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Commentaire N° 22

Égypte et Iran : Brouille diplomatique entre rivaux régionaux

M. W. Millward

Mai 1992
Non classifié

Précis : L'Égypte et l'Iran n'entretiennent plus de relations diplomatiques depuis la signature, en 1979, des accords de Camp David. L'auteur examine les trois obstacles au rétablissement de relations entre ces deux États : l'engagement de l'Égypte à faire la paix avec Israël, les craintes associées à l'islamisme et la méfiance générale à l'endroit des ambitions régionales de l'Iran. Mai 1992. Auteur : M. W. Millward.

Note du rédacteur : Depuis une douzaine d'années, plusieurs événements au Proche-Orient ont envenimé les relations auparavant cordiales entre deux des États les plus puissants de la région. La révolution islamique qui a fait suite à la montée de Khomeini en 1979, la première guerre du Golfe (Iran-Irak), l'opposition soutenue de l'Iran aux «perfides accords de Camp David» et la deuxième guerre du Golfe, ont tous laissé une vague de fond de suspicion et souvent d'hostilité ouverte entre l'Égypte et l'Iran. Cette situation continue de menacer la stabilité de la région.

Le docteur W. Millward, analyste stratégique de la Direction de l'analyse et de la production du SCRS, explore en détail les trois obstacles principaux (toujours en place) au développement de relations pacifiques entre ces deux pays.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


À la suite de la guerre du Golfe de 1991, qui a radicalement modifié la dynamique des relations entre États arabes, au moins un des conseils et pactes préexistants est en ruine, et le monde arabe est divisé en deux camps hostiles. Seule l'impasse dans laquelle se trouvaient deux pouvoirs régionaux influents, l'Egypte et l'Iran, a traversé la guerre en restant essentiellement la même.

Au cours des derniers moins, l'atmosphère de soupçon et d'appréhension entre les deux États a nettement empiré. Or, tout nouvel équilibre du pouvoir et toute nouvelle structure de sécurité dans la région qui feront suite à la récente guerre du Golfe nécessiteront l'établissement d'un nouveau climat de compréhension et de relations mutuelles entre ces deux protagonistes influents. Compte tenu de la rivalité inamicale et des différends idéologiques qui les opposent depuis plusieurs décennies, il y a peu de chance d'une solution rapide aux tensions (et aux soupçons) qui existent entre eux. Les événements qui sont survenus récemment dans la région semblent n'avoir qu'envenimé une situation déjà tendue.

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L'héritage diplomatique

Déjà dans les temps anciens, l'Égypte et l'Iran étaient des centres de civilisation et de pouvoir militaire qui se faisaient concurrence. Tous deux avaient été conquis par les armées arabes et musulmanes de la péninsule arabe au milieu du septième siècle et incorporés ensuite à l'empire islamique universel. Au moyen âge et au début des temps modernes, ils étaient des centres rivaux d'enseignement et de culture islamiques ainsi que des pôles concurrents du pouvoir dynastique régional.

Au vingtième siècle, tant que l'Egypte et l'Iran étaient gouvernés par des monarchies, leurs relations pouvaient être dites relativement cordiales. Pendant longtemps, ils avaient un intérêt commun, à savoir se débarrasser de l'ingérence et de la domination coloniales de la Grande-Bretagne. En fait, leurs maisons royales ont été brièvement unies pendant le mariage avorté de Mohamed Reza Pahlavi, d'Iran, à la princesse Fawziah, soeur du roi Farouk d'Egypte, en 1939.

Lorsque la monarchie égyptienne a été renversée en 1952 et que le colonel Nasser est devenu le champion républicain de la cause du panarabisme, les relations entre les deux pays se sont détériorées. La malheureuse aventure de l'Egypte au Yémen au début des années 60 a attiré les critiques pleines de sous-entendus des autorités iraniennes, et les Egyptiens ont réagi en menaçant de reconquérir la province iranienne du Khouzistan — qu'ils appelaient l'Arabistan — pour la gloire du monde arabe.

