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Discours du commissaire

Faire une différence durable dans le système correctionnel

Allocution prononcée par :

Lucie McClung
Commissaire du Service correctionnel du Canada
le 8 novembre 2003




Présentée au 29e Congrès canadien de justice pénale
" De l'espoir par-delà la souffrance : Les drogues, le crime et la société canadienne "
du 5 au 8 novembre 2003
Vancouver (Colombie-Britannique)




Seul le discours prononcé fait foi


1. Introduction

Bonjour Mesdames et Messieurs. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Le Service correctionnel du Canada est heureux d'appuyer cette conférence.

L'intégration est l'un des défis auxquels le système de justice pénale doit faire face aujourd'hui. Il nous faut démontrer au public canadien que les divers intervenants du système collaborent étroitement pour atteindre des objectifs communs même si leurs préoccupations ou leurs activités au quotidien sont quelque peu différentes.

Aller au-delà du sensationnalisme est essentiel pour éviter de simplifier une matière très complexe. C'est seulement en déployant des efforts concertés que nous parviendrons à refléter les valeurs canadiennes empreintes de compassion et d'espoir envers les gens qui vivent des situations où la souffrance est omniprésente.

Le thème de la présente conférence représente bien ces valeurs canadiennes face à l'adversité.

L'espoir par-delà la souffrance suppose une intervention active. Et une intervention active suppose un transfert d'énergie et d'espoir. Il faut croire que l'autre peut faire mieux même s'il n'y croit pas ou qu'il ne peut entrevoir un avenir meilleur pour lui même. C'est là l'essence même de l'intervention.

Elle nécessite que l'on fasse attention à ce qui se passe ailleurs et à ce qui attend simplement d'être découvert.

Il y a deux semaines, j'ai lu un article d'opinion intéressant dans le quotidien Montreal Gazette, qui faisait bien ressortir le débat entourant le programme de lieu d'injection supervisé mis en œuvre ici à Vancouver et ceux qui sont prévus pour Montréal et Toronto.

Vous allez entendre parler davantage de ce projet et d'autres projets semblables plus tard dans la journée. D'après l'article, le but de ces programmes consiste d'abord à stabiliser les patients en leur fournissant de l'héroïne, puis à travailler avec eux lors d'une cure de sevrage tout en les appuyant dans leur démarche.

Dans cet article d'opinion, le journaliste Peter Hadekel déclare, et je cite : [Traduction] " D'un point de vue moral, il est difficile de contester la réduction des méfaits. Une toxicomane qui se pique au fond d'une ruelle se fait beaucoup de tort et en fait à d'autres. Elle risque de contracter le VIH ou l'hépatite C par l'échange de seringues. Elle peut s'adonner à la prostitution ou au crime pour alimenter sa dépendance. Les coûts qu'elle s'impose et ceux imputés à la société sont considérables. Il semblerait sage de sortir ces gens de la rue et de les mettre à l'abri du danger. "

Mais le passage qui a vraiment retenu mon attention, c'est lorsque M. Hadekel prétend qu' [Traduction] "… un tel raisonnement sous-entend que l'on ne peut pas faire beaucoup plus pour ces gens… ".

Est-ce vrai ? Est-ce que cela signifie que nous renonçons à les aider ?

Le fait que nous soyons tous ici présents témoigne, je pense, de notre détermination de ne pas les abandonner à leur sort. En même temps, nous savons qu'il est tout aussi important d'être réalistes et pratiques que d'être pleins d'espoir et de penser à long terme.

Comme l'a dit le Dr Patrick Smith du Centre de toxicomanie et de santé mentale dans son discours liminaire à l'ouverture de cette conférence, il y a la réduction des méfaits et l'acceptation des méfaits. L'acceptation des méfaits ne m'intéresse pas. Par conséquent, nous devons constamment chercher de meilleures façons d'effectuer notre travail.

