Service Canadien du Renseignement de Sécurité, Gouvernement du Canada, Canadian Security Intelligence Service, Government of Canada
Éviter tous les menus * * * * *
* English * Contactez-nous * Aide * Recherche * Site du Canada
*
* Le SCRS * Priorités * Publications * Salle de presse * SPPCC
*
* Page d'accueil * FAQ * Index A à Z * Plan du site * Carrières
*
* Un monde de défis
*

Publications

*
VisualisationVisualisation

* *

Commentaire N° 43

Immigration par mer en Emérique du Nord : D'autres golden venture?

Paul George

Avril 1994
Non classifié

Précis : Nombre de facteurs entrent en jeu lors de l'analyse de l'immigration chinoise potentielle vers l'Amérique du Nord. Les conditions économiques et sociales en Chine, l'importante migration des paysans chinois vers les régions côtières, l'incertitude quant à la succession politique et la question de Hong Kong après la rétrocession de 1997 sont les sujets traités dans le texte qui suit. L'auteur examine entre autres l'immigration illégale par mer en provenance de Chine en tant que signe du désespoir de milliers de Chinois. Avril 1994. Auteur : Paul George.

Note du rédacteur : Nombre de facteurs entrent en jeu lors de l'analyse de l'immigration chinoise potentielle vers l'Amérique du Nord. Les conditions économiques et sociales en Chine, l'importante migration des paysans chinois vers les régions côtières, l'incertitude quant à la succession politique et la question de Hong Kong après la rétrocession de 1997 sont les sujets traités dans le texte qui suit. L'auteur examine entre autres l'immigration illégale par mer en provenance de Chine en tant que signe du désespoir de milliers de Chinois.

L'auteur, M. Paul George, spécialiste des questions asiatiques, est analyste indépendant à Ottawa.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


Haut Haut

Contexte

Le 6 juin 1993, un vieux navire de charge rouillé, le Golden Venture, a échoué sur une barre d'où l'on voit la ville de New York. Le navire transportait près de 300 immigrants éventuels de la République populaire de Chine (RPC). Projetés par les vagues, huit d'entre eux sont morts en tentant désespérément de gagner la rive. Quelques semaines plus tard, dans les eaux internationales du Pacifique au large de la côte nord du Mexique, la garde côtière américaine a intercepté trois autres navires, à bord desquels se trouvaient plus de 650 migrants chinois en route pour l'Amérique. Ces deux événements et des rapports indiquant que plusieurs autres navires se dirigeaient vers les États-Unis ou s'apprêtaient à faire un voyage semblable ont immédiatement fait ressortir l'ampleur de l'immigration illégale des Chinois par bateau en Amérique du Nord. En fait, bien que l'immigration illégale par mer soit une pratique de plus en plus répandue, cette méthode d'entrée n'est que la forme la plus connue de l'immigration clandestine des Chinois en Amérique du Nord, qui a augmenté au cours des dernières années.

Il n'existe pas de chiffre fiable révélant combien de Chinois réussissent, chaque année, à entrer aux États-Unis illégalement par quelque moyen que ce soit. Selon certaines estimations, il y en aurait jusqu'à 100 000, mais il s'agit presque assurément d'un chiffre gonflé. Néanmoins, le nombre de Chinois qui demandent officiellement le droit d'asile aux États-Unis par l'intermédiaire de l'Immigration and Naturalization Service (INS) est impressionnant. Au 1er juin 1993, seuls les Guatémaltèques (21 157), les Salvadoriens (7 579) et les Haïtiens (6 228) étaient plus nombreux que les Chinois (6 143) à demander refuge. Les statistiques de l'Executive Office of Immigration Review montrent que pendant l'année financière 1992, ce sont les Chinois (1 794) qui ont présenté le plus de demandes d'asile pendant le processus d'exclusion. Les représentants de l'INS à l'aéroport international John F. Kennedy ont dit aussi que les Chinois ont été les plus nombreux (1 080) à demander le droit d'asile pendant les six premiers mois de l'année financière 1993 (CRS Report for Congress, 93-727 EPW, 11 août 1993).

