Tribunal canadien des 
relations professionnelles artistes-producteurs / Canadian Artists and Producers Professional Relations Tribunal
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Décision no 040

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 8 janvier 2003 Dossier : 1330-01-004

Dans l'affaire de la plainte déposée par la Guilde des musiciens du Québec contre CKRL-MF 89,1, Québec


Décision du Tribunal :

Le Tribunal fait droit à la requête de l'intimé et rejette la plainte au motif qu'elle est irrecevable.

Lieu de l'audience :

Québec (Québec)

Dates de l'audience :

Les 12 et 13 juin 2002

Quorum : Me John M. Moreau, membre président
  Me Marie Senécal-Tremblay
 

Mme Moka Case

Ont comparu : Pour la plaignante La Guilde des musiciens du Québec : Mme Sylvie Cloutier.

  Pour l'intimé CKRL-MF 89,1 : Me Philippe Boivin et M. Jean-Pierre Bédard.



Motifs de décision

1330-01-004 : Dans l'affaire de la plainte déposée par la Guilde des musiciens du Québec contre CKRL MF 89,1, Québec


Contexte

[1] La présente décision porte sur une plainte déposée par la Guilde des musiciens du Québec (« la Guilde » ou « la plaignante ») contre CKRL MF 89,1 (« CKRL ») en vertu de l'article 53 de la Loi sur le statut de l'artiste, L.c. 1992, c. 33 (ci-après appelée la « Loi »). La plainte a été entendue par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (le « Tribunal ») les 12 et 13 juin 2002 à Québec.

[2] Le Tribunal a reçu la plainte le 9 novembre 2001. Celle-ci allègue que CKRL a manqué à son obligation de négocier de bonne foi en vue de conclure un accord-cadre avec la Guilde, et ce, en contravention de l'alinéa 32a) de la Loi. CKRL allègue que la plainte de la Guilde est prescrite et donc irrecevable.

[3] La Guilde est une association d'artistes titulaire d'un certificat d'accréditation émis par le Tribunal, en date du 16 janvier 1997, afin de représenter :

(...) un secteur qui comprend tous les entrepreneurs indépendants embauchés dans la province de Québec par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre de musicien interprète, chef d'orchestre, arrangeur et orchestrateur, sauf lorsque ceux-ci sont représentés par l'American Federation of Musicians of the United States and Canada (AFM) aux termes de l'entente juridictionnelle intervenue entre la Guilde des musiciens du Québec et l'AFM, le 23 octobre 1996.

[4] La Guilde est affiliée à l'American Federation of Musicians of the United States and Canada (« AFM ») qui a ses bureaux canadiens à Toronto. Mme Sylvie Cloutier est représentante de la Guilde pour l'Est du Québec.  CKRL est une personne morale constituée en vertu de la partie III de la Loi sur les compagnies (L.R.Q., c. C-38) qui exploite une station de radio communautaire desservant la ville de Québec et ses environs. M. Jean-Pierre Bédard en est le directeur général.

[5] Au début de l'audience, le Tribunal a informé les parties qu'il entendrait la preuve et les arguments des parties concernant la requête préliminaire de l'intimé ainsi que le fond de l'affaire et qu'il rendrait sa décision sur la requête préliminaire dans les présents motifs de décision.

Preuve de la plaignante

[6] La plaignante a présenté un seul témoin, Mme Sylvie Cloutier, qui a également agi à titre de mandataire pour la Guilde. Dans son témoignage, Mme Cloutier a parlé de son expérience en temps que négociatrice. Notamment, elle a mentionné être la seule négociatrice en poste pour la Guilde. Par ailleurs, elle a, en quatre ans et demi, négocié 167 ententes en vertu de la Loi sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (L.R.Q., c. S-32.1, ci-après « la loi québécoise »), géré 21 dossiers de médiation et 26 dossiers d'arbitrage. La présente affaire est le premier dossier de négociation qu'elle mène avec un producteur de compétence fédérale.

[7] Mme Cloutier a fait part au Tribunal du déroulement des négociations en 1998 et 1999 entreprises, par erreur, en vertu de la loi québécoise. Mme Cloutier affirme qu'elle ignorait que les négociations dans la présente affaire devaient se faire sous l'égide de la loi fédérale. Elle ajoute que les négociations avec les stations de radio et de télévision sont habituellement menées par l'AFM. De plus, à l'époque, la Guilde ne comptait pas d'avocats parmi son personnel interne. Les événements pertinents se résument ainsi :

  • Une première rencontre entre la Guilde et CKRL a lieu le 24 février 1998. Mme Cloutier présente à M. Bédard, à titre indicatif, une entente négociée entre la Guilde, CIBL, une station de radio communautaire de Montréal, et la Régie des installations olympiques (« RIO »), dans le cadre d'un événement ayant eu lieu dans les locaux de cette dernière. M. Bédard lui fait savoir que les tarifs qui y sont prévus sont trop élevés.

  • Le 25 février 1998, la Guilde fait parvenir à CKRL un avis de négociation en vertu de la loi québécoise ainsi qu'une première proposition d'entente.

  • Le 3 mars 1998, CKRL informe la Guilde de son intention de poursuivre les négociations et de sa volonté de rencontrer la Guilde.

