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Commentaire N° 65

Insurrection, légitimité et intervention en Algérie

Professeur Peter St. John

Janvier 1996
Non classifié

Précis : Des nombreux endroits où l'intégrisme islamiste affronte ses «ennemis» (au Moyen-Orient, dans certains États du Golfe, en Afghanistan et même, dans une certaine mesure, en Bosnie), l'un des plus explosifs est l'Algérie. Le problème y transcende en effet la question religieuse étant donné la victoire du Front islamique du salut lors des élections de décembre 1991 (annulées par la suite par la junte militaire au pouvoir), le nombre d'Algériens qui vivent actuellement en France (800 000) et l'importance de la communauté française d'Algérie (750 000 personnes). L'auteur examine la question sous deux angles. Il fait d'abord un bref historique de ce mouvement d'agitation populaire et brosse un tableau de la situation actuelle avant de s'intéresser de plus près aux efforts faits pour «internationaliser» le conflit (et, de ce fait, inviter la communauté internationale à participer à son règlement). - Janvier 1996. Auteur : Professeur Peter St. John.

Note du rédacteur : Des nombreux endroits où l'intégrisme islamiste affronte ses «ennemis» (au Moyen-Orient, dans certains États du Golfe, en Afghanistan et même, dans une certaine mesure, en Bosnie), l'un des plus explosifs est l'Algérie.

Le problème y transcende en effet la question religieuse étant donné la victoire du Front islamique du salut lors des élections de décembre 1991 (annulées par la suite par la junte militaire au pouvoir), le nombre d'Algériens qui vivent actuellement en France (800 000) et l'importance de la communauté française d'Algérie (750 000 personnes).

Le professeur Peter St. John de l'Université du Manitoba examine la question sous deux angles. Il fait d'abord un bref historique de ce mouvement d'agitation populaire et brosse un tableau de la situation actuelle avant de s'intéresser de plus près aux efforts faits pour «internationaliser» le conflit (et, de ce fait, inviter la communauté internationale à participer à son règlement).

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


Les intégristes religieux s'opposent aux laïcs dans une guerre qui décime la société algérienne. Les deux camps ont des partisans à l'extérieur de l'Algérie, des relations économiques de longue date sont en jeu et déjà les contrecoups funestes du conflit s'étendent à l'Europe de l'Ouest, toute proche. Depuis le début de cette guerre civile fratricide en 1993, près de 50 000 Algériens ont été tués, plus de 50 journalistes ont été exécutés et une centaine d'étrangers ont été mutilés ou assassinés.

La possibilité d'une intervention internationale se dessine peu à peu, car l'internationalisation progressive du conflit force l'intervention de la France, des États-Unis, de l'Europe de l'Ouest et du monde arabe musulman.

La première guerre d'Algérie (1954-1962) a éclaté au beau milieu de la guerre froide, provoquée, du moins en partie, par deux influences internationales importantes, à savoir le communisme international, qui sous-entendait le risque d'une intervention des Soviétiques, des Chinois et des Yougoslaves, et un vaste mouvement de décolonisation, qui favorisait les insurgés des anciennes colonies des puissances de l'Europe occidentale.

Par contre, l'insurrection actuelle est jusqu'à maintenant une guerre civile opposant les forces militaires laïques «au pouvoir» aux intégristes islamistes. Bien qu'il menace de s'internationaliser (comme le précédent) depuis que des militants islamistes ont détourné le vol no 8969 d'Air France à Alger en décembre 1994, le conflit actuel est radicalement différent du premier, tant sur la scène intérieure qu'à l'échelle internationale. Le communisme international a cédé la place à l'intégrisme islamiste, et l'ancienne lutte de libération a été remplacée par les aspirations ethnopolitiques des pays socialistes et sous-développés.

