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Commentaire N° 59

Les intérêts économiques et commerciaux et les services de renseignements

Juillet 1995
Non classifié

Précis : Ce troisième numéro d'une série (voir les numéros 32 et 46) sur le rôle des agences de renseignements dans la protection et la poursuite des intérêts économique et commerciaux de l'État et comment les gouvernements occidentaux commencent à réagir face à ce problème depuis la afin de la Guerre froide. L'auteur touche particulièrement à la fourniture de renseignements économiques aux décideurs du gouvernement et à l'avenir des relations entre les intérêts économiques et les agences de renseignements. - Juillet 1995. Auteur: M. Samuel Porteous.

Note du rédacteur : Ce troisième numéro d'une série (voir les numéros 32 et 46), M. Samuel Porteous, un Anayste stratégique au SCRS, sur le rôle des agences de renseignements dans la protection et la poursuite des intérêts économique et commerciaux de l'État et comment les gouvernements occidentaux commencent à réagir face à ce problème de puis la afin de la Guerre froide. L'auteur touche particulièrement à la fourniture de renseignements économiques aux décideurs du gouvernement et à l'avenir des relations entre les intérêts économiques et les agences de renseignements.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


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Introduction

Dans le contexte du renseignement, l'économie doit maintenant se trouver en bien meilleure place que par le passé. En outre, les développements économiques ne peuvent plus être examinés dans un isolement relatif : les facteurs économiques, militaires et autres qui ont des répercussions directes sur [...] la sécurité et les intérêts nationaux sont de plus en plus confondus. C'est là que se trouvent certains des grands défis d'ordre conceptuel, procédural et organisationnel que doivent relever [...] les services de renseignements et les gouvernements qu'ils servent. George Carver

Depuis la fin de la guerre froide, la politique de second plan est rapidement devenue importante. De Tian'anmen à Toronto, les préoccupations commerciales qui autrefois venaient après le conflit idéologique sont aujourd'hui les principaux éléments de motivation en politique étrangère.

Pour les services de renseignements, particulièrement ceux de l'Amérique du Nord, cette réorientation représente des défis de taille. Jusqu'à tout récemment, en raison notamment de la relative prospérité en Amérique du Nord depuis la Deuxième Guerre mondiale, les services de renseignements nord-américains accordaient aux aspects économiques et commerciaux de leurs activités une importance incontestablement secondaire par rapport aux préoccupations militaires ou politiques— un point de vue que ne partageaient pas toujours les États qui avaient plus de souvenirs, se souciaient moins de la guerre froide et étaient davantage sensibilisés à la sécurité économique.

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Rôle des services de renseignements

Les services de renseignements travaillent presque exclusivement dans le milieu nébuleux de la «sécurité nationale». Du point de vue offensif, ils sont habituellement chargés de repérer les occasions de servir les intérêts stratégiques de l'État et d'en tirer profit. Du point de vue défensif, ils s'occupent du «renseignement de sécurité», c'est-à-dire qu'ils détectent les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale ou sur la sécurité publique et qu'ils en informent le gouvernement.

Dans la loi habilitante des services de renseignements, lorsqu'il y en a une, il est souvent question de protéger les intérêts liés à la sécurité nationale soit en faisant rapport sur des «activités spéciales», soit en menant de telles activités. Celles-ci, même si elles ne sont pas nécessairement illégales, sont presque toujours clandestines ou trompeuses. Des services de renseignements étrangers ont recours à ces techniques pour obtenir des informations auxquelles ils n'auraient pas accès autrement ou pour influer sur des événements, des comportements ou la formulation de politiques dans d'autres pays. Les services défensifs, comme le SCRS, protègent l'État contre ces actes subreptices de «lobbying international» que certains décrivent comme une réalité de la vie à l'échelle internationale.

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Fourniture de renseignements économiques et de services connexes aux représentants du gouvernement

Il est difficile de tracer une ligne nette entre les activités de renseignements offensives et défensives. Il est tout de même utile de diviser les méthodes utilisées par les gouvernements à l'appui de leurs intérêts économiques et commerciaux en comportements proactifs (activités offensives) ou réactifs (activités défensives).