  • Le 16 mars 1998, les parties se rencontrent une deuxième fois.

  • Le 17 mars 1998, la Guilde fait parvenir une deuxième proposition à CKRL.

  • Le 26 mars 1998, les parties se rencontrent une troisième fois. Le même jour, la Guilde fait parvenir une troisième proposition à CKRL. Cette proposition prévoit notamment que CKRL n'a pas à payer le cachet de scène, en cas de captation devant public, mais seulement à payer le cachet de diffusion.

  • Le 20 avril 1998, CKRL répond par une contre-proposition à la troisième proposition de la Guilde. Le même jour, la Guilde fait parvenir à CKRL une quatrième proposition.

  • Une quatrième rencontre a lieu le 30 avril 1998.

  • Le 1er mai 1998, la Guilde présente une cinquième proposition à CKRL qui contient notamment une disposition permettant à un artiste de renoncer à la moitié de son cachet en échange de l'émission par CKRL d'un reçu aux fins d'impôt.

  • Le 6 mai 1998, les parties se rencontrent une cinquième fois, rencontre à laquelle assiste M. Gérard Masse, vice-président de la Guilde.

  • Le 8 mai 1998, la Guilde fait parvenir une sixième proposition à CKRL.

  • Le 13 mai 1998, la Guilde formule une septième proposition. Celle-ci contient notamment une disposition sur la renonciation de cachet libellée comme suit :

    L'artiste a la liberté d'accepter, sur une base entièrement volontaire, de remettre à CKRL, la totalité de son cachet en utilisant le formulaire joint à l'annexe «D». De son côté, CKRL remettra au musicien un reçu pour fins d'impôts [sic]. L'annexe «D» utilisée et signée par l'artiste devra être retournée par la suite au bureau de la Guilde des musiciens du Québec. Cependant, CKRL devra payé [sic] le fonds de pension et la cotisation d'exercice pour chaque artiste membre de la Guilde.

  • Le 12 janvier 1999, CKRL refuse la septième proposition de la Guilde par résolution de son conseil d'administration. Elle cite comme raison principale la nécessité que l'accord-cadre contienne une clause permettant à un artiste de renoncer à l'intégralité de son cachet. Dans sa lettre, CKRL fait également part à la Guilde de son intention d'aller en médiation dans le dossier. Selon Mme Cloutier CKRL a toujours invoqué le montant trop élevé des tarifs et la nécessité d'inclure une clause de renonciation totale aux cachets, comme raison principale de refus des propositions de la Guilde.

  • Le 12 janvier 1999, Mme Cloutier demande à la Commission de reconnaissance des associations d'artistes et des associations de producteurs (« CRAAAP ») de désigner un médiateur dans le dossier. Elle cite comme raison le refus par CKRL de toutes les propositions de la Guilde.

  • Le 29 janvier 1999, la CRAAAP informe les parties que CKRL est un producteur de compétence fédérale assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste.

[8] Le 15 juin 1999, Mme Cloutier demande à ses supérieurs la permission de poursuivre les négociations avec CKRL, autorisation qu'elle reçoit le 16 septembre 1999. La Guilde dépose sa demande de médiation auprès du Service fédéral de médiation et de conciliation (le « SFMC ») le 18 février 2000 et, le 23 février 2000, envoie à CKRL un nouvel avis de négociation conformément à la Loi sur le statut de l'artiste. Le 1er mars 2000, CKRL fait part à la Guilde de son intention de poursuivre les négociations et de son désir de conclure un accord-cadre.

[9] Un médiateur est nommé le 2 mars 2000 et une séance de médiation a lieu le 25 avril 2000. Environ un an plus tard, la Guilde demande au Secrétariat du Tribunal de faire enquête auprès du SFMC au sujet d'un rapport de médiation. Le Secrétariat avise la Guilde le 1er mars 2001 qu'aucun rapport ne sera produit et l'informe également du fait qu'elle peut porter plainte auprès du Tribunal si elle a « des difficultés à poursuivre les négociations ».

[10] Selon Mme Cloutier, il y a eu mésentente quant à la « plainte » en question. Pour elle, il s'agissait d'une plainte relative à l'absence d'un rapport de médiation et non à une plainte alléguant le défaut de négocier de bonne foi. Le 5 mars 2001, Mme Cloutier envoie une lettre au Tribunal intitulée « Plainte concernant un rapport de médiation que nous attendons depuis un an ». Dans sa lettre, elle demande la production du rapport afin qu'elle puisse demander la nomination d'un arbitre et poursuivre les négociations qui sont en suspens. Elle croit que sans ce rapport elle ne peut demander l'arbitrage, à l'instar des dispositions de la loi québécoise en la matière.

[11] Le 9 novembre 2001, Mme Cloutier communique de nouveau avec le Secrétariat du Tribunal pour s'informer du progrès du dossier. C'est alors qu'elle apprend notamment en quoi consiste une plainte alléguant un manquement au devoir de négocier de bonne foi. Le même jour la Guilde dépose la présente plainte.

