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Commentaire N° 75

L'exploitation de la nouvelle imagerie satellitaire haute résolution : Des impératifs darwiniens?

Mark Stout and Thomas Quiggin

Été 1998
Non classifié

Précis : L'imagerie satellitaire commerciale à haute résolution, que tout le monde pourra bientôt utiliser en se servant d'une carte de crédit et d'un ordinateur, fournira des possibilités sans précédent aux artisans de la guerre comme de la paix. Cependant, nous craignons qu'un impératif darwinien favorise une utilisation plus efficace de ce nouvel outil par les organisations terroristes, les guérilleros et tous les autres combattants désireux d'entrer dans une guerre asymétrique contre des adversaires plus forts et mieux équipés qu'eux. Par contre, une utilisation plus efficace de cette nouvelle capacité par des bienfaiteurs éventuels comme l'Organisation des Nations Unies obligerait ceux-ci à modifier leurs instructions permanentes et à repenser le rôle problématique du renseignement dans leurs opérations. - Été 1998. Auteurs : Mark Stout and Thomas Quiggin.

Note du rédacteur : Mark Stout est analyste au Département d'État américain. Il a fait partie du personnel du directeur de la CIA et a travaillé au quartier général du Department of the US Army. Thomas Quiggin est un ancien agent de renseignements des Forces armées canadiennes et il a servi en Yougoslavie. Il a travaillé au BCP et fait actuellement des études de doctorat au King's College à Londres.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


L'imagerie satellitaire commerciale à haute résolution, que tout le monde pourra bientôt utiliser en se servant d'une carte de crédit et d'un ordinateur, fournira des possibilités sans précédent aux artisans de la guerre comme de la paix. Cependant, nous craignons qu'un impératif darwinien favorise une utilisation plus efficace de ce nouvel outil par les organisations terroristes, les guérilleros et tous les autres combattants désireux d'entrer dans une guerre asymétrique contre des adversaires plus forts et mieux équipés qu'eux. Par contre, une utilisation plus efficace de cette nouvelle capacité par des bienfaiteurs éventuels comme l'Organisation des Nations Unies obligerait ceux-ci à modifier leurs instructions permanentes et à repenser le rôle problématique du renseignement dans leurs opérations.

Je suis un oeil au firmament 
Je vous regarde 
Je peux lire vos pensées 
                   ­ Alan Parsons

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Introduction

« Les satellites de reconnaissance CORONA ont révolutionné la collecte de renseignements dans les années 1960. À cette époque, il était encore extrêmement difficile d'obtenir des informations par quelques autres moyens que ce soit dans des secteurs dits fermés dont l'URSS, la Chine communiste et leurs alliés ». Ainsi s'exprimait la CIA dans l'introduction de son livre intitulé « CORONA : Premier programme de satellites américains ». Les premiers satellites CORONA, connus dans le monde sous le nom de code KH-1, ont été lancés avec succès en 1960. Leur résolution au sol était de 40 pieds (12,6 mètres). Les satellites de la génération suivante, lancés en 1967 sous le nom de code KH-4B, étaient opérationnels avec une résolution maximale de 5 pieds (1,57 mètres). Les KH-4B étaient encore lancés en 1972. La pellicule exposée était désorbitée, récupérée en vol au-dessus de l'océan par un avion spécialement équipé et confiée en urgence à des analystes d'imagerie aux États-Unis. Cela signifiait donc qu'il pouvait s'écouler des jours ou des semaines entre la prise de la photographie et le moment où cette dernière commençait à livrer ses secrets.

Malgré la faible résolution de ce système et l'importance des délais, le système CORONA de base a en effet « révolutionné » l'univers du renseignement en Amérique. Toutefois, dans les mois qui suivront la publication de ce rapport, des images satellitaires ayant une résolution de 1 mètre ou moins — beaucoup plus précise que l'imagerie CORONA de pointe — seront disponibles sur le marché en temps quasi-réel pour quiconque dans le monde détient une carte de crédit et possède un ordinateur. Ces satellites commerciaux à haute résolution pourront « photographier » quotidiennement n'importe quel endroit à la surface de la Terre et, contrairement à leurs prédécesseurs, transmettront électroniquement des images qui auront très souvent des applications militaires.

