Tribunal canadien des 
relations professionnelles artistes-producteurs / Canadian Artists and Producers Professional Relations Tribunal
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Décision no 033

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 28 février 2001 Dossier no 1310-95-0019-A

CONCERNANT LA DEMANDE D'ACCRÉDITATION PRÉSENTÉE PAR L'ASSOCIATION CANADIENNE DES RÉVISEURS/EDITORS' ASSOCIATION OF CANADA

Décision partielle du Tribunal

La demande d'accréditation est suspendue.

Lieu de l'audience : Toronto (Ontario)

Dates de l'audience : 17 et 18 janvier 2001

Quorum : David P. Silcox, président
  Curtis Barlow, membre
  Moka Case, membre

Ont comparu : Connie John, directrice exécutive, ACR
  Rosemary Tanner, Past President, EAC
  Marian Hebb, avocate de TWUC
  Penny Dickens, directrice exécutive, TWUC


MOTIFS DE DÉCISION

1310-95-0019-A : Concernant la demande d'accréditation présentée par l'Association canadienne des réviseurs/Editors' Association of Canada


CONTEXTE

[1] La présente décision porte sur la demande d'accréditation que la requérante, l'Association canadienne des réviseurs/Editors Association of Canada (l'« ACR » ou la « requérante ») a présentée au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (le « Tribunal » ou le « TCRPAP »), sous le régime de l'article 25 de la Loi sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, ch. 33 (ci-après, la « Loi »)), le 20 février 1996. La demande a été entendue à Toronto les 17 et 18 janvier 2001.

[2] L'ACR avait d'abord demandé d'être accréditée pour représenter un secteur qui comprend [traduction] « les réviseurs de livres, de revues, de documents gouvernementaux et d'autres écrits rédigés dans l'une ou l'autre langue officielle, indépendants ou employés ».

[3] La description du secteur a subséquemment été modifiée et remplacée par le libellé suivant :

un secteur qui comprend tous les rédacteurs-réviseurs indépendants professionnels qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de :

a) préparer une oeuvre originale sous forme de compilation ou de recueil au sens de la Loi sur le droit d'auteur,

b) préparer une oeuvre originale créée en collaboration lorsque la contribution du rédacteur-réviseur représente un travail de coauteur, en langue française ou en langue anglaise.

[4] Un avis public de la demande a paru dans la Gazette du Canada du samedi 17 juin 2000 ainsi que dans les journaux suivants : L'Express (Toronto), La Presse, The Globe and Mail, Le Soleil, L'Acadie Nouvelle, L'Eau Vive (Regina), The Montreal Gazette, Le Franco Albertain (Edmonton) et La Liberté (Saint-Boniface), entre les 20 et 23 juin 2000. Aux termes de l'avis public, les artistes, associations d'artistes et producteurs avaient jusqu'au 31 août pour faire part au Tribunal de leur intérêt.

[5] À la date prescrite, le Tribunal avait reçu les déclarations d'intérêt de quatre associations d'artistes accréditées par le Tribunal, la Writers' Guild of Canada (la « WGC »), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (la « SARTeC »), The Writers' Union of Canada (« TWUC ») et la Periodical Writers Association of Canada (la « PWAC »). Ces associations sont intervenantes de plein droit relativement à la définition du secteur et à la représentativité de la requérante. Une demande d'intervention a aussi été déposée par Les Éditions Louis Martin Inc., mais elle a par la suite été retirée.

[6] Le 12 septembre 2000, l'Association canadienne des journaux (l'« ACJ ») a demandé le statut d'intervenante sous le régime du paragraphe 19(3) de la Loi, lequel prévoit que « [t]ous les intéressés peuvent, sur autorisation du Tribunal, intervenir dans les affaires dont il est saisi [...] ». Dans sa lettre, l'ACJ a soutenu que la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Periodical Writers Association of Canada, 1996 TCRPAP 014, s'applique en l'espèce et empêche toute décision du Tribunal d'avoir des répercussions sur les journaux. L'ACJ n'a sollicité le statut d'intervenante que pour que sa lettre soit versée au dossier de l'instance. Le Tribunal, après examen, a accordé le statut limité d'intervenante tel que demandé par l'ACJ.

LA PREUVE

L'ACR

[7] Au commencement de l'audience, l'ACR a modifié de nouveau, en bonne et due forme, la description du secteur pour lequel elle demandait l'accréditation, afin de préciser certaines exclusions. Le nouveau secteur proposé est le suivant :

tous les réviseurs-rédacteurs indépendants professionnels qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de :

a) préparer une oeuvre originale sous forme de compilation ou de recueil au sens de la Loi sur le droit d'auteur,

b) préparer une oeuvre originale créée en collaboration lorsque la contribution du réviseur-rédacteur représente un travail de coauteur,

en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

a) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996;

b) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

c) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDEC) par le Tribunal le 30 janvier 1996,

d) des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998.

[8] Cette modification a été faite suite aux ententes que l'ACR a conclues avec chacune des intervenantes la PWAC, la WGC et la SARTEC, copies desquelles ont été acheminées au Tribunal. Le Tribunal a pris note de ces ententes et elles ont été versées au dossier comme pièces.

[9] Connie John a témoigné pour l'ACR. Mme John est directrice exécutive de l'ACR et a déjà travaillé comme réviseur-rédacteur. Le prédécesseur de l'ACR, l'Association canadienne des pigistes de l'édition, a été fondée en 1979, et la requérante regroupe aujourd'hui 1 200 membres répartis en cinq sections régionales, celles de la Colombie-Britannique, des provinces des Prairies, de Toronto, de la Région de la capitale nationale, du Québec et du Canada atlantique. Ces membres travaillent en français, en anglais ou dans les deux langues. La plupart des 70 membres francophones de l'ACR font partie de la section du Québec et du Canada atlantique; le nombre des membres francophones a presque doublé pendant l'année dernière et l'inscription de ces membres continue de représenter un secteur de croissance important pour l'ACR.

[10] Connie John a témoigné que la publication d'ouvrages d'intérêt général représente environ 20 à 30 p. 100 du travail des réviseurs-rédacteurs dans le secteur proposé. L'ACR a défini cette activité comme la publication commerciale d'oeuvres destinées à un lectorat général. L'autre 70 à 80 p. 100 du travail intéresse la publication d'ouvrages scolaires et universitaires, la publicité, les calendriers, les livres de recettes, les manuels informatiques, les publications d'entreprises, les actes de conférences, les bases de données, les dictionnaires, les documents didactiques, les manuels, les glossaires, les index, les publications gouvernementales, les publications des commissions royales, les textes juridiques, les ouvrages de référence et d'autres rapports. Les tâches se diversifient et de nouvelles sources de travail surgissent; les réviseurs-rédacteurs sont notamment appelés à revoir le contenu de cd-rom et de pages web. L'ACR a déposé en preuve son Répertoire des réviseurs 2000-2001, lequel témoigne également de la diversité du travail des réviseurs-rédacteurs.

