DES ENVAHISSEURS MENACENT GRAVEMENT LES GRANDS LACS
ACCORD CANADA-ONTARIO CONCERNANT L'ÉCOSYSTEME DU BASSIN DU GRANDS LACS
Depuis le XIX e siècle, les scientifiques ont
identifié plus de 160 envahisseurs des
poissons, des crustacés, des plantes
aquatiques et des espèces de plancton qui ont réussi à
s'infiltrer et à s'établir en permanence dans les Grands
Lacs. C'est donc dire que tous les 11 mois en moyenne, une
nouvelle espèce réussit à s'intégrer dans un écosystème au délicat
équilibre. Quelques-unes sont tellement courantes, comme la
carpe, le gaspareau et la lamproie, que certaines personnes pensent
qu'il s'agit d'espèces indigènes. Bien que certains immigrants
coexistent pacifiquement avec les espèces indigènes, environ un sur
10 explose sur la scène telle une bombe environnementale.
Les scientifiques les qualifient d'« espèces aquatiques exotiques
envahissantes » (EAEE). Sans prédateurs, parasites ou pathogènes
naturels, les EAEE peuvent se répandre rapidement dans un plan
d'eau. Une fois bien établie, une EAEE prolifique comme la moule
zébrée peut perturber de façon permanente l'intégrité biologique
d'un écosystème. Les EAEE peuvent ravir aux espèces indigènes
leur habitat, leurs ressources alimentaires et leurs frayères,
contraignant leurs compétiteurs à se retirer ou même à disparaître.
Bien que les gouvernements du Canada et des États-Unis ainsi que
ceux de l'Ontario et des États américains aient connu certains
succès dans la lutte contre la lamproie de mer, d'autres EAEE
échappent à tout contrôle tandis que de nouveaux envahisseurs
continuent d'arriver dans le bassin des Grands Lacs chaque année.
Tous les 11 mois en moyenne, une nouvelle espèce exotique envahissante
réussit à occuper une niche dans l'écosystème des Grands Lacs.
Portrait d'une EAEE typique
«L'EAEE qui connaît du succès est habituellement une espèce
colonisatrice non seulement dans notre milieu mais aussi dans son
milieu d'origine », dit Doug Dodge, Ph.D., biologiste à la retraite du
ministère des Ressources naturelles et spécialiste des questions des
Grands Lacs. Au cours de sa carrière, M. Dodge a effectué des
travaux sur le contrôle des EAEE pour la Commission mixte
internationale et la Commission des pêcheries des Grands Lacs.
Les EAEE sont des plantes et des animaux très accommodants, très
résistants et très adaptables, dit M. Dodge. Ces animaux ont
tendance à être voraces et extrêmement prolifiques, accaparant
rapidement une part immense de la productivité d'un lac et
affamant leurs concurrents. Les plantes sont habituellement des
colonisatrices agressives qui se répandent rapidement, évinçant la
végétation indigène plus faible.
«L'une des grandes ironies, c'est que les espèces envahissantes ne
constituaient pas un problème d'envergure lorsque les lacs étaient
fortement pollués », dit M. Dodge. Lorsque nous avons
collectivement commencé à améliorer l'épuration des eaux usées, à
assainir les eaux industrielles et à réduire les charges de nutriments,
les espèces indigènes ont pris trop de temps à réintégrer leurs
territoires. « Les espèces envahissantes exotiques se sont engouffrées
dans la brèche et se sont installées », dit-il. À l'instar de l'invité
proverbial qui ne veut pas partir, les EAEE peuvent être presque
impossibles à déloger une fois qu'elles ont trouvé leur place à la
table. La meilleure façon de bloquer une EAEE est de verrouiller
solidement la porte. « On fait habituellement une tentative futile
pour trouver un prédateur biologique, dit M. Dodge, mais alors qui
contrôlera le prédateur? »
Se mouler dans les Grands Lacs
Lorsqu'on cherche des renseignements sur les espèces exotiques ou
non indigènes envahissantes, on tombe habituellement sur une
photo de la minuscule moule zébrée. À l'instar de la grémille, du
goujon de mer et du cladocère épineux, la moule zébrée est arrivée
comme passagère clandestine dans le ballast d'un navire en
provenance de son lieu d'origine, la mer Caspienne. Depuis la
découverte des premières moules zébrées dans le lac Sainte-Claire en
1988, celles-ci se sont répandues partout dans les Grands Lacs ainsi
qu'à travers l'Ontario et le Québec, à l'ouest jusqu'au Kansas et au
sud jusqu'au golfe du Mexique.
D'épaisses masses de moules zébrées ont causé des dommages
étendus et coûteux, bloquant les prises d'eau des usines d'épuration
et des centrales hydroélectriques, et bouchant les tuyaux de
protection contre les incendies et des systèmes de refroidissement.
En une seule saison, des colonies de 32 000 moules au mètre carré
peuvent recouvrir toute surface dure propice telle que la coque d'un
navire. Les petites bouées repères peuvent même sombrer sous le
poids des moules qui s'y incrustent. L'entretien devient une tâche
exténuante et sans fin.
