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Commentaire N° 19

Besoins de renseignements des nouveaux pays industrialisés dans les années 90

M. R. Henderson

Mars 1992
Non classifié

Précis : Depuis la fin de la guerre froide, les nouveaux pays industrialisés, qui dépendaient dans le domaine des technologies des pays de l'Ouest ou de leurs alliés communistes, sont maintenant contraints de les chercher ailleurs. Selon l'auteur, nombre de ces pays commenceront à compter sur leurs services de renseignements pour se procurer les technologies d'exportation contrôlée et les renseignements commerciaux internationaux dont ils ont besoin. Mars 1992. Auteur : M. R. Henderson.

Note du rédacteur : Des concepts que seuls des futuristes auraient employés il y a quelques années — « transformation du contexte international» et «l'accès de technologies à l'échelle planétaire» — sont rapidement devenus réalité dans le nouvel ordre mondial. Ces concepts sont particulièrement importants dans toute discussion des besoins de renseignements des nouveaux pays industrialisés (NPI): «Comment les NPI pourront-ils obtenir la technologie dont ils ont besoin? Comment l'utiliseront-ils? Que prendront-ils comme cible parmi ce qu'ils ne peuvent pas obtenir de façon légitime?»

L'auteur, le docteur R. Henderson, est un analyste stratégique ayant un contrat avec la Direction de l'analyse et de la production du SCRS.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


Pourquoi espionner, malgré la fin de la guerre froide?

En plus des renseignements de type traditionnel dont la plupart des États-nations ont besoin, comme ceux concernant la sécurité interne et les intentions politiques de dirigeants étrangers et ceux permettant de prévoir l'imminence d'une attaque militaire, des besoins d'un genre nouveau, plus vastes, ont commencé à apparaître dans les nouveaux pays industrialisés (NPI) du tiers-monde (ou le Sud) durant les années 90.

Dans les pays en développement du tiers-monde, et dans les NPI en particulier, les gouvernements se rendent de plus en plus compte que la survie de leur pays est intimement liée à l'accès aux technologies de pointe et aux données commerciales internationales, seuls moyens d'accroître leur potentiel économique et leur compétitivité. Selon le rapport Brandt de 1979 sur le développement international «le partage des technologies intéresse le monde entier..., mais surtout, de toute évidence, les pays en développement. On peut même aller jusqu'à dire que leur principal handicap est de ne pas avoir accès aux technologies ou de n'avoir aucune prise sur elles» (p.193).

Comment les NPI accéderont-il à la technologie? Par des projets de recherche et de développement (R et D) intergouvernementaux, des transferts de technologies commerciales, des accords de partenariat conclus avec des sociétés étrangères? En recrutant des experts étrangers, en se procurant les technologies et le matériel d'exportation contrôlée par des moyens clandestins ou en faisant de l'espionnage industriel avec la participation de l'État?

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Qui sont les NPI?

À la fin des années 60, quelques pays en développement plus avancés d'Asie et d'Amérique latine principalement — groupe que l'on nommera plus tard les NPI — ont adopté chacun de leur côté des stratégies similaires en vue de se doter d'une infrastructure industrielle nationale. Qu'ils aient misé sur l'industrie de fabrication publique (biens d'équipement, construction navale et même armement) ou sur l'industrie de transformation (produits finis destinés à l'exportation) subventionnée par l'État, leurs stratégies d'industrialisation leur ont permis d'enregistrer un taux de croissance soutenu et même élevé dans certains cas. Ils sont devenus relativement industrialisés par rapport aux pays de l'Ouest et à ceux de l'Est (pays de l'ex-bloc soviétique) — qui forment ce que l'on nomme aujourd'hui le Nord.

À la fin des années 70, les «NPI confirmés» fabriquaient près des trois-quarts des produits exportés par le tiers-monde. (R. Broad et J. Cavanagh, Foreign Policy, automne 1988, p.81). Leur essor a été le fruit non seulement d'investissements publics et d'entreprises en participation, mais aussi des moyens technologiques mis à leur disposition par les multinationales et de leur accès aux marchés étrangers.