[11] L'ACR a présenté des éléments de preuve au sujet des nombreux types de révision. En voici les catégories de base : la révision conceptuelle, la révision de fond/structurale, la révision stylistique (ou linguistique), la préparation de copie et la correction d'épreuve. Chacune de ces catégories peut être définie de la façon suivante (les définitions sont tirées des documents que l'ACR a déposés auprès du Tribunal, ainsi que du témoignage de Rick Archbold, réviseur-rédacteur pigiste et auteur, et de Rosemary Tanner, ancienne présidente de l'ACR et réviseur-rédacteur pigiste) :

  • révision conceptuelle [traduction] « le rédacteur et le réviseur-rédacteur étoffent conjointement un concept ou un scénario élaboré par l'un ou par l'autre ou conjointement, pour produire un synopsis ou une proposition solide qui devient peu à peu un manuscrit en cours [... L'auteur] envoie des pages et des chapitres au réviseur-rédacteur au fur et à mesure de l'écriture, et le réviseur-rédacteur lui fait immédiatement part de ses commentaires et de ses conseils » (McCarthy, Developmental Editing, aux p. 135 et 136);
  • révision de fond/structurale [traduction] « la révision de fond comprend la réorganisation, la réécriture, la rédaction de transitions et la préparation de résumés » (Soughton, 1996, à la p. 2, cité dans Bailey, 1998, à la p. 25.); le réviseur-rédacteur propose des changements à la structure de l'ouvrage, par exemple la suppression ou le déplacement de passages, ou l'ajout de nouvelles parties. C'est un des genres de révision les plus créatifs, et il nécessite une étroite collaboration entre le réviseur-rédacteur et l'auteur-rédacteur;
  • révision stylistique (ou linguistique) [traduction] « Dans ce type de révision, [le réviseur-rédacteur] a un rôle de sage-femme ou de servante, et il extrait l'oeuvre de l'auteur au moyen des commentaires et des questions qu'il lui adresse et des recommandations qu'il lui fait en marge du texte, dans un processus qui est indifféremment appelé révision stylistique ou révision linguistique » (Bailey, à la p. 27). Le réviseur-rédacteur peut proposer ou même écrire des substitutions de mots, de phrases ou de paragraphes entiers;
  • préparation de copie [traduction] « s'entend de la révision orthographique et grammaticale du "manuscrit fini", de la vérification de sa cohérence et de l'uniformisation de la présentation [...] Généralement, dans ce type de révision, le réviseur-rédacteur ne réécrit pas et ne réorganise pas le texte, mais il peut abréger les passages prolixes et vérifier la logique du texte » (Soughton, 1996, à la p. 2, cité dans Bailey, 1998, à la p. 35). Son rôle est de jeter un « dernier coup d'oeil » au manuscrit pour en corriger la ponctuation, l'orthographe et la syntaxe;
  • correction d'épreuve [traduction] « Cette tâche consiste à vérifier les épreuves du manuscrit mis en page et révisé, pour veiller à ce qu'elles soient conformes à la maquette et à corriger les erreurs typographiques et les écarts par rapport aux directives éditiques. Généralement, les réviseurs-rédacteurs signalent les erreurs et les incohérences rédactionnelles, mais ils ne les corrigent pas » (Smith, 1997, à la p. 3, cité dans Bailey, 1998, à la p. 44).

[12] Il ressort de la preuve de l'ACR que les auteurs-rédacteurs (writers) sont libres d'accepter ou de rejeter les recommandations rédactionnelles, sous réserve de toute entente contraire avec l'éditeur. Autrement dit, l'auteur-rédacteur a habituellement le dernier mot. C'est ordinairement le cas pour la publication d'ouvrages d'intérêt général. Il peut toutefois arriver qu'un éditeur et un auteur-rédacteur conviennent de certaines prérogatives du réviseur-rédacteur qui lui permettront de passer outre aux désirs de l'auteur-rédacteur dans certains cas. Ce genre d'ententes se rencontrent davantage dans la publication de documents spécialisés.

[13] M. Archbold a signalé que l'étendue de la collaboration du réviseur-rédacteur et de sa participation à l'ouvrage final dépendra, dans certains cas, de ses compétences rédactionnelles. Il a donné l'exemple des auteurs-rédacteurs qui, bien qu'ils soient spécialisés dans les sujets sur lesquels ils écrivent, n'ont pas d'habileté rédactionnelle particulière. Dans de tels cas, le réviseur-rédacteur intervient directement et peut, en fait, devenir coauteur même s'il demeure invisible.

[14] L'ACR a exploré assez longuement l'« éthique de l'invisibilité », laquelle s'exprime principalement de deux façons. Premièrement, il faut que les changements apportés à un manuscrit soient invisibles pour le lecteur; le réviseur-rédacteur doit, pour cela, proposer des corrections qui respectent la voix et le style originaux de l'auteur-rédacteur. Deuxièmement, le réviseur-rédacteur ne doit pas revendiquer de droits moraux ou de droits d'auteurs dans l'ouvrage une fois que celui-ci est terminé; seul celui qui l'a écrit conserve le droit exclusif d'être associé à l'oeuvre en qualité d'auteur et, à ce titre, il est normalement le premier titulaire du droit d'auteur sur celle-ci. Les réviseurs-rédacteurs se contentent généralement des remerciements de l'auteur. Selon les témoins de l'ACR, cette éthique de l'invisibilité est de règle dans le monde de l'édition, et le réviseur-rédacteur qui ne l'observe pas pourrait rapidement se retrouver sans travail.

[15] Mme John a également soutenu que le travail des réviseurs-rédacteurs décrit ci-dessus peut être protégé par droit d'auteur ou faire l'objet de droits moraux, mais a indiqué que les réviseurs-rédacteurs, se pliant à l'éthique de l'invisibilité, acceptent ordinairement de renoncer à ces droits.

[16] Mme John a en outre affirmé que les réviseurs-rédacteurs rédigent des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies et qu'ils préparent des compilations d'oeuvres réalisées par d'autres.

[17] L'ACR a présenté un autre témoin, M. Jim Lyons, qui a été réviseur-rédacteur pendant plus de dix ans, principalement dans l'édition juridique. Ce dernier se considère comme un réviseur-rédacteur et non comme un auteur-rédacteur. Il a témoigné au sujet d'un rapport que Revenu Canada lui avait demandé de préparer. Trois sous-comités du Comité consultatif sur le commerce électronique (le « Comité consultatif ») avaient rédigé chacun un rapport, et il fallait fusionner et remanier ces textes pour produire un rapport unique. M. Lyons a réalisé cette fusion et, en consultation avec le Comité, il a révisé le texte. Si sa contribution aux chapitres plus techniques du rapport était minimale, il a largement participé à la rédaction des chapitres contextuels, et il a rédigé le glossaire et la bibliographie. Il a travaillé intensivement à ce projet pendant cinq mois. Le rapport final, Commerce électronique et l'administration fiscale du Canada, a été publié au mois d'avril 1998. C'est la Couronne qui détient le droit d'auteur.

[18] M. Lyons a indiqué que peu des projets qu'il avait réalisés pour le gouvernement avaient demandé ce genre d'apport créatif, mais que la révision des manuels nécessitait fréquemment une telle contribution.

[19] Il appert du témoignage de Mme John que l'ACR offre divers services à ses membres. Elle a, par exemple, élaboré des normes professionnelles, Professional Editing Standards, dont chaque membre peut obtenir un exemplaire. La requérante organise également chaque année divers séminaires à l'intention de ses membres. Elle a établi un contrat type pour les réviseurs-rédacteurs et réalise des sondages sur les tarifs. Dans chacune de ses cinq sections régionales, une ligne de dépannage est mise à la disposition des membres. Enfin, l'ACR publie un répertoire annuel, dont il existe une version en ligne.

