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PRB 99-1F LES SANS-ABRI Rédaction : TABLE DES MATIÈRES
De plus en plus dindividus sont touchés par litinérance Lannée 1987 : un tournant dans la recherche sur les sans-abri À la recherche dune définition du sans-abri Une question qui est au coeur du débat sur les sans-abri : combien sont-ils? La situation canadienne en regard au dénombrement des sans-abri A. Première tentative de dénombrement B. Seconde tentative de dénombrement Labsence de données officielles sur les sans-abri Un
processus de recherche méthodologique afin daméliorer LA COMPOSITION DE LA POPULATION DES SANS-ABRI Des groupes auparavant peu représentés dans le monde des sans-abri Entraves à la santé des sans-abri et solutions possibles La santé de groupes particuliers de sans-abris C. Les personnes souffrant de maladies mentales Le rôle du gouvernement fédéral à légard de la santé des sans-abri MESURES PARLEMENTAIRES EN
MATIÈRE DE LOGEMENT PERSPECTIVES
INTERNATIONALES SUR LES FACTEURS B. Études américaines : explications possibles de laugmentation du nombre des sans-abris 1. La baisse du parc de logements à prix modique 2. La baisse du marché des emplois occasionnels 3. La désinstitutionnalisation 4. Lalcoolisme, les toxicomanies et lavènement du crack 5. Les changements dans la distribution des revenus LES SANS-ABRI
Rédaction : Le phénomène des sans-abri ne se limite pas aux pays les plus pauvres du monde. En effet, force est de constater que se trouver sans abri pendant une période plus ou moins longue est le lot de plusieurs personnes vivant dans tous les pays, y compris ceux quon estime être les plus riches de la planète(1). Ce phénomène ne résulte pas non plus nécessairement de catastrophes dorigine naturelle ou humaine. De nombreuses études ont en effet révélé que les événements susceptibles de mener des gens à faire partie du monde des sans-abri sont nombreux et diversifiés. Dailleurs, de nos jours, se trouver sans abri est une réalité pour beaucoup dhommes, de femmes et denfants qui ont des histoires de vie fort différentes. Il ne sagit pas par ailleurs dun phénomène nouveau. De toute évidence, au cours de lhistoire, des personnes nont pas été en mesure de se loger convenablement pendant des périodes variables et pour de multiples raisons. Cependant, depuis les années 80, le phénomène saccentue, et la population touchée par ce dernier est de plus en plus diversifiée(2). De plus en plus dindividus sont touchés par litinérance À cet égard, les plus récentes estimations concernant lampleur du phénomène de litinérance qui ont été publiées par des organisations internationales sont alarmantes. À léchelle mondiale, on estime que plus dun milliard dindividus sont mal logés et que 100 millions dentre eux vivent littéralement dans la rue. De plus, selon les informations contenues dans le rapport de lUNICEF, toutes les nuits, 850 000 personnes sont sans abri en Allemagne et 750 000, aux États-Unis et dans la plus grande ville canadienne, Toronto, les hébergements durgence destinés aux sans-abri ont accueilli, chaque nuit de lannée 1997, 6 500 personnes(3). Les experts sentendent par ailleurs pour dire que la population des sans-abri, outre le fait quelle ne cesse de croître en nombre, a subi, depuis une vingtaine dannées, dimportantes modifications en ce qui a trait à ses caractéristiques. En ce qui concerne plus particulièrement la situation observée en Amérique du Nord, soulignons laugmentation importante et croissante, dans le groupe des itinérants, du nombre de femmes(4), de jeunes(5), de familles(6), de personnes affectées de troubles mentaux(7), de nouveaux immigrants(8), et de membres de différentes communautés ethniques, plus spécifiquement de la communauté autochtone au Canada(9). Lannée 1987 : un tournant dans la recherche sur les sans-abri Depuis que 1987 a été déclarée lAnnée internationale du logement des sans-abri par les Nations Unies, le phénomène a retenu lattention dun grand nombre de chercheurs et dintervenants sociaux. Des efforts dans le domaine de la recherche, de lintervention et des politiques ont dailleurs marqué les années qui ont suivi cette reconnaissance publique de litinérance. À cet égard, la prolifération décrits sur le sujet constitue sans doute lun des signes tangibles de cette reconnaissance. Après avoir procédé à linventaire des articles scientifiques publiés sur le sujet de 1980 à 1993 dans trois index signalétiques informatisés (Sociofile, Psyclit et Medline), des chercheuses de luniversité du Québec à Montréal ont montré que 91 p. 100 des 1 214 articles publiés au cours de la période à létude lavaient été depuis 1987(10). En général, ces études ont permis aux experts de modifier leur façon de se représenter les sans-abri et de rendre compte de la complexité du problème, qui, pendant longtemps, a été associé presque exclusivement à labus dalcool(11). Aujourdhui, dailleurs, force est de constater que limage traditionnelle du sans-abri, cest-à-dire celle dun groupe relativement homogène, composé dhommes dâge mur, alcooliques et vaguement délirants, est périmée et que labus dalcool nest pas la seule cause menant à litinérance. Les connaissances sur les sans-abri sappuient sur un nombre considérable détudes et de recherches. Cependant, les positions soutenues par les experts sont tout aussi nombreuses que les solutions avancées pour freiner la croissance du phénomène. Il nexiste aucun consensus ni sur lampleur du phénomène, ni sur sa composition, ses causes et ses remèdes. Dailleurs, bien que les facteurs explicatifs de litinérance se multiplient, et surtout, se complexifient au rythme de lapprofondissement des connaissances sur le sujet, le poids relatif quil faut allouer à ces différents facteurs, soit la pauvreté, le manque de logements à prix modique, lusage de drogues, la maladie mentale, etc., fait lobjet de vifs débats. Cette situation explique certainement pourquoi malgré lampleur des études sur le sujet, un grand nombre de personnes partagent un sentiment dignorance face au phénomène dans son ensemble et aux mesures à mettre de lavant afin de lenrayer(12). Dans le présent document modulaire, nous ne prétendons aucunement faire le tour de la question des sans-abri. Notre objectif premier est de présenter les principales caractéristiques de la population des sans-abri au Canada et de proposer une synthèse des principaux éléments dexplication du phénomène. Plusieurs aspects du phénomène des sans-abri sont brièvement présentés dans les modules qui suivent. Nous traitons dabord de la définition des sans-abri ainsi que des enjeux méthodologiques et politiques associés aux choix de telle ou telle définition; nous nous penchons ensuite sur les problèmes de dénombrement de la population itinérante, sur les conditions de vie des sans-abri et, plus particulièrement, sur limpact de ces conditions sur leur santé; nous examinons enfin le lien existant entre les sans-abri, la prison et la maladie mentale ainsi que les mesures parlementaires mises de lavant pour tenter de freiner la croissance du phénomène. Le document porte plus particulièrement sur la situation qui existe au Canada. Nous y présentons donc quelques statistiques canadiennes concernant lampleur du phénomène et sa composition. Tout au long des pages qui suivent, nous allons voir quà partir des années 80, létat de sans-abri a été de plus en plus associé à des dangers multiples en matière de criminalité, de santé publique et déconomie. Nous verrons que ces préoccupations, parce quelles tendent à dicter les interventions réservées aux sans-abri, contribuent à laugmentation du contrôle social de cette population. Ce contrôle social accru, qui se traduit dans bien des cas par une réglementation de lespace public, favorise les prises en charge pénale des sans-abri et contribue, par conséquent, à renforcer cette image deviante des sans-abri. Certains auteurs soutiennent dailleurs quen criminalisant les conditions de vie des personnes qui vivent dans lextrême pauvreté, on contribue grandement à leur marginalisation sociale. (1) Pour rendre compte de cette problématique les Nations Unies parlent en terme de « détresse au cur de labondance ». (2) Bien quil soit difficile de dénombrer les sans-abri, différents indicateurs permettent davancer que le phénomène est en croissance au Canada depuis les années 80 et quil touche un plus large segment de la population. Soulignons à ce titre, lapparition dans les centres dhébergement et les soupes populaires destinés aux sans-abri de plusieurs groupes qui ne fréquentaient pas ces lieux auparavant ainsi que les surcharges dans les centres dhébergement et laugmentation constante de la demande de services dans ce domaine. (3) Il est possible davoir accès au rapport de lUNICEF intitulé Le progrès des Nations 1998 à ladresse suivante : http://www.unicef.org. (4) Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits : Analyse documentaire sur les femmes sans-abri, Société canadienne dhypothèques et de logement, 1996; Claudine Mercier, « Litinérance chez la femme », Revue québécoise de psychologie, vol. 9, no 1, 1988, p. 79-93. (5) J. R. Wolch et S. Rowe, « On the Streets: Mobility Paths of the Urban Homeless », City and Society, vol. 6, no 2, 1992, p. 115-140. (6) K. Y. McChesney, « Absence of a Family Safety Net for Homeless Families », Journal of Sociology and Social Welfare, vol. 19, no 4, 1992, p. 55-72. (7) A. K. Wuerker, « Factors in the Transition to Homelessness in the Chronically Mentally Ill », Journal of Social Distress and the Homeless, vol. 6, no 3, 1997, p. 251-260. (8) Danielle Laberge, Marie-Marthe Cousineau, Daphné Morin et Shirley Roy, De lexpérience individuelle au phénomène global : configuration et réponses sociales, Montréal, Les cahiers de recherche du Collectif de recherche sur litinérance, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, 1995. (9) Mary Ann Beavis, Nancy Klos, Tom Carter et Christian Douchant, Étude documentaire : les Autochtones sans abri, Société canadienne dhypothèques et de logement, 1997; Commission royale sur les peuples autochtones, Les peuples autochtones vivant en milieu urbain, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1995; Société canadienne dhypothèques et de logement, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada », Le point en recherche et développement : Série socio-économique, no 27, août 1996. (10) Danielle Laberge, Marie-Marthe Cousineau, Daphné Morin et Shirley Roy, De lexpérience individuelle (1995). (11) G. Barak, Grimme Shelter, A Social History of Homelessness in Contemporary America, New York, Praeger Publisher, 1992, p. 6. (12) Anne Golden, « The Faces of the Homeless », The Globe and Mail, 28 mai 1998. Rédaction : La définition du sans-abri est au centre denjeux politiques importants. Il faut dire quune telle définition influe directement sur les évaluations quantitatives du nombre de personnes touchées par ce drame et, par conséquent, sur lampleur des ressources devant y être consacrées. Ainsi, par exemple, lusage de définitions plus englobantes fait augmenter le nombre des sans-abri et suppose une réévaluation des critères daccès à des logements convenables et des politiques de construction de logements à prix modiques ainsi que du financement des services destinés à cette population. Dans cette partie, nous traitons brièvement des diverses définitions utilisées dans la littérature qui traite de litinérance et nous nous penchons sur certaines difficultés méthodologiques qui découlent de labsence de consensus concernant la définition du sans-abri. À la recherche dune définition du sans-abri Le lien entre labri et les sans-abri semble évident à première vue. Être un « sans-abri », cest ne pas avoir dabri pour se loger. Dans les faits, pourtant, la question entourant ce lien est complexe et se traduit par un ensemble de définitions du phénomène. Ainsi, à la question « qui ranger sous létiquette de sans-abri », force est de constater lexistence de plus dune réponse. Certains auteurs soutiennent dailleurs quil y a presque autant de définitions que de recherches qui ont traité du sujet. Cela dit, les variations dans les définitions sont importantes et pour en rendre compte, plusieurs chercheurs parlent dun continuum de définitions du sans-abri. À lune des extrémités de ce continuum, on définit le « sans-abri » en se référant uniquement à labsence dun abri, entendu dans son sens technique. Notons quil sagit de toute évidence de la façon la plus restrictive de se représenter le phénomène des sans-abri. Dailleurs, bien quune grande proportion de la population adopte cette définition en réservant le terme « sans-abri » exclusivement aux personnes qui vivent dans la rue ou dans des refuges durgence et que tous les chercheurs et les intervenants sentendent pour dire que ces personnes doivent être qualifiées de sans-abri, plusieurs estiment quune telle définition est trop restrictive. À lautre extrémité du continuum, certains chercheurs proposent une définition large et englobante du phénomène. Cest le cas, par exemple, de la définition que les Nations Unies ont retenue à loccasion de la déclaration de lAnnée internationale du logement des sans-abri. Selon cette définition, un « sans-abri » cest autant une personne qui na pas de domicile et qui vit dans la rue ou dans les refuges, quune personne qui na pas accès à un abri convenable, cest-à-dire un abri qui répond à certains critères de base jugés essentiels tant pour la santé que pour le développement humain et social. On pense notamment ici à un accès à des installations sanitaires et à leau potable, à la garantie doccupation, à la protection contre les intempéries, à la sécurité des personnes, à un accès à léducation, au travail et aux services de santé, etc. Il faut voir que le droit à un abri est un principe humanitaire élémentaire reconnu dans la Déclaration universelle des droits de lhomme :
La définition des Nations Unies reconnaît donc que labsence ou la très grande précarité dun abri pose un certain nombre de problèmes qui contribuent grandement à la détérioration des conditions de vie. Songeons, entre autres, à la difficulté de maintenir des liens affectifs, dobtenir des services, de protéger ses biens personnels et dassurer sa sécurité physique. Cette difficulté pour les sans-abri daccéder à un espace privé convenable, pouvant leur permettre de se préparer pour le travail ou lécole et de prodiguer et recevoir des soins et de lattention, les confinerait dans cet espace dextrême pauvreté(2). Selon la définition des Nations Unies, il importe donc de considérer comme « sans-abri » les personnes qui, parce quelles habitent des logements inadéquats, risquent grandement de basculer dans litinérance de rue(3). Entre ces deux définitions situées aux extrêmes du continuum, plusieurs chercheurs proposent leur définition du sans-abri. Chacune de ces définitions apporte une nuance, une exception qui rend néanmoins toute tentative de comparaison des résultats à peu près impossible. Pour ne donner quun exemple, indiquons que le Comité des sans-abri de la Ville de Montréal a adopté, en 1987, la définition suivante des sans-abri, qui a par la suite été reprise par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec dans le document intitulé La Politique de la santé et du bien-être(4) :