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Activités offensives

Les décisions fondées sur les renseignements économiques vont de la hausse des taux d'intérêts à la position à adopter dans des négociations commerciales litigieuses. Ce genre d'appui que le renseignement apporte aux décideurs du gouvernement est généralement considéré comme une fonction légitime des services de renseignements nationaux. Les activités de renseignement qui vont au-delà de la simple collecte d'informations et cherchent à influer directement sur les événements, au niveau soit de la macro-économie soit des entreprises, suscitent naturellement davantage la controverse.

En fait, la CIA a récemment établi une distinction entre les renseignements utilisés pour informer les responsables de l'action gouvernementale et ceux utilisés pour influer sur les événements au niveau des entreprises, afin de différencier les activités de renseignement économique qu'elle mène en France des activités de soutien direct à l'industrie que mènent les services de renseignements français aux États-Unis. Dans le premier cas, la CIA aurait appuyé la formulation de la politique commerciale américaine dans le cadre des négociations du GATT en matière d'audio-visuel, en communiquant à son gouvernement les renseignements qu'elle avait obtenus clandestinement sur la position de négociation de la France. Les Américains ont soutenu que l'appui ainsi assuré aux décideurs du gouvernement ne dépassait absolument pas les limites de l'espionnage tolérable, contrairement aux présumées activités de renseignements menées par la France pour appuyer des intervenants commerciaux français en leur fournissant directement des informations exclusives d'entreprises américaines obtenues clandestinement.

La France et les États-Unis ne sont pas les seuls à s'efforcer de définir le rôle de leurs services de renseignements dans ce secteur. De nombreuses puissances occidentales, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, l'Afrique du Sud et même la Russie, ce quasi membre du G-7, ont récemment fait des déclarations officielles sur les activités de leurs services de renseignements dans ce secteur. De récentes déclarations américaines et la législation britannique à cet égard présentent un intérêt particulier.

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Faits nouveaux aux États-Unis et au Royaume-Uni

Dans une déclaration en 1994, intitulé «A National Security Strategy of Engagement and Enlargement», le président Clinton a exposé en détail ce que son administration attendait exactement des services de renseignement américains en ce qui a trait à la protection ou à l'appui des intérêts économiques américains :

Afin de bien prédire les dangers qui pèsent sur la démocratie et sur le bien-être économique des États-Unis (c'est l'auteur qui souligne), l'appareil du renseignement doit suivre l'évolution de la situation politique, économique, sociale et militaire dans les parties du monde où les intérêts américains sont le plus engagés et où la collecte officielle d'informations de sources ouvertes est inadéquate (c'est l'auteur qui souligne). Le renseignement économique jouera un rôle de plus en plus important pour aider les décideurs à comprendre les tendances économiques. Il peut appuyer les négociateurs commerciaux américains et contribuer à rendre plus équitables les règles du jeu économique en repérant les menaces que les services de renseignements étrangers et les pratiques commerciales déloyales font peser sur les entreprises américaines. La présente déclaration prévoit clairement le recours à des méthodes clandestines pour obtenir ces renseignements là où «la collecte officielle [...] de sources ouvertes est inadéquate».

Le concept du «bien-être économique» utilisé ici se trouve également dans la loi britannique de 1994 sur les services de renseignements. Cette loi rend publiques, pour la première fois, les fonctions du Service secret de renseignements britannique (BSIS) et du Quartier général des communications gouvernementales (GCHQ) concernant les intérêts économiques et commerciaux de l'État. D'après la loi, sous l'autorité du Secrétaire d'État, le BSIS est chargé entre autres d'obtenir et de fournir des informations sur les gestes ou les intentions de «personnes de l'extérieur des îles Britanniques», ainsi que de s'acquitter «d'autres tâches». Ces fonctions du BSIS, comme celles du GCHQ, ne doivent être exercées que dans l'intérêt de la sécurité nationale, dans le cadre des efforts de prévention ou de détection des crimes graves et, ce qui est le plus important du point de vue du présent article, «dans l'intérêt du bien-être économique du Royaume-Uni».

Il est intéressant de s'arrêter à l'utilisation des termes. Alors qu'il est question de la sécurité nationale dans un article, une autre catégorie, formulée dans les mêmes termes que la déclaration américaine dont nous avons déjà parlé, — «l'intérêt du bien-être économique du Royaume-Uni» — figure dans un autre article. En discutant en même temps de la sécurité nationale et du «bien-être économique», les Britanniques semblent avoir décidé que certaines questions d'intérêt économique et commercial, même si elles ne menacent pas directement les intérêts de la sécurité nationale du Royaume-Uni au sens traditionnel, sont néanmoins suffisamment importantes pour justifier le recours aux pouvoirs intrusifs et controversés de l'appareil de renseignement britannique. L'utilisation de l'expression par les Américains semble viser le même résultat.

