Service Canadien du Renseignement de Sécurité, Gouvernement du Canada, Canadian Security Intelligence Service, Government of Canada
Éviter tous les menus * * * * *
* English * Contactez-nous * Aide * Recherche * Site du Canada
*
* Le SCRS * Priorités * Publications * Salle de presse * SPPCC
*
* Page d'accueil * FAQ * Index A à Z * Plan du site * Carrières
*
* Un monde de défis
*

Publications

*
VisualisationVisualisation

* *

Commentaire N° 40

Terrorisme nationaliste irlandais à l'extérieur de l'Irlande : Opérations menées entre 1972 et 1993

Un analyste de la Direction de l'analyse et de la production du SCRS

Février 1994
Non classifié

Précis : Au cours des dix dernières années, l'équilibre, si l'on peut l'appeler ainsi, entre les objectifs constitutionnels de l'IRA provisoire visant la «lutte armée révolutionnaire» et l'action politique a penché de façon dramatique en faveur de la lutte. Ceci est d'autant plus vrai dans le cas du terrorisme nationaliste irlandais à l'extérieur de l'Irlande, soit les opérations menées en Grande-Bretagne et en Europe. L'auteur examine l'histoire récente de ce phénomène et fournit une explication détaillée de la dernière phase du terrorisme républicain, l'«Armalite and the Ballot Box». Février 1994. Auteur : Un analyste de la Direction de l'analyse et de la production du SCRS.

Note du rédacteur : Au cours des dix dernières années, l'équilibre, si l'on peut l'appeler ainsi, entre les objectifs constitutionnels de l'IRA provisoire visant la «lutte armée révolutionnaire» et l'action politique a penché de façon dramatique en faveur de la lutte. Ceci est d'autant plus vrai dans le cas du terrorisme nationaliste irlandais à l'extérieur de l'Irlande, soit les opérations menées en Grande-Bretagne et en Europe.

L'auteur, analyste à la Direction de l'analyse et de la production du SCRS, examine l'histoire récente de ce phénomène et fournit une explication détaillée de la dernière phase du terrorisme républicain, l'«Armalite and the Ballot Box».

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


Haut Haut

IRA provisoire des années 90

Évolution

L'IRA provisoire de 1993 est très différente de l'organisation initiale : elle est plus petite, plus efficace et parfois beaucoup plus meurtrière. Il lui aurait été impossible, en 1974, de presque arriver à tuer tous les membres du cabinet britannique, sans être repérée au préalable, comme elle l'a fait dix ans plus tard. Deux facteurs expliquent cette situation : d'une part, le cours normal des choses a fait qu'en 1980, le noyau dur était versé dans les techniques de lutte, après plus d'une dizaine d'années de tâtonnements; d'autre part, le professionnalisme de l'organisation s'est accru par suite de décisions délibérées de la direction, qui, en 1979, était sous l'autorité de jeunes Irlandais du Nord comme Gerry Adams et Danny Morrison. Ces hommes ont façonné l'IRA et le Sinn Fein en tant qu'aspects complémentaires du nationalisme courant, se manifestant par le recours à la force.

Selon un historique récent du terrorisme républicain de l'Irlande du Nord, l'IRA provisoire a connu quatre phases sur le plan stratégique, la dernière étant celle de l'«Armalite and Ballot Box» (lutte armée et politisation), qui dure depuis 1979; elle découle des convictions du groupe dominant, celui de Gerry Adams, et du fait qu'il a tiré parti de l'occasion offerte par les grèves de la faim de 1980 et 1981. Par ailleurs, ayant constaté que la lutte armée ne suffisait pas, le groupe a voulu politiser l'organisation.

Au début, la mobilisation politique a été couronnée de succès. À la faveur des émotions suscitées par la grève de la faim de 1981 et de ses victoires électorales ultérieures, le Sinn Fein a sérieusement disputé l'élection à l'Assemblée de l'Irlande du Nord, en 1982, et l'élection générale britannique, en 1983. Mais la situation n'a pas progressé par la suite. À la fin de la décennie, le Sinn Fein représentait environ 11 p. 100 de l'électorat de l'Irlande du Nord, ce qui témoignait de l'existence d'un noyau républicain. Néanmoins, le mouvement nationaliste constitutionnel, à savoir le Parti travailliste et social-démocrate (SDLP), détenait toujours la majorité des voix des catholiques du Nord. Lors de l'élection générale britannique de 1992, le Sinn Fein a perdu son seul siège au parlement, celui de Belfast-ouest, gagné par un candidat du SDLP modéré.