Organismes filtreurs extrêmement efficaces, les moules zébrées
peuvent retirer une bonne part du plancton, des détritus et des
autres sources alimentaires essentielles du bas de la chaîne
alimentaire. Bien qu'elles aient sans conteste aidé à clarifier les eaux
troubles, elles ont également dévasté les populations indigènes de
moules, de myes, de petits poissons et de tout ce qui s'en nourrit.
Certaines preuves indiquent même que les moules zébrées
accroissent la disponibilité des BPC et des autres polluants,
entraînant des concentrations plus fortes de contaminants au haut
de la chaîne alimentaire.
Les navires et les eaux de ballast
Comment les EAEE arrivent-elles ici? À une époque où l'on était
moins conscient de l'environnement, certaines espèces ont été
relâchées intentionnellement pour améliorer les pêches locales ou
pour rappeler de bons souvenirs à un colonisateur souffrant du mal
du pays. Les saumons coho et quinnat, la truite arc-en-ciel et la
truite de mer ont été introduits pour améliorer la pêche sportive et
contrer une invasion préalable de gaspareaux. Des poissons se sont
échappés de piscicultures et d'écloseries. Certaines EAEE sont
déversées dans le lac le plus proche avec le contenu d'un aquarium
ou d'un seau à appâts.
Au moins le tiers des EAEE qui sont entrées dans les Grands Lacs
l'ont fait par l'entremise des eaux de ballast rejetées par les navires
de haute mer. Une fois la cargaison déchargée, les grands cargos
remplissent leurs ballasts avec l'eau du port (où se trouve un
échantillon de la vie aquatique locale), pour les aider à demeurer
stables, surtout lorsque la mer est agitée. Lorsque ces eaux sont
déchargées à destination, tous les organismes sont rejetés dans les
eaux réceptrices.
La voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent est une
importante voie de circulation qui s'étend sur 3 700 kilomètres
jusqu'au coeur de l'Amérique du Nord. Dans le bassin, quelque 145
ports et terminaux traitent plus de 150 millions de tonnes de
cargaisons chaque année. La mondialisation de l'économie
pourrait entraîner l'accostage d'un plus grand nombre de navires
étrangers dans les ports des Grands Lacs... et l'arrivée d'un nombre
accru d'EAEE.
«Il s'agit de la question la plus épineuse à laquelle fait face
l'industrie de la navigation commerciale », dit le capitaine Réjean
Lanteigne, vice-président des opérations à l'Association des
armateurs canadiens. « Elle ne touche pas que nous mais aussi les
paquebots de croisière, les bateaux d'excursion, la marine,
quiconque navigue en eaux internationales. » L'Association
représente les vraquiers, les navires-citernes et les navires de charge
qui naviguent sur les eaux des Grands Lacs et de la voie maritime du
Saint-Laurent, ainsi que dans l'Arctique, dans les Maritimes et sur la
côte est de l'Amérique.
Sur les Grands Lacs, un navire de charge peut transporter à lui seul
jusqu'à 20 000 tonnes d'eaux de ballast contenant plusieurs
centaines d'espèces aquatiques différentes. L'invasion des espèces
exotiques est l'une des cinq principales préoccupations des Nations
Unies sur le plan de l'environnement, dit le capitaine Lanteigne.
Tous les armateurs reconnaissent la gravité du problème. Une fois
qu'elles (les espèces) sont introduites, il est impossible de prévenir
leur propagation; il faut donc empêcher qu'elles soient relâchées. »
La vidange et le remplissage des réservoirs d'un navire avec de l'eau
salée, au milieu de l'océan, est actuellement la méthode de lutte la
plus acceptée, mais elle n'est pas efficace à 100 p. 100. Un navire
peut transporter des tonnes de résidus et de sédiments au fond de
ses réservoirs.
Même un navire qui déclare ne pas avoir d'eau de ballast à bord peut
contenir une charge prolifique d'EAEE. Si ce navire prend de l'eau
de ballast dans le bassin des Grands Lacs, les EAEE peuvent se
mélanger aux dépôts non pompables et peuvent être rejetées dans
une autre partie du bassin sans traitement ou contrôle. La majorité
des navires qui entrent dans les Grands Lacs ne transportent pas
d'eau de ballast; ils arrivent pleinement chargés, déchargent leurs
marchandises et ensuite chargent des eaux de ballast des Grands
Lacs par-dessus les résidus non pompables.
«Il faut s'inquiéter des sédiments boueux, dit le capitaine
Lanteigne; pour l'instant, il n'existe aucune technologie (de
traitement) connue qui soit efficace et pratique. Les essais se
poursuivent. » Des chercheurs des secteurs public et privé
étudient un certain nombre de méthodes prometteuses, y
compris la filtration, la séparation hydrocyclonique, et les
biocides chimiques et physiques pour éliminer les EAEE. Les
armateurs participent à un certain nombre de programmes de
mise au point de technologies en coopération avec le ministère
des Pêches et Océans, Transports Canada, la US Coast Guard et
l'Organisation maritime internationale. On cherche avant tout à
cerner des options de traitement des eaux de ballast qui
pourraient être mises au point rapidement en vue d'une
application provisoire dans les Grands Lacs, ainsi que d'autres
plus propices à une utilisation internationale à long terme.
