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Commentaire N° 8

L'Irak après la guerre : la sécurité dans le Golfe et le « Nouvel ordre mondial »

Docteur W. G. Millward

Février 1991
Non classifié

Précis : L'auteur s'interroge sur la reconstruction sociale et politique en Irak, et partant de l'hypothèse que les forces de la coalition gagneront la guerre et que Saddam Hussein survivra, se penche sur l'avenir de l'Irak et de la région à court terme. Février 1991. Auteur : M. W. Millward.

Note du rédacteur : Ce numéro était écrit par le docteur W. Millward, spécialiste à la direction de l'analyse et de la production (EAP) du Service canadien du renseignement de sécurité. Ceci fait partie d'une série en cours sur les problèmes dans la région.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.



Suite au recours à la force pour régler la crise du Golfe, il devient soudainement plus urgent d'aborder la question de l'avenir de l'Irak et de la région quand la guerre sera terminée. Si l'on part de l'hypothèse que les forces de la coalition vont l'emporter, il est maintenant temps de passer en revue les perspectives de la reconstruction sociale et politique en Irak et la création d'une nouvelle structure régionale de sécurité. L'agencement de tous les facteurs en cause et leur conditionnement par ce que l'on appelle fréquemment le « nouvel ordre mondial » sont parmi les problèmes qui préoccupent le plus les géopoliticiens de l'heure.

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LE GOUVERNEMENT IRAKIEN DE L'APRÈS-GUERRE

Aux premiers jours de la guerre du Golfe, il est impossible de prévoir avec certitude comment elle finira. Deux possibilités principales se dessinent. Selon la première, la coalition contre l'Irak finira par prendre le dessus et l'Irak sera expulsé du Koweït, défait et soumis. D'après la seconde, l'Irak arrivera à soutenir la guerre et à prolonger le conflit plusieurs mois, sans que soit anéantie toute sa force militaire, et Saddam Hussein transformera l'impasse en une sorte de victoire à son profit. S'il survit à la guerre, il réussira peut-être à se poser en héros de la cause arabe et en martyr à la défense des idéaux islamiques.

Si, comme cela paraît plus probable, l'Irak est défait et obligé d'accepter les conditions des vainqueurs, la question essentielle sera de savoir qui prendra la direction de son gouvernement. Cela dépendra en grande partie de la survie de Saddam Hussein après la défaite et de l'humiliation qui accompagnera celle-ci. Comme le mandat de la coalition, approuvé par l'ONU, ne prévoit pas officiellement le retrait de Saddam Hussein du pouvoir et étant donné l'extrême efficacité de sa garde personnelle et de l'appareil de sécurité de l'État, ses chances de survie sont bonnes, même après une défaite militaire définitive.

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On ne peut tenir pour acquis que, si Saddam Hussein survit personnellement, il aura perdu toute crédibilité entant que leader et sera expulsé du gouvernement par les autres membres du parti au pouvoir, le Baas, ou par une junte militaire. Après une défaite coûteuse et épuisante, accompagnée d'énormes dommages indirects et de pertes civiles étendues en raison des bombardements massifs, le peuple irakien pourrait réagir comme les Égyptiens à l'égard de leur chef, Gamal Abdel Nasser, en 1956, après la débâcle qui a suivi la crise de Suez et qui en a fait le héros du pays et du monde arabe. L'avenir dépendra beaucoup de l'ampleur de la guerre et de l'organisation de la paix.

L'issue la plus probable d'une défaite irakienne, en supposant qu'elle soit rapide et coûteuse pour l'Irak mais pas exténuante pour l'ensemble de la population, sera la désillusion générale des Irakiens à l'égard du parti Baas et de sa capacité légitime d'assumer le pouvoir politique. Cependant, comme l'influence des cadres du parti se fait fortement sentir dans toutes les sphères de la société et comme, depuis longtemps, tous les autres partis ont été éliminés ou forcés dans l'illégalité, il est difficile d'envisager l'émergence d'un nouveau gouvernement sans rôle important pour le Baas.

La reconnaissance de la supériorité absolue des forces militaires ennemies dans toutes les catégories contribuera peut-être à apaiser ce même sentiment de déception à l'endroit des forces armées irakiennes. Toutefois, étant donné qu'un grand nombre des hauts gradés et des chefs du parti sont des parents de Hussein, il est raisonnable de penser qu'ils seront entraînés dans sa chute. Certaines sources soutiennent que Barzan al-Takriti, ambassadeur irakien à l'ONU (Genève), serait le candidat tout désigné pour remplacer Hussein à la tête de l'État, mais on ne sait pas quelle serait sa crédibilité après une défaite irakienne. Il est plus probable que les Irakiens en général préféreront partir à neuf et se libérer du fardeau que représenterait le clan Takriti de Hussein. Comment y arriveront-ils sans une aide extérieure, c'est à voir.

L'avenir du gouvernement irakien après la guerre dépendra des objectifs militaires ultimes des alliés. Compte tenu des avantages énormes que leur assure sur l'Irak leur puissance militaire et technique, les choix qui se posent aux États-Unis et aux États de la coalition au sujet de l'avenir de l'Irak, s'ils décident de les exercer, sont vastes. Ils devront décider clairement, avant la fin des combats, jusqu'où ils voudront pousser l'exercice de ce choix. Le retrait de l'Irak du Koweït est un objectif minimum. Le président Bush a aussi fait de la destruction des capacités militaires offensives de l'Irak ainsi que ce ces programmes d'armement nucléaire, chimique et biologique des objectifs déclarés de l'opération Tempête du désert. La question reste alors de savoir s'il est possible de calibrer les attaques militaires de manière à distinguer ce qui détruirait les capacités militaires de l'Irak, ramènerait le pays à l'étape de la préindustrialisation ou carrément à l'âge mésolithique.

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Il est évident que la destruction intégrale de la capacité militaire irakienne aurait pour effet de produire un vide dangereux dans la répartition de la puissance régionale. L'idée de faire disparaître l'Irak en le découpant et en attribuant les morceaux aux États voisins avides doit être écartée car cette solution ferait naître plus de problèmes qu'elle n'en réglerait et irait à l'encontre d'un des objectifs déclarés de la coalition soutenue par les Nations Unies. Même des bombardements et des destructions excessives à Bagdad et dans d'autres centres urbains, en particulier dans les lieux saints du chiisme (Karbala, Kazimayn et Najaf), soulèveraient de graves problèmes et aviveraient l'antagonisme de l'opinion arabo-islamique. Construite au huitième siècle, avant le Caire, pour servir de centre administratif au califat des Abbassides, la « ville ronde » ou « ville de la paix » est devenue la capitale intellectuelle et culturelle du monde arabo-islamique et a conservé ce titre pendant des siècles. Les Mille et unes nuits, sans doute rédigées au Caire, se déroulaient à Bagdad. La ville représente, pour la plupart des Arabes, le centre de leur patrimoine culturel et sa destruction laisserait beaucoup d'amertume dans le monde arabe.