L'imagerie à haute résolution ne sera pas la solution magique, mais elle aura des répercussions profondes sur les questions de sécurité et sur la guerre, surtout quand les consommateurs auront appris à l'exploiter à fond. Le belligérant qui n'achètera qu'une seule image du territoire ennemi aura sans doute gaspillé son argent, mais celui qui en achètera plusieurs, notamment un jeu de cibles restreint avec lequel il sera entièrement familiarisé, aura toutes les chances de se donner des avantages substantiels, militaires ou autres. De même, les utilisateurs avisés de cette technologie concentreront la collecte des données satellitaires sur des cibles qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent pas faire l'objet d'une surveillance facile par des alliés. Les utilisateurs qui auront appris ces leçons seront parfaitement en mesure d'identifier des cibles dans des zones réglementées, un peu comme les États-Unis l'ont fait quand ils ont commencé à analyser des images CORONA de l'URSS, images qui, auparavant, étaient aussi inaccessibles que si elles avaient été placées dans un coffre-fort.

Presque tous les gouvernements et groupes armés qui n'ont pas un accès courant à une bonne capacité de production d'imagerie pourront tirer profit de ces nouveaux satellites commerciaux. Cependant, les belligérants dont les points stratégiques et les opérations ne sont pas facilement détectables sur l'imagerie seront avantagés par rapport à d'autres. C'est pourquoi des guérilleros ou même des groupes terroristes comme les séparatistes tchétchènes ou du PKK sont susceptibles d'être plus avantagés dans leur lutte contre leurs opposants dont les infrastructures nationales, les forces militaires mécanisées, les garnisons et autres cibles sont facilement détectables sur l'imagerie. Cette capacité pourrait constituer un bienfait inappréciable pour ceux qui voudraient s'engager dans une guerre asymétrique contre un ennemi plus important et mieux équipé.

L'imagerie commerciale peut aussi être utilisée dans le domaine de la gestion des opérations psychologiques et de leurrage où elle constituerait un atout pour la faction qui aurait le plus d'imagination et de jugement plutôt que pour les forces armées qui seraient le plus mécanisées ou le plus en avance sur le plan technologique.

Par contre, nous croyons également que l'imagerie commerciale offre un avenir des plus prometteurs aux organismes de maintien de la paix et aux observateurs militaires. Les missions humanitaires, de maintien de la paix et d'intervention de l'ONU pourront profiter d'une imagerie obtenue en temps quasi-réel d'une façon jamais imaginée jusqu'à maintenant. Que ce soit pour localiser des colonnes de réfugiés, des positions d'artillerie ou des sites de stockage d'armes, le responsable du maintien de la paix, qui sait faire preuve d'imagination, aura en main un tout nouvel outil pour travailler.

À l'instar de toute autre innovation technologique, l'imagerie à haute résolution aura ses avantages et ses inconvénients. Son utilisation en situation de conflit pourra déclencher l'escalade de mouvements offensifs et défensifs. De même que l'introduction des armes mécanisées a changé le déroulement des opérations sur les champs de bataille et forcée la création de nouvelles doctrines et de moyens de défense, l'imagerie haute résolution entraînera la mise en place d'autres changements au niveau des mouvements défensifs-offensifs. Les questions actuelles de sécurité et de guerre reposent aujourd'hui beaucoup plus sur l'information qu'il n'y a à peine dix ans. Aujourd'hui, l'avantage sera dans le camp des organisations difficiles à détecter sur l'imagerie et qui ont la souplesse nécessaire pour réagir rapidement aux changements. Les groupes terroristes et de guérillas se caractérisent généralement beaucoup plus par ces aspects que les organismes gouvernementaux ou multinationaux.

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Les systèmes

L'imagerie satellitaire à haute résolution a, dans le passé, fait l'objet d'un secret jalousement gardé et son existence a rarement fait surface dans le domaine public. En même temps que la qualité de l'imagerie satellitaire militaire s'améliorait et que le nombre de satellites augmentait, la notion d'une imagerie « ouverte » est graduellement devenue réalité. L'imagerie ouverte a d'abord été offerte au public lorsque la NASA a lancé, en 1972, le premier satellite de la série LANDSAT dont la résolution était de 80 mètres (environ 262 pieds). Bien que ces satellites étaient d'une grande utilité pour une variété d'applications, la qualité des produits ne répondait à peu près jamais aux exigences des consommateurs militaires ou du renseignement.