[20] Le règlement de l'ACR prévoit deux catégories de membres : des membres votants et des membres associés. Peuvent appartenir à la première catégorie les réviseurs-rédacteurs qui ont accumulé au moins 500 heures de révision au cours de l'année précédente. Quiconque s'intéresse à la révision peut être membre associé. À la date de l'audience, le règlement ne prévoyait pas le droit des membres de consulter les états financiers; Mme John a toutefois informé le Tribunal que tous les membres recevaient chaque année des rapports financiers. Le règlement ne prévoyait pas non plus le droit des membres de ratifier un accord-cadre. L'ACR s'est engagée à apporter ces modifications au texte réglementaire si elle obtenait l'accréditation.

[21] Mme John a déclaré qu'à sa connaissance, la seule association intéressée à représenter les réviseurs-rédacteurs était l'ACR. Elle a également indiqué qu'aux termes des statuts constitutifs de TWUC, les réviseurs-rédacteurs ne sont pas admis à devenir membres de cette association.

TWUC

[22] TWUC conteste la définition de publication d'ouvrages d'intérêt général soumise par l'ACR. M. Bill Freeman, auteur-rédacteur indépendant, a témoigné que cette activité comprend toute forme de publication commerciale, y compris les publications d'entreprise et les publications gouvernementales. Il a témoigné que d'après son expérience, il lui faut habituellement compter neuf mois pour écrire un roman. Le réviseur-rédacteur intervient à la fin du processus et prend quelques heures pour lire le manuscrit et formuler verbalement des critiques de nature générale. Comme auteur-rédacteur, il peut les accepter ou les rejeter. Le manuscrit est alors soumis au processus de préparation de copie, lequel est plutôt mécanique puisqu'il s'agit de corriger la ponctuation et la grammaire. Le témoin ne considère pas les réviseurs-rédacteurs comme des coauteurs. Selon lui, la contribution du réviseur-rédacteur ne saurait se comparer à l'investissement en temps et en énergie réalisé par auteur-rédacteur; il estime qu'elle est [traduction] « négligeable ». Il a également souligné que la rémunération des auteurs-rédacteurs consiste habituellement en redevances alors que les réviseurs-rédacteurs touchent des honoraires s'ils sont pigistes ou un salaire s'ils sont employés.

[23] En contre-interrogatoire, M. Freeman n'a plus été aussi certain de la signification de publication d'ouvrages d'intérêt général. Il a dit que ceux qui écrivaient pour le gouvernement se trouvaient dans une [traduction] « zone grise ». Mme John a cité à M. Freeman une définition de publication d'intérêt général énonçant qu'il s'agissait de la publication d'oeuvres destinées au grand public. En réinterrogatoire, M. Freeman a reconnu que toute la question des publications gouvernementales était confuse pour lui.

[24] M. Christopher Moore, auteur-rédacteur et historien, a témoigné pour TWUC sur son expérience de coauteur. Une maison d'édition lui a demandé d'écrire, avec une autre auteur-rédacteur, Janet Lunn, une histoire du Canada pour jeunes lecteurs. Chacun a écrit des chapitres différents, puis ils se les sont échangés et les ont réécrits. Ils ont poursuivi la révision du manuscrit de cette manière pour en arriver à la version définitive. Bien que M. Moore et Mme Lunn aient reçu un appui rédactionnel important, ils sont les deux seuls auteurs de l'oeuvre.

[25] Il a relaté son expérience récente avec un réviseur-rédacteur inexpérimenté qui a réécrit de longs passages de la troisième édition de l'ouvrage dont il était question plus haut. Il a appelé celle-ci pour lui demander de refaire le travail, en observant les usages habituels en matière de révision. C'est ce qu'elle a fait, en indiquant ses questions et ses recommandations dans la marge, sans réécrire le texte. M. Moore a insisté sur le fait que, d'après son expérience, c'est à lui qu'il appartient d'accepter ou de rejeter les recommandations du réviseur-rédacteur. Il a déclaré que la contribution des réviseurs-rédacteurs avait de la valeur pour lui mais que ceux-ci ne pouvaient pas être considérés comme des coauteurs.

[26] En contre-interrogatoire, M. Moore a confirmé que les réviseurs-rédacteurs professionnels d'expérience n'apportent pas de modification aux manuscrits sans consulter d'abord les auteurs-rédacteurs. Il a confirmé que les réviseurs-rédacteurs et les auteurs-rédacteurs sont collaborateurs à cet égard.

[27] Le dernier témoin de TWUC était sa directrice exécutive, Mme Penny Dickens. Cette dernière a témoigné que les membres de l'association n'écrivent pas uniquement pour la publication d'ouvrages d'intérêt général, mais qu'ils produisent également des manuels, des ouvrages scolaires et universitaires, etc. En outre, TWUC, qui a été accréditée par le Tribunal, ne veut pas restreindre ses négociations en matière de publication d'ouvrages d'intérêt général; elle entend négocier relativement à la rédaction de tout ouvrage de plus de 44 pages. Elle affirme également que l'accréditation accordée à TWUC englobe les auteurs d'oeuvres créées en collaboration et les auteurs de recueils.

[28] En contre-interrogatoire, Mme Dickens a déclaré que nul ne peut être admis à TWUC s'il n'a publié au moins un livre d'intérêt général. Cette exigence peut être levée exceptionnellement, mais seulement dans un petit nombre de cas.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29] Voici ce qu'énoncent les dispositions applicables de la Loi sur le statut de l'artiste :

5. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
« artiste » Entrepreneur indépendant visé à l'alinéa 6(2)b).
[...]
6. [...]
(2) La présente partie s'applique :
[...]
(b) aux entrepreneurs indépendants professionnels _ déterminés conformément à l'alinéa 18b) :

(i) qui sont des auteurs d'oeuvres artistiques, littéraires, dramatiques ou musicales au sens de la Loi sur le droit d'auteur, ou des réalisateurs d'oeuvres audiovisuelles,
(ii) qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent de quelque manière que ce soit une oeuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes,
(iii) qui, faisant partie de catégories professionnelles établies par règlement, participent à la création dans les domaines suivants : arts de la scène, musique, danse et variétés, cinéma, radio et télévision, enregistrements sonores, vidéo et doublage, réclame publicitaire, métiers d'art et arts visuels.

[...]

17. Le Tribunal peut, dans le cadre de toute affaire dont il est saisi :
[...]
(p) trancher toute question qui peut survenir, et notamment déterminer :

(i) si une personne est un producteur ou un artiste,

[...]

23. (1) L'accréditation d'une association d'artistes est subordonnée à la prise de règlements qui :
a) établissent des conditions d'adhésion;
b) habilitent ses membres actifs à participer à ses assemblées, à y voter et à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant;
c) garantissent aux membres le droit d'obtenir une copie des états financiers du dernier exercice certifiée conforme par le dirigeant de l'association autorisé à le faire.

[...]

25. (1) Toute association d'artistes dûment autorisée par ses membres peut demander au Tribunal de l'accréditer pour un ou plusieurs secteurs :
a) à tout moment, si la demande vise un ou des secteurs pour lesquels aucune association n'est accréditée et si le Tribunal n'a été saisi d'aucune autre demande;
b) dans les trois mois précédant la date d'expiration d'une accréditation ou de son renouvellement, s'il y a au moins un accord-cadre en vigueur pour le secteur visé;
c) sinon, un an après la date de l'accréditation ou de son renouvellement, ou dans le délai inférieur fixé, sur demande, par le Tribunal.

