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Commentaire N° 25

L'Espoir de paix au Moyen-Orient renaîtra-t-il avec l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement en Israël?

M. W. Millward

Septembre 1992
Non classifié

Précis : L'auteur examine les quatre facteurs qui influeront sur la reprise des pourparlers de paix au Moyen-Orient: les colonies israéliennes, la force de la coalition au pouvoir, l'influence des extrémistes dans les deux camps et l'issue des présidentielles américaines. Septembre 1992. Auteur : M. W. Millward.

Note du rédacteur : Malgré un certain optimisme quant à la reprise des pourparlers sur le Moyen-Orient, plusieurs facteurs rendent le processus de paix vulnérable: les implantations israéliennes contestées; la solidité de la coalition formée par Yitzhak Rabin; les extrémistes qui s'opposent à la paix dans les deux camps; et bien entendu les résultats de l'élection présidentielle américaine du mois de novembre.

Dans le cadre de sa série sur le Moyen-Orient, le docteur W. Millward, analyste stratégique à la Direction de l'analyse et de la production du SCRS, examine les divers facteurs ci-hauts et présente les perspectives quant à l'avenir du processus de paix.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


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Le changement radical qui est survenu dans la situation politique et géo-stratégique au Moyen-Orient depuis la guerre du Golfe été un facteur important dans la relance du processus de paix à Madrid, en octobre dernier. Les profonds bouleversements sur la scène internationale avec la fin des vieilles querelles est-ouest et l'émergence d'un esprit de coopération, semblent avoir créé un nouveau climat dans lequel même le violent conflit qui oppose depuis longtemps Arabes et Israéliens mérite d'être réexaminé. À l'époque, il ne manquait guère de cyniques et de pessimistes pour affirmer que le conflit au Moyen-Orient était très particulier, qu'il demeurait insoluble malgré les changements spectaculaires s'étant produits ailleurs dans le monde, et qu'il ne servait à rien de gaspiller énergie et ressources à tenter de débloquer des négociations qui avaient déjà échoué tellement souvent qu'elles pouvaient être qualifiées de «vaine diplomatie».

Et pourtant, c'est pour maintes raisons valables que le processus de paix a été relancé, voire même ravivé, à Madrid, avec de grands espoirs de réussite au lendemain de la victoire de la coalition contre l'Irak. Cinq séries de pourparlers ont eu lieu depuis la séance inaugurale à Madrid jusqu'à celle de clôture à la fin de mai 1992. Malgré tout, les deux camps n'en sont même pas arrivés à ce qui aurait pu être qualifié de discussions sérieuses, et encore moins d'ententes, sur des questions de fond comme l'armistice, le retrait des troupes, les éventuelles ententes mixtes sur la sécurité et la délimitation des frontières, ainsi que sur des questions régionales plus générales comme le partage des eaux, la non-prolifération et le droit de retour des réfugiés. Les territoires et leur contrôle sont au coeur du débat : quelle partie des territoires annexés depuis 1948 Israël est-il prêt à céder aux Palestiniens, aux Jordaniens, aux Libanais et aux Syriens en échange de la paix et de garanties internationales?

De nombreux obstacles sont venus entraver les pourparlers au fil des ans, notamment la tenue d'élections générales soit en Israël même soit aux États-Unis qui sont encore le principal promoteur et médiateur du processus de paix au Moyen-Orient. Une autre série de négociations, la première depuis l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement en Israël, a commencé à Washington pendant la dernière semaine du mois d'août. À moins que des progrès imprévus n'y soient réalisés, il est peu probable que d'autres discussions sérieuses aient lieu avant les élections américaines de novembre.

Beaucoup d'observateurs croient que le rituel démocratique des élections et les changements qu'il entraîne, ont servi de prétexte pendant plus de quarante ans pour reporter toute initiative susceptible de mettre fin au conflit. Et pourtant, les élections américaines de 1976 ont permis l'arrivée au pouvoir d'un nouveau président qui s'est révélé l'artisan des accords de Camp David. Compte tenu du rôle prépondérant que jouent les États-Unis en qualité de parrain du processus de paix, les résultats des élections présidentielles américaines de novembre pourraient avoir des répercussions considérables sur l'avenir des négociations.

