Service Canadien du Renseignement de Sécurité, Gouvernement du Canada, Canadian Security Intelligence Service, Government of Canada
Éviter tous les menus * * * * *
* English * Contactez-nous * Aide * Recherche * Site du Canada
*
* Le SCRS * Priorités * Publications * Salle de presse * SPPCC
*
* Page d'accueil * FAQ * Index A à Z * Plan du site * Carrières
*
* Un monde de défis
*

Publications

*
VisualisationVisualisation

* *

Commentaire N° 74

Le terrorisme lié a une cause particulière

G. Davidson (Tim) Smith

Hiver 1998
Non classifié

Précis : G. Davidson (Tim) Smith est un spécialiste de l'antiterrorisme à l'emploi du Service Canadien du Renseignement de Sécurité. Dans ce numéro, il traite du militantisme extrémiste relié aux droits des animaux, à l'environnement et à l'avortement dont des activités sont menées en Amérique du Nord et au Royaume-Uni. - Hiver 1998. Auteur : G. Davidson (Tim) Smith.

Note du rédacteur : G. Davidson (Tim) Smith est un spécialiste de l'antiterrorisme à l'emploi du Service Canadien du Renseignement de Sécurité. Dans ce numéro, il traite du militantisme extrémiste relié aux droits des animaux, à l'environnement et à l'avortement dont des activités sont menées en Amérique du Nord et au Royaume-Uni.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


Haut Haut

Définition

La notion largement acceptée du terme « terrorisme lié à une cause particulière » est celle du militantisme extrémiste de groupes ou d'individus protestant contre une injustice ou un tort perçu, habituellement attribué à l'action ou à l'inaction gouvernementale1. Trois grandes causes sont généralement visées par cette définition : les droits des animaux, l'environnement et l'avortement. Tel est le propos du présent document qui traite principalement des activités menées à leur sujet aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni.

Haut Haut

Vue d'ensemble

Des organismes légitimes et traditionnellement modérés, comme ceux qui militent pour la protection des animaux, obtiennent depuis des années des résultats appréciables en faveur des causes qu'ils défendent. Cependant, depuis une vingtaine d'années, certaines des causes les plus populaires ont attiré des éléments radicaux qui forment aujourd'hui un noyau de militants extrémistes prêts à recourir aux menaces, à la violence et à la destruction pour parvenir à leurs fins. Dans le cas de l'avortement, il y a même eu des meurtres.

Les organismes légitimes désavouent pour la plupart leur frange violente. Certains cependant — notamment dans le contexte des dossiers de l'écologie et l'avortement — appuient les militants activement ou tacitement en ne condamnant pas les activités extrémistes. Au moins un activiste « légitime » a fermé les yeux sur les blessures infligées par un tireur isolé à un éminent gynécologue de Vancouver en novembre 1994, qualifiant l'incident de « bon coup » et ajoutant d'un ton songeur que cela ne se serait pas produit si le médecin n'avait pas pratiqué d'avortements2.

Il n'y a pas d'archétype de l'extrémiste qui défend une cause particulière, mais il existe certaines caractéristiques générales. Les militants pour la défense des animaux et de l'avortement, ainsi que les écologistes, sont le plus souvent de gauche. Ainsi, le fondateur du Front de libération des animaux (FLA - Animal Liberation Front) au Royaume-Uni est un anarchiste avoué, tout comme un des principaux membres d'un groupe semblable au Canada. Dans le débat sur l'avortement, le camp pro-vie est en bonne partie de droite, mais la situation est compliquée par une dimension religieuse qui est étrangère aux mouvements de défense des droits des animaux et de l'environnement, et qui attire des militants de gauche et de droite. Les extrémistes associés à ces causes sont de toutes conditions et classes sociales. Pendant un moment, nombre de jeunes britanniques trouvaient excitant de participer à des actes de désobéissance civile et de militantisme pour appuyer les campagnes de défense des droits des animaux, et ils y voyaient une distraction dans le vent. Beaucoup de militants des droits des animaux et d'écologistes extrémistes sont des universitaires idéalistes et impatients, qui sont frustrés par la lenteur apparente des progrès des groupes modérés et qui tentent de parvenir plus rapidement à leurs fins par l'action directe.