[...]

26. (1) Une fois expiré le délai mentionné au paragraphe 25(3), le Tribunal définit le ou les secteurs de négociation visés et tient compte notamment de la communauté d'intérêts des artistes en cause et de l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociations, d'accords-cadres et de toutes autres ententes portant sur des conditions d'engagement d'artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

[...]

27. (1) Une fois le secteur défini, le Tribunal détermine, à la date du dépôt de la demande ou à toute autre date qu'il estime indiquée, la représentativité de l'association d'artistes.

[...]

28. (1) Le Tribunal délivre l'accréditation s'il est convaincu que l'association est la plus représentative du secteur visé.

[30] Les dispositions applicables de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 sont ainsi conçues :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« compilation » Les oeuvres résultant du choix ou de l'arrangement de tout ou partie d'oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques ou de données.

[...]

« livre » Tout volume ou toute partie ou division d'un volume présentés sous forme imprimée, à l'exclusion :

a) des brochures;
b) des journaux, revues, magazines et autres périodiques;
c) des feuilles de musique, cartes, graphiques ou plans, s'ils sont publiés séparément;
d) des manuels d'instruction ou d'entretien qui accompagnent un produit ou sont fournis avec des services.

[...]

« oeuvre créée en collaboration » Oeuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l'un n'est pas distincte de celle créée par l'autre ou les autres.

[...]

« oeuvre littéraire » Y sont assimilés les tableaux, les programmes d'ordinateur et les compilations d'oeuvres littéraires.

[...]

« prestation » Selon le cas, que l'oeuvre soit encore protégée ou non et qu'elle soit déjà fixée sous une forme matérielle quelconque ou non :

a) l'exécution ou la représentation d'une oeuvre artistique, dramatique ou musicale par un artiste-interprète;
b) la récitation ou la lecture d'une oeuvre littéraire par celui-ci;
c) une improvisation dramatique, musicale ou littéraire par celui-ci, inspirée ou non d'une oeuvre préexistante.

[...]

« recueil »
a) Les encyclopédies, dictionnaires, annuaires ou oeuvres analogues;
b) les journaux, revues, magazines ou autres publications périodiques;
c) toute oeuvre composée, en parties distinctes, par différents auteurs ou dans laquelle sont incorporées des oeuvres ou parties d'oeuvres d'auteurs différents.

[...]

« représentation » ou « exécution » Toute exécution sonore ou toute représentation visuelle d'une oeuvre, d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'un signal de communication, selon le cas, y compris l'exécution ou la représentation à l'aide d'un instrument mécanique, d'un appareil récepteur de radio ou d'un appareil récepteur de télévision.

[...]

« toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » S'entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu'en soient le mode ou la forme d'expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les oeuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences.

[...]

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l'oeuvre;
[...]
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramatique, ou d'une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, d'en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l'aide desquels l'oeuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publiquement l'oeuvre en tant qu'oeuvre cinématographique;
f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;
[...]
Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.

12. Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d'auteur sur les oeuvres préparées ou publiées par l'entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d'un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l'auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l'oeuvre.

13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'auteur d'une oeuvre est le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre.

[...]

14.1. (1) L'auteur d'une oeuvre a le droit, sous réserve de l'article 28.2, à l'intégrité de l'oeuvre et, à l'égard de tout acte mentionné à l'article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d'en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l'anonymat.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[31] La présente affaire soulève les questions suivantes :

1) Les réviseurs-rédacteurs sont-ils des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste?

2) Le secteur proposé par l'ACR est-il approprié aux fins de la négociation?

3) L'ACR est-elle représentative des artistes du secteur?

4) Le règlement de l'ACR est-il conforme aux exigences du paragraphe 23(1) de la Loi sur le statut de l'artiste?

LES ARGUMENTS DES PARTIES

L'ACR

[32] Relativement à la première question, l'ACR invoque deux motifs à l'appui de son affirmation selon laquelle les réviseurs-rédacteurs sont des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste. Elle fait valoir principalement que les réviseurs-rédacteurs étant des auteurs d'oeuvres littéraires au sens de la Loi sur le droit d'auteur il s'ensuit qu'ils sont des artistes au sens du sous-alinéa 6(2)b)(i) de la Loi sur le statut de l'artiste. Elle soutient subsidiairement que les réviseurs-rédacteurs dirigent des oeuvres littéraires et qu'ils sont donc des artistes au sens du sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la même loi.

[33] Au sujet de son premier argument, l'ACR avance d'abord que le Tribunal est libre de formuler sa propre définition du mot « auteur » pour les fins de la Loi sur le statut de l'artiste, car le mot n'est pas défini dans la Loi sur le droit d'auteur. Selon l'ACR, les réviseurs-rédacteurs sont des auteurs de compilations, de recueils et d'oeuvres crées en collaboration.

[34] À l'appui de son argument voulant que les réviseurs-rédacteurs soient des auteurs de compilations ou de recueils, l'ACR a signalé le fait que les réviseurs-rédacteurs rédigent des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies et qu'ils réalisent des compilations d'oeuvres d'autres auteurs, comme des nouvelles ou des poèmes.

[35] L'ACR soutient également que l'intervention créatrice des réviseurs-rédacteurs auprès des auteurs-rédacteurs en fait des coauteurs. Le travail de coauteur accompli par les réviseurs-rédacteurs nécessite de l'inspiration et de la collaboration avec l'auteur-rédacteur. Selon l'ACR, toutes les catégories de révision, de la révision conceptuelle à la préparation de copie, représentent un travail de coauteur. L'ACR prétend qu'au sein de la relation auteur-rédacteur/ réviseur-rédacteur, l'apport de l'un des auteurs (l'auteur-rédacteur) n'est pas différent de celui de l'autre (le réviseur-rédacteur). Dans la mesure où la contribution de chaque auteur à l'oeuvre est significative, leur apport n'a pas à être égal. Elle affirme que les réviseurs-rédacteurs contribuent effectivement de façon significative à l'oeuvre, et que leur contribution est suffisante pour qu'ils soient considérés comme des coauteurs.

[36] Dans le contexte de son argument relatif aux oeuvres de collaboration, l'ACR signale que les réviseurs-rédacteurs renoncent généralement au droit d'auteur et aux droits moraux. Elle reconnaît qu'elle ne dispose pas d'exemples écrits de telles renonciations, mais elle soutient que la renonciation peut être implicite et n'a pas besoin d'être écrite.

[37] Quant au second argument de l'ACR, selon lequel les réviseurs-rédacteurs sont visés par le sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la Loi sur le statut de l'artiste et, plus particulièrement, par les mots « entrepreneurs indépendants professionnels [...] qui [...] dirigent [...] de quelque manière que ce soit une oeuvre littéraire », il repose sur l'interprétation large que le Tribunal a faite de ce sous-alinéa dans l'affaire Canadian Actors' Equity Association, 1996 TCRPAP 010, pour conclure que les assistants régisseurs étaient des artistes. Même si ces professionnels ont principalement un rôle de coordination, le Tribunal a statué qu'ils « participent à la conception et à la mise au point d'une production; en un sens, il s'agit d'une activité artistique [...] ». L'ACR affirme que les réviseurs-rédacteurs participent au processus artistique de conception et de mise au point d'une oeuvre littéraire et qu'ils devraient être reconnus comme artistes au sens de cette disposition.