En effet, lorsqu'il a succédé à Nasser comme président à la mort de celui-ci en 1970, Anouar El-Sadate, qui avait commencé sa carrière comme militaire et membre loyal du Conseil de commandement de la Révolution responsable du renversement de la monarchie et de l'instauration du système républicain en Egypte, est devenu un ami intime et un confident du monarque raffiné qu'était le chah d'Iran. Les liens diplomatiques entre les deux pays ont alors été cimentés et les relations commerciales, élargies. Sous Sadate, l'Egypte considérait le chah comme un partenaire pour assurer la stabilité dans la région et constituer un rempart contre les nouveaux courants de l'extrémisme islamique.

Il y a eu rupture des relations entre l'Egypte et l'Iran en 1978-1979, au moment de la percée soudaine de la révolution islamique en Iran. Lorsque le chah a été renversé, l'Egypte s'est vu obligée de désapprouver son remplaçant, l'ayatollah, qui éprouvait d'ailleurs à son égard les mêmes sentiments. Comme elles avaient eu leurs propres difficultés avec des extrémistes musulmans, les Frères musulmans et des groupes tels que l'al-Takfin wa al-Hijra, les autorités égyptiennes ont été consternées par l'arrivée soudaine au pouvoir, en Iran, d'un mouvement musulman radical, anti-occidental et anti-israélien. De leur côté, l'ayatollah Khomeini et ses partisans ne ressentaient que de l'antipathie, et de l'aversion pour ce chef d'État qui avait fait la paix avec Israël, puis donné refuge au chah déposé et fugitif. L'ayatollah avait ordonné personnellement de rompre les relations officielles avec l'Egypte au moment de la signature des accords de Camp David en 1979.

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La première guerre du Golfe

Dix-huit mois après l'établissement de la République islamique en Iran, les troupes irakiennes ont envahi le pays dans l'espoir de déloger le nouveau régime pendant que celui-ci se remettait encore des perturbations internes causées par la révolution. Ce fut le début d'un conflit qui a duré huit ans et qui était jusqu'alors sans pareil au Proche-Orient en termes de pouvoir destructeur et de coût humain pour les deux adversaires. La République islamique, qui a soutenu dès le début ne pas avoir voulu de ce conflit avec son voisin, a qualifié l'intrusion irakienne de «guerre imposée», une position qui aurait eu plus de crédibilité dans les milieux internationaux si les Iraniens avaient pris l'initiative de mettre fin à la guerre à plusieurs occasions, lorsqu'ils avaient l'avantage et occupaient le territoire irakien.

Comme la plupart de ses voisins arabes avaient rapidement appuyé les revendications de l'Irak contre la République islamique, ils ont dû lui fournir de l'argent et même des troupes pour poursuivre la guerre lorsqu'il est devenu évident que l'Iran non seulement n'allait pas se soumettre, mais prendrait même probablement l'offensive. L'Égypte a aidé discrètement l'Irak dans sa guerre contre l'Iran en lui fournissant du matériel, des conseillers et des «volontaires». Seul le refus de la Libye et de la Syrie de se joindre à l'effort de guerre a empêché Saddam de pouvoir affirmer que son conflit avec la République islamique était une guerre des Arabes contre les Ajams (Perses). Les médias de la République islamique ont confirmé cette affirmation en accusant les partisans arabes de l'Irak de n'être motivés que par des «considérations d'ordre racial sans égard pour la justice ou la vérité». (Tehran Times, 22 avril 1991, p. 2)

Pendant que la guerre se poursuivait à la frontière entre l'Iran et l'Irak, l'Egypte s'est trouvée mêlée à une autre guerre plus près de chez elle. En 1984, l'Égypte a accusé l'Iran et la Libye d'avoir placé les mines qui avaient détruit quatorze navires dans la mer Rouge et dans le golfe de Suez. Après une enquête sur les groupes extrémistes musulmans en Égypte, les autorités ont conclu, en mai 1987, que ces groupes étaient financés par l'Iran et elles ont donc décidé de rompre tous les liens existants avec la République islamique.