L'internationalisation de l'insurrection algérienne pourrait facilement être le présage d'insurrections islamistes en Égypte, en Turquie, en Tunisie, au Maroc, en Jordanie, en Arabie saoudite et même en Iraq. Il est certain que les «gouvernements de Dieu» radicaux d'Iran, d'Afghanistan et du Soudan encouragent activement la «révolution» religieuse et politique en Algérie, sachant très bien qu'une victoire pourrait transformer profondément le reste du monde arabe islamique. Il est facile d'imaginer qu'un milliard de musulmans, de la Mauritanie aux Philippines, suivent l'évolution de ce conflit avec un intérêt considérable. Les nations occidentales surveillent elles aussi l'Algérie. Elles ont avantage à réprimer la vague intégriste et à protéger d'importants intérêts commerciaux dans la région. Si les pressions étaient telles qu'une intervention deviendrait inévitable, l'Algérie pourrait bien servir de paratonnerre entre les mondes islamique et occidental.

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Légitimité et identité

Au fil des ans, elle a acquis une culture politique qui ne tolère pas la dissidence. Ne disposant d'aucun mécanisme qui lui permette d'évoluer sereinement, elle a depuis longtemps recours à la violence pour imposer des changements.

Il est assez étonnant de constater que la plupart des Algériens semblent opposés à la fois à la dictature militaire du gouvernement et à son remplacement par une dictature islamiste. D'après Claire Spencer, cette incapacité à trouver un moyen terme entre ces deux extrêmes est due à l'absence d'une définition globale, mais politiquement tolérante, de ce que cela signifie que d'être Algérien. La question même de l'identité est maintenant politisée dans la société algérienne et la formulation des futurs objectifs sociétaux devra reposer sur une reconnaissance des différences culturelles, ethniques et régionales qui ne sera possible qu'après un rééquilibrage des forces politiques.

La crise d'identité algérienne découle de la politisation de la question linguistique. Comme l'arabe était interdit sous le régime français, toute l'élite algérienne était francophone en 1962. De 1965 à 1978, le président Boumediene a partiellement réussi à arabiser l'éducation. En 1979, cependant, lors de manifestations suscitées par le manque d'emplois pour les arabophones, les francophones ont été assimilés au Hizbal Franca (Parti de la France). Les Berbères, qui constituent 15 à 20 pour 100 des Algériens, se sont alors accrochés au français pour résister à l'arabisation.

Depuis 1988, le conflit linguistique s'est empêtré dans la controverse opposant laïcs et islamistes, et le lien que ces derniers n'ont pas manqué d'établir entre l'arabe et les valeurs de l'islam a privé les Berbères d'un rôle dans la définition de l'orientation du pays. Le Front des forces socialistes (FFS) est assimilé au Hizbal Franca et, tout comme les Berbères, est menacé de marginalisation dans un État islamique. L'idée d'une nation algérienne arabe islamique plaît à de nombreux Algériens, un peu comme le Front de libération nationale (FLN) et son nationalisme laïc ont séduit une forte majorité de la population par le passé. Le problème, c'est évidemment que ces deux conceptions de l'Algérie excluent des segments considérables et importants de la société.

Malheureusement, les gouvernements qui se sont succédés en Algérie ont tous, sans exception, négligé de s'attaquer à ces questions sociales et culturelles fondamentales. Ironiquement, le mouvement de libéralisation a eu le tragique effet de diviser les Algériens en deux camps, laïcs et islamistes, et de provoquer une guerre civile, une insurrection nationale au cours de laquelle près de 50 000 Algériens ont trouvé la mort depuis 1992, qui s'internationalise rapidement et qui a provoqué l'exode vers la France de près de 40 000 Algériens productifs de la classe moyenne.