En Irlande, le Sinn Fein était encore plus marginal. En 1986 seulement, le parti a abandonné sa politique d'abstentionnisme et a décidé de participer aux élections de la chambre des députés (Dail). Lors de l'élection générale irlandaise de 1987, il n'a obtenu que 1,8 p. 100 des voix et aucun siège; en 1989, ce taux est passé à 1,2 p. 100. Ces revers sont dus à la double nature du nationalisme à caractère violent, laquelle ressort clairement dans les objectifs du républicanisme irlandais d'aujourd'hui.

Haut Haut

Buts

Selon sa constitution, l'IRA a entre autres pour but d'appuyer l'établissement d'une république socialiste irlandaise fondée sur la proclamation de 1916. De même, l'organisation s'est engagée à instaurer et à soutenir un gouvernement légitime, ayant une autorité absolue sur la république. Il s'agit de la position officielle de l'IRA provisoire concernant le gouvernement démocratique de l'Irlande, laquelle atteste sa tendance socialiste. Les moyens d'atteindre ces objectifs, également énoncés dans la constitution, sont la lutte armée révolutionnaire, l'incitation à la résistance populaire, la mobilisation politique et la prise de mesures politiques à l'appui.

Au cours de la dernière décennie, l'IRA provisoire a connu une période de tension : certains membres voulaient promouvoir davantage le programme politique, tandis que les inconditionnels préconisaient une campagne militaire concertée.

L'IRA provisoire et Gerry Adams sont aux prises avec une situation résultant d'une politique à deux courants, à savoir la politisation et la lutte armée, diamétralement opposés. Ils sont déterminés à poursuivre la lutte armée, eu égard au passé de l'organisation et au fait qu'elle juge que ses actes sont légitimes. Cependant, le recours à la violence réduit les chances électorales du Sinn Fein à l'extérieur du noyau républicain engagé du Nord. Dans le Sud, le Sinn Fein est, et restera dans un avenir prochain, un parti marginal disputant les voix de l'électorat gauchiste au Labour Party et au Workers'Party issu de l'Armée républicaine irlandaise officielle (OIRA).

Puisque, depuis peu, la campagne du Sinn Fein sur le plan électoral semble piétiner, il se pourrait que les militaristes inconditionnels jouent un rôle accru et que la lutte armée reprenne de plus belle. Étant donné les revers électoraux de 1992, les militaristes pourraient prendre le dessus. Pour nuire le moins possible aux chances électorales des républicains irlandais, surtout au sud de la frontière, les opérations terroristes seront vraisemblablement menées à l'extérieur de l'Irlande du Nord. Des attentats seront encore perpétrés dans les six comtés, comme par le passé, mais les activités seront davantage axées sur des cibles militaires et de prestige en Angleterre et en Europe. Cette tendance s'accentue depuis 1987 et ne semble pas près de s'arrêter.

Haut Haut

Opérations à l'extérieur de l'Irlande

Entre 1980 et 1993, les terroristes républicains irlandais ont commis 120 attentats en Grande-Bretagne. En outre, ils ont perpétrés 53 actes de terrorisme à l'étranger entre 1970 et 1990, notamment à Washington (DC), et à Kinshasa au Zaïre. Néanmoins, la grande majorité de ces attentats sont survenus en Europe occidentale. L'importance accordée à ces campagnes dans la politique de l'IRA provisoire est manifeste. Selon un rapport récent sur la structure hiérarchique de la direction, l'effectif du quartier général comprend un directeur des opérations à l'étranger, le traditionnel directeur des opérations en Irlande du Nord et l'intendant général.

Dans une analyse antérieure très détaillée des opérations menées par les républicains à l'extérieur de la patrie entre 1968 et 1983, le professeur Michael McKinley a fait valoir que dans des circonstances normales, les terroristes républicains irlandais n'avaient pas l'intention, ou encore, n'étaient pas en mesure, de porter le conflit hors de l'Irlande du Nord. Il estimait, du moins jusqu'à la fin de 1983, que les opérations extérieures étaient exceptionnelles. Si ses conclusions étaient justes, il faut se demander ce qui a changé entre-temps et de quelle façon les conditions exceptionnelles sont devenues normales.

