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L'Institut des étalons nationaux de mesure
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L'Institut des étalons nationaux de mesure

La quête de l'horloge parfaite : Un piège à ion unique et des peignes de fréquences femtosecondes qui couvrent le spectre optique

Les chercheurs de l'IÉNM appartiennent à un petit groupe international de scientifiques qui s'efforcent d'obtenir des mesures ultraprécises. Ils participent à la mise au point d'une nouvelle méthode révolutionnaire qui permettra d'établir des liens entre des signaux de temps et l'oscillation d'ondes lumineuses au moyen de lasers ultrarapides. Ces lasers optiques à impulsions permettent de diviser le temps en unités de plus en plus petites avec une précision telle qu'ils ouvrent aux chercheurs de nouvelles possibilités en science et en métrologie, en rendant notamment possible la conception d'horloges atomiques optiques et une analyse plus approfondie des limites des théories scientifiques actuelles sur la création de l'Univers.

Depuis les temps immémoriaux, l'humanité s'est tournée vers les phénomènes naturels dans sa quête de régularité et de perfection. Ainsi, les mouvements des corps célestes, comme la rotation de la Terre ou l'orbite de la Terre autour du Soleil, semblent tracés avec une telle constance et une si grande précision que, pendant des siècles, nous les avons considérés comme la référence « parfaite » pour mesurer le temps et d'autres constantes physiques. Aujourd'hui, nous savons que la précision de ces phénomènes a ses limites. De fait, la période de rotation de la Terre fluctue de 10 parties par milliard par année. La science et la technologie exigeant une précision toujours plus grande, les scientifiques se sont récemment tournés vers le monde quantique de l'atome, et ils ont réussi à créer des étalons de fréquence atomique dont la précision est mille fois supérieure à celle offerte par les méthodes de mesure du temps fondées sur des phénomènes astronomiques.

Le Dr Alan Madej, du groupe Temps et fréquence de l'IÉNM-CNRC, a été l'un des premiers à refroidir des atomes au moyen du laser pour mettre au point un nouvel étalon de fréquence optique utilisant un seul ion de strontium piégé. Son travail a conduit à la mise au point d'une nouvelle génération d'horloges atomiques qui utilisent des fréquences optiques plutôt que des radiofréquences. Nous avons invité le Dr Madej à rédiger une chronique pour IntraRecherche ce mois-ci.
Le Dr Alan Madej montrant une partie du système utilisé pour piéger les ions de strontium servant d'horloge optique. Encadré : Une enceinte à vide et un système de comptage des photons sont utilisés pour détecter la lumière émise par un ion unique.
Le Dr Alan Madej montrant une partie du système utilisé pour piéger les ions de strontium servant d'horloge optique. Encadré : Une enceinte à vide et un système de comptage des photons sont utilisés pour détecter la lumière émise par un ion unique.

Aujourd'hui, des chercheurs travaillant dans des laboratoires partout dans le monde s'apprêtent à révolutionner la mesure du temps et la façon dont nous manipulons et dont nous contrôlons les fréquences optiques, c'est-à-dire la lumière. Leur but : créer l'horloge « parfaite », en utilisant un ion atomique unique comme source de mesure du temps, et en mesurant le temps à partir des oscillations de champ de la raie spectrale hyperfine produite par l'ion. Grâce à de nouveaux lasers femtosecondes exploités en mode verrouillé, les chercheurs ont aussi réussi à créer une série de fréquences lumineuses espacées à intervalle régulier qui couvrent tout le spectre optique, les fameux « peignes de fréquences ».

En liant ces peignes à la fréquence lumineuse de l'ion, les chercheurs peuvent étendre la précision obtenue grâce à la transition optique de l'ion à l'ensemble du spectre optique, et ralentir la fréquence optique de l'ion pour l'abaisser au niveau des signaux électroniques afin de la comparer aux signaux de temps d'autres horloges atomiques.

Des expériences récentes situent la limite des peignes optiques autour de 10-19, qui est de beaucoup supérieur aux mesures actuelles de l'unité de temps. Pour le moment, il semble que la limite dans notre recherche de l'unité de temps parfaite nous sera imposée par l'ion lui-même. Dans le cadre des expériences en cours, l'ion est suspendu dans un champ électrodynamique, et ralenti par la pression de la lumière à des énergies de mouvement correspondant à une température proche du zéro absolu. Bien que ces ions soient sans doute ce qui se rapproche le plus d'une entité quantique isolée non perturbée, des effets subtils demeurent et tendent à nous éloigner de la fréquence vraie recherchée.