Nous devons essayer de repérer les toxicomanes qui ont besoin d'aide et de déterminer les problèmes particuliers sur lesquels il faut se pencher. Dans le cas des délinquants, ces problèmes peuvent être graves et peuvent varier grandement. Nous devons également faire participer les gens qui ont besoin de traitement en fonction du type d'aide dont ils ont besoin. Il faut réellement s'engager sur le plan individuel.

Et, bien entendu, nous avons besoin d'offrir divers traitements disponibles, tant à l'intérieur de nos établissements qu'après la mise en liberté dans nos collectivités afin de composer avec l'ensemble des problèmes de toxicomanie et leur degré de gravité. Ce n'est qu'en agissant ainsi que nous parviendrons à trouver des moyens de réduire au minimum les méfaits liés à la consommation de drogues.

Il est clair qu'il existe un lien entre la consommation de drogues et la criminalité. Environ 80 p. 100 des délinquants sous responsabilité fédérale ont des problèmes de toxicomanie. D'après les sondages menés auprès des délinquants canadiens, au moins un délinquant sur deux avait fait usage d'alcool ou de drogues le jour de son infraction.

Donc, il est clair qu'un lien existe entre les deux. Mais quelle est au juste la nature de ce lien ? La consommation de drogues entraîne-t-elle la criminalité, ou est-ce seulement une partie du mode de vie de personnes ayant des penchants criminels ? Où, quand et avec qui devrions-nous intervenir - et dans quel but ? Voilà quelques questions qui nous incitent à mieux comprendre la toxicomanie et à mieux y faire face.

Mon intention ce matin est de vous entretenir sur les efforts que nous avons déployés afin d'affronter le problème de toxicomanie dans les établissements correctionnels. J'espère ensuite vous mettre au défi, comme je l'ai été, pour que vous réfléchissiez à la direction que nous devons prendre. J'ai réservé beaucoup de temps à la fin pour répondre à vos questions.

2. Où en sommes-nous ?

Nous avons parcouru beaucoup de chemin au cours des vingt dernières années à essayer de comprendre et de résoudre le problème de toxicomanie au sein de la population des délinquants. Et lorsque je dis " nous ", je veux dire le Service correctionnel du Canada, de concert avec beaucoup d'entre vous, les membres du public, les organismes de santé, les organismes communautaires, les services responsables de l'application des lois, le milieu universitaire et nos collègues des ministères, du gouvernement fédéral, des provinces, des territoires et des administrations municipales. Comme le souligne la Stratégie canadienne antidrogue, il n'y a pas un ministère qui peut résoudre le problème seul, et il n'y a pas une approche qui suffit à elle-même.

Je vous ai préparé une brève description de quelques-unes des principales initiatives entreprises par le Service correctionnel du Canada afin de répondre aux besoins de nos délinquants toxicomanes. J'ai encadré nos initiatives selon l'approche des quatre piliers adoptée par la ville de Vancouver dans sa stratégie de lutte contre la toxicomanie. Les quatre piliers sont la prévention, le traitement, la mise en application et la réduction des méfaits. Je trouve le cadre utile également pour discuter de notre travail.

I. La prévention

C'est le premier pilier.

Près de quatre délinquants sur cinq sont admis dans nos établissements avec un problème de consommation d'alcool, de drogues ou une combinaison des deux. Nos efforts de prévention sont donc largement axés sur l'offre de renseignements sur les programmes de lutte contre la toxicomanie et d'autres sources de soutien disponibles. Nous fournissons également à tous les délinquants des renseignements sur des sujets tels que les maladies infectieuses et les comportements à risque élevé en milieu carcéral.

En outre, notre programme de traitement destiné aux délinquantes traite des effets de la consommation de drogues durant la grossesse et des moyens de composer avec ces effets après la naissance de l'enfant.

II. Le traitement

Le deuxième pilier de la lutte contre la toxicomanie est le traitement. Comment savoir qui a besoin de traitement contre la toxicomanie ?

En fait, nous possédons un outil d'évaluation informatisé qui, la recherche l'a démontré, réussissait bien à identifier les délinquants qui étaient susceptibles d'avoir des problèmes de toxicomanie et avaient besoin de traitement. Nous sommes en train d'améliorer cet outil et de lui ajouter une composante sonore.