En dépit de leur organisation essentiellement nationale, les groupes voués à la défense d'une cause particulière ont un champ d'action international. Les militants des droits des animaux se disent à l'oeuvre dans plus de 40 pays et les écologistes, dans diverses régions. Ces deux mouvements ont chacun leur bulletin : Arkangel est la publication britannique du premier, et Earth First!, celle des écologistes radicaux. On y trouve tout un éventail d'informations qui vont des descriptions d'actions récentes aux moyens de faire des dommages, du vandalisme et du sabotage, en passant par les adresses de cibles — médecins, scientifiques, laboratoires de recherche — et des nouvelles d'activistes emprisonnés. Les trois mouvements utilisent Internet pour leur publicité et leurs communications. Ainsi, The Militant Vegan rapporte les interventions du FLA au Canada et aux États-Unis ainsi que le nom et l'emplacement des cibles atteintes et les tactiques employées, renseignements tous utiles à des fins statistiques.

Il existe une certaine communication entre les groupes extrémistes partisans d'une même cause, ce qui n'est guère étonnant vu la disponibilité d'Internet. Il y a des similitudes entre les noms et les méthodes de chacun, comme le Front de libération des animaux de Grande-Bretagne et son jumeau nord-américain, mais les liens étroits entre eux ne sont pas évidents. Néanmoins, la coopération, l'affiliation et l'imbrication des effectifs sont bien réelles. L'intégration de l'action des défenseurs des droits des animaux et des activistes de Earth First! est notoire au Canada et aux États-Unis.

Un certain nombre d'extrémistes qui défendent les animaux appartiennent en même temps à plusieurs organismes et groupes (p. ex. végétaliens, féministes, écologistes) et poursuivent leurs propres idéaux sous le couvert de causes populaires ou d'organisations légitimes. À une occasion, le cumul de votes par procuration a permis à un groupe de « s'emparer » de la Société protectrice des animaux de Toronto et de canaliser ensuite vers les militants d'importantes sommes d'argent et d'autres ressources.

La frange extrémiste de chaque mouvement a publié un guide quelconque ou donne sur Internet des instructions sur la façon de faire des dommages, de la désobéissance civile, du vandalisme et du sabotage ­ ecotage en langage écolo anglais. Certaines suggestions sont extrêmement dangereuses, entre autres, les techniques potentiellement meurtrières de cloutage qui ont causé des blessures graves. Souvent semblables à celles qui figurent dans The Anarchist's Cookbook, ces instructions indiquent comment fabriquer une bombe.

Même si le niveau et l'ampleur du terrorisme lié à une cause particulière se sont quelque peu tempérés depuis deux ans, du moins par rapport à la turbulence des années 80 et du début des années 90, la menace n'a pas diminué. En Angleterre et au Canada, il continue d'y avoir des incidents extrémistes, surtout en rapport avec les droits des animaux et l'écologie. Aux États-Unis, l'avortement demeure un dossier explosif : le premier attentat à la bombe contre une clinique d'avortement qui a fait un mort a été commis le 29 janvier 1988, à Birmingham, en Alabama, et cinq meurtres liés à cette cause ont déjà été enregistrés. Au Canada, les activistes de l'avortement misent sur le dixième anniversaire de la décision de la Cour suprême abolissant les restrictions légales en ce domaine pour attirer l'attention de la population et des législateurs sur ce qui est perçu comme un manque d'enthousiasme pour l'avortement au sein de la profession médicale, bien que, dans les faits, le nombre d'avortements ait sensiblement augmenté au cours de la dernière décennie.