Tableau 1 : Résolution et identification (toutes les valeurs sont en mètres)

 

Détection

Identification générale

Identification précise

Avions tactiques

4 à 5

1,5

1

Véhicules

1,5

,6

,3

Sites radar et radio

3

1 à 1,5

,3

Ponts et routes

5

4

2

Lignes de transport d'électricité

3

1

1

Sites industriels

60 à 70

10 à 30

2 à 3

Terrains

90 et plus

30 à 90

4,5

La résolution était essentiellement le facteur limitatif. Comme pour un écran de télévision ou un ordinateur, une image satellitaire numérique est principalement constituée d'une série de pixels (ou de minuscules points) de teintes variables, disposés de manière à former une image. Chaque pixel représente une minuscule partie de toute l'image. La résolution de l'image est une mesure de la superficie au sol que chaque pixel représente. Par exemple, pour une image satellitaire ayant une résolution de 1 mètre, chaque pixel correspond à une distance de 1 mètre au sol. Par conséquent, le satellite pourrait identifier ou "isoler" des objets qui mesureraient un mètre ou plus de longueur. Plus la résolution est élevée, plus l'analyste d'imagerie sera en mesure de voir et d'identifier de petits objets dans l'image prise par le satellite.

Que pourront offrir à leurs clients les nouvelles entreprises commerciales au plan de la résolution? On compte au moins quatre pays engagés dans la fourniture de services d'imagerie satellitaire optique (États-Unis, Russie, France et Israël). Ces quatre pays pourront offrir de l'imagerie provenant d'environ une dizaine de satellites dont la résolution est de quatre mètres ou moins, quatre de ces satellites étant capables de produire une imagerie à un mètre de résolution. Les clients en auront-ils pour leur argent? Le tableau suivant montre les résolutions approximatives nécessaires pour permettre une analyse utile des cibles au sol. Les données correspondent à la détection, à l'identification de base et à l'identification précise.

Les données ci-dessus ne tiennent pas compte de la capacité d'accentuation de l'imagerie par les logiciels. Ainsi, une image livrée en format numérique à un client pourrait être améliorée par celui- ci. Même si les circonstances varient considérablement, il est raisonnable de croire que les images prises à 1 mètre de résolution pourraient être accentuées pour obtenir des résolutions finales de 0,75 mètre ou moins.

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Les fournisseurs

D'ici quelques années, trois entreprises américaines et un partenariat États-Unis-Israël entreront dans le marché de l'imagerie à 1 mètre de résolution, circonvenant ainsi la Russie qui, avec son satellite KVR-1000, fournit déjà des images archivées ou décalées dans le temps et qui présentent une résolution similaire.

Par exemple, la société Space Imaging, qu'on décrivait dans une publication commerciale comme étant « un point de vente du NRO [National Reconnaissance Office] » devait, en décembre 1997, lancer un satellite mis au point par Lockheed-Martin et offrant une résolution panchromatique (noir et blanc) de 1 mètre et une résolution multispectrale de 4 mètres. Un autre satellite devrait suivre en 1998. On rapporte que Space Imaging s'attend à ce que chacun de ses satellites ait une durée de vie d'environ sept ans. Ces satellites qui orbiteront autour de la Terre à une altitude de 680 km pourront prendre des images d'une résolution de 1 mètre sur une fauchée de 350 km de chaque côté de la trace du satellite. Les logiciels et le matériel du système permettront d'offrir des images à haute résolution de 11 km sur 11 km accessibles pour analyse en moins de 18 minutes. On rapporte également que quelque « 9 centres d'exploitation de Space Imaging fonctionneront comme entreprises individuelles », appuyant ainsi une clientèle locale partout dans le monde. « Ces entreprises seront non seulement responsables de la réception des données acheminées en liaison descendante depuis les satellites, mais pourront également transmettre des commandes aux satellites au-dessus de leur territoire ».

Earthwatch est un autre consortium engagé dans ce genre d'activités. Ce groupe planifie la mise en orbite d'une constellation de 4 satellites, bien que tous ces engins spatiaux ne seront pas en mesure de fournir une imagerie à 1 mètre de résolution. Par contre, le consortium prétend qu'il pourra assurer un délai de réobservation plus court que Space Imaging. Leur premier satellite, capable d'offrir une imagerie d'une résolution de 3 mètres, devait être lancé au début de 1997, mais le Programme a connu de sérieux retards. Leur premier satellite offrant une résolution de 1 mètre, le Quickbird, devrait être lancé en 1999. Orbimage, une filiale de la Orbital Sciences Corporation prévoit également faire son entrée sur le marché avec un satellite appelé Orbview dont le lancement devrait se situer vers 1999.