Comme vous avez pu le constater plus tôt au cours de la conférence, nous menons actuellement des recherches sur les troubles du spectre de l'alcoolisme fœtal (TSAT). Ces troubles atteignent, entre autres, les habiletés cognitives d'une personne, et les délinquants qui en souffrent peuvent avoir besoin d'une intervention spécialisée. Compte tenu de cette réalité, nous avons besoin de trouver des moyens d'évaluer l'incidence du TSAT chez nos délinquants et de déterminer ceux qui sont à risque.

Une fois que nous avons établi qui a besoin d'intervention, nous pouvons compter sur une panoplie de traitements à l'intérieur de nos établissements comme dans la collectivité.

Nous avons mis au point des programmes de traitement cognitivo-comportemental de la toxicomanie avec divers degrés d'intensité et de durée, y compris un de haute intensité. Un comité d'experts international a accrédité quatre de ces programmes, lesquels feront l'objet d'un renouvellement de l'accréditation en décembre.

Nous sommes en train de faire l'essai d'un programme de lutte contre la toxicomanie conçu expressément pour les délinquantes. Il offre de la formation et de la sensibilisation à toutes les délinquantes admises dans un établissement. Un traitement intense est aussi offert avec un fort accent holistique accompagné de programmes de prévention des rechutes et de suivi. On estime qu'au moins 70 p. 100 des délinquantes ont des problèmes de toxicomanie.

De plus, ce programme a été conçu expressément pour les délinquantes, du début jusqu'à la fin, contrairement à un programme axé sur les délinquants qui est ensuite adapté à l'usage des délinquantes. C'est le résultat des efforts de collaboration de bien des personnes, dont notre Centre de recherche en toxicomanie et les nombreux partenaires partout au pays et dans le monde, comme le Centre de toxicomanie et de santé mentale et les délinquantes elles-mêmes.

Un programme de traitement pour les délinquants autochtones, qui représentent 17 p. 100 de la population carcérale, est en cours d'élaboration par les membres des collectivités autochtones sous la direction du Centre de recherche en toxicomanie et de nos spécialistes de programmes et d'initiatives autochtones.

Près de 80 p. 100 des délinquants autochtones déclarent consommer des drogues ou de l'alcool dès leur jeune âge, et environ 90 p. 100 ont des besoins particulièrement élevés dans le domaine de la toxicomanie. De toute évidence, cela demeure un domaine où beaucoup de travail doit être fait et où l'on doit tirer parti de l'expertise de la collectivité autochtone.

III. La mise en oeuvre

La mise en oeuvre est le troisième pilier, si vous voulez, de notre approche pour contrer la toxicomanie.

Un sondage mené auprès des détenus en 1995 a découvert que plus d'un tiers (38 p. 100) avaient déclaré consommer au moins une drogue illicite depuis leur arrivée à leur établissement actuel. Comme la population carcérale est profondément enracinée dans la culture de la drogue, c'est un défi important que de maintenir les drogues à l'extérieur des pénitenciers. Cette situation surprend presque tous les gens qui ne sont pas associés au secteur correctionnel. Pourtant, il s'agit du problème numéro un de toutes les administrations correctionnelles du monde.

Les délinquants qui ont un problème grave de toxicomanie lors de leur admission continuent d'en avoir un pendant leur incarcération. Voilà une réalité que bien des gens ont tendance à oublier.

Nous avons recours à des tactiques véritablement éprouvées et tirons profit de la technologie de pointe pour réduire l'approvisionnement de drogues dans nos établissements. Par exemple, nous utilisons toute la gamme de techniques de fouille ainsi que des chiens-détecteurs de drogue, des balayeurs ioniques, des analyses d'urine et un réseau de renseignement antidrogue.

Il convient de mentionner que notre politique de tolérance zéro face aux drogues est axée sur le fait d'éviter l'entrée de drogues dans nos établissements et non sur le fait d'interdire l'entrée de citoyens, de bénévoles et de visiteurs dans nos établissements. Les bénévoles et les visiteurs sont des composantes importantes de notre travail pour aider les délinquants à changer leur mode de vie.