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Le rôle du Canada

Le Canada, pays ami et partenaire commercial des deux camps dans le conflit le plus tenace et le plus déchirant au Moyen-Orient, participe depuis longtemps aux efforts de médiation, aux missions de maintien de la paix ainsi qu'à la mise en place de tribunes et de mécanismes qui visent à favoriser la communication et à accroître les chances de réconciliation. Le Canada privilégie instinctivement le compromis comme moyen idéal pour résoudre les différents et, dans le cadre du conflit israélo-arabe, il affiche depuis longtemps ce point de vue par la voie des Nations Unies, de ses organismes et du consensus d'opinion qui se dégage de cette tribune sur la scène internationale. C'est donc dans cette optique qu'il a accueilli le Groupe de travail sur les réfugiés à Ottawa, à la mi-mai. Le groupe au sein duquel 35 pays étaient représentés a discuté de questions connexes telles que la réunification des familles, la formation professionnelle et la création d'emplois, la santé publique ainsi que l'établissement d'une base de données exhaustive sur les réfugiés. [Ottawa Citizen, 16 mai 1992]. Si les intervenants manifestent suffisamment d'intérêt et d'empressement, le Canada accueillera sans doute de nouveau les membres du groupe en novembre.

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Changement de gouvernement en Israël, le Parti travailliste remplace le Likoud

Les résultats des récentes élections en Israël ont suscité un regain d'optimisme quant à la tenue de réelles négociations de paix dans un avenir rapproché et à la conclusion d'une entente, d'ici neuf à douze mois, sur un statut «quelconque» (qui n'a encore jamais été défini) d'autonomie des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Que ce soit à juste titre ou non, le Likoud d'Yitzhak Shamir est considéré en Israël et sur la scène internationale comme le grand responsable, d'abord de l'inflexibilité et de l'immobilisme qui ont caractérisé le processus de paix en raison de sa répugnance à discuter d'une véritable autonomie pour les Palestiniens dans les territoires occupés, puis de la tension dans les relations israélo-américaines en raison de son programme vigoureux de construction d'implantations juives.

Les résultats des élections israéliennes et les raisons qui ont incité les électeurs à opérer un changement radical, voire même révolutionnaire, peuvent être interprétés de maintes façons. Après avoir été dirigés pendant quinze ans par le Likoud, seul ou au sein de coalitions d'unité nationale paralysantes, beaucoup d'électeurs ont peut-être estimé qu'il était temps de changer pour changer. Avec une économie chancelante, un taux record de chômage, particulièrement chez les nouveaux immigrants, une immigration à la baisse et une émigration à la hausse, une grave pénurie de logements, des relations de plus en plus tendues avec les Palestiniens, dont l'Intifada a traversé la ligne verte pour passer en Israël même, et un processus de paix qui ne mène manifestement nulle part, l'électorat avait des raisons tout à fait valables d'estimer que le Likoud a simplement été trop longtemps à la tête du pays. Il était temps de mettre fin à la suffisance et à l'indécision qui accompagnent inévitablement tout exercice prolongé du pouvoir.

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Nouveau dirigeant, nouvelles priorités

Avant les récentes élections, Yitzhak Rabin affirmait que son parti et lui étaient synonymes de changement, qu'ils offraient des points de vue, des politiques et des priorités nouvelles. Ils s'engageaient avant tout à poursuivre les négociations avec les Palestiniens pour en arriver à une solution politique le plus rapidement possible. Le Parti travailliste proposait principalement de favoriser la tenue d'élections chez les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, leur accordant ainsi une autonomie partielle. En encourageant un tel processus et la nomination de représentants mieux sensibilisés aux besoins des Israéliens sur les plans psychologique et sécuritaire, le nouveau gouvernement pourrait marginaliser davantage le rôle de l'OLP dans la vie quotidienne des Palestiniens qui jouiraient alors d'une autonomie restreinte. Cette autogestion ne signifierait pas pour autant la création d'un État palestinien indépendant, solution à laquelle M. Rabin s'oppose, paraît-il, par principe. Le gouvernement israélien ne céderait pas le contrôle de Jérusalem-Est, de la vallée du Jourdain, du plateau du Golan ou des cols menant à la ligne de partage des eaux en Cisjordanie.

