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Commentaire N° 85

Ce sont des espions, pas des devins : Le renseignement canadien après le 11 septembre

Reid Morden

Novembre 2003
Non classifié

Précis : Au Canada, le renseignement s’entend habituellement du renseignement de sécurité, qui est préventif de nature. Qu’il s’agisse de lutter contre l’espionnage, la subversion ou le terrorisme, les structures, le matériel et les activités des services de renseignements devraient traduire les dispositions visant à contrer une menace convenue. Auteur : Reid Morden a été directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), sous-ministre au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), et président et PDG d’Énergie atomique du Canada limitée. Il est actuellement président de Reid Morden & Associates; cette société fournit conseils et Commentaires en matière de renseignements, de sécurité et de dossiers touchant les politiques publiques. - Automne 2003.

Avertissement : Le fait qu’un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l’authenticité des informations qui y sont contenues ni qu’il appuie les opinions de l’auteur.


Reid Morden a été directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), sous-ministre au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), et président et PDG d’Énergie atomique du Canada limitée. Il est actuellement président de Reid Morden & Associates; cette société fournit conseils et Commentaires en matière de renseignements, de sécurité et de dossiers touchant les politiques publiques.

« Nos valeurs en tant que Canadiens sont véritablement mises à l’épreuve dans la façon dont elles nous guident en temps de crise, dans les réponses qu’elles nous donnent sur les plans militaire, administratif ou juridique ou encore sur ceux du renseignement ou du maintien de l’ordre (1) »
Ron Atkey, ancien président du CSARS

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Un peu d’histoire

Au Canada, le renseignement s’entend habituellement du renseignement de sécurité, qui est préventif de nature. Qu’il s’agisse de lutter contre l’espionnage, la subversion ou le terrorisme, les structures, le matériel et les activités des services de renseignements devraient traduire les dispositions visant à contrer une menace convenue.

« Ce sont des espions, pas des devins », titre l’article du professeur Wesley Wark paru récemment dans le Globe and Mail à propos du rôle du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) dans la tragédie d’Air India. Malheureusement, la plupart des Canadiens ne prennent conscience du fait que leur pays se livre à des activités de renseignements que lorsque celles-ci sont rendues publiques et suscitent de la controverse. (2)

Or le Canada n’est pas étranger aux activités de renseignements. En effet, nous nous occupons de renseignements depuis longtemps, surtout de renseignements de sécurité. Cette longue histoire procède d’une succession de menaces, réelles et imaginaires, qui ont pesé sur le territoire que nous appelons aujourd’hui le Canada avant même sa création en 1867.

Pendant 120 ans, le service du renseignement de sécurité du Canada a eu partie liée avec le corps policier fédéral. Seuls la création du SCRS et le démantèlement du Service de sécurité de la GRC à la faveur d’une loi du Parlement adoptée en 1984 ont permis de distinguer les activités de renseignements de sécurité du travail des organismes d’application de la loi et de mettre fin à cette époque.

Le processus qui a mené à la création du SCRS remonte à 1864, lorsque Sir John A. Macdonald a créé la Western Frontier Constabulary (WFC). Cette force constabulaire devait être un service de police préventif chargé de surveiller toute la frontière, de Toronto à Sarnia. Elle a donc patrouillé le long de la frontière du Haut-Canada et des voies ferrées et fait rapport d’abord sur les activités liées à la guerre civile américaine, puis sur les Fenians, dont l’objectif était le renversement du régime britannique en Irlande. Le Bas-Canada était la responsabilité de la police maritime de Montréal, un organisme fédéral comme la Western Frontier Constabulary.

En 1868, le gouvernement a mis sur pied la Police fédérale, forte de 12 membres et chargée de protéger les édifices publics et d’assumer les responsabilités dont s’acquittait jusque là la Western Frontier Constabulary. En 1920, la Police fédérale, qui comptait alors 140 membres, s’est amalgamée avec les 2 500 hommes de la Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest pour former la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Entre les guerres, la fonction liée au renseignement de sécurité, qui avait été confiée à la GRC, est demeurée mineure et discrète. Elle a pris de l’ampleur par suite des activités d’espionnage liées à la Seconde Guerre mondiale. Le passage à l’Ouest du chiffreur Igor Gouzenko en septembre 1945 a poussé le gouvernement à renoncer à tout projet visant à ramener cette fonction à ce qu’elle était avant la guerre.

En révélant l’existence au Canada d’un certain nombre de réseaux d’espionnage soviétiques étendus, Gouzenko marquait chez nous le début de l’ère moderne du renseignement de sécurité. Ses révélations ont montré que les Soviétiques voulaient plus que cultiver des travailleurs mécontents; ils étaient résolus à acquérir par tous les moyens dont ils disposaient des informations militaires, scientifiques et technologiques. Ainsi, alors que l’après-guerre cédait la place à la Guerre froide, le Canada multipliait les opérations de renseignements de sécurité pour contrer cette nouvelle menace.

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Or l’espionnage est vite devenu un aspect parmi tant d’autres du monde complexe des personnes appelées à s’occuper du renseignement au Canada. En effet, les années 1960 ont présenté des défis sans précédent et d’un tout autre ordre. Au Québec, le Front de libération du Québec (FLQ) a utilisé l’assassinat, l’enlèvement, l’attentat à la bombe et d’autres actes de terrorisme pour tenter d’atteindre son objectif politique.