Nous devons mettre en place des protocoles efficaces pour l'utilisation de ces outils et, dernièrement, M. Graham Stewart, de la Société John Howard, a fait ressortir des problèmes, comme un manque d'uniformité dans l'application, une gestion déficiente des dossiers, ainsi que la nécessité d'évaluer soigneusement les répercussions sur notre capacité de remplir les obligations prévues dans la loi qui nous régit.

Permettez-vous de vous expliquer ce que signifie notre politique de tolérance zéro. Il ne s'agit pas de fermer les yeux devant la réalité à laquelle nous devons faire face. C'est tout à fait l'inverse. Il s'agit de garder les yeux bien ouverts et de prendre les mesures qui s'imposent.

IV. La réduction des méfaits

Le quatrième pilier est la réduction des méfaits.

En dépit de nos meilleurs efforts pour réduire l'approvisionnement de drogues dans nos établissements ainsi que la demande chez les délinquants pour les obtenir, elles continueront toujours de rentrer en prison.

Il est donc sensé, conformément aux normes de santé communautaire, de se pencher sur la réduction des méfaits qui sont liés à la consommation.

En vertu du programme d'éducation par les pairs, des détenus bénévoles reçoivent de l'information sur les comportements à risque élevé et les maladies infectieuses. Ces bénévoles contribuent ensuite à sensibiliser les autres détenus et à les informer à propos d'endroits où ils peuvent obtenir de plus amples renseignements.

Nous encourageons les délinquants à subir un test de dépistage des maladies infectieuses dès leur admission dans l'établissement ou à n'importe quel moment durant leur incarcération. Ce test est accompagné de counseling pour appuyer les messages de réduction des méfaits et s'assurer que les détenus comprennent les résultats du test.

Pour éviter la propagation des maladies infectieuses, nous distribuons des condoms, des lubrifiants et des digues dentaires. Nous faisons également la promotion de l'immunisation contre l'hépatite A et B. Conscients que de nombreuses maladies infectieuses sont propagées par l'utilisation d'accessoires de fabrication artisanale, nous fournissons de l'eau de Javel. Nous pesons également le pour et le contre de fournir aux détenus de l'équipement sécuritaire pour le tatouage.

Le traitement d'entretien à la méthadone est offert à tous les délinquants qui en ont besoin. Comme la plupart d'entre vous le savent, ce traitement est utilisé pour stabiliser le comportement de gens qui sont dépendants des opiacés en leur fournissant de la méthadone, une drogue offerte légalement comme substitut aux opiacés. Même si elle ne produit pas un état euphorique, elle réduit les effets du sevrage. Ce nouveau programme donne déjà des résultats positifs. De nombreux membres du personnel signalent des changements de comportement dramatiques chez des détenus qui prennent de la méthadone. Entre autres, ils communiquent mieux, ils sont plus motivés à suivre des programmes et ils ont moins de problèmes d'ordre disciplinaire.

Tous les délinquants qui reçoivent des traitements médicaux complexes, tels que l'entretien à la méthadone, des traitements contre le VIH ou l'hépatite C, sont liés à des systèmes de soutien communautaires lorsqu'ils sont libérés de leur établissement.

V. Un cinquième pilier : partager les leçons apprises

Un cinquième pilier vient appuyer les quatre autres.

Il s'agit plutôt d'un principe directeur pour tout ce que nous faisons. Il s'agit de s'engager à apprendre de nouvelles choses des autres sur un sujet donné et de partager ce que nous savons également. À cette fin, nous avons le Centre de recherche en toxicomanie dont le mandat est d'améliorer les politiques correctionnelles, les programmes et les méthodes de gestion liés à la toxicomanie par la création et la diffusion des connaissances et de l'expertise. Je connais des membres du personnel du Centre qui ont participé activement à l'élaboration de l'ordre du jour de cette conférence.