Ceux qui prônent cette définition soutiennent quelle a lavantage de tenir compte de la complexité des problèmes à loeuvre dans la dynamique de litinérance. Toutefois, cette définition demeure, tout comme celles présentées précédemment, sujette à interprétation. Comment en effet doit-on définir labri? Est-ce quune voiture, un édifice désaffecté ou une même une caravane peuvent être considérés comme un abri? Quoi faire par ailleurs des individus qui dorment chez des amis, de la femme victime de violence conjugale qui demande une aide sous forme dhébergement, de lex-détenu qui réside temporairement dans une maison de transition ou même du toxicomane qui suit une cure de désintoxication dans un centre réservé à cet effet? Faut-il considérer toutes ces personnes comme des sans-abri? Dans lensemble, il est évident que toutes les définitions des sans-abri sont sujettes à une interprétation et reflètent un point de vue. En outre, il est tout aussi évident que toutes les définitions sont soumises à des considérations dordre temporel. Létat changeant des personnes qui vivent des expériences dans le monde de litinérance pose en fait un certain nombre de difficultés lorsquon tente de définir la population touchée par ce drame. Mentionnons à cet égard que litinérance nest pas une caractéristique de lindividu mais bien une situation de vie qui peut être temporaire, périodique ou plus ou moins permanente. Des études longitudinales ont dailleurs permis de montrer que labsence de logis pendant une longue période nest pas commune, du moins en Amérique du Nord(6). Certains chercheurs américains et canadiens soutiennent dailleurs que le « modèle typique des sans-abri semble en être un dinstabilité résidentielle plutôt que dabsence constante de logement pendant une longue période »(7). En conséquence, plusieurs chercheurs ajoutent un critère temporel à leur définition des sans-abri. Ainsi, selon eux, pour être qualifiée de sans-abri une personne doit avoir été sans logement pendant un certain nombre de jours ou de semaines. Cette question concernant la durée constitue une préoccupation importante pour lensemble des personnes qui sintéressent au phénomène des sans-abri. Dans bien des cas dailleurs, la durée de la situation de sans-abri devient lélément discriminant permettant de distinguer le niveau de difficulté variable vécu par les personnes en cause. Lune des tentatives de catégorisation des sans-abri la plus répandue consiste à diviser lensemble de la population en trois sous groupes(8) :
La diversité des définitions utilisées dans la littérature sur litinérance constitue un obstacle bien réel au plan de la recherche. Dabord, comme il arrive souvent que les chercheurs ne précisent pas, dans la présentation des résultats, la définition quils ont retenue aux fins de létude et la méthode quils ont privilégiée pour procéder au repérage des sans-abri, il devient très difficile de procéder à des études comparatives. Les variations importantes du nombre de sans-abri dans un même pays ou une même ville sexplique pourtant par la définition retenue par les chercheurs et la méthode utilisée pour procéder à la recherche. Toutes les définitions posent certaines difficultés au plan de leur mise en uvre. Les défis sont dailleurs considérables pour la recherche : choix de terrain de cueillette, évaluation de la représentativité de léchantillon, capacité de généralisation des résultats, comparaison des résultats, etc. Au Canada, la plupart des chercheurs adoptent la définition retenue par les Nations Unies. Cependant, cette définition est difficile à manier dun point de vue méthodologique. Comment en fait repérer les personnes qui vivent dans des logements qui ne répondent pas aux critères de base des Nations Unies? Compte tenu de ces difficultés, la plupart des recherches empiriques canadiennes se fondent sur la première partie de la définition des Nations Unies les sans-abri sont ceux qui nont pas de logement. Les méthodes de recherche sont donc axées sur les services destinés aux sans-abri. On appuie donc la définition sur un plan théorique mais, en pratique, on nen utilise quune partie. Au Canada, néanmoins, on reconnaît que ces méthodes ne permettent pas de donner un portrait global du phénomène, qui se voit donc, compte tenu de la méthode utilisée, sous-évalué. Outre lensemble des difficultés de conceptualisation du phénomène des sans-abri, difficultés qui se matérialisent par labsence de consensus concernant sa définition, il faut souligner quaucune définition na été appliquée de façon systématique dans les études qui traitent des sans-abri. Il y a donc absence de consensus en ce qui a trait à la définition des sans-abri ainsi quaux méthodes de mesure du phénomène, cest-à-dire les critères opérationnels permettant de définir qui la définition inclut et qui elle exclut. En définitive, deux questions se posent quant aux études qui portent sur les sans-abri. Dabord, il faut comprendre la définition prônée par les chercheurs et, ensuite, la méthode utilisée pour repérer les sans-abri. Dans lensemble, il importe de retenir que lappellation « sans-abri » désigne des réalités diverses. Certains rangent sous cette même étiquette des personnes qui vivent avec des amis, des femmes qui vivent pour une courte période dans des maisons dhébergement pour femmes violentées, des prisonniers, etc. Il convient donc de rappeler simplement quisolés de leur contexte, les résultats de recherche ne veulent rien dire. (1) Déclaration universelle des droits de lHomme, article 25, paragraphe 1. (Le gras est de nous). (2) Conseil canadien de développement social, Les sans-abri au Canada : rapport sur lenquête nationale, Ottawa, Conseil canadien de développement social, 1987. (3) Mentionnons que plusieurs chercheurs prônent une définition plus englobante du phénomène, telle celle prônée par les Nations Unies. (4) Ministère de la Santé et des Services sociaux, La Politique de la santé et du bien-être, Québec, Gouvernement du Québec, 1992. (5) Comité des sans-abri de la Ville de Montréal, Vers une politique municipale pour les sans-abri, Montréal, Ville de Montréal, 1987. (6) J. Ward, Organizing for the Homeless, Ottawa, Conseil canadien du développement social, 1989; Caucus des Maires des grandes villes de la Fédération canadienne des municipalités, Plan daction national sur lhabitation et les sans-abri, Montréal, Fédération canadienne des municipalités, 1991; Ministère de la Main-duvre et de la Sécurité du revenu, Les sans-abri au Québec : étude exploratoire, Québec, Direction de la recherche, Gouvernement du Québec, 1988. (7) M. Sosin, I. Piliavin et H. Westervelt, « Toward a Longitudinal Analysis of Homelessness », Journal of Social Issues, vol. 46, no 4, 1990, p. 171 (traduction). (8) Certains chercheurs proposent quant à eux deux sous-groupes, lun composé des sans-abri chroniques et permanents par opposition à celui composé des sans-abri ponctuels et temporaires. Rédaction : Une question qui est au cur du débat sur les sans-abri : Combien sont-ils? Quest-ce quun sans-abri? Combien sont-ils? Telles sont les deux principales questions qui animent le débat sur le phénomène des sans-abri. Or, ces deux questions, bien que distinctes, sont dans les faits intimement liées. En effet, la réponse donnée à la première déterminera la seconde. Ainsi, pour rendre compte du fait que les critères permettant de définir qui ranger sous létiquette de sans-abri influent directement sur la taille de lestimation, on dira que cest la définition des sans-abri qui, en elle-même, détermine le nombre de ces derniers. Plus les critères seront englobants, plus lestimation sera importante, et vice versa. Il ne faut donc pas se surprendre de constater des variations importantes dans les estimations. Deux chercheurs américains ont ainsi relevé des estimations qui oscillaient entre 250 000 et trois millions de sans-abri pour lensemble des États-Unis(1). Notons que ce débat, qui oppose principalement les activistes aux fonctionnaires, est particulièrement virulent chez nos voisins américains. Quant aux estimations mondiales, selon les Nations Unies, elles oscillent entre cent millions et plus dun milliard de sans-abri. Ces variations sexpliquent par le fait que la définition proposée par les Nations Unies joint sous lappellation « sans-abri » des personnes qui vivent divers degrés de dénuement en regard du logement : celles qui dorment sans toit, celles qui dorment dans des centres dhébergement temporaires ou des institutions, celles qui habitent des logements insalubres et celles qui vivent dans des logements de qualité inférieure. Ainsi, selon quon inclut lun ou lautre de ces éléments de définition, les estimations varieront de quelques millions à plus dun milliard de sans-abri(2). Lenjeu politique lié au dénombrement des sans-abri est considérable. En effet, la justification des efforts humains et budgétaires nécessaires à la gestion du problème en dépend bien souvent. Disons simplement quen général plus la taille de lestimation sera élevée, plus les services destinés aux sans-abri seront nombreux. La situation canadienne en matière de dénombrement des sans-abri Comparativement à celui qui a cours aux États-Unis, le débat portant sur le dénombrement des sans-abri est relativement récent au Canada. De fait, ce nest quen 1987, déclarée Année internationale du logement des sans-abri, que des chercheurs canadiens se sont intéressés au dénombrement de cette population. A. Première tentative de dénombrement La première tentative canadienne a été réalisée en 1987 par le Conseil canadien de développement social (CCDS). Lenquête devait mettre en lumière les causes du phénomène, décrire le profil des sans-abri, déterminer lampleur du problème, et élaborer des stratégies afin de lenrayer. Tous les organismes du pays fournissant un abri temporaire ou durgence ainsi que ceux offrant des services connexes aux sans-abri ont reçu un questionnaire quils devaient remplir le 22 janvier 1987. Au total 472 questionnaires ont été distribués. Notons cependant que seulement 283 organismes ont répondu à lappel en retournant le questionnaire dûment rempli. Lenquête a révélé que 10 762 personnes séjournaient dans les abris recensés pour lenquête. Ces personnes se trouvaient pour la plupart en Ontario (42 p. 100), au Québec (17,5 p. 100) et en Alberta (14 p. 100). Lenquête a révélé, par ailleurs, sur la base des informations offertes par les organismes relativement au nombre de clients reçus au cours de lannée précédant lenquête, quil y avait entre 130 000 et 250 000 sans-abri au Canada, cest-à-dire plusieurs milliers dhommes, de femmes et denfants qui navaient pas de logement ou qui étaient mal logés(3). La valeur de cette estimation a été, cependant, grandement contestée. Les principales critiques ont eu trait à lomission dinclure les personnes qui ne séjournaient pas, le 22 janvier 1987, dans les abris recensés, au faible taux de participation des organismes (283/472), et au recours exclusif à des dispensateurs de services à titre dinformateur. En ce qui a trait à la première critique, notons que les personnes qui, au moment de lenquête, dormaient chez des amis, un membre de la famille, dans des hôtels ou des foyers non inclus dans lenquête, celles qui étaient dans des prisons, des hôpitaux, des centres de désintoxication ou simplement dans des entrées dimmeubles ou des bâtiments abandonnés nont pas été recensées. En conséquence, les résultats présentés sous-évaluent lampleur du problème au Canada. Dailleurs, la stratégie utilisée par le CCDS a été qualifiée de méthode peu efficace pour brosser un tableau des sans-abri. B. Seconde tentative de dénombrement La seconde tentative canadienne de dénombrement des sans-abri a été réalisée par Statistique Canada lors du recensement de 1991. La stratégie utilisée alors était analogue à celle quavait utilisée le CCDS, laquelle avait été entachée de difficultés méthodologiques et avait fait lobjet de nombreuses controverses. Lenquête, qui sest déroulée au cours dune journée du mois de juin 1991, portait sur près de 90 soupes populaires réparties dans 16 villes canadiennes. Pour recueillir linformation, des recenseurs installés dans les organismes demandaient aux clients où ils avaient passé la nuit précédente. Or, cette fois-ci, contrairement à ce qui avait été le cas dans lenquête du CCDS, aucune donnée ne fut publiée par Statistique Canada. Dailleurs, en 1995, Statistique Canada a officiellement annoncé que les résultats de lenquête ne seraient pas publiés compte tenu de la piètre qualité des données. Compte tenu de la stratégie utilisée, il ne faut pas se surprendre de constater quà linstar de lenquête du CCDS, lenquête de Statistique Canada ait soulevé la controverse. Entre autres reproches adressés à lenquête, soulignons : le recensement des sans-abri en début du mois, cest-à-dire une période où les personnes pauvres ont moins recours aux soupes populaires parce quils viennent tout juste de recevoir leur chèque de bien-être social; et le recours, pour dénombrer les sans-abri, à un seul type dorganisme venant en aide à ces derniers (les soupes populaires), lequel, selon les dires mêmes des responsables, est peu fréquenté par certains sous-groupes de sans-abri, dont les jeunes. Labsence de données officielles sur les sans-abri À ce jour, le Canada ne possède aucune donnée officielle sur le phénomène des sans-abri. Cette situation a dailleurs soulevé quelques commentaires de la part du Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels. En 1993, lors de létude du deuxième rapport du Canada, le Comité a déploré par écrit labsence de données canadiennes sur le phénomène des sans-abri :
Compte tenu que le Canada na pu fournir de telles données au Comité, celui-ci a réitéré sa critique en juin 1998, à loccasion du dépôt du troisième rapport du Canada. Cette fois, le Comité a demandé au gouvernement, à titre de questions supplémentaires, de :