Dans les années 80, d'autres pays du tiers-monde, les pays aspirant à l'industrialisation se sont efforcés de stimuler leur croissance pour égaler les NPI et jouir ainsi du même statut et de la même influence qu'eux. Ils se sont, pour y arriver, industrialisés sur les bases les plus diverses, misant entre autres tantôt sur les revenus toujours plus importants tirés du pétrole ou d'autres ressources naturelles, tantôt sur leur abondante main-d'oeuvre, tantôt encore sur leur important marché intérieur ou régional. La plupart ont toutefois exploité la crainte d'une insurrection ou d'une attaque étrangère pour justifier des investissements massifs dans les industries de défense ou d'autres secteurs stratégiques, comme l'énergie nucléaire. Ils ont certes atteint un certain niveau d'industrialisation et acquis le statut de puissance régionale, mais ce fut souvent au prix d'une course aux armements avec les États voisins ou de conflits régionaux allant d'affrontement frontaliers sanglants à des guerres conventionnelles destructrices.

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Besoins de renseignements des NPI pendant la guerre froide

Pendant la guerre froide, les NPI confirmés avaient, pour certains, des alliances avec une ou plusieurs puissances industrielles occidentales, tandis que d'autres n'étaient alignés sur aucun des deux blocs idéologiques et militaires. Dans le domaine du renseignement, leurs besoins étaient surtout liés aux menaces que pouvaient constituer des groupes de l'intérieur ou des pays voisins hostiles, souvent dirigés ou commandités par les communistes. Que ces menaces aient été le fait de véritables mouvements d'opposition internes ou de groupes agissant pour le compte d'une puissance étrangère communiste, les NPI pouvaient généralement les contrer avec leurs propres services de renseignements et bien souvent, il est vrai, avec l'appui de gouvernements occidentaux de qui ils obtenaient renseignements, formation, matériel et soutien financier.

De plus, les NPI ont établi des relations économiques internationales fondées essentiellement sur les lois du marché et la plupart ont permis — sinon encouragé — les investissements étrangers et les transferts de technologies de la part des multinationales. Exception faite de l'Inde, qui a monté son industrie d'armement avec l'aide des Soviétiques, leurs besoins de matériel et de technologie militaires étaient facilement comblés par les gouvernements occidentaux alliés, désireux de contrer toute menace communiste potentielle ou par les sociétés d'armement occidentales à la recherche d'acheteurs étrangers.

En ce qui concerne les pays aspirant à l'industrialisation, leurs besoins en matière de renseignements étaient plus vastes, car ils nourrissaient en plus l'espoir de devenir une «puissance régionale». Ces deux aspirations — s'industrialiser et exercer une influence régionale — ont souvent été à l'origine de rivalités nationales, religieuses et culturelles et, finalement, de la prolifération des armements et de conflits ouverts. Pour combler presque tous leurs besoins de matériels militaires et technologiques, ils ont acheté des armes aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est, implanté des industries stratégiques, acquis clandestinement de la technologie d'exportation contrôlée et même fait du troc avec les pays exportateurs d'armes du tiers-monde frappés d'embargo.

Or, deux facteurs ont modifié les besoins de renseignements aussi bien des nouveaux pays industrialisés que des pays aspirant à l'industrialisation : premièrement, la planétisation de la technologie et deuxièmement, l'évolution du contexte international.

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Planétisation de la technologie

La férocité de la concurrence internationale, l'expansion des multinationales et la globalisation des marchés ont planétarisé la technologie au moment où le monde commence à fonctionner comme un «tout technique en évolution».

Or, l'accès à la plupart des technologies de pointe, et en particulier à la technologie informatique, reste la chasse gardée des pays industrialisés. La majorité des NPI confirmés se sont alignés sur les pays du Nord détenteurs de la technologie ou entretiennent d'importantes relations commerciales avec eux, mais les élites du tiers-monde comprennent de plus en plus que «l'indépendance et la survie de leur pays» passe nécessairement par l'accès aux technologies nouvelles ou existantes, dans quelque domaine que ce soit (électronique, nouveaux matériaux, biotechnologie, télécommunications, stockage de données, etc.). Les NPI ont généralement obtenu la technologie dont ils avaient besoin en procédant à des achats, ou grâce aux investissements étrangers et aux entreprises en participation, mais à un prix élevé, en devises ou en ressources naturelles.