Le printemps dernier, le Centre de recherche en toxicomanie a organisé le Forum d'experts internationaux sur la toxicomanie et sur la justice pénale avec la participation de 160 délégués de 11 pays, y compris les représentants de la plupart des provinces et des territoires, ainsi que de nombreux organismes provinciaux de lutte contre la toxicomanie.

3. Quel chemin avons-nous parcouru ?

Je suis fière de la façon dont nous avons élaboré la plupart de nos initiatives en nous appuyant sur un fondement solide axé sur la recherche, la connaissance et l'expérience.

Je suis fière de la manière dont nous avons équilibré nos efforts de réduction de l'approvisionnement avec la réduction de la demande.

Je suis également fière des résultats qui découlent de nos études d'évaluation des programmes, démontrant un effet sur la récidive. Une évaluation de 1999, par exemple, a révélé que les délinquants qui avaient terminé le Programme prélibératoire pour toxicomanes (un programme visant les délinquants avec des problèmes de toxicomanie allant de modérés à graves) manifestaient une baisse de 13 p. 10 du taux de réincarcération, une baisse de 29 p. 100 du taux de nouvelles condamnations et une baisse de 53 p. 100 du taux d'infractions avec violence dans l'année suivant la mise en liberté.

Parallèlement, notre programme communautaire de lutte contre la toxicomanie appelé Choix a démontré une baisse de 29 p. 100 du taux de réincarcération, une baisse de 56 p. 100 du taux de nouvelles condamnations et une baisse de 50 p. 100 du taux de réincarcération pour les délinquants aux prises avec de graves problèmes de toxicomanie.

4. Vers quoi devons-nous nous diriger ?

Manifestement, nous avons parcouru beaucoup de chemin.

Toutefois, je suis venue ici pour vous entretenir sur la façon de faire véritablement une différence, et la seule façon que nous pouvons le faire, je crois, c'est de constamment remettre en question ce que nous faisons, pourquoi et comment nous le faisons. Donc vers quoi devons-nous nous diriger maintenant ?

En laissant mûrir mes idées pour cet exposé, j'en ai profité pour demander à plusieurs personnes dans diverses régions du pays de me donner leur point de vue sur ce que le système correctionnel devrait faire pour s'attaquer sérieusement au problème de la toxicomanie. Je voudrais consacrer le reste du temps de mon exposé à traiter des défis qui se posent à nous.

A. Reconnaître la complexité de notre population

L'une des personnes avec qui nous nous sommes entretenus est le Dr Patrick Smith du Centre de toxicomanie et de santé mentale. Vous avez eu le plaisir de l'entendre prononcer le discours-programme de cette conférence. Ce dernier croit que nous avons besoin de reconnaître que la population carcérale aux prises avec des problèmes de toxicomanie est beaucoup plus complexe qu'on ne le pense, et que ses préoccupations et problèmes sont plus compliqués que ceux des toxicomanes au sein de la population en général. Quelles sont les répercussions de ce constat ?

Selon le Dr Smith, les toxicomanes dans le système correctionnel présentent une panoplie de troubles de santé mentale concomitants et d'autres besoins outre leur toxicomanie. Vu l'étendue des problèmes, nous avons besoin d'une gamme d'options en matière de traitement. Plus le problème de la toxicomanie est complexe, plus le traitement doit l'être.

Il faudra comprendre que certaines monographies, dans le cadre desquelles on a évalué le traitement au sein des populations à l'extérieur du système correctionnel, peuvent ne pas résoudre toutes les difficultés de nos populations carcérales. On ne peut donc pas s'attendre à pouvoir simplement " transposer " un programme de traitement ayant obtenu de grands résultats au sein de la collectivité dans le contexte visant la clientèle de notre système correctionnel.

En outre, nous devons explorer les programmes complexes de traitement dans nos populations carcérales et établir des programmes structurés autour de la complexité de nos populations. En effet, l'un des principes derrière notre Programme d'intervention pour délinquantes toxicomanes est qu'il a été conçu expressément pour des femmes et leurs besoins complexes. Nous croyons que nos programmes doivent être basés sur ce qui marche - c'est à dire qu'ils doivent être fondés sur les résultats - mais ils doivent aussi reconnaître les besoins complexes des sous-groupes au sein de notre population, comme les délinquantes et les délinquants autochtones.