L'expression «bien-être économique» ne doit donc pas être strictement liée aux politiques du Royaume-Uni ou des États-Unis en matière de défense et d'affaires étrangères. Une interprétation aussi stricte aurait pu, par exemple, limiter l'intérêt des services de renseignements à des questions comme la sécurité de l'approvisionnement en matériels ou en technologies d'importance stratégique. Il est beaucoup plus facile d'utiliser comme critère la détermination des répercussions de certains agissements sur le bien-être économique d'un pays que la détermination de l'existence d'une menace économique pour la sécurité nationale. L'utilisation de cette expression indique clairement que les gouvernements britannique et américain veulent que leur appareil du renseignement respectif s'engage, au sens le plus large, à appuyer et à protéger les intérêts économiques et commerciaux de l'État.

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Situation au Canada

Le gouvernement canadien n'a fait aucune déclaration officielle au sujet d'activités offensives dans le secteur du renseignement économique. Toutefois, il semble que certaines composantes de l'appareil canadien du renseignement s'intéressent de plus en plus aux questions économiques et commerciales. Au début de 1995, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), organisme responsable au Canada de l'interception des signaux radio (SIGINT), ce qui comprend la surveillance des télécommunications, a publié des offres d'emploi d'analystes, à l'intention de diplômés universitaires, dans lesquelles il précisait qu'«un diplôme dans des domaines comme l'économique, la gestion internationale des affaires, le commerce [...] serait un atout».

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Activités offensives signalées

L'appui fourni par les services de renseignements aux décideurs économiques des gouvernements n'est pas limité, comme le démontrent certains exemples, aux superpuissances ou aux anciennes puissances coloniales. Ces exemples, tirés des médias et d'autres sources ouvertes tels, peuvent être divisés en gros en deux catégories : renseignements sur les négociations commerciales et renseignements macro- économiques.


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Renseignements sur les négociations commerciales

  • Un État membre de l'Union européenne a été soupçonné d'avoir pénétré des réseaux informatiques reliant l'UE au GATT afin de surveiller les communications et de s'assurer ainsi que ses intérêts commerciaux étaient bien pris en considération dans le cadre des négociations entre les deux organismes.
  • Au début des années 80, les Japonais auraient eu une source haut placée au Département d'État américain qui fournissait à Tokyo des informations ponctuelles sur les positions américaines et ce, avant même que d'autres ministères américains qui devaient être consultés sur ces questions en aient été informés.
  • D'après un agent de la CIA en poste au Japon à la fin des années 70 et au début des années 80, la CIA avait alors infiltré tous les organismes du cabinet japonais. Les contacts de l'Agence au ministère de l'Agriculture auraient été tellement bons qu'elle savait d'avance ce que le Japon dirait dans les négociations commerciales, quelles seraient ses positions de repli et à quel moment il se retirerait.
  • En février 1995, les Français ont contrevenu au protocole du renseignement en accusant publiquement les services de renseignements américains de tenter de soudoyer des fonctionnaires français pour obtenir des détails sur la position de la France en matière d'audio-visuel dans le cadre des négociations du GATT.

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Renseignements macro-économiques

  • Au début des années 80, les services de renseignements américains auraient introduit un logiciel «piégé» à la Banque mondiale et dans d'autres institutions financières afin de pouvoir prévenir rapidement les décideurs américains de la déconfiture de certaines banques latino-américaines. A l'époque, la défaillance éventuelle de ces banques était considérée comme un très grave problème pour la politique américaine en matière d'économie et de sécurité nationale.
  • Le BSIS, service britannique du renseignement extérieur, s'est doté d'une nouvelle section consacrée aux «Questions mondiales», chargée de s'occuper de la menace que représente pour les intérêts économiques britanniques l'augmentation du crime organisé transnational en provenance de l'ex-Europe de l'Est. Il a expliqué qu'il avait en partie pris cette décision en raison des répercussions de cette activité sur l'économie britannique.

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Activités défensives signalées

Le renseignement de sécurité, c'est-à-dire les activités défensives que mène un État sur son propre territoire pour contrer ou signaler les activités offensives d'organismes étrangers, est beaucoup moins controversé. La plupart des États reconnaissent que le contre-espionnage est nécessaire, et un grand nombre d'entre eux en ont récemment noté la nature de plus en plus économique.