Faisant allusion aux implantations israéliennes contestées en sol palestinien, M. Rabin a proposé le gel des implantations dites «politiques» et l'affectation des fonds ainsi épargnés à la création d'une infrastructure et d'emplois pour les nouveaux immigrants. Il a toutefois affirmé que les implantations dites «stratégiques» se poursuivraient et seraient élargies au besoin. La distinction qui sera établie entre ces deux types d'implantation pourrait se révéler cruciale. Certains pourraient prétendre que l'expression «implantation stratégique» est en soi contradictoire. Lorsque des territoires doivent être protégés militairement et stratégiquement, des avant-postes et des dépôts d'armes doivent y être aménagés par le ministère de la Défense, mais non des agglomérations civiles comme le sous-entend le terme implantation. Les présumées «villes dortoirs» de Cisjordanie, par exemple Elon Moreh et Kfar Adumim, qui n'ont aucune raison d'être sur le plan militaire ou religieux, pourraient être considérées comme des implantations «politiques». Les pièges sémantiques que comporte l'utilisation du terme «politique» pour décrire les anciennes, actuelles ou éventuelles implantations ne sont pas qu'un sujet de discussion pour les idéologues israéliens. Si on qualifie de «politique» une «implantation qui ne rapporte aucun avantage sur le plan économique ou sécuritaire et qui ne vise qu'à maintenir une présence sur place», cette définition ayant une connotation péjorative sera sûrement rejetée par de nombreux doctrinaires sionistes israéliens. [Shmu'el Schnitzer, Petah Tiqvah Was a Political Settlement, FBIS-JPRS-NEA, 10 juin 1992, p. 2.] Le réel défi d'Yitzhak Rabin consistera à s'entendre d'abord avec les Palestiniens, puis avec les Américains, sur ce qu'est une implantation «stratégique».

Beaucoup de spécialistes de la politique israélienne estiment que l'avenir des pourparlers de paix dépendra de la personnalité et des qualités de chef du nouveau premier ministre. Initié de longue date au Parti travailliste et ancien premier ministre et ministre de la Défense, Yitzhak Rabin est un homme public bien connu. Il ne parle peut-être pas du droit historique et moral du peuple juif à l'Eretz Israël, mais il pourrait fort bien y croire sans se sentir obligé de l'affirmer. Quoi qu'il en soit, le nouveau leader israélien se préoccupe énormément de la sécurité et estime qu'un retour aux frontières d'avant 1967 rendrait plus complexe la défense d'Israël.

Beaucoup d'importance a été accordée au rôle que M. Rabin a personnellement joué dans la campagne de son parti et dans la victoire de celui-ci. Les spécialistes des questions israéliennes ont semblé s'entendre pour dire que le chef travailliste est un homme bourru, taciturne et sévère n'ayant pas le charisme habituel des candidats aux élections en Occident. Pourtant, cela n'a pas semblé présenter d'inconvénients si l'on compare sa campagne à celle du chef du Likoud. Certains partisans ont même vanté son impassibilité, estimant qu'il prouvait ainsi son sérieux et son refus de parler pour la galerie. Rabin a plutôt été qualifié de sage et d'homme d'expérience sur qui la population peut compter, même s'il n'est pas télégénique et qu'il manque de charisme. Bref, les Israéliens pourront se fier à lui pour gouverner, surmonter les obstacles et résoudre les problèmes sans tout céder en échange.

Ce sont les valeurs centristes incarnées par Yitzhak Rabin et son parti qui ont amené les électeurs à opter en si grand nombre pour les Travaillistes. «Rabin est un homme compétent et digne de confiance, un militaire et un diplomate qui comprend les besoins de leur pays en matière de sécurité et qui les quantifiera sans y mêler d'idéologies. Il est un sabra [citoyen juif né en Palestine], un héros national qui est passé dans l'histoire et la tradition d'Israël pour le rôle qu'il a joué pendant la Guerre de Palestine de 1948 et la Guerre des six jours de 1967.» [Michael Neiditch, Christian Science Monitor, 2 juillet 1992.]

Le réalisme d'Yitzhak Rabin et sa volonté de conclure une entente avec les parties en cause sont d'autres traits de caractère sur lesquels on a beaucoup insisté pour expliquer l'écrasante victoire des Travaillistes sur le Likoud. Ancien militaire, il flaire immédiatement tout avantage sur le plan stratégique. Dans le cadre du processus de paix, «alors que Shamir a été paralysé par l'arrivée des Arabes, après celle des Égyptiens, aux séances de négociations organisées par les Américains, Rabin sera fort probablement survolté et il négociera.» [Stephen S. Rosenfel, Guardian Weekly, 5 juillet 1992.] Beaucoup d'analystes ont souligné le grand avantage qu'Yitzhak Rabin avait sur son rival en qualité d'ancien ambassadeur d'Israël à Washington comprenant mieux toutes les nuances du peuple américain, de son système politique et de sa structure sociale.