B. Formuler les questions

Les programmes de lutte contre la toxicomanie actuellement en place à l'échelle nationale par le Service correctionnel du Canada ont été d'abord mis à l'essai sur une base expérimentale et ensuite appliqués à partir des résultats de l'essai, avec une composante de recherche et d'évaluation incorporée dans la conception des programmes. Cela signifie que nos programmes sont fondés sur la recherche et sont soumis à des évaluations périodiques ainsi qu'à une recherche continue afin de déterminer leur effet sur la récidive, entre autres.

Mais Mme Lynn Lightfoot, psychologue clinicienne en Ontario qui a consacré de nombreuses années à travailler dans ce domaine, m'a rappelé que de nombreuses questions n'ont toujours pas de réponses. Dans un chapitre qu'elle a rédigé pour notre Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, elle pose les questions suivantes :

  • Certains traitements fonctionnent-ils mieux pour certains " types " de délinquants ?
  • Comment déterminer auprès de quels " types " de délinquants intervenir?
  • Certaines substances sont-elles liées plus étroitement à des comportements criminels que d'autres, ou notre but devrait-il être d'éliminer tout usage de drogues ?
  • Les délinquants doivent-ils participer volontairement au traitement pour qu'il fonctionne, ou un traitement obligatoire vaut-il la peine ?
  • Pendant combien de temps un délinquant doit-il suivre un traitement pour qu'il soit efficace ?
  • L'abstinence est-elle le seul objectif raisonnable pour le traitement du délinquant, ou la modération et la réduction des méfaits conviennent-elles à certains délinquants ?

Monsieur Daniel Sansfaçon a posé des défis similaires à notre définition de la toxicomanie. Ce dernier est présentement sous-directeur général du Centre international pour la prévention de la criminalité à Montréal et a été directeur général de la recherche pour le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.

L'une des premières questions qu'il nous a posée lorsque nous lui avons parlé était celle ci : [Traduction] " Comment définissez-vous les drogues ? L'alcool est-il compris dans votre définition ? " Il considère que même s'il est licite, l'alcool devrait être compris dans la définition de " drogue ".

Pourquoi ? Car, selon lui, [Traduction] " l'alcool est en fait un facteur important qui contribue à la criminalité, notamment la violence contre la personne, comme le sont les autres drogues illicites ".

Des preuves le démontrent. Dans une analyse des données touchant près de 8 600 délinquants sous responsabilité fédérale, on a découvert que les crimes violents étaient les infractions les plus courantes perpétrées par les délinquants qui avaient consommé de l'alcool le jour de leur infraction. Proportionnellement, il y avait plus de cas de consommation d'alcool (sans drogue) le jour du crime chez les délinquants incarcérés pour avoir perpétré des crimes violents, y compris les voies de fait (38 p. 100), les meurtres (31 p. 100) ou les agressions sexuelles (30 p. 100), que tout autre crime.

La consommation de drogues, soit exclusivement ou combinée avec la consommation d'alcool, le jour du crime, était fortement liée à des crimes de possession, comme le vol, le vol qualifié et l'introduction par effraction.

Le Dr Sansfaçon a aussi mis en cause notre définition de l'" abus ", en se demandant si l'abstinence était un objectif réaliste pour les délinquants.

Il croit que l'abstinence peut être un but souhaitable et possible, mais non essentiel, et, parfois, elle peut nuire au traitement. Il laisse entendre que les rechutes ne devraient pas être liées aux sanctions, car la consommation de drogues ne mène pas forcément à la récidive. Il suggère de voir les objectifs de traitement à la lumière de la " réduction des méfaits ", c'est-à-dire que l'objectif du traitement de la toxicomanie pour l'individu doit être de réduire ou de mieux maîtriser sa consommation de drogues.