  • Dans son Rapport public de 1993, le SCRS indiquait que les services de renseignements étrangers opérant sur son territoire «s'intéressent de plus en plus à l'économique».
  • En juillet 1993, le chef du BVD, service de la sécurité intérieure des Pays-Bas, a déclaré que les activités de contre-espionnage dans son pays visent actuellement à empêcher la Russie de recueillir des renseignements dans les secteurs économique et technologique. «Nous ne faisons toujours pas confiance aux Russes parce qu'ils ne cessent de répéter qu'ils continuent de recueillir des renseignements.»
  • En juin 1994, Vladimir Tsekhanov, chef de la Direction générale du contre-espionnage économique du Service fédéral de contre-espionnage de la Russie, a déclaré : «Certains vont trouver cela étrange, mais c'est un fait que, depuis la fin de la guerre froide, les activités des services de renseignements étrangers dirigées contre l'économie de la Russie ont augmenté. Les pays de l'ancien camp socialiste et les pays baltes s'y sont mis eux aussi. Les priorités passent manifestement de l'affrontement militaire à l'affrontement économique, les buts visés étant de faire de la Russie une source d'appoint de matières brutes pour les pays économiquement développés, de tout faire pour l'empêcher d'avoir accès aux marchés mondiaux de la haute technologie et de l'exclure de la liste des rivaux économiques éventuels.»
  • Des pays en développement s'inquiètent aussi de ne pas pouvoir bien protéger leurs données économiques stratégiques, tant contre des intrusions informatiques non autorisées que contre des dispositifs comme les capteurs d'images spatiales. Ainsi, des représentants officiels du Ghana se sont alarmés lorsqu'il a été question de relier par modem les ordinateurs personnels d'un de leurs centres de transfert de technologies aux ordinateurs de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) à New York. Ils craignaient que des «données économiques délicates» puissent sortir du Ghana sans être détectées.

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Fourniture de renseignements économiques et de services connexes aux représentants officiels du gouvernement : problèmes et questions

La fourniture par les services de renseignements de données économiques aux décideurs du gouvernement, à des fins offensives ou défensives, soulève plusieurs questions. L'analyse des problèmes que cette pratique suscite, surtout dans le contexte nord-américain, révèle l'importance de ce que les gouvernements demandent au juste à leurs services de renseignements ainsi que les méthodes utilisées pour répondre à ces demandes.

En Amérique du Nord, contrairement à ce qui se passe dans d'autres régions, les ministères économiques sont souvent considérés comme des membres périphériques ou secondaires de l'appareil du renseignement. Par conséquent, au Canada et aux États-Unis, les communications entre les services de renseignements et les ministères économiques ont été décrites comme étant incertaines, informelles et ponctuelles. Lorsqu'il a écrit sur la conception américaine de la participation de l'appareil du renseignement à la protection et à l'appui des intérêts économiques et commerciaux des États-Unis, le sénateur américain Deconcini a déclaré que, dans ce secteur, la politique en matière de renseignements repose «en grande partie sur des exigences en matière de collecte, qui sont volumineuses, mais trop imprécises. Les services de renseignements font donc comme bon leur semble.» Parce que le processus de détermination des menaces et des possibilités qui existent pour les citoyens d'un pays subit des influences militaires, politiques et économiques de plus en plus semblables, les services de renseignements et les ministères économiques occidentaux ont tendance à collaborer plus étroitement pour améliorer leur produit. Le caractère improvisé des activités dans ce secteur, dont parle Deconcini, est donc de moins en moins acceptable.

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Communications et coordination

Ernest May, spécialiste américain en matière de renseignement, a analysé divers points liés à la participation du renseignement aux questions économiques. Il soutient que, même s'il existe des bureaux de liaison dans des ministères ou organismes comme le Trésor, le Commerce ou le Bureau du représentant commercial spécial, le Conseil national de sécurité des États-Unis (NSC) ne s'est jamais bien occupé des questions économiques. Il cite en exemple la crise de la dette du début des années 80 qui, à l'époque, avait été considérée comme une des plus grandes menaces pour la sécurité nationale.