Haut Haut

Droits des animaux

Il y a lieu de distinguer les groupes de défense des droits des animaux, pour lesquels les animaux sont les égaux des humains et devraient donc vivre en liberté, des organismes traditionnels deprotection des animaux, qui estiment que les humains peuvent utiliser les animaux à condition de les traiter avec compassion. La plupart des défenseurs des droits des animaux ne préconisent pas le recours à la violence, mais n'hésitent pas à pratiquer la désobéissance civile pour attirer l'attention. Pour la frange extrémiste de ce mouvement, le sabotage économique est un moyen valable d'empêcher les humains de faire du mal aux animaux. À cette fin, ils emploient diverses tactiques pour infliger des pertes économiques destinées à provoquer la fermeture des entreprises « contrevenantes ». Ils ont un certain succès puisque nombre de petites entreprises et d'installations de recherche scientifique et commerciale ont dû fermer boutique en raison des primes d'assurance prohibitives, des infrastructures de sécurité coûteuses, des dommages aux immeubles et au matériel, des pertes de revenu, de la publicité négative et de la destruction de dossiers représentant des années de recherche. Des activistes se sont vantés de pouvoir causer pour au moins 60 000 $ de dommages en une seule semaine, simplement en fracassant des fenêtres3.

Le FLA, probablement le plus connu des groupes extrémistes en Europe et en Amérique du Nord, a été fondé par Ronnie Lee en Angleterre en 1976 et est encore très actif. Il s'est manifesté pour la première fois au Canada en 1981, en commettant une série d'introductions par effraction dans plusieurs laboratoires médicaux et universitaires qu'il a vandalisés et incendiés et d'où il a libéré des animaux; il a ensuite visé des magasins de fourrures et des abattoirs. D'abord reconnu aux États-Unis en 1982, il figure sur la liste des auteurs d'actes de terrorisme national du FBI depuis 1987, à la suite d'un incendie criminel qui a causé pour plusieurs millions de dollars de dégâts à un laboratoire vétérinaire de Californie. Des incidents semblables, survenus en 1989 en Arizona et au Texas, ont également été considérés comme des actes de terrorisme international4.

Entre autres groupes notoires, mentionnons la Hunt Retribution Squad, organisme britannique particulièrement brutal, la Milice des droits des animaux, ramification du FLA britannique qui a des homonymes en Amérique du Nord, et le Département de la justice (Justice Department), un groupe relativement nouveau qui a fait son apparition d'abord en Grande-Bretagne, puis au Canada. Bien que peu nombreux, ce dernier groupe est particulièrement dangereux : il a revendiqué un certain nombre d'attentats à la lettre piégée. De plus, le FLA aux États-Unis serait appuyé par un groupe de pression de Virginie, Personnes pour le traitement éthique des animaux (People for the Ethical Treatment of Animals - PETA), qui est particulièrement habile à attirer des partisans bien en vue et à recueillir de grosses sommes d'argent. Ce groupe a souvent annoncé les actions du FLA, publiant des communiqués presque immédiatement après la perpétration de certains incidents, ce qui montre qu'il en était au moins informé à l'avance, sinon complice. Il a mis sur pied des sections au Canada et en Europe ces dernières années5.

Haut Haut

Cibles privilégiées

Les laboratoires de recherche rattachés aux écoles et aux cliniques médicales et vétérinaires et ceux qui font des essais de produits cosmétiques et alimentaires sont des cibles privilégiées : « libération » d'animaux, destruction de matériel et de dossiers valant des centaines de milliers de dollars et harcèlement de chercheurs au moyen de graffitis et de lettres haineuses. Au Royaume-Uni, des activistes ont distribué des pamphlets à l'école que fréquentaient les enfants d'un scientifique. Au Canada, le domicile d'un scientifique a été vandalisé pour commémorer la Journée mondiale des animaux de laboratoire. Boucheries, poissonneries, abattoirs, entreprises de production de poulets et d'oeufs, chenils, élevages de visons et de renards, boutiques de fourreurs et même restaurants-minute figurent aussi parmi les cibles.

Haut Haut

Tactiques

Le vandalisme est la tactique privilégiée : peinture de graffitis sur les murs d'immeubles, injection de colle dans les serrures de porte, vitres endommagées à l'acide ou fracassées, souvent à l'aide de lance-pierres et de billes d'acier. Les attentats vont souvent plus loin : véhicules volés, endommagés ou incendiés, pneus lacérés et animaux à fourrure libérés. Plusieurs milliers de visons de grande valeur ont été libérés de fermes d'élevage de l'Ouest canadien en 19966.