Bien qu'elle ait aidé l'Irak pendant la première guerre du Golfe, l'Égypte menait ses relations avec l'Iran dans un isolement diplomatique relatif depuis qu'elle avait été expulsée de la Ligue arabe à la suite des accords de Camp David. En joignant le consensus arabe contre ces accords, l'Iran semblait faire encore davantage affront à l'Egypte. C'est sans doute pour regagner en partie l'approbation des Arabes et se mériter une nouvelle reconnaissance diplomatique que l'Égypte s'est déclarée prête, après qu'un missile iranien eut été lancé sur un port pétrolier koweïtien en octobre 1987, à appuyer les États du Golfe en cas d'attaque directe par l'Iran. Ce fut dont une source d'ironie amère — certains diraient d'humiliation — pour les dirigeants égyptiens que de devoir honorer ce grand engagement après non pas une attaque de l'Iran contre le Koweït, mais une attaque venu d'Irak, ancien partenaire de l'Égypte contre l'Iran, en 1990-1991.

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Entre les guerres du Golfe

Lorsque la première guerre du Golfe a pris fin en juillet 1988, il y avait en Iran des milliers de prisonniers arabes, dont des soldats originaires d'Égypte, de Jordanie, du Soudan et d'autres États arabes, et le principal souci de l'Égypte a été d'obtenir la libération de ses ressortissants. Cependant, tant que l'ayatollah Khomeini a vécu, aucun effort spécial n'a été fait pour libérer les prisonniers égyptiens et rétablir les relations diplomatiques. Suite à la mort de l'ayatollah en juin 1989, l'Iran s'est engagé dans une nouvelle politique de rapprochement et de compromis avec ses voisins arabes et proche-orientaux.

En janvier 1990, l'Iran s'est dit intéressé par une coopération bilatérale avec l'Égypte dans plusieurs domaines agricoles. Grâce à la médiation d'Amman et de la Syrie, elle a fait connaître ses intérêts dans le cadre d'un vaste dialogue avec l'Égypte sur diverses questions, par exemple, l'accroissement du capital de la banque Égypte-Iran au Caire, des investissements en participation et d'autres entreprises bancaires, la reprise d'échanges commerciaux et industriels et la libération des cent et quelques prisonniers de guerre égyptiens toujours détenus dans les prisons iraniennes.

Alors que la République islamique manifestait le désir d'accroître ses relations avec l'Egypte, sa position officielle restait ce qu'elle était au moment de la rupture plus d'une décennie auparavant. «Il est impossible d'avoir des liens avec l'Égypte tant que le régime du Caire reste honteusement partie aux perfides accords de Camp David», écrivait le Tehran Times (19 mars 1990, p. 2). Cette opinion était confirmée plus tard par le premier sous-ministre aux Affaires extérieures, Ali-Mohammad Besharati, selon lequel l'Iran serait heureux de rétablir ses relations avec une Égypte qui se serait retirée des accords de Camp David, car il souhaitait nouer des liens étroits avec la nation (peuple) musulmane et révolutionnaire d'Egypte». (FBIS-NES-90-084, 1er mai 1990, p. 31)

Il semble que cette position corresponde à un principe en matière de politique étrangère sur lequel il y a un consensus inébranlable entre les factions du régime iranien en place. Comme l'Égypte ne peut apparemment pas, sous ses dirigeants actuels, se retirer des accords de Camp David, nous supposons que les Iraniens se sont résignés à traiter avec l'Égypte, dans un avenir prévisible, à un niveau moindre que celui de véritables relations diplomatiques. Peut-être conscient du caractère inflexible de cette position, l'Égypte a répondu que tout changement dans ses relations avec l'Iran serait lié à la question des prisonniers égyptiens détenus par l'Iran et au respect par ce pays des articles de la résolution nº 598 du Conseil de sécurité afin d'arriver à un règlement final et pacifique du conflit Irak-Iran.

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La deuxième guerre du Golfe

Juste au moment où la position diplomatique de l'Égypte dans le monde arabe était en train de s'améliorer et où des mesures étaient prises pour ramener le siège de la Ligue arabe au Caire, l'Irak a envahi le Koweït et blâmé de façon particulièrement blessante le président égyptien Moubarak pour les efforts de médiation qu'il avait fait pour régler les différends entre les deux intervenants. Il serait difficile de sous-estimer le tort causé, dans les milieux arabes et musulmans, à la crédibilité diplomatique de l'Égypte qui était partenaire de l'Irak au sein du Conseil de coopération arabe. Bien que l'Égypte ait rejoint la coalition alliée pour chasser l'Irak du Koweït et engagé dans les forces conjointes un nombre considérable de ses soldats, ceux-ci ont joué en général un rôle de soutien et ont été éclipsés par leurs hôtes saoudiens, beaucoup moins nombreux mais plus visibles. Pour l'Égypte, l'avantage présenté par la guerre du Golfe a surtout été l'annulation de ses dettes envers les États-Unis, son allié pendant la guerre, une association qui pourrait difficilement lui gagner un crédit additionnel auprès du régime iranien.