Après avoir tenté à deux reprises, soit en 1987 et en 1991, de recueillir des données nationales sur le phénomène des sans-abri, le gouvernement du Canada a souligné au Comité des Nations Unies que les données obtenues lors de ces tentatives de dénombrement nétaient ni fiables, ni représentatives. Il a ajouté, par ailleurs, que même si certaines villes canadiennes ont tenté destimer lampleur du problème, les stratégies utilisées et les critères de définition des sans-abri varient tellement quil est impossible de comparer les résultats. Le gouvernement soulignait donc par le fait même les difficultés associées au dénombrement de cette population. Il faut dire que dénombrer les sans-abri constitue une tâche gigantesque. Les chercheurs font en effet face à plusieurs obstacles. Parmi ceux-ci, notons : labsence dune définition opérationnelle des sans-abri qui fasse lobjet dun consensus; les problèmes liés au double compte de la population; les variations géographiques et temporelles du phénomène; et les coûts élevés associés aux méthodes de dénombrement(6). Les gouvernements des provinces et des territoires ont également été conviés à répondre aux questions supplémentaires du Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels relativement à létude du rapport canadien. À la question concernant lampleur du problème des sans-abri dans différentes villes canadiennes, tous ont répondu quil nexistait aucune donnée gouvernementale sur cette question. Dailleurs, bien quil existe quelques données provenant de sources privées, seuls les gouvernements du Québec et de lAlberta ont présenté au Comité quelques-unes de ces données. Ainsi, le gouvernement de lAlberta a indiqué au Comité quune enquête menée par des sources privées a permis destimer quil y aurait dans la ville de Calgary entre 100 et 1 000 sans-abri sur une population totale de 800 000 habitants(7). Le gouvernement du Québec a pour sa part indiqué que, pour lensemble de la province, certains chercheurs ont estimé le nombre de sans-abri à 15 000 personnes dont 10 000 pour la ville de Montréal uniquement. Le gouvernement du Québec a souligné que ces données ne reflètent toutefois pas le nombre de personnes qui se trouvent sans abri chaque nuit; selon lui, il sagit plutôt dun nombre dindividus qui ont vécu une expérience de sans-abri pour une période quelconque durant une année(8). Le gouvernement du Québec a également mentionné que les estimations varient grandement en fonction de la définition retenue, et quil est très difficile de procéder au décompte de sans-abri(9). Dans sa réponse, le gouvernement fédéral a fourni quant à lui une seule estimation au Comité, soit quil y aurait un peu moins de 26 000 personnes qui ont utilisé le réseau des refuges en 1996 à Toronto(10). Cette donnée a été privilégiée par le gouvernement fédéral puisque selon lui : « La nouvelle ville de Toronto possède lensemble de données le plus vaste et probablement le plus solide du Canada sur le phénomène des sans-abri »(11). Les gouvernements auraient été en mesure de présenter dautres données au Comité, qui auraient fourni des images différentes de lenvergure du problème au Canada. De fait, force est de constater que, au Canada comme ailleurs, les points de vue quant à la sévérité de la situation divergent grandement, et que lenjeu politique lié à lestimation du nombre de sans-abri est considérable : la taille de lestimation affecte directement le financement des services destinés aux sans-abri, lévaluation des critères daccès à des logements convenables, et les critères de construction de logements à prix modiques. (Pour de plus amples informations, consulter la partie intitulée « La définition du sans-abri ».) Afin de remédier à labsence de données fiables et représentatives sur les sans-abri au Canada, et daméliorer les connaissances sur le phénomène dans son ensemble, le gouvernement fédéral a mentionné au Comité des Nations Unies que depuis 1994 lorganisme fédéral qui a pour mandat dappliquer la Loi nationale sur lhabitation, soit la Société canadienne dhypothèques et de logement (SCHL)(12), a fait de litinérance une priorité de recherche. Ainsi, par exemple, au printemps 1996, la SCHL a organisé un atelier dune durée de trois jours portant sur les problèmes de dénombrement des sans-abri. Cet atelier a permis entre autres de cerner, sur la base dexpériences de recherche canadiennes et américaines, les meilleures méthodes de dénombrement des sans-abri(13). Le gouvernement fédéral a par ailleurs informé le Comité des Nations Unies que la SCHL travaille à lélaboration dun instrument de recherche informatisé qui a pour but de normaliser la collecte et la gestion des données dadmission dans les services destinés aux sans-abri. Cette méthode devrait permettre de dénombrer de façon uniforme les personnes qui utilisent ce genre de services au Canada. Cet instrument de recherche devrait bientôt être implanté dans les refuges et abris qui accueillent des sans-abri. La recherche demeure certainement la meilleure méthode pour faire avancer les connaissances sur les sans-abri. Aujourdhui dailleurs, bien quil demeure difficile de fournir des données sur lampleur du phénomène des sans-abri au Canada, que ce soit à léchelle nationale ou à léchelle provinciale, les recherches entreprises par la Société canadienne dhypothèques et de logement permettent de croire quil sera bientôt possible de chiffrer lampleur du problème à léchelle nationale. Cependant, il faut retenir que lentrave principale au décompte des sans-abri demeure labsence de consensus concernant la définition de ces derniers. (Pour plus dinformations, consulter la partie intitulée « La définition du sans-abri ».) (1) A. B. Shlay et P. H. Rossi, « Social Science Research and Contemporary Studies of Homelessness », Annual Review of Sociology, vol. 18, 1992, p. 129-160. (2) Consulter le site Internet de lUNICEF à ladresse suivante : http://www.unicef.org. (3) Conseil canadien de développement social, Les sans-abri au Canada : rapport sur lenquête nationale, Ottawa, CCDS, 1987. Mentionnons, par ailleurs, que : « Leffort déployé par Statistique Canada pour dénombrer les sans-abri lors du recensement de 1991 sétant soldé par un échec, les données du CCDS constituent la meilleure et la seule estimation du nombre de Canadiens sans-abri à ce jour », T. Peressini, L. MacDonald et D. Hulchanski, Évaluer le phénomène des sans-abri : à la recherche dune méthode de dénombrement des sans-abri au Canada, Société canadienne dhypothèques et de logement, 1996, p. 2. (4) Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Examen des rapports présentés par les États partis conformément aux articles 16 et 17 du pacte, 3 juin 1993. (5) Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Liste des points à traiter à loccasion de lexamen du troisième rapport périodique du Canada concernant les droits visés aux articles premier à 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/Q/CAN/1), 10 juin 1998. (6) Pour une analyse détaillée concernant les différentes recherches effectuées dans ce domaine, veuillez consulter : Daniel Bentley, Measuring Homelessness: A Review of Recent Research, Winnipeg (Manitoba), Institute of Urban Studies, Université de Winnipeg, 1995. (7) Notons que les estimations disponibles concernant la situation à Calgary varient. Selon une étude récente, près de 3 000 personnes nauraient pas accès à un logement stable dans la ville de Calgary. Les auteurs de létude mentionnent cependant quen 1989, selon une étude du Horizon Housing Society, on estimait que le nombre de sans-abri se situait entre 5 000 et 7 000 dans la ville de Calgary. Pour de plus amples renseignements, consulter H. L. Holley et J. Arboleda-Florez, Calgary Homeless Study: Final Report December 1997, Calgary, 1997. Mentionnons également que ces informations nont pas été présentées par le gouvernement de lAlberta au Comité des Nations Unies. (8) Les estimations concernant le nombre de sans-abri varient également au Québec. Une enquête récente menée par Santé Québec révèle que 28 000 personnes ont utilisé les refuges et les soupes populaires en 1996 dans la ville de Montréal. Dans un article publié le 25 novembre 1998 on peut lire : « Le nouveau chiffre de 28 000 sans-abri indique une situation beaucoup plus inquiétante que celui de 15 000 qui a été utilisé depuis environ dix ans » (traduction). Voir aussi : « Homeless Problem Grows », The Gazette, 25 novembre 1998, Montréal, p. A5. (9) Canada, Patrimoine canadien, Examen du troisième rapport du Canada sur la mise en uvre du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Réponses aux questions supplémentaires posées par le Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels (e/c.12/Q/CAN/1) à loccasion de lexamen du troisième rapport périodique du Canada concernant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1994/104/Add17), paragraphe 41, section réponses provinciales et territoriales, novembre 1998. (10) Ibid., paragraphe 41, section Canada. (11) Ibid. (12) Lobjet de cette Loi est daméliorer les conditions dhabitation et de vie des Canadiennes et des Canadiens. (13) Les participants ont recommandé, entre autres, que le dénombrement des sans-abri soit fondé sur les services uniquement, compte tenu des coûts élevés associés au recensement des marginaux de rue (personnes qui nutilisent ni services, ni refuges pour sans-abri) et ce, sachant que lomission dinclure les marginaux de rue entraîne une sous-estimation de la taille totale de la population des sans-abri. Pour de plus amples informations, consulter T. Peressini, L. MacDonald et D. Hulchanski, Évaluer le phénomène des sans-abri (1996). LA COMPOSITION DE LA POPULATION DES SANS-ABRI Rédaction : Encore aujourdhui, plusieurs personnes se représentent les sans-abri comme un groupe relativement homogène, composé majoritairement dhommes dâge mur, alcooliques et vaguement délirants. Cette image traditionnelle, qui a dailleurs longtemps animé notre imaginaire collectif tout autant que la littérature sur le sujet(1), ne correspond pourtant pas à la composition actuelle de la population des sans-abri. Les transformations récentes du phénomène ne permettent plus, en effet, de parler dun seul profil de sans-abri mais dune diversité de profils. Parmi les sans-abri, on compte désormais des femmes, des enfants, des jeunes adolescents, des malades mentaux, des immigrants nouvellement arrivés, des réfugiés, des femmes victimes de violence conjugale, des personnes récemment libérées de prison, des travailleurs précaires, etc. Chacun de ces sous-groupes de sans-abri présente, par ailleurs, des différences dâge, de sexe, dorigine ethnique et de statut occupationnel. Différentes études ont révélé que les centres dhébergement destinés aux sans-abri accueillent chaque année des assistés sociaux, des chômeurs, des malades mentaux, des anciens patients dhôpitaux psychiatriques et des handicapés physiques. Selon lenquête réalisée par le Conseil canadien de développement social (CCDS), 20 p. 100 des personnes qui se trouvaient dans les centres dhébergement destinés aux sans-abri le 22 janvier 1987 au Canada souffraient de maladies mentales ou avaient déjà été suivies en psychiatrie par le passé, 3 p. 100 dentre elles étaient atteintes dun handicap physique, près de 50 p. 100 étaient prestataires de lassurance emploi et environ 50 p. 100 étaient bénéficiaires de laide sociale. Une récente étude menée à Calgary a par ailleurs révélé que 45 p. 100 des sans-abri interviewés avaient un travail, bien quinstable et peu rémunéré(2). De plus en plus, les chercheurs et les intervenants soutiennent que les causes et les facteurs de risque qui amènent quelquun à devenir un sans-abri ne sont pas les mêmes pour tous. Chacun des sous-groupes de sans-abri semble en fait présenter des différences importantes qui, selon eux, devraient influer sur nos réponses à litinérance. Ainsi, de plus en plus, des chercheurs et des intervenants soutiennent que les solutions les plus prometteuses pour enrayer le problème des sans-abri pourraient avoir une nature considérablement différente pour les femmes, les jeunes, les autochtones, les réfugiés, etc. Dans cette section du document, nous examinons la présentation des différents sous-groupes de sans-abri et des facteurs de risque pour litinérance associés à chacun deux. Il faut toutefois souligner que, au Canada, la littérature sur le sujet est rare et parcellaire. Il nest donc pas toujours possible de présenter des données sur lenvergure du problème pour les différents sous-groupes, ni même les éléments explicatifs qui sont à lorigine de leur passage dans le monde de litinérance. À cet égard, disons simplement que certains sous-groupes de sans-abri ont soulevé davantage lattention des chercheurs canadiens (les femmes, les jeunes et les autochtones) et que, les points de vue quant aux causes du problème divergent grandement. Quant à la possibilité de présenter des données sur lampleur du problème pour chacun des sous-groupes, il convient de signaler que seules les données provenant de lenquête réalisée en 1987 par le Conseil canadien de développement social (CCDS) sappliquent à lensemble du Canada. Bien quimparfaites, elles constituent, en effet, les meilleures données disponibles pour rendre compte du changement depuis les années 80 dans la composition des sans-abri à léchelle nationale. Mentionnons également que les résultats provenant de différentes études canadiennes offrent des images parfois très différentes de la composition de la population des sans-abri. Ces différences sexpliquent par la présence de divergences importantes quant à la définition retenue par les chercheurs et à la méthodologie utilisée pour procéder à létude. Cette situation rend pour le moins difficile toute tentative de comparaison des résultats de recherche. Des groupes auparavant peu représentés dans le monde des sans-abri Selon lenquête du Conseil canadien de développement social et plusieurs études canadiennes sur les sans-abri, les femmes représentent environ 30 p. 100 de la population des sans-abri(4). Les femmes sont donc toujours moins présentes que les hommes dans le monde de litinérance. Cependant, tous les chercheurs sentendent pour dire que plusieurs facteurs contribuent à cette moindre visibilité des femmes itinérantes. Dabord, compte tenu du fait que les méthodes de dénombrement des sans-abri sont généralement fondées sur les utilisateurs de services, les femmes sans-abri sont moins visibles simplement parce que les services sadressant à elles sont moins nombreux. Des recherches ont également montré que comme elles soccupent plus que les autres de leur hygiène et de leur tenue vestimentaire, les femmes sans-abri sont moins visibles dans la rue(5). De plus, contrairement à la plupart des hommes, les femmes sont habituellement sans abri pendant des périodes plus courtes, car elles réussissent dans bien des cas à trouver un toit en échange de services sexuels ou domestiques. Une auteure a dailleurs soutenu à ce propos : « [P]arce quelles sont à ce point vulnérables « dans la rue », les femmes se voient souvent forcées de cohabiter avec des hommes, dans des relations où elles sont souvent victimes de violence physique, sexuelle et émotive »(6). Cette relation entre la violence contre les femmes et le phénomène des sans-abri est toutefois complexe. Plusieurs recherches traitant des sans-abri ont effectivement montré quune proportion importante de femmes sans-abri ont été victimes de violence sexuelle et physique dans leur passé; quelles ont plus de chance que les hommes de subir de la violence pendant la période où elles sont sans abri; et que pour plusieurs dentre elles, cest pour fuir la violence familiale quelles ce sont retrouvées dans la rue. Les facteurs de risque associés à litinérance des femmes sont nombreux : la pauvreté, la violence familiale, lalcoolisme, lusage de drogue, les problèmes de santé mentale et physique, labsence de logements à prix abordable, etc. Cependant, si lon compare la situation des femmes à celles des hommes(7), il semble que les femmes seraient davantage touchées par laffaiblissement des liens familiaux. Plusieurs recherches ont effectivement montré que plusieurs femmes se retrouvent sans abri par suite dune rupture des relations. Il faut dire que les conséquences financières du divorce ou dune rupture des relations conjugales sont généralement désavantageuses pour les femmes. Lors dun divorce, par exemple, le revenu des femmes tend à diminuer, alors que celui des hommes tend à augmenter : « Tandis que le revenu des hommes augmente quelque peu, celui des ménages dirigés par des femmes après le divorce diminue de 40 p. 100, et leur taux de pauvreté triple pratiquement »(8). Le discours des femmes sans-abri confirme dailleurs limportance des ruptures des relations pour expliquer leur venue à litinérance. En général, les femmes sans-abri tendent ainsi à fournir des explications relatives à la famille pour rendre compte de leur passage dans le monde des sans-abri. Or, bien que les facteurs qui peuvent conduire les femmes à litinérance soient nombreux, il est évident que la pauvreté plus grande des femmes et le sexisme aggravent leur précarité en matière de logement.