Il est aujourd'hui de plus en plus difficile de différencier les technologies militaires et les technologies civiles. Ces dernières finissent d'ailleurs toujours par avoir des «applications militaires reconnaissables» (T.J. Welsh, The Washington Quaterly, printemps 1990, pages 111-112). Il est souvent plus rentable d'«améliorer» les systèmes d'armes et de communication existants et d'en prolonger la vie utile au moyen de logiciels plus performants ou de «nouvelle génération», que d'en concevoir ou d'en acheter de nouveaux. De même, les progrès réalisés dans le domaine de la conception assistée par ordinateur permettent d'«améliorer» un système existant, réduisant d'autant les coûts de production.

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Technologies contrôlée...

Les contrôles ont peut-être été imposés pour contrer la prolifération des technologies de destruction de masse ou les moyens utilisés pour les faire parvenir sur l'objectif (missiles balistiques par exemple). Certaines de ces technologies comme les mini-ordinateurs de forte puissance ou le matériel de production d'une usine pétrochimique ou pharmaceutique ont des applications civiles, mais elles peuvent figurer sur les listes des produits d'exportation contrôlée parce qu'elles peuvent aussi avoir des applications militaires ou encore parce que le pays ou la compagnie qui l'a inventée veut en garder le monopole commercial (droits de production et de distribution), pour récupérer ses coûts de recherche.

À l'heure actuelle, les pays industrialisés du Nord coordonnent une série de mécanismes de surveillance des fournisseurs visant à empêcher l'exportation de diverses technologies servant à la fabrication d'armes ou ayant des applications à la fois militaires et civiles. Le Comité coordonnateur du contrôle multilatéral des échanges Est-Ouest (COCOM) a été créé, au départ, pour empêcher l'exportation, que ce soit directement ou par pays interposés, de technologies à usage militaire dans les pays de l'ancien bloc soviétique. Les contrôles exercés par le COCOM se sont relâchés, au profit des nouveaux pays de l'Europe de l'Est surtout, mais ils ont été maintenus à l'endroit des pays du tiers-monde, où l'on veut empêcher la prolifération des technologies dites de développement, qui pourraient, une fois modifiées, permettre de concevoir ou de produire des systèmes d'armes (The New York Times, 21 janvier 1991). Qui plus est, les États-Unis et le Japon, les deux plus grands pays producteurs, ont convenu de ne pas vendre des super-ordinateurs ultra-rapides aux «pays à haut risque» qui pourraient s'en servir pour concevoir des systèmes d'armes nucléaires ou des missiles balistiques (The Globe and Mail, Toronto, 10 juin 1991).

«Nous, Iraniens, avons compris qu'il nous est impossible de préserver notre indépendance et d'assurer notre survie dans le contexte international actuel sans le secours de la science, de la technologie et des outils nécessaires.»

- Déclaration du président iranien Ali Akbar Hashemi Rafsandjani (The New York Times, 18 novembre 1991).

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C'est dans la même optique qu'a été créé le Régime de surveillance de la technologie des missiles (MTCR), qui régit l'exportation, par les pays industriels, des missiles et du matériel connexe, ou de la technologie permettant d'en fabriquer. Exprimant une opinion partagée par de nombreux dirigeants de NPI, Pik Botha, le ministre sud-africain des Affaires étrangères, «souhaite que [son pays] soit admis au sein du club du MTCR et fasse ainsi partie d'une organisation qui peut à la fois surveiller et permettre, peut-être, les échanges de technologies et de connaissances entre les pays membres» (SAPA, 12 octobre 1991). Sa demande n'a pas été entendue, même si son pays fabrique des missiles. Au contraire, les États-Unis ont imposé un embargo de deux ans contre l'Afrique du Sud en raison de ses exportations de technologie des missiles, vers l'Irak notamment.