Selon May, face à la perspective que le secteur financier américain se retrouve en plein chaos à cause de la défaillance de banques latino-américaines, le directeur principal des affaires économiques du NSC a songé à prévenir le Président. Il y avait cependant un problème, car «ni le Trésor, ni la Réserve fédérale ne considéraient que leurs difficultés étaient du ressort du NSC et n'étaient à l'aise dans leurs rapports avec l'appareil du renseignement». En conséquence, «ils ont réussi à garder leurs inquiétudes pour eux». Bien qu'instructif, le compte rendu de May sur le traitement de la crise de la dette par le milieu du renseignement ne contient aucune référence au rôle qu'aurait joué le renseignement américain dans la distribution de logiciels «sous écoute» à diverses institutions financières internationales mêlées à la crise, pour mieux surveiller la situation.

Si cela s'est effectivement produit, nul ne sait qui a reçu cette information ou si elle a été utile. Cette affaire montre bien qu'il est très difficile d'analyser l'incidence de toute activité de renseignement. Habituellement, les renseignements produits ne sont communiqués qu'aux échelons les plus élevés du gouvernement ou à certains clients. Comme les services de renseignements travaillent généralement selon les principes de l'«accès sélectif» et de l'endiguement afin de protéger leurs sources et leurs méthodes, il arrive que même de hauts fonctionnaires de ministères importants ne puissent pas parler en connaissance de cause de la teneur exacte, des destinataires et de la valeur des données communiquées par les services de renseignements. Cet argument s'applique également à certains membres de l'appareil du renseignement qui prétendent parler en expert de questions dont ils n'ont peut-être vraiment qu'une expérience minimale malgré leurs années d'expérience.

L'amélioration des communications et de la coordination entre l'appareil du renseignement et ses clients semble apparemment toujours poser problème aux Américains. Selon une déclaration présidentielle récente sur l'appareil du renseignement américain et les intérêts économiques et commerciaux des États-Unis, la Maison blanche souhaite manifestement «élaborer de nouvelles stratégies en matière de collecte, de production et de diffusion (y compris l'établissement de relations plus étroites entre les producteurs et les consommateurs de renseignements) afin que les produits du renseignements répondent mieux aux besoins des consommateurs; [...] revoir les restrictions de sécurité de longue date si possible afin que les renseignements soient plus utiles aux consommateurs.» Il y est également question d'une meilleure coordination de la collecte officielle et de la clandestine. Il est probable que, dans le rapport sur l'avenir de l'appareil américain du renseignement qu'elle déposera en 1996, la commission présidentielle bipartite Aspin mandatée par le Congrès, arrivera à des conclusions similaires .

Il reste à voir quelles répercussions ces appels à une meilleure coordination de la collecte officielle et de la clandestine auront sur la participation du renseignement aux nouveaux projets de l'administration Clinton, comme le Centre de patronage (salle de gestion des crises au ministère américain du Commerce). Ce dernier serait «doté de spécialistes qui suivent, à la minute, l'avancement de milliers de projets géants partout dans le monde pour l'obtention desquels des entreprises américaines sont en compétition». Il s'intéresserait également aux progrès des concurrents. Selon un fonctionnaire anonyme cité dans un reportage, il s'agit «de réunir toute la force du gouvernement pour défendre la cause des entreprises américaines».

En mars 1995, la France a annoncé la création d'une organisation apparemment semblable, le Comité de la compétitivité et de la sécurité économique. Le Comité, qui doit être présidé par le Premier ministre, sera chargé de «chercher, analyser, traiter et distribuer des informations» dans le but de protéger les secrets économiques et de conseiller les entreprises et le gouvernement français en matière de stratégie commerciale. Son travail sera coordonné par le Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN), qui est responsable de l'analyse des renseignements communiqués au Premier ministre. Il est clair que les centres de ce genre seraient d'excellents endroits pour mieux coordonner la collecte officielle et la collecte clandestine.

Au Canada, la coordination entre les divers ministères et organismes et l'appareil du renseignement relève d'une structure interministérielle sous la direction d'un organisme gouvernemental central, le Bureau du Conseil privé. Cette structure comprend le Comité interministériel de la sécurité et des renseignements (CISR), composé de sous-ministres et présidé par le greffier du Conseil privé, et son sous-comité du renseignement, le Comité consultatif des renseignements (CCR). Le CCR est soutenu dans son travail par le Secrétariat de l'évaluation du renseignement (SER), qui fait appel à l'appareil du renseignement et à d'autres experts du gouvernement par l'entremise des groupes des spécialistes du renseignement. Cette structure, semblable au modèle britannique, pourrait être utilisée pour mieux coordonner les intérêts des ministères économiques avec les capacités et la production des services de renseignements.