Comme nous l'avons déjà signalé, le républicanisme irlandais des années 80, surtout le nationalisme à caractère violent, peut être considéré comme un mouvement subissant les pressions dues aux nouveaux défis et orientations. Dans les années 70, les conditions normales différaient peu, pour ce qui était des opérations menées à l'extérieur, de celles des années 1880 ou de 1939. Les campagnes étaient concentrées en Irlande du Nord, des attentats étant commis en Angleterre plutôt au hasard, surtout pour des raisons tactiques. Voici comment ces actes étaient justifiés en général : on tirait vengeance des agissements des Britanniques, ou encore, il s'agissait d'un moyen de négociation ou d'une façon d'attirer de nouveau l'attention de Londres sur les six comtés. Ces attentats étaient extérieurs à la campagne centrale. Ces raisons tactiques étaient toujours valables dans le cas des opérations extérieures menées dans les années 80, mais la nature de la campagne, surtout après 1987, dénote un changement d'ordre plus stratégique que tactique.

Haut Haut

Angleterre

Les groupes terroristes républicains irlandais mènent depuis longtemps, de manière cyclique, des campagnes de violence à caractère politique en Angleterre. Dans les années 70, l'IRA provisoire a repris les traditionnels attentats à la bombe et fusillades, mais à une échelle beaucoup plus grande. Les registres de la police de Londres signalent, au cours de la première vague, entre mars 1973 et février 1977, 276 attentats à la bombe (dont 179 à Londres) et 14 fusillades terroristes (dont 11 à Londres), faisant 58 morts (18 à Londres) et 685 blessés (353 à Londres). Les cibles étaient des casernes militaires, des réservoirs de combustible, des centres de transport (gares et stations de métro), des grands magasins, des établissements publics et des restaurants. Des accusations ont été portées contre 130 terroristes républicains.

Par contre, une baisse importante du nombre d'attentats et de victimes a été constatée dans les années 1980, jusqu'à 1987, ainsi qu'un net changement dans les cibles, du moins au cours de la première moitié de la campagne de 1988 à 1993. La grande majorité des attentats et des fusillades des années 80 étaient dirigées contre des installations militaires et leurs effectifs. Les civils étaient rarement victimes et, si tel était le cas, c'était d'ordinaire parce qu'ils se trouvaient à proximité de la cible militaire visée. Toutefois, deux attentats à la bombe importants, à Brighton et au magasin Harrods, présentaient des caractéristiques exceptionnelles.

À Brighton, le Premier ministre et le cabinet étaient visés : l'IRA provisoire les considère comme des cibles légitimes en tant que représentants de l'establishment. Il ne s'agissait pas d'un attentat dirigé intentionnellement contre des gens ordinaires; des civils ont été victimes (un député et les épouses de plusieurs tories importants ont été tués), car ils étaient dans les environs.

On ne peut en dire autant de l'attentat commis chez Harrods. Les victimes étaient, dans l'ensemble, des clients faisant leurs emplettes de Noël. Tout d'abord, on a supposé que cet acte était l'oeuvre d'une section du service actif (ASU) ayant agi de son propre chef, mais des sources fiables ont démenti cette hypothèse en affirmant que les auteurs, en mission officielle, avaient l'autorisation d'attaquer ce symbole de l'establishment, mais en évitant de faire des victimes parmi les civils. Un avertissement avait été donné par téléphone 30 minutes plus tôt, mais il n'a pas été possible de faire évacuer complètement le magasin.

En 1991, il a été décidé de donner une toute autre orientation à la campagne en Angleterre. Des lieux fréquentés par des civils, tels que les grands magasins, les établissements publics et les trains, sont devenus des cibles privilégiées, comme dans les années 70. Cependant, les avertissements étaient généralement donnés assez longtemps d'avance pour éviter de faire des victimes parmi les civils.

Sur les 120 attentats commis entre 1980 et 1993, il y avait 88 cibles civiles (y compris 19 installations officielles), 32 étaient militaires. Entre 1980 et 1990, le nombre de cibles civiles s'élevait à 24, ce qui démontrait qu'en 1991, on était revenu aux cibles des années 70. Comme en Irlande du Nord, un seuil avait été atteint. Les terroristes nationalistes irlandais estiment qu'ils ne réussiront que s'ils continuent à faire un certain nombre d'attentats en Grande-Bretagne et attaquent diverses cibles de prestige.