[38] Quant à la seconde question, concernant la définition du secteur, l'ACR a répété qu'aucune autre association n'avait exprimé d'intérêt à représenter les réviseurs-rédacteurs. Elle a également abordé le problème du chevauchement possible avec l'accréditation de TWUC, laquelle porte sur le secteur :

qui comprend les entrepreneurs indépendants [...] engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre :
i) d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, destinées à être publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique;
ii) d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, destinées à être publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques; [...]

L'ACR prétend qu'il convient d'interpréter cette accréditation comme conférant à TWUC le droit de représenter les [traduction] « auteurs d'oeuvres écrites » (writers who are authors) plutôt que les « auteurs » (authors). Elle a souligné que lorsque le Tribunal a octroyé une accréditation à la PWAC, c'était pour la représentation des « auteurs d'oeuvres écrites ». Selon elle, l'accréditation accordée à TWUC visait elle aussi les auteurs d'oeuvres écrites.

[39] L'ACR fait valoir qu'elle est représentative des réviseurs-rédacteurs du secteur pour lequel elle soumet sa demande d'accréditation. Selon la preuve qu'elle a présentée, elle compte 1 200 membres. Dans sa demande, elle indique que le secteur pourrait comprendre jusqu'à 2 000 artistes.

[40] Quant à la dernière question, l'ACR s'est engagée à modifier son règlement de façon qu'il prévoie expressément le droit des membres d'obtenir les états financiers et de participer à un vote de ratification.

TWUC

[41]TWUC n'a soumis d'arguments qu'à l'égard des deux premières questions, c'est-à-dire celle de la qualité d'auteur des réviseurs-rédacteurs et celle de la définition du secteur.

[42] TWUC a commencé par convenir que les réviseurs-rédacteurs pouvaient être les auteurs de compilations ou de recueils au sens de la Loi sur le droit d'auteur. À l'audience, toutefois, elle a indiqué qu'elle changeait sa position au sujet des recueils. Selon elle, les réviseurs-rédacteurs ne sont pas des auteurs de recueils. Enfin, elle s'est fermement opposée à la prétention de l'ACR voulant que les réviseurs-rédacteurs soient des coauteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur. Elle ne s'entend donc avec l'ACR que sur un seul point, à savoir que les réviseurs-rédacteurs peuvent être les auteurs de compilations.

[43] TWUC soutient que, contrairement à ce que prétend l'ACR, le Tribunal ne peut définir à son gré le mot « auteur » car, même si le mot n'est pas défini dans la Loi sur le droit d'auteur, son sens a été établi par la jurisprudence, et c'est ce sens que le Tribunal doit adopter.

[44] Sur la question de l'originalité, TWUC invoque la décision CCH Canadienne Ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, [2000] 2 C.F. 451 (1re inst.) (en appel), dans laquelle la Section de première instance de la Cour fédérale a jugé que même si l'apport rédactionnel nécessaire à la préparation des décisions judiciaires publiées comporte énormément d'efforts, de talent et de jugement, « l'ensemble du processus, et plus particulièrement les éléments qui demandent du talent et du jugement, sont dépourvus de l'"imagination" ou de l'"étincelle de créativité" que je juge jusqu'à maintenant essentielles à une conclusion d'originalité » (aux p. 474 et 475). TWUC fait valoir que les réviseurs-rédacteurs accomplissent des tâches dont le degré d'importance peut varier mais qui ne font pas suffisamment appel à l'imagination ou à l'étincelle de créativité pour satisfaire au critère d'originalité.

[45] TWUC a en outre signalé que si le réviseur-rédacteur peut recommander des modifications, c'est l'auteur-rédacteur qui décide d'accepter ou non les recommandations. Les auteurs-rédacteurs sont seuls titulaires des droits moraux afférents à leurs oeuvres. Les réviseurs-rédacteurs n'ont pas de droits moraux, non parce qu'ils y ont renoncé comme le soutient l'ACR, mais parce qu'ils ne peuvent acquérir de tels droits. Le travail de révision ne fait pas non plus naître de droit d'auteur. Toute conclusion contraire bouleverserait littéralement l'industrie.

[46] Concernant plus particulièrement les oeuvres créées en collaboration, TWUC a invoqué la décision Neudorf v. Nettwerk Productions Ltd. (1999) C.P.R. (4th) 129 (C.S.) (en appel). Dans cette affaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a défini ainsi le critère applicable en cette matière (à la p. 464) :

[traduction]

(i) La demanderesse a-t-elle contribué de façon importante à l'originalité expressive des chansons? Dans l'affirmative,
(ii) la demanderesse et McLachlan voulaient-ils que leurs contributions se fusionnement dans un tout unique? Dans l'affirmative,
(iii) la demanderesse et McLachlan voulaient-ils que l'autre soit le coauteur des chansons?

[47] TWUC soutient que les réviseurs-rédacteurs ne contribuent pas de façon importante à l'originalité expressive des oeuvres littéraires, et que les auteurs-rédacteurs et les réviseurs-rédacteurs n'ont pas l'intention commune d'être coauteurs. Les réviseurs-rédacteurs ne satisfont donc pas aux exigences de la création en collaboration.

[48] TWUC a également invoqué la décision Boudreau v. Lin (1997), 150 D.L.R. (4th) 324 (C. Ont. Div. gén.) à l'appui de sa position voulant qu'un réviseur-rédacteur dont les tâches consistent à corriger la grammaire, à apporter des modifications de structure, à ajouter des mots, à modifier le style et à réécrire des passages n'est pas le coauteur de l'oeuvre qu'il révise.

[49] TWUC conteste l'argument subsidiaire avancé par l'ACR, selon lequel les réviseurs-rédacteurs « dirigent de quelque manière que ce soit une oeuvre littéraire » aux termes du sous-alinéa 6(2)b)(ii). Pour TWUC, une telle interprétation force le sens de la disposition.

[50] Elle est d'avis que les réviseurs-rédacteurs pourraient être visés par le sous-alinéa 6(2)b)(iii), en particulier comme artistes participant à une création dans le domaine des métiers d'art. Il faudrait toutefois, pour les fins de cette disposition, modifier le Règlement sur les catégories professionnelles, DORS/99-191, pour y inclure la catégorie des réviseurs-rédacteurs.

[51] Sur la question de la définition du secteur, TWUC affirme que dans la mesure où les réviseurs-rédacteurs peuvent être considérés comme des coauteurs ou des auteurs de recueils, ils sont compris dans le secteur pour lequel elle est accréditée. L'accréditation de l'ACR pour un secteur englobant les réviseurs-rédacteurs en tant que coauteurs ou auteurs de recueils aurait l'effet d'annuler l'accréditation de TWUC, or l'annulation de l'accréditation ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une demande présentée en bonne et due forme.

Réplique de l'ACR

[52] L'ACR répond qu'en réduisant la composition du secteur aux réviseurs-rédacteurs auteurs de compilations, on ridiculise le travail des réviseurs-rédacteurs. Le droit applicable en matière de droit d'auteur n'exige pas d'étincelle de créativité. L'affaire Neudorf ne s'applique pas parce que le litige portait sur le droit d'auteur et que la présente demande ne constitue pas une revendication de droit d'auteur par l'ACR ou par les réviseurs-rédacteurs, lesquels n'ont en fait aucun intérêt à une telle revendication. Les réviseurs-rédacteurs veulent simplement être représentés et pouvoir négocier collectivement sous le régime de la Loi sur le statut de l'artiste.