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... et acquisition clandestine

Les pays qui se sont vu refuser l'accès aux technologies dont ils sont tributaires ou qu'ils convoitent — les pays du Sud — se sont tournés vers des moyens d'acquisition secrets : espionnage gouvernemental et commercial, recrutement de scientifiques étrangers, achat de matériel d'exportation contrôlée par l'entremise de «sociétés de façade», échanges de technologies assujetties à des restrictions entre pays frappés d'embargo, etc. Ainsi, le Pakistan s'est procuré en secret du matériel pour son programme d'énergie nucléaire, l'Iran a acheté ouvertement et secrètement toute une panoplie de machines pour fabriquer des armes (nucléaires, chimiques, biologiques et conventionnelles de haute technologie), l'Afrique du Sud a essayé d'obtenir secrètement les plans de missiles sol-air de haute technologie, et la Corée du Nord pratique le «désossage» pour découvrir les secrets de fabrication des missiles balistiques. Sans parler de la Chine continentale, dont la presse dit qu'elle a volé les secrets de la bombe à neutrons (bombe à rayonnement renforcé) dans un laboratoire américain (Chicago Tribune, 23 novembre 1990).

Les NPI ne manqueront pas de profiter du Sommet de la Terre, un événement parrainé par les Nations-Unies qui se tiendra à Rio de Janeiro en juin 1992, pour manifester clairement leur désir d'avoir davantage accès à la technologie (à applications civiles et militaires en général). Les pays du Sud voient déjà dans ce sommet, dont le but est de définir les grandes lignes d'un programme multilatéral visant à arrêter la détérioration de l'environnement à l'échelle de la planète, l'occasion de dégager un consensus Nord-Sud et d'obtenir des pays du Nord l'engagement d'accélérer les transferts de technologies, contre une expansion économique «écologique» de la part des pays du Sud. Un exemple de technologie suscitant la controverse entre pays du Nord et du Sud est celle du système de filtration à membrane mis au point par le gouvernement des États-Unis et récemment déclassifié. Il est utilisé dans le processus d'enrichissement de l'uranium des bombes à hydrogène, mais il peut aussi servir à filtrer les fumées produites par les industries polluantes et à purifier l'eau (The Wall Street Journal, 8 décembre 1990).

La position défendue par le Sud rappelle les reproches faits au Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires, par lequel les pays du tiers-monde se sont engagés à ne pas produire d'armes nucléaires en échange d'une libéralisation des transferts de la technologie nucléaire «pacifique». Le Traité est en vigueur jusqu'en 1995, mais les leaders du tiers-monde ont déjà maintes fois dénoncé l'insuffisance des transferts, d'où, disent-ils, l'acquisition secrète de la technologie et du matériel nucléaires.

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Transformation du contexte international

Au moment où s'établit le «nouvel ordre mondial», des querelles commerciales opposaient toujours les trois grands blocs économiques (espace de libre-échange nord-américain, Communauté européenne et Japon), et aucun nouvel accord sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT - General Agreement on Trade and Tariffs) n'était survenu à l'issue de l'Uruguay Round. De plus, les États-Unis ont déposé des plaintes, encore en suspens, contre plusieurs pays du Sud en voie d'industrialisation (Taïwan, l'Inde, le Brésil, la République populaire de Chine et le Pakistan entre autres), relativement aux transferts de technologies, aux droits de propriété, à la propriété intellectuelle et à l'accès aux marchés (The New York Times, 20 avril 1991, et Far East Economic Review, Singapour, 5 décembre 1991, p. 64).

À mesure que les NPI et les pays aspirant à l'industrialisation développeront leur infrastructure industrielle et pénétreront le marché international, la «puissance économique» multipolaire que forment actuellement les pays industrialisés se fragmentera. Cette fragmentation, déjà amorcée, qui suit la disparition de l'ancienne structure bipolaire autour de laquelle tout était axé — blocs militaires et politiques de l'Est et de l'Ouest — laisse entrevoir l'émergence d'un modèle international différent de celui attendu.

Les années 90 verront en effet apparaître à l'échelle internationale un nouveau type de rapports fondés sur la technologie. Il y aura, d'une part, «l'aristocratie», les «pays détenteurs de la technologie» (certains n'en dépendant pas moins de pays technologiquement encore plus avancés), et, d'autre part, les «pays non détenteurs de la technologie», plus nombreux et plus peuplés. Les relations entre les deux groupes seront toujours plus axées sur l'échange des technologies et des produits de consommation des premiers contre les ressources naturelles, les produits dont la fabrication exige une main-d'oeuvre abondante et l'accès aux marchés intérieurs des seconds.