Comparativement, la République islamique est sortie de la guerre du Golfe avec une capacité accrue sur le plan de la perspicacité et de l'équilibre pour avoir réussi à maintenir sa neutralité. Elle avait de bonnes raisons d'être satisfaite en voyant l'Iraq humilié sur le champ de bataille par les armes supérieures utilisées par d'autres intervenants, dont certains de ses alliés d'autrefois contre l'Iran. En plus des profits qu'il a retirés de l'augmentation de ses ventes de pétrole pendant le summum de l'embargo contre l'Irak, l'Iran pouvait se sentir davantage en sécurité et peut-être même profiter de l'occasion pour voir grandement réduite la capacité militaire et de production d'armes de son principal rival dans la région. Il était bien prêt à laisser à d'autres le soin de faire ce qu'il n'avait pu accomplir seul.

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Faits nouveaux depuis la deuxième guerre du Golfe

Quelle que soit leur position respective dans l'équation diplomatique régionale, l'Egypte et l'Iran ont toujours, un an après la deuxième guerre du Golfe, les mêmes relations qu'elles avaient au début de la guerre et qu'elles avaient eues pendant les dix années précédentes. La guerre n'a eu aucune répercussion visible sur leurs relations. Aujourd'hui, l'Iran entretient des relations diplomatiques officielles avec tous les pays arabes, sauf l'Egypte, mais y compris avec l'Arabie Saoudite avec laquelle il s'était amèrement querellé en 1988 au sujet de l'administration et des quotas des pèlerinages.

Si l'objectif recherché est l'établissement d'une stabilité relative dans la région, la sagesse géopolitique conventionnelle applicable au Proche-Orient pose en principe le besoin de coopération et de consensus pour les trois principaux centres militaires et démographiques que sont l'Egypte, l'Iran et la Turquie. L'axe Egypte-Iran est le seul où manquent la pleine reconnaissance et la coopération. Ces deux pays ont des réservoirs de population et de main-d'oeuvre à peu près égaux et, comme l'Iran est en train de moderniser ses programmes en matière d'armement et de matériel, il devrait y avoir également une parité militaire relative entre eux. Qu'est-ce qui les sépare donc, puisqu'ils ont tous deux comme principe de leur politique étrangère la stabilité régionale fondée sur la coopération et l'intérêt commun? Il y a trois obstacles fondamentaux.

Le premier, qui est également le plus difficile à supprimer, est la cause même de la rupture de ces relations, à savoir l'engagement de l'Égypte concernant les accords de Camp David et la paix avec Israël aux dépens du peuple palestinien. Peu de questions de politique étrangère sont plus essentielles et plus centrales pour le rôle que joue l'Égypte dans la région que ses obligations liés aux accords de Camp David. Bien que ceux-ci aient mené à dix ans de séparation et d'isolement relatifs du reste du monde arabe et aient en outre coûté la vie au chef d'État qui les avait signés, l'Égypte a, sous la direction de son nouveau dirigeant, continué de respecter l'entente et a regagné la plus grande partie de l'influence qu'elle exerçait auparavant dans les conseils interarabes. Elle a toujours espéré convertir les autres États arabes à cet élément fondamental de sa politique régionale pour la paix et la stabilité et, compte tenu de la reprise récente du processus de paix, elle fait peut-être des progrès en ce sens auprès de l'Arabie Saoudite et des États du Golfe. Il est peu probable qu'elle change de position sous son dirigeant actuel, car elle perdrait alors l'appui financier et militaire des États-Unis ainsi que le soutien moral d'autres pays occidentaux sans lesquels son économie serait menacée et son influence régionale, grandement réduite.