Une autre tactique efficace, qui a des conséquences désastreuses, consiste à menacer de contaminer des produits de boucheries, de pharmacies, de supermarchés ou de grands magasins. Le FLA a commencé à y recourir en Grande-Bretagne, en 1984; il a obligé un boucher à fermer boutique en menaçant de contaminer ses viandes. Shampoings, friandises et boissons gazeuses ont aussi été la cible de menaces coûteuses, dont celle d'empoisonner des dindes à la période des fêtes de fin d'année, ce qui a obligé à retirer du marché des millions de volailles7.

Des incidents semblables sont survenus au Canada, revendiqués par la Milice des droits des animaux. Ainsi, des dizaines de milliers de tablettes Cold Buster ont dû être rappelées en 1992 après qu'on les eut dites contaminées au nettoyant à four8 et, juste avant Noël en 1994, la menace d'empoisonnement de dindes à Vancouver a causé pour plus d'un million de dollars de dommages9.

L'éventail des tactiques activistes comprend également les incendies volontaires et les lettres et colis piégés. Ce sont des attentats à la bombe incendiaire répétés dans de grands magasins en Angleterre qui ont conduit à l'arrestation des dirigeants du FLA en 198710. Pendant la bousculade des fêtes de fin d'année, en 1993, ce groupe a placé neuf bombes incendiaires dans quatre grands magasins de Chicago11. En 1995, des lettres piégées dont l'envoi a été revendiqué par le Département de la justice ont blessé quatre personnes, en Grande-Bretagne12. L'année suivante, une lettre piégée a été envoyée au ministre britannique de l'Agriculture, tandis qu'au Canada, le groupe Force opérationnelle Action directe militante en adressait quatre à deux tenants de la suprématie blanche, à une cellule de réflexion de droite favorable à l'industrie de la fourrure et à un laboratoire de génétique13.

En 1989, des engins explosifs ont été attachés aux automobiles d'une vétérinaire britannique et d'un chercheur universitaire. La première réussit, non sans mal, à s'extirper de sa voiture en flammes, et le second s'en est tiré parce que la bombe s'est détachée de sa voiture; un bébé qui se trouvait aux environs, dans son landau, a toutefois été bless14.

Une variante récente de la lettre piégée, qui a été revendiquée par le groupe britannique Département de la justice, consiste à envoyer une lame de rasoir qui aurait été trempée dans la mort-aux-rats ou dans du sang de sidatique. Une telle lettre a été adressée au prince Charles. Des lettres semblables ont aussi fait leur apparition en Colombie-Britannique, revendiquées par un groupe utilisant le même nom15 et comportant une addition diabolique : l'adresse de l'expéditeur était celle d'une autre personne ciblée, de sorte que si le destinataire refusait la lettre et la retournait à l'envoyeur supposé, une autre cible des activistes des droits des animaux était en danger.

Le professionnalisme est la marque de nombreux groupes extrémistes tel le FLA. Ceux-ci sont souvent organisés en cellules, et donc difficiles à identifier et à infiltrer, et leur sécurité est relativement bonne, quoique rudimentaire; par exemple, ils dissuadent leurs membres de communiquer par téléphone pour échapper au repérage des appels. Les activistes font des recherches minutieuses sur chaque cible, passant souvent des jours ou des mois à photographier et à en surveiller les locaux et le personnel, et restant tapis des nuits durant dans les buissons environnants pour connaître les horaires des patrouilles de sécurité. Si possible, ils s'inscrivent à une visite guidée des lieux, recrutent quelqu'un de l'intérieur ou y trouvent un emploi afin d'obtenir de l'information ou de passer outre aux alarmes de sécurité. Leur tenue et leurs gestes pendant les raids visent à intimider : cagoules et vestes de camouflage, combinaisons, introduction par effraction à l'aide de pioches-haches et d'autres outils dangereux. Ils s'efforcent de détruire le matériel de recherche et de réunir des renseignements sur les fournisseurs ou les clients d'installations de recherche afin de choisir leurs prochaines cibles. À l'occasion, ils ont enregistré des attentats sur bandes vidéo pour obtenir une couverture médiatique ou étayer des menaces ultérieures. Ils s'efforcent de marquer des points à chaque attentat, sachant que les dispositifs de sécurité seront probablement renforcés.