La grande majorité des immigrants chinois non autorisés voyagent par avion, munis de faux papiers. Ils arrivent souvent directement de villes asiatiques, comme Bangkok, mais de plus en plus ils partent de petites stations sud-américaines en Bolivie, à Belize et à Panama et voyagent par terre ou par air. L'arrivée par bateau d'immigrants venant directement de la Chine est un phénomène relativement nouveau, et la garde côtière américaine a intercepté environ 3 000 réfugiés de la mer depuis septembre 1991. Selon des rapports des représentants de l'immigration américaine faisant état d'une nette augmentation du nombre de ressortissants chinois qui sont découverts au moment où ils essaient d'entrer par voie terrestre aux États-Unis, dans la région de San Diego, il semble que certains de ces réfugiés utilisent le Mexique comme lieu de débarquement. De toute évidence, un nombre considérable, et de plus en plus grand, de réfugiés sont prêts à risquer ce type d'entrée illégale. D'ailleurs, le nombre total d'immigrants par bateau ne cesse d'augmenter, atteignant maintenant les centaines alors qu'il ne dépassait pas les dizaines il n'y a pas si longtemps.

Haut Haut

Réseaux de passeurs

De nombreux groupes aident sur une grande échelle des gens à entrer clandestinement aux États- Unis. Les opérations du Pakistan et de l'Inde, par exemple, sont bien connues, tout comme les activités plus courantes de l'Amérique latine. Toutefois, il semble que ce soit l'immigration illégale des Chinois qui augmente le plus. En outre, chaque fois que des réfugiés de la mer ont été découverts, il a été établi clairement que des gangs criminels chinois étaient impliqués dans l'affaire. Cette situation et l'avalanche d'opérations mises au jour récemment ont amené le gouvernement américain à prendre de nouvelles mesures restrictives contre l'immigration illégale des Chinois. Dans le passé, tout ressortissant chinois qui était intercepté à un point d'entrée était pratiquement assuré d'obtenir le statut de résident permanent en prétendant qu'il échappait à la persécution politique. Habituellement, ces individus étaient admis en attendant de se présenter à une audition en matière d'immigration à une date ultérieure. Maintenant, étant donné que des criminels sont vraisemblablement impliqués et qu'on suppose donc que les migrants sont motivés principalement par des facteurs économiques plutôt que politiques, le cas de chaque Chinois est examiné plus rigoureusement avant que le droit d'asile lui soit accordé.

Haut Haut

La réaction américaine

En Chine, on entendra certainement dire qu'il est beaucoup plus difficile d'immigrer illégalement aux États-Unis qu'avant, mais la nouvelle politique très stricte de l'administration Clinton n'endiguera vraisemblablement pas pour autant le flot d'immigrants. Les coûts que les Chinois ont à payer à long terme et les conditions difficiles du voyage qu'ils sont prêts à faire pour atteindre les États-Unis montrent qu'ils sont extraordinairement déterminés à tenter leur chance. Chaque immigrant éventuel paie, paraît-il, jusqu'à 30 000 $ à des gangs criminels chinois pour la traversée en Amérique. Habituellement, un acompte est versé en Chine, et le reste est payé pendant les nombreuses années passées à travailler pratiquement comme des esclaves dans les industries du vêtement et de la restauration à New York. Le châtiment est sévère, pense-t-on, pour celui qui ne rembourse pas. Pour ce qui est du voyage, le réfugié est normalement entassé dans la cale d'un navire qui n'est pas en mesure de tenir la mer, à bord duquel les toilettes et les installations pour le bain sont inadéquates. Des individus sont payés pour contrôler brutalement les passagers et distribuer la nourriture, principalement du riz.

L'administration Clinton est manifestement résolue à arrêter l'entrée illégale par mer en interceptant les Chinois sans papier avant qu'ils n'atteignent les États-Unis et en faisant en sorte qu'il leur soit beaucoup plus difficile de demander asile s'ils réussissent à débarquer. Les Chinois qui sont arrivés à bord du Golden Venture, par exemple, ont immédiatement été détenus, loin de New York où les possibilités et les tentations sont grandes. Leurs demandes d'immigration ont été examinées de la prison. Les Chinois qui ont été interceptés en mer au large du Mexique n'ont jamais réussi à gagner la rive aux États-Unis. Washington a convaincu les autorités mexicaines de décider du sort de ces individus loin des médias américains et des groupes américains appuyant les réfugiés. Tous sauf deux ont été rapatriés en Chine aux frais des États-Unis.