Ce recours à la violence a peut-être donné au gouvernement l’envie d’employer tous les moyens à sa disposition - légaux et autres - pour combattre le FLQ. Au nombre de ces moyens figuraient entre autres la GRC et son Service de sécurité très secret,  ainsi que la Loi sur les mesures de guerre, radicale et intrusive. Toutefois, eu égard au tableau d’ensemble des institutions et des coutumes politiques canadiennes, le gouvernement a fini par devoir trouver un juste équilibre. En l’occurrence, il lui a fallu cerner les menaces potentielles, mais en même temps aussi protéger rigoureusement le droit à la manifestation d’un désaccord politique.

Pour guider son action, le gouvernement avait en main les conclusions de deux commissions d’enquête royales qui, pendant les années 1960 et 1970, s’étaient penchées sur les activités et les écarts de conduite présumés du Service de sécurité de la GRC. Les deux commissions ont recommandé que les fonctions liées au renseignement de sécurité soient séparées de celles de la GRC et qu’un service civil soit créé pour les remplir. Elles ont toutes deux constaté que le problème du maintien d’un juste équilibre entre le besoin de renseignements de sécurité précis et efficaces et le respect des droits et libertés démocratiques ne pourrait pas être résolu de manière satisfaisante tant que les responsabilités liées au renseignement de sécurité relèveraient du service de police fédéral.

Ayant momentanément mis de côté la différence philosophique essentielle entre le renseignement, qui est anticipatif et préventif, et l’application de la loi, dont les aboutissements sont l’arrestation, la poursuite et la condamnation, le gouvernement a trouvé ailleurs le fondement de l’équilibre recherché. Essentiellement, il a reconnu que le renseignement ne peut pas bien fonctionner s’il applique les normes du droit criminel, lesquelles sont souvent restrictives. Aussi, pour bien protéger la sécurité du Canada, il lui faut souvent mener une enquête nettement plus approfondie et parfois intrusive. Pour faire contrepoids aux pouvoirs accrus, il fallait consentir à un tiers un pouvoir d’examen nettement plus étendu que celui qu’il aurait été possible et convenable d’accorder à un organisme d’application de la loi (voir plus loin).

Le résultat a été le projet de loi C-9, adopté en juin 1984. Le SCRS voyait le jour un mois plus tard.

Au fur et à mesure que progressaient les années 1980, la Guerre froide s’essoufflait et les questions liées au terrorisme internationale revêtaient de plus en plus d’importance. Malgré le sentiment populaire selon lequel le Canada est un « royaume pacifique », nous ne sommes pas étrangers à la violence et à la division liées à des mères patries loin de nos frontières.

La nouvelle menace

Dans la période qui a suivi immédiatement la Seconde Guerre mondiale, les gens détournaient des avions, par exemple pour aller à Cuba ou s’évader de l’Europe de l’Est. Plus tard, dans les années 1970, les terroristes le faisaient pour obtenir la libération de complices. Et dans les années 1980 et 1990, ils ont fait sauter les vols 858 de Korean Air Lines et 103 de Pam Am sans même risquer leur vie, étant restés à l’abri au sol.

Toutefois, le 11 septembre 2001 marquait le début du nouvel âge du terrorisme. Ce jour-là en effet, les terroristes faisaient effectivement la preuve qu’aucun pays dans le monde n’est à l’abri d’un attentat. Le message est clair : la protection dont nous croyions bénéficier du fait que des océans séparent l’Amérique du Nord des conflits à l’étranger n’a plus rien de rassurant.

Le terrorisme et sa forme radicale de fondamentalisme islamique ne sont pas près de disparaître. Les groupes terroristes sont mûs par la dévotion à leur cause, aussi démesurée puissions-nous la trouver. Ils poursuivent deux buts : éliminer toute trace de la société occidentale des pays musulmans et mettre en place des régimes intégristes musulmans s’étendant du Maroc au Moyen-Orient et jusqu’en Asie centrale. Ils croient pouvoir ainsi « résoudre » les problèmes incessants au Moyen-Orient entre les Israéliens et les Palestiniens.

Les deux objectifs sont importants pour bien comprendre pourquoi nous devons nous préoccuper au Canada de la nature permanente de cette menace. Les exigences de la realpolitik font en sorte que les pays occidentaux, avec les États-Unis à leur tête, n’abandonneront pas Israël. Aussi, ils sont considérés comme des cibles légitimes par ceux pour qui la création d’une mère patrie palestinienne équivaut à rayer un jour Israël de la carte.

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Sur le plan économique, la question de l’énergie a été au centre des préoccupations au Moyen-Orient et elle continuera de l’être. Fort conscients de la dépendance de l’Occident par rapport aux réserves énergétiques du Moyen-Orient, les partisans et les alliés de Ben Laden font leurs propres calculs. Il n’a peut-être pas échappé à ceux qui planifient des attentats à caractère économique contre les États-Unis que les systèmes canadiens de production et de distribution d’énergie sont vulnérables et pourraient eux aussi être ciblés. Signalons à cet égard que le Canada exporte aujourd’hui davantage d’énergie vers les États-Unis que ces derniers n’en importent de l’Arabie saoudite.

Mais examinons d’abord le premier objectif, qui consiste à chasser les Occidentaux et leurs influences des pays islamiques. Aux yeux de nombreux musulmans qui adhèrent à une interprétation très radicale de l’islam, il ne suffit pas d’éliminer ces influences étrangères des pays islamiques.