[53] L'ACR ne partage pas l'opinion de TWUC selon laquelle la révision pourrait relever du sous-alinéa 6(2)b)(iii) comme forme de « métier d'art ».

ANALYSE ET CONCLUSIONS

Questions préliminaires

[54] Mme Connie John a présenté l'argumentation de l'ACR et a témoigné pour l'organisme. Le Tribunal a statué, à des fins d'équité, qu'elle pourrait être contre-interrogée par TWUC, mais n'a pas rendu la même décision, en dépit de la demande de Mme John, à l'égard de l'avocate de TWUC, Mme Marian Hebb, car celle-ci n'a pas témoigné pour TWUC.

[55] L'ACJ a déclaré, dans son argumentation écrite, que la décision du Tribunal serait sans effet sur les journaux en raison de la décision Periodical Writers Association of Canada, 1996 TCRPAP 014 (PWAC). L'ACR n'a pas répondu à cet argument. Le Tribunal sait cependant que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC ») a donné, le 17 mai 1999 l'avis public 1999-84 dans lequel il a déterminé que certains nouveaux médias constituent de la radiodiffusion. Il appert donc que le CRTC a affirmé sa compétence à l'égard de certains diffuseurs exploitant de nouveaux médias, ce qui constitue une différence importante par rapport à la situation ayant fondé la décision PWAC et pourrait probablement influer sur les conclusions du Tribunal concernant la question de savoir si des entreprises de presse exploitant des nouveaux médias relevant maintenant de la compétence du CRTC sont des producteurs au sens du sous-alinéa 6(2)a)(ii) de la Loi. Le Tribunal est d'avis qu'il ne convient pas qu'il statue définitivement sur cette question sans qu'elle soit entièrement débattue. Si cela est nécessaire, la question pourra être tranchée dans le cadre d'une autre instance.

Question 1 : Les réviseurs-rédacteurs sont-ils des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste?

[56] La Loi crée un régime pourvoyant à l'accréditation d'associations d'artistes pour représenter des secteurs composés d'artistes. L'article 5 de la Loi définit l'artiste comme l'« [e]ntrepreneur indépendant visé à l'alinéa 6(2)b) », lequel alinéa établit essentiellement trois catégories d'artistes : la catégorie des créateurs désignés, c.-à-d. ceux qui sont des auteurs d'oeuvres ou des réalisateurs d'oeuvres audiovisuelles (sous-alinéa 6(2)b)(i)), la catégorie de ceux qui interprètent ou dirigent la prestation d'oeuvres (sous-alinéa 6(2)b)(ii)) et la catégorie de ceux qui participent à la création dans les arts d'interprétation et qui sont visés par règlement (sous-alinéa 6(2)b)(iii)). L'ACR voudrait rattacher les réviseurs-rédacteurs à une des deux premières catégories.

[57] Pour entrer dans la première catégorie, les réviseurs-rédacteurs doivent être des « auteurs » au sens de la Loi sur le droit d'auteur. Le Tribunal convient avec TWUC que pour déterminer si les réviseurs-rédacteurs sont bien des auteurs, il doit suivre les principes établis du droit applicable en matière de droit d'auteur. David Vaver définit de la façon suivante la notion d'auteur telle qu'elle se dégage de la Loi sur le droit d'auteur :

[57] Pour entrer dans la première catégorie, les réviseurs-rédacteurs doivent être des « auteurs » au sens de la Loi sur le droit d'auteur. Le Tribunal convient avec TWUC que pour déterminer si les réviseurs-rédacteurs sont bien des auteurs, il doit suivre les principes établis du droit applicable en matière de droit d'auteur. David Vaver définit de la façon suivante la notion d'auteur telle qu'elle se dégage de la Loi sur le droit d'auteur :

[traduction] Pour certains, les notions d'« auteur » et d'« oeuvre originale » sont « corrélatives, l'une renvoyant à l'autre ». On a même avancé que « le mot "auteur" évoque l'idée de créativité et d'ingéniosité ». Ces affirmations ne sont pas tout à fait exactes pas plus qu'elles ne font de l'originalité une condition tautologique. La mention de l'« auteur » dans la Loi impose de découvrir et d'isoler la ou les personnes qui ont effectivement créé l'oeuvre originale protégée par le droit d'auteur. La personne qui dessine une ligne droite peut être un auteur, mais son effort est trop banal pour être qualifié d'« original ».

(David Vaver, Copyright Law, Toronto, Irwin Law Inc., 2000, aux p. 73 et 74, renvois omis, italique ajouté)

Par conséquent, bien qu'une personne puisse être un « auteur » au sens ordinaire du terme, sans avoir créé d'oeuvre originale, le sens donné à ce mot dans la Loi sur le droit d'auteur, exige l'originalité, puisque seules les oeuvres originales peuvent être protégées par le droit d'auteur (la Loi sur le droit d'auteur, par. 5(1)).

[58] Abordant premièrement les compilations et les recueils, l'ACR a fait valoir que les réviseurs-rédacteurs rédigent des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies et qu'ils compilent des oeuvres, par exemple des nouvelles ou des poèmes d'autres personnes, et que toutes ces activités sont des exemples de création de compilations et de recueils. Le Tribunal est d'avis, compte tenu de la définition de « compilation » et de « recueil » énoncée dans la Loi sur le droit d'auteur, qu'il est plus naturel de placer ces exemples dans la catégorie des « compilations ». Toutefois, au moins un auteur de doctrine signale que les tribunaux ont eu tendance à considérer que les compilations et les recueils étaient [traduction] « essentiellement similaires » et que « la définition de "compilation" est assez large pour comprendre toutes les oeuvres énumérées dans la définition de "recueil" » (McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd., Toronto, Carswell, 2000, à la p. 321). Le Tribunal estime que le mot compilation peut comprendre la préparation d'index, de glossaires, de tables des matières et de bibliographies de même que la réalisation d'anthologies de poèmes ou de nouvelles, dans la mesure où ces oeuvres satisfont au critère de l'originalité.

[59] Pour la plupart des types de compilation, le critère de l'originalité applicable en matière de droit d'auteur est peu exigeant. En règle générale, il suffit que l'oeuvre ait demandé du travail, du talent et du jugement, c.-à-d. l'effort intellectuel; l'étincelle de créativité n'est pas nécessaire (McKeown, aux p. 124 et 125; Vaver aux p. 57 à 61). Ce principe connaît une exception, en matière de compilation de données; les tribunaux ont statué que même si une compilation exige une somme de travail importante, elle ne sera pas considérée comme « originale » si une étincelle de créativité n'a pas présidé à sa réalisation (Télé-Direct (Publications) c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22 (C.A.); Édutile Inc. c. Association pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195 (C.A.)). Vaver et McKeown citent de la jurisprudence pour démonter que la détermination du degré de travail, de talent et de jugement (et dans le cas des compilations de données, le degré de créativité et d'ingéniosité) exigé doit se faire au cas par cas.