La position de l'Iran est diamétralement opposée à celle de l'Égypte. Les factions iraniennes ne s'entendent que sur peu de questions de politique, mais toutes souscrivent sans hésitation à l'héritage qui leur vient de la «ligne de l'imam», c'est-à-dire l'ayatollah Khomeini. Ne pas s'opposer nettement à tout mouvement vers la paix avec Israël, usurpateur des droits des Palestiniens et occupant du territoire palestinien et des lieux saints musulmans à Jérusalem, serait trahir le peuple musulman et palestinien. État à l'avant-garde du mouvement musulman, la République islamique ne peut renoncer à son rôle de dirigeant dans ce dossier sans perdre beaucoup de sa crédibilité. Elle s'oppose donc à la série actuelle de pourparlers de paix et elle a même organisé à Téhéran, en décembre 1991, une contre-conférence sur la Palestine à laquelle ont été invités tous ceux qui s'opposent au plan américano-russe. M. Rafsanjani lui-même, qui est la personnalité la plus puissante de l'actuel régime iranien et le dirigeant de la prétendue faction «modérée», s'est présenté à cette conférence dont il a appuyé les objectifs. Pour l'Iran, la série actuelle de pourparlers de paix est essentiellement une comédie et ne sert qu'à donner davantage de légitimité à Israël. Les autorités iraniennes n'ont jamais caché que leur ambition finale est de voir rendre les lieux saints musulmans à Jérusalem à leurs propriétaires légitimes. Rien ne laisse prévoir que cette position changera tant que le régime actuel sera en place.

Une deuxième cause grave d'aliénation et de dissension entre l'Égypte et l'Iran est la crainte que le facteur islamique suscite en Égypte. Contrairement aux allégations de certains observateurs et commentateurs égyptiens, les cas d'extrémisme islamique survenus en Égypte ne peuvent être attribués uniquement à l'exemple de l'Iran depuis 1979 et aux exhortations de l'ayatollah Khomeini et de ses successeurs. L'Égypte a toujours eu ses propres partisans et fervents islamiques qui ont causé des problèmes aux autorités égyptiennes dès le début de l'occupation coloniale et peut-être même avant. L'exemple iranien a sans aucun doute encouragé cet extrémisme en Égypte et en a favorisé le développement, et il a peut-être été un facteur dans l'assassinat du président Sadate. Le régime égyptien s'inquiète en effet de l'interprétation que font de cet événement de nombreuses sources iraniennes, à savoir que l'exécution de Sadate est un acte révolutionnaire dû à la juste colère des partisans musulmans en Égypte face à la trahison de la cause des Palestiniens et des musulmans.

D'autres événements survenus récemment dans la région ont exacerbé les tensions et la division entre les deux pays. Au début de décembre 1991, le président iranien Hashemi Rafsanjani s'est rendu en visite officielle au Soudan, à son retour d'une conférence islamique tenue à Dakar. Il était accompagné par de nombreux fonctionnaires, dont le commandant des Gardiens de la Révolution et le chef de la sécurité d'État. L'accueil que leur ont réservé les représentants officiels et le peuple soudanais était sans précédent dans l'histoire récente de ce pays. La foule se pressait dans les rues pavoisées de portraits de l'ayatollah Khomeini et des dirigeants actuels du régime. Il est probable qu'il s'agissait non seulement d'une manifestation d'enthousiasme pour la République islamique et ses revendications révolutionnaires, mais aussi d'une protestation véhémente contre les mesures punitives prises par l'Arabie Saoudite et par d'autres membres de la Coalition à l'encontre du Soudan qui avait nettement soutenu l'Irak pendant la deuxième guerre du Golfe. Le Soudan avait d'ailleurs pris le parti de l'Irak contre l'Iran pendant la première guerre du Golfe.

Il est toutefois impossible de nier qu'il existe une convergence d'intérêts imprévue et apparemment réelle entre le Soudan et la République islamique. Comme l'Égypte et le Soudan sont depuis toujours étroitement associés, toute présence iranienne au Soudan sera considérée comme une menace éventuelle pour les intérêts égyptiens au sud. Les autorités égyptiennes s'inquiètent surtout des rumeurs selon lesquelles les Iraniens fournissent au Soudan d'importantes quantités de matériel militaire et d'installations de formation. Bien que la rumeur de l'envoi au Soudan d'un contingent de 450 gardiens (3 000 selon un reportage) de la Révolution ait été lancée par des groupes d'opposition tant iraniens que soudanais, elle suscite malgré tout l'anxiété, même si elle n'a pas été confirmée.