Il est allé jusqu'à dire que nous devions poursuivre notre beau travail d'évaluation de nos efforts de traitement, en particulier à long terme, et poser des questions pointues dans notre recherche afin, selon lui, [Traduction] " de s'interroger sur la façon dont les différents facteurs entrent en jeu dans certains cas ". Il propose que nous posions les questions suivantes :

  • Quelles attitudes les agents de liberté conditionnelle doivent-ils adopter pour répondre avec succès aux besoins des délinquants mis en liberté qui ont des problèmes de toxicomanie ?
  • Quelles ressources sont nécessaires pour qu'un délinquant se sente appuyé dans la collectivité ?
  • Quelle sorte de surveillance intensive est nécessaire ?
  • Quelles sont les opinions des participants au programme de traitement sur les raisons qui font que le traitement fonctionne ?
  • Comment les réponses à ces questions peuvent-elles éclairer les personnes qui s'occupent de mettre en oeuvre les programmes sur ce qu'elles doivent faire dans des situations particulières ?

Le Dr Smith du Centre de toxicomanie et de santé mentale a posé une question tout aussi intéressante à savoir : qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Il peut être aussi important de s'interroger pour savoir pourquoi une stratégie particulière de traitement n'a pas fonctionné, tant du point de vue général que personnel.

Manifestement, on a encore beaucoup à découvrir sur ce qui fonctionne, pourquoi et comment fonctionne le traitement.

C. Poursuivre la réduction des méfaits

Un rapport publié par Santé Canada en 2001 intitulé " Réduire les méfaits associés à l'usage des drogues par injection au Canada " a recommandé que la collectivité de la santé " travaille de concert avec les services policiers et la justice, les divers niveaux de gouvernements, les groupes communautaires et d'autres pour promouvoir l'implantation, l'accès et l'efficacité des programmes d'échange de seringues et réduire les barrières à tous les niveaux, incluant la mise en place de projets pilotes dans les services correctionnels ".

Ce sentiment a été repris par le Dr Serge Brochu, directeur du Centre international de criminologie comparée à l'Université de Montréal. Il nous a dit qu'il croyait que la prochaine étape pour le secteur correctionnel est de poursuivre nos efforts de réduction des méfaits, notamment en lançant un programme d'échange de seringues dans nos établissements.

L'Enquêteur correctionnel a suggéré la même chose dans son rapport de 2002 2003.

Nous savons que des programmes d'échange de seringues sont offerts dans plusieurs localités au Canada. Nous l'avons vu ici à Vancouver.

Nous savons également qu'il y a 19 prisons en Europe qui possèdent des programmes d'échange de seringues (en Suisse, en Allemagne et en Espagne). Des évaluations de ces programmes ont démontré aucune augmentation de consommation de drogues, une diminution d'échange de seringues entre les détenus, une réduction des surdoses et de violence en établissement et une augmentation du nombre d'utilisateurs de drogues s'inscrivant à des programmes de toxicomanie.

Voici quelques autres faits que nous savons :

  • Un délinquant sous responsabilité fédérale sur trois s'injectait des drogues avant d'être incarcéré.
  • Un sur dix s'est injecté des drogues durant son incarcération.
  • Près de 5 p. 100 des délinquantes et près de 2 p. 100 des délinquants ont déclaré avoir le VIH.
  • Environ 40 p. 100 des délinquantes et 23 p. 100 des délinquants vivent avec l'hépatite C.
  • Des antécédents d'usage de drogues par injection sont le facteur de risque le plus courant d'infection au HIV et à l'hépatite C parmi les détenus sous responsabilité fédérale.
  • Presque tous les détenus finissent par être mis en liberté dans la collectivité à un moment donné.
  • Presque tous les héroïnomanes, s'ils ne sont pas traités, retourneront à leur habitude dès leur mise en liberté.

On évalue que les coûts directs et indirects du VIH/sida attribués à l'usage de drogues par injection s'élèveront à 8,7 milliards de dollars sur une période de six ans si la tendance se maintient. Et on prévoit que les frais médicaux pour traiter les gens atteints de l'hépatite C dépasseront ceux consacrés au VIH/sida.