D'ailleurs, le SCRS a récemment amélioré la pertinence de ses produits pour les ministères et organismes clients, dont les ministères économiques, en créant la Section du marketing et de la liaison avec les clients qui a pour tâche de définir les besoins des clients afin de permettre au SCRS d'adapter son analyse. De plus, un système informatisé a été mis en place pour mieux connaître les destinataires des produits du SCRS et leur niveau de satisfaction.

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Préoccupations liées à la qualité de l'analyse

Outre les préoccupations en matière de coordination, la valeur de la participation des services de renseignements dans le secteur économique dépend en grande partie de la qualité des renseignements recueillis et de l'analyse qui en est faite. Idéalement, les services de renseignements fourniraient aux décideurs du gouvernement des renseignements économiques précieux qu'aucune autre source ne leur peut fournir, et/ou une analyse à valeur ajoutée de la question. Ainsi, certains ont laissé entendre que l'inquiétude suscitée par les répercussions éventuelles sur les taux d'intérêts aux États-Unis d'une hausse spectaculaire de l'inflation en Allemagne (prédite en cas d'unification des monnaies de l'Allemagne de l'Est et de l'Allemagne de l'Ouest) aurait été une raison suffisante pour que l'administration de George Bush charge la CIA d'obtenir des renseignements économiques sur cette question.

Il n'y a guère de doute que, s'ils reçoivent des directives adéquates, les services de renseignements seront en mesure de recueillir clandestinement des renseignements économiques utiles aux décideurs et qui ne leur seraient pas accessibles autrement. Les gouvernements et les entreprises du monde ne font pas tout au grand jour. Pour obtenir des secrets économiques et commerciaux, il faudra continuer d'utiliser des moyens clandestins. Bien que l'avantage comparatif des services de renseignements sur le plan de la collecte soit généralement accepté, l'aspect valeur ajoutée de l'analyse des renseignements est plus controversé, surtout dans des secteurs relativement non traditionnels, comme les intérêts économiques et commerciaux.

L'expérience du Bureau des évaluations nationales de l'Australie (ONA), en tant que coordonnateur de l'appareil de renseignement relativement petit d'une puissance occidentale moyenne, est révélatrice à cet égard. Dans l'accomplissement de son rôle, l'ONA a d'abord trouvé difficile d'intéresser les ministères économiques de l'Australie parce que ceux-ci «n'étaient pas convaincus que les conseils ou les ressources du renseignement pouvaient leur apporter beaucoup dans la formulation d'une saine politique économique». Le ministère du Commerce, en particulier, se méfiait d'une relation trop étroite avec le renseignement. Il craignait qu'une association avec le renseignement, même uniquement à des fins d'analyse, puisse donner une mauvaise impression aux entreprises et aux gouvernements étrangers avec lesquels il négociait. Il ne voulait pas que les gens d'affaires australiens pensent qu'il faisait de l'espionnage. En partie pour répondre à cette inquiétude et pour éviter les chevauchements, l'ONA s'est attaché à produire des renseignements économiques portant sur «les capacités et les intentions que les concurrents et les adversaires cherchent à dissimuler».

Il a ainsi traité des répercussions des sanctions sur l'économie sud-africaine. Il est intéressant de constater que lorsque l'on traite du sujet, le gouvernement sud africain est arrivé à sensiblement la même conclusion en ce qui a trait au rôle du renseignement touchant les intérêts économiques et commerciaux d'un pays. A la fin de 1994, le gouvernement sud africain a publié son «Papier blanc sur le renseignement» alors qu'un «objectif» articulé pour le renseignement, était d'identifier des occasions dans l'environnement international, en évaluant les intentions réelles ou possibles des compétiteurs et leurs capacités. Cette compétition pourrait inclure les sphères... technologique, scientifique, économiques et particulièrement le domaine du commerce.

Pour éviter quelques-uns des problèmes rencontrés par les Australiens, certains ont proposé que l'analyse des renseignements économiques et commerciaux soit confiée à d'autres ministères ou organismes gouvernementaux responsables de la formulation de la politique économique et étrangère. Cette proposition suscite toutefois des préoccupations parce que l'on estime traditionnellement qu'il est nécessaire de maintenir une certaine distance entre ceux dont la tâche est de fournir des informations objectives et ceux qui établissent la politique, dans le but, naturellement, d'éviter que le renseignement donne l'impression de «vendre» la politique plutôt que d'«informer».