Lutter contre la lamproie de mer
La lamproie de mer est un poisson primitif sans mâchoire,
originaire des deux côtés de l'océan Atlantique. De
l'apparence d'une anguille et atteignant près de un mètre de
longueur, la lamproie s'attache à sa proie avec un disque de
succion, et coupe les écailles et la peau pour sucer les fluides
corporels du poisson. On estime que seulement un poisson
sur sept survit à une attaque de ce parasite. Dans les années
1940, la lamproie de mer avait envahit le lac Érié et les Grands
Lacs supérieurs; elle a eu tôt fait de précipiter l'effondrement
des populations de touladi et de grand corégone.
En 1954, le Canada et les États-Unis ont signé la Convention
sur les pêcheries des Grands Lacs, créant la Commission des
pêcheries des Grands Lacs, pour protéger les ressources
halieutiques en rapide disparition. Le ministère des Pêches et
Océans est le principal agent canadien de la Commission; il a
entrepris de vastes (et coûteux) projets de lutte contre la
lamproie dans les rivières et autres cours d'eau graveleux où
elle fraie chaque printemps.
Des lampricides sélectifs servent à tuer les larves de lamproies
là où elles se sont enfouies dans le lit du cours d'eau; des mâles
stériles sont relâchés pour réduire les succès du frai; et des
obstacles sont érigés pour bloquer la migration vers l'amont
des adultes géniteurs. Ces efforts ont aidé à réduire les
populations de lamproie de mer dans les Grands Lacs à 10 p.
100 des sommets atteints en 1950. Toutefois, il s'est avéré
impossible d'éliminer la lamproie de mer dans le bassin. Une
fois qu'une espèce envahissante comme la lamproie s'est
installée, on ne peut que chercher à gérer son abondance et, du
moins l'espère-t-on, minimiser ses effets sur l'écosystème.
Des contrôles plus rigoureux à l'horizon
En 1989, la Garde côtière canadienne a adopté des directives
volontaires qui obligent tous les navires de haute mer
qui prévoient entrer dans les Grands Lacs à changer au préalable
l'eau douce de ballast pour de l'eau salée puisée au-delà
de la plate-forme continentale. En pleine mer, les eaux
contiennent comparativement moins d'organismes et ceux-ci
sont moins susceptibles de survivre dans un milieu d'eau douce.
En 1993, les États-Unis ont adopté des exigences semblables
quoiqu'obligatoires, fondées sur les directives canadiennes, en
vertu de la Non-indigenous Aquatic Nuisance Species Prevention
and Control Act in the Great Lakes. Chaque navire qui entre dans
le réseau des Grands Lacs fait l'objet de vérifications pour
s'assurer que ses eaux de ballast ont une salinité d'au moins 30
parties par millier. Le Canada cherche actuellement à harmoniser
ses règlements avec ceux des États-Unis.
Les espèces aquatiques exotiques envahissantes risquent de causer
de plus en plus de problèmes dans les Grands Lacs au fur et à
mesure que le commerce et la mondialisation accroîtront la
propagation planétaire des espèces. En vertu du nouvel Accord
Canada-Ontario concernant l'écosystème du bassin des Grands
Lacs (ACO), le gouvernement du Canada collaborera avec
l'industrie du transport maritime pour réduire l'entrée et la
propagation des EAEE au moyen de règlements ciblant les
navires entrant dans les Grands Lacs et de nouvelles technologies
pour débarrasser ces navires de leurs passagers clandestins
indésirables.
Chaque propriétaire de bateau et chaque pêcheur sportif a un
rôle important à jouer dans la prévention de la propagation des
espèces envahissantes. Une fois dans les Grands Lacs, les EAEE se
déplacent rapidement vers des écosystèmes plus éloignés et les
lacs intérieurs en s'accrochant à des plus petits bateaux et en
voyageant le long des canaux et des cours d'eau interlacustres. En
vertu de l'ACO, le gouvernement de l'Ontario appuiera des
programmes de sensibilisation et d'éducation conçus pour
réduire les déplacements et la propagation des EAEE partout
dans le bassin.
La prévention demeure la clé. Nous devons tirer les leçons de
notre expérience de la moule zébrée et prendre de rigoureuses
mesures de prévention dès maintenant, avertit M. Dodge « ou
l'on pourrait voir arriver demain quelque chose de bien pire dans
les Grands Lacs. »
Ce que vous pouvez faire!
Chaque fois que vous déplacez votre bateau d'un plan
d'eau à l'autre, il se peut que des espèces exotiques soient
du voyage. Apprenez à identifier les moules zébrées et les
autres espèces exotiques envahissantes, et prenez des
mesures pour éliminer les passagers clandestins non
désirés.
Pour en savoir davantage sur lACO et les PA, veuillez communiquer avec :