Chaque année, des milliers denfants sont en fugue au Canada. En 1995, par exemple, 75 p. 100 des 56 749 enfants disparus qui ont été signalés à la police étaient en fugue. Selon différents corps policiers canadiens, 90 p. 100 des enfants en fugue réintègrent leur foyer dans les 60 jours suivant leur départ, alors que les autres ny retournent jamais. Bien que ces chiffres soient alarmants, les jeunes fugueurs ne représentent quune partie des jeunes sans-abri. Il faut en effet ajouter à ces chiffres les jeunes qui se retrouvent dans les centres dhébergement avec leur mère ou leurs parents. Selon lenquête du Conseil canadien de développement social, en 1987, 11,5 p. 100 des personnes qui se trouvaient dans les centres dhébergement recensés étaient âgées de 15 ans et moins. Les jeunes de la rue ou sans abri seraient généralement âgés de 12 à 24 ans selon Tullio Caputo et al., les filles étant généralement plus jeunes et les garçons plus âgés(11). De toute évidence, les données provenant des services destinés aux sans-abri ne tracent pas un bon portrait de la situation des jeunes sans-abri. Plusieurs chercheurs et intervenants ont remarqué à ce sujet que les enfants de la rue et les jeunes fugueurs adoptent généralement diverses stratégies de survie lorsquils sont dans la rue ou en fugue : dormir chez des amis, se prostituer et commettre des délits. Il semble dailleurs que plus la période où ils sont sans abri est longue, plus les jeunes sont susceptibles de commettre des délits pour survivre. Les mauvais traitements à légard des enfants sont reconnus dans la littérature comme étant un facteur contribuant à litinérance des jeunes. Différentes études ont ainsi révélé que plusieurs jeunes sans-abri ont été victimes dagressions sexuelles, physiques et morales par le passé. En 1992, par exemple, une étude réalisée par les organismes de services sociaux de la région dOttawa-Carleton a permis de révéler que 75 p. 100 des enfants de la rue interviewés avaient quitté leur foyer en raison dagressions sexuelles ou dactes de violence physique et/ou morale. Leur protection nest toutefois pas assurée lorsquils se mettent à vivre dans la rue, puisque, bien que la rue soit un milieu violent pour tous, il lest encore davantage pour les jeunes et les femmes sans-abri et est souvent synonyme de dangers multiples. Plusieurs facteurs sont, encore une fois, associés à litinérance des jeunes. Néanmoins, il est courant dans la littérature, dassocier les transformations du marché de lemploi et, plus particulièrement, la précarisation du travail à laugmentation de la vulnérabilité des jeunes. Dans bien des cas, les emplois précaires et non qualifiés dans le secteur des services noffrent pas la sécurité et les salaires suffisants pour assurer une sécurité en regard du logement. Plusieurs jeunes ne parviendraient pas de nos jours à retirer un revenu suffisant du travail pour soffrir un logement stable. Compte tenu des compétences minimales exigées pour la plupart des emplois depuis les années 80, laccès au marché de lemploi serait encore plus difficile pour ceux qui ne possèdent pas de formation spécialisée et ceux qui, en général, ont un faible niveau de scolarité. La présence de plus en plus importante de jeunes dans le monde de litinérance est donc incontestable. Dailleurs, pratiquement tous ceux qui sintéressent au phénomène des sans-abri ont remarqué cette croissance du nombre de jeunes sans-abri. Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir pour arriver à une bonne compréhension de ce phénomène au Canada. La présence marquée, dans certaines régions du Canada, dAutochtones sans-abri est indéniable. Plusieurs recherches permettent dailleurs de chiffrer lampleur du problème dans certaines villes canadiennes.
En général, la population autochtone diffère de façon importante de la population non autochtone. Des recherches ont montré que la population autochtone se caractérise, entre autres choses, par des niveaux dinstruction et de revenu plus faibles, des niveaux de chômage et de pauvreté plus élevés, une plus grande proportion de familles monoparentales et de moins bonnes conditions de logements en général (notons que les Autochtones sont plus souvent locataires que les personnes non autochtones). Ces éléments distinctifs contribuent grandement à litinérance des Autochtones, et ce bien que, comme pour les autres types de sans-abri, différents facteurs individuels (tels lusage de drogue, labus dalcool et la maladie mentale) soient également avancés pour expliquer leur passage dans le monde des sans-abri. Selon Mary Ann Beavis et al. :
La littérature sur la discrimination en matière de logement met laccent sur le racisme et le sexisme. De toute évidence, le racisme aggrave la précarité des personnes autochtones en matière de logement. Notons cependant que le racisme touche également les membres des communautés ethniques et contribuent tout autant à les rendre plus vulnérables à litinérance. Notons à ce propos que les recherches canadiennes sur litinérance nont généralement pas tenu compte de lethnicité et ce, bien que cette variable soit considérée dans les recherches américaines comme un facteur de risque important en matière ditinérance. Certains facteurs, tels le racisme et la barrière linguistique, constituent de toute évidence des obstacles supplémentaires en matière de logement pour certains membres des communautés ethniques. Notons dentrée de jeu que la présence de plus en plus marquée dans le monde des sans-abri de familles semble une situation beaucoup plus fréquente aux États-Unis quau Canada. Dans la littérature, cette différence est fréquemment attribuée aux taux daide sociale relativement plus élevés au Canada. Les études américaines ont montré que la plupart des familles sans-abri sont dirigées par des femmes(20). Des données canadiennes permettent de croire que ce constat sapplique également au Canada. En fait, dans la région dOttawa-Carleton, sur les 1 263 familles comprenant 2 036 enfants qui ont cherché refuge dans les centres dhébergement de la région entre janvier 1986 et août 1988, la plupart étaient dirigées par des femmes. En février 1996, dans un article paru dans le Globe and Mail, on rapportait une augmentation de 45 p. 100 par rapport à 1995 du nombre de familles à la recherche dun abri durgence dans la région métropolitaine de Toronto. La plupart de ces familles avaient été expulsées de leur logement par suite dun défaut de paiement du loyer. Selon certains, la réduction des prestations daide sociale de près de 22 p. 100 aurait été à la source de ce problème. Les familles, et particulièrement les familles monoparentales dirigées par des femmes, sont donc très vulnérables à litinérance. Le passage dans le monde des sans-abri semble dans ces cas-ci sexpliquer par un épuisement des ressources de soutien potentiel, telles la famille élargie et les amis. Lisolement social contribue donc grandement au phénomène des familles sans-abri. Les familles les plus à risque sont celles ou règne la violence familiale. Cependant, dans ces cas, il faut voir que la situation des mères victimes de violence familiale est particulière compte tenu du fait que :
Il demeure difficile aujourdhui de présenter un portrait des familles sans-abri au Canada. Les recherches qui traitent de ce sujet sont en effet peu nombreuses et aucune ne fournit des données à léchelle nationale, à lexception de lenquête controversée du Conseil canadien de développement social réalisée en 1987. Il importe donc de poursuivre des recherches traitant des familles sans-abri mais également de toutes les questions touchant les femmes, la violence faite aux femmes, le rôle de la famille dans nos sociétés, compte tenu du fait que de telles recherches sont susceptibles de nous aider à comprendre le phénomène des familles sans-abri. Les connaissances quant à la composition de la population des sans-abri et les caractéristiques particulières associées à chacun des sous-groupes qui la compose demeurent partielles. Les différences importantes de résultats de recherche concernant le profil des personnes rendent par ailleurs difficile toute tentative de comparaison des résultats de recherche. Cependant, au-delà des différences importantes qui semblent distinguer les sous-groupes de sans-abri, il importe de mentionner que toutes les personnes sans-abri et, celles qui risquent grandement de le devenir, ont tous en commun de vivre dans une situation de pauvreté. Cest pourquoi, compte tenu des transformations dans le marché de lemploi et celui du logement, il semble évident que de plus en plus de petits salariés (femmes monoparentales, travailleurs précaires, jeunes peu scolarisés, etc.) risquent de devenir sans-abri. (1) A. Viexliard, Le clochard, Paris, Desclée de Brouwer, 1957. Voir également, N. Anderson, The Hobo, Chicago, Université of Chicago Press, 1923. (2) Julio Arboleda-Florez et Heather Holley, Calgary Homelessness Study: Final Report, December 1997, Alberta, Alberta Health Report, 1997. (3) Pour plus dinformations, consulter Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits (1996); Claudine Mercier, « Litinérance chez la femme », Revue québécoise de psychologie, vol. 9, no 1, 1988, p. 79-93. (4) Conseil canadien de développement social, Les sans-abri au Canada (1987); Louise Fournier, Énumération de la clientèle des centres dhébergement pour itinérants à Montréal, Montréal, 1989; ministère de la Main-duvre et de la Sécurité du revenu, Les sans-abri au Québec : étude exploratoire, Québec, Direction de la recherche, Gouvernement du Québec, 1988. (5) « Leur aptitude à paraître présentables en terme dhygiène et de tenue vestimentaire contribue à leur aptitude à cacher leur situation de sans abri ». Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits (1996), p. 21. (6) Kathy Hardill, Developing a Methodology for Survey Research with Homeless Women and Men, Toronto, Street Health, 1993, p. 21 (traduction). (7) Dans le cas des hommes, il semble que lexclusion du marché de lemploi constitue un facteur important qui contribue grandement à litinérance. (8) Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits (1996), p. 2. (9) Ibid., p. 20. (10) J. R. Wolch et S. Rowe, « On the Streets: Mobility Paths of the Urban Homeless », City and Society, vol. 6, no 2, 1992, p. 115-140. (11) Tullio Caputo and Katharine Kelly, Canada Health Action Children and Youth, Québec, Éditions MultiMondes, 1998. (12) Pour de plus amples informations sur cette question, consulter Commission royale sur les peuples autochtones, Les peuples autochtones vivant en milieu urbain, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1995; Affaires indiennes et du Nord canadien, Faits saillants des conditions des autochtones 1981-2001 : tendances démographiques, conditions sociales et conditions économiques, Ottawa, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, octobre 1995; Kim Hopper, « Taking the Measure of Homelessness: Recent Research on Scale and Race », Clearinghouse Review, vol. 29, no 7, 1995, p. 730-739. Société canadienne dhypothèques et de logement, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada », Le point en recherche et développement : Série socio-économique, no 27, août 1996. (13) Eileen Ambrioso, Cathy Dilin Baker et Kathy Hardill, The Street Health Report: A Study of the Health Status and Barriers to Health Care of Homeless Women and Men in the City of Toronto, 1992, p. 3. (14) Julio Arboleda-Florez et Heather Holley, Calgary Homelessness Study, Final Report, December 1997, Alberta Health Report, 1997. (15) Christopher Hauch, Coping Strategies and Street Life: The Ethnography of Winnipegs Skid Row Region, Report no. 11, Winnipeg, Institute of Urban Studies, 1985. (16) Jane Wycliffe Nesbit Kinegal, Finding the Way Home: A Response to the Housing Needs of the Homeless Women of the Downtown East Side, Vancouver, Thèse de maîtrise de la Colombie-Britannique, 1989. (17) City of Calgary, Homeless Count in Downtown Calgary, Alberta, Canada, 1996, City of Calgary Community and Social Development Department of Social Research Unit, 1996. (18) T. Caputo, R. Weiler et K. Kelly, Projet de recherche sur les jeunes fugueurs et les jeunes de la rue Introduction générale et aperçu, Solliciteur général du Canada, Division de la politique et de la recherche en matière de police, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1994. (19) Mary Ann Beavis, Nancy Klos, Tom Carter et Christian Douchant, Étude documentaire : les Autochtones sans abri, Société canadienne dhypothèques et de logement, janvier 1997, p. 6. (20) Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits (1996), p. 25. (21) Zappardino et Debare, 1992, dans Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits (1996) , p. 28. Rédaction :