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Les émeutes d'octobre et leurs conséquences

La deuxième insurrection algérienne a commencé à Alger avec les émeutes d'octobre 1988. Cette explosion de violence spontanée a été sauvagement réprimée par le gouvernement; 500 personnes ont trouvé la mort aux mains des forces de sécurité. Les émeutes avaient été provoquées par trois facteurs : les réformes économiques hésitantes du président Chadli Bendjedid (ci-après appelé Chadli), la croissance du chômage chez les jeunes et les attentes sociales et politiques déçues. Près de 75 p. 100 des Algériens ont moins de 25 ans et un grand nombre d'entre eux sont chômeurs. La chute du prix du pétrole sur les marchés mondiaux dans les années 80 a grandement réduit le revenu national de l'Algérie dont l'économie dépendait fortement de l'industrie pétrochimique. Chadli, qui avait été élu président en 1979, a tenté de restructurer l'économie de 1980 à 1987. En juillet 1987, il a lancé une deuxième série de réformes qui prévoyaient notamment la création d'une ligue des droits de l'homme. En décembre 1988 (juste après les émeutes d'octobre), il a été élu pour un troisième mandat. Au début de 1989, il a entrepris une troisième vague de réformes et annoncé l'intention de son gouvernement de faire de l'Algérie «un État de droit».

Ces réformes constitutionnelles établissaient une distinction entre le FLN et l'État, la fin de l'ingérence de l'armée dans la vie politique et une timide volonté de démocratisation. Le 23 février 1989, une nouvelle constitution a été adoptée avec une majorité de 92 pour 100. Elle supprimait, entre autres, toute référence au socialisme (qui depuis 30 ans était le principe directeur en Algérie) et instaurait le multipartisme. Le 5 juillet suivant, le parlement a défini les critères de formation des partis politiques et, peu de temps après, des dizaines de partis ont vu le jour.

Dans l'intervalle, soit en février 1989, un mouvement islamiste aujourd'hui connu sous le nom de Front islamique du Salut (FIS) avait été créé. En prévision ou peut-être en raison de la détérioration des conditions économiques et sociales, le FIS a créé un réseau de petits groupes informels (des mosquées en fait) qui ont rapidement pris de l'importance tout en échappant, pour une raison ou pour une autre, au contrôle du ministère des Affaires religieuses. Le 16 septembre 1989, le FIS a demandé et obtenu la reconnaissance officielle comme parti politique. Ce statut avait jusque-là toujours été refusé aux partis politiques confessionnels, tant au Maroc qu'en Tunisie.

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La tentative d'élections démocratiques

Au début de 1990, l'armée a annoncé qu'elle se retirait officiellement de la scène politique. L'Algérie, sous l'administration du président Chadli, semblait prête à devenir le premier pays arabe capable d'établir un système démocratique multipartite officiel. Il y a eu des marches et des assemblées politiques partout au printemps, et même l'ancien président Ben Bella est rentré de son exil en France pour faire campagne au nom de la démocratie. Lors des élections municipales du 27 juin 1990, le FIS a remporté une victoire massive, s'assurant 850 des 1 500 municipalités du pays avec 54 pour 100 du vote populaire, tandis que le FLN au pouvoir ne récoltait que 28 pour 100 des voix. Bien que 35 pour 100 de l'électorat ait boycotté les élections, cette prestation totalement inattendue du FIS indiquait que la population en avait assez de l'ordre ancien, qu'elle voulait désespérément un changement et qu'elle était par conséquent sensible au message islamiste. (Il y avait eu quelques indices de cette faveur populaire pour le FIS. Après le tremblement de terre de novembre 1989, le FIS avait en effet fourni de la nourriture et de l'aide aux victimes longtemps avant le gouvernement.)

Le président Chadli n'a donné aucun signe de désarroi devant ces résultats, bien que son gouvernement et lui aient de toute évidence été pris par surprise. En juillet 1990, il a comme promis autorisé la tenue d'importantes élections pour le renouvellement du Parlement national au cours des trois premiers mois de 1991. En mars 1991, grâce à un important redécoupage des circonscriptions, le gouvernement a augmenté le nombre des sièges au Parlement algérien de 295 à 542, favorisant ainsi le FLN. Outragé par cette manipulation flagrante du processus électoral, le FIS a lancé un appel à la grève générale. Le gouvernement a réussi à empêcher cette grève, mais à Alger, des grévistes ont décrété une occupation, ce qui a provoqué des échauffourées avec les autorités. La violence s'étant intensifiée, Chadli a fait appel à l'armée, imposé la loi martiale pour la deuxième fois en trois ans et reporté les élections. La police a commencé à arrêter des membres du FIS et, en quelques jours, des bagarres ont éclaté dans les rues en dépit de la loi martiale.