La recherche effectuée au sein du groupe Temps et fréquence de l'Institut des étalons nationaux de mesure du CNRC, en collaboration avec des groupes des É.-U., du R.-U., de l'Allemagne et de la France, a récemment fait l'objet d'un article dans la revue « Nature ». Cet article décrit en détail les nouvelles méthodes révolutionnaires utilisées par le groupe pour mesurer le temps et contrôler les fréquences optiques.Depuis la publication de cet article, les chercheurs ont poussé encore plus loin l'analyse des limites imposées par l'ion de référence unique et par le peigne de fréquences optiques qui compte les oscillations de la lumière verrouillée à la transition de l'ion.Pour plus d'information sur ces technologies, visitez le site : http://inms-ienm.nrc-cnrc.gc.ca/
research/ optical_frequency_projects_f.html

À l'IÉNM-CNRC, nous travaillons avec un seul ion de strontium (Sr+) et nous avons observé des déplacements de fréquence à l'échelle d'une partie par billion (10-13). Cela équivaut à mesurer la distance de la Terre à la Lune en utilisant la largeur d'un cheveu humain! En utilisant une méthode unique basée sur la mesure de paires de raies spectrales, nous avons évalué l'effet de ce qui est considéré comme l'une des principales limites à ces horloges de la prochaine génération : le déplacement du mouvement quadripôle de la fréquence. Le gradient du champ électrique interagit avec l'un des niveaux d'énergie dans la raie spectrale de l'ion, ce qui cause ce déplacement. Le groupe Temps et fréquence a réussi à annuler cet effet, améliorant du coup la possibilité de mesurer l'ion à des niveaux supérieurs, ce qui ouvre la porte à l'amélioration de l'unité de temps d'un autre facteur de 1000.

Les nouveaux lasers femtosecondes en mode verrouillé nous permettent de créer une série de fréquences espacées régulièrement qui couvrent tout le spectre optique, les fameux « peignes de fréquences ».
Un peigne de fréquences génère des fréquences de référence qui couvrent l'ensemble du spectre infrarouge (IR) et du spectre visible.
Un peigne de fréquences génère des fréquences de référence qui couvrent l'ensemble du spectre infrarouge (IR) et du spectre visible.

Le CNRC est un chef de file dans le domaine des mesures basées sur un ion unique depuis de nombreuses années. En 1998, l'IÉNM-CNRC a réalisé la première mesure directe de la fréquence optique visible d'un ion unique avec une précision de 200 Hz, pour une fréquence de transition de 445 billions de Hz (445 THz). Ces travaux ont motivé la sélection de la longueur d'onde dans le vide de la transition ionique comme étalon international pour la réalisation du mètre avec une très grande précision.

D'autres travaux réalisés à travers le monde sur plusieurs ions ont maintenant permis d'obtenir des précisions de quelques Hz pour des fréquences de transition de 100 à 1000 THz. Au CNRC, nous avons mesuré la transition ionique à l'échelle d'une partie par centaine de billions (1 × 10-14). Depuis 1967, la réalisation de la seconde du Système International (SI) est définie comme un nombre connu de cycles de radiofréquences permettant d'exciter un atome de césium (Cs) pour provoquer une transition de l'état fondamental du Cs. C'est actuellement la méthode utilisée au Canada pour réaliser la seconde à l'aide d'une série d'horloges atomiques basées sur la transition de la radiofréquence d'un atome de Cs. Mais les horloges atomiques au césium et les nouvelles horloges à fontaine au césium refroidies par laser ont atteint leurs limites, et l'atome unique pourrait bien devenir la mesure la plus précise pour le temps, la longueur, ainsi que d'autres quantités physiques.