Peu après le 11 septembre 2001, le Toronto Star a publié un long article sur les attitudes retrouvées dans les mosquées de la région du grand Toronto. Le journaliste de ce quotidien s’est rendu dans 15 des 50 mosquées de la région du grand Toronto et a interviewé un certain nombre d’étudiants à l’Université York. Les messages qu’il a entendus étaient mélangés et souvent inquiétants. Il conclut son article en écrivant que si la majorité des mosquées prêchent la modération et l’inclusivité, une importante minorité d’entre elles prône l’approche plus radicale. Les plus extrémistes des interviewés exigent la formation d’un pays musulman ayant sa propre armée pour, au dire de l’un d’eux, « débarrasser le monde des infidèles une fois pour toutes (3) ».

Nous ne devrions pas nous en étonner, car le terrorisme et la violence qui y est liée ne sont pas nouveaux au Canada. Nous avons vu des extrémistes arméniens assassiner un attaché militaire turc à Ottawa et un garde de sécurité à l’ambassade de Turquie, également dans notre capitale. Nous avons vu des partisans de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA provisoire) introduire en contrebande des détonateurs utilisés pour perpétrer les attentats à la bombe aveugles qui secouent l’Irlande du Nord depuis des années. Et, bien sûr, nous avons vu la mort d’un bagagiste à l’aéroport de Narita et celle de plus de 300 personnes à bord d’un appareil d’Air India, deux attentats à la bombe commis par des extrémistes sikhs.

Il ne fait aucun doute qu’il y a au Canada un nombre élevé de personnes favorables au message radical. Ce message peut s’exprimer de nombreuses façons, par exemple par la planification et la perpétration d’un attentat sur le territoire canadien. On peut en dire autant de bon nombre - sinon de l’ensemble - des 50 groupes terroristes que le SCRS nous dit être présents au Canada. En fait, le SCRS nous le rappelle dans son rapport annuel :

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« Presque toutes les organisations terroristes au monde sont présentes au Canada. »

Dans son ouvrage « Network Wars », la professeure Janice Stein qualifie le contexte de la nouvelle menace terroriste de « guerre asymétrique ». Dans une note qui augure mal pour le Canada et les pays partageant ses valeurs et ses structures institutionnelles et sociétales, elle décrit le milieu dans lequel les réseaux terroristes sont les plus efficaces.

« Ayant souvent un cycle de vie qui s’étend sur des décennies, les réseaux de terreur profitent de l’ouverture, de la souplesse et de la diversité de la société postindustrielle; leurs membres franchissent les frontières presque aussi facilement que les produits et services, les connaissances et les cultures. Leur portée est universelle, en particulier lorsqu’ils peuvent agir dans le tissu même des sociétés les plus ouvertes et les plus multiculturelles, et par l’entremise de formes organisationnelles postindustrielles (4) ».

Cette description ne rappelle-t-elle pas la société canadienne d’aujourd’hui?

En sa qualité de voisin et d’allié proche traditionnel des États-Unis, qui sont la principale cible de la colère des terroristes, le Canada doit se protéger contre la possibilité d’être lui aussi l’objet d’attentats. Personne ne sait au juste quelle forme prendra le prochain attentat, mais la plupart des sources de renseignements s’entendent pour dire qu’il aura bel et bien lieu.

Au Canada donc, nous devons protéger les édifices publics, les points d’intérêt patrimoniaux, les structures symboliques, le réseau de transport, les puits de pétrole et de gaz, les infrastructures communautaires et, bien sûr, les installations nucléaires.

Le 11 septembre 2001, nous avons constaté que nous n’avions pas de recueil des éléments constituant notre « infrastructure essentielle ». Ainsi, l’une des premières tâches d’Ottawa a été d’en dresser un. La prochaine étape consiste à évaluer dans quelle mesure cette infrastructure est vulnérable aux attentats. Sa protection exigera toutefois une coopération et une coordination presque sans précédent de la part des trois ordres de gouvernement. Les responsables de la planification d’urgence au sein des gouvernements réalisent des progrès et établissent des relations productives. Or vu que notre fédération est souvent encline aux déchirements, on ne peut qu’espérer que cela se poursuivra. Malheureusement, dans le rapport qu’il a fait paraître le 21 janvier 2003 au sujet de la sécurité dans les aéroports, le Sénat met en lumière les querelles de clocher que se livrent les divers organismes chargés d’assurer la sécurité à l’aéroport international Pearson, le plus occupé au Canada et l’une des principales portes d’entrée en Amérique du Nord.

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Le contexte

Cadre législatif

C’est un lieu commun de dire que les institutions d’un pays sont le reflet de sa société et de ses valeurs. L’une de ces valeurs au Canada est le respect de la règle de droit. Aussi, il est probablement juste de dire que lorsqu’un problème se pose, les gouvernements, que ce soit de leur propre chef ou en réaction à la pression publique, l’examinent et prennent généralement les mesures nécessaires pour le résoudre. Comme on peut le lire plus haut, la création du SCRS a justement été l’aboutissement de mesures du genre.

Outre l’horreur qui a marqué la journée elle-même, le 11 septembre 2001 a représenté un tournant au Canada. En effet, il a fait prendre conscience au gouvernement que le Canada ne disposait pas du cadre législatif nécessaire pour réagir aux menaces que fait peser un monde de plus en plus dangereux et impitoyable. Le Canada a même dû attendre les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU pour geler les avoirs des terroristes, car il ne disposait pas d’une loi qui l’habilitait à le faire.