De toute évidence, si les réfugiés de la mer de Chine endurent ces conditions inhumaines dans l'espoir de pouvoir s'établir aux États-Unis, c'est parce qu'ils sont convaincus que leur souffrance finira par valoir la peine. S'ils sont si nombreux a vouloir désespérément quitter le pays, on peut supposer que la vie économique, sociale et politique en Chine doit être très difficile. Toutefois, cette hypothèse ne semble pas concorder avec l'étonnant taux de croissance économique enregistré en Chine au cours des dernières années. En général, cependant, le désir de se déplacer d'un pays à un autre ou à l'intérieur d'un même pays s'explique par des facteurs très variés qui amènent les individus à penser qu'ils seront avantagés sur les plans économique, social et politique s'ils recommencent leur vie ailleurs. Manifestement, un certain nombre d'éléments — économiques, géographiques, historiques, sociaux et politiques — sont à l'origine du type de déplacement de population associé aux réfugiés de la mer chinois.

Haut Haut

Les causes profondes de l'émigration chinoise

Pour comprendre le phénomène des réfugiés de la mer, il faut connaître les tendances traditionnelles de migration des Chinois et analyser l'évolution rapide de la structure socio- économique et politique en Chine. Premièrement, il est important de noter que les Chinois immigrent depuis longtemps aux États-Unis, de façon légale et illégale. Des réseaux criminels chinois, appelés les triades, font entrer clandestinement des gens en Amérique depuis au moins la ruée vers l'or en Californie au 19e siècle.

Deuxièmement, comme des membres de la famille élargie sont présents en Californie et ailleurs, il est courant de voir des Chinois de la province du Fujian — province de la côte sud, en face de Taiwan — immigrer aux États-Unis. Les principaux gangs de passeurs sont établis au Fujian, et des rapports indiquent que jusqu'à 90 p. 100 des réfugiés de la mer chinois sont originaires de cet endroit et de la province du Guangdong, juste au sud. Certaines tendances traditionnelles d'immigration peuvent expliquer l'activité illégale décelée depuis quelques mois, mais le nombre de gens impliqués dans des affaires semblables à celle du Golden Venture est anormal en soi. Il y a lieu de croire que de nouveaux facteurs incitent un plus grand nombre de gens à émigrer de la Chine.

Paradoxalement, une grande partie du problème des réfugiés de la mer découle de la croissance économique que connaît la Chine depuis quelques années. Comme le développement est inégal, les régions rurales sont en retard par rapport aux centres urbains et aux régions côtières. Parallèlement, des millions d'ouvriers agricoles ont dû abandonner leur terre pour permettre la construction d'industries rurales et la mise en oeuvre de projets immobiliers. Chaque année, on prévoit que 4 millions de fermiers perdront leur terre au profit du secteur industriel rural, qui ne peut absolument pas les engager. De plus, tous les ans, 10 millions de nouveaux travailleurs atteignent leur majorité. On peut en déduire que la Chine aura un surplus de quelque 200 millions de travailleurs d'ici la fin du siècle. Cela explique la migration massive à l'intérieur de la Chine. Cette «avalanche humaine» se déplace déjà dans les grandes villes côtières, à la recherche de travail. Toutefois, les municipalités côtières ne peuvent absorber l'arrivée en masse des paysans. À Guangzhou, par exemple, il n'y aurait pas moins de quatre millions de résidents illégaux, et toutes les villes côtières sont entourées de bidonvilles toujours plus nombreux. Vu les conditions socio-économiques déplorables, l'émigration semble une solution plus attrayante que jamais, tant pour les gens de la place que pour ceux qui arrivent des régions intérieures.