Le dernier à entrer en scène sera le fruit d'un projet conjoint États-Unis-Israël composé de l'entreprise américaine Core Software Technology de Pasadena, Californie, et de Israël Aircraft Industries (IAI). Leur premier satellite, appelé EROS A, sera lancé à l'aide d'une fusée russe. À l'encontre des autres systèmes mentionnés jusqu'à maintenant, la technologie utilisée ne sera pas entièrement américaine, puisque EROS A sera en fait une génération évolutive du satellite Offeq-3 de l'IAI, lequel est déjà en orbite et utilisé à des fins d'obtention de renseignements par le gouvernement israélien. EROS A permettra d'obtenir une imagerie avec une résolution de 1,5 mètre.

Dans les quelques années à venir, il serait raisonnable de supposer que d'autres pays voudront se lancer eux-mêmes dans ce marché potentiellement lucratif. La Russie offre déjà des images d'une résolution de 2 mètres qui ont été archivées au fil des ans, et son prodigieux besoin d'entrée de fonds l'amènera presque certainement à faire son entrée sur le marché si les premiers projets États-Unis-Israël sont des succès commerciaux. Si ces efforts initiaux remportent un succès commercial, les autres pays en lice sont la France, le Japon, l'Allemagne et peut-être la Chine.

Les diverses entreprises qui font leur entrée sur le marché annoncent une vaste gamme d'applications pour leur imagerie à haute résolution. Bien sûr, ces applications comprennent les aspects environnementaux courants, le contrôle des armes, les médias et les ONG. Cependant, elles offrent simultanément des applications touchant autant les secteurs militaires que ceux de la sécurité. La société Orbimage, annonce par exemple, sous la rubrique « Sécurité nationale », les applications suivantes pour son imagerie à 1 mètre : déploiement des ressources, planification de missions, ciblage, évaluation des dommages suite à un affrontement, collecte de renseignements et analyse des tendances.

Earthwatch décrit d'une manière plutôt différente les avantages de son futur produit relativement aux applications militaires et de renseignement :

« Les minimes frais d'immobilisation de la société Earthwatch et les passages fréquents au-dessus d'une même cible, grâce à l'exploitation simultanée de plusieurs satellites, offrent des avantages concurrentiels importants dans ce marché comme dans le marché commercial. La surveillance continue d'une zone donnée sera possible pour un montant inférieur aux coûts d'exploitation d'un seul avion de reconnaissance ou du prix d'un seul chasseur. De plus, le format numérique dans lequel les images sont distribuées facilite rapidement l'analyse à l'aide du matériel et des logiciels SIG disponibles sur le marché ».

En peu de mots, ces entreprises offrent à leurs clients éventuels la possibilité d'améliorer, ou même de créer, les capacités de renseignements par l'imagerie.

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La réglementation américaine

Toutefois, une certaine réglementation encadre ce marché. Soumises à la « Presidential Decision Directive 23 » ou la PDD-23, signée en mars 1994, les entreprises américaines sont autorisées à obtenir des licences pour mettre au point des satellites commerciaux dont les caractéristiques sont semblables à celles qui sont présentement ou seront bientôt offertes par les concurrents étrangers. Jusqu'à maintenant, cette forme d'encadrement à débouché sur l'homologation de systèmes capables de fournir des résolutions pouvant atteindre environ 0,8 mètre. Cependant, il y a un hic; le gouvernement américain se garde un certain « droit de regard » sur l'exploitation de ces satellites. Autrement dit, le gouvernement peut mettre fin à la distribution de l'imagerie s'il juge qu'une telle mesure s'impose dans l'intérêt de la sécurité nationale américaine.