Avec le temps toutefois, la distinction géographique faite entre pays industriels, au Nord, et pays en développement, au Sud, cadrera de moins en moins avec le nouveau contexte international. En fait, d'ici le début du XXIe siècle, on trouvera plusieurs pays détenteurs de la technologie au Sud. Quant aux pays aspirant à l'industrialisation qui auront manqué le virage industriel, ils resteront fort probablement des puissances régionales militaires.

Ces pays connaîtront encore des problèmes de développement interne à cause de leur mode de gouvernement ou de leur politique économique. Sous l'effet de pressions intérieures et extérieures, ils essaieront probablement de résoudre certaines de leurs difficultés en se tournant vers les pays voisins détenteurs de la technologie ou, du moins, en s'intéressant à leurs atouts économiques et techniques. On peut donc s'attendre à ce qu'ils cherchent ouvertement ou secrètement (infiltration) à dominer leurs voisins et peut-être même à les rendre économiquement dépendants (comme l'a fait l'Allemagne nazie dans les années 30 avec sa stratégie de domination économique des pays d'Europe centrale. Même les actes d'agression militaire, comme celui qu'a posé Saddam Hussein en envahissant le Koweït, pays voisin riche en pétrole et haut-lieu de la finance, ne peuvent être exclus.

De nombreux autres sujets de discorde (différends nationalistes et conflits religieux, contentieux frontaliers et revendications de ressources naturelles) pourraient également susciter des actions semblables.

C'est la crainte de tels conflits latents, en plus de la concurrence commerciale toujours plus vive dans le secteur de la technologie, qui façonnera les besoins de renseignements des décideurs des NPI. Ils seront amenés à augmenter leurs dépenses militaires — ce mouvement est d'ailleurs déjà enclenché à en juger par les achats massifs d'armements navals qu'effectuent la plupart des NPI asiatiques — et même à se lancer dans une course à l'armement régionale. Or, en agissant de la sorte, ils se placeront dans une situation paradoxale : d'une part, les ententes avec les autres pays détenteurs de la technologie garantissant leur sécurité collective deviendront encore plus nécessaires et, d'autre part, les efforts qu'ils déploieront pour hausser leur niveau technologique et leur productivité ne feront qu'intensifier la concurrence avec ces mêmes pays. Bref, en cherchant à devenir encore plus concurrentiels, ils vont à l'encontre de leurs intérêts en matière de sécurité nationale et compromettent ainsi leur but ultime, c'est-à-dire leur survie nationale.

Un autre groupe de pays prend sa place dans la nouvelle structure internationale, les républiques indépendantes créées à la suite de l'effondrement de l'URSS. Elles se distinguent déjà les unes des autres par leur sentiment d'appartenir à des groupes géographiques et culturels différents et par leur niveau de développement économique. La Russie, l'Ukraine et les autres républiques indépendantes issues des régions «européennes» industrialisées de l'ex-URSS estiment faire partie de l'Europe (le Nord). Par contre, les républiques indépendantes issues des régions moins développées d'Asie centrale, majoritairement musulmanes, semblent se sentir culturellement plus proches d'un Moyen-Orient élargi (le Sud), quoiqu'elles aient été récemment admises au sein de la CSCE. Comme elles ont une économie en développement, certaines aspireront à devenir des NPI.

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Les besoins de renseignements soulèvent des interrogations

En cette période de vive concurrence économique et de hausse du coût des innovations technologiques, les décideurs des NPI préféreront acquérir les informations et les technologies qu'ils tiendront pour essentielles à la survie de leur pays, quoiqu'à leurs yeux, celle-ci ne soit pas liée seulement à la croissance économique et à l'industrialisation. La sécurité, le prestige du pays, son influence et son admission dans les hautes sphères internationales, là où les décisions sont prises, sont tout aussi importants.

Les décideurs des NPI réfléchissent à la façon dont ils pourraient mieux utiliser les ressources limitées qu'ils peuvent consacrer au renseignement. Ils doivent en fait définir leurs besoins essentiels en matière de renseignements pour les années 90 à partir d'une liste d'informations diverses, susceptibles de leur être utiles. L'ordre de priorité dépendra certes en grande partie de la nature du régime en place (dictatorial, militaire, totalitaire, démocratique, etc.), mais un autre élément doit être pris en ligne de compte : la place qu'occupent les services de renseignements nationaux et militaires dans le processus de décision gouvernemental.