Le gouvernement a fini par prendre des mesures pour contrer la menace terroriste. Par exemple, il a gelé les avoirs financiers des entités terroristes et évalué la vulnérabilité de l’« infrastructure critique » du Canada. Il a aussi examiné les lois actuellement en vigueur et en voie d’élaboration pour relever les lacunes dans le système de sécurité canadien. Cet examen a permis d’adopter de nouvelles dispositions législatives destinées à actualiser les lois désuètes et à combler les vides juridiques. Ajoutées au resserrement des dispositions législatives en matière de blanchiment d’argent auquel le gouvernement canadien avait procédé avant le 11 septembre 2001, les nouvelles mesures législatives visent à fournir aux services de renseignements et de sécurité une base efficace qui leur permet de bien remplir leurs fonctions.

Il reste inévitablement des questions à propos de l’équilibre entre la protection et la sécurité de l’État et des citoyens, d’une part, et la préservation et le respect des droits de ces derniers, d’autre part. Le projet de loi C-36 en particulier a attiré l’attention et la critique d’un grand nombre de citoyens. Essentiellement, de nombreux Canadiens estiment que les pouvoirs élargis qui ont été conférés à la police en particulier restreignent les droits des citoyens et ouvrent grandement la porte à l’abus.

La question n’est pas de savoir si le Canada avait besoin de se donner une loi pour lutter contre le terrorisme, car il se devait de le faire. Il s’agit plutôt de savoir si cette loi rédigée en toute hâte a atteint ses buts essentiels sans rompre de façon inacceptable l’équilibre entre les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord, d’une part, et la sécurité de l’État et de ses habitants, d’autre part.

La Loi antiterroriste pose un problème à la fois conceptuel et spécifique. Sur le plan conceptuel, elle réduit la protection prévue dans l’application régulière de la loi, car elle cherche à introduire des mesures de lutte contre le terrorisme, censément en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés. Sur le plan spécifique, le problème réside dans la définition même du terrorisme qui est donnée dans la Loi. En effet, cette définition est tellement large qu’elle pourrait facilement englober un comportement qui ne ressemble en rien à du terrorisme. Une fois une personne, une organisation ou un suspect étiqueté de « terroriste », les règles de justice en matière de procédure sont plus facilement suspendues.

En outre, la Loi antiterroriste confère au solliciteur général le pouvoir de qualifier de terroristes des activités et des organisations sur les conseils du SCRS ou de la police. (Il convient de faire observer que ces pouvoirs échappent pratiquement au contrôle judiciaire.) C’est un secret de Polichinelle de dire que les communautés les plus susceptibles d’être qualifiées de terroristes sont celles des minorités raciales, ethniques ou politiques dont les membres sont arrivés depuis peu au Canada en tant qu’immigrants et réfugiés. Or ce sont les communautés qui dépendent le plus de leurs organisations pour obtenir des services de langue et de réinstallation et assurer le lien vital avec la mère patrie.

On a aussi fait grand cas des dispositions de la Loi antiterroriste concernant l’arrestation à titre préventif et les audiences d’enquête. Le ministre de la Justice a essayé à la dernière minute de tempérer la nature extrême de ces pouvoirs en ajoutant à la Loi une disposition de temporisation prévoyant son examen quinquennal. À mon avis, cette disposition équivaut simplement à de la paresse intellectuelle et politique, car il ne fait nul doute que ne pas reconnaître que les dispositions de la Loi enfreignent comme jamais auparavant les libertés fondamentales de religion, d’expression et d’association qui constituent la base même de l’article 2 de la Charte fera l’objet d’une contestation fondée sur cette dernière. Il appartiendra finalement aux tribunaux de décider si la clause de temporisation introduite par le gouvernement représente un compromis qui peut se justifier en vertu de la Charte.

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Il ne faut jamais oublier que le droit pénal en vigueur au Canada interdit déjà une vaste gamme d’activités terroristes, dont celles consistant à comploter un crime, à tenter d’en commettre un, à prêter son concours à cette fin et à encourager sa perpétration. Mais dans sa hâte de rejoindre le peloton de tête, le gouvernement allait au-delà des lois britanniques et américaines et englobait dans sa définition des activités terroristes les protestations licites de nature politique, religieuse ou idéologique qui perturbent intentionnellement des services essentiels. Cette définition sert ensuite de base à l’élaboration d’autres infractions, par exemple faciliter et encourager la perpétration d’un acte terroriste, y participer ou donner le refuge à ceux qui le commettent. Le tout a pour effet d’étendre le vaste champ du droit pénal d’une façon complexe, nébuleuse et illimitée.

Finalement, c’est en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés que la Cour suprême du Canada sera appelée à dissiper bon nombre des doutes que la Loi antiterroriste aura suscités chez les avocats et les défenseurs des libertés civiles. Ce n’est pas une mauvaise chose. En effet, la Cour peut - et j’ai bon espoir qu’elle le fera - mettre un frein à l’excès de pouvoir que comporte la Loi dans son libellé actuel. Cela n’affectera en rien la lutte que le Canada livre contre le terrorisme, ni sur le plan militaire ni pour ce qui concerne la collecte de renseignements, le maintien de l’ordre, le filtrage des demandes d’entrée au Canada, la protection des frontières et la sécurité aérienne.