Le meilleur moyen à long terme de traiter avec les régimes irakiens à venir est d'adopter une approche fondée sur l'équilibre des pouvoirs et la dissuasion, dans le contexte d'un nouveau dispositif régional de sécurité.

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Avant les batailles décisives qui devraient mener à la défaite de l'Irak, la question de savoir si les forces de la coalition doivent résister à la tentation de pousser la campagne en territoire irakien et déterminer la nature et la composition de la nouvelle structure gouvernementale feront l'objet de débats. Sans doute les motifs qui pousseraient la coalition à se saisir de Bagdad afin de défaire le régime irakien de Saddam Hussein seraient fondés sur le plan militaire, mais il vaudrait mieux laisser aux Irakiens eux-mêmes la tâche de réorganiser leur pays.

Malgré les risques que comporte cette option, les vainqueurs y trouveraient probablement l'avantage de faire taire les accusations dont ils pourraient faire l'objet, soit de s'ingérer dans les affaires internes du vaincu et d'installer un régime fantoche. Même à la suite d'une défaite décisive, il n'est pas réaliste de s'imaginer qu'il sera possible d'imposer à un pays comme l'Irak des structures politiques étrangères ou occidentales. Le ressentiment de la population à l'égard des vainqueurs serait inutilement exacerbé par un régime successeur imposé. Pourtant, les vainqueurs devraient avoir leur mot à dire dans la constitution du nouveau régime irakien de l'après-guerre, ne serait-ce que pour éviter l'anarchie et empêcher qu'un gouvernement renforcé du parti Baas ne revienne en place au bout de six mois. Le meilleur moyen à long terme de traiter avec les régimes irakiens à venir est d'adopter une approche fondée sur l'équilibre des pouvoirs et la dissuasion, dans le contexte d'un nouveau dispositif régional de sécurité.

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Le rôle de l'opposition

Depuis l'émergence de la crise du Golfe en août 1990, les groupes d'opposition irakiens en exil se sont efforcés de trouver des moyens de coopérer et d'élaborer des plans en vue du remplacement de l'actuel gouvernement Baas. Les opposants en exil se sont rencontrés à plusieurs reprises depuis le début d'octobre à Damas, où les ont accueillis la faction syrienne rivale du parti Baas et les agents et partisans de l'ambassade iranienne. Les groupes dissidents sont 1) le Front islamique (qui regroupe six partis musulmans sous la direction de Hizb al-Da'wa), 2) le Front du Kurdistan (alliance de six partis kurdes, y compris le Parti démocratique kurde (PDK) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK)), 3) le Parti communiste et 4) un assortiment d'anciens politiciens nationalistes et de dissidents du parti Baas. Advenant la chute du régime de Saddam Hussein suite à la guerre, l'alliance de ces groupes aimerait se présenter comme un sérieux candidat au nouveau régime.

Les chances qu'une telle alliance représente une solution de remplacement viable n'ont jamais été grandes. Les leaders de certaines factions ne se sont même pas donné la peine d'assister aux réunions et de profondes frictions, héritage de leurs différents points de vue et de leurs revendications opposées pour des rôles dominants dans le gouvernement, les séparent. Les groupes islamiques essayeraient sans doute de faire valoir qu'ils représentent une majorité de la population irakienne, mais ils sont craints des regroupements séculiers qui redoutent la création d'un État islamique, analogue à celui de leurs coreligionnaires iraniens. Tant que Muhammad Baqir al-Hakin, chef du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), résidera à Téhéran, il ne sera pas facile d'apaiser cette crainte. Les groupes islamiques, pour leur part, reprochent aux partenaires de l'alliance kurde de vouloir établir autonomie et de finir par se séparer complètement de l'Irak, alors que Hussein ne sera plus là pour les en empêcher.

Ces groupes disparates ont eu du mal à s'entendre sur une politique et des principes communs. Dans une déclaration émise à Damas en décembre, ils ont réitéré leur engagement pour le multipartisme en Irak, la création d'un gouvernement provisoire à plusieurs partis chargé de préparer une nouvelle constitution, la garantie des libertés politiques et religieuses, le respect des droits de la personne et l'autonomie des Kurocs du Nord. Si les positions fondamentales font l'objet d'un consensus, des différends persistent sur les questions de détails. La faction d'al- Da'wa, sous la direction de Sa'id Hussein al-Sadr, veut établir un gouvernement provisoire de six mois, avant la tenue d'élections. Les groupes kurdes préfèrent l'installation d'un gouvernement provisoire pendant deux ans. La mésentente est particulièrement manifeste entre les groupes religieux chiites et les communistes, et rend peu probable la conclusion d'une entente complète sur un programme commun. [FBIS, 16 janvier 1991]

La conquête et l'annexion d'un État arabe par un autre, même s'il ne s'agissait par vraiment d'une première, a démoli l'apparent consensus auquel les États étaient arrivés au sujet des règles régionales de sécurité.

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Parmi les opposants irakiens à Saddam Hussein figurent d'autres groupes qui ne font pas officiellement partie de l'alliance mentionnée ci-dessus. Il s'agit entre autres du parti irakien Umma, formé sous la direction de Sa'd Salih Jabr, à Londres, à la fin d'octobre. Ce groupe, qui se définit comme un mouvement politique indépendant et respectueux des droits de la personne, des libertés individuelles et sociales, de la souveraineté des États voisins et du droit international, a souligné son opposition au traitement brutal que Saddam réserve au peuple irakien en général, mais surtout à l'humiliation qu'il impose à l'armée.