Le chef du FIS a alors menacé d'ordonner le jihad contre l'armée, réaction qui pouvait être interprétée comme une déclaration de guerre à l'État. Le 30 juin, l'armée a arrêté Abassi al Madani et son bras droit, Ahmed Belhadj, accusés de conspiration contre l'État. Près de 700 islamistes ont alors été jetés en prison, ce qui portait à 3 000, au 1er juillet, le nombre des membres du FIS emprisonnés.

Malgré le chaos, les Algériens sont allés aux urnes le 26 décembre 1991 lors de la première élection démocratique multipartite au pays. Les résultats ont stupéfié l'élite au pouvoir, qui s'attendait à un vote divisé en faveur du FLN. Dès le premier tour de scrutin, le FIS a remporté 231 des 430 sièges, le FLN n'en obtenant que 15, le FFS ou Front socialiste, terminant au deuxième rang avec 25 élus. Le deuxième tour de scrutin, qui devait permettre de combler les sièges restants, devait avoir lieu le 16 janvier 1992.

Le FIS était transporté de joie à la suite de cette victoire éclatante, et Chadli, du moins à ce qu'il semble en rétrospective, a cru qu'il pourrait diriger un gouvernement islamiste. L'armée, tout à fait paniquée, pensait différemment et le 9 janvier 1992, elle a repris son rôle historique d'acteur principal de la politique algérienne. Les généraux ont obtenu la démission de Chadli et mis en place un Haut Comité d'État composé de cinq membres. En agissant ainsi, au mépris de la loi, elle était aussi coupable que le FIS avec ses menaces de violence. Les généraux ont également annulé les élections qui devaient avoir lieu quelques jours plus tard et proclamé l'état d'urgence dans tout le pays.

Pendant toute cette période de conflit extraordinaire, le FIS et ses collaborateurs radicaux ont cherché sans relâche à internationaliser le problème intérieur algérien. Ils voulaient provoquer une intervention contre ce qu'ils jugeaient un gouvernement illégitime. Ils comptaient sur les gouvernements islamistes d'Iran, d'Afghanistan, d'Arabie saoudite et du Soudan. Ils ont en même temps cherché à obtenir l'appui de la France, de la Communauté européenne, des États-Unis et de tout autre pays prêt à aider le gouvernement de Dieu dont la victoire électorale était légitime.

Comme l'ont bientôt découvert les deux camps, le recours à la force pure par un segment de la société contre l'autre n'allait pas leur permettre de remporter la guerre. Le gouvernement et les islamistes ont donc entrepris d'orchestrer le moindre appui international qu'ils pouvaient glaner. Ils étaient loin de se douter que cette stratégie, déjà utilisée avec succès par le FLN, pourrait, cette fois, avoir l'effet contraire.

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Internationalisation

Les islamistes ont conçu cinq stratégies en vue d'internationaliser le conflit. La première a été appliquée en août 1992 lorsqu'une bombe a explosé à l'aéroport international d'Alger, faisant neuf morts et énormément de dégâts. Ils cherchaient ainsi à faire bien comprendre aux voyageurs étrangers qu'ils n'étaient pas les bienvenus en Algérie. Le FIS a immédiatement été blâmé et les Algériens ont commencé à examiner sérieusement le programme politique qu'il proposait. Ils ont alors constaté qu'il prévoyait soumettre le pays à la charia, ou loi coranique (amputation de la main droite pour vol, lapidation pour adultère, interdiction complète de l'alcool et port obligatoire du hidjab ou voile). Le FIS avait également exposé sa théologie de façon parfaitement claire : Dieu ne peut être subordonné à une démocratie ni Ses lois être invalidées par des débats parlementaires et des lois. Pour la population cosmopolite d'Alger, cela équivalait à un retour au Moyen-Age. Une résistance au message islamiste a commencé à se faire jour.