[60] Le Tribunal a la conviction que dans certains cas, mais certainement pas la totalité, le travail des réviseurs-rédacteurs pourra satisfaire au critère applicable pour déterminer la paternité des compilations ou des recueils. Les compilations ou recueils doivent être originaux. L'originalité s'apprécie à partir de données factuelles et non dans l'abstrait, c'est pourquoi il ne serait pas indiqué, pas plus qu'il ne serait nécessaire, de tenter en l'espèce de définir avec précision dans quelles circonstances un réviseur-rédacteur serait considéré comme l'auteur d'une compilation ou d'un recueil. Les différends de cette nature doivent être tranchés sur la base de faits et non de théories. Pour les fins de la présente demande d'accréditation, il suffit d'indiquer que le Tribunal est d'avis que les réviseurs-rédacteurs sont des « artistes » au sens du sous-alinéa 6(2)b)(i) de la Loi, dans la mesure où ils sont les auteurs de compilations ou de recueils originaux, notamment d'index, de glossaires, de tables des matières et de bibliographies originaux.

[61] Quant à la question de la création en collaboration, la Loi sur le droit d'auteur définit l'expression « oeuvre créée en collaboration » en faisant appel aux notions de collaboration et de participation. Il faut qu'il y ait collaboration entre deux auteurs ou plus pour qu'ils soient considérés comme coauteurs. McKeown écrit, au sujet de la collaboration, [traduction] « Fréquemment, elle suppose l'engagement dans la production d'une oeuvre, par un travail conjoint de réalisation d'un projet arrêté de concert » (aux p. 322 et 323). Au sujet de la part de chacun à l'oeuvre, il indique : [traduction] « L'apport doit être celui d'un "auteur", c'est-à-dire qu'il doit se composer de talent, de travail et de jugement employés pour donner à l'oeuvre une expression matérielle » (à la p. 323). Il n'est pas nécessaire que les parts de chaque auteur soient égales; il suffit que leur apport soit important et original.

[62] Le passage suivant de l'ouvrage de David Vaver (aux p. 75 et 76) est également pertinent :

[traduction] L'apport donnant droit au titre de coauteur peut être objet de débats. De toute évidence, la révision banale n'est pas une contribution suffisante. Apporter des corrections grammaticales et syntaxiques au manuscrit d'un autre avant sa publication et en retoucher la ponctuation ne répondent pas aux exigences; le fait de donner des titres aux chapitres, de donner quelques idées, de recommander quelques lignes ou de demander des ajouts ou des modifications dans le cadre du processus d'approbation d'une oeuvre, non plus. [...] En revanche la contribution à l'expression d'une oeuvre qui pourrait constituer une oeuvre originale indépendante constitue certainement un apport suffisant [...] Toute contribution intellectuelle substantielle à la création d'une oeuvre dans la réalisation d'un projet commun - à la différence du produit de la relation entre le scribe et celui qui l'emploie - devrait en principe valoir comme apport d'un coauteur [...]

L'apparente répugnance de certains tribunaux à reconnaître qu'il y a eu création en collaboration, peut découler en partie de la vision romantique de l'auteur comme « génie solitaire » ou du désir plus pragmatique d'éviter les problèmes qui accompagnent généralement la paternité conjointe d'oeuvres, mais qui sont particulièrement aigus en matière de droit d'auteur.

[63] Sans faire sienne la position voulant que toute forme de révision soit « banale », le Tribunal souscrit au passage précité dans la mesure où il énonce le principe général que la préparation de copie n'apporte pas suffisamment au manuscrit pour donner au réviseur-rédacteur qualité de coauteur. En revanche, le Tribunal considère que la révision conceptuelle et la révision de fond ou structurale supposent clairement un apport important d'expression originale. La révision linguistique pourrait aussi répondre aux exigences, quoique cela puisse dépendre, dans chaque cas, de l'étendue de la contribution du réviseur-rédacteur. Selon les définitions qui ont été soumises au Tribunal, ce dernier type de révision s'inscrit, dans le champ des activités de révision, entre la préparation de copie et la révision de fond. Lorsqu'il se rapproche davantage de la révision de fond, il y a plus de chances que l'apport du réviseur-rédacteur comporte un degré substantiel d'expression originale. Mais lorsqu'il se compare davantage à la préparation de copie, il est probable que la contribution du réviseur-rédacteur ne soit pas assez importante ni originale.

[64] On a présenté au Tribunal un exemple particulier de collaboration et de contribution étendues entre un réviseur-rédacteur et un groupe d'auteurs-rédacteurs. M. Jim Lyons et les auteurs-rédacteurs des rapports des sous-comités du Comité consultatif sur le commerce électronique ont collaboré pendant environ cinq mois à la réalisation du document Commerce électronique et l'administration fiscale du Canada. M. Lyons a contribué de façon importante à l'expression originale de l'oeuvre, en particulier dans la préparation des chapitres contextuels. M. Lyons n'a pas simplement préparé la copie ou effectué une révision linguistique; il a apporté des modifications de fond et de structure pour réaliser le produit final. Les auteurs-rédacteurs et lui ont travaillé dans l'intention commune que leur apport respectif se combine en un tout unique. Pour le tribunal, il s'agit d'un exemple concret de création en collaboration.

[65] Par conséquent, le Tribunal estime que les réviseurs-rédacteurs qui collaborent avec d'autres auteurs et dont l'apport à des oeuvres littéraires est substantiel et original, suivant la description faite ci-dessus, sont des artistes au sens du sous-alinéa 6(2)b)(i) de la Loi.

[66] Que penser du fait que les réviseurs-rédacteurs ne revendiquent pas de droit d'auteur? Le Tribunal est d'avis que cette question n'a rien à voir avec la question de savoir s'ils sont des auteurs. À notre avis, un réviseur-rédacteur qui satisfait par ailleurs à la définition d'auteur ne perd pas ce statut parce qu'il ne revendique pas de droit d'auteur. La Loi sur le droit d'auteur n'impose pas l'obligation de faire valoir ses droits d'auteur pour être reconnu comme tel. De fait, elle reconnaît que même lorsque l'identité de l'auteur d'une oeuvre n'est pas connue, celui-ci n'en est pas moins l'auteur (art. 6.1). De la même façon, c'est la Couronne qui, en l'absence de toute entente contraire, est titulaire du droit d'auteur sur les oeuvres littéraires originales créées sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d'un ministère du gouvernement (art. 12 de la Loi sur le droit d'auteur); l'impossibilité de faire valoir leur droit d'auteur n'enlève pas pour autant aux créateurs de ces oeuvres leur qualité d'auteur. Par conséquent, le fait qu'un réviseur-rédacteur ne revendique pas de droit d'auteur ne saurait modifier la conclusion qu'il a qualité d'auteur lorsque les critères applicables à la reconnaissance de cette qualité ont été remplis.

[67] L'ACR a invoqué comme argument subsidiaire que les réviseurs-rédacteurs devraient être considérés comme des professionnels qui dirigent de quelque manière une oeuvre littéraire aux termes du sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la Loi sur le statut de l'artiste, lequel énonce que la partie II de la Loi s'applique « aux entrepreneurs indépendants professionnels [...] qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent de quelque manière que ce soit une oeuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes ». L'ACR soutient que les réviseurs-rédacteurs « dirigent » les « oeuvres littéraires » des auteurs-rédacteurs.