Cette approche politiquement neutre des services de renseignements est une autre source de conflit entre les ministères économiques, chargés de formuler les politiques, et les services de renseignements, ces derniers pouvant fournir des renseignements qui compliquent le processus d'élaboration des politiques. L'ancien directeur de la CIA, Stansfield Turner, parle de conflit entre les «renseignements frais» et la «politique établie». Ce besoin de séparation est toutefois contesté par ceux qui soutiennent que les préjugés des responsables de l'élaboration des politiques dans l'analyse des renseignements sont simplement remplacés par les préjugés des membres de l'appareil du renseignement. Il semble tout de même que de nombreux ministères économiques investis de vastes mandats d'élaboration des politiques considéreraient comme importunes et embarrassantes, l'utilisation de techniques de collecte clandestines et l'analyse d'informations démenties.

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Avenir des services de renseignements dans le secteur des intérêts économiques et commerciaux

Motivé par le désir de protéger et d'appuyer ce que les États-Unis et le Royaume-Uni ont qualifié de «bien-être économique» de l'État, l'Occident accorde une attention renouvelée à la question de la participation des services de renseignements dans ce secteur. Maintenant qu'ils ne sont plus préoccupés par la guerre froide, un grand nombre des alliés les plus proches et des partenaires commerciaux les plus importants du Canada s'efforcent d'établir le rôle approprié des services de renseignements à une époque où certains soutiennent que les questions économiques ont plus d'importance que celles à caractère strictement politique ou militaire.

Les services de renseignements peuvent jouer cinq grands rôles dans la protection et l'appui des intérêts économiques et commerciaux.

1) Assurer un appui en matière de contre-espionnage : Il s'agit de la fonction la moins controversée, dans le cadre de laquelle un service national de contre-espionnage cherche simplement à faire rapport au gouvernement sur les activités clandestines dirigées contre les intérêts économiques et commerciaux du pays auxquelles se livrent des services de renseignements étrangers, ou leurs représentants, et à le conseiller à cet égard.

2) Fournir des renseignements économiques aux décideurs du gouvernement : Les services de renseignements, grâce à leurs capacités de collecte uniques, fourniraient aux décideurs de précieux renseignements économiques inaccessibles autrement ainsi que des analyses à valeur ajoutée sur des questions jugées importantes. Ces renseignements porteraient notamment sur des politiques macroéconomiques et sur des décisions futures cruciales relatives à d'importants intervenants économiques, dans le domaine de la politique monétaire ou fiscale par exemple.

3) Surveiller les accords commerciaux et recueillir des informations sur des pratiques commerciales déloyales ou malhonnêtes : Il s'agit d'une tâche beaucoup plus restreinte, dans le cadre de laquelle les renseignements fournis appuieraient non seulement d'importantes décisions économiques, mais aussi des réactions directes à des activités préjudiciables aux intérêts économiques et commerciaux du pays. Les services de renseignements, entre autres activités, participeraient à la surveillance du respect par les États membres des ententes internationales ayant des répercussions sur les intérêts économiques et commerciaux du pays, comme le fait actuellement la CIA, qui reconnaît surveiller des pratiques étrangères corrompues. Le rôle du renseignement dans ce secteur est précisément ce que les Australiens ont décrit comme la fourniture de renseignements sur «les capacités et les intentions que les concurrents et les adversaires cherchent à dissimuler».

4) Mener des «activités spéciales» pour influer sur des événements, des comportements ou la formulation des politiques dans d'autres pays : Ces activités clandestines, extrêmement controversées, pourraient aller de la tenue de campagnes de désinformation visant les marchés de tiers pays à l'exercice d'une influence clandestine sur d'importantes décisions économiques.

5) Obtenir des informations commerciales et des technologies pour les transmettre en fin de compte à des intervenants commerciaux ou à des consortiums privilégiés : Cette question de l'espionnage économique pour soutenir des intervenants commerciaux est évidemment très controversée. La plupart des puissances occidentales nient officiellement mener de telles activités.