La deuxième a été lancée en mai 1993 lorsque le Groupe islamique armé (GIA) a décidé d'exécuter des journalistes étrangers et algériens. Son porte-parole a annoncé que «quiconque se battait par la plume périrait par l'épée». A la fin de 1995, près de 50 journalistes avaient été brutalement assassinés, ce qui montrait bien qu'il ne s'agissait pas d'une menace en l'air et mettait définitivement un terme à toute discussion nationale et internationale de la situation en Algérie.

La troisième stratégie a vu le jour en août 1993, avec l'enlèvement de trois représentants consulaires français. Le dernier des trois, libéré après une semaine de détention, a rapporté un message qui disait «Étrangers, quittez le pays. Nous vous donnons un mois.» A la mi-décembre, 23 étrangers étaient morts. Comme il est clair que cette nouvelle tactique était à la fois un geste de provocation et un avertissement lancé aux partenaires commerciaux et humanitaires de l'Algérie, la réaction de la France n'a pas tardé. Le ministre français de l'Intérieur, Charles Pasqua, a imposé des mesures de répression énergiques en France à la fin de novembre, faisant arrêter 88 personnes dont les liens avec le FIS étaient connus. Comme il y a en France quatre millions de musulmans dont 800 000 Algériens, et comme la communauté française en Algérie compte 75 000 personnes, les deux pays pouvaient exercer des pressions considérables l'un sur l'autre. En décembre 1995, 100 étrangers étaient morts en Algérie, dont un grand nombre de Français, mais aucun Américain.

La quatrième tactique a été le détournement aérien commis par le GIA le 26 décembre 1994, jour du deuxième anniversaire de l'élection nationale invalidée. Au cours de cet attentat, trois passagers ont été tués et soixante-trois autres ont été libérés. Les Forces spéciales françaises ont mis finalement un terme à cet acte de piraterie à Marseille en tuant les quatre pirates algériens. Bien que 170 passagers aient été sauvés, le détournement a largement contribué à internationaliser le conflit. Les preuves indéniables que les pirates avaient l'intention de faire exploser l'appareil au-dessus de Paris et les indices clairs d'une implication iranienne ont également suscité une réaction internationale de dégoût.

La cinquième stratégie, qui visait à faire vivre aux citoyens français ordinaires la réalité de la guerre algérienne, a commencé dans le métro de Paris le 25 juillet 1995. Une bombe a explosé, faisant 7 morts et 17 blessés, la première d'une série inquiétante qui, au mois d'octobre, avait fait 150 blessés. En fin de compte, les attentats semblaient chercher à convaincre le gouvernement français de ne plus appuyer l'Algérie.

Lara Marlowe, qui préparait un article pour le magazine Time, a rencontré un jeune islamiste en Algérie qui lui a dit que, si les gouvernements occidentaux cessaient de soutenir le régime algérien, celui-ci s'effondrerait en deux semaines. Ce Commentaire avait peut-être mis le doigt sur le fond du problème, puisque des pilotes, des conseillers et des fonds français affluaient régulièrement en Algérie.

L'internationalisation avait également divisé le Cabinet français, car le ministre de l'Intérieur Pasqua était inconditionnel, mais le ministre des Affaires étrangères Alain Juppe était conciliant. Enfin, tous ces événements ont aussi éveillé en Europe une crainte de plus en plus forte que les islamistes puissent radicaliser les autres États du Maghreb, le Maroc et la Tunisie.