Le Canada et le monde en général

Si la menace dominante réside dans le terrorisme et si le terrorisme se moque des frontières, alors la capacité de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement de travailler efficacement avec ses partenaires étrangers n’a jamais revêtu autant d’importance. Tissés sur de nombreuses années, les liens avec les autres sont aujourd’hui essentiels, non seulement pour faire en sorte que les tâches immédiates soient accomplies de la manière la plus efficace qui soit, mais aussi pour montrer de nouveau que le Canada est résolu à lutter contre le terrorisme et qu’il possède les compétences nécessaires à cette fin. Pour le meilleur ou pour le pire, cela influe sur les relations que le Canada entretient avec l’étranger en cette époque marquée au coin de l’instabilité de ces relations mêmes.

En outre, même s’il vaut sans doute mieux mener les activités de renseignements sans tambour ni trompette, il sera de plus en plus difficile de le faire dans un monde davantage transparent chaque jour. La communauté de la sécurité et du renseignement est appelée à évoluer dans un milieu nouveau et difficile où règnent en maîtres absolus la communication instantanée, la diffusion à grande échelle des données provenant de sources tant secrètes qu’ouvertes, ainsi que la nécessité de tendre la main à des partenaires non traditionnels.

Dans ce nouveau monde, rien n’est plus important que nos relations globales avec les États-Unis. Les attentats du 11 septembre 2001 et leurs répercussions nous ont fait prendre conscience de réalités crues, spécialement des conséquences de l’intégration sans cesse grandissante de l’économie nord-américaine. La plus dramatique de ces conséquences a été la fermeture de la frontière par où transitent quelque 87 % de nos exportations, lesquelles alimentent 40 % de notre économie.

Un Canada qui s’était habitué à l’exemption presque de plein droit des mesures commerciales punitives prises à l’endroit du reste du monde constatait qu’il était dorénavant visé au même titre que les autres pays. Un Canada qui avait toujours entretenu des relations spéciales avec un pays qui avait toujours été bien disposés envers lui constatait qu’il n’avait plus la faveur des États-Unis. Et un Canada qui se gênait rarement pour conseiller et critiquer son voisin du Sud jugeait prudent de choisir avec davantage de soin les dossiers sur lesquels il voulait différer avec celui-ci.

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Dans la communauté du renseignement et de la sécurité, rien n’est plus important que notre capacité de gérer le dossier de la frontière. Dans un monde où la perception tient lieu de vérité, de nombreux politiciens aux États-Unis s’en prennent au Canada, leur influence se trouvant amplifiée par des affaires bien en vue comme l’arrestation fortuite d’Ahmed Ressam à la frontière entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington juste avant le passage à l’an 2000. Les critiques des milieux politiques et des médias peuvent ne pas être fondées, mais elles existent et influent grandement sur les Américains, qu’ils soient au pouvoir ou non.

Le Canada n’est pas un « Club Med pour terroristes », mais une tâche très sérieuse l’attend : regagner la confiance de la Maison-Blanche, du Congrès américain et des Américains en général.

L’entente sur la frontière « intelligente » prévoit l’adoption de mesures destinées à assurer le passage inoffensif des personnes et des marchandises en toute sécurité. Toutefois, le processus sera ardu et coûteux en raison de la négligence et des compressions budgétaires antérieures, en particulier pour ce qui concerne l’acquisition et l’utilisation de technologies. Par exemple, les deux pays se sont entendus sur la création de zones d’inspection communes, mais seul un infime pourcentage du fret maritime fait l’objet d’une inspection matérielle. En outre, environ la moitié des documents échangés entre les intermédiaires n’indiquent ni l’expéditeur ni le destinataire. Aux aéroports, même si les mesures de sécurité ont été renforcées à l’enregistrement des passagers, presque tous les bagages enregistrés sont chargés sans subir d’inspection, manuelle ou électronique.

Selon les statistiques retenues, des biens d’une valeur oscillant entre 1,4 et 1,7 milliard de dollars franchissent la frontière chaque jour. C’est énorme. Outre les grandes sociétés dans les deux pays, ce trafic transfrontalier concerne la vaste majorité du million de petites et moyennes entreprises au Canada, qu’elles oeuvrent dans les industries du camionnage, de l’importation, de l’exportation et du détail ou dans les secteurs de l’agriculture, de la fabrication, des ressources et du tourisme.

Les gouvernements des deux pays ont invité leurs organismes chargés du contrôle frontalier, des douanes, de l’immigration, des transports, de l’application de la loi et du renseignement à continuer de resserrer leur coopération pour assurer la sécurité à la frontière et ainsi maintenir la circulation massive des marchandises et des personnes entre les deux pays.

En 1940, le premier ministre Mackenzie King et le président Franklin Roosevelt se sont rencontrés à Ogdensburg (New York) pour discuter de la défense de l’Amérique du Nord. Ils se sont alors entendus pour se soutenir l’un l’autre en cas d’attaque contre le Canada ou les États-Unis. C’est ainsi qu’est né le principe de la défense commune de l’Amérique du Nord. La menace a changé, mais les impératifs, eux, restent les mêmes.

La communauté du renseignement au Canada

La communauté canadienne du renseignement a grandi et évolué au besoin, mais pas toujours de façon ordonnée et dépourvue de controverse. Avant le 11 septembre 2001, la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement pouvait se diviser en quatre groupes généraux : le renseignement étranger, le renseignement de sécurité, le renseignement militaire et le renseignement criminel. Les ministères et organismes concernés étaient le Centre de la sécurité des télécommunications, le ministère de la Défense nationale (MDN), le SCRS, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et la GRC. En outre, le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile, Citoyenneté et Immigration Canada, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) ainsi que les ministères de la Justice et des Transports avaient tous un rôle important à jouer au sein de cette communauté. Enfin, d’autres ministères et organismes gouvernementaux assumaient des responsabilités sur le plan de la sécurité publique, par exemple Santé Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, le ministère des Pêches et des Océans, la Commission canadienne de sûreté nucléaire et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Ce dernier est chargé d’assurer le respect des dispositions législatives nouvelles et musclées du Canada en matière de blanchiment d’argent.