La crise actuelle du travail en Chine est la conséquence directe de la politique du gouvernement visant à favoriser l'essor industriel dans les régions côtières du sud au détriment de l'intérieur. Le soulèvement des paysans dans plusieurs parties de la Chine rurale au cours des derniers mois témoigne de leur opposition croissante aux conditions économiques inégales au pays. Pour empirer les choses, de nombreuses administrations locales ont imposé arbitrairement des taxes aux paysans déjà appauvris et utilisent cet argent pour de nouveaux investissements. Parallèlement, les prix à la production, dans le cas des céréales, n'ont pas augmenté au même rythme que l'inflation. Depuis 1991, le gouvernement paie aussi les paysans sous la forme de reconnaissances de dettes, et les fermiers ont souvent été incapables de se faire rembourser. En conséquence, les revenus des paysans n'ont cessé de chuter au cours des dernières années, ce qui a accentué l'écart entre les salaires des régions rurales et ceux des régions urbaines. Les fermiers gagnent en moyenne 173 $ US par année, comparativement aux quelque 370 $ US touchés par les habitants des régions urbaines. La mobilité accrue des paysans s'est simplement traduite dans le milieu rural par une plus grande amertume à l'endroit des habitants des secteurs urbains, qui bénéficient de meilleures conditions de vie. On a alors assisté à la migration de nombreux pauvres des régions rurales vers les régions côtières plus prospères.

Dans un contexte de croissance économique, il ne suffit plus de scander des slogans patriotiques ni de faire valoir l'idéologie de l'État pour que les paysans restent sur la ferme. Cependant, les paysans sont pris dans le piège de la pauvreté. Conscients de la baisse relative de leurs revenus dans les régions rurales, ils savent aussi que les possibilités de trouver un emploi rémunérateur dans les régions côtières surpeuplées sont minimes. L'émigration est donc de plus en plus perçue comme une dernière chance de briser le cycle de la pauvreté. Ainsi, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir émigrer, et les «services» d'émigration ont pris de l'expansion pour satisfaire à cette demande. Les activités lucratives des passeurs constituent une autre facette de la nouvelle économie de marché en Chine. Les groupes clandestins de passeurs sont de plus en plus nombreux, et comme les profits sont énormes, leurs opérations sont très sophistiquées et d'envergure multinationale.

Haut Haut

L'érosion du pouvoir central en Chine

Lorsque le Parti communiste a pris le pouvoir en 1949, il a établi des mécanismes lui permettant de contrôler pleinement la société chinoise. L'un des plus importants de ces instruments était le permis de résident, qui limitait les déplacements de population internes et empêchait l'individualité et la dissension. Lorsque Deng Xiaoping a introduit les réformes économiques et ouvert la Chine aux investissements étrangers, l'État n'a plus été en mesure d'exercer son pouvoir sur les individus, qui se déplacent maintenant impunément à l'intérieur du pays. En fait, la crise économique dans le secteur rural, l'essor des régions côtières dans le sud et le déplacement massif des gens à l'intérieur de la Chine sont le reflet de l'érosion du pouvoir central dans ce pays. L'effondrement du pouvoir central a surtout favorisé le type d'activité illégale qui a mené à la croissance de l'émigration par mer vers l'Amérique du Nord.

Le problème de l'émigration a été aggravé par la dégradation de l'ordre public qui a accompagné la rapide croissance économique et les brusques changements sociaux en Chine. Le nombre de crimes violents et non violents a monté en flèche partout au pays. L'incapacité de la police de s'opposer à la vague d'anarchie a favorisé la croissance du crime organisé, notamment les triades, impliquées depuis toujours dans le trafic des stupéfiants, la prostitution, l'extorsion et la contrebande. Dans les provinces du Guangdong et du Fujian, on sait que la police et les forces de sécurité aux frontières aident les triades et les contrebandiers locaux à faire entrer clandestinement des marchandises en Chine. Il est tout aussi évident que de nombreux représentants de ces autorités sont payés pour faciliter l'activité inverse ou aider de fait des gens à sortir clandestinement du pays.

Haut Haut

Pourquoi l'Amérique?

De nombreux Chinois émigrent à Taiwan, qui n'est séparé du Fujian que par quelques heures de bateau. Les autorités taiwanaises estiment qu'environ 50 000 immigrants non autorisés ont débarqué au cours des cinq dernières années, et que la moitié d'entre eux ont été rapatriés. Quelque 500 immigrants non autorisés travaillant déjà à Taiwan se font prendre chaque mois. Malgré la proximité de Taiwan et les liens culturels et familiaux évidents qui unissent ce pays à la Chine continentale, les États-Unis continuent d'être la destination préférée de la majorité des migrants. En fait, l'immigration illégale des Chinois constitue jusqu'à présent un problème négligeable pour les autres pays occidentaux qui reçoivent beaucoup d'immigrants, comme l'Australie et le Canada. Cela reflète en partie l'image solidement ancrée que les Chinois ont de la «belle vie» qu'il est possible d'avoir aux États-Unis, qu'ils appellent traditionnellement le «beau pays». De façon encore plus importante, tout le monde sait que les États-Unis accorderont le droit d'asile aux Chinois qui fuient la répression communiste et que le rapatriement n'est donc vraisemblablement pas une possibilité à redouter.