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Intervention et négociation

L'internationalisation a pour but de forcer la communauté internationale à intervenir dans une guerre civile. Toutefois, cette intervention n'est pas nécessairement favorable à ceux qui en ont pris l'initiative (les insurgés), elle peut aussi être favorable au pouvoir. L'important, cependant, c'est qu'une intervention mène presque inévitablement à une négociation, parce que la communauté internationale l'exige. C'est là où en est rendu actuellement l'imbroglio algérien.

Lorsqu'il est devenu président au début de 1994, le premier ministre Zéroual a annoncé qu'il était prêt à établir un dialogue politique avec toutes les factions, y compris les islamistes, si elles acceptaient de renoncer à la violence. Il avait en fait déjà tenu des pourparlers secrets avec les chefs emprisonnés du FIS, Belhadj et al Madani. A la fin de l'été, il les fait placer en résidence surveillée, leur permettant ainsi de communiquer avec leurs collaborateurs politiques et créant un moment l'espoir d'un compromis politique. Malheureusement, les extrémistes des deux camps ont définitivement fait échec à cette première tentative de négociation, les milices gouvernementales s'étant heurtées au GIA dans une flambée de violence destructrice.

Au cours des mois qui ont suivi, le régime a lancé une solide offensive contre les islamistes qui, à leur tour, ont répliqué au moyen d'attentats à la voiture piégée et de nouveaux assassinats d'intellectuels, de femmes et de policiers. Aucun des deux camps ne semblait en mesure de sortir gagnant de cette impasse sanglante.

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Le Contrat national

Par conséquent, à la mi-janvier une deuxième tentative a été faite en vue de négocier et de parvenir à un compromis. En réponse à un appel lancé par des politiciens algériens désireux de mettre un terme aux assassinats, une communauté catholique romaine de Rome, nommée Sant 'Egidio, a invité les dirigeants de l'opposition algérienne à se réunir. Pour la première fois, le GIA s'est montré intéressé à négocier, et le FIS a demandé à deux de ses dirigeants en exil à Rome de se joindre aux membres du FLN et du FFS. Après une semaine de discussions, une entente a vu le jour dans un document remarquablement clairvoyant appelé Contrat national. La plate-forme de Sant 'Egidio établissait sept conditions à l'ouverture de négociations, dont la remise en liberté de dirigeants islamiques incarcérés, la mise en place d'une administration de transition et la levée de l'état d'urgence instauré trois ans auparavant. Elle condamnait la violence, appelait au respect de la constitution de 1989 et appuyait l'idée d'une démocratie multipartite. Elle demandait également le respect de la légalité, des droits de l'homme et ceux des minorités. Enfin, elle prévoyait une alternance du pouvoir politique qui offrirait la vision d'une société civile pluraliste aux laïcs et aux islamistes, aux arabes et aux berbères, ainsi qu'aux partisans de la gauche et de la droite.

Malheureusement, le gouvernement algérien a rapidement dénoncé la plate-forme de Sant 'Egidio qu'il a qualifiée d'ingérence dans ses affaires internes et, pour contrer son attrait, il a annoncé la tenue d'une élection présidentielle pour novembre 1995.

La violence a repris de plus belle en Algérie, commençant à la fin de janvier par un spectaculaire attentat à la voiture piégée contre le commissariat central, qui a fait 38 morts et 256 blessés. Manifestement, les belligérants n'estimaient pas encore se trouver dans une «impasse intolérable».

Comme la France compte quatre des dix millions de musulmans de l'Europe et que ses relations avec l'Algérie datent de 165 ans, elle était le pays le plus directement engagé dans l'insurrection algérienne. Pourtant, même si les musulmans vivaient en France depuis maintenant trois générations, l'islam n'y était toujours pas bien compris. De plus, la marée quotidienne de réfugiés d'Algérie augmentait les craintes de terrorisme sur le sol français. Pendant toute l'année 1994, les intégristes islamiques se sont heurtés à un profond manque de sympathie, mais, à l'automne 1995, le corps politique français est devenu de plus en plus mal à l'aise à l'idée de soutenir une junte militaire corrompue et répressive à Alger, qui avait perdu le contact avec le peuple et ne cherchait qu'à s'accrocher au pouvoir. Également à l'automne, le gouvernement conservateur de la France était passé d'un solide appui aux généraux à une attitude plus impartiale, insistant sur la nécessité d'une négociation. Cette stratégie est fréquemment le précurseur d'un rôle de médiation et la France se positionnait pour un règlement négocié.