Ces divers groupes d'opposants devaient se rencontrer à Londres le 18 janvier 1991 dans l'intention d'annoncer, de là-bas, la constitution d'un gouvernement provisoire en attendant l'occasion de retourner en Irak. Pour toutes sortes de raisons, aucune réunion en haut lieu n'a rassemblé tous ces groupes. Un communiqué diffusé à Beyrouth le 17 janvier annonçait la prise de contacts entre l'opposition et certains des dirigeants de l'armée irakienne afin de former un gouvernement national du salut irakien. Ils ont exhorté la communauté internationale à faire une distinction entre le peuple irakien et la clique dictatoriale responsable du désastre actuel. [FBIS, le 18 janvier 1991] Il reste à savoir quel accueil le peuple irakien réservera à l'opposition dans l'Irak d'après-guerre. Quoi qu'il en soit, le gouvernement qui voudra remplacer le gouvernement actuel devra présenter un passé pur, libre de toute attache malsaine. Le fait que ces mouvements aient été accueillis par des États membres de plein droit de la Force multinationale et ennemis de l'Irak ne contribuera pas à leur crédibilité auprès du peuple irakien.

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REDÉFINITION DE L'ÉQUILIBRE DES POUVOIRS DANS LA RÉGION

La première victime de l'invasion irakienne et de l'annexion du Koweït a été le système interétatique arabe. Le geste a révélé de manière dramatique toutes les rivalités, contradictions et conflits d'intérêts qui opposent les États du monde arabe et de l'ensemble de la région. La conquête et l'annexion d'un État arabe par un autre, même s'il ne s'agissait pas vraiment d'une première, a démoli l'apparent consensus auquel les États étaient arrivés au sujet des règles régionales de sécurité. Malgré l'existence de divers dispositifs de coopération et des ententes de défense mutuelle, en plus d'un ennemi commun déclaré, des différends fondamentaux subsistent en grand nombre et sont maintenant exposés en plein jour, aux yeux de tous. Toutes les anciennes alliances et unions ont été visiblement affaiblies, certaines ont complètement disparu.

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Le Sommet de la Ligue des États arabes, au Caire, le 10 août, s'est soldé par un cuisant échec en ce sens qu'il a creusé encore davantage les écarts existants et aliéné des pays comme le Yémen par le recours à des moyens d'intimidation et à des tactiques forcées pour faire adopter coûte que coûte ses résolutions et nier le droit de parole aux dissidents. Les relations qu'entretenaient auparavant le Conseil arabe de coopération du Golfe (CCG) sont réduites à néant tandis que la Ligue des États arabes et l'Union arabe du Maghreb ont été fortement ébranlées. Au lendemain de la crise, la cause palestinienne a subi un grave recul et le Liban est au bord de l'effondrement économique. Enfin, la situation politique et économique de la Jordanie est précaire.

Quelle que soit l'issue de la guerre, l'avenir de l'Égypte en dépend beaucoup compte tenu du rôle important que ce pays a joué en faveur des résolutions de l'ONU sur le Koweït. La crédibilité du président Moubarak dans le monde arabe sera fortement minée si l'Irak est réduit en cendres. Comme pour de nombreux autres pays de la région, la guerre exerce une pression supplémentaire sur l'économie égyptienne déjà fragile et peut obliger les États du Golfe à revoir à la baisse leurs prévisions quant à l'avenir économique de l'Égypte. L'Algérie, la Jordanie, le Yémen , la Tunisie et l'OLP ont maintenant des raisons de reconsidérer la confiance qu'ils plaçaient dans l'Égypte, sous le leadership de Husni Moubarak comme le défenseur des intérêts arabes régionaux.

Peu importe l'issue du conflit, il faudra élaborer une nouvelle structure de sécurité pour la région. Avec ou sans Hussein, l'Irak devra jouer un rôle central dans sa formulation.

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Plusieurs observateurs et commentateurs politiques spécialisés dans le Proche-Orient ont noté que le recours du gouvernement saoudien à l'aide américaine pour assurer sa propre défense constitue un dangereux précédent pour la région. Dans l'ensemble, les cercles islamiques en Arabie saoudite et ailleurs ont mal accueilli la dépendance du roi Fahd, défenseur de l'Islam et du haramayn (les deux lieux saints, la Mecque et Médine), envers les kuffar (non-croyants) dans l'exercice de ses fonctions. [Crescent International, éditorial du 16 au 24 janvier 1991] Ce geste prouve aussi, au delà de tout doute, l'insuffisance des plans précédents de sécurité interrégionale et la nécessité urgente de redéfinir les questions stratégiques régionales et les rapports de force. Il soulève la question cruciale du rôle que devraient et viendraient à jouer les puissances et intérêts étrangers dans les nouvelles relations régionales. Les opinions d'États importants de l'extérieur du monde arabe, comme l'Iran, connus pour leur hostilité, pèseront aussi lourdement dans la définition de ces relations.

Avec la fin de la crise et de la guerre, l'Occident et l'ensemble du monde, en particulier les États- Unis en raison de leur rôle en tant que puissance dominante, seront aux prises avec un dilemme : devront-ils admettre le maintien au pouvoir du leader irakien, s'il survit à « la guerre maîtresse », et essayer de vivre avec un Irak capable de rebâtir sa puissance, quitte à contenir sa capacité d'utilisation de cette puissance à des fins agressives au moyen d'un nouveau pacte régional sur la sécurité, ou devront-ils poursuivre jusqu'à la défaite totale de Saddam Hussein et sa capitulation inconditionnelle, son abandon du pouvoir irakien et la destruction des ressources militaires du pays ainsi que de son infrastructure industrielle. Peu importe l'issue du conflit, il faudra élaborer une nouvelle structure de sécurité pour la région. Avec ou sans Hussein, l'Irak devra jouer un rôle central dans sa formulation.

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Contexte historique

L'une des faiblesses évidentes de la structure régionale d'avant-guerre consistait en l'isolation disproportionnée de l'Irak compte tenu de sa puissance. Historiquement, le problème de la légitimité du régime en Irak dérivait principalement de ses origines externes (coloniales). « Parias depuis l'époque de Nuri al-Sa'id et le Pacte de Bagdad, même les régimes irakiens d'après la révolution ont eu du mal à se trouver des amis, à plus forte raison des partenaires. » [Michael C. Hudson, Arab Politics, Yale University Press, 1979, p. 279] Bien que l'Irak se soit vu aux premiers rangs de l'action pour l'unité arabe, il a été, paradoxalement, le seul exportateur arabe de pétrole qui n'ait pas participé au boycottage de 1973-1974.