Les activistes des droits des animaux ont pour principale tactique de semer la terreur. Ils recourent à la violence dans l'intention explicite de forcer le gouvernement à adopter des positions ou des lois particulières. Leur méthode terroriste consiste à engendrer la peur en menaçant d'empoisonner des friandises ou d'autres produits de consommation, en traçant des graffitis odieux, en faisant des appels téléphoniques violents et menaçants, en envoyant des lettres piégées et en détruisant des biens.

Les questions liées à l'écologie et à l'avortement ne suscitent pas moins de menaces.

Haut Haut

Les écologistes

Selon les estimations, il y a jusqu'à 2 000 groupes écologistes modérés et extrémistes actifs, au Canada seulement. Le mouvement écologique radical rassemble un large éventail de groupes et d'individus engagés dans diverses variantes extrémistes du dossier écologique. Même s'ils prennent le plus souvent pour cibles les projets de mise en valeur de ressources et d'aménagement hydroélectrique, les activistes visent également l'industrie de l'énergie nucléaire, les fabricants de produits chimiques, les sociétés polluantes, l'expansion tentaculaire des villes, l'empiétement sur le territoire agricole périurbain et d'autres aspects de la société industrielle moderne.

Les anarchistes et les défenseurs des droits des animaux ont fait cause commune avec les écologistes extrémistes et, dans certains cas, des alliances ont été scellées avec des groupes autochtones. Ces dernières ne sont cependant pas toujours populaires, notamment à cause des questions liées à la chasse et à la pêche. Quoique peu nombreux, les tenants d'idéologies extrémistes au sein du mouvement écologiste ont fait montre de leur détermination et de leur capacité à user de violence. Le groupe le plus en vue est Earth First!, dont les adeptes ont toujours préconisé et employé le sabotage comme moyen de défendre l'environnement.

Crée en 1980, Earth First! a commencé à faire usage de violence en 1984. Il a alors pratiqué le cloutage, une tactique dangereuse tant pour les bûcherons qui se servent de scies à chaîne que pour les employés des scieries où les lames des scies peuvent littéralement exploser au contact des clous, comme ce fut le cas en 1987, lorsqu'un ouvrier a été grièvement blessé. En 1985, un des fondateurs de Earth First!, Dave Foreman, a rédigé A Field Guide to Monkeywrenching, un guide du sabotage écologique qui décrit en détail de nombreuses techniques propres au mouvement, dont le cloutage16. Un autre ouvrage de la même veine, intitulé A Declaration of War et apparu en Amérique du Nord en 1994, préconise l'usage de la violence, y compris l'homicide, contre les fermes, les centres de recherche sur les animaux, les sociétés forestières et les chasseurs, afin de faire cesser les abus à l'endroit des animaux et la dégradation de l'environnement.

Greenpeace est généralement reconnu comme le premier groupe écologique à avoir usé de « l'action directe » pour parvenir à ses fins. Mais un de ses fondateurs, le Canadien Paul Watson, impatient de la lenteur des progrès, a formé la Sea Shepherd Conservation Society et sa ramification, Orcaforce. En compagnie de ses adeptes, Watson a pris part à plusieurs actes de militantisme contre la chasse à la baleine, la pêche au filet dérivant, la chasse au phoque et d'autres dossiers connexes. Dernièrement, il a commencé à viser les opérations forestières au Canada.