[12] En contre-interrogatoire, Mme Cloutier affirme ne pas avoir été impliquée dans le dossier d'accréditation de la Guilde auprès du Tribunal, ni avoir participé à la négociation de l'entente de la Guilde avec CIBL et la RIO. Elle reconnaît, cependant, que lors d'une des rencontres entre les parties, il a été mentionné que les stations radiophoniques étaient de compétence fédérale mais qu'elle n'avait pas les connaissances nécessaires pour saisir les implications d'une telle affirmation.

Preuve de l'intimé

[13] L'intimé a présenté un témoin : M. Jean-Pierre Bédard. M. Bédard est directeur général de CKRL depuis janvier 1998. Il a expliqué que CKRL compte six employés à temps plein, un employé à temps partiel et environ 150 bénévoles qui contribuent d'une à cinq heures de travail par semaine afin d'assurer le fonctionnement de la station. CKRL détient une licence de type B émise par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes visant l'opération d'une station radiophonique communautaire. Sa mission est notamment de favoriser l'accès aux ondes pour la communauté et d'encourager la relève culturelle. CKRL produit 168 heures d'émissions par semaine.

[14] Selon M. Bédard, une majorité des artistes mis en valeur par CKRL par l'entremise de ses émissions sont des artistes pour qui cette station de radio est le seul médium par lequel ils peuvent initialement se faire connaître. CKRL gère un budget annuel d'environ 350 000 $ et tire son financement de subventions gouvernementales, de diverses activités de levées de fonds et de revenus de publicité en ondes. Son déficit accumulé est d'environ 60 000 $.

[15] À l'époque de la première rencontre entre les parties, CKRL produit l'émission « Danger culture » dont la formule comprend des entrevues et des prestations en direct, devant public, d'artistes se produisant dans la région. Le 23 février 1998, Mme Cloutier communique avec M. Bédard afin de lui suggérer fortement d'annuler l'émission «Danger Culture» du 23 février 1998, un musicien s'étant plaint de ne pas être rémunéré par CKRL pour la diffusion de sa prestation. M. Bédard acquiesce à la demande et accepte de rencontrer Mme Cloutier le lendemain.

[16] Le témoignage de M. Bédard ne contredit pas le résumé des événements présentés par la Guilde. M. Bédard reconnaît que la contre-proposition de CKRL du 20 avril 1998 inclut une disposition permettant à un artiste de renoncer de façon intégrale à son cachet. La contre-proposition exclut les artistes amateurs ainsi que les instituteurs et élèves donnant une prestation dans le cadre d'un cours. Elle prévoit aussi que les artistes ne seraient pas rémunérés pour le temps de préparation à la prestation et le temps d'attente à la prestation. Elle ne s'applique pas aux annonces publicitaires ni aux indicatifs musicaux. Les cachets qui y sont prévus sont inférieurs à ceux demandés par la Guilde.

[17] M. Bédard admet que bon nombre des éléments demandés dans cette contre-proposition ont été acceptés et incorporés dans les propositions subséquentes de la Guilde.

[18] M. Bédard a témoigné que CKRL ne peut émettre des reçus pour fins d'impôt demandés par la Guilde dans sa proposition du 13 mai 1998 parce que la station de radio ne détient pas le statut d'organisme de charité au niveau fédéral ni au niveau provincial. CKRL a toutefois obtenu le statut d'organisme artistique lui donnant la possibilité d'émettre des reçus pour fins d'impôt provincial en novembre 1998.

[19] Selon M. Bédard, la Guilde a accepté qu'un artiste puisse renoncer à son cachet dans le cadre du « radiothon » de CKRL, une activité annuelle de levée de fonds, pourvu que CKRL paye une cotisation au fonds de pension et une cotisation d'exercice et accepte de mentionner en ondes que les prestations des artistes sont rendues possible grâce à la collaboration de la Guilde.

[20] M. Bédard affirme que la volonté de CKRL d'inclure une clause de renonciation au cachet s'inscrit dans la mission même que s'est donnée la station de radio. Il affirme de plus que le bénévolat est au coeur de la mission de CKRL et qu'il est donc normal que les artistes qui se produisent en ondes aient eux aussi le choix de participer bénévolement aux activités de la station. Il y aurait un effet néfaste sur le moral des gens qui oeuvrent bénévolement au sein de la station si celle-ci devait être obligée de payer les musiciens qui viennent faire une prestation en ondes. Le montant des cachets demandés par la Guilde ferait en sorte que le coût de la mise en ondes d'une émission « Danger culture » pourrait atteindre plusieurs centaines de dollars uniquement pour la rémunération des artistes.

[21] Il explique le délai entre le dépôt de la dernière proposition de la Guilde en date du 13 mai 1998 et la réponse de CKRL en date du 12 janvier 1999 par le fait que la réunion du conseil d'administration de cette dernière venait d'avoir lieu et que la prochaine réunion n'aurait lieu qu'après la saison estivale.

[22] M. Bédard souligne que toutes les propositions de la Guilde contiennent des montants à payer pour le fonds de pension et la cotisation d'exercice ainsi qu'une disposition prévoyant que le chef musicien doit recevoir un double cachet. La Guilde a maintenu au cours des négociations qu'elle considère ces montants comme n'étant pas négociables.