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Protéger les intérêts économiques et commerciaux du Canada

En vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité de 1984, le SCRS a pour mandat principal de faire rapport au gouvernement sur les activités clandestines menées par des puissances étrangères au Canada et de le conseiller à cet égard. En ce qui a trait aux intérêts économiques et commerciaux du Canada, son rôle est principalement défensif. Son mandat lui permet de faire rapport sur les puissances étrangères, ou leurs représentants, qui mènent des activités d'espionnage économique dirigées contre des intervenants commerciaux et de conseiller le gouvernement à cet égard. A cette fin, le SCRS a créé la Section du transfert de technologies (ETT), dont les membres enquêtent sur l'espionnage économique dirigé contre des intérêts canadiens. L'ETT a établi des liens étroits avec certains éléments du milieu canadien des affaires grâce à son programme de sensibilisation et de liaison et à des activités connexes.

Le CST joue également un rôle dans la défense du Canada contre les tentatives faites par des puissances étrangères pour avoir accès aux systèmes de communications du pays ou pour les perturber. Comme nous l'avons déjà mentionné, l'élément contre-espionnage du renseignement dans ce secteur est assez bien établi et relativement peu controversé.

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Appuyer les intérêts économiques et commerciaux du Canada

Tout en reconnaissant publiquement le rôle de ses services de renseignements dans la protection de ses intérêts économiques et commerciaux, le Canada n'a fait aucune déclaration publique, contrairement aux États-Unis et au Royaume-Uni, sur le rôle de ses services à l'extérieur de ses frontières. Il a adopté cette position en grande partie parce que, à l'opposé de la plupart des démocraties occidentales, il n'a pas de service de renseignement à l'étranger employant des agents secrets.

Bien qu'il soit principalement un organisme de renseignement de sécurité, le SCRS peut effectivement mener des activités de collecte de renseignements étrangers au Canada. Cette capacité est toutefois limitée et ne peut être exercée que sous la direction des ministères des Affaires étrangères ou de la Défense nationale. Le Canada mène cependant des activités de collecte de renseignements étrangers dans le secteur des signaux radio (SIGINT) par l'entremise du CST, équivalent canadien du GCHQ britannique et de la NSA américaine.

Il est difficile de définir avec précision le rôle du CST dans l'appui des intérêts économiques et commerciaux du Canada, parce que cet organisme n'a pas de fondement statutaire détaillé semblable à celui du SCRS. En fait, des indices récents permettent de penser que le CST cherche à renforcer sa capacité d'analyse dans ce secteur. Comme nous l'avons déjà signalé, en janvier 1995, le CST a publié des offres d'emploi d'analystes, à l'intention de diplômés universitaires, dans lesquelles il précisait qu'«un diplôme dans des domaines comme l'économique, la gestion internationale des affaires, le commerce [...] serait un atout».

Pour se doter d'une politique en matière de renseignement économique, le Canada, comme d'autres pays, aurait trois options :

1) Une alliance avec les services de renseignements de pays dont les intérêts économiques sont presque indifférenciables des siens : l'«option ALENA».

2) Un système de renseignement économique indépendant fondé strictement sur ses intérêts économiques et commerciaux : l'«option Palmerston».

3) Une combinaison des deux précédentes, c'est-à-dire la concurrence et la collaboration simultanées : l'«option intégration».

L'extrême dépendance économique du Canada à l'égard des États-Unis, allié solide et seule superpuissance qui reste, influerait grandement sur le choix d'une de ces options.

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Conclusion

L'annonce récente des intentions des Américains, des Britanniques, des Australiens et des Sud-Africains d'accroître la participation de leur appareil du renseignement à l'appui de leurs intérêts économiques et commerciaux, qu'ils soient de nature purement commerciale ou macro-économique, semble indiquer que des mesures ont déjà été prises ou que l'orientation des services de renseignements ailleurs est en train de changer. Les répercussions que l'augmentation de l'intérêt accordé aux questions économiques et commerciales aura sur les relations internationales, sur le système commercial et sur des intérêts microcommerciaux sont incertaines. Il est cependant sûr que pour de nombreux pays, qu'il s'agisse de la dernière des superpuissances en place ou de puissances intermédiaires de deuxième ordre, les services de renseignements joueront un rôle de plus en plus grand pour signaler à l'avance les menaces qui pèsent sur les intérêts économiques et commerciaux et pour repérer les occasions de servir ces intérêts. Dans ce contexte, il serait bon que le Canada procède, à un haut niveau, à un examen approfondi et coordonné du rôle à confier à ses services de renseignements pour protéger et appuyer ses intérêts économiques et commerciaux.

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Date de modification : 2005-11-14

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