La tendance courante devrait se maintenir tant que l'IRA provisoire aura des sections de service actif en Angleterre. Aux attentats contre des cibles civiles succéderont parfois des attaques contre des cibles militaires faciles, par exemple, à l'occasion de concerts de l'orchestre de l'armée. Le but visé, c'est-à-dire contraindre le public et le gouvernement britanniques à renoncer à leurs intérêts en Irlande du Nord, ne semble guère réalisable. D'après un sondage d'opinion, effectué en 1991 pour le compte du second réseau de télévision indépendant de la Grande-Bretagne (poste 4), 61 p. 100 des gens interrogés voulaient faire revenir les troupes britanniques. Dix ans auparavant, ce pourcentage correspondait à 59 p. 100 et, en 1984, à 53 p. 100. Les attentats en Angleterre ne devraient pas faire augmenter considérablement ces taux, bien au contraire.

Haut Haut

Europe

L'IRA provisoire a décidé de mener des opérations en Europe simplement en raison des occasions uniques qu'elle y trouve et de la menace considérablement moindre que constituent les forces de sécurité. Vers la fin des années 80, 66 000 militaires britanniques étaient basés en Allemagne de l'Ouest, à la frontière hollandaise. Il s'agit de gens très visibles qui sont, à l'extérieur de la base, des cibles assez faciles. La campagne courante est de plus en plus axée sur les membres de l'effectif, souvent sur ceux qui ne sont pas de service, plutôt que sur les casernes militaires, toujours en état d'alerte.

À l'extérieur du Royaume-Uni, les républicains irlandais ont pour ainsi dire mené trois campagnes terroristes : en 1973, il s'agissait d'attentats à la lettre piégée, sauf dans un cas, ensuite, entre 1978 et 1980, d'attentats à la bombe et de fusillades, et enfin, de 1987 à 1990, d'une reprise, semble-t-il, du même genre d'activités que dix ans auparavant. Les quelques incidents survenus en 1981 auraient été perpétrés par des groupes de sympathisants voulant appuyer la grève de la faim de la prison de Maze; deux attaques ont été imputées à une coalition de membres de l'INLA (Armée nationale de libération irlandaise) et de cellules rouges allemandes.

Tous les militaires britanniques sont considérés comme des cibles légitimes, surtout si, comme pour la plupart des membres des troupes stationnées en Allemagne, ils ont déjà été affectés en Irlande du Nord. En 1980, le journal de l'IRA provisoire, le Republican News, a fourni une explication :

Entre chaque affectation, ils (les militaires) sont tous envoyés en Grande-Bretagne ou à l'étranger, pour se reposer du «sale travail» qu'ils font ici; ils pensent pouvoir oublier l'Irlande jusqu'à leur prochaine affectation, mais nous comptons bien la leur rappeler de manière à ce qu'elle devienne une hantise et qu'ils cherchent à ne plus jamais y retourner. Les attentats commis à l'étranger présentent également un caractère prestigieux et sensibilisent la communauté internationale à notre guerre. L'Irlande fait encore les gros titres des journaux du monde entier.

Plus d'une décennie après, ce principe de terreur, allant de pair avec le recours à la violence comme moyen de propagande, reste inchangé.

L'attentat à la bombe manqué de Gibraltar, en 1988, comportait toutes les caractéristiques types. Il visait un symbole important de l'armée et du gouvernement britannique, ayant des liens directs avec l'Irlande de Nord. À l'intérieur d'une des grandes cavernes se trouve une réplique d'un village nord-irlandais où les troupes s'entraînent en prévision de leur affectation dans les six comtés. Par ailleurs, le colonel Kadhafi voulait apparemment que Gibraltar soit visé en guise de paiement pour les livraisons d'armes du milieu des années 80 ainsi que pour tirer vengeance de l'expulsion de son personnel diplomatique par les Britanniques, en 1984, et du concours apporté par ceux-ci lors du raid sur la Libye, en 1986. De plus, le régiment royal anglais (Royal Anglian Regiment), la première cible, revenait d'une affectation en Irlande du Nord.