Le lien entre la santé et litinérance est double : la maladie prédispose les particuliers et les familles à litinérance, et cette dernière donne lieu à des problèmes de santé particuliers. Dans ce module, nous traitons des problèmes de santé des sans-abri, des entraves à leur bonne santé et de quelques solutions possibles. Nous mettons principalement laccent sur les mesures dordre municipal et provincial, mais nous abordons aussi le rôle du gouvernement fédéral. Depuis quil a cessé, il y a une trentaine dannées, de voir la santé comme étant uniquement labsence de maladie ou dinfirmité, le Canada sest acquis une réputation internationale pour son travail conceptuel dans le domaine de la santé. Depuis le rapport de 1974 intitulé Nouvelle perspective de la santé des Canadiens, le gouvernement fédéral ne conçoit plus la santé uniquement en termes biologiques ou médicaux, mais juge quelle sexprime également en fonction du contexte social, économique, politique et culturel(2). La « santé de la population », lun des principaux éléments du cadre conceptuel en application actuellement, met laccent sur les déterminants fondamentaux de la santé, cest-à-dire les facteurs qui font que les gens sont et restent en santé : le revenu et le statut social, les réseaux de soutien social, léducation, lemploi et les conditions de travail, lenvironnement physique, le patrimoine biologique et génétique, les pratiques dhygiène personnelle et les habiletés dadaptation, le développement denfants en santé et les services de santé. On voit tout de suite que bon nombre de ces déterminants font défaut chez la majorité des itinérants et que la pauvreté, le chômage, la maladie mentale et le déracinement constituent les principales causes et les principaux résultats de leur situation. Les études sur les sans-abri montrent quils présentent généralement les mêmes maladies que lensemble de la population, mais que les conditions dans lesquelles ils vivent ont une incidence défavorable sur leur santé générale à court et à long terme. Leur taux de mortalité est plus élevé : selon une étude menée à Toronto sur des itinérants décédés entre 1979 et 1990, 71 p. 100 de ceux-ci avaient moins de 70 ans, comparativement à 38 p. 100 pour les personnes logées(3). Si certains sans-logis meurent à cause du froid, la plupart succombent à des blessures, à des surdoses et à des maladies éthyliques du foie. Les conditions climatiques conjuguées au stress psychologique et à lexposition à des maladies transmissibles créent un milieu qui favorise tout un éventail de problèmes de santé, y compris les engelures, la tuberculose, les affections de la peau, les maladies cardio-respiratoires, les déficiences nutritionnelles et le manque de sommeil. De longues périodes ditinérance causent des problèmes de santé chroniques, notamment des affections musculosquelettiques et dentaires. Entraves à la santé des sans-abri et solutions possibles Cest manifestement labsence de logement adéquat, sûr, accessible et abordable qui constitue le principal obstacle à la santé des sans-abri puisque ceux-ci se trouvent privés du même coup dun emploi, du soutien de la collectivité, des soins de santé personnels et de laccès aux services de santé. Litinérance rend difficile, voire impossible, laccès aux services de soins de santé. Les sans-abri ne peuvent pas se faire traiter sils nont pas de carte dassurance-maladie (et il faut, pour obtenir une carte, fournir une adresse) et ils ne peuvent pas payer les soins non couverts par les régimes provinciaux dassurance-maladie ni les médicaments puisquils nont pas dassurance à cet effet. Ils risquent, par leur apparence, deffrayer les fournisseurs de soins qui, en retour, ne les traiteront pas toujours adéquatement; comme ils sont sans adresse ni téléphone, ils ne peuvent pas prendre rendez-vous et ils peuvent difficilement obtenir des soins coordonnés puisque leurs dossiers médicaux sont généralement éparpillés un peu partout. Les problèmes continuent même après un traitement ou une hospitalisation puisque les itinérants nont pas dendroit où récupérer et ne peuvent compter sur quelquun pour prendre soin deux. Par conséquent, ce sont principalement les services durgence au coeur des grands centres urbains et les institutions créées pour répondre aux besoins de logement et de services sociaux des sans-abri qui dispensent des soins de santé à cette catégorie de personnes. Les problèmes de santé aigus de ce groupe et la nécessité daccroître les services préventifs ont donné lieu à des études innovatrices et à déventuelles solutions. Plusieurs provinces sont en train détudier des suggestions visant à pallier à labsence dune carte dassurance-maladie (dont sont dépourvus quelque 30 à 50 p. 100 des personnes qui vivent dans des maisons de refuge en Ontario)(4). Parmi ces suggestions, notons les suivantes : appliquer des règles moins strictes aux sans-abri qui demandent une carte, par exemple en autorisant les photocopies au lieu dexiger les originaux des documents didentification et facturer aux centres dhébergement et de dépannage les services des professionnels de la santé comme les infirmières praticiennes et les médecins, qui ont besoin du numéro de carte valide d'une personne pour se faire payer par le gouvernement provincial. Il serait également possible de renoncer dans ces cas au système de rémunération à lacte, dans le cadre duquel les malades doivent présenter leur carte dassurance-maladie aux fournisseurs de soins, et de permettre que ces services soient dispensés par un personnel salarié travaillant dans des centres de santé communautaires désignés. Selon une étude menée à Toronto en 1998, les hommes dans les refuges durgence sont plus susceptibles de faire remplir leurs ordonnances si le refuge leur offre automatiquement une assurance-médicaments(5). Létude a porté sur des échantillons aléatoires de 80 hommes dans un refuge relevant dun organisme gouvernemental où les médicaments sont automatiquement couverts par le régime dassurance-médicaments provincial et sur 76 résidents dun refuge privé sans but lucratif qui noffre pas dassurance-médicaments. Sur 100 hommes ayant reçu des ordonnances, 6 p. 100 seulement de ceux qui étaient couverts ne les ont pas fait remplir, comparativement à 20 p. 100 de ceux qui navaient aucune protection. Le coût élevé des médicaments ou labsence dune assurance-médicaments provinciale ont été les principales raisons invoquées par ceux qui nont pas fait remplir leurs ordonnances. Conscient que les professionnels de la santé doivent se montrer plus accueillants et donner un meilleur soutien, lhôpital Wellesley de Toronto a trouvé une façon de fournir des soins plus humains et de diminuer les visites à répétition à lurgence. Une étude sur échantillon aléatoire et contrôlé a révélé que les sans-abri qui ont la possibilité de parler de leur état de santé à un bénévole reviennent moins souvent que ceux qui reçoivent les soins habituels dispensés par le personnel du service durgence(6). De plus en plus, les interventions affirmatives pour améliorer la santé des itinérants comprennent les patrouilles de rues, les fourgonnettes de santé mobiles et les programmes dextension qui prévoient un guichet unique et intégré offrant des services sociaux et de santé. La santé de groupes particuliers de sans-abri De multiples variables comme lâge, le sexe, lethnie, la situation socio-économique et lemplacement géographique influent sur la santé des sans-abri, comme sur celle de lensemble de la population. Les jeunes qui sont maltraités sont à haut risque de devenir itinérants. En 1994, une étude des jeunes sans-abri à Calgary a montré que plus de la moitié étaient passés par le système daide à lenfance, après avoir vécu de la violence à la maison et des problèmes à lécole(7). Selon un sondage effectué en 1992 auprès des jeunes de la rue à Ottawa, 92 p. 100 dentre eux avaient tenté de se suicider(8). À partir du moment où ils se retrouvent dans la rue ou sans foyer, les jeunes sont exposés à tout un éventail de problèmes de santé physiques, psychologiques et émotionnels(9), liés à plusieurs facteurs : des conditions de vie précaires et peu hygiéniques, une mauvaise alimentation, la violence, la consommation dalcool et de drogues, les comportements sexuels à risque, la faible estime de soi, le rejet social constant et la marginalisation économique. Il convient de poursuivre les travaux afin de connaître les divers styles de vie de ces jeunes et les besoins connexes. Par exemple, une étude effectuée en 1996 à Ottawa a révélé que les jeunes de la rue utilisent très peu les soupes populaires, les refuges ou les centres de traitement de toxicomanie(10). Les interventions doivent donc viser lensemble de la situation de chaque jeune et éviter les solutions de type universel ou qui visent uniquement un problème de santé immédiat(11). De plus, il faut compter sur une coordination interagences et sur la coopération des services sociaux et de la santé afin de concevoir et doffrir des solutions tout en souplesse pour lalimentation, le logement et les services de counselling, ainsi que la formation aux aptitudes à la vie quotidienne, léducation et les traitements. Selon les porte-parole dAdsum House, un refuge durgence pour les femmes et les enfants à Halifax, le profil des femmes sans foyer est très varié : adolescentes enceintes et femmes âgées, femmes ayant des démêlés avec la justice ou victimes de délogement, dincendie ou dinondation, femmes atteintes de maladies mentales ou de toxicomanie(12). Les mères célibataires et les femmes battues comptent parmi les plus susceptibles de se retrouver sans logis. Souffrant souvent de dépression à cause dune vulnérabilité extrême, de difficultés financières et dun isolement social, ces femmes font face aux mêmes dangers physiques que les itinérantes, liés à la mauvaise nutrition, à une protection insuffisante contre la conception ou les maladies transmises sexuellement, à lexposition aux maladies infectieuses et à la violence physique(13). Comme le signale lAssociation canadienne de santé publique, la santé des enfants de ces femmes subit le contrecoup dun faible revenu et de linconstance du logement : « Des abris pour assistés sociaux sont disponibles [...] mais les études sur les enfants qui logent dans ce genre dinstallations indiquent une augmentation des maladies aiguës et chroniques et des retards de développement »(14). Il y a peu de documentation sur lefficacité des interventions visant les divers sous-groupes de femmes sans foyer, sans doute parce que celles-ci sont encore en minorité dans la population des sans-logis. Cependant, toutes semblent avoir besoin par-dessus tout de logement abordable, accessible et sûr, conjugué à des programmes de soutien sociaux et à des services de santé appropriés qui pourraient comprendre du counselling sur lalimentation, lactivité sexuelle et la toxicomanie ainsi que des programmes sur la grossesse et les compétences parentales. C. Les personnes souffrant de maladies mentales Depuis la fin des années 60, les services pour les personnes atteintes de maladies mentales sont de plus en plus dispensées dans un cadre communautaire plutôt que par des institutions ou des hôpitaux. Au Canada, les hôpitaux psychiatriques ont perdu des ressources au profit des unités psychiatriques dans les hôpitaux généraux. Entre 1960 et 1976, le nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques du Canada a chuté, passant de 47 633 à 15 011, alors quil a augmenté dans les unités psychiatriques des hôpitaux généraux, passant de 844 à 5 836(15). Plusieurs facteurs ont contribué à cette tendance : lutilisation accrue de médicaments psychotropes, les critiques de plus en plus nombreuses à légard des hôpitaux psychiatriques, le mouvement de la psychiatrie communautaire aux États-Unis et lexclusion des hôpitaux psychiatriques provinciaux du régime fédéral-provincial dassurance-hospitalisation instauré en 1958(16). Certains ont dénoncé la grave fragmentation dans la prestation des services de santé mentale, laquelle a eu des retombées néfastes sur les personnes atteintes de maladies mentales graves et chroniques qui vivent dans la collectivité. On a estimé en 1994 quentre 20 et 30 p. 100 des itinérants au Canada souffrent dune maladie mentale et ont besoin de traitement(17). Les personnes qui sont sans foyer ou qui ont rejeté les services sociaux et de santé mentale traditionnels ont besoin de services de prévention ainsi que dintervention en cas de crise. Comme les professionnels de la santé mentale travaillent normalement dans des centres communautaires, des hôpitaux ou des cabinets privés, il peut être difficile de les mobiliser et de coordonner leurs services pour les sans-abri. Des programmes actifs dextension des services peuvent aider ces personnes quand elles en ont besoin, quel que soit lendroit ou le moment, afin datténuer les périodes de dysfonctionnement et déviter des hospitalisations coûteuses ou même des incarcérations. Les limites de compétences fédérales et provinciales constituent un important obstacle à la prestation de services de santé et autres auprès des divers groupes dAutochtones(18). Les Autochtones sans foyer peuvent être des Indiens (inscrits ou non), des Inuit ou des Métis; ils peuvent vivre dans des régions rurales éloignées ou dans des grands centres urbains. Sil est vrai que la moitié de tous les Autochtones sont des Indiens inscrits ou de plein droit admissibles à des prestations fédérales pour les soins de santé et le logement, il reste que la responsabilité à légard des Autochtones qui vivent en-dehors des réserves incombe dans une large mesure aux gouvernements provinciaux. Les Indiens inscrits ont droit aux services de santé fédéraux non assurés où quils vivent, mais laccès est difficile pour ceux qui nont pas de domicile fixe. Les Autochtones qui vivent dans les réserves habitent parfois dans des maisons surpeuplées et délabrées; dans les villes canadiennes, ils se retrouvent parfois dans le même genre de logement, voire sans domicile. Comme la souligné la Commission royale sur les peuples autochtones, les mauvaises conditions de logement contribuent, chez les Autochtones, à des taux beaucoup plus élevés de tuberculose, de pneumonie et dautres maladies des voies respiratoires supérieures et inférieures, daffections gastro-intestinales, de maladies de la peau, de cancers attribuables à la fumée secondaire et à des décès lors dincendies(19). En plus dêtre confrontés au racisme, les Autochtones itinérants sont parfois incapables de parler de leurs problèmes de santé avec les professionnels de la santé en raison dobstacles linguistiques; ils nont pas toujours accès à des professionnels autochtones de la santé ou à des interprètes médicaux; de plus, les programmes de santé disponibles ne leur conviennent pas toujours sur le plan culturel(20). Les questions touchant la santé mentale chez cette population, comme le suicide, la toxicomanie et la violence familiale, sont des préoccupations constantes. Il est essentiel que les Autochtones aient accès à des logements collectifs sûrs et libres dalcool et de drogues et quils disposent de programmes et de services facilement accessibles et adaptés à leur culture. Le rôle du gouvernement fédéral à légard de la santé des sans-abri À la fin de lautomne 1998, le premier ministre de lOntario et le maire de Toronto ont déclaré litinérance une question dimportance nationale et exhorté le gouvernement fédéral à les aider à sattaquer au problème(21). On a souligné dans un article que le gouvernement fédéral avait déjà versé 300 000 $ pour financer un groupe de travail sur litinérance et 50 000 $ pour un sommet sur la question(22). Il nest pas clair quel rôle doit jouer le gouvernement fédéral à légard de la santé des sans-abri du Canada. La Constitution nétablit pas une répartition précise des pouvoirs touchant, dune part, les questions de santé et, dautre part, les soins de santé. Les gouvernements provinciaux jouissent de vastes pouvoirs en matière de réglementation des questions locales de santé, notamment la prestation de services de soins de santé; ils sont habilités, entre autres, à adopter des lois régissant létablissement, lentretien et ladministration des hôpitaux, asiles et institutions de charité. Les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de santé sont plus généraux. Ils visent le droit pénal, les dépenses, et la paix, lordre et le bon gouvernement. De plus, le gouvernement fédéral est investi de pouvoirs précis concernant des groupes comme les Premières nations dans les réserves, les anciens combattants, les militaires, la GRC et les personnes dans les institutions et les services correctionnels fédéraux. Selon une interprétation large, le gouvernement fédéral estime quil lui revient de protéger la santé des Canadiens et de laméliorer par la promotion de stratégies conçues à cette fin, en plus dappuyer le système de soins de santé quand cest nécessaire. À légard des sans-abri, le gouvernement fédéral peut prendre diverses mesures pour cerner leurs besoins de santé et y répondre. Il peut :