Il est possible de prévoir les quatre grandes catégories de renseignements auxquelles la plupart des NPI et des pays aspirant à l'industrialisation s'intéresseront. Tout d'abord, les NPI dirigés par une dictature ou les militaires continueront de se préoccuper de leur sécurité interne et, de ce fait, de consacrer d'importantes ressources à la surveillance des groupes d'opposition, au pays et à l'étranger. Ensuite, l'ensemble des NPI et des pays aspirant à l'industrialisation auront toujours besoin de connaître à l'avance les intentions politiques et militaires de gouvernements étrangers, qu'il s'agisse des autres États de la région ou des pays industriels.

Puis, ils revendiqueront de plus en plus le droit d'avoir accès aux technologies d'exportation contrôlée. Certains chercheront à acquérir des technologies de destruction de masse et les moyens de les faire parvenir sur l'objectif, mais la plupart mettront l'accent sur les technologies «civiles» qui sont assujetties à des contrôles parce qu'elles peuvent avoir des applications militaires (micro-ordinateurs et matériel pharmaceutique, par exemple) ou parce qu'un pays en a le monopole commercial. Enfin, ils auront de plus en plus besoin de renseignements commerciaux internationaux, notamment des informations techniques sur des sociétés, des données financières internationales et des rapports de commerce extérieur. Les renseignements économiques prendront sans cesse plus d'importance dans un monde où la concurrence commerciale sera toujours plus vive.

Dans chaque NPI et chaque pays aspirant à l'industrialisation, des facteurs de toutes sortes, propres à chacun, influeront sur la répartition des ressources consacrées au renseignement. Selon les prévisions, à partir des années 90, les objectifs stratégiques seront davantage axés sur la collecte de renseignements sur les technologies d'exportation contrôlée (et pas seulement sur les systèmes d'armement) et de renseignements commerciaux, encore plus qu'à l'époque de la guerre froide, et exigeront donc plus de ressources.

Les moyens de collecte devront également être pris en compte. À cet égard, il leur faudra déterminer si les renseignements convoités peuvent être obtenus ouvertement ou secrètement, selon qu'ils sont classifiés ou non. Si la collecte ouverte d'informations coûte cher (finances et politiques), la collecte secrète de renseignements coûte beaucoup plus cher, surtout s'il faut mettre sur pied un système national faisant appel à des moyens techniques. Malgré tout, on n'a d'autre choix, dans certains domaines, que d'utiliser des moyens secrets. Avec de meilleures informations et un plus grand potentiel technologique, les dirigeants des NPI seront mieux en mesure de poursuivre leur but premier : la survie de leur pays.

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Utilisation accrue des renseignements de sources ouvertes?

Alors que les pays industrialisés favorisent une utilisation accrue des sources d'information ouvertes et des groupes d'analystes spécialisés dans différents domaines pour produire des renseignements, la plupart des NPI et des pays aspirant à l'industrialisation sont dirigés par des bureaucraties rigides qui ne disposent pas d'une infrastructure informationnelle adéquate. Certains forment des «sociétés relativement fermées», dans lesquelles les informations proviennent de sources religieuses et politiques acceptées, mais la plupart ont accès à tout l'éventail des informations que diffusent les réseaux de télévision et les agences de presse internationales, et même aux banques de données internationales, par la voie des télécommunications.

Pour obtenir des renseignements sur les intentions politiques de gouvernements étrangers, les nouvelles technologies et les échanges commerciaux, il suffit d'utiliser les services de médias internationaux, de consulter les nombreuses publications spécialisées ou, tout simplement, de s'adresser aux gouvernements eux-mêmes. De même, on peut obtenir instantanément des informations importantes touchant la politique et les affaires en écoutant un service international des actualités télévisées à diffusion continue comme CNN, ou en achetant des photographies prises par un satellite civil d'observation, tel Landsat (États-Unis) et Spot (France).

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Augmentation du coût de la collecte secrète de renseignements

Dans le domaine du renseignement étranger, deux types d'information surtout doivent être obtenus secrètement : les secrets et les messages, d'une part, et la technologie d'exportation contrôlée, d'autre part. L'amélioration de la qualité de ces opérations secrètes et, dans une moindre mesure, leur augmentation se heurtent à la question du coût. Le coût des effectifs et de la formation est élevé, mais dans le tiers-monde, l'essentiel des coûts est attribuable, premièrement, à l'acquisition du matériel technique (acheté à l'étranger ou produit sur place) et, deuxièmement, à l'éloignement des sources des secrets ou de la technologie convoités (au pays ou à l'étranger).