Chaque fois que la science repousse les frontières de la métrologie et de la physique, de nouvelles applications en découlent. L'horloge atomique a rendu possible la technologie du système de positionnement global (GPS); elle nous a aussi permis de sonder la théorie de la relativité d'Einstein et d'obtenir une première preuve de la présence des ondes de gravité et des planètes extrasolaires. Les peignes de fréquences et les pièges à ion unique ouvrent un nouveau monde de possibilités où les chercheurs pourront contrôler les rayonnements électromagnétiques, allant du domaine radio au champ optique, avec la précision d'une horloge atomique. Nous pourrions alors contrôler les rayonnements optiques de la même façon que nous contrôlons actuellement les ondes radioélectriques et les radiofréquences. Nous pouvons d'ores et déjà contrôler la fréquence et la nature des phases de la lumière à des niveaux très élevés. Des oscillateurs optiques stables en phase sont déjà utilisés pour améliorer les technologies de télécommunications et les communications par fibre optique. Ces nouvelles technologies nous permettent aussi de moduler la phase d'impulsions lumineuses ultrabrèves.

Les progrès réalisés par le groupe Temps et fréquence permettront de mesurer la fréquence de l'ion à des niveaux plus élevés, et d'accroître la précision de l'unité de temps par un facteur de 1000.
Schéma d'un piège à ion contenant un ion unique
Schéma d'un piège à ion contenant un ion unique (point fluorescent, au centre), excité et refroidi par la lumière laser de l'horloge (gracieuseté du Dr L. Marmet)

Ces travaux ont un impact sur l'étude des structures et de la dynamique des atomes et des molécules, et sur le contrôle des voies des réactions chimiques, et ils nous permettront de mieux comprendre les phénomènes chimiques. Ils déboucheront sur des avancées significatives dans notre compréhension des processus chimiques et biologiques. Certains groupes comparent ces horloges de la nouvelle génération à la seconde SI traditionnelle, dans le but de détecter des variations temporelles dans des constantes fondamentales. L'observation de telles variations pourraient remettre en cause notre modèle actuel de l'Univers et déboucher sur de nouvelles théories dans ce domaine.

Dans l'immédiat, l'impact de ces travaux sur notre vie de tous les jours se traduira par une amélioration des techniques de mesure et de contrôle, et par la mise au point de nouvelles technologies exploitant les possibilités de la lumière – allant des progrès en astronomie et dans la mesure de la gravité, à l'amélioration des technologies de positionnement global, en passant par des applications pratiques en photonique.

Les niveaux de précision que permettent d'atteindre les technologies des ions uniques et des peignes optiques pourraient déboucher sur de nouvelles façons de réaliser notre mesure physique la plus exacte et la plus précise à ce jour : la seconde. En mars dernier, des métrologues du monde entier se sont réunis à Paris pour étudier l'adoption de nouvelles réalisations secondaires de la seconde. Ces réalisations prépareront le terrain à une éventuelle redéfinition de la seconde.

Le but : créer l'horloge « parfaite » en utilisant un seul ion atomique comme source de temps, et mesurer le temps grâce aux oscillations de champ d'un laser verrouillé sur la raie spectrale hyperfine de l'ion.
Cavité optique monolithique fabriquée 
            de verre à très faible coefficient d'expansion, utilisée 
            pour stabiliser le laser sondant la transition de référence 
            d'un ion unique.
Cavité optique monolithique fabriquée de verre à très faible coefficient d'expansion, utilisée pour stabiliser le laser sondant la transition de référence d'un ion unique.

À l'heure actuelle, il existe une pléthore de candidats pour la mise au point d'horloges ioniques et atomiques, chacun présentant ses avantages et ses inconvénients. Nous devrons attendre pour voir quel système sera éventuellement choisi.

L'IÉNM-CNRC et le National Physical Laboratory du R.-U. étudient le système basé sur un ion unique de 88Sr+. Jusqu'ici, c'est le seul système à ion unique étudié simultanément par plusieurs laboratoires. La simplicité relative des lasers et la disponibilité de l'équipement requis pour fabriquer ce type de système en font un choix approprié, car il permet la reproductibilité des expériences.

La première avancée fondamentale dans la mesure du temps depuis 40 ans pourrait bientôt voir le jour, en nous faisant passer de la mesure des radiofréquences à celle des oscillations optiques d'un seul ion dont l'impulsion peut être mesurée à l'échelle de la femtoseconde grâce à la lumière laser. Les progrès rendus possibles par cette avancée transforment d'ores et déjà la façon dont nous travaillons avec la lumière, et ils promettent de révolutionner la science de la mesure et les technologies connexes dans les années à venir.

Dr Alan Madej
Agent de recherche principal
Temps et fréquence
Institut des étalons nationaux de mesure du CNRC
Ottawa


Novembre 2004


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