La façon dont il envisagera son rôle de dirigeant déterminera également le succès qu'il remportera à la tête du pays dans des situations critiques. En théorie, le système politique israélien privilégie un pouvoir collégial au sein duquel le premier ministre figure au premier rang parmi ses collègues du cabinet. En pratique, ce sont des premiers ministres forts et indépendants qui se sont succédé à la tête du gouvernement israélien — Ben Gurion, Begin, Shamir —, des dirigeants qui ont eu tendance à dominer leur cabinet et à insister sur la primauté de leurs idées. Après le vote du 23 juin qui laissait supposer une victoire travailliste, M. Rabin a déclaré à ses partisans que, pour prendre des responsabilités, il faut d'abord que l'autorité voulue soit accordée à ceux qui doivent les assumer. Il a ajouté qu'il dirigerait personnellement les négociations afin de former une coalition dès que les résultats définitifs des élections seraient connus, qu'il nommerait lui-même les ministres et qu'il n'y aurait pas de maquignonnage. [FBIS, 23 juin 1992.] Ayant déjà accepté la responsabilité du succès ou de l'échec du Parti travailliste aux élections, M. Rabin préparait la voie à un retour au style impérial ou présidentiel d'exercice du pouvoir. Sans une telle autorité, il sera peut-être difficile pour le nouveau leader israélien de manoeuvrer avec toute la souplesse nécessaire pour en arriver à une entente avec les États-Unis et les Palestiniens.

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Coalition ou réconciliation de l'irréconciliable

Un parti doit, pour former le gouvernement, détenir ou contrôler grâce à des coalitions au moins 61 des 120 sièges de la Knesset. Ayant remporté 44 sièges, le Parti travailliste maintenant renouvelé a dû se trouver des alliés pour établir une coalition sans compromettre ses principes fondamentaux et sans faire de maquignonnage. Avant même la tenue du scrutin, Yitzhak Rabin a déclaré que son parti et lui étaient en faveur d'une coalition qui soit la plus vaste possible, s'ils étaient appelés à diriger le pays.

Encore le 5 juillet, l'objectif du Parti travailliste consistait à créer un gouvernement de concert avec le Meretz, le Tsomet, les partis ultra-orthodoxes et peut-être aussi le Parti national religieux. Comme ces groupes représentent l'extrême gauche et l'extrême droite et comme certains privilégient le gel des implantations alors que d'autres s'y opposent, il serait difficile d'imaginer une coalition qui les incluraient tous, sans clause spéciale ou tractation de coulisse, bref, sans le genre de maquignonnage que le nouveau Premier ministre avait déjà déclaré hors de question. En fait, il a rapidement conclu un accord avec le Meretz, parti de gauche, et le parti religieux Shas, ce qui lui a permis de prendre le contrôle de 62 des 120 sièges de la Knesset. Deux partis arabes devaient aussi appuyer la nouvelle coalition, même s'ils ne seraient pas pressentis pour faire partie du gouvernement. Yitzhak Klein, analyste israélien dans de domaine des affaires publiques, a affirmé avec conviction qu'il était possible d'en arriver à un réel consensus national, surtout pour ce qui est de la paix, sans le consentement et la participation du Likoud. [Jerusalem Post, International Edition, 18 juillet 1992, p. 7.]

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Réactions des Arabes, des Palestiniens et d'autres intervenants

Des porte-parole des Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza ainsi que de l'OLP ont fait preuve d'un optimisme prudent quant à la capacité du nouveau premier ministre israélien et de son gouvernement à changer le ton et le climat des négociations et à relancer le processus de paix. Hanan Ashrawi, Faysal al-Husayni, Yasser Arafat et d'autres personnes bien en vue se réjouissent du changement et estiment que si le nouveau gouvernement israélien respecte sa promesse et cesse les implantations, l'atmosphère à la table de négociations pourrait réellement s'en trouver transformée. Nabil Sha'th, représentant de l'OLP, aurait dit que si tel était le cas, les Palestiniens mettraient fin aux actes de violence commis dans le cadre de l'Intifada.