Nous avons la responsabilité de prendre soin de la santé de nos délinquants. Nous devons nous assurer de faire tout notre possible afin de réduire le risque posé par les délinquants lors de leur retour dans la collectivité. Nous avons également la responsabilité d'étudier attentivement tout ce que nous faisons qui aura une incidence sur nos délinquants, notre personnel et le public.

Dans le cadre de mon travail en tant que commissaire du Service correctionnel du Canada, j'ai souvent l'occasion de rencontrer des gens qui ne connaissent pas bien le contexte dans lequel fonctionne le secteur correctionnel canadien. En essayant de leur décrire quelques uns des grands défis et des récompenses que comporte mon travail, je dois souvent parler de la tension qui existe entre ceux qui demandent plus de maîtrise de notre gestion des délinquants et ceux qui demandent plus d'aide dans ce que nous offrons aux délinquants.

Et je me retrouve dans la même position en ce qui concerne le programme d'échange de seringues. Bien des gens, y compris notre personnel et les membres du public, ont d'importantes réserves à l'égard des mesures de réduction des méfaits qui semblent accepter une consommation de drogues chez les détenus. On compte du personnel de première ligne qui pense que ces mesures mettront leur sécurité en jeu. Certains membres du public ne comprennent pas pourquoi nous n'arrivons pas à éliminer les drogues de nos établissements. Ces préoccupations et ces questions sont légitimes.

En même temps, comme je l'ai décrit jusqu'ici, il y a de nombreuses personnes qui nous demandent de mener plus loin les mesures de réduction des méfaits afin de prévenir la propagation de maladies infectieuses graves. Ces personnes, aussi, partagent des préoccupations et des questions légitimes.

Je ne peux pas ignorer ni l'un ni l'autre de ces points de vue. En fait, je suis contente d'avoir les deux, puisqu'ils nous encouragent à faire tout notre possible pour étudier attentivement ce que nous faisons avant de le faire.

Heureusement, dans le secteur correctionnel, nous n'avons pas un auditoire qui accepte tout ce que nous faisons. Et c'est la raison pour laquelle nous ferons le maximum pour consulter tous les partenaires concernés, examiner tous les points de vue et toutes les preuves qui existent avant d'adopter un plan d'action.

Le personnel a insisté, durant notre évaluation du programme de traitement d'entretien à la méthadone, sur le fait que la méthadone en soi n'est pas utile. Elle doit plutôt être accompagnée d'un programme pertinent et de mesures de soutien social. J'abonde dans le même sens.

À vrai dire, je vois toute initiative de prévention, de traitement, de mise en oeuvre ou de réduction des méfaits comme un seul ingrédient dans un ensemble d'initiatives complexes visant à mieux comprendre les problèmes découlant de l'abus de drogues et d'alcool et à mieux y faire face.

5. Conclusion

Pour terminer, permettez-moi de vous dire que je crois que nous avons parcouru beaucoup de chemin dans le traitement de la toxicomanie en ce qui a trait à notre mandat correctionnel, mais je pense que nous pouvons aller plus loin.

Je suis encouragée par la manière dont les divers domaines des services de santé et les services policiers travaillent ensemble. Ce sont dans des moments comme ceux-là que je suis particulièrement fière des valeurs auxquelles nous tenons comme Canadiens.

Je suis également encouragée par l'évolution de la situation du Service correctionnel du Canada afin de traiter cette question complexe de manière pratique et fondée sur les résultats, et, pour laquelle, en passant, la recherche constitue maintenant une partie de l'infrastructure de presque tout ce que nous faisons.

Et je suis encouragée par les pistes de recherche réfléchies offertes par les présentateurs à cette conférence et d'autres qui ont des opinions éclairées à partager sur les défis qui nous attendent.

J'espère que nous pourrons poursuivre sur la lancée de cette conférence et trouver encore plus de façons de travailler et d'apprendre ensemble. Comme l'a dit le Dr Smith : [Traduction] " Continuons à appuyer des initiatives qui amènent les services de santé et le secteur correctionnel à travailler ensemble, côte à côte. "

Je vous remercie beaucoup de votre attention et de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

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