[23] M. Bédard a expliqué que les parties en étaient arrivées à un compromis dans le but de conclure un accord-cadre dès la première journée de la médiation, mais qu'en après-midi la Guilde a avisé CKRL que les négociations devaient reprendre du début sous prétexte que CKRL était non seulement diffuseur mais également producteur de spectacles. La session de médiation s'est donc terminée sans qu'une entente ne soit conclue.

[24] M. Bédard affirme qu'à aucun moment il avait l'intention de ne pas conclure un accord-cadre avec la Guilde. Il a également témoigné que CKRL tenait à conclure un accord qui permettrait de poursuivre la captation de prestations musicales. Il souligne que CKRL aurait pu acquiescer aux premières propositions de la Guilde et tout simplement cesser toute captation à l'avenir, ce qui aurait nuit aux artistes.

[25] CKRL a produit une lettre de Mme Cloutier adressée au Conseil de la Culture des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches en date du 22 janvier 1999, dans laquelle elle autorise la diffusion par CKRL d'un événement présenté par le Conseil sous réserve de certaines conditions. Elle y écrit notamment qu'elle donne cette autorisation en dépit du fait que CKRL ait refusé de négocier avec la Guilde.

[26] En contre-interrogatoire, M. Bédard affirme, concernant le refus de la dernière proposition de la Guilde en date du 12 janvier 1999, que celle-ci incorporait une clause de renonciation entière au cachet mais qu'il s'objectait à ce que cette renonciation soit conditionnelle à l'obligation d'émettre un reçu pour fins d'impôt à l'artiste.

[27] Il affirme que lors de la captation d'une prestation devant public, CKRL signe habituellement une entente publicitaire avec le propriétaire du lieu de la prestation. Les revenus ainsi obtenus servent principalement à couvrir les frais techniques et administratifs liés à la captation de la prestation. De plus, CKRL doit payer une redevance à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).

Arguments de l'intimé concernant l'objection préliminaire

[28] L'intimé s'objecte au dépôt de la plainte au motif que celle-ci est prescrite. Il cite l'article 53 de la Loi qui prévoit qu'il ne doit pas s'écouler un délai de plus de six mois pour le dépôt d'une telle plainte auprès du Tribunal. Selon l'intimé, il s'est écoulé plus de 16 mois avant que la plaignante ne dépose sa plainte.

[29] L'intimé souligne que Mme Cloutier ne peut plaider son ignorance de la Loi en matière de délai puisqu'elle a été informée par le Secrétariat du Tribunal le 1er mars 2001 de la possibilité pour la Guilde de porter plainte ce qui n'a pas été fait avant le mois de novembre 2001, soit plus de huit mois plus tard. Mme Cloutier ne peut non plus prétendre qu'elle ignorait que la négociation devait se faire sous compétence fédérale puisqu'elle en a été informée lors d'une des rencontres entre les parties. En outre, l'intimé rejette l'argument selon lequel la plaignante ne connaissait pas les dispositions législatives pertinentes puisque cette dernière est un organisme qui se spécialise dans la négociation et l'administration d'accords-cadres et qu'elle aurait dû faire appel à des experts en la matière.

[30] L'intimé prétend de plus que l'alinéa 17k) de la Loi qui permet la prorogation de certains délais procéduraux ne peut servir à proroger le délai pour le dépôt de la présente plainte. Il cite à l'appui de sa prétention, la décision de la Cour suprême du Canada dans Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan, [1979] 1 R.C.S. 902.

[31] Enfin, l'intimé soutient que les motifs invoqués par la plaignante sont insuffisants pour justifier la prorogation du délai et que le Tribunal devrait rejeter la plainte au motif qu'elle est irrecevable.

Arguments de la plaignante concernant l'objection préliminaire

[32] La plaignante nie avoir déposé sa plainte hors délai et demande la prorogation du délai en vertu de l'alinéa 17k) de la Loi dans l'éventualité où le délai est échu. Elle prétend que le Tribunal devrait proroger le délai en raison des circonstances ayant précédé le dépôt de la plainte, c'est-à-dire l'erreur quant à la juridiction et le malentendu concernant le rapport de médiation.

[33] La plaignante prétend qu'elle a déposé sa plainte en temps opportun à partir du moment où elle a eu connaissance de la mauvaise foi de l'intimé. En réponse à l'argument de l'intimé voulant qu'il avait fait part à la Guilde que les négociations devaient se faire sous compétence fédérale, elle prétend que CKRL n'a pas insisté très fortement sur cette question lors des négociations.

[34] La plaignante rejette l'argument de l'intimé voulant que le Tribunal ne peut invoquer l'alinéa 17k) de la Loi pour proroger le délai. Elle cite la décision du Conseil canadien des relations industrielles dans Pinel (Re), [1999] CCRI (Quicklaw) no 19.

Arguments de l'intimé sur le fond

[35] L'intimé rappelle qu'on présume la bonne foi et qu'il incombe à la plaignante de prouver la mauvaise foi de l'intimé. CKRL a toujours négocié de bonne foi et les éléments de preuve le démontrent : les nombreux entretiens, échanges et rencontres entre les parties, les concessions octroyées par l'intimé lors des négociations ainsi que la correspondance entre les parties qui fait explicitement état du désir de CKRL de conclure une entente.