Pour bénéficier du droit d'asile aux États-Unis, les étrangers doivent montrer qu'ils craignent, avec raison, d'être persécutés pour des raisons entrant dans l'une des cinq catégories suivantes : race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou opinion politique. De plus, on reconnaît en général que le décret-loi signé par le président Bush il y a quatre ans, ordonnant que le droit d'asile soit accordé à tous ceux qui s'enfuient de la Chine pour échapper aux politiques strictes du gouvernement en matière de planning familial, a eu des répercussions considérables sur le taux d'immigration illégale. Selon un rapport récent, presque tous les Chinois qui demandent le droit d'asile le font en vertu du décret-loi de Bush, et quatre demandes sur cinq sont approuvées (U.S. News and World Report, 21 juin 1993). Ceux qui s'opposent à la politique soutiennent qu'elle agit comme un aimant pour les migrants chinois, qui autrement n'essaieraient pas d'atteindre les États-Unis.

Haut Haut

Implication du gouvernement chinois dans l'immigration illégale

Les énormes possibilités légales ou illégales d'émigrer de la Chine ont toujours préoccupé les pays voisins. Beijing serait certes capable, s'il le voulait, de laisser les immigrants envahir le monde. Les observateurs se rappelleront de la réponse ironique que Deng Xiaoping avait donnée au président Carter lorsque celui-ci, pendant la visite du leader chinois à Washington en janvier 1979, lui avait demandé d'être souple en matière d'émigration : «Bien. Nous les laisserons aller. Etes- vous prêt à en accepter dix millions?» (traduction libre) (Zbigniew Brzezinski, Power and Principle). Maintenant que de nombreux immigrants chinois non autorisés sont prêts à prendre des mesures désespérées pour atteindre l'Amérique du Nord, on s'inquiète de plus en plus des répercussions à l'échelle internationale de la participation du gouvernement chinois au processus.

Bien que le gouvernement chinois puisse utiliser les réfugiés de la mer comme levier politique ou économique pour gagner la faveur des États-Unis, rien n'indique qu'il appuie ouvertement l'immigration clandestine. En fait, Beijing a agi plutôt rapidement pour mettre un frein à celle-ci, mais a en même temps reproché publiquement aux États-Unis d'encourager l'immigration illégale par leur politique relative au droit d'asile. Récemment, plusieurs rapports ont fait état des mesures prises par le gouvernement pour endiguer le trafic d'immigrants dans la province du Fujian, et une centaine de passeurs ont été emprisonnés ou envoyés dans des camps de travaux forcés.

Toutefois, il est évident que le regroupement d'autant de migrants et les préparatifs nécessaires pour leur voyage en bateau jusqu'en Amérique ne peuvent être cachés facilement. Il est donc logique de supposer qu'il doit y avoir une certaine complicité avec les autorités pour organiser le trafic. Cependant, il y a lieu de croire que tout soutien bureaucratique pour l'immigration clandestine provient fort probablement des niveaux inférieurs de l'appareil de sécurité, où la corruption est omniprésente, c'est-à-dire que toute collusion officielle ne découlera vraisemblablement pas d'une directive de Beijing mais prendra plutôt la forme de pots-de-vin acceptés par la police et les forces de sécurité aux frontières.