Comme nous lavons souligné précédemment, les grands centres urbains du pays ont commencé à élaborer un large éventail dinterventions réunissant divers secteur de politique au moyen dune approche multidisciplinaire. On pourrait entreprendre des mesures semblables à ces projets intersectoriels au niveau fédéral en vue de la santé des itinérants. Toute intervention devra toutefois parvenir à réunir les divers secteurs : revenu et statut social, éducation, emploi et conditions de travail et environnement physique. Il faudra mettre à contribution non seulement des professionnels de la santé mais aussi des économistes, des éducateurs, des environnementalistes et des spécialistes de lemploi et des services sociaux, ainsi que famille, amis et membres de la collectivité. Le but sera délaborer un cadre exhaustif et intégré au sein duquel le gouvernement fédéral pourra élaborer des stratégies pour atténuer le problème de litinérance. Ainsi, sil est vrai quil faut des mesures coordonnées fondées sur la coopération des multiples compétences, il y a aussi beaucoup à faire chez les ministères fédéraux soccupant de la santé, de lemploi et du logement. Pour réagir aux besoins de logement et de santé de groupes comme les Premières nations et les anciens combattants qui sont de la compétence fédérale, il faudra dabord recueillir avec soin des données décrivant qui ils sont, où ils habitent et quels sont leurs problèmes de santé. Des critiques ont souligné que les cinq principes de la Loi canadienne de la santé ne veulent pas dire grand-chose pour les itinérants qui ne répondent même pas aux critères provinciaux établis afin dobtenir une carte dassurance-maladie et laccès aux services. Constatant que le gouvernement fédéral a délaissé au cours des dernières années les stratégies visant des sous-groupes de la population canadienne, les défenseurs des itinérants sont davis que les nouvelles initiatives de santé, comme lassurance-médicaments et les soins à domicile, doivent tenir compte de ce groupe. En plus, des études ciblées financées par les principaux conseils de recherche fédéraux pourraient être dun précieux secours et contribuer à une meilleure évaluation de ce que le gouvernement fédéral fait (ou ne fait pas) pour protéger la santé des sans-abri au Canada. (1) Association canadienne de santé publique, « Homelessness and Health : Position Paper », Ottawa, 1997, affiché sur le site Web www.cpha.ca, octobre 1998. (2) Marc Lalonde, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Nouvelle perspective de la santé des Canadiens : un document de travail, Ottawa, avril 1974. Cette nouvelle orientation a aussi été exprimée dans des documents comme celui de Jake Epp, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, La Santé pour tous : plan densemble pour la promotion de la santé, Ottawa, 1986, et du Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, Stratégies damélioration pour la santé de la population : investir dans la santé des Canadiens, rapport de la réunion des ministres de la Santé, Ottawa, septembre 1994. (3) Association canadienne de santé publique, « 1997 Position Paper on Homelessness and Health » , affiché sur le site Web www.cpha.ca, octobre 1998. (4) Margaret Philip, « Homeless without Health Cards Likely to Go without Care », The Globe and Mail (Toronto), 2 mars 1998, A8. (5) Gillian Wansborough, « Homeless Mens Drug Compliance Varies », The Medical Post, 13 octobre 1998, p.23. (6) D.A. Redelmeier, J.P. Molin, R.J. Tibshirani, « A Randomised Trial of Compassionate Care for the Homeless in an Emergency Department », Lancet, 345, 6 mai 1995, p. 1131-1134. (7) Allison Bray, « Net Failing Street Kids, Expert Says », Winnipeg Free Press, 21 octobre 1995, A7. (8) Association canadienne de santé publique, « 1997 Position Paper on Homelessness and Health », affiché sur le site Web www.cpha.ca, octobre 1998. (9) Tullio Caputo et Katherine Kelly, « Améliorer la santé des jeunes de la rue », Les déterminants de la santé Les enfants et les adolescents, volume 1, études commandées par le Forum national sur la santé, Éditions MultiMondes, Sainte-Foy (Québec), 1998, p. 419-463. (10) Ontario Medical Association, « Exploring the Health Impact of Homelessness », affiché sur le site Web www.oma.org, décembre 1998. (11) Jim Anderson, A Study of « Out-Of-The-Mainstream » Youth in Halifax: Nova Scotia Technical Report, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, janvier 1993. (12) Adsum House (refuge durgence pour les femmes et les enfants sans foyer), « Profile of Homeless Women », janvier 1999. (13) Sylvia Nocav, Joyce Brown, Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits : analyse documentaire sur les femmes sans-abri, Ottawa, SCHL, p. 36-43. (14) Association canadienne de santé publique, « 1997 Position Paper ». (15) Unité de recherche sur les systèmes de santé, Institut psychiatrique Clarke, Examen des meilleures pratiques de la réforme des soins de la santé mentale : document de discussion, produit par le Réseau de consultation sur la santé mentale fédéral, provincial et territorial, Ottawa, Santé Canada, 1997, p. 1. (16) Santé Canada, Les personnes atteintes de maladies mentales et le système de justice pénale : Programmes communautaires innovateurs, 1995, rapport préparé par Carol Milstone, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1995, p. 9. (17) Ibid., p. 15. (18) Chambre des communes, Comité permanent de la santé, Vers le mieux-être holistique : les peuples autochtones, Ottawa, juillet 1995. (19) Commission royale sur les peuples autochtones, Vers un ressourcement Rapport, volume 3, Groupe Communication Canada, Ottawa, 1996, chapitre 3 Santé et guérison, et chapitre 4 Le logement. (20) Ville de Calgary, « Community Action Plan: Aboriginal Services », affiché sur le site Web www.gov.calgary.ab.ca, décembre 1998. (21) Divers articles dans le Toronto Star et le Globe and Mail (Toronto), dans la première semaine de novembre 1998. (22) William Walker, « Lastman Begs for Homeless », Toronto Star, 5 novembre 1998. MESURES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE LOGEMENT Rédaction : Même si la Constitution place la politique et les programmes de logement sous lautorité des provinces, tous les niveaux de gouvernement interviennent dans le secteur du logement. Les politiques et les programmes mis en place visent à améliorer les conditions de logement en ce qui concerne la quantité, la qualité et le prix. Jusquen 1970, la politique en matière de logement était presque entièrement fédérale. Les programmes gouvernementaux subventionnaient à peine plus du tiers des mises en chantier, dont moins de 5 p. 100 étaient destinées aux familles à faible revenu. Dans les années 70, le gouvernement fédéral a étendu son aide à 40 p. 100 des mises en chantier. En 1986, laide fédérale à la construction résidentielle ne touchait plus que 14 p. 100 des logements achevés, et 8 p. 100 de cette aide étaient destinés aux logements à prix modique. Trois lois fédérales adoptées dans les années 30 visaient à augmenter le stock de logements de façon à remédier à la pénurie et à promouvoir la création demplois en stimulant le marché privé de lhabitation.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a créé une société dÉtat, la Wartime Housing Limited, qui a construit 45 930 logements sur une période de huit ans. Cette société a aussi aidé à réparer et à rénover des maisons existantes. En 1946, son actif a été transféré à la Société centrale dhypothèques et de logement (SCHL), devenue plus tard la Société canadienne dhypothèques et de logement, dont le rôle consistait à accorder aux acheteurs de maison des prêts hypothécaires à un taux avantageux. La SCHL est aujourdhui le principal organisme chargé dadministrer la politique fédérale en matière de logement. En 1949, le Parlement a modifié la LNH pour permettre la construction de logements sociaux administrés par les provinces, dans le cadre de programmes fédéraux-provinciaux, à lintention des familles à faible revenu, des handicapés et des personnes âgées. En 1954, le gouvernement fédéral a commencé à assurer les prêts hypothécaires consentis par des investisseurs privés contre le défaut de paiement de lemprunteur. La Loi sur les banques a alors été modifiée pour autoriser les banques à charte du Canada à accorder des prêts hypothécaires et pour permettre au gouvernement de réduire son rôle dans le domaine des prêts. En 1964, le gouvernement fédéral a fait adopter une loi qui lui permettait de consentir aux provinces des prêts jusquà concurrence de 90 p. 100 du coût de construction de logements sociaux appartenant au gouvernement provincial. La Loi autorisait également la SCHL à prêter directement de largent aux municipalités et aux sociétés privées sans but lucratif. Au Canada, presque tous les logements sociaux appartiennent aux provinces, aux municipalités ou à leurs agences. Le rôle du gouvernement fédéral dans ce secteur consiste à conclure avec les provinces des contrats à long terme en vertu desquels il sengage à partager les coûts dexploitation de ces logements. Un examen effectué par la SCHL en 1984 précisait lobjectif de la politique de logement social : « aider les Canadiens dont le revenu est insuffisant à avoir accès à un logement adéquat en encourageant et en appuyant, de concert avec les provinces, les municipalités et leurs agences, la construction de logements sociaux pour les personnes à faible revenu et à revenu moyen et en encourageant également la mise en place de programmes de coopératives de logement à but non lucratif ». En général, le logement social est un logement locatif à un prix inférieur à celui du marché et offert principalement aux foyers à faible revenu, ce qui comprend les petits salariés, les assistés sociaux et les personnes âgées à faible revenu. En 1994, le gouvernement fédéral a alloué 1,9 million de dollars pour plus de 661 000 logements sociaux, y compris les logements appartenant aux administrations publiques, les logements à loyer modique, les logements ruraux, le logement destiné aux autochtones, les logements à but non lucratif, les coopératives et les suppléments au loyer. Dans les années 70, le gouvernement a instauré des mesures pour favoriser lachat et la rénovation des maisons. Il sagissait notamment des régimes enregistrés dépargne-logement, qui étaient exonérés dimpôt, du Programme daide à laccession à la propriété et de modifications à la Loi de limpôt sur le revenu qui ont exonéré les résidences principales de limpôt sur les gains en capital. Le gouvernement fédéral a également consacré des fonds à laide à la rénovation des logements, à lamélioration des quartiers et à des programmes disolation thermique. Les programmes daide à la rénovation ont aidé les propriétaires à rénover 315 000 logements entre 1974 et 1986. Cest également dans les années 70 que toutes les provinces ont établi des ministères du Logement et commencé à jouer un rôle plus important dans lélaboration de la politique de logement et létablissement des priorités dans ce domaine. Les logements sociaux construits avant les années 70 avaient tous des loyers établis en fonction du revenu, ce qui a créé des ghettos de pauvres, au grand déplaisir des locataires et du voisinage. Les modifications apportées à la LNH en 1973 prévoyaient de laide financière pour lachat de maisons neuves, des prêts pour les coopératives de logement et des prêts à faible intérêt atteignant jusquà 100 p. 100 de la valeur des ensembles résidentiels pour les logements municipaux et privés sans but lucratif. Lun des objectifs de cette loi était de faire vivre ensemble des familles ayant divers niveaux de revenu, pour favoriser la dispersion des familles pauvres dans la collectivité. Néanmoins, une des conséquences de ce programme dintégration est que 66 à 75 p. 100 des logements en question ont été occupés par la classe moyenne et que de nombreuses familles dans le besoin nont pas trouvé à se loger. Au début des années 80, trois programmes fédéraux temporaires ont été mis en place pour aider les familles à revenu moyen.