[36] Par ailleurs, l'intimé note que CKRL aurait pu accepter la première offre de la Guilde et cesser de faire toute captation rendant l'entente sans objet. Selon l'intimé, c'est la plaignante qui s'est montrée intransigeante lors des négociations, considérant certains éléments tel le taux de cotisation au fonds de retraite comme n'étant pas négociable.

[37] Quant à la question de l'émission de reçus pour fins d'impôt en contrepartie de la renonciation de cachet, l'intimé prétend qu'il s'agit d'une mesure défavorable aux artistes qui se trouveraient à payer des impôts pour des sommes qu'ils n'ont pas reçues puisque CKRL n'est pas un organisme de charité au sens des lois fiscales.

[38] En conclusion, l'intimé prétend que CKRL est obligé de négocier en fonction de ses ressources financières fort limitées, et que CKRL a refusé les propositions mises de l'avant par la Guilde parce qu'elles étaient trop onéreuses.

Arguments de la plaignante sur le fond

[39] Mme Cloutier affirme être la seule négociatrice au service de la Guilde mais ajoute que le vice-président et le président négocient aussi au nom de la Guilde. Elle soutient avoir réalisé que CKRL n'avait pas négocié de bonne foi qu'au moment où le Secrétariat du Tribunal l'a informée en quoi consiste une plainte alléguant un manquement au devoir de négocier de bonne foi.

[40] Elle maintient que les montants à payer pour le fonds de pension et la cotisation d'exercice inclus dans les propositions de la Guilde sont les mêmes depuis 20 ans et ne sont pas négociables. Elle reconnaît également que la contre-proposition du 20 avril 1998 incorpore plusieurs éléments demandés par la Guilde. Il s'agit, selon elle, de concessions de nature procédurale, la demande principale de CKRL demeurant la clause de renonciation intégrale aux cachets.

[41] La plaignante fait référence au droit de l'artiste d'être rémunéré en soulignant que la Loi, à l'alinéa 2e), fait mention de «l'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l'utilisation, et notamment le prêt public, de leurs oeuvres.». Elle avance que la notion de bénévolat qui sous-tend les demandes de CKRL contredit l'objet de la Loi.

[42] La plaignante soutient que le fait que l'intimé ait refusé la septième et dernière offre de la Guilde malgré l'inclusion d'une disposition sur la renonciation de cachet qui reprenait, en substance, celle demandée par l'intimé à l'exception de l'obligation d'émettre un reçu pour fins d'impôt, démontre que CKRL n'avait pas l'intention de conclure un accord-cadre.

Questions en litige

[43] La plainte déposée par la Guilde soulève les questions suivantes :

  • La plainte de la Guilde est-elle prescrite?

  • Si oui, le Tribunal devrait-il proroger le délai imparti à l'article 53 de la Loi et instruire la plainte?

  • Si oui, est-ce que CKRL a manqué à son obligation de négocier de bonne foi en violation de l'alinéa 32 a) de la Loi?

Analyse et conclusion

Question 1 : La plainte de la Guilde est-elle prescrite?

[44] L'article 53 de la Loi énonce ce qui suit :

53. (1) Quiconque peut adresser au Tribunal une plainte reprochant soit à une association d'artistes, à un producteur - ou à une personne agissant pour leur compte - ou à un artiste d'avoir manqué ou contrevenu aux articles 32, 35, 50 et 51, soit à une personne d'avoir contrevenu à l'article 52.

(2) La plainte est à présenter, par écrit, dans les six mois qui suivent la date où le plaignant a eu - ou, selon le Tribunal, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances l'ayant occasionnée. (...)

[45] Ainsi, la Loi requiert qu'un plaignant dépose sa plainte dans les six mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance ou, selon le Tribunal, aurait dû avoir connaissance des mesures ou circonstances l'ayant occasionnée. En l'espèce, les mesures ou circonstances ayant occasionné la plainte seraient celles démontrant le manquement de la part de CKRL à son obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure un accord-cadre.

[46] Afin de déterminer si la Guilde a respecté le délai prévu à la Loi, il serait opportun de se pencher sur certains aspects de la nature juridique de l'obligation de négocier de bonne foi. La décision du Conseil canadien des relations du travail [maintenant le Conseil canadien des relations industrielles] (« le Conseil ») dans CKLW Radio Broadcasting Limited (1977), 23 di 51, exprime une interprétation largement maintenue depuis dans l'interprétation de la disposition similaire du Code canadien du travail, L.R. 1985, c. L-2 (ci-après le « Code »). On peut y lire ce qui suit à la page 89:

L'obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable est un devoir continuel à partir du moment où l'avis de négocier est donné jusqu'à la signature d'une convention. Elle ne prend pas fin en raison d'un arrêt de travail, bien que son caractère puisse changer. De même en est-il pour une plainte alléguant qu'il y a eu négociation de mauvaise foi. Naturellement, la plainte peut rendre très difficile une rencontre des parties face à face.

