter contre le gouvernement mais qu'il pourrait aujourd'hui difficilement obtenir la même aide du parti fédéral réformiste [aujourd'hui l'Alliance] ou des libéraux de C.-B. C'est vrai. Mais il ne faut pas oublier que si les oppositions à Ottawa ou en C.-B. l'aident peu, c'est qu'aujourd'hui son gouvernement est favorable au titre aborigène et au processus de négociation (même si nombreux sont ceux qui estiment ce soutien insuffisant). On peut certainement parler de progrès.

10 Calder c. A.G.B.C. (1973), 34 D.L.R. (3e) 145. Sur ces premiers avis juridiques, et particulièrement un avis important demandé par la Commission d'alors en 1909, voir "A Romance of the Lost: The Role of Tom MacInnes in the History of the British Columbia Indian Land Question" dans Baker et Phillips, dir., Essays in the History of Canadian Law, vol. VIII, Toronto (Ont.) 1999, pp. 171 à 212.

11 Macmillan Bloedel Limited c. Mullin et al., etc. (1985), 61 B.C.L.R. 145 (B.C. C.A.).

12 Dans St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46, à la p. 59 (J.C. P.C.), on déclarait qu'une province ne pouvait utiliser les terres indiennes comme source de revenus tant que [traduction] "le bien de la Couronne n'est pas débarrassé du titre aborigène". Mais pour la C.-B., il n'y avait tout simplement pas de titre aborigène dans la province.

13 Sproat au ministre de l'intérieur (Ottawa), 27 oct. 1877, A.N.C., RG10, vol. 3656, dossier 9063.

14 Sproat a démissionné en 1880 pour protester contre le refus d'Ottawa d'approuver les initiatives d‘autonomie gouvernementale.

15 L'Entente signée par les parties en septembre 1992 traite de quelques-unes de ces questions, mais en termes très généraux.

16 Cela est apparemment la position de la province dans l'appel Luuxhon; voir Canada, le Rapport annuel de la Commission des traités, 1999, à la p. 37, et la décision de la B.C. S.C. dans Luuxhon, [1999] B.-C.J. 659.

17 Voir la décision du tribunal de première instance dans l'affaire Delgamuukw, publiée dans (1991) 79 D.L.R. (4e) 185 (B.C. S.C.).

18 Voir P. Hogg, Constitutional Law of Canada, Carswell, 1992, chap.7.

19 Voir, par exemple, le rapport Taranaki (1996). Dans ce pays, la Indian Claims Commission ressemble davantage au tribunal Waitangi, mais ne traite pas des revendications globales.

20 Avec indemnisation des tiers : voir R.P. Boast, "The Waitangi Tribunal: 'Conscience of the Nation,' or Just Another Court ?", (1993), 16 U.N.S.W. Law Journal 223, aux pp. 227-228.

21 Dans le Rapport de 1991, supra note 3, il est recommandé seulement (Recommandation 14) que la Commission "fournisse des conseils et de l'aide en ce qui concerne le règlement des différends, tel que convenu par les parties."

22 À propos, les avocats se trouveront sans doute autant concernés dans un processus que dans l'autre; donc même si certains se sentent mieux après avoir affirmé que le recours aux tribunaux ne fera qu'enrichir la profession juridique, ils sont tout à fait à côté de la question. Que cela plaise ou pas, le recours au droit fluctue au même rythme que les changements importants qui bousculent notre société régie par ce droit, et si cela marche pour les gouvernements et les entreprises, pourquoi pas avec les Premières Nations ?

23 Comme l'une des personnes à qui j'ai parlé me l'a plutôt tristement rapporté, le principal changement dont j'ai entendu parler depuis le début des négociations, c'est que les négociateurs conduisent une voiture plus nouvelle. Il ne faisait allusion qu'à l'une des trois parties, mais pensait que cela était également vrai pour les deux autres. Je ne dis pas que ce commentaire est nécessairement juste, mais le fait qu'on parle de la sorte peut être préoccupant.

24 Il se peut aussi, comme la Cour l'a fait remarquer dans l'affaire Campbell (supra note 2, aux pp. 52-53), que le béton ne soit pas sec; même les dispositions de traités peuvent être soumises à des restrictions statutaires si l'on peut les justifier par le critère énoncé dans l'affaire Sparrow (supra note 5). À ce sujet voir R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, aux pp. 812-813.

25 Voir les remarques du président de Allied Indian Tribes of B.C., P. Kelly, au comité parlementaire qui examinait les griefs de cette organisation en avril 1927, citées dans "Letting Go the Bone: The Idea of Indian Title in British Columbia, 1849-1927" dans H. Foster et J. McLaren, dir., Essays in the History of Canadian Law, vol. VI, Toronto (Ont.), 1995, aux pp. 28 à 68.

Parlons franchement à propos des traités

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