Cette restriction peut toutefois n'avoir qu'une importance toute relative pour la plupart des clients éventuels. La PDD-23 a été interprétée comme suit dans les ententes d'attribution de licences :

« Le Secrétariat au Commerce peut, après consultation avec le Secrétariat à la Défense ou d'État, dépendant du sujet en cause, exiger que le détenteur d'une licence mette fin à la prise d'images dans une zone donnée et/ou cesse de distribuer des données provenant d'une zone pendant une période donnée lorsque la sécurité nationale ou des intérêts relatifs à la politique étrangère sont compromis. Pour s'assurer que ces restrictions ne seront invoquées qu'en cas de nécessité réelle, cette consultation ou toute décision visant la mise en oeuvre de cette condition seront contrôlées au niveau du secrétariat et tout désaccord à ce palier sera porté au niveau présidentiel ».

Bref, même si certains groupes, notamment les médias, ont exprimé leurs inquiétudes face à la possibilité que le gouvernement n'applique trop largement ce « droit de regard », il semble que le gouvernement fédéral n'exerce ce droit que très rarement. Le seul obstacle qui pourrait se dresser entre une organisation séparatiste ou un groupe terroriste et une imagerie porteuse de renseignements concernant l'ennemi serait les politiques de l'entreprise qui contrôle le satellite.

Toutefois, Israël échappera à cette règle. Conscient que l'imagerie à haute résolution peut être utilisée par des forces militaires et des groupes terroristes, le Congrès a ajouté une restriction qui va au-delà du simple « droit de regard » : ne pourra être vendue, aucune imagerie d'Israël dont la résolution est supérieure à celle des images provenant d'autres sources commerciales. Chose amusante, en tenant compte autant de la résolution que de la promptitude de la livraison du produit, le plus proche concurrent des satellites américains sera probablement EROS A, issu du projet conjoint États-Unis-Israël. On peut donc supposer avec une assez bonne certitude que ce consortium ne vendra pas, lui non plus, de l'imagerie d'Israël de haute qualité.

Dans l'avenir, ce droit de regard américain pourrait s'avérer d'une valeur limitée. Les entreprises d'imagerie non américaines n'accepteront certainement pas de donner le contrôle de l'opération de leurs satellites aux secrétariats du Commerce, d'État et de la Défense. Elles peuvent toutefois fonctionner dans le cadre de restrictions analogues, dans la mesure où leur gouvernement applique un contrôle d'exploitation du genre, mais pour les Américains, les Israéliens, les Russes, les Français et peut-être d'autres nations intéressées dans ce genre d'entreprises, le jour viendra où les consommateurs incapables d'acheter l'image dont ils ont besoin auprès d'une société donnée, pourront se tourner vers l'une des nombreuses entreprises étrangères qui ne demandera pas mieux que d'empocher leur argent.

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Les effets sur les « petites guerres »

L'imagerie commerciale pourra appuyer des opérations couvrant à peu près l'ensemble du spectre d'un conflit, y compris les opérations à caractère psychologique et la gestion des leurres. Elle trouvera des applications étendues autant pour les combattants que pour les missions de maintien de la paix et d'observation. Cependant, nous craignons que les insurgés et les terroristes soient mieux en mesure de tirer rapidement et efficacement parti de cette imagerie que ne le fera l'Organisation des Nations Unies et d'autres organismes internationaux engagés dans le maintien de la paix.

Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, l'imagerie satellitaire utilisée avec intelligence peut constituer un « multiplicateur de force » rentable de sorte que les combattants seront dans une certaine mesure forcés de l'utiliser. Aucun combattant ne peut se permettre d'ignorer un moyen tout à fait légal pour faire progresser sa cause. Dans ce jeu de la guerre où il n'y a vraiment aucun gagnant, ceux qui ne profitent pas de tous les avantages dont ils peuvent se saisir finissent par subir la défaite et trop souvent mourir. Les organismes internationaux ne font pas face à ces pressions darwiniennes. Efficace ou non, l'ONU continuera d'exister.

Deuxièmement, les structures de commande de la plupart des groupes terroristes et d'insurgés sont relativement petites et, par conséquent, mieux en mesure que les imposantes bureaucraties d'adopter de nouvelles procédures ou de nouveaux outils. En effet, dans de nombreux groupes, un seul chef a l'autorité de prendre de sa propre initiative des décisions irrévocables pour l'ensemble du groupe. On peut citer en exemple le fondateur d'une toute petite cellule terroriste; le chef charismatique d'un mouvement qui se définit par son appui au chef lui-même (Laurent Kabila qui a récemment pris le contrôle du Zaïre en est un exemple); ou le chef d'une organisation strictement hiérarchique par idéologie (des organisations communistes ou à motivation religieuse en sont des exemples).