Ces derniers temps, les activités extrémistes sont plus fréquentes au Canada qu'aux États-Unis ou au Royaume-Uni, où il y a toutefois une recrudescence de l'activisme depuis la tenue du rassemblement d'été de Earth First! au pays de Galles en 1996. La Division spéciale de Scotland Yard a mis les éco-terroristes au rang de ses priorités en matière de sécurité en 1995, en partie parce que les militants écologistes opposés aux nouveaux plans d'aménagement du réseau routier empruntaient les tactiques violentes du FLA17. Des travailleurs de la construction ont été blessés par des dispositifs à fil-piège, et d'autres ont été la cible de tirs à l'arbalète ou sont tombés dans des fosses de type viêt-cong, tapissées de pieux acérés (pungee); du matériel a été endommagé ou incendié. Un magazine Éco-terroriste a publié des plans détaillés pour la fabrication de mortiers, de bombes incendiaires et de grenades, et recommandé l'usage d'explosifs enfouis contre la police18.

Le FBI a attribué un acte de terrorisme national au mouvement écologique pour la première fois en 1987, puis de nouveau en 1988, 1989 et 1990. Les dommages causés dans les années 80 à des poteaux d'alimentation électrique et à des remonte-pentes en Arizona, ainsi que les plans de destruction de lignes à haute tension reliées à des centrales nucléaires d'Arizona, du Colorado et de la Californie, ont été attribués à la Evan Mecham Eco-Terrorist International Conspiracy, quoique Dave Foreman de Earth First! fut du nombre des personnes arrêtées. En 1990, le Earth Night Action Group a revendiqué la destruction de lignes à haute tension dans le comté de Santa Cruz en Californie19.

Des écologistes modérés sont actifs partout au Canada, mais les extrémistes ont tendance à se concentrer sur la côte ouest où l'éventail complet de l'activisme se fait sans cesse plus militant. Les extrémistes croient qu'il faut employer l'action directe pour perturber les exploitations ou les projets présentant une menace immédiate pour l'environnement. Un élément fondamental de leur idéologie à ce sujet, surtout celle des membres de Earth First!, est la détermination à prendre tous les moyens nécessaires pour perturber les activités jugées préjudiciables à l'environnement, et non pas s'y opposer simplement.

Même si l'objectif plus général des militants écologistes est d'attirer l'attention sur la protection de l'environnement et de forcer l'adoption de lois en ce sens, les actes de sabotage ont une double fin : empêcher ou retarder les activités comme l'exploitation forestière par la destruction de matériel ou d'infrastructures et, ce qui s'apparente aux tactiques des défenseurs des droits des animaux, obliger les entreprises à remettre leurs opérations en question. Les réparations fréquentes de matériel endommagé, les retards dans la production, la hausse des primes d'assurance, l'obligation de renforcer la sécurité et la publicité défavorable sont tous des facteurs qui contribuent au coût d'exploitation d'une entreprise. En 1995, un pont de plus de 2 millions de dollars servant à l'exploitation forestière a été incendié en Colombie-Britannique20, et en 1997, une explosion dans une exploitation forestière en Alberta a détruit du matériel évalué à 5 millions de dollars.

Il existe des liens étroits entre le groupe canadien Earth First! et son homologue américain. La plupart des actions de ce groupe, dirigées contre des exploitations forestières, consistent à détruire du matériel et à recourir au cloutage. Lors d'opérations communes menées avec le mouvement de défense des droits des animaux, des boutiques de taxidermistes et des pourvoiries de chasse dans l'Ouest canadien ont été la cible d'incendies criminels et de lettres de menace, certaines contenant des lames de rasoir, qui ont été revendiqués à différents moments par le Département de la justice et par le groupe The Earth Liberation Army21. À une autre occasion, des produits chimiques réputés nocifs ont été répandus dans des bureaux gouvernementaux ainsi qu'au siège social d'une société forestière, au nom du groupe The David Organization22.

Le militantisme écologique a quelque peu ralenti, en partie à cause du succès du mouvement. Cependant, l'exploitation forestière pratiquée sur la côte ouest canadienne et américaine, en particulier la coupe à blanc, et la controverse grandissante suscitée par la pêche et la chasse sur les côtes est et ouest du Canada inciteront les activistes qui défendent l'environnement et les animaux à poursuivre leur action et pourraient susciter de graves affrontements entre les militants et les travailleurs qui croient leur gagne-pain menacé.