Pendant la première moitié des années 80, 1,7 p. 100 du budget total du gouvernement fédéral était consacré au logement. Pendant la deuxième moitié de cette même période, cette proportion a été réduite à 1,4 p. 100. Le logement continue dêtre le moins bien financé de tous les secteurs visés par des programmes fédéraux. La réduction des dépenses dans ce secteur au cours de la dernière décennie a principalement touché les maisons offertes sur le marché (par exemple, les programmes daccession à la propriété et de subventions à la construction de logements locatifs) plutôt que les logements sociaux. Plus de 90 p. 100 des fonds fédéraux consacrés au logement servent à subventionner les projets de logements existants. En 1986, le gouvernement fédéral a instauré sa nouvelle politique de logement, qui apportait deux changements à légard des logements sociaux. Ces logements devaient être destinés aux ménages ayant des besoins impérieux, ce qui mettait fin aux programmes dintégration, et la mise en uvre des programmes de logements sociaux était confiée aux gouvernements des provinces et des territoires. Au début de 1992, le gouvernement fédéral a soumis à la discussion une proposition constitutionnelle visant à mettre fin à ses engagements dans certains domaines de compétence provinciale (par ex., le tourisme, les mines, et les affaires urbaines et le logement). Cette politique a été perçue par les spécialistes en matière de logement comme un coup dur porté aux programmes de logements sociaux. Dans son budget de février 1992, le gouvernement fédéral a mis fin à son programme de logements coopératifs. Au cours de son existence, ce programme a permis la construction de près de 60 000 foyers destinés à des Canadiens à faible revenu et à revenu moyen. Un peu plus dun an plus tard, le gouvernement fédéral a imposé un gel sur les dépenses au titre du logement social. Dans son budget davril 1993, il a en effet limité aux niveaux de 1993 laide financière quil consentira pour le logement social. Le budget fédéral de 1995 prévoyait une diminution de 6 p. 100 (soit 128 millions de dollars) des dépenses de la SCHL jusquen 1997-1998. Comme 90 p. 100 des fonds fédéraux pour le logement sont attribués aux programmes de logements sociaux, ce secteur sera le plus affecté par la réduction du soutien fédéral. En 1999, un groupe de travail mis sur pied par le maire de Toronto arrivait à la conclusion que le retrait du fédéral a grandement contribué à la diminution progressive du nombre de logements abordables(1). Bien que le manque de logements abordables ne soit pas lunique cause de laugmentation du nombre de sans-abri, il a néanmoins pour effet daugmenter les risques associés à un passage dans le monde de litinérance. Au cours de la même année, le gouvernement fédéral a présenté les éléments de sa nouvelle initiative pour les sans-abri. Linitiative proposée est fondée sur une collaboration étroite avec les provinces, les territoires, les municipalités, les organismes sans but lucratif, le secteur privé et les citoyens. Elle part du principe que les collectivités sont les mieux placées pour trouver des solutions aux problèmes des sans-abri. Au total, linitiative est dotée dun budget de 753 millions de dollars sur trois ans. De cette somme, le gouvernement prévoit affecter 305 millions de dollars aux villes qui éprouvent un sérieux problème ditinérance. Cette somme sera mise à leur disposition pour la planification et la mise en oeuvre de stratégies qui ont pour but de prévenir et de réduire litinérance. Puisquelles présentent les problèmes les plus sérieux, les villes de Vancouver, Calgary, Edmonton, Winnipeg, Hamilton, Toronto, Ottawa, Montréal, Québec et Halifax recevront 80 p. 100 du montant prévu, alors quune cinquantaine dautres villes se partageront le reste(2). De plus, linitiative prévoit 170 millions de dollars qui seront investis au cours des trois prochaines années afin délargir des programmes fédéraux déjà existants, dont le volet jeunes à risque de la Stratégie emploi jeunesse, la stratégie du gouvernement visant les Autochtones vivant en milieu urbain et le Programme damélioration des refuges. En outre, 268 millions de dollars seront affectés au Programme daide à la remise en état des logements (PAREL). Ce financement supplémentaire servira à la rénovation et à la remise en état de chambres et de logements occupés par des personnes à faible revenu. Le reste du montant prévu, soit 10 millions de dollars, est réservé à la construction dimmeubles résidentiels sur des terrains fédéraux excédentaires afin de loger des sans-abri. 1935 La Loi fédérale sur le logement, la première loi du genre, prévoit loctroi de prêts dune valeur de 20 millions de dollars et aide à financer 4 900 logements sur une période de trois ans. 1937 Le Programme fédéral de réfection des maisons subventionne les taux dintérêt sur les prêts accordés pour la rénovation de logements. 1938 La Loi nationale sur lhabitation accorde une aide aux acheteurs de maison, aide à rendre salubres les logements à loyer modique et prévoit la modernisation du stock de logements existant. 1946 Lactif de la Wartime Housing Limited est transféré à la Société centrale dhypothèques et de logement (SCHL), qui deviendra plus tard la Société canadienne dhypothèques et de logement, pour accorder aux propriétaires de maison des prêts hypothécaires à un taux avantageux. 1949 La Loi nationale sur lhabitation est modifiée pour prévoir la construction de logements sociaux dans le cadre de programmes fédéraux-provinciaux. 1954 Le gouvernement fédéral commence à assurer les prêts hypothécaires consentis par des investisseurs privés contre les défauts de paiement des emprunteurs et il modifie la Loi sur les banques pour permettre aux banques à charte daccorder des prêts hypothécaires. 1964 Le gouvernement fédéral fait adopter une loi lui permettant de consentir aux provinces des prêts jusquà concurrence de 90 p. 100 du coût de construction de logements sociaux leur appartenant. 1969 Le Programme de supplément de loyer verse aux ménages à faible revenu qui se logent sur le marché locatif privé la différence entre le loyer du marché et 25 p. 100 de leur revenu. 1973 La Loi nationale sur lhabitation est modifiée afin que soit accordée une aide financière pour lachat de maisons neuves, des prêts pour les coopératives de logement et des prêts à faible intérêt pour les logements sans but lucratif construits par les municipalités et le secteur privé. Ces modifications visent notamment à intégrer différents niveaux de revenu dans les ensembles de logements sociaux. 1974 Le Programme de logement pour les ruraux et les autochtones aide les Autochtones ayant un faible revenu et les ruraux non autochtones résidant dans des villages de 2 500 habitants et moins à acheter une maison ou à rénover leur logement. 1976 Habitat, la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, a lieu à Vancouver. La communauté internationale sengage, par le truchement des gouvernements des divers pays, à promouvoir des conditions de logement et dexistence décentes dans le monde entier. 1986 Le gouvernement fédéral met en place sa nouvelle politique de logement qui, entre autres, oriente les programmes de logement social vers les ménages dans le besoin et confie la mise en oeuvre des programmes de logement aux provinces et aux territoires. 1987 LAnnée internationale du logement des sans-abri, proclamée par les Nations Unies, attire lattention sur les sans-abri et sur la nécessité de déployer des efforts à léchelle nationale et internationale pour améliorer le logement et le cadre de vie des pauvres du monde entier. 1989 Le ministre fédéral du Logement annonce quil espère instaurer un programme pour aider les acheteurs dune première maison, dici lautomne 1989. Ce programme réduirait à 5 p. 100 lacompte de 10 p. 100 actuellement exigé pour acheter une maison avec laide de la SCHL. 1990 Dans son budget de 1990, le gouvernement fédéral réduit de 51 millions de dollars sur deux ans le montant des nouveaux crédits promis pour le logement à coût modique. 1992 Dans son budget de 1992, le gouvernement fédéral met fin à son programme de logement coopératif. Au cours de son existence, ce programme a permis la construction de près de 60 000 foyers destinés à des Canadiens à faible revenu et à revenu modéré. 1993 Dans son budget davril 1993, le gouvernement fédéral annonce quil limite les fonds destinés au logement social au niveau actuel de deux milliards de dollars par an. 1995 Le budget fédéral de 1995 propose une diminution de 6 p. 100 des dépenses de la SCHL, soit 128 millions de dollars, jusquà lannée financière 1997-1998. 1998 Dans une résolution adoptée en novembre 1998, les maires des plus grandes villes du Canada déclarent que la situation des sans-abri atteint les proportions dune catastrophe nationale. 1999 Le 23 mars 1999, le premier ministre Jean Chrétien confie la coordination des activités reliées aux sans-abri à la ministre du Travail, lhonorable Claudette Bradshaw. 1999 En décembre 1999, le gouvernement fédéral annonce quil investira 753 millions de dollars au cours des trois prochaines années pour venir en aide aux personnes itinérantes, dont 268 millions de dollars pour le Programme daide à la remise en état des logements (PAREL). (1) Mayors Homelessness Action Task Force, Taking Responsibility for Homelessness. An Action Plan for Toronto, Mayors Homelessness Action Task Force, Toronto, 1999. (2) Pour plus dinformations sur les villes qui recevront une partie de ce montant, consulter le document intitulé Partenaires locaux à ladresse Internet suivante : http://www.hrdc-drhc.gc.ca/nsh-snsa/cities/researchcity_f.html. PERSPECTIVES INTERNATIONALES SUR LES FACTEURS Rédaction : Le phénomène de litinérance na rien de nouveau. Il existe depuis des siècles sous des formes variées. Sil retient plus lattention et suscite davantage de préoccupations de nos jours, cest que sa présence et ses effets se manifestent plus quavant en milieu urbain. Dans ce module, nous examinons le phénomène des sans-abri à létranger. Certes, les régimes économiques, juridiques et sociaux des divers pays sont parfois très différents, ce qui rend les comparaisons difficiles. Cependant, même limitées, celles-ci demeurent utiles, car elles permettent de mieux comprendre lévolution du phénomène dans des contextes différents et pourraient de ce fait aider à cerner les principaux facteurs qui y contribuent. Les chercheurs américains étudient litinérance depuis le début du siècle et ont donc lavantage de lexpérience. Leurs recherches, décrites ci-dessous, pourraient contenir des observations utiles pour le Canada. À la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe, les sans-abri, constitués surtout de travailleurs itinérants célibataires, se retrouvaient dans les quartiers pauvres des villes américaines. Leur nombre a crû jusque dans les années 20 où la mécanisation a considérablement réduit la demande de main-doeuvre non qualifiée. La Crise de 1929 a eu pour effet de gonfler considérablement la population des sans-abri. Les emplois étaient rares, voire inexistants, et un grand nombre dhommes valides se sont retrouvés parmi une masse considérable de chômeurs menant une vie nomade. Leur nombre était si grand que les logements des quartiers pauvres ne suffisaient parfois plus. Beaucoup étaient logés dans des abris durgence, dans des camps spéciaux installés aux abords des villes. Lorsquil ny avait plus de place dans les abris de fortune, ils étaient parfois simplement refoulés. La Seconde Guerre mondiale a fait baisser substantiellement le nombre des sans-abri, car un bon nombre dentre eux ont soit intégré les forces armées, soit trouvé du travail dans les industries de guerre naissantes. La population de sans-abri a donc beaucoup diminué, mais sans disparaître totalement. Dans les années 50, les itinérants sans famille étaient généralement concentrés dans les quartiers pauvres des villes où se trouvaient hôtels et restaurants modiques, bistrots, missions religieuses et agences de placement. Ce que nous appelons maintenant la définition stricte du phénomène des sans-abri, où les gens nont littéralement pas dendroit pour se