Certaines opérations terroristes témoignent d'un certain degré de planification et de reconnaissance préparatoire, mais d'autres révèlent un manque évident d'organisation, les cibles étant apparemment fortuites. Le cas des touristes australiens abattus par méprise aux Pays-Bas, en mai 1990, entre dans cette dernière catégorie. Le fait que leur véhicule loué portait des plaques britanniques a décidé de leur sort.

Voici les données sur les cibles visées à l'extérieur du Royaume-Uni entre 1970 et 1990 : dans 39 cas, il s'agissait de cibles militaires (y compris les deux cas où des civils ont été pris pour des militaires), dans 13, d'installations officielles ou de membres du personnel (tous des attentats commis avant 1982) et dans un, d'un policier belge, qui a été abattu. En Europe, aucune cible civile n'a été délibérément visée, car celles qui n'ont aucun rôle officiel n'ont guère de liens avec l'Irlande du Nord.

La mobilité des ASU en Europe était remarquable : elles utilisaient des refuges sûrs aux Pays-bas, en France et en Allemagne de l'Ouest. La Belgique et le Luxembourg ont probablement aussi servi de base d'opérations, puis de refuge une fois la mission accomplie, même si aucun n'y a encore été découvert. Les frontières généralement ouvertes entre les États du Benelux et en Europe occidentale ont beaucoup favorisé les opérations de l'IRA provisoire.

Depuis le second semestre de 1990, l'Europe connaît une période d'accalmie, peut-être due en grande partie à l'arrestation des membres de deux ASU et à la saisie d'armes en Belgique et aux Pays-Bas, en juin et en décembre 1990. Depuis, les opérations sont davantage concentrées en Angleterre. Toutefois, les possibilités découlant de l'assouplissement des contrôles aux frontières des États européens, en 1992-1993, font l'objet d'un examen attentif. Il paraît qu'une nouvelle campagne est envisagée en Europe, en 1994. Afin que les forces de sécurité soient prises au dépourvu, des attentats pourraient être perpétrés dans un proche avenir.

Haut Haut

Opérations à l'extérieur de l'Europe

Il est généralement admis que les terroristes nationalistes irlandais limitent leurs attentats contre des cibles britanniques à l'Europe et à la Grande-Bretagne. Ailleurs, on trouve des collectivités irlandaises assez importantes en Australie et en Amérique du Nord, mais peu de cibles possibles, à part les représentants diplomatiques et les membres de la famille royale occasionnellement de passage. Les opérations menées dans ces deux continents étaient des activités de financement ou d'acquisition d'armes.

On sait que des opérations offensives en Amérique du Nord, surtout aux États-Unis, pourraient faire perdre des sources de financement importantes dans la collectivité irlandaise. L'IRA provisoire en tiendra sûrement compte sur le plan stratégique. Cependant, selon certaines allégations récentes, le rôle du Comité d'aide à l'Irlande du Nord (NORAID) dans le financement de l'organisation, surtout depuis dix ans, a diminué et n'aurait jamais été aussi important que l'ont donné à entendre les autorités britanniques. De surcroît, étant donné les largesses de la Libye vers le milieu des années 80, moins d'armes proviennent de l'Amérique, sauf dans le cas de quelques articles spécialisés.

Haut Haut

Personnel et organisation

Au cours des vingt dernières années, non seulement l'IRA provisoire a évolué en tant qu'organisation, mais elle a également modifié la manière dont elle mène ses opérations à l'extérieur. Au début des années 70, les attentats en Angleterre étaient commis presque aveuglément. Citons l'exemple d'une série d'attentats à la bombe commis à Londres, en 1973 : tous les membres de l'ASU ont été arrêtés l'après-midi même, à l'aéroport Heathrow, au moment où ils s'apprêtaient à fuir le pays. Depuis, cette façon de procéder a été abandonnée : on fait maintenant appel à des groupes dormants plutôt qu'à des groupes d'exécutants venant d'ailleurs.