Dans le même esprit, le mouvement islamique semble gagner du terrain en Afrique et dans les pays du Maghreb. Les événements survenus en Algérie ces derniers mois et dont on a beaucoup parlé, tout comme les activités moins sensationnelles mais également menaçantes du al-Nahda et d'éléments islamiques en Tunisie, bénéficieraient du soutien financier et moral de l'Iran et pourraient facilement donner l'impression aux autorités égyptiennes que le pays est bordé, sinon entouré, par des forces d'opposition à sa porte comme dans son arrière-cour. Bien qu'il faille considérer certains des événements survenus au Soudan à la lumière de l'échec récent de la politique et du manque d'intérêt de l'Égypte vis-à-vis de son voisin du sud, l'Égypte ne peut voir dans l'apparition du nouvel axe Khartoum - Téhéran, qui est fondé sur les principes révolutionnaires islamiques, qu'un obstacle additionnel à son influence dans la région. Certains cercles politiques et médiatiques n'ont pas aidé la situation lorsqu'ils ont peint la visite de Rafsanjani au Soudan comme un scénario de complot.

Un troisième facteur qui nuit à l'établissement de relations diplomatiques et amicales entre l'Égypte et l'Iran est la méfiance qu'entretient l'Égypte vis-à-vis des intentions de l'Iran dans la région. Cet élément a été très visible après la deuxième guerre du Golfe, lors de la prise de mesures visant à assurer la future sécurité du Golfe. La Déclaration de Damas de mars 1991 prévoyait un projet de sécurité uniquement arabe fondé sur la formule six plus deux, c'est-à-dire les six Etats du Conseil de coopération du Golfe plus l'Égypte et la Syrie, deux pays membres de la coalition constituée pour expulser l'Irak du Koweït. Au cours de l'année qui a suivi, les États du Golfe eux-mêmes ont commencé à avoir des doutes sur les avantages d'une défense assurée par des troupes égyptiennes et syriennes installées sur leur territoire. Les principaux garants de la sécurité du Golfe sont actuellement les États-Unis et leurs alliés européens, surtout la Grande-Bretagne.

Par égard pour le nouveau pouvoir de l'Iran, la majorité des États du Golfe ont estimé qu'il était inutile d'espérer qu'un plan de sécurité pour la région réussisse, si l'Iran ne l'approuvait pas et n'en faisait pas partie. Cet avis a été une importante source de discorde et de discussion pour les autorités égyptiennes, qui avaient retenu l'opinion plutôt myope selon laquelle la sécurité du Golfe était une question arabe et les États non arabes n'avaient pas à s'en mêler. Comme l'Iran est le pays le plus peuplé de la région et que sa frontière nord est le Golfe, il était irréaliste de penser pouvoir l'exclure de tout nouveau plan de sécurité du Golfe. Le désir de l'Égypte de faire partie des nouvelles dispositions était compréhensible du point de vue financier, car cette participation allait lui permettre de retirer des États du Golfe des revenus considérables dont elle a grand besoin. De son côté, l'Iran disait n'avoir rien contre le projet 6 + 2, si celui-ci avait pour but de garantir la sécurité des frontières terrestres de certains pays arabes. Toutefois, s'il s'agissait d'un plan destiné à assurer la paix et la stabilité dans le golfe Persique, l'Iran ne pouvait que le considérer comme une plaisanterie, puisque le désir de l'Égypte de jouer un rôle dans les mesures visant à assurer la sécurité dans le Golfe équivalait en fait au désir que pourrait avoir l'Iran d'assurer la sécurité dans le canal de Suez. (Tehran Times, 29 juin 1991, p. 2)

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L'avenir des relations entre l'Égypte et l'Iran

À l'heure actuelle, un an après la fin de l'opération Tempête du désert, les États du Golfe ont convenu que les mesures visant à assurer la sécurité dans la région devraient comprendre un avis interdisant à tous les pays arabes n'ayant pas accès au Golfe, tels l'Égypte et la Syrie, d'y être partie. Comme de nombreux gouvernements occidentaux, l'Égypte craint que la vision du chah selon laquelle l'Iran devait être le gendarme et le protecteur du Golfe soit toujours populaire à Téhéran (The Economist, 15 février 1992, p. 19). Sur le plan de leur sécurité, les deux régimes doivent faire face à des explosions sporadiques et imprévisibles de protestation qui sont une source d'instabilité qui elle est causée par une situation économique difficile. Aucun des deux régimes n'est menacé d'instabilité, mais les Égyptiens affirment que leurs problèmes internes sont délibérément aggravés par la subversion inspirée et financée par l'Iran et fondée sur l'hostilité idéologique. L'Iran ne porte pas ce genre d'accusation contre l'Égypte.