Aux États-Unis, le président Clinton a déclaré en mai 1994 que les ennemis étaient l'oppression et l'extrémisme, et non l'islam. Autrement dit, les États-Unis songeait à tendre la main à des régimes musulmans qui avaient vu le jour par des moyens pacifiques. En 1995, Washington et Paris étaient tous deux arrivés à des évaluations relativement similaires de la situation en Algérie. Tous deux appuyaient la plate-forme de Sant 'Egidio, comme l'avait fait l'Allemagne, mais cette voie prometteuse avait été fermée au moment où les élections présidentielles avaient été annoncées pour novembre.

Il n'était pas conséquent guère surprenant que la troisième, la quatrième et la cinquième tentatives de début de négociations aient été régionales et d'origine européenne. La plate-forme de Sant 'Egidio plaisait à la communauté internationale dans son ensemble et un été d'attentats à l'explosif en France avait accéléré l'acceptation par ce pays d'une intervention alliée. En juin 1994, de tout évidence en songeant beaucoup à la situation en Algérie, le Conseil européen a convenu d'intensifier ses efforts vers la paix, la stabilité et le développement socio-économique dans les douze pays de la région méditerranéenne. Cela a conduit, en décembre 1994, à une hausse de l'assistance économique assurée par l'Union européenne à la région, qui a été portée à 5,5 milliards (ÉCUS) sur cinq ans, ce qui se comparait avantageusement aux 7,5 milliards versés à l'Europe de l'Est.

Plus tard, les dirigeants des pays du G-7 réunis à Naples ont déclaré dans un communiqué que la région de la Méditerranée était un sujet de préoccupation commun. Ils avaient là aussi clairement à l'esprit le cas de l'Algérie. Enfin, en octobre 1995 à Barcelone, l'OTAN a amorcé une démarche dans le but de promouvoir le dialogue entre les nations du nord et du sud de la Méditerranée. Le petit programme nucléaire de l'Algérie, mis sur pied avec l'aide de la Chine, était facilement à portée de missile de l'Europe de l'Ouest, ce qui en faisait un sujet de préoccupation pour l'OTAN.

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Conclusions

La démocratisation en tant que solution

De tous les pays de l'islam arabe, l'Algérie semblait avoir les plus d'atouts pour une transition réussie dans le monde moderne politiquement pluraliste. Toutefois, l'Algérie polyglotte, tolérante et cosmopolite aimée des poètes et des intellectuels ne s'est tout simplement pas concrétisée au moment de l'indépendance. La vision qu'avaient les dirigeants d'une Algérie moderne n'était pas la création d'une identité nationale, qui aurait tenu compte des intérêts des Arabes, des Berbères, des Français, des Juifs, des Espagnols, des Turcs et des Italiens, mais plutôt une interminable suite d'affrontements entre clans et factions, un ennuyeux brouet d'idéologistes, de socialistes, de tiers-mondistes et de nationalistes panarabes. L'échec de cette formule est devenu évident après les émeutes d'octobre 1988.

Il est ironique et en réalité très étonnant qu'un grave revers économique dans un régime autoritaire dont la légitimité est douteuse puisse amener les dirigeants à se tourner vers la libéralisation, à amorcer un mouvement vers la démocratisation. Pourtant, c'est exactement ce qui s'est passé après les émeutes d'octobre. La porte de la démocratisation s'est ouverte toute grande. Que le pays ne se soit pas senti la force de relever le défi en dit peut-être plus sur son passé que sur son avenir.