[68] Étant donné le contexte immédiat de cette disposition, où les mots « représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent » sont grammaticalement et logiquement liés, comme le sont les mots « oeuvre littéraire, musicale ou dramatique », cette interprétation ne saurait tenir. La portée à attribuer à un élément d'un ensemble de mots liés au plan grammatical et logique peut être établie par l'examen des caractéristiques communes de tous les éléments de l'ensemble (Sullivan, Driedger on the Constructions of Statutes, 3e éd., Toronto, Butterworths, 1994, à la p. 200). Dans le cas des mots « représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent » les mots renvoient tous à une forme de représentation (dramatique, musicale, littéraire ou cinématographique), et cette notion de représentation s'accorde aussi avec l'autre ensemble de mots « oeuvre littéraire, musicale ou dramatique ». Cette interprétation va en outre dans le sens des décisions antérieures du Tribunal, déterminant que les copistes n'étaient pas des artistes au sens du sous-alinéa 6(2)b)(ii) parce qu'ils n'étaient pas des interprètes (American Federation of Musicians, 1997 TCRPAP 019, aux par. 31 et 34; Guilde des musiciens du Québec, 1997 TCRPAP 020, aux par. 30 à 32). Le Tribunal conclut donc que le sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la Loi ne s'applique pas aux réviseurs-rédacteurs.

[69] Le Tribunal conclut, de la même façon, que l'argument de TWUC selon lequel les réviseurs-rédacteurs pourraient être inclus par règlement dans une catégorie professionnelle en application du sous-alinéa 6(2)b)(iii) n'est pas fondé. La révision n'a rien à voir avec la participation à la création dans le domaine des « métiers d'art » ou dans quelque autre domaine visé par cette disposition.

Question 2 : Le secteur proposé par l'ACR est-il approprié aux fins de la négociation?

[70] Le paragraphe 26(1) de la Loi énonce que le Tribunal doit, lorsqu'il examine une demande d'accréditation, tenir compte de la communauté d'intérêts des artistes en cause et de l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociations, d'accords-cadres et de toutes autres ententes portant sur des conditions d'engagement d'artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

[71] Les réviseurs-rédacteurs indépendants qui ont statut d'artiste au sens de la Loi ont certainement des intérêts communs. L'ACR a également démontré qu'elle a oeuvré à la représentation des intérêts des réviseurs-rédacteurs dans le passé et qu'elle continue à le faire. Il est vrai qu'aucun accord-cadre n'a été négocié avec des producteurs fédéraux, mais il ne s'agit pas là d'une condition préalable à la définition du secteur approprié à la négociation. En outre, les rangs de l'ACR, dont l'effectif anglophone est bien établi, se grossissent d'un nombre croissant de membres francophones. L'ACR a démontré qu'elle est en mesure de desservir ses membres anglophones et francophones.

[72] TWUC a soutenu que l'ACR ne peut être accréditée relativement à un secteur comprenant les auteurs d'oeuvres créées en collaboration ou les auteurs de recueils, car ces artistes font partie du secteur pour lequel TWUC a été accréditée. Toutefois, TWUC a aussi déclaré expressément qu'elle ne souhaitait pas représenter les réviseurs-rédacteurs. Après examen de la preuve et de l'argumentation, le Tribunal estime que le secteur visé par l'accréditation accordée à TWUC se compose des « auteurs d'oeuvres littéraires écrites » (writers who are authors of literary works), même si le certificat n'emploie que les mots « auteurs d'oeuvres littéraires » (authors of literary works). Cette conclusion du Tribunal n'a pas pour effet d'annuler entièrement ou partiellement l'accréditation de TWUC, elle ne fait qu'indiquer la portée qu'il a voulu donner à l'accréditation de TWUC. Pour les motifs qu'il expose ici, le Tribunal conclut que l'accréditation accordée à TWUC ne fait pas obstacle à la demande d'accréditation de l'ACR visant un secteur composé des réviseurs-rédacteurs qui sont des auteurs.

[73] Après avoir examiné les observations écrites et orales de la requérante et des intervenants, le Tribunal détermine que le secteur approprié se compose des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont des auteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur et qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de :

a) préparer une oeuvre originale sous forme de compilation ou de recueil au sens de la Loi sur le droit d'auteur,

b) préparer une oeuvre originale créée en collaboration lorsque la contribution du réviseur-rédacteur représente un travail de coauteur,

en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

a) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996;

b) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

c) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDEC) (renommée la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (la SARTeC)) par le Tribunal le 30 janvier 1996,

d) des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998.

Question 3 : L'ACR est-elle représentative des artistes du secteur?

[74] L'ACR compte en tout quelque 1 200 réviseurs-rédacteurs. Elle estime que le secteur visé par la demande d'accréditation pourrait en comprendre jusqu'à 2 000. Ces données n'ayant pas été contredites et constituant donc la meilleure assise pour sa décision, le Tribunal, se fondant sur elles, conclut que l'ACR est représentative des artistes du secteur.

[75] Aucune autre association d'artistes n'a exprimé d'intérêt quant à la représentation des réviseurs-rédacteurs satisfaisant aux critères de la définition énoncée à la Loi.

[76] Le Tribunal conclut donc que la requérante est l'organisme qui représente le mieux les artistes appartenant au secteur décrit ci-haut.

Question 4 : Le règlement de l'ACR est-il conforme aux exigences du paragraphe 23(1) de la Loi sur le statut de l'artiste?

[77] Le paragraphe 23(1) de la Loi comporte une interdiction claire : le Tribunal ne peut accorder d'accréditation à une association d'artistes à moins que son règlement ne prévoit notamment des dispositions habilitant ses membres actifs à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant et des dispositions leur garantissant le droit d'obtenir une copie des états financiers de l'organisme. Le règlement de l'ACR ne satisfait pas à ces exigences.

[78] Le paragraphe 23(1) interdit au Tribunal de décerner maintenant l'accréditation demandée. Toutefois, l'ACR ayant indiqué qu'elle modifiera son règlement afin de le rendre conforme audit paragraphe, le Tribunal estime qu'il y a lieu de suspendre la demande d'accréditation le temps que lui parvienne une preuve satisfaisante que l'ACR a bien apporté les modifications nécessaires.

DÉCISION

[79] Pour ces motifs, le Tribunal :

Déclare que les réviseurs-rédacteurs qui sont les auteurs de compilations et de recueils originaux sont des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste;

Déclare que les réviseurs-rédacteurs qui sont les auteurs d'oeuvres littéraires créées en collaboration, c'est-à-dire qui collaborent avec d'autres auteurs et dont l'apport original à l'oeuvre littéraire est important, sont des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste;

Déclare que le secteur approprié pour la négociation se compose des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont des auteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur et qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de :

a) préparer une oeuvre originale sous forme de compilation ou de recueil au sens de la Loi sur le droit d'auteur,

b) préparer une oeuvre originale créée en collaboration lorsque la contribution du réviseur-rédacteur représente un travail de coauteur,

en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

a) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996;

b) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

c) des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDEC) (renommée la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (la SARTeC)) par le Tribunal le 30 janvier 1996,

d) des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998.

Déclare que l'Association canadienne des réviseurs/Editors' Association of Canada est l'association la plus représentative des artistes du secteur.

Ordonne la suspension de la présente instance pour permettre à la requérante de modifier son règlement pour le rendre conforme au paragraphe 23(1) de la Loi sur le statut de l'artiste.

Ottawa, le 28 février 2001

David P. Silcox Curtis Barlow
Moka Case  


Création : 2005-07-27
Révision : 2005-12-01
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