loger, nexistait pas de la même manière à lépoque, car la plupart des pauvres pouvaient facilement trouver à shéberger dans des maisons de chambres, des hôtels miteux ou autres galetas. En fait, une très petite minorité seulement des itinérants étaient forcés de passer la nuit dans la rue. En outre, jusquà la fin des années 50, cette population était plus ou moins intégrée à léconomie urbaine. Comme les quartiers pauvres étaient souvent situés à proximité de centres de transport comme des gares de triage ou des gares routières de marchandises, les personnes seules et les travailleurs migrants pouvaient assez facilement trouver du travail, généralement du travail temporaire comme manoeuvre ou journalier. Dans les années 60 et 70, la plupart des chercheurs pensaient que ces quartiers pauvres étaient voués à disparaître. Daprès eux, la baisse substantielle du nombre des itinérants et les taux dinoccupation élevés dans les hôtels à cubicules étaient les signes de la disparition imminente de ces quartiers. En outre, la mécanisation continue des tâches non spécialisées dans les années 60 et 70 a érodé davantage la fonction économique de ces quartiers comme source de main-doeuvre bon marché. Une enquête réalisée dans 41 villes américaines a montré que les populations des quartiers pauvres avaient baissé de 50 p. 100 entre 1950 et 1970. De plus, là où la demande de travailleurs non spécialisés avait chuté, la baisse de ces populations était relativement plus importante(1). Cependant, lannonce de la disparition prochaine des quartiers pauvres et des sans-abri était prématurée. Si la plupart des bouges et des hôtels miteux ont été démolis pour céder la place à des immeubles de rapport et à des tours à bureaux, les itinérants nont pas disparu, bien au contraire. Ils sont même devenus plus visibles du fait de la modification de leur composition à la fin des années 70 et dans les années 80. B. Études américaines : explications possibles de laugmentation du nombre des sans-abri 1. La baisse du parc de logements à prix modique Le sociologue américain Peter H. Rossi attribue laugmentation récente du nombre des sans-abri aux États-Unis principalement à la disparition du paysage urbain des quartiers pauvres qui, de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe étaient une source de logements à prix modique et demplois pour les travailleurs non qualifiés. Bien sûr, ces logements étaient pour la plupart insalubres, mais ils offraient néanmoins un abri pour la nuit aux vagabonds et aux migrants, dont une petite partie seulement se retrouvaient à la rue. Selon Rossi, le renouveau urbain qui sest produit de la fin des années 50 jusquau début des années 70 a fait disparaître les logements insalubres peu coûteux, mais sans les remplacer par des logements abordables.
La progression du nombre des sans-abri est le produit de deux tendances opposées que lon observe aux États-Unis ces dernières années : linsuffisance du parc de logements à prix modique pour les pauvres et laugmentation du nombre des ménages urbains qui vivent au seuil de pauvreté ou en dessous. Daprès Rossi, la réduction du parc de logements à prix modique résulte, entre autres, du fait que les fonds fédéraux consacrés à la construction de logements sociaux ou au versement de subventions dhébergement aux pauvres naugmentent plus, voire diminuent. À cause de la disparition des logements à prix modique, les pauvres sont forcés de consacrer une plus forte proportion de leurs revenus au logement ou, sils nont pas assez dargent ou pas du tout, ils ne trouvent plus à se loger nulle part. 2. La baisse du marché des emplois occasionnels Les quartiers pauvres jouaient aussi un rôle important dans la mesure où ils étaient une source douvriers non spécialisés pour les employeurs qui avaient besoin de travailleurs temporaires, généralement de façon saisonnière. La réduction du marché des emplois occasionnels dans les économies urbaines, observée dans lensemble des États-Unis entre les années 50 et les années 70, a grandement contribué au déclin des quartiers pauvres. Rossi cite une étude réalisée en 1980 par Barrett Lee qui portait sur les populations des quartiers pauvres de 41 villes américaines durant cette période. Létude a montré une corrélation positive entre la baisse de la proportion de la main-doeuvre de chaque ville occupant des emplois non spécialisés ou des emplois du secteur des services et la diminution de la population des quartiers pauvres.
Du milieu des années 60 au milieu des années 80, les gains et les perspectives demploi des travailleurs américains de moins de 35 ans se sont détériorés en même temps que progressait la population des sans-abri et que lâge moyen des sans-abri diminuait. Ces tendances démographiques et du marché du travail ont eu dimportantes répercussions sur la formation des ménages et des familles. Laugmentation du nombre des ménages dirigés par un parent seul, souvent une femme, observée ces dernières décennies résulte en partie de la détérioration des perspectives économiques des jeunes hommes. Les jeunes hommes dont lavenir financier est incertain sont moins susceptibles de se mettre en ménage et moins en mesure dassumer des responsabilités conjugales et familiales. 3. La désinstitutionnalisation Une idée répandue veut que le phénomène des sans-abri se soit sensiblement aggravé ou soit devenu plus visible lorsque les institutions psychiatriques se sont mises à donner leur congé à des malades jusque là institutionnalisés pour des soins de longue durée, pratique que lon a appelée la « désinstitutionnalisation ». Or, la désinstitutionnalisation ne peut expliquer au mieux quune partie seulement du phénomène des sans-abri, car elle ne sest pas produite du jour au lendemain, mais a commencé progressivement dans les années 40 jusquau début des années 50 pour culminer à la fin des années 70 et au début des années 80. Autrement dit, comment un phénomène qui a commencé il y quarante ans peut-il avoir contribué à une hausse de la population des sans-abri qui a été observée dans les années 80? Dans son ouvrage The Homeless, Christopher Jencks affirme que la désinstitutionnalisation a effectivement contribué à augmenter litinérance aux États-Unis, mais seulement après 1975, lorsque les hôpitaux psychiatriques ont été forcés de donner leur congé à un grand nombre de malades assez perturbés qui, en dautres temps, seraient demeurés hospitalisés. Dans le passé, les ex-malades psychiatriques étaient hébergés par leur famille ou vivaient dans des foyers ou des maisons de chambres à prix modique. Cependant, loffre de ce type de logement a commencé à diminuer dans les années 60 et 70 pour finalement disparaître au début des années 80, au moment où la demande montait. Jencks va plus loin et affirme que si les personnes désinstitutionnalisées avant 1975 lont été pour des raisons scientifiques (par exemple, arrivée des médicaments psychotropes, psychiatrie communautaire, etc.), ceux qui lont été après lont été pour des raisons strictement financières(4). Brendan OFlaherty contredit pour sa part la théorie de Jencks et présente des données empiriques montrant que la désinstitutionnalisation, si elle a contribué au phénomène de litinérance, la fait de façon très marginale. Selon OFlaherty, la désinstitutionnalisation des malades mentaux a eu lieu entre 1960 et 1975 et un grand nombre des anciens malades mentaux ont trouvé un logement privé. Après 1975, le mouvement de désinstitutionnalisation a été plus que compensé par les admissions de malades mentaux dans les maisons de repos et dans les prisons(5). 4. Lalcoolisme, les toxicomanies et lavènement du crack Lalcoolisme et les toxicomanies sont une autre cause possible de litinérance. De multiples enquêtes statistiques sur la population des sans-abri indiquent quune minorité importante des sans-abri sont des alcooliques chroniques ou se droguent. Rossi affirme que les deux tiers des sans-abri ne sont pas des malades mentaux, les trois cinquièmes ne sont pas des alcooliques, les trois cinquièmes nont pas de handicap physique et 90 p. 100 ne sont pas des toxicomanes. Les alcooliques et les toxicomanes constituent une minorité non négligeable, certes, mais quand même une minorité, parmi les sans-abri. Les avis sont très partagés sur limportance des toxicomanies comme cause de litinérance. Il reste cependant que les toxicomanies semblent contribuer à maintenir les sans-abri dans la rue parce quils sont encore moins employables, parce que les drogues grugent leurs maigres ressources et les détachent de leurs amis et de leur famille qui seraient peut-être autrement disposés à les accueillir et à les aider. Dans The Homeless, Jencks impute en partie laugmentation du nombre des adultes sans-abri dans les années 80 à une désinstitutionnalisation mal planifiée des malades psychiatriques et au crack. Étant donné quune bonne proportion des sans-abri boivent ou se droguent, Jencks affirme que « quelles que soient leurs ressources actuelles, force est de supposer quune bonne partie des sans-abri daujourdhui achèteront de la drogue ou de lalcool sils peuvent mettre la main sur de largent ». OFlaherty nest pas de cet avis, convaincu que la désinstitutionnalisation et lalcoolisme et les toxicomanies jouent un rôle probablement négligeable dans laugmentation de litinérance. Selon lui, de 5 à 7 p. 100 des adultes célibataires des refuges sont des consommateurs « occasionnels » dhéroïne. Lapparition du crack, qui est relativement bon marché par rapport à lhéroïne, modifie la dynamique des choix et conséquences qui soffrent aux toxicomanes. À titre dexemple, une personne qui consommerait du crack plutôt que de lhéroïne pourrait disposer de ressources financières plus importantes à consacrer au logement, ce qui, hypothétiquement, pourrait mener à une réduction du nombre de sans-abri. Mais selon OFlaherty, dans lensemble, la contribution des toxicomanies au phénomène de litinérance est fort probablement modeste sinon très faible. 5. Les changements dans la distribution des revenus Dans Making Room: The Economics of Homelessness, OFlaherty attribue laugmentation récente du nombre de sans-abri à lévolution de la distribution du revenu des ménages et au prix du logement(6). Après avoir analysé des données sur le revenu et le prix du logement dans trois villes américaines, OFlaherty conclut que litinérance a augmenté le plus rapidement dans les villes où le revenu de la classe indigente et de la classe moyenne inférieure a le plus reculé. OFlaherty croit quune évolution défavorable de la distribution du revenu des ménages et du prix du logement a rendu inopérant le processus habituel selon lequel les nouvelles maisons sont achetées par les ménages à revenu moyen ou élevé, et le prix relatif des maisons existantes diminue, ce qui le rend intéressant pour les ménages dont le revenu est moins élevé(7). Or, le revenu de la classe moyenne na pas progressé dans les années 80, si bien que cette classe na pas eu les moyens demménager dans des maisons neuves et de libérer ainsi des logements au profit des classes moins fortunées. Bref, la stagnation du revenu de la classe moyenne et laugmentation du prix du logement ont empêché les moins fortunés de tirer parti des logements disponibles, ce qui a occasionné une pénurie de logements abordables. Comme le dit OFlaherty, la distribution des revenus a changé, ce qui a fait changer les prix des logements, ce qui a accru litinérance. Litinérance entraîne l'ouverture de refuges, qui à son tour entraîne davantage ditinérance. (1) Barrett A. Lee, « The Disappearance of Skid Row: Some Ecological Evidence », Urban Affairs Quarterly vol. 16, no 1, septembre 1980, p. 81-107. (2) Peter H. Rossi, Without Shelter: Homelessness in the 1980s, New York, Priority Press Publications, 1989, p. 31. (3) Ibid., p. 35 (traduction). (4) Christopher Jencks, The Homeless, Harvard University Press, 1994. (5) Brendon OFlaherty, Making Room: The Economics of Homelessness, Harvard University Press, 1996. (6) OFlaherty (1996). (7) George Fallis, « The Social Policy Challenge and Social Housing », dans John Richards (dir.), Home Remedies: Rethinking Canadian Housing Policy, Vancouver, C.D. Howe Institute, 1995, p. 8. |