Haut Haut

Le dossier de l'avortement

Le dossier de l'avortement est chargé d'émotions, surtout dans le camp des militants pro-vie, et les extrémistes en font parfois leur cause. À l'heure actuelle, les déclarations contre l'avortement qui émaillent les discours de certains groupes extrémistes les plus à droite suscitent de vives inquiétudes.

La plupart de ceux qui s'opposent à l'avortement le font dans la légalité, en accord avec leurs idées « pro-vie ». Certains, toutefois, dépassent les limites de la liberté d'expression et commettent des délits pour appuyer leur cause. D'après la National Abortion Federation, les 42 incidents de vandalisme et d'incendie criminel perpétrés en 1996-1997 contre des cliniques d'avortement aux États-Unis ont causé pour plus d'un million de dollars de dommages matériels23.

C'est surtout la minorité marginale du mouvement pro-vie qui recourt à la violence, peut-être à cause des frustrations suscitées par des lois défavorables. Il est cependant impossible de passer sous silence les connotations religieuses. Un fait inquiétant est l'apparition d'un guide intégriste de l'anti-avortement intitulé The Army of God, qui contient des instructions détaillées sur le sabotage des cliniques, les silencieux d'armes à feu et l'explosif C4, et dans lequel on peut lire, entre autres : «...nous sommes forcés de vous prendre pour cible... une exécution est rarement agréable24 ».

L'usage de la violence contre les tenants de l'avortement a surtout été confiné aux États-Unis et au Canada. La tentative d'un groupe pro-vie nord-américain pour créer une section en Grande-Bretagne en 1993 a échoué, après que le gouvernement eut décrété l'expulsion du représentant du groupe pour « menace au bien collectif ». En 1988, la Cour suprême du Canada a annulé les dispositions législatives restreignant la légalité de l'avortement au Canada. Depuis, le nombre d'avortements pratiqués sur des Canadiennes a augmenté sensiblement, et le ton des protestataires de pro-vie est devenu plus véhément. Nombre d'activistes favorables à l'avortement craignent une intensification de la violence comme celle qu'ont connue les États-Unis.

Ces craintes sont peut-être fondées : depuis 1993, cinq personnes ont été tuées et onze autres, blessées. Des cliniques ont été la cible de graffitis, de gaz délétères et de bombes incendiaires, et leur personnel a été menacé et harcelé. Des incidents semblables ont commencé à se produire au Canada : des tireurs isolés ont blessé trois médecins canadiens en 1994, en 1995 et de nouveau en 1997; une clinique a été incendiée; et comme aux États-Unis, le personnel de ces établissements est de plus en plus victime de menaces et de harcèlement25.

Même si le mouvement pro-vie au Canada est en général mal organisé, il rassemble plusieurs groupes importants et des individus bien en vue, qui ont des liens avec le mouvement des États-Unis. Des activistes américains ont pris la parole lors de rassemblements au Canada, encourageant les participants à adopter des tactiques agressives. L'auteur d'une publication pro-vie, reconnu et respecté dans les cercles extrémistes, a pris part à diverses manifestations, dont certaines devant des cliniques ou le domicile de médecins au Canada.

Le sociologue américain Dallas Blanchard a fait observer que certains membres du mouvement pro-vie canadien qu'il a rencontrés sont tout aussi susceptibles d'être violents que les extrémistes américains, et que les types d'activités menées au Canada s'apparentent à ce que se passe aux États-Unis. L'auteur d'un article paru dans le numéro de mai 1996 de Chatelaine qualifie le débat actuel sur l'avortement au Canada de champ de bataille hanté par la peur de la violence. L'atmosphère est telle dans les cliniques que celles-ci semblent en état de siège : barres d'acier, caméras de surveillance, interphones, alertes à la bombe et formation des employés aux techniques de secourisme.