[47] Donc l'obligation de négocier de bonne foi est de nature continue, débutant au moment où l'avis de négociation est donné et prenant fin à la signature d'un accord-cadre. Cela entraîne des conséquences particulières quant au calcul des délais pour déposer une plainte. De nouveau, la jurisprudence du Conseil nous est utile. Dans Iberia, Lignes aériennes d'Espagne (1990), 80 di 165, on peut lire aux pages 170 et 171 :

La nature de l'obligation de négocier de bonne foi détermine le mode de calcul du délai pour déposer une plainte auprès du Conseil. Ainsi l'obligation de négocier de bonne foi étant continue, c'est-à-dire ininterrompue à compter du moment où l'avis de négocier a été donné à l'autre partie, il s'ensuit que la partie alléguant violation de cette obligation peut adresser une plainte au Conseil à n'importe quel moment pendant la durée du processus de négociation collective.

[48] Enfin, dans la décision Brewster Transport Company Ltd (1986), 66 di 1, le Conseil s'exprimait ainsi aux pages 35 et 36 :

(...) Les plaintes en vertu de l'alinéa 148a) se rapportent en effet à une ligne de conduite plutôt qu'à des événements distincts comme tels. La Cour d'appel fédérale s'est déjà prononcée sur ce point dans Eastern Provincial Airways Limited c. Conseil canadien des relations du travail et autre, [1984] 1 C.F. 732; (1983), 2 D.L.R. (4th) 597; et 50 N.R. 81.

(...)

Étant donné que les plaintes alléguant un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi portent sur une ligne de conduite, le délai de 90 jours pour une plainte concernant la conduite globale ne commence à courir qu'une fois que cette conduite a cessé.

(...)

Toute autre méthode serait en effet impraticable. Il faudrait que les plaignants déposent sans arrêt de nouvelles plaintes au fur et à mesure des événements, ce qui impliquerait que le Ministre donne son consentement chaque fois. Les plaignants risqueraient de voir les aspects antérieurs de leur plainte se prescrire pendant que le Ministre ferait enquête pour établir s'il convient d'accorder son consentement, ce sur quoi le plaignant n'a aucun pouvoir. Le paragraphe 187(2) est conçu pour empêcher les plaignants de se montrer outranciers dans l'exercice de leurs droits une fois que la conduite incriminée a cessé. Il n'est pas destiné à encourager la multiplication des requêtes, ni à frustrer un plaignant en attente du consentement ministériel, ni non plus à protéger un intimé qui continue d'avoir une conduite illégale.

[49] D'une part, il est clair qu'une partie peut déposer une plainte alléguant le défaut de négocier de bonne foi à n'importe quel moment dans le processus de négociation si elle croit que les circonstances le justifient. Il n'est pas nécessaire d'attendre que les parties en soient à l'impasse. D'autre part, une partie alléguant la mauvaise foi d'une autre peut également déposer une plainte même après que les comportements reprochés ont cessé.

[50] L'obligation de négocier de bonne foi est une obligation qui est continue et un manquement à cette obligation se rapporte habituellement à une conduite globale et pas nécessairement à un événement en particulier. Par conséquent, l'approche adoptée dans l'affaire Brewster Transport, précitée, pour faire le calcul du délai nous semble appropriée. Le délai de six mois sera donc comptabilisé à partir du moment où la conduite reprochée a cessé.

[51] Au moment où la Guilde négociait, par erreur, aux termes de la loi québécoise, la preuve révèle que les parties ont eu des rencontres et ont échangé des propositions à partir du 24 février 1998 jusqu'au 12 janvier 1999, date à laquelle la plaignante a demandé à la CRAAAP de nommer un médiateur. On pourrait conclure que la conduite reprochée a cessé à cette date. Mais la Guilde a recommencé, en partie, le processus de négociation en transmettant un nouvel avis, conformément à la Loi sur le statut de l'artiste, à CKRL le 23 février 2000. CKRL a répondu en informant la Guilde de son intention de poursuivre les négociations dans le but de conclure un accord le 1er mars 2000. La preuve indique toutefois qu'aucune rencontre n'a eu lieu et qu'aucune nouvelle proposition n'a été échangée entre les parties avant la session de médiation qui s'est tenue le 25 avril 2000. Les parties n'ont pas réussi à s'entendre lors de la session de médiation et aucune autre négociation n'a été entreprise après cette date.

[52] Le Tribunal est d'avis qu'il doit considérer le 25 avril 2000 comme étant la date à laquelle la conduite reprochée a cessé puisque les parties n'ont eu aucune rencontre après cette date et aucune autre proposition n'a été échangée. Ce faisant, le délai de six mois pour le dépôt de la plainte était donc échu le 25 octobre 2000.

[53] La plainte a été déposée le 9 novembre 2001, soit plus de 12 mois après l'expiration du délai. Par conséquent, la plainte est prescrite.

Question 2 : Le Tribunal devrait-il proroger le délai imparti à l'article 53 de la Loi et instruire la plainte?

[54] Dans l'éventualité où le Tribunal détermine que la plainte est prescrite, la plaignante demande au Tribunal de se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 17k) de la Loi pour proroger le délai prévu au paragraphe 53(2) et d'instruire la plainte. La disposition pertinente prévoit que :

17. Le Tribunal peut, dans le cadre de toute affaire dont il est saisi :

(...)

k) abréger ou proroger les délais applicables à l'introduction de l'instance, à l'accomplissement d'un acte de procédure, au dépôt d'un document ou à la présentation d'éléments de preuve;

(...)