Vers le milieu des années 70, sous la conduite du directeur des opérations en Grande-Bretagne, Brian Keenan, les activités ont été mieux structurées. En janvier 1977, est paru le premier reportage de la soi-disant «Brigade de la Grande-Bretagne» de l'IRA provisoire, selon lequel celle-ci était organisée en cellules; les membres étaient habituellement recrutés dans la collectivité irlandaise de Grande-Bretagne et formés par des «provisoires» de passage. Dix ans plus tard, on avait une idée beaucoup plus nette de ce qui se nomme aujourd'hui le «Département d'Angleterre». D'après une source de l'IRA provisoire, les opérations de ce groupe sont distinctes de celles du reste de l'IRA. Il s'agit du groupe le mieux gardé de l'organisation. Même la direction de l'organisation se conforme, en ce qui le concerne, au principe du besoin de savoir.

Vingt ans après les premiers échecs de 1973, le Département d'Angleterre est peut-être devenu le groupe clé de l'IRA provisoire. Cette situation se manifeste surtout dans la façon dont la direction organise les opérations à l'extérieur et en désigne les exécutants. La tendance la plus évidente consiste à recourir à de nombreux jeunes activistes inconnus, dont le casier judiciaire est vierge. En fait, cette ligne de conduite est aussi adoptée de plus en plus en Irlande du Nord. En février 1992, le Secrétaire de l'Irlande du Nord, M. Brooke, a présenté des chiffres, selon lesquels jusqu'à 50 p. 100 des gens inculpés de délits terroristes n'avaient jamais été signalés comme ayant des activités paramilitaires.

L'organisation procède ainsi en grande partie parce que les forces de sécurité de l'Irlande du Nord et de l'Irlande possèdent des dossiers de renseignements détaillés sur les activistes connus. Ceux-ci sont surveillés de plus ou moins près, et leur disparition prolongée prévient les autorités que quelque chose est peut-être en train de se tramer. On n'insiste jamais assez sur l'importance de la surveillance en Irlande, car celle-ci est à l'origine des opérations les plus réussies des forces de sécurité contre les ASU actives à l'extérieur de l'Irlande du Nord.

Au début de 1979, le Royal Ulster Constabulary (RUC) menait l'opération Hawk, dont étaient chargés 70 agents qui, au moyen d'équipement électronique perfectionné, surveillaient les membres importants de l'IRA provisoire. À la fin de février, le directeur des opérations en Grande-Bretagne, Brian Keenan, revenant d'Irlande, a été vu en compagnie de Martin McGuinness, qui faisait l'objet d'une surveillance secrète. Keenan a été arrêté immédiatement, car il faisait l'objet d'un mandat émis en 1975 : ses empreintes digitales ont été relevées dans un appartement utilisé par des gens reconnus coupables d'un attentat à la bombe. Il s'agissait d'un beau coup, car en plus d'avoir pris l'organisateur de la campagne terroriste menée vers la moitié des années 70 en Angleterre, la RUC avait aussi découvert en la possession de ce dernier des preuves de l'existence de liens avec des activistes palestiniens au Royaume-Uni.

Par contre, le fait que les forces de sécurité connaissent un membre de l'IRA provisoire ne garantit pas le succès. Le cas de Patrick Magee offre un exemple du mal qu'a eu l'IRA provisoire à trouver des activistes expérimentés pour mener des opérations en Angleterre et démontre que, même si la police connaît un terroriste, elle ne réussira pas toujours à mettre fin à ses activités. Magee a joué un rôle de premier plan dans la série d'attentats à la bombe commis en 1978 et en 1979, ayant entraîné son arrestation en Hollande, en 1980. Malheureusement, la demande d'extradition présentée par les Britanniques a été rejetée, et il a été libéré. En 1982 et en 1983, il a joué un rôle central dans un complot d'attentats à la bombe en Angleterre, déjoué grâce à un informateur, après quoi il s'est enfui en Irlande. Quelques mois plus tard, il est revenu poser la bombe à retardement qui a dévasté le Grand Hotel à Brighton, en octobre 1984. Il est resté sur place pour collaborer avec l'ASU à la planification d'une campagne ratée sur la côte, en 1985, puis il a enfin été arrêté de nouveau à la suite d'une autre opération de surveillance.

Que Magee ait été actif si longtemps, même s'il était connu, illustre le problème auquel fait face la police. D'autre part, le recours répété à ses services, aggravant chaque fois le risque qu'il soit pris, démontre qu'au début des années 80, l'IRA provisoire confiait ses missions à l'étranger à un groupe très restreint d'agents, qui étaient connus . À la fin de la décennie, les agents comme Patrick Magee ne prenaient plus visiblement part aux activités; ils ont été remplacés par des activistes inconnus, moins indispensables, dont le casier judiciaire était vierge et sans lien manifeste avec des républicains.