Le Pacte de Bagdad à été conclu en 1955 en réponse à une menace présumée de l'Union soviétique et à l'objectif communiste déclaré de domination mondiale. Les États régionaux les plus vulnérables devant cette menace étaient les pays du Nord, soit l'Iran, l'Irak, la Turquie et le Pakistan, joints à titre d'États membres par une puissance extra-régionale et auparavant coloniale, le Royaume-Uni. L'alliance, foncièrement une entente de défense militaire et stratégique, était administrée à partir de Bagdad. Les États-Unis avaient accepté de jouer le rôle d'observateur mais, en réalité, sont devenus un membre à part entière de la plupart des comités et sont intervenus activement dans les affaires de l'alliance. Après la révolution de 1958 en Irak et la chute de la monarchie Hachémite, l'Irak s'est officiellement retiré du Pacte de Bagdad qui a ensuite été rebaptisé du nom d'Organisation du traité central (CENTO). Administrée depuis Ankara, l'Organisation poursuivait les mêmes objectifs. De nombreux Irakiens et d'autres Arabes se rappellent avec une pointe d'ironie que les deux principales forces opposées à l'Irak dans la crise du Golfe d'aujourd'hui étaient ses anciens alliés extra-régionaux du Pacte de Bagdad.

D'autres facteurs ont contribué à l'incapacité de l'Irak, au cours des dernières années, d'assumer, dans la région, un rôle proportionnel à ses ressources et à sa puissance. Les préoccupations rattachées aux priorités nationales et aux questions intérieures, comme le partage du pouvoir, ont favorisé la séparation entre l'Irak et ses partenaires naturels dans la cause panarabe, l'Égypte et la Syrie. Les questions d'idéologie et de philosophie politique (le socialisme Baas) se sont érigées en obstacles au rapprochement des relations avec les régimes plus conservateurs de la péninsule arabe. L'ancienne rivalité avec l'Iran des Perses s'est révélée comme une autre barrière à l'élargissement du rôle irakien dans les conseils régionaux sur les questions politiques et la sécurité. La révolution islamique d'Iran, en 1978-1979, et le départ de la monarchie Pahlavi d'Iran, que de nombreux observateurs ont vus comme une atteinte aux intérêts occidentaux dans la région, ont remis en cause tous les calculs précédents et offert à l'Irak et à ses chefs une occasion inespérée de revendiquer la participation « qui lui revenait de droit » aux délibérations futures.

La guerre de huit ans entre l'Iran et l'Irak, entamée en 1980, a ébranlé encore davantage l'équilibre fragile des pouvoirs dans la région.

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La guerre de huit ans entre l'Iran et l'Irak, entamée en 1980, a ébranlé encore davantage l'équilibre fragile des pouvoirs dans la région. Dans l'Accord d'Alger de 1975, le pragmatique Saddam Hussein de l'époque avait accepté à contrecoeur la puissance relative de l'Iran, acquise avec l'autorisation de transferts illimités d'armements par l'administration Nixon au début des années 1970. Cependant, la révolution iranienne islamique a ouvert au leadership irakien une nouvelle porte qui allait lui permettre d'assumer un rôle régional plus vaste aux dépens de son voisin iranien. Durant ce processus, Saddam Hussein allait se poser en champion de l'unité arabe contre la menace aryenne (non arabe) de l'Iran et, parallèlement, en défenseur de l'orthodoxie islamique sunnite contre le fléau de l'intégrisme agressif des musulmans chiites. Malgré une politique d'opposition constante aux règlements territoriaux par des moyens militaires au début de la guerre Iran-Irak, les États-Unis se sont éloignés de leur position habituelle et ont cessé de souligner le caractère agressif de l'invasion irakienne de l'État voisin pour opter en faveur de la « neutralité ». [Richard Falk, « America's Pro-Iraqi Neutrality », The Nation, 25 octobre 1980] Il est clair que la prise des otages américains à Téhéran donnait à l'époque à l'agression de Saddam un caractère moins répréhensible.

Devant la menace des forces mises en branle par la révolution iranienne islamique en 1978-1979 et pris de panique à la perspective d'une escalade de la guerre à leur porte, six États de la péninsule arabe (Bahrein, le Koweït, Orman, Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) ont fondé le Conseil de coopération du golfe (CCG) le 25 mai 1981. Selon sa constitution, l'organisation a pour objet de donner les « moyens de réaliser la coordination, l'intégration et la coopération » dans les sphères économiques, sociales et culturelles. La coopération économique constituait évidemment la pierre angulaire des activités de la nouvelle organisation, mais la sécurité des États membres et leur industrie pétrolière figuraient au premier rang des préoccupations. Les ministres de la Défense se sont réunis en janvier 1982 pour discuter d'une politique commune de la sécurité qui comprendrait des systèmes conjoints de défense aérienne, des manoeuvres mixtes, la standardisation des armements et une structure centrale de commandement pour un déploiement rapide des forces contre une agression de l'extérieur.

Les États membres du CCG ont approuvé la résolution 598 des Nations Unies qui exhortait l'Iran et l'Irak à régler leurs différends par la négociation, mais ne sont pas arrivés à s'entendre sur une politique commune pour améliorer les relations avec l'Iran. Quand la première menace grave à la sécurité collective des membres du CCG est venue d'un autre État arabe plutôt que de l'Iran, les installations en place et les dispositions prises se sont révélées totalement inadéquates. En août 1990, le Conseil des ministres a émis une déclaration condamnant l'invasion du Koweït par l'Irak et demandant le retrait de l'agresseur. La guerre du Golfe a remis en question la raison d'être et la viabilité du CCG en ce qui concerne une structure de sécurité pour la région.

Tandis que la guerre entre l'Iran et l'Irak continuait sans que l'on puisse en prévoir l'issue, alors que la dette irakienne envers ses riches voisins arabes augmentait à un rythme démesuré, la vision d'un Irak garant de la sécurité régionale a progressivement fait place au désenchantement. Lorsque l'Irak a accepté l'accord de cessez-le-feu, sous l'égide du Conseil de sécurité avec sa résolution 598 en juillet 1988, les sources fondamentales de la rivalité et des conflits avec l'Irak demeuraient. Saddam Hussein et son gouvernement ont à plusieurs reprises soutenu que la guerre s'était soldée par une victoire de l'Irak, mais, d'après un point de vue moins subjectif, la guerre s'est en fait terminée sur une impasse conclue par une perte nette pour les deux adversaires.

Pour consolider sa force panarabe et apporter plus de poids à ses revendications contre l'Iran, le président Saddam Hussein d'Irak s'est joint aux leaders de l'Égypte, de la Jordanie, du Yémen du Nord pour former, à Bagdad, le 16 février 1989, le Conseil de coopération arabe (CCA). Ce geste a été largement interprété comme un autre pas en vue de la réintégration de l'Égypte dans le monde arabe dont il avait été longtemps tenu à l'écart en raison de la signature des accords de Camp David. Représentant une population d'environ 80 000 000 d'habitants, le CCA est devenu le plus important des trois regroupements arabes en termes d'effectifs, mais le moins important quant à son produit national brut total.