Le problème ne disparaîtra pas. Le risque de poursuite de la violence est réel. En effet, le nombre d'avortements demandés par des Canadiennes a augmenté considérablement depuis la décision rendue par la Cour suprême en 1988. Le ton des protestataires de pro-vie s'est fait plus véhément et leur propension à la violence pourrait augmenter si leur frustration continue de croître, ce qui pourrait se produire si des lois ou des jugements défavorables sont adoptés ou rendus, ou si des abortifs sont mis en marché. Au Canada, tout changement à la couverture de l'avortement par les régimes publics de soins de santé pourrait inciter les activistes du mouvement pro-vie à intensifier leur militantisme.

Haut Haut

Conclusion

En conclusion, voici trois observations qui méritent d'être notées :

  • le militantisme lié à une cause particulière demeure dangereux malgré le ralentissement des activités des deux dernières années; chacun des dossiers examinés reste controversé et continuera d'attirer des individus qui sont prêts à recourir à des tactiques extrémistes pour des motifs égocentriques ou supposés altruistes; nombre de ces individus sont très compétents et peuvent utiliser efficacement les techniques modernes pour concevoir des engins extrêmement dangereux;
  • on redoute vraiment l'intensification de la violence, à savoir que le vandalisme débouche sur des incendies criminels, puis des attentats à la bombe et même des actions de plus en plus spectaculaires, que des actes ne soient imités par des gens stupides et ne mettent sérieusement des vies en danger, et que certains ne s'instituent justiciers, suscitant des problèmes extraordinaires pour les services de police et le système de justice pénale;
  • devant la menace du terrorisme lié à une cause particulière, il faut trouver des solutions appropriées, raisonnées et raisonnables, en évitant toute réaction exagérée et en maintenant la primauté du droit.

1 Davidson Smith, G., Combating Terrorism, London, Routledge, 1990, p. 7.Retournez

2 CHATELAINE, mai 1996.Retournez

3 Davidson Smith, G., L'activisme et la défense des animaux, SCRS, Commentaire no 21, avril 1992.Retournez

4 Terrorism in the United States, ministère de la Justice des États-Unis, Federal Bureau of Investigation, 1989.Retournez

5 Paris, Susan E., Animal Rights Terrorism Must Be Stopped, Mass High Tech, août 1995.Retournez

6 Brunet, Robin, The Cutting Edge of Animal Rights, Alberta Report, vol. 23, no 8, 5 février 1996.Retournez

7 Davidson Smith, G., Political Violence in Animal Liberation, Contemporary Review, vol. 247, no 1434, juillet 1985.Retournez

8 Smith, Commentaire, SCRS, avril 1992.Retournez

9 The Militant Vegan, no 8, 8 février 1995, Internet.Retournez

10 Smith, Commentaire, avril 1992.Retournez

11 Chicago Sun-Times, 1er décembre 1983.Retournez

12 Independent, 2 juin 1994. Voir aussi PinkertonRisk, 24 août 1995.Retournez

13 Toronto Star, 14 juillet 1995.Retournez

14 Chicago Tribune, 6 août 1991.Retournez

15 Victoria Times Colonist, 13 janvier 1996. Retournez

16 Egan, From Spikes..., p. 6-8.Retournez

17 Independent, 29 décembre 1994.Retournez

18The Times, Londres, 11 septembre 1994.Retournez

19 Terrorism in the United States, ministère de la justice des États-Unis, FBI, 1990.Retournez

20 The Vancouver Sun, 21 octobre 1991.Retournez

21 Globe and Mail, Toronto, 12 juillet 1995. Voir aussi Victoria Times Colonist, 13 janvier 1996.Retournez

22 Vancouver Province, 17 octobre 1994.Retournez

23 National Abortion Federation, Summary of Extreme Violence Against Abortion Providers in 1994, 1995, Internet.Retournez

24 Chatelaine, mai 1996. Voir aussi Washington Post, 17 janvier 1995.Retournez

25Toronto Sun, 17 janvier 1995. Voir aussi The Abortion Rights Activist, Internet.Retournez

Haut Haut


Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

SCRS 
Case postale 9732 
Succursale T 
Ottawa (Ontario) K1G 4G4
Télécopieur: (613) 842-1312 

ISSN 1192-277X
N° de catalogue JS73-1/74

 


Date de modification : 2005-11-14

Haut

Avis importants