Les hésitations des Palestiniens à l'égard du nouveau leader israélien s'expliquent par le souvenir qu'ils ont de l'époque à laquelle Rabin a été premier ministre (1973-1977), puis de celle à laquelle il a été ministre de la Défense au sein de la coalition du Parti travailliste et du Likoud, au début de l'Intifada, à l'automne de 1987. Les Palestiniens ne s'attendent pas à ce qu'Yitzhak Rabin, qualifié de «briseur d'os» et de faucon, responsable des mesures draconiennes prises pour contrer leurs protestations et ancien militaire qui s'est bâti une réputation en se battant contre les Arabes et non en négociant avec eux, soit l'artisan de la paix et estiment qu'il pourrait sentir le besoin de prouver qu'il peut se montrer aussi répressif que son prédécesseur. Il ne fait aucun doute qu'Yitzhak Rabin est un grand partisan de l'ordre public, et toute mesure policière stricte prise pour réprimer toute forme de protestation de la part des Palestiniens ne fera qu'étouffer leur confiance et que confirmer leurs pires craintes. Les incidents survenus à l'Université al-Najah, à Nablus, entre le 14 et le 17 juillet, en sont un bon exemple. La situation a fort heureusement pu être rétablie sans effusion de sang.

D'autres dirigeants arabes ont réagi à l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement en Israël avec la même attitude qu'ils ont adoptée depuis longtemps dans le conflit qui les opposent à ce pays. En Égypte, seul pays arabe à avoir signé un traité de paix avec Israël, les leaders ont, dans l'ensemble, bien accueilli ce changement et se sont montrés enthousiastes quant aux progrès susceptibles d'être réalisés en vue d'un accord global de paix. Le porte-parole jordanien, Kamiel Abu Jaber, a admis qu'un changement, quel qu'il soit, était préférable à l'impasse actuelle, mais il a avancé plusieurs raisons pour lesquelles les Arabes et les Palestiniens doivent se méfier d'un gouvernement israélien dirigé par Yitzhak Rabin, entre autres parce que celui-ci ne s'est jamais montré très conciliant et parce qu'il subira fort probablement des pressions politiques en Israël même qui l'empêcheront de faire des compromis en échange de la paix. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Faruq al-Shara, a affirmé que son pays attendrait qu'Israël pose des gestes concrets avant de se prononcer sur les résultats des élections et les politiques du nouveau gouvernement.

La victoire travailliste a généralement été accueillie avec beaucoup de soulagement sur la scène internationale. Elle a, à tout le moins, sorti le processus de paix de l'impasse et suscité de nouveaux espoirs de progrès dans la bonne direction. Les dirigeants de la Communauté européenne ont affirmé que l'élection du Parti travailliste serait bénéfique pour les négociations de paix au Moyen-Orient, mais qu'Israël devra se résoudre à échanger des territoires contre la paix (conformément aux résolutions nº 242 et 338 du Conseil de sécurité de l'ONU) pour en arriver à un accord durable. Les milieux politiques en Europe estiment encore que toute solution équitable et durable au conflit israélo-arabe devra avoir une dimension internationale.

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Rôle des États-Unis

C'est peut-être dans les milieux gouvernementaux et les grandes organisations juives aux États-Unis que les résultats des élections en Israël ont suscité le plus de satisfaction. Les relations entre ces deux pays étaient devenues tendues pendant la dernière année au pouvoir du Likoud, surtout en raison des divergences d'opinions sur les implantations juives dans les territoires occupés et sur l'obstacle qu'elles constituent dans le cadre du processus de paix. Ce différend a incité l'administration Bush à refuser de garantir des prêts bancaires de dix milliards de dollars devant servir à aider les nouveaux immigrants, si Israël n'acceptait pas de cesser les implantations.

De l'avis général, l'élection d'un nouveau gouvernement en Israël aura ouvert la voie à des progrès en vue d'une amélioration rapide des relations israélo-américaines. Elle favorisera aussi l'octroi des garanties des prêts bancaires et relancera le processus de paix. Le Secrétaire d'État américain est retourné au Moyen-Orient récemment pour s'entretenir avec des représentants des deux camps. Le nouveau premier ministre israélien s'est, quant à lui, rendu aux États-Unis et a réussi à rétablir la «relation privilégiée» [de partenaires stratégiques] que son pays entretenait auparavant avec les Américains. Le 11 août, le président Bush a annoncé qu'il recommanderait l'octroi de 10 milliards de dollars de garanties bancaires au nouveau gouvernement israélien et a déclaré qu'il était prêt à maintenir la «supériorité militaire qualitative» d'Israël sur ses voisins. [Le Monde, 13 août 1992]. Bien que les pourparlers de paix aient repris à Washington depuis la fin du mois d'août, une autre incertitude guette les négociations : les élections présidentielles américaines du 3 novembre.