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Même si le CCA avait pour but de réaliser l'intégration économique graduelle et bien que l'adhésion ait été ouverte à tous les États arabes, les quatre membres fondateurs se sont aussi entendus pour formuler un pacte de défense conjointe qui permettrait aux forces armées des autres États membres de venir à l'aide d'un État s'il était attaqué. L'Égypte, la Jordanie et le Yémen du Nord avaient tous aidé l'Iran, mais l'attaque irakienne contre le Koweït, le 2 août 1990, et ce qui a suivi a mis en évidence l'échec des perspectives de sécurité régionale que l'alliance devait assurer. Depuis, l'alliance n'existe plus.

Sous l'effet des pressions de la crise du Golfe dès sons amorce, Saddam Hussein a trouvé opportun d'accéder à toutes les exigences de l'Iran dans la résolution définitive de leur conflit. Par conséquent, tout gouvernement irakien susceptible de remplacer Hussein se trouvera aux prises avec les mêmes problèmes non résolus entre les deux pays et devra accepter les concessions ou insister pour les renégocier. Conscient de ce risque, le gouvernement iranien a exigé un règlement officiel écrit du gouvernement irakien pour tous les problèmes subsistants avant qu'une autre guerre n'éclate. Un tel arrangement accorde aussi à l'Iran davantage de poids dans les délibérations d'après-guerre au sujet d'une nouvelle structure de sécurité dans la région du Golfe.

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Une nouvelle structure de sécurité dans la région : Quelle forme prendra l'avenir?

De nombreux observateurs semblent craindre que les États-Unis, à titre de leader des forces multinationales, n'aient pas d'idée bien définie de ce qui fera suite au conflit ou, s'ils en ont une, du moins ne l'ont-ils pas dévoilée.

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La forme que prendra la nouvelle structure de sécurité dans la région dépendra de plusieurs facteurs. Suite à la fin de la guerre, la perpétuation des différences d'opinion parmi les membres de la coalition multilatérale quant à l'étendue de la guerre va poser des problèmes en vue de la mise en place d'un nouvel ordre régional. Alors que l'Arabie saoudite semble favoriser une guerre totale avec une occupation militaire par les vainqueurs du territoire vaincu, les Égyptiens restent très prudents à l'égard de toute activité militaire au-delà des frontières koweïtiennes. À en juger par plusieurs déclarations récentes des représentants français, la France aurait adopté la même position. Sans une coordination militaire soignée, le déroulement de la guerre pourrait miner son règlement final et les dispositifs futurs relatifs à la sécurité. Le concept défendu par l'Arabie saoudite, qui espère obtenir après la guerre avec l'Irak un règlement comparable à celui qui a régi la reconstruction allemande après la Deuxième Guerre mondiale, compliquera les relations ultérieures entre les forces arabes actuellement ralliées contre l'Irak.

De nombreux observateurs semblent craindre que les États-Unis, à titre de leader des forces multinationales, n'aient pas d'idée bien définie de ce qui fera suite au conflit ou, s'ils en ont une, du moins ne l'ont-ils pas dévoilée. [Guardian Weekly, 20 janvier 1991, p. 21] Personne ne niera qu'une guerre entraîne toujours des conséquences inattendues et imprévisibles au départ, mais ces surprises sont d'autant plus probables si l'on ne s'entend pas sur des objectifs communs clairs, y compris un plan de reconstruction de l'après-guerre. Une fois l'option militaire pleinement exercée, un plan d'après-guerre consiste normalement à supprimer les causes politiques, économiques et de sécurité qui ont mené à l'éclatement du conflit. Contrairement à ce qui s'est passé en Europe après la Deuxième Guerre mondiale, il ne sera pas si facile de réaliser cet objectif au Proche-Orient après la guerre du Golfe. Il sera déjà bien assez difficile de remporter la victoire sur le plan militaire, il ne faut pas croire que la paix s'en suivra automatiquement. Il reste tentant d'estomper la distinction entre une guerre visant à libérer le Koweït de l'annexion et une guerre visant à assujettir l'Irak.

La question de la sécurité dans le Golfe est d'abord une source de préoccupation pour tous les États régionaux intéressés, puis pour certains intérêts internationaux. L'une des principales difficultés qui entravent la formulation d'un plan d'après-guerre satisfaisant pour la région est qu'au moins un des États les plus directement concernés n'admet pas la légitimité des intérêts internationaux au point d'approuver une présence militaire étrangère continue dans la région à des fins de sécurité. La République islamique d'Iran estime que la sécurité dans la région du Golfe est l'affaire des États du Golfe et de personne d'autre. Selon elle, seuls les États régionaux sont aptes à définir et à combler leurs besoins en termes de sécurité. Les étrangers doivent observer une distance respectueuse. Cette position de l'Iran s'oppose directement à celle qu'ont clairement adoptée certains gouvernements de pays industrialisés, notamment le Japon et des États européens, qui dépendent fortement des ressources énergétiques de la région.

De toute évidence, les préoccupations internationales et régionales relatives à la sécurité dans le Golfe sont différentes. Chaque partie définit naturellement le problème en fonction de ses propres intérêts. Autrement dit, les composantes du concept de sécurité, indépendamment du territoire géographique visé, sont relatives et changeantes. Tandis que les intérêts américains et occidentaux dans le Golfe amènent les gouvernements de ces pays à surtout défendre la stabilité et la sûreté d'accès aux approvisionnements de pétrole, ils devront néanmoins tenir de vastes consultations avec tous les États régionaux pour arriver à une harmonisation des intérêts. L'objectif doit être de cerner une série de valeurs et d'intérêts fondamentaux communs à l'égard des questions plus vastes et d'arriver à un consensus international qui repose sur la symétrie et l'harmonie. Il faut minimiser les différends et accepter des compromis. À cet égard, les États- Unis devront convaincre les États régionaux qu'ils n'ont pas renforcé leur présence militaire dans le Golfe persique en vue de s'y établir en permanence.