Il n’y avait pas de ministre responsable de cette communauté; les ministres répondaient des organismes qui relevaient d’eux. C’est le premier ministre finalement qui doit rendre compte de la sécurité du pays, mais il a toujours joué un rôle minime à cet égard. Toutefois, son ministère (le Bureau du Conseil privé) essaie de coordonner les activités de la communauté du renseignement et de la sécurité au plan bureaucratique. Dans un milieu qui n’est pas axé sur la gestion de crise, avant que le rythme des événements ne s’accélère de façon fulgurante, cette manière de procéder fonctionnait probablement assez bien.

Aujourd’hui, la communauté canadienne du renseignement est essentiellement la même qu’avant les événements du 11 septembre 2001, si ce n’est qu’elle dispose davantage de pouvoirs et de ressources. Sauf pour la création d’un comité spécial du Cabinet chargé des questions de sécurité en général et présidé par le vice-premier ministre, peu de choses ont changé.

Sommes-nous bien équipés pour faire face au 21e siècle?

Si la menace terroriste interpellait la plupart des services de renseignements dans le monde, ceux de l’Ouest étaient à la fois structurés et équipés de manière à pouvoir lutter principalement contre les menaces qu’ont représentées les activités d’espionnage tellement répandues au cours des quelque 40 années qu’a duré la Guerre froide. Lorsque la Guerre froide a pris fin, les services de renseignements de bon nombre de pays alliés et industrialisés ont commencé à chercher un nouveau mandat ou de nouvelles cibles.

Tout au long des années 1990, ces services ont commencé à enquêter sur des sujets tels que le crime organisé, le trafic de stupéfiants, le renseignement économique et le renseignement d’entreprise. Il ne leur était pas facile de connaître du succès ou de se tailler un créneau, du moins dans les secteurs du renseignement économique et du renseignement d’entreprise. Toutefois, ils ont connu davantage de succès dans leurs enquêtes sur le crime organisé et le trafic de stupéfiants. En effet, même si ces enquêtes empiétaient sur le champ d’activité des organismes d’application de la loi, elles s’inscrivaient facilement dans le cadre des efforts que les autorités déployaient en priorité pour contrer la menace terroriste grandissante. Cette dernière, qui a atteint son point culminant le 11 septembre 2001, a amené la plupart des services de renseignements à mettre de nouveau l’accent sur leur mandat original.

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Le SCRS avait toujours consacré la plus grande partie de ses ressources au contre-espionnage, mais l’essoufflement de la Guerre froide et l’aggravation du terrorisme sont venus modifier la situation, à telle enseigne que c’est la lutte contre le terrorisme qui figurait en tête de ses sujets de préoccupation le 11 septembre 2001.

Le caractère international du terrorisme a soulevé la question de savoir si les pays qui participent activement à la lutte contre le terrorisme doivent mener leurs propres opérations de collecte de renseignements étrangers. Contrairement aux pays avec lesquels il a toujours entretenu des relations étroites, par exemple les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, le Canada n’a pas de service de renseignements offensif ou étranger.

À mon avis, la réponse est non. Je crois en outre que ce serait commettre une erreur coûteuse de mettre sur pied un service de renseignements étrangers. Premièrement, le Canada recueille déjà des renseignements étrangers, principalement par l’entremise du MAECI, du MDN et, bien sûr, du CST. Deuxièmement, ces derniers ainsi que le SCRS et la GRC ont partout dans le monde des partenaires et des contacts qui collectent des données essentielles. Troisièmement, la Loi sur le SCRS permet de collecter des renseignements à l’étranger et d’y mener des activités. Enfin, les propres ressources du Canada et les réseaux que le pays a mis en place de concert avec ses alliés et ses autres partenaires internationaux semblent suffisants pour faire face aux menaces terroristes qui pèsent sur lui, y compris celle que représente l’extrémisme sunnite.

Cela étant dit, on ne saurait trop insister sur le fait que les relations extérieures, dont celles qui ne s’inscrivent pas dans la tradition, sont essentielles pour contrer le terrorisme. Il est tout aussi important d’établir des relations avec toutes les institutions gouvernementales ouvertes sur l’extérieur et de les utiliser pleinement dans une lutte contre le terrorisme qui met à contribution l’ensemble de l’appareil gouvernemental.

Soulignons à cet égard que les gouvernements ont souvent propension à résoudre les problèmes par des moyens bureaucratiques. Plus souvent qu’autrement, ils mettent sur pied un comité ou une institution.

Par exemple, reconnaissant après les attentats du 11 septembre 2001 qu’une partie de leurs services de renseignements n’avait pas été à la hauteur, les Américains ont mis sur pied le Département de la sécurité intérieure, lequel compte une nouvelle section chargée du renseignement. Quelle sera son influence réelle? De quels pouvoirs disposera-t-elle vraiment? Quelles relations entretiendra-t-elle avec les très nombreux autres membres de la communauté du renseignement aux États-Unis? Servira-t-elle la Maison-Blanche mieux que les autres services de renseignements ou deviendra-t-elle simplement une autre composante de l’appareil bureaucratique? Cela reste à voir.