Il ne fait aucun doute que les États-Unis ont joué un rôle prépondérant dans les résultats des élections en Israël, et ce, même si certains tenteront d'en minimiser la portée. Selon Ehud Sprinzak de l'Hebrew University [Reuter 24 juin 1992], les États-Unis ont joué un rôle plus important que jamais, non seulement en refusant de garantir les prêts bancaires, mais aussi en créant un sentiment de malaise chez les Israéliens. Qu'elle ait ou non été délibérément entretenue par la politique officielle américaine, la crainte qu'ont les Israéliens de devoir se débrouiller sans la protection et le soutien habituels de cette superpuissance dans un monde qui leur est hostile, a sans aucun doute été l'un des facteurs déterminants dans l'esprit des électeurs.

Il semble que certains participants aux négociations craignent d'assister à un revirement de la situation et de voir l'administration américaine subir les pressions du nouveau gouvernement israélien. Le degré d'influence qu'une administration dirigée par Yitzhak Rabin pourrait décider d'exercer sur le gouvernement américain dépendra de plusieurs facteurs, entre autres l'écart entre les objectifs américains et israéliens dans le processus de paix. Dans un régime électoral si commercialisé et si redevable aux médias, aux sondages et aux groupes de pression comme l'AIPAC, la nouvelle administration israélienne peut exercer une influence considérable lors d'un scrutin. M. Perot n'étant plus en liste et le gouverneur Clinton s'étant hissé au premier rang dans la faveur de l'électorat, la plupart des Américains d'origine juive (et certains non-Juifs pro-israéliens), qui votent habituellement pour les Démocrates, pourraient décider d'appuyer en masse M. Clinton qui a été décrit comme un partisan inconditionnel d'Israël sur toutes les questions qui touchent le Moyen-Orient. Les Américains d'origine arabe qualifient déjà la politique démocrate sur le Moyen-Orient «d'unilatéralement en faveur des Israéliens» et réclament davantage d'équité. Comme ils n'étaient qu'au nombre de 40 parmi les 4 928 délégués à la convention nationale des Démocrates, il est peu probable qu'ils réussissent à réduire de façon significative ce qu'ils qualifient de «courbettes politiques». Depuis le 1er juillet, et ce, pour les trois prochains mois, le processus de paix au Moyen-Orient risque davantage d'être entravé par le processus électoral aux États-Unis ou d'en devenir le jouet. La démission de James Baker du poste de secrétaire d'État a certes été l'événement le plus marquant à ce chapitre. M. Baker prendra la direction de la campagne électorale du président Bush, qui est actuellement en difficulté. Même si les États-Unis se sont officiellement engagés à poursuivre le processus, la plupart des observateurs s'attendent à ce qu'il perde de sa vitesse. Les représentants palestiniens sont consternés par le départ du seul intervenant qui a réussi à gagner leur confiance.

Les États-Unis ne se sont jamais engagés à obtenir la création d'un État palestinien indépendant, mais ils n'ont jamais pour autant écarté cette possibilité, laissant le soin aux diverses parties de s'entendre à la table de négociations. Les Américains ont refusé récemment de souscrire au principe du droit de retour des Palestiniens en cas d'accord de paix, et le nouveau premier ministre israélien s'oppose pour sa part à la création d'un État palestinien. L'aile Meretz de la coalition et peut-être aussi un assez grand nombre de membres de la base du parti, ainsi que les nouveaux membres travaillistes de la Knesset sont favorables à la création d'un État palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza, conformément aux résolutions nº 242 et 338 du Conseil de sécurité de l'ONU. Cependant, le nouveau premier ministre, qui imposera ses vues à la coalition en affirmant constituer sa principale raison d'être et décider de ses principes fondamentaux, ne tiendra fort probablement pas compte de leurs opinions et, prétextant la sécurité, n'appuiera que les options prévoyant la tenue d'élections régionales et une autonomie restreinte des Palestiniens, et fera fi des préoccupations et des intérêts des autres États arabes comme la Syrie.