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Le concept arabe de la sécurité suppose, entre autres éléments importants, la préservation de la sécurité physique des habitants de la région et de leur propriété contre les attaques et les destructions, la garantie de l'intégrité territoriale, la protection des richesses naturelles contre le pillage et le gaspillage et l'assurance du bien-être économique de ces peuples, de leur intégrité culturelle et de leur indépendance politique dans le monde. [Dr. Usama al-Ghazali Harb, al- Ahram al-Duwali, 26 septembre 1990, p.9] La plupart des États occidentaux et autres membres des Nations Unies n'auraient sans doute rien à reprocher à cette définition. Elle pourrait donc servir de base commune aux États arabes et autres de la communauté mondiale dans la définition de leurs intérêts conjoints en vue d'un concept de sécurité pour la région du Golfe. La mise en oeuvre de ce concept exigerait néanmoins des consultations bilatérales et multilatérales très poussées. Une chose est certaine, c'est que cette définition a été ébranlée et violée par l'invasion irakienne et l'annexion du Koweït.

Après la guerre, il faudra que la communauté internationale s'occupe en priorité du problème des relations israélo-palestiniennes et israélo-arabes.

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Une fois que les forces irakiennes auront été expulsées du Koweït et que des mesures pratiques auront été prises pour restaurer son gouvernement légitime, il faudra instaurer une force de maintien de la paix qui empêchera le retour de l'Irak et garantira au Koweït la sauvegarde continue de son intégrité. Ces forces remplaceraient les forces multinationales dirigées par les États-Unis et devraient consister principalement d'unités musulmanes arabes et autres. Étant donné que les forces militaires combinées des États péninsulaires ne seraient pas aptes à jouer ce rôle, les effectifs Égyptiens et pakistanais représentent sans doute les meilleurs candidats, même si un arrangement de ce genre manquerait pas de soulever des objections. En septembre de l'an dernier, le gouvernement provisoire du Pakistan a proposé la création d'une force panislamique qui comprendrait des effectifs de plusieurs pays d'aussi loin que l'Indonésie. Les Pakistanais et les Égyptiens gagneraient, avec un tel arrangement, un accès aux devises dont ils ont tant besoin et que le Koweït, l'Arabie saoudite et d'autres États péninsulaires leur fourniront. Un tel dispositif permettrait aux forces étrangères de retourner promptement à leurs bases d'origine en Europe ou en Amérique du Nord ou encore aux bases situées au large des côtes, sur des navires, dans la mer d'Oman et à Diego Garcia.

Les discussions et conférences à venir sur la sécurité dans le Golfe, qu'elles se déroulent dans un contexte bilatéral ou à l'occasion des réunions du Conseil de coopération du Golfe et de la Ligue arabe, serviront sans doute à jeter les bases et à formuler plusieurs principes fondamentaux. On y abordera très certainement la nécessité pour les États arabes et autres pays du Golfe d'arriver seuls à réaliser la sécurité et la stabilité dans la région. Ils doivent discuter et décider à l'avance des mesures qu'ils pourront prendre en cas d'urgence, s'ils doivent se résoudre à faire appel à l'aide extérieure. Une planification détaillée à long terme est une condition sine qua non. Comme il ne sera probablement pas possible d'entraîner un déploiement massif des forces étrangères chaque fois que la sécurité des États du Golfe sera menacée, les États arabes et autres pays du Golfe devront compter sur leurs propres forces et sur celles d'États étrangers admises par tous pour assurer leur défense principale.

Un autre principe consistera à lier la question de la sécurité du Golfe à celle de l'ensemble de la région. Après la guerre, il faudra que la communauté internationale s'occupe en priorité du problème des relations israélo-palestiniennes et israélo-arabes. Le Canada pourrait jouer un rôle d'avant-garde en portant la question devant l'assemblée des Nations Unies et d'autres tribunes internationales. Si ces différends ne sont pas réglés de façon définitive, avec, notamment, des ententes sur une réduction des armements, un contrôle des fournitures d'armes et le principe de la parité, les États arabes et ceux du Golfe continueront de voir en Israël la principale source de menace contre leur sécurité.

Le troisième principe qui polarisera l'attention des parties engagées dans la création d'une nouvelle structure de sécurité dans le Golfe est celui des vastes changements politiques et sociaux devant intervenir dans la région. Les participants occidentaux aux forces multinationales auront une occasion exceptionnelle, une fois le règlement conclu, de soutenir la modernisation des systèmes politiques de la péninsule et l'élargissement de la participation au processus décisionnel. Des mesures devront être prises pour promouvoir le pluralisme et libéraliser les règles régissant la nationalité et le statut des étrangers et des travailleurs invités. Il est impossible de prolonger plus longtemps les règnes féodaux des émirs et des cheiks sans que cela nuise au développement politique qui contribuerait à la stabilité et à la sécurité. La question ici n'est pas de suggérer une transplantation irréfléchie de la démocratie occidentale. Il est évident que les réformes devront faire l'objet d'une planification soignée et se dérouler progressivement, mais une chose demeure certaine, il faudra amorcer un mouvement dans cette direction pour satisfaire l'intelligentsia professionnelle et bureaucratique éduquée qui émerge dans un grand nombre des États du Golfe.

Il est impossible de prolonger plus longtemps les règnes féodaux des émirs et des cheiks sans que cela nuise au développement politique qui contribuerait à la stabilité et à la sécurité.

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L'écrivain et intellectuel Ali Khalifa al-Kawari, du Qatar, a suggéré un plan plus pratique de mise en oeuvre de ces changements. Selon lui, la première étape devrait être la création d'une Union constitutionnelle fédérale des États de la péninsule arabe, selon le modèle de l'Europe de 1992. La charte politique du Conseil de coopération du Golfe (CCG) contient déjà, dans son préambule, les prémisses d'une telle union. En proclamant une union fédérale, le Conseil suprême du CCG pourrait s'inspirer de la Constitution du Koweït de 1962 et de la Constitution de Bahrein de 1972, moyennant certaines révisions, pour élaborer une nouvelle constitution qui légitimerait la nouvelle structure politique et lui donnerait tout son poids juridique. Dans ce contexte, il deviendrait alors possible d'étudier les besoins de changements dans la structure politique, économique, sociale et culturelle pour préparer la région et ses peuples à l'approche du vingt-et-unième siècle et d'une ère postérieure au pétrole. Au nombre des agents qui façonneront le changement devront figurer le respect de la méthode démocratique, implicite dans le principe islamique du shura (consultation), et le respect des droits de la personne en tant que garant de l'égalité et de la justice sociale. C'est le seul moyen dont disposent les États de la péninsule pour assurer leur sécurité et leur développement collectifs. [al-Ahram al-Duwali, 20 décembre 1990, p. 6]