Qui est aux commandes?

Comme l’indique le nombre élevé d’entités fédérales s’occupant de la sécurité et du renseignement, la coordination a été et demeurera un défi. En outre, il faut du leadership ou de l’influence politique pour bien faire fonctionner les structures de toutes sortes. Une intégration et une plus grande coopération s’imposent face aux « silos » autonomes qui sont le propre des bureaucraties « concurrentes ».

Vu la conjoncture actuelle et le fait que les structures dont le Canada a besoin en matière de renseignement et de sécurité ne subiront vraisemblablement pas de modifications profondes, trois questions essentielles se posent. Premièrement, sur le plan politique, le Canada n’a jamais vraiment cherché à employer régulièrement le renseignement pour éclairer ses décisions. Il diffère ainsi grandement de pays qui utilisent couramment le renseignement, par exemple le Royaume-Uni, riche d’une tradition nettement plus longue que celle du Canada pour ce qui est de la collecte de renseignements.

Deuxièmement, il y a la question connexe de la coordination des renseignements et du rapport entre leur évaluation et les décideurs. Les renseignements sont essentiellement des informations ayant été soumises à une certaine forme de jugement ou d’évaluation. Leur valeur réside dans la fiabilité des données brutes qu’a évaluées un spécialiste affranchi de tout parti pris politique ou stratégique. D’aucuns estiment que le moment est venu de rapprocher les décideurs du processus de renseignement et de commencer à inclure le jugement politique dans le renseignement.

Comme les Américains s’en rendent maintenant compte, il s’agit d’une pente glissante. En effet, l’attention se porte sur les distorsions évidentes relevées dans les prétendus renseignements sur l’Irak produits par l’équipe spéciale que le gouvernement Bush a créée au sein du département américain de la Défense. L’ancien sénateur Bob Kerry, qui a présidé le Senate Intelligence Committee (comité du Sénat chargé du renseignement), a dit ce qui suit à ce sujet. « Il semble avoir les renseignements. Le problème, c’est qu’ils n’aimaient pas les conclusions (5). » Au Royaume-Uni, le Foreign Affairs Select Committee (comité spécial chargé des affaires étrangères) pose des questions sur la possibilité que le personnel politique du premier ministre ait lui aussi manipulé les renseignements.

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Troisièmement, comment nous assurer de présenter à point nommé des évaluations de renseignements qui tiennent compte des points de vue des nombreux ministères et organismes mentionnés dans le présent document? Le BCP remplit bien son rôle de coordonnateur, mais il reste lié de trop près au processus politique. À tout le moins, il ne dispose pas de ressources suffisantes. D’ailleurs, le premier ministre du Canada a généralement d’autres priorités qui occupent pleinement les fonctionnaires à son service.

Les temps exigent de rompre avec le statut quo, de prendre en matière de coordination et de production les dispositions nécessaires pour que l’appareil de renseignement et de sécurité puisse contrer les menaces connues et généralement convenues qui pèsent sur la sécurité du pays, d’une part, et pour que les renseignements soient le fruit des informations recueillies et des jugements d’experts, d’autre part. Les modèles abondent. Par exemple, au Royaume-Uni le président du Joint Intelligence Committee (comité mixte du renseignement) est aussi d’office le chef de l’appareil de renseignement et aux États-Unis, le responsable du renseignement central est souvent le directeur de la CIA. Les deux modèles ont leurs défenseurs et leurs détracteurs.

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Il s’agit beaucoup plus que de simplement apporter un changement mineur aux obligations de rendre compte de l’appareil gouvernemental. Et pour bien y répondre, il faut s’interroger sur les moyens à employer pour gérer, analyser et utiliser à point nommé une vaste quantité de données tirées de sources humaines, mécaniques et électroniques. En outre, l’expérience montre qu’une structure importée ne fonctionne pas nécessairement dans un milieu nouveau, d’où la nécessité de trouver une solution adaptée. Celle-ci réside peut-être dans un comité. Il faudrait alors que le comité soit présidé par quelqu’un qui possède à la fois beaucoup d’expérience et de connaissances ET est respecté par la communauté du renseignement et les instances dirigeantes. Ce comité devrait probablement relever du BCP pour bien faire comprendre qu’il accomplit un travail central. Mais il pourrait aussi se situer quelque peu en marge du BCP, et son président devrait avoir un accès illimité au premier ministre, à d’autres ministres ainsi qu’au greffier du Conseil privé.

Le renseignement et l’application de la loi

Si les organismes d’application de la loi produisent des renseignements, ils en sont aussi de gros consommateurs. Cela soulève la question de savoir dans quelle mesure les services de renseignements et les organismes d’application de la loi devraient se chevaucher ou, à tout le moins, resserrer les liens. Au Canada, cette question se pose essentiellement à l’égard de la GRC et du SCRS. Les relations entre les deux organismes n’ont pas toujours été chaleureuses et, malheureusement, les rancunes qu’ils nourrissaient jadis l’un envers l’autre ont refait surface récemment dans le cadre du procès de l’affaire Air India. Ni les gouvernements ni les Canadiens ne toléreront la poursuite de ces guerres intestines et le manque évident de confiance et de coopération.