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Priorités d'Yitzhak Rabin

Le nouveau premier ministre israélien n'a jamais caché sa position au sujet des Palestiniens dans les territoires occupés. Lors d'un débat avec Yitzhak Shamir qui a été télédiffusé avant les élections, Rabin a bien fait comprendre qu'il ne tenait pas à l'intégration des 1,75 millions d'Arabes de ces territoires à Israël. «Je ne voudrais pas qu'à la suite du processus politique les 750 000 habitants de la Bande de Gaza deviennent des citoyens d'Israël munis de papiers d'identité israéliens, qui ont le droit de voter et de se promener dans nos villes», a-t-il déclaré. De toute évidence, l'intégration d'un grand nombre de non-Juifs réduirait sérieusement le caractère typiquement hébraïque du pays. Quel sort leur est-il réservé? L'autonomie, de dire M. Rabin, mais non l'indépendance.

Dans ce contexte, le nouveau leader va à l'encontre d'un autre objectif important que son gouvernement et lui-même se sont fixé. Dans le même débat télévisé, Yitzhak Rabin a affirmé que «la priorité doit être accordée aux Israéliens et aux Palestiniens. Il est possible d'y arriver, ce facteur est primordial; il changera la position que les autres pays adopteront à notre égard sur la scène politique». [FBIS, 17 juin 1992, italiques ajoutées] M. Rabin a renchéri ces propos dans son discours du 13 juillet à la Knesset. Il a laissé entendre qu'il croyait que le monde entier s'opposait à Israël, qu'il fallait insister sur la négociation et la coopération et qu'Israël devait s'efforcer davantage de s'intégrer au nouvel ordre mondial.

Si Yitzhak Rabin tient sincèrement à ce qu'Israël trouve sa place dans le nouvel ordre mondial, il devra reconnaître qu'il existe un consensus international en faveur de la création d'un État palestinien dans le conflit au Moyen-Orient. Officiellement énoncé pour la première fois par l'ONU, en 1947, dans le cadre d'un plan de partage, ce consensus a depuis été confirmé à plusieurs reprises par diverses tribunes internationales, notamment les Nations Unies (résolution nº 242) et de nombreux pays qui ont accordé un statut diplomatique au représentant de l'OLP. Ce consensus a su perdurer malgré tout et ne semble pas prêt de s'effriter. Plus Israël s'efforcera de satisfaire aux conditions qui s'y rattachent, compte tenu de ses besoins en matière de sécurité, plus il sera bien accueilli par la communauté internationale. Le fait que le consensus en Israël ne correspond pas au consensus international et n'y correspondra peut-être pas pour encore une trentaine d'années, pourrait bien susciter des problèmes. Les Palestiniens prétendent qu'ils attendent depuis trop longtemps déjà.

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Perspectives

Un fait reste indéniable dans la victoire travailliste du 23 juin en Israël : le climat des pourparlers de paix a changé. Les deux camps parlent d'un nouveau ton, d'une nouvelle attitude pour la prochaine série de négociations. La plupart des représentants arabes et palestiniens attendent que le nouveau gouvernement ait précisé ses positions et présenté des propositions avant de se montrer plus enthousiastes, mais au moins un membre du comité exécutif de l'OLP estime que l'engagement pris par Yitzhak Rabin quant à la tenue, dans un avenir rapproché, d'élections qui mèneront à une autonomie des Palestiniens dans les territoires occupés est de bon augure.

Un nouveau climat ou une nouvelle attitude ne garantit pas pour autant le succès des négociations. Beaucoup d'autres obstacles persistent, outre ceux déjà mentionnés. À ce moment-ci, les partisans du processus de paix dans les deux camps doivent se demander si les changements se poursuivront au même rythme et au profit d'une entente que la majorité des Israéliens, des Arabes et des Palestiniens pourront accepter et respecter. Le point de vue des opposants au processus de paix était déjà bien arrêté avant les récentes élections en Israël. Leur opposition s'accentuera probablement à mesure que les pourparlers progresseront.