Il ne sera pas facile de mettre en oeuvre un nouveau système politique régional. La difficulté réside principalement dans le caractère transitoire indéniable des valeurs sociales et politiques des États péninsulaires qui, de normes idéales et traditionnelles, passent aux normes pratiques et modernes qu'exige la vie contemporaine. Les déserts d'Arabie ne sont pas les plaines de Picardie ni les champs fertiles du delta égyptien, et les seules frontières que les nomades d'Arabie reconnaissent sont celles qui leur sont imposées par les luttes de pouvoir, les allégeances et l'autorité humaine inscrites en leurs coeurs. Les principaux facteurs qui ont façonné les frontières de l'Arabie en 1920 étaient la solidarité tribale ('asabiyya) et le leadership d'un chef puissant nommé Abdul Aziz ibn Abdul Rahman Al-Sa'ud, qui a réussi, pendant son règne et longtemps avant sa mort en novembre 1953, à réunir une bonne partie de la péninsule.

La découverte du pétrole en Arabie saoudite, au début des années 1930, laissait présager une définition plus précise des frontières nationales. Pourtant, de nombreuses frontières restent vagues dans une grande partie de la péninsule arabe et les différends encore en suspens sont nombreux. C'est maintenant devenu un cliché de dire que les temps des sociétés arabes essentiellement pastorales et nomades sont passés. Pourtant, certaines subsistent et les valeurs qui soutenaient les modes anciens sont encore largement respectées, même si elles ne sont pas toujours observées à la lettre. En attendant, les habitants de l'Arabie se sont adaptés aux exigences de la cohabitation de l'ancien et du nouveau monde et font leurs propres ajustements personnels.

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La question économique est aussi au nombre des préoccupations rattachées à la nouvelle structure de sécurité dans la région du Golfe. Elle a deux dimensions principales : le besoin évident de certains pays de la région d'obtenir une aide économique afin de compenser les pertes directement imputables à la crise. La Jordanie, à elle seule, aura besoin d'une aide massive pour être sauvée de la stagnation dans laquelle elle s'enfonce et peut-être même de l'effondrement. Les Nations Unies ont déjà garanti les coûts additionnels que la Jordanie devra assumer devant le flot probable des réfugiés qui vont continuer à affluer de la zone de guerre. Les riches États arables devront fournir d'autres garanties et donc oublier leurs ressentiments à l'égard de la position jordanienne durant la crise et la guerre. [En arabe, les mots peuvent avoir des échos particulièrement douloureux et toutes les insultes échangées durant la crise du Golfe laisseront plus d'une blessure qu'il faudra guérir par la réconciliation.] La deuxième dimension se rapporte, selon certains observateurs, à la nécessité de répartir plus équitablement parmi les États du monde arabe ses richesses minérales.

Ce qu'il faut vraiment est une version arabe complète du Plan Marshall pour contribuer à la relance économique et à la reconstruction, et promouvoir une justice économique plus vaste pour tous. En 1983, le Secrétariat général du CCG a présenté un mémoire à la Commission de planification à titre de vaste guide stratégique pour le développement de toute la région. Un programme de ce genre aurait l'avantage de favoriser la stabilité et la sécurité sociales et de contrecarrer en partie l'appel du mouvement islamique intégriste.

Pour être viable, la structure de sécurité dans la région du Golfe devra, de toute évidence, reposer sur plusieurs paliers de consensus entre des États ayant des intérêts directs et indirects dans la région. Au premier palier de consensus devront figurer les trois principaux centres de décisions qui agissent directement sur le Golfe lui-même, soit l'Iran, l'Irak et les États péninsulaires (séparément ou en vertu d'une forme quelconque d'union fédérale). Ces trois groupes devront clairement s'entendre sur les principes fondamentaux qui définissent les bases de la stabilité et de la sécurité pour tous les résidants de la région. Pour y arriver, ils devront au préalable abandonner leurs ambitions hégémoniques anciennes et actuelles. La coopération et l'interdépendance devront être acceptées comme des principes de fonctionnement. Le deuxième palier d'États ayant des intérêts dans la région incluera probablement la Syrie, l'Égypte et la Turquie. Enfin, avant de clore les travaux pour la formulation d'un nouvel équilibre des pouvoirs dans la région, il faudra tenir compte des préoccupations d'autres puissances régionales et étrangères dont les intérêts dans le Golfe sont de nature commerciale.

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LA SÉCURITÉ DANS LE GOLFE APRÈS LA CRISE ET LE « NOUVEL ORDRE MONDIAL »

Depuis l'éclatement de la crise du Golfe persique, le 2 août 1990, il a souvent été question, dans les déclarations publiques, de la menace qu'elle représente pour l'émergence d'un « nouvel ordre mondial ». La plupart de ceux qui se sont servis de cette expression ont voulu en premier lieu faire référence au nouveau contexte international qui fait suite à la guerre froide et au climat de coopération qui unit les deux superpuissances dans le règlement des problèmes mondiaux, en particulier les menaces contre la sécurité régionale. Selon le secrétaire d'État américain, James Baker, la crise du Golfe s'est produite à un moment décisif dans l'histoire contemporaine, alors que le nouvel esprit de coopération entre d'anciens adversaires a permis aux Nations Unies d'assumer à nouveau leur rôle instrumental dans la résolution des problèmes mondiaux et la préservation de la paix. Donnant à la doctrine de l'intention originale une saveur internationale, de nombreux observateurs n'ont pas tardé à remarquer que le temps était peut-être enfin venu de voir les Nations Unies fonctionner comme ses fondateurs l'avaient espéré au départ. Pour ceux qui ont assisté à cette création, les perspectives que cette pensée suscite ont de forts attraits émotifs.

Avec l'appui de l'Union soviétique, les États-Unis ont réussi à persuader près de trente États, sur les 159 qui composent les Nations Unies, de joindre leurs efforts pour mettre en oeuvre la résolution 678 du Conseil de sécurité de l'ONU, soit d'imposer le retrait des forces irakiennes et de rendre au Koweït sa souveraineté, par la force si nécessaire. Tous les États de la péninsule, à l'exception du Yémen, ont des forces qui participent à la coalition multinationale contre l'Irak. Tous les continents sont représentés, mais l'absence de contingents soviétiques et d'autres États populeux de l'Asie du Sud est une indication que l'effort de guerre de l'ONU n'est pas totalement équilibré. D'autres États qui ont volé en faveur de la résolution 678 soutiennent les objectifs des Nations Unies moralement et financièrement. L'approbation de la résolution par la Chine a été largement acclamée comme un signe favorable pour l'avenir.