Ce genre de changement dans le personnel chargé des opérations est également survenu en Europe. L'opération tentée par l'ASU à Gibraltar constitue la seule exception : trois des quatre membres avaient déjà été reconnus coupables d'activités terroristes et le quatrième inculpé, mais les accusations portées contre ce dernier ont été retirées par la suite. Le fait qu'ils étaient connus a contribué à l'échec de l'opération, puisqu'ils ont été repérés, suivis, puis finalement tués par les agents des forces de sécurité. Le recours à des militants connus donne à penser qu'il s'agissait d'un projet organisé à la hâte pour venger certains revers essuyés par l'IRA provisoire en 1987.

L'organisation du personnel chargé des opérations à l'extérieur s'avère également plus complexe sur le plan du soutien et des tâches que dans les années 70. Les activistes prenant alors part à une campagne en Grande-Bretagne se cachaient dans les collectivités irlandaises de l'endroit. Ils procédaient de même en Europe, mais dans une mesure considérablement moindre. Des membres de la police et des organismes de renseignements de sécurité britanniques ont fini par s'infiltrer dans ces collectivités et y ont recruté des informateurs, ce qui faisait de celles-ci des refuges moins sûrs. Par conséquent, l'IRA provisoire a établi des rapports avec des marginaux violents de la gauche de Grande-Bretagne. En Europe, le même phénomène s'était produit beaucoup plus tôt, puisque dès 1978, tout portait à croire que des activistes gauchistes des Pays-Bas aidaient activement des ASU à mener des opérations dans ce pays et en Allemagne de l'Ouest.

En Angleterre, il y a toujours eu un élément gauchiste approuvant les visées, sinon les moyens, de l'IRA provisoire. L'existence de divers groupes «pour le retrait (des britanniques) de l'Irlande» ainsi que du mouvement pour le retrait des troupes est révélatrice. À l'instar de toutes les formations de ce genre, les groupes marginaux attirent inévitablement ceux qui préfèrent l'action à la discussion. Au cours des premiers mois de 1981, des lettres piégées, signées par des membres de l'«armée républicaine anglaise», ont été envoyées à plusieurs députés, au Premier ministre et au prince de Galles et demandaient de l'appui pour l'IRA provisoire; elles provenaient apparemment d'un petit groupe de sympathisants anglais. En 1989, il était de plus en plus manifeste que les ASU participant à la campagne actuelle en Grande-Bretagne avaient obtenu le concours d'activistes de la gauche anglaise pour la location de lieux sûrs et d'autres activités de soutien. Au début de 1993, trois membres d'un groupe trotskiste dissident d'Action rouge ont été arrêtés relativement à des attentats commis par l'IRA provisoire en Angleterre.

Le personnel a changé, et aussi la manière dont les opérations sont menées à l'extérieur. On convient généralement que les tâches d'une campagne terroriste à l'étranger sont réparties entre des cellules autonomes, notamment chargées de la reconnaissance ou de la logistique, qui fournissent un soutien à la cellule qui s'occupe de l'exécution des attentats proprement dits.

Un dernier point à signaler : le personnel des ASU à l'extérieur de l'Irlande a été renouvelé à plusieurs reprises pendant la campagne en cours. Certains membres sont retournés en Irlande et ont été remplacés par d'autres activistes. On peut s'attendre à de tels changements lorsque l'IRA provisoire mène une longue campagne. Les arrestations et les morts inévitables laissent des places à pourvoir. Entre 1988 et 1990, 15 personnes liées à la campagne en Europe ont été arrêtées ou tuées en tout et, de 1987 à 1991, le total correspondant en Angleterre s'élevait à 19. Depuis 1987, le taux d'attrition en Angleterre et en Europe ainsi que la poursuite de la campagne permettent de supposer que de nouveaux membres sont constamment intégrés dans le réseau.