On pourrait certes noter avec intérêt que de nombreux insurgés et groupes terroristes ont adhéré au réseau Internet avec enthousiasme, ce dernier découlant d'une technologie de l'information à la fine pointe du progrès qui rejoint maintenant une grande partie du globe. Le réseau constitue un moyen de faire progresser leur cause. Certaines organisations utilisent Internet pour acheminer leurs messages par le biais des sites sur le World Wide Web et par l'entremise de nouveaux groupes du Usenet. L'utilisation de ce moyen de communications par les rebelles zapatistes, au Mexique en 1994, représente un exemple classique du phénomène. Cependant de nombreux autres groupes font la même chose aujourd'hui, avec divers degrés de succès. Les Talibans, les Tchétchènes et le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru en sont des exemples. Il semblerait que d'autres groupes utilisent le courrier électronique et probablement des logiciels de cryptage pour acheminer leurs messages opérationnels.

Finalement, les Nations Unies ont la « phobie de l'espionnage des membres de l'Organisation », comme le disait un ancien commandant des forces du maintien de la paix de l'ONU. Traditionnellement, l'ONU a toujours préféré le mot information à renseignement pour éviter ce qu'elle croyait être une odeur de tricherie exsudée par ce dernier. L'attitude des Nations Unies face au « renseignement » s'est certainement adoucie dernièrement, à preuve la création d'un « Centre de coordination » à New York et l'acceptation rapportée de renseignements par les États- Unis pour appuyer de récentes opérations de maintien de la paix. Néanmoins, le jour où les Nations Unies passeront un marché avec une entreprise commerciale pour obtenir en temps quasi réel de l'imagerie de haute qualité de zones interdites sur le territoire d'un état membre, contre cet état, n'est pas prêt d'arriver.

Malgré ses promesses, l'utilisation proposée de l'imagerie par une organisation comme l'ONU soulève de nombreuses questions qui ne seraient pas aussi problématiques pour des utilisateurs nationaux ou infranationaux. Qui contrôlerait l'attribution des tâches au sein de l'ONU? Serait-ce le commandant opérationnel? Serait-ce le siège social à New York? Dans l'affirmative, à quelle composante du siège social le travail serait-il confié? Et à qui l'imagerie serait-elle confiée et qui en ferait l'analyse? Quels systèmes seraient utilisés pour diffuser aux consommateurs intéressés l'information dérivée de l'analyse de l'imagerie en temps opportun ? Des questions analogues s'appliqueraient aux missions de surveillance et de maintien de la paix de l'OSCE. Par contre, les coalitions ad hoc ne seraient peut être pas aux prises avec de telles questions.

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Applications en situation de combat

Même si l'imagerie commerciale à haute résolution ne révolutionnera pas probablement la conduite de la guerre, elle a le potentiel pour servir de « multiplicateur de force » important pour certains consommateurs. Presque toutes les étapes de préparatifs en vue d'une opération par un pays ou par une faction belliqueuse contre des forces ou des infrastructures mécanisées trouveront une application à l'imagerie accessible au public.

Prenons, par exemple le cas de la Croatie en 1990 et 1991. Les Serbes avaient un avantage dans les forces mécanisées tandis que leurs opposants étaient piètrement armés et souvent mal organisés. Au cours de l'été de 1990, les Serbes de Croatie avaient fait le blocus de la ville de Knin et empêché le Ministère croate des forces intérieures d'opérer dans la région. Dans la ville de Knin et dans de nombreux autres endroits à majorité serbe, le gouvernement croate à Zagreb n'avait qu'une idée toute partielle de la situation dans les zones serbes, de l'équipement de la faction ennemie ou de son degré de préparation. Cette connaissance du niveau d'équipement dans les garnisons ou dans les villes lui aurait donné des informations utiles, tant sur les plans tactique que stratégique. Si l'imagerie satellitaire à haute résolution accessible au public avait été disponible, il est probable que les leaders politiques et militaires de la Croatie se seraient procurés de l'imagerie des zones posant problème, ce qui leur auraient permis d'utiliser à meilleur escient leurs ressources limitées.

Judicieusement agencée avec d'autres sources d'information, l'imagerie accessible au public offre la possibilité d'influencer substantiellement les cycles de prise de décision des leaders politiques et militaires. Les