[55] Le Conseil canadien des relations industrielles, qui détient depuis quelques années un pouvoir similaire (voir l'alinéa 16m.1) du Code), a eu à quelques reprises à se pencher sur la question de la prorogation des délais et a développé une approche qui pourrait s'avérer utile au Tribunal (voir Re Pinel, précité; BHP Diamonds Inc, [2000] CCRI n° 81, CCRI (Quicklaw) no 35; et Re Woodley, [2000] CCRI n° 85; 69 CLRBR (2d) 161). Les éléments dont le Conseil a tenu compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire comprennent notamment :

  • Le temps écoulé entre l'expiration du délai et le dépôt de la plainte;
  • L'existence d'une preuve prima facie du comportement incriminé;
  • L'intérêt des parties;
  • L'objet du Code;
  • L'existence d'un motif sérieux expliquant le dépôt hors-délai de la plainte.

[56] L'examen de la jurisprudence amène le Tribunal à conclure qu'il ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire à la légère, mais qu'il doit être assez souple pour permettre aux parties qui comparaissent devant lui de fait droit à leur préoccupations quand les circonstances le justifient. Par conséquent, afin de déterminer s'il exercera le pouvoir qui lui est conféré à l'alinéa 17k), le Tribunal pourra examiner un ou plusieurs des facteurs suivants :

  • La longueur du délai et les circonstances l'entourant;
  • L'existence d'une preuve prima facie du bien fondé de la demande ou de la plainte;
  • L'existence motifs sérieux justifiant la prorogation du délai;
  • L'intérêt des parties et l'objet de la Loi.

[57] Quant au premier facteur mentionné ci-dessus, soit la longueur du délai et les circonstances l'entourant, il s'est écoulé une longue période de temps avant que la plainte ne soit déposée. Une série d'événements ont contribué au délai, mais la cause première était une méconnaissance de la Loi. Dès que la Guilde comprend qu'elle peut déposer une plainte alléguant le défaut de négocier de bonne foi, elle le fait le jour même. Donc, malgré le temps qui s'est écoulé avant le dépôt de plainte, le Tribunal estime que les explications données par la Guilde pour justifier le délai sont raisonnables dans les circonstances. Il y a cependant d'autres facteurs que le Tribunal devrait considérer avant de conclure définitivement sur la question.

[58] Le deuxième facteur mentionné ci-dessus que le Tribunal peut considérer est l'existence d'une preuve prima facie, ou une preuve suffisante, du bien fondé de la plainte. Dans l'affaire Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, le juge McIntyre, dans une affaire concernant une allégation de discrimination, s'est prononcé ainsi sur la question de ce qui constitue une preuve suffisante à la page 558 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

[59] La notion d'une preuve prima facie est importante étant donné qu'il est peu probable qu'un tribunal puisse conclure au bien-fondé d'une affaire si les éléments de preuve pouvant étayer les allégations sont absents. En l'espèce, on entend par preuve prima facie une preuve qui, sans qu'elle ne soit contredite, porterait le Tribunal à conclure que l'intimé a manqué à son devoir de négocier de bonne foi avec la plaignante.

[60] La preuve de la plaignante démontre que les parties ont tenu des réunions et ont échangé des propositions et des contre-propositions, mais que ces échanges n'ont pas mené à la conclusion d'une entente. La Guilde fait valoir qu'elle a fait des concessions importantes afin d'accommoder la situation particulière de CKRL en tant que station de radio communautaire, notamment en ce qui a trait à la renonciation au cachet en échange d'un reçu d'impôt. Il n'y a aucune preuve alléguant que CKRL a refusé de négocier ou ne s'est pas présenté à une rencontre. Il n'est pas non plus allégué que CKRL a refusé de considérer les propositions faites par la Guilde. La plainte se fonde essentiellement sur le fait que CKRL a refusé toutes les propositions mises de l'avant par la Guilde même lorsque cette dernière a acquiescé à la proposition la plus critique soit celle de la renonciation du cachet.

[61] Le Tribunal comprend que la situation vécue par la Guilde peut être des plus frustrantes. Mais il faut noter que les tribunaux de relations du travail expriment habituellement une saine réserve quant au processus de négociation entre les parties, respectant leur liberté de contracter et n'intervenant que dans les cas où l'une des parties n'a pas l'intention d'en arriver à une entente. L'obligation de négocier de bonne foi n'exige pas qu'une partie aux négociations ait une attitude réceptive aux propositions de l'autre partie, mais seulement qu'il existe une intention d'en arriver à une entente (The Ottawa Newspaper Guild, Local 205 of the Newspaper Guild and The Citizen, [1979] 2 Can. L.R.B.R. 251 (Ont.)). En l'espèce, la plaignante a mis en preuve des lettres de CKRL qui indiquent son intention de conclure une entente.