Par comparaison, ce sont les opérations de renseignements menées sur le territoire national à l'instigation du gouvernement qui coûtent le moins cher. Par rapport aux opérations menées sur le territoire national, la mise sur pied d'importantes opérations de renseignement humain ou d'interception de signaux radio en territoire étranger coûte plus cher et est politiquement plus risquée, surtout si ces opérations se déroulent dans un pays de haut niveau technique ou doté d'un service de contre-espionnage efficace. Une solution serait de recruter d'anciens espions spécialisés dans un domaine précis, notamment d'ex-membres des services de renseignements de l'Europe de l'Est (voir à ce sujet le Commentaire n· 4 de juillet 1990), pour recueillir des renseignements à l'étranger ou pour participer à la préparation de ces opérations. À titre d'exemple, vers le milieu de 1990, l'Irak a recruté en Allemagne de l'Ouest un ancien agent de la Stasi pour recueillir des informations sur les préparatifs militaires des alliés dans le Golfe (The Guardian, Londres, 25 novembre 1990).

Enfin, c'est la reconnaissance aérienne électronique à longue distance ou les systèmes d'observation par satellite qui coûtent le plus cher, tant sur le plan économique que politique. Ces deux technologies fournissent des renseignements stratégiques en temps réel, mais elles supposent soit d'importants achats de matériel de pointe à l'étranger, soit des investissements encore plus importants dans des programmes nationaux de recherche en vue de produire au pays même la technologie et le matériel nécessaires. Ainsi, l'Inde et le Brésil se sont engagés dans des programmes spatiaux coûteux, tandis que l'Afrique du Sud a sérieusement envisagé d'utiliser sa technologie des missiles pour construire des fusées porteuses et lancer ses propres satellites.

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Perspectives

La planétisation de la technologie et, plus récemment, la transformation du contexte international, ont contribué à réduire quelque peu l'écart entre les pays industriels du Nord désormais «élargi» et les NPI et les pays aspirant à l'industrialisation du Sud, toujours plus nombreux. Toutefois, s'ils veulent maintenir un rythme de croissance élevé dans une économie en voie de développement, les NPI confirmés devront miser davantage sur les technologies de pointe, que ce soit en se lançant dans des programmes de recherche et de développement ou bien en ayant davantage accès aux centres et aux connaissances technologiques des pays du Nord.

Leur capacité d'absorber et d'utiliser les technologies de pointe leur ouvrira les portes des tribunes internationales, où ils pourront dès alors exercer une influence, mais elle les confrontera en même temps à un dilemme politico-économique : pour poursuivre leur croissance, ils devront entreprendre leurs propres programmes de recherche ou de développement, ce qui coûterait très cher, ou continuer à compter sur la technologie des pays du Nord, ce qui coûterait relativement moins cher mais maintiendrait leurs économies — et leurs pouvoirs de décision — dans un état de dépendance. La plupart des décideurs des NPI ont choisi d'essayer d'obtenir davantage accès à la technologie des pays du Nord quand cela ne compromet pas la souveraineté et la sécurité de leur pays.

Toutefois, lorsque les apports technologiques étrangers dans certains domaines risquent de porter atteinte à la puissance souveraine du pays ou d'accroître sa dépendance envers l'aide étrangère, certains décideurs des NPI semblent prêts à investir beaucoup (financièrement et politiquement) dans des programmes techniques nationaux avancés. Non seulement les programmes dotent-ils les NPI de satellites de télécommunications commerciales et de détection des ressources, mais aussi ils ouvrent la voie à la production de systèmes techniques nationaux de collecte de renseignements stratégiques sur les autres pays de la région en particulier, qu'ils contrôlent entièrement.

Si les gouvernements des NPI consacraient autant de ressources financières et politiques à la production de technologies de pointe en vue d'intercepter les transmissions (SIGINT), ils accroîtraient encore plus leurs moyens de collecte de renseignements dans le domaine des communications étrangères gouvernementales et commerciales.

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Date de modification : 2005-11-14

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