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De moins en moins d’anguilles dans le Saint-Laurent

L'Anguille d'Amérique, Anguilla rostrata, jadis l’une des espèces de poisson les plus abondantes du Saint-Laurent, connaît une baisse inquiétante de sa population depuis les années 1980. C’est ce qu’a observé une équipe de recherche conjointe d'Environnement Canada et de l’Aquarium du Québec.

Parcours d'une espèce migratrice L’estuaire du Saint-Laurent représente la voie migratrice pour les anguilles adultes qui quittent le Saint-Laurent pour se reproduire vers la mer des Sargasses, seul site de reproduction connu. Après la fraie, les adultes meurent et les leptocéphales, ou larves d’anguilles, sont transportées par le courant du Gulf Stream, le long de la côte est de l’Amérique du Nord, du golfe du Mexique jusque vers le nord du Labrador et le Groenland. Les jeunes anguilles pénètrent dans les eaux saumâtres et douces; certaines demeurent dans les estuaires, d’autres remontent en amont des tributaires du Saint-Laurent et même jusqu’aux Grands Lacs. Après une période de croissance en eau douce variant entre 10 et 20 ans, elles migrent de nouveau vers la mer des Sargasses pour frayer.

Présente dans les estuaires et les eaux douces de la côte est de l’Amérique du Nord, l’Anguille d’Amérique est la seule espèce de poisson catadrome du fleuve Saint-Laurent. Or, l’anguille, dont la valeur commerciale est importante au Québec (près de 4000 $ la tonne en 2001, alors que la valeur moyenne des espèces de poissons pélagiques était de 300 $ la tonne), voit son abondance décliner de façon préoccupante.

Prises commerciales d’Anguille d’Amérique au Québec entre 1920 et 2002

En effet, les captures annuelles enregistrées au Québec atteignaient plus de 1000 tonnes dans les années 1930, alors qu’elles ne dépassaient pas 200 tonnes en 1999. De nos jours, la pêche à l’anguille se pratique en eau douce, surtout dans la rivière Richelieu et au lac Saint-Pierre, ainsi qu’en eau salée, dans les régions de L’Islet et de Kamouraska.

Selon Yves de Lafontaine, chercheur scientifique d'Environnement Canada, on observe une baisse du nombre d’anguilles capturées dans le secteur de Québec depuis les années 1970 qui varie entre 40 % et 80 % selon les sites et les années; certains endroits ont même enregistré une chute de 98 % des captures.

Nombre d’Anguilles d’Amérique capturées à la pêcherie
expérimentale de Québec entre 1970 et 2002

Pêche à fascines à la pêcherie expérimentale de Québec à Saint-Nicolas où l’on enregistre les captures d’Anguilles d’Amérique

Le déclin de cette espèce dans le Saint-Laurent pourrait mener à sa disparition selon les spécialistes, car non seulement les spécimens capturés sont moins nombreux, mais leur poids moyen a augmenté de 30 % depuis 1994. Cette tendance indique une baisse significative du nombre d’individus plus jeunes au profit de spécimens plus âgés, ce qui traduit des difficultés de recrutement de la population depuis quelques années.

Quelles sont les causes du déclin de la population d’anguilles? Bien qu’elles demeurent à l’étude, certaines hypothèses sont émises :

1. La capacité de reproduction de l’espèce serait altérée par les contaminants chimiques comme le DDT, les BPC et le Mirex, stockés dans leurs graisses;
2. Les barrages hydroélectriques nuisent à la migration des jeunes anguilles, lesquelles n’arriveraient plus à remonter le fleuve vers les Grands Lacs, contribuant ainsi à réduire le nombre d’anguilles matures qui redescendent en mer pour se reproduire;
3. Comme le même phénomène de déclin est aussi observé chez certaines populations d’anguilles aux États-Unis et en Europe, les changements climatiques sont à considérer dans la mesure où ils modifieraient le transport des larves d’anguille par les grands courants océaniques;
4. Une pêche commerciale intense pratiquée sur les jeunes anguilles en Ontario et aux États-Unis à partir des années 1960 aurait eu pour effet de réduire le cheptel de façon radicale en empêchant les spécimens d’atteindre la maturité et de se reproduire.  

La vérification des hypothèses relatives aux causes du déclin des anguilles dans le Saint-Laurent et le lac Ontario nécessitent de plus amples recherches et études précises afin d’émettre des recommandations en vue d’une saine gestion de la ressource. Bien qu’à ce jour l’Anguille d’Amérique ne soit pas ciblée en vertu de la Loi sur les espèces en péril, il n’en demeure pas moins que la viabilité de la pêche commerciale dans la partie amont du fleuve Saint-Laurent et le lac Ontario est menacée pour les prochaines générations, sans compter les impacts écologiques qu’entraînerait la disparition de cette espèce dans l’écosystème des Grands Lacs et du Saint-Laurent.

Documentation

de Lafontaine, Y., F. Marchand, M. Lagacé et F. Gingras. 2003. The American Eel in the St. Lawrence River: Prelude to the loss of a Resource. Conférence présentée au International Eel Symposium, lors du 133^e congrès annuel de l’American Fisheries Society, Québec, Canada, 10-15 août 2003.

de Lafontaine, Y., M. Lagacé, F. Gingras, D. Labonté, F. Marchand et E. Lacroix. 2005. « The American eel in the St. Lawrence River: Towards the loss of a resource ». Transactions of the American Fisheries Society (sous presse).

Francoeur, Louis-Gilles. 2004. « Saint-Laurent : les anguilles sont en train de disparaître. À plusieurs endroits, les captures ont chuté de 90 % », Le Devoir, 6 décembre 2004, p. A1.

Pêches et Océans Canada. 1991. Espèces en difficulté dans le Saint-Laurent : du Lac Saint-Pierre à Sept-Iles/Sainte-Anne-des-Monts. Fiches techniques. Plan d’action Saint-Laurent.

Liens pertinents

Projet
Impacts des changements climatiques et des fluctuations du régime hydrologique sur les communautés de poissons du Saint-Laurent

Environnement Canada, Réseau d'évaluation et de surveillance écologiques – Déclin dramatique du recrutement de l'Anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) dans le lac Ontario : tendances, causes et effets à long terme

Pêches et Océans Canada – Le monde sous-marin : l’Anguille d’Amérique