[62] Finalement, il y a lieu de noter que mener une négociation jusqu'à l'impasse peut constituer de la négociation de mauvaise foi si la position d'une partie vise l'inclusion d'une clause contraire à l'ordre public ou contraire aux principes de la législation en relations de travail en vigueur (Les Élévateurs de Sorel Ltée, [1985] C.C.R.T. (Quicklaw) no 512). Sur cette question la Guilde est d'avis que le fait que CKRL souhaite que les artistes puissent renoncer entièrement à leur cachet contredit l'objet de la Loi. À l'appui de sa prétention, la plaignante fait référence à l'alinéa 2e) de la Loi qui parle de «l'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l'utilisation, et notamment le prêt public, de leurs oeuvres ».

[63] Telle que libellée, la proposition du 13 mai 1998 prévoit qu'un artiste peut, s'il le désire, renoncer à son cachet. La proposition en question prévoit que CKRL doit néanmoins verser un montant au fonds de pension et la cotisation d'exercice pour chaque artiste membre de la Guilde.

[64] Or, bien que le gouvernement du Canada reconnaisse l'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l'utilisation et le prêt public de leurs oeuvres dans la partie I de la Loi, le Tribunal estime qu'en l'espèce il est plus approprié de considérer l'objet de la partie II de la Loi, qui traite des relations professionnelles. L'article 7 prévoit ceci :

La présente partie a pour objet l'établissement et la mise en oeuvre d'un régime de relations de travail entre producteurs et artistes qui, dans le cadre de leur libre exercice du droit d'association, reconnaît l'importance de la contribution respective des uns et des autres à la vie culturelle canadienne et assure la protection de leurs droits. (C'est nous qui soulignons.)

[65] La proposition du 13 mai 1998 prévoit que le producteur doit contribuer au fonds de pension et verser la cotisation d'exercice à la Guilde même lorsque l'artiste renonce à son cachet. Par conséquent, l'artiste retire un certain bénéfice monétaire de sa prestation. L'inclusion d'une telle disposition dans un accord-cadre ne constitue pas une situation idéale, mais nous ne pouvons conclure qu'il s'agit d'une disposition qui serait à l'encontre de l'objet de la Loi.

[66] Le Tribunal aimerait aussi souligner que la jurisprudence qui traite de l'obligation des parties de négocier de bonne foi fait une nuance entre deux concepts distincts : la négociation serrée qui n'est pas contraire à la Loi, et la négociation dite « de surface » qui constitue un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi. À ce titre la décision du Conseil dans l'affaire Banque Royale du Canada (Kénogami, Québec) (1980), 41 di 199, est fort instructive. On peut y lire à la page 212 :

La difficulté est de déterminer si l'employeur négocie de façon serrée mais de bonne foi, ou s'il fait semblant de négocier. Dans l'arrêt The Daily Times [1978] OLRB Rep. July 604, où le Conseil des relations du travail de l'Ontario avait affaire à une plainte alléguant violation de l'obligation de négocier de bonne foi, il s'exprimait ainsi sur ce point :

... La négociation dite de surface, est un terme qui décrit le fait par une partie de s'asseoir pour négocier sans qu'elle ait vraiment l'intention de conclure une convention collective. Ceci constitue une façon subtile mais efficace de ne pas reconnaître le syndicat. Il est cependant important dans le système de la libre négociation collective de distinguer entre la négociation dite de surface et la négociation serrée. Les parties à une négociation collective agissent en vue de leurs intérêts particuliers et, dans ce processus, sont appelées à prendre des positions qui peuvent être inacceptables à l'autre partie. La loi autorise la [sic] recours à la sanction économique pour résoudre les impasses de négociation. Conséquemment, la soumission à l'autre partie d'une proposition qui est inacceptable ou même 'probablement inacceptable' n'est pas suffisante en soi pour inférer qu'il y a 'négociation dite de surface'. Cette inférence ne peut être tirée qu'à partir de toute la preuve incluant, mais sans la restreindre, la prise d'une position inflexible sur des points cruciaux dans la négociation. Ce n'est que lorsque la totalité de la conduite des parties indique qu'il y en a une qui n'a pas l'intention de conclure une convention collective, nonobstant le fait qu'elle préserve les apparences extérieures d'une négociation qu'on peut conclure à une 'négociation dite de surface'. (Traduction de nous)

Nous partageons ce point de vue et sommes d'opinion que cette distinction entre la négociation serrée et celle de mauvaise foi repose essentiellement sur l'appréciation des faits de chaque affaire et doit tenir compte de la totalité de leur relation.

[67] En l'espèce, le Tribunal est d'avis qu'il n'existe pas une preuve prima facie qui lui permettrait de conclure que l'intimé a manqué à son devoir de négocier de bonne foi. L'absence d'une preuve prima facie établissant le bien fondé de la plainte est, pour le Tribunal, le facteur déterminant dans cette affaire. Ainsi, il ne s'agit pas d'une situation où il serait approprié d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'alinéa 17k) de la Loi. Pour ces motifs, la demande de prorogation de la plaignante est rejetée. À la lumière de cette conclusion, il n'est pas nécessaire de procéder à l'examen des deux autres facteurs mentionnés ci-dessus.

Décision du Tribunal

[68] Le Tribunal fait droit à la requête de l'intimé et rejette la plainte au motif qu'elle est irrecevable.

Ottawa, le 8 janvier 2003

John Moreau Marie Senécal-Tremblay
Moka Case  


Création : 2005-08-08
Révision : 2005-12-01
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