Des négociations se tiendront probablement régulièrement pour discuter d'importantes questions, mais aucune décision ne sera prise tant que les élections américaines du 3 novembre n'auront pas eu lieu. Si l'administration actuelle est reportée au pouvoir, le rythme des pourparlers s'accélérera et leur portée s'élargira afin de négocier une autonomie restreinte pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui seront alors dirigés par des représentants qu'ils auront eux-mêmes élus. Les intervenants devront déterminer si l'autorité de ces élus leur sera déléguée par Israël ou grâce au processus électoral. Si les Démocrates l'emportent lors des élections américaines, tous les engagements antérieurs seront soit renouvelés soit remis en question. Les Palestiniens estiment qu'une telle tournure des événements ne serait pas à leur avantage.

Dans l'intervalle, les opposants au processus de paix feront tout pour le saboter. Au Moyen-Orient, le gouvernement iranien ne fait aucune distinction entre les politiques du nouveau gouvernement israélien et celles de son prédécesseur. Par l'entremise du Hezbollah qui est à sa solde au Liban, l'Iran tentera d'envenimer le climat. Des extrémistes arabes et juifs en Israël et dans les territoires occupés, n'accepteront aucun progrès en vue d'un règlement qui ne concorde pas avec leur idéologie et qui ne réponde pas à toutes leurs exigences. Hamas et le Jihad islamique en Palestine, ainsi que les membres des mouvements d'autodéfense Guash Emounim et Ateret Cohanim en Israël, menacent de mettre tous leurs moyens à contribution pour faire échouer les pourparlers. Le gouvernement israélien, en qualité de responsable de l'ordre public, aura du mal à faire accepter aux groupes juifs d'extrême droite une entente, même provisoire, sur l'autonomie des Palestiniens et à empêcher les radicaux palestiniens et intégristes d'attaquer des cibles israéliennes ou de poser des gestes de représailles contre des dirigeants en Cisjordanie et à Gaza. Des actes violents pourraient fort bien être commis en guise de protestation chaque fois que des progrès seront réalisés en vue d'un règlement de ce conflit presque insoluble. Le nouveau gouvernement israélien, pour éviter de telles situations, pourrait recourir à une vieille politique qui consiste à «créer des faits» non sur le terrain, mais sur la scène politique. Le facteur temps sera primordial; il faudra réagir rapidement pour déjouer les plans des juifs radicaux.

Un autre scénario semble possible du fait qu'Israël doit agir rapidement et de façon décisive et compte tenu de l'évolution de la situation aux États-Unis. Pour les Palestiniens, cette sixième série de pourparlers pourrait se révéler cruciale. Après dix mois de négociations stériles, les dirigeants palestiniens doivent donner des preuves tangibles de progrès à l'opinion publique des territoires occupés pour justifier leurs présence à Washington. Nombreux sont ceux qui croient que les États-Unis imposeront à l'automne une forme «quelconque» de règlement à ce long conflit larvé, à quelque condition que ce soit. Les négociateurs choisiront peut-être, dans ce contexte, de jouer leur va-tout et d'abattre les quelques atouts qu'ils gardaient en réserve, dans l'espoir d'obtenir le minimum acceptable. Ils sacrifieraient peut-être une partie de leurs objectifs, mais ils désamorceraient au moins la frustration montante dans les territoires occupés. Les pourparlers de Washington pourraient déboucher sur une ébauche d'entente de principe sur la création d'un conseil administratif palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza si, en dépit de leurs déclarations d'intention, les Israéliens interrompaient leurs implantations de colons et faisaient un geste relativement aux plaintes des Palestiniens dans le dossier des droits de la personne. Bref, ce pourrait être un premier pas, quoique timide, sur la voie de la conclusion d'une éventuelle entente de paix durable.

À moins d'événements dramatiques dans la région, on peut s'attendre, dans les circonstances, à ce que des mesures soient prises graduellement, sur une période d'un an ou plus, afin d'accorder une autonomie partielle aux Palestiniens dans les territoires occupés, mais non à une percée stratégique pour permettre aux Palestiniens de voir rapidement leur rêve se réaliser, à savoir obtenir un État indépendant ou le retour à la Syrie des territoires annexés. Le processus sera fort probablement accompagné d'actes de violence de la part d'opposants aigris. Plus le gouvernement israélien agira rapidement, moins il risque d'opposition de la part d'obstructionnistes palestiniens, car le peuple palestinien commencera alors à bénéficier d'une relative liberté et d'une certaine influence sur l'administration de ses affaires.

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Date de modification : 2005-11-14

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