Haut Haut

Préoccupations du Canada

Les grands déplacements de population, qu'ils soient légaux ou illégaux, peuvent avoir un effet déstabilisateur pour les pays qui reçoivent les immigrants. Dans le contexte canadien, il importe de tenir compte de certaines questions touchant la sécurité nationale, à la lumière des leçons tirées de l'affaire des réfugiés de la mer de Chine, en particulier s'il est établi clairement que le gouvernement chinois est en cause. Il y aurait lieu d'examiner entre autres les répercussions politiques de l'arrivée d'immigrants en grand nombre, dans la mesure notamment où les services de traitement des demandes d'immigration étaient débordés, où la politique du Canada relative au droit d'asile était remise en question et où des problèmes politiques intérieurs surgissaient. En fait, des questions semblables ont déjà été soulevées aux États-Unis relativement aux réfugiés de la mer de Chine. L'arrivée massive d'immigrants non autorisés dans l'affaire du Golden Venture, sous l'oeil attentif des médias américains et internationaux, a forcé le gouvernement à réévaluer sa politique concernant les réfugiés. Les États-Unis hésitent maintenant beaucoup plus à accorder le droit d'asile de façon générale à «tous ces gens entassés», même s'ils fuient la répression communiste.

La deuxième grande source de préoccupation se rapporte davantage à des questions courantes de sécurité: la possibilité que des agents de renseignements chinois s'infiltrent sous la couverture de «réfugiés de la mer» inoffensifs. Pour l'instant, il ne semble pas que les États-Unis ni le Canada soient menacés par l'infiltration de nombreux agents du gouvernement chinois parmi ces réfugiés. Taiwan a manifestement beaucoup plus de raisons de s'inquiéter à cet égard, car on sait que des agents de la RPC entrent dans ce pays de cette façon. Toutefois, les agents de renseignements disposent de moyens beaucoup plus efficaces pour s'introduire en Amérique du Nord, que ce soit dans le cadre de programmes d'échanges universitaires et industriels ou par les voies habituelles d'immigration. Néanmoins, lorsqu'on songe au nombre de réfugiés de la mer qui pourraient arriver au Canada, il y a lieu de craindre sérieusement que nos services de traitement des demandes d'immigration et de statut de réfugiés soient débordés. De plus, l'indignation du public à l'égard de ceux qui immigrent pour des raisons économiques mais demandent le statut de réfugié et évitent ainsi de devoir attendre leur tour est déjà un fait connu au Canada. On peut prévoir que l'arrivée en grand nombre d'immigrants chinois par bateau renforcera au Canada le sentiment défavorable éprouvé à l'endroit de ceux qui immigrent pour des raisons économiques et occasionnera au gouvernement d'importants problèmes politiques.

Haut Haut

Perspectives d'avenir

Un certain nombre de facteurs indiquent que les activités clandestines menées en Chine pour faire sortir les gens du pays posera un problème de plus en plus grave. Bien que l'affaire du Golden Venture ait fait beaucoup de bruit et que les migrants interceptés au large de la côte mexicaine n'aient pas réussi à débarquer aux États-Unis, on s'attend à ce que la vague d'immigration illégale augmente. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Les forces économiques demeureront le principal facteur provoquant les déplacements de population à l'intérieur et à l'extérieur de la Chine. Les pressions accrues découlant des vastes déplacements de la population des régions rurales vers les régions côtières continueront d'inciter beaucoup de Chinois à rechercher une vie meilleure aux États-Unis. Par ailleurs, la dégradation de l'ordre public donnera aux triades et à d'autres gangs plus de chances d'intensifier leurs activités d'immigration clandestine.

Il reste à voir si le gouvernement chinois favorisera activement un exode massif de la population par bateau. Il faut reconnaître que Beijing a cette possibilité et pourrait utiliser les réfugiés de la mer chinois comme levier politique ou économique pour gagner l'estime de la communauté internationale. Une telle démarche est cependant moins probable à l'heure actuelle en raison de la récente décision américaine d'accorder une prolongation du statut commercial de la Chine en tant que nation la plus favorisée (NPF). Cette décision élimine le lien entre les questions commerciales et le respect des droits de la personne en Chine, notamment le droit d'émigrer librement.

Néanmoins, il convient de noter le parallèle pouvant être établi entre le fait que Beijing pourrait manipuler l'opinion internationale au moyen des réfugiés de la mer, et la manière dont le gouvernement vietnamien s'est servi des réfugiés à la fin des années 70. Dans le cas du Viêt-nam, la majorité d'entre eux étaient des gens d'origine chinoise chassés par le gouvernement communiste à la suite des hostilités avec la Chine en 1978. Redoutant de la même façon une «cinquième colonne», Beijing pourrait vouloir presser de nombreux Chinois opposés à la prise du pouvoir par les communistes de quitter Hong Kong et Macao après le retrait des administrations britannique et portugaise en 1997 et 1999 respectivement. Ces migrations éventuelles s'ajouteraient au vaste exode auquel on s'attend à Hong Kong à mesure que l'année 1997 approche.