Le problème se pose essentiellement dans la différence entre les objectifs du renseignement, en particulier le renseignement de sécurité, et ceux de l’application de la loi. En termes simples, le renseignement de sécurité est synonyme de prévention et l’application de la loi, de poursuites. Toutefois, le lien le plus étroit entre les deux réside dans les opérations du crime organisé qui recoupent surtout les activités criminelles et terroristes. Le crime organisé s’entend souvent d’activités motivées par l’appât du gain et le terrorisme, d’activités menées dans le but d’atteindre un objectif politique ou social. La différence entre le crime organisé et le terrorisme s’amenuise de jour en jour.

Bon nombre d’observateurs feraient valoir que le terrorisme se distingue à peine du crime organisé. Certes, le terrorisme et le crime organisé ont en commun des buts et des secteurs d’activité, par exemple le blanchiment d’argent et le trafic de drogues. En outre, il arrive souvent que leurs activités se chevauchent. C’est pourquoi nous devrions nous inquiéter de la présence du crime organisé dans nos ports et, de plus en plus nous dit-on, dans nos aéroports. Ne serait-ce que cela, la situation actuelle fait ressortir l’importance et l’urgence d’une coopération et d’un échange de renseignements marqués au coin de la transparence entre des organismes tels que le SCRS, la GRC, l’ADRC, CIC, les autorités aéroportuaires et portuaires et les corps policiers locaux.

Ayant reconnu ce rapport, le SCRS a récemment pris une mesure sans précédent lorsqu’il a autorisé la partie poursuivante à se servir de ses informations dans le cadre d’un procès engagé devant une cour de district de la Caroline du Nord relativement à des activités illégales visant à financer l’achat de matériel destiné à l’organisation terroriste Hezbollah (6).

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Je mentionnerai simplement à cet égard un autre aspect qui risque fort de nuire à la coopération entre la GRC et le SCRS : les deux organismes n’ont pas à rendre les mêmes comptes au public. Parce que le SCRS est né de la dissolution du Service de sécurité de la GRC pour cause d’écart de conduite, il est soumis à une surveillance et à un examen qui sont presque sans précédent. Le SCRS doit rendre des comptes au ministre qui est en responsable, à l’inspecteur général qui lui relève de ce dernier ainsi qu’au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, lequel dispose des fonds et du personnel nécessaires à son bon fonctionnement. Pour sa part, la GRC n’a pas à répondre de ses actions devant un comité de surveillance ou d’examen, si ce n’est à son Commissaire aux plaintes du public.

Défis

Les événements du 11 septembre 2001 ont amené le gouvernement fédéral à concentrer ses efforts sur un objectif commun : protéger le pays et ses citoyens. Ils ont en outre fait ressortir l’occasion et le besoin presque sans précédent d’améliorer la coopération et la coordination avec les provinces et les municipalités.

Les dirigeants politiques du Canada doivent absolument prendre conscience que la menace est réelle -  qu’elle est réelle pour lui comme elle l’est pour tout autre pays occidental - et amener la population à en prendre conscience elle aussi. Ce n’est pas le moment pour le Canada et ses administrations publiques de se rendormir. Le danger est réel. L’adversaire est impitoyable et patient. Nous avons maintenant le triste honneur de figurer sur la liste des ennemis tant de Ben Laden que du Hezbollah.

La communauté canadienne de la sécurité et du renseignement doit utiliser les ressources à sa disposition pour lutter contre une menace qui, contrairement aux menaces du passé, est imminente et brutale. Un membre du service de sécurité britannique a dit que l’antiterrorisme ne ressemble pas à une partie d’échec contre un seul adversaire ni à l’assemblage d’un casse-tête, à moins d’accepter que bon nombre des pièces revêtent une valeur passagère ou puissent être excédentaires. Selon lui, l’antiterrorisme ressemble plutôt au tirage et à l’entrelacement de fils. C’est probablement encore plus compliqué que ces images essentiellement bidimensionnelles du genre 3-D Tetris.

Il faut à tout prix que les entités canadiennes de la communauté de la sécurité et du renseignement améliorent leur coopération interne et resserrent leurs liens avec l’extérieur. En outre, il leur faut absolument recevoir les fonds nécessaires pour jouer un rôle vraiment coopératif et efficace.

Du courage politique et bureaucratique s’impose pour apporter les ajustements nécessaires aux structures de la sécurité et du renseignement au Canada.

En guise de conclusion, je reprends la citation du début.

« Nos valeurs en tant que Canadiens sont véritablement mises à l’épreuve dans la façon dont elles nous guident en temps de crise, dans les réponses qu’elles nous donnent sur les plans militaire, administratif ou juridique ou encore sur ceux du renseignement ou du maintien de l’ordre. » (7) Ron Atkey, ancien président du CSARS

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(1) Ron Atkey, 3e Conférence sur le droit international, Association du Barreau canadien, mai 2002, Ottawa.

(2) Wesley Wark, The Globe and Mail, 13 juin 2003, page A15.

(3) San Grewal, The Toronto Star, 2 décembre 2001.

(4) J. Gross Stein, « Network Wars », sous la direction de R. J. Daniels, P. Macklem et K. Roach, The Security of Freedom, Essayson Canada’s Anti-Terrorism Bill, University of Toronto Press, 2001, p. 75.

(5) Seymour M. Hersh, The New Yorker, 12 mai 2003, pp. 44-51.

(6) R.J.Conrad, Jr., procureur du district de l’Ouest de la Caroline du Nord, devant le US Senate Judiciary Committee (comitéjudiciaire du Sénat américain), le 20 novembre 2002

(7) Ron Atkey, 3e Conférence sur le droit international, Association du Barreau canadien, mai 2002, Ottawa


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Date de modification : 2005-11-14

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