Selon des reportages récents citant des sources du milieu du renseignement, jusqu'à 12 activistes seraient actuellement en service en Angleterre. Ils seraient répartis en deux équipes, un groupe d'expérience moindre, chargé des attentats à la bombe à faible risque, et un groupe d'élite, s'occupant des opérations d'envergure : par exemple, attentat au mortier au 10, Downing Street, et camions piégés, à Londres. Il va donc sans dire qu'en 1993, les opérations menées à l'extérieur par l'IRA provisoire sont beaucoup plus professionnelles et meurtrières que vingt ans auparavant.

Haut Haut

Conclusions

Dans un document analysant les dimensions internationales du terrorisme, rédigé en 1990, Paul Wilkinson, un professeur et un analyste réputé en matière de terrorisme, affirme que la collaboration accrue dans le monde entre les services de renseignements et la police, ainsi que les problèmes organisationnels considérables que posent les opérations menées à l'étranger, ont tendance à dissuader les terroristes de commettre des attentats à l'extérieur de leur patrie. Cette analyse ne s'applique plus guère aux opérations récentes des terroristes nationalistes irlandais. Le document devait d'ailleurs être présenté au cours d'une conférence, à Londres, sur le terrorisme international, mais celle-ci a été annulée en raison de la découverte d'une bombe placée sur les lieux par l'IRA provisoire.

Chaque groupe politique paramilitaire ou terroriste a sa propre combinaison de tactiques opérationnelles et de buts à long terme pouvant être qualifiée de stratégie terroriste. Certains de ces éléments sont choisis délibérément par le groupe, tandis que d'autres lui sont souvent imposés par des circonstances incontrôlables : le milieu physique, les contre-mesures prises par les gouvernements et ainsi de suite. Ces deux catégories de facteurs ont amené les nationalistes irlandais à se livrer à des activités terroristes à l'extérieur de leur patrie.

L'IRA provisoire et l'INLA ont décidé de procéder à des opérations en Angleterre et en Europe, en grande partie pour les raisons déjà citées : une plus grande publicité et le désir d'attaquer des intérêts de l'establishment anglais que l'on ne croyait pas menacés. À ce qui précède s'ajoutent deux faits certains, contre lesquels les républicains irlandais ne peuvent rien : le travail accompli par les forces de sécurité a été très préjudiciable aux opérations terroristes en Irlande du Nord et l'effet de celles-ci est plutôt mitigé après plus de vingt ans de violence. En Angleterre et en Europe, ces problèmes ne se posent pas.

En 1980, Sean Cronin, dans une étude magistrale sur le nationalisme irlandais, expliquait que la faiblesse de l'IRA provisoire était sur le plan politique et que l'organisation n'arriverait pas à ses fins uniquement par des moyens militaires. Ce raisonnement reprend l'idée que, traditionnellement, l'IRA a toujours préféré les moyens militaires aux moyens politiques. Par contre, plus de dix ans après, la situation a radicalement changé. Un courant marqué, sinon dominant, au cours des années 80, a été la montée du Sinn Fein et sa lutte contre les militaristes réactionnaires. En effet, malgré les soi-disant «pourparlers» entre les représentants du gouvernement britannique et le Sinn Fein en 1993, l'IRA provisoire a poursuivi sa campagne d'attentats à la bombe en Grande-Bretagne.

Si en 1993, le Sinn Fein est le pendant politique de l'IRA provisoire, l'aile militaire, dans la lutte nationaliste à caractère violent, l'étude de Cronin doit être revue et corrigée. Il est vrai que le victoire ne pourra être remportée que par des moyens militaires, mais il paraît également hors de doute que la politisation du Sinn Fein, telle qu'elle est préconisée par Gerry Adams et les siens, s'est révélée infructueuse. Le cri de ralliement des années 80, «Armalite and Ballot Box», auparavant convaincant, est maintenant vide de sens. Après vingt ans de troubles, l'IRA provisoire peut être considérée comme une organisation en constant changement; la recrudescence récente de la violence en Angleterre et en Europe doit donc être placée dans ce contexte. Les opérations menées à l'extérieur de la mère patrie constituent de plus en plus le moyen d'expression normal du nationalisme par la force.

Haut Haut


Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

SCRS 
Case postale 9732 
Succursale T 
Ottawa (Ontario) K1G 4G4
Télécopieur: (613) 842-1312 

ISSN 1192-277X
N° de catalogue JS73-1/40

 


Date de modification : 2005-11-14

Haut

Avis importants