Étant donné que de nombreux Chinois de Hong Kong ont la citoyenneté canadienne ou le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement, on peut s'attendre à ce que le Canada devienne une destination privilégiée pour les Chinois qui fuient le régime communiste et n'ont pas d'autre endroit où aller. Quoi qu'il en soit, le retrait des deux colonies accélérera l'émigration illégale des Chinois. De grands déplacements de population pourraient commencer à tout moment, mais, selon la nature de la transition, il se pourrait qu'un très grand nombre de Chinois essaient de quitter Hong Kong et Macao pendant la prise de pouvoir. Nombre d'entre eux partiront par bateau pour l'Amérique du Nord, surtout si le changement de régime provoque le chaos ou tourne à la violence.

Bien qu'on puisse prévoir que le passage au régime chinois incite de nombreux Chinois à quitter Hong Kong et Macao, il y a lieu peut-être de s'inquiéter davantage de la tournure que prendront les événements en Chine après la disparition de Deng Xiaoping. L'agitation interne actuelle laisse présager une situation qui n'est pas étrangère à la Chine : les troubles dans les régions rurales provoquent des bouleversements et mènent à la chute du gouvernement central. Bien qu'il existe plusieurs analyses concernant la question de la succession, si, comme certains analystes le prédisent, selon la pire des hypothèses, la Chine s'effondre après la mort de Deng, les bouleversements subséquents provoqueront des déplacements massifs de population à l'intérieur de la Chine et une énorme augmentation du nombre de Chinois voulant émigrer pour échapper au chaos. Le départ en masse des gens des régions rurales vers les régions côtières est déjà en quelque sorte un signe avant-coureur de ces migrations. C'est là une conséquence directe de la baisse du pouvoir de Beijing au profit des provinces et des simples citoyens. Toute augmentation de ces déplacements, qui serait inévitable dans la mesure où la sécurité interne ne fonctionnerait plus en général, entraînerait une hausse spectaculaire du nombre de gens prêts à tout risquer dans un voyage en mer pour l'Amérique du Nord.

Haut Haut

Conclusion

Dans toute analyse de l'immigration illégale par bateau en Amérique du Nord, il importe manifestement d'établir les liens possibles entre les conditions politiques internes en Chine et la migration à l'extérieur du pays. La Chine devient sans conteste une société de plus en plus anarchique, où les tensions sociales accrues et le conflit entre les régions urbaines et les régions rurales provoquent une migration interne pratiquement incontrôlable. Ces conditions continueront d'amener le citoyen ordinaire à vouloir se donner de meilleures chances de réussir en immigrant illégalement dans l'Ouest. En examinant les facteurs qui expliquent les vastes déplacements de population à l'intérieur de la Chine, on peut prévoir qu'il y aura vraisemblablement une augmentation constante du nombre de personnes prêtes à tout risquer dans leur recherche d'une vie meilleure à l'étranger.

En conséquence, bien que le gouvernement américain ait choisi de prendre position contre l'augmentation de l'immigration illégale dans le cas des réfugiés de la mer, il est peu probable que Washington réussisse à limiter le nombre de Chinois tentant d'entrer clandestinement au pays. Il est fort possible que les efforts accrus des États-Unis pour régler ce problème croissant rendront la situation plus délicate pour le Canada, dans la mesure où les émigrés chinois persisteront à vouloir se faire accepter en Amérique du Nord. Le Canada devrait prévoir l'arrivée massive de réfugiés de la mer chinois au large des côtes de l'Atlantique et du Pacifique dans les années à venir.

Haut Haut


Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

SCRS 
Case postale 9732 
Succursale T 
Ottawa (Ontario) K1G 4G4
Télécopieur: (613) 842-1312 

ISSN 1192-277X
N° de catalogue JS73-1/43

 


Date de modification : 2005-11-14

Haut

Avis importants