Dans le contexte de la crise du Golfe, il était clair que, dans un nouvel ordre mondial, les États vastes et puissants ne pourraient plus faire qu'une bouchée des États de moindre envergure.

Ces faits font ressortir le vaste soutien international dont jouit, au niveau intergouvernemental, le caractère punitif de la campagne actuelle contre l'Irak. Il n'a cependant pas été précisé jusqu'où pouvait s'étendre l'action de la coalition une fois le retrait du Koweït assuré. La vision du « meilleur des mondes » reste quelque peu floue et ses objectifs ultimes n'ont pas été définis en détail, mais les idées fondamentales rattachées à l'expression messianique et apocalyptique sont largement partagées. Dans le contexte de la crise du Golfe, il était clair que, dans un nouvel ordre mondial, les États vastes et puissants ne pourraient plus faire qu'une bouchée des États de moindre envergure. Les dictateurs aux tendances agressives ne pourraient plus s'en tirer à bon compte d'un comportement tyrannique en comptant sur la guerre froide pour empêcher toute mesure de redressement ou de restriction. Les plus forts seraient tenus de respecter les droits des plus faibles et les règles de droit prévaudraient sur la loi de la jungle. Les mots braves, soutenus par des mesures fortes, font naître de grandes espérances.

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Le vaste consensus de la communauté internationale à l'égard de la condamnation de l'Irak et du déploiement d'une importante force militaire multinationale dans le Golfe n'a pas empêché les critiques nationaux et étrangers de s'en prendre à l'entreprise en tant qu'expression de l'ordre mondial nouveau. Les critiques étrangers et certains des critiques nationaux de la guerre ont rapidement reproché aux États-Unis de se servir de l'ONU comme d'un instrument de leur politique étrangère dans une région extrêmement inflammable du globe. L'initiative américaine est la preuve, selon eux, que le monde bipolaire de l'ancien ordre mondial à été remplacé par un monde à un seul pôle où les États-Unis conservent seuls le titre de puissance hégémonique. Il peuvent donc utiliser cette puissance à des fins qui ne correspondent pas à celles de la majorité des Nations Unies. Les critiques ont particulièrement dénoncé le peu d'empressement des États- Unis à laisser leurs effectifs sous le commandement des Nations Unies parce que, affirment-ils, ceci aurait équivalu à abandonner le contrôle sur l'utilisation de ces effectifs. « ...le président semble reconnaître aux Nations Unies un rôle situé entre celui d'une couverture et celui d'un agent de négociation, plutôt que celui d'une organisation garante de la paix ». [Trudy Rubin, Knight- Ridder Newspapers, The (Montreal) Gazette, 15 septembre 1990, p. B3]

Bien avant le début de la guerre, de nombreux observateurs occidentaux de la crise du Golfe ont attiré l'attention sur les dangers d'une guerre pour la paix et la stabilité de la région et sur la menace qu'elle représenterait pour la création d'un nouvel ordre mondial. Même conscients de la nécessité de maîtriser Saddam Hussein, auteur d'une grossière atteinte aux droits fondamentaux des États, de nombreux critiques ont prédit que le chaos allait suivre la guerre, si telle était l'option choisie. « Loin d'assister à l'émergence d'un nouveau monde, nous allons simplement voir le transfert d'un monde connu depuis des centaines de générations en un lieu nouveau et plutôt instable. » [Hugo Young, « Bush's global vision that a war could destroy », Manchester Guardian Weekly, 23 septembre 1990] Dans les guerres du Proche-Orient, plus l'armée est importante plus les pertes s'accumulent et plus les guerres durent, plus les retombées politiques et culturelles sont terribles. C'est maintenant devenue une question de pure sagesse que de mettre fin rapidement à la guerre.

Dans le monde arabo-islamique, la notion d'ordre mondial nouveau ne suscite pas le même élan d'enthousiasme héroïque que dans l'Ouest.

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L'une des caractéristiques fondamentales du conflit du Golfe se réduit à la dichotomie profonde entre les perceptions politiques et les paramètres culturels des deux blocs adverses. Dans le monde arabo-islamique, la notion d'ordre mondial nouveau ne suscite pas le même élan d'enthousiasme héroïque que dans l'Ouest. Or, même si on ne peut simplement l'écarter sous prétexte qu'il s'agit d'une version déguisée et renouvelée du néocolonialisme, nombreux sont ceux qui craignent qu'on n'interprète à tort le rapprochement est-ouest comme une panacée et un modèle possible pour les relations nord-sud futures. On veut donner aux règles qui régissent le rapprochement est-ouest un caractère universel, mais les États du Sud savent bien qu'elles sont formulées par les États du Nord qui représentent moins d'un quart de l'humanité.

Les arabes, pour la majorité, ne nieront pas que le régime de Saddam Hussein est le plus répressif du monde, mais leur perception du « nouvel ordre mondial » est fortement conditionnée par la frustration qu'ils éprouvent à l'égard de l'apparente impuissance des Arabes devant l'immigration des juifs soviétiques en Israël. Dans le contexte de la crise du Golfe, Saddam, qui manifestement affronte l'hégémonie de l'Occident ou du Nord, devient automatiquement un héros. Un éditorialiste Égyptien respecté se demande selon quelle logique la nouvelle légitimité internationale, qui s'oppose catégoriquement à l'annexion d'un État membre des Nations Unies par un autre, devrait s'appliquer aux États qui étaient absents au moment de la création de l'organisation et qui n'ont pas été consultés lors de la formulation des règles qui allaient régir cette nouvelle légitimité. [Mohamed Sid-Ahmed, Middle-East Report, janvier-février 1991, p. 17]

L'absence de condamnation arabe manifeste de l'annexion du Koweït par Saddam et le soutien que les Arabes sont maintenant nombreux à lui accorder à titre de champion de leur cause sont influencés par le sentiment que le rassemblement des troupes dans le Golfe ne peut s'expliquer par la principale défense de la légitimité internationale. Le soutien dont jouit Saddam suggère que le nouvel ordre mondial n'a pas encore convaincu le Tiers-Monde. Les Nations Unies et ses membres fondateurs ont beaucoup à faire s'ils veulent que les États arabes et musulmans et leurs populations épousent plus largement cette idée et y participent.

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Date de modification : 2005-11-14

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