Par ailleurs, l'Iran est bien placé pour établir des liens forts avec les États musulmans de l'Asie centrale. Plusieurs facteurs appuient l'expansion de son influence dans cette région. L'un d'eux est la proximité géographique et les intérêts communs qui en découlent, et un autre, l'affinité ethnique et linguistique avec le Tadjikistan, un des États nouvellement indépendants. Des différences présumées existent entre l'Iran et la plupart de ces États en raison du caractère ethnique turc de ces derniers et de leur tradition islamique sunnite. Cependant, les Iraniens connaissent bien depuis longtemps leurs coreligionnaires turcs et ont une vaste expérience des transactions avec eux. Il y a en outre à l'intérieur des frontières iraniennes une importante population turque qui a de la parenté de l'autre côté de ces frontières.

La vraie question qui reste aujourd'hui sans réponse est la mesure dans laquelle les Iraniens vont réussir à exporter leur style d'islamisme militant auprès de leurs coreligionnaires de l'ex-URSS dominée par les communistes. Quoiqu'il arrive, l'Égypte jugera sans aucun doute indésirables les activités de l'Iran en Asie centrale et s'efforcera de contrecarrer l'influence et le potentiel iraniens. Les autorités égyptiennes songent déjà à ouvrir des ambassades dans plusieurs républiques musulmanes, et le président Moubarak a demandé à l'université al-Azhar d'envoyer des professeurs travailler auprès des soixante-dix millions de musulmans de l'Asie centrale ex-soviétique, dont la majorité, comme les musulmans d'Égypte, sont de rite sunnite.

La rivalité qui oppose l'Égypte et l'Iran et leur concurrence pour exercer une influence dans les secteurs commercial et culturel ne sont pas une mauvaise chose pour les républiques musulmanes. Celles-ci peuvent en effet choisir entre l'aide et les échanges commerciaux avantageux qui leur sont offerts et elles vont sûrement retenir l'option qui semble la moins coûteuse et qui présente le moins de désavantages. La plus grande proximité et le temps de livraison plus court vont donc favoriser les fabricants et fournisseurs iraniens. Sa position économique relativement meilleure et son réservoir de ressources permettront probablement à l'Iran d'être plus compétitif. Si l'aide et les échanges sont offerts sans condition et sans ingérence subversive dans leurs affaires politiques internes, les États de l'Asie centrale considéreront fort probablement l'Iran comme un partenaire plus naturel et plus logique dans leurs futurs plans de développement.

De leur côté, les Égyptiens continueront de se méfier des intentions de l'Iran en Asie centrale et au Proche-Orient. Depuis avril 1991, il y a au Caire un représentant iranien d'un échelon peu élevé, ce qui facilite l'expansion des relations commerciales, mais son niveau ne devrait pas être relevé de sitôt. Le sentiment officiel qui prévaut en Égypte est que les Iraniens, malgré tout ce qu'ils disent au sujet d'une nouvelle politique étrangère axée sur l'amitié et la coopération, n'ont pas modifié d'un iota leurs positions ou leur intentions et projettent toujours de fomenter la révolution islamique dans le plus grand nombre possible d'États musulmans.

Tant que ce sentiment persistera et sera alimenté par la conviction qu'il y a toujours de la subversion et de la violence inspirées par les Iraniens en Égypte et au Soudan, sans parler d'ailleurs, les relations diplomatiques officielles ne reprendront pas. Les rapports qui existent déjà dans les domaines financier et bancaire et dans le secteur de la collaboration agricole connaîtront peut-être une certaine expansion, mais ils resteront officiellement gelés, sinon hostiles. Il est ironique que l'Égypte, État arabe musulman important et influent, entretienne des relations officielles avec Israël, mais pas avec un État frère de la région tout aussi important. Seul un changement de régime permettra probablement de modifier cette situation.

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Date de modification : 2005-11-14

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