Alors, qu'est-ce que la démocratisation et a-t-elle une chance en Algérie? Le professeur J.P. Entelis de l'université Fordham estime que, de tous les États arabes, seule l'Algérie s'est montrée sérieusement déterminée à instaurer le pluralisme politique. Il lui fallait pour cela relâcher le contrôle autoritaire et élargir le paysage politique afin de faire de la place pour que des mouvements sociaux et des groupes civiques puissent s'organiser et défendre leurs intérêts. Toutefois, pour que la démocratisation soit au travail, il faut que la culture politique de la démocratie soit présente. Pour Entelis, cette culture sous-entend la conviction de la légitimité de la démocratie, la tolérance à l'égard des croyances et des préférences divergentes, une volonté de compromis avec les adversaires politiques, un certain niveau de confiance minimal entre les adversaires politiques, la civilité du discours politique et le désir de participer à la vie politique.

Il est manifeste que, dans les conditions actuelles de guerre civile, toute possibilité de démocratisation est totalement en suspens. Cela ne signifie toutefois pas non plus que les éléments de la culture politique démocratique sont absents de l'Algérie. Les répercussions à long terme de la politique de la France ont eu de profondes répercussions sur le psychisme algérien, et l'expérience démocratique a bien failli être couronnée de succès en 1991-1992. Chadli avait raison d'amorcer un mouvement vers la démocratisation, mais que la réaction de panique de l'armée et sa brutale intervention ont conduit à la violence actuelle.

Démocratisation et démocratie ne sont pas synonymes, mais la première jette bel et bien les assises d'un bon gouvernement autonome et stable. Si elle bénéficiait de l'appui et de l'encouragement de la communauté internationale, l'Algérie pourrait encore se doter d'un système démocratique crédible.

Scénarios pour l'avenir

Il y a quatre scénarios possible pour l'Algérie : un gouvernement islamique, un retour à l'autoritarisme, la démocratisation ou une très longue guerre civile. Au cours des trois dernières années, les islamistes sont devenus tellement haineux, destructeurs, fragmentés et hors de contrôle qu'il est improbable que les Algériens ou la communauté internationale leur permettront de gouverner. C'est une chose que d'être injustement dépouillé d'une victoire électorale; c'en est tout à fait une autre que de participer activement à l'assassinat de 50 000 de ses compatriotes par amour pour un principe religieux. L'intégrisme islamique a été terriblement, peut-être même irrécupérablement, discrédité en Algérie.

De même, l'autoritarisme gouvernemental a fait son temps et n'est plus une solution viable pour une majorité d'Algériens. Le régime est toléré uniquement parce que les islamistes sont perçus comme une solution de rechange pire encore. Si le président Zéroual a recueilli 60 p. 100 des votes aux élections du 16 novembre 1995, ce n'était pas pour maintenir le régime militaire, mais pour soutenir un mouvement vers la démocratie. Comme 75 p. 100 des électeurs ont voté en dépit des menaces des intégristes islamiques, qui les avait prévenus que les boîtes de scrutin deviendraient leur cercueil, il semble bien qu'une culture démocratique puisse être vivante et florissante. Plus de 90 observateurs de la Ligue arabe, de l'Organisation de l'unité africaine et de l'ONU ont été satisfaits du processus électoral, à Alger du moins.

Par conséquent, pour éviter une désintégration comme celle qu'a connu le Liban, les Algériens doivent être prêts à ravaler leur légendaire fierté et à accepter une intervention internationale reconstructive à long terme, qui pourrait provenir d'une ou de plusieurs des institutions de l'Europe, de l'OTAN et des Nations Unies. Le compromis viendra en Algérie lorsque les deux camps seront convaincus qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner dans la bagarre. C'est à ce moment-là qu'une intervention doit faire la paix, plutôt que de simplement la présider. Comme le disait si bien Richard K. Betts, faire la paix, c'est décider qui dirige, c'est déterminer comment mettre fin à la guerre.

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Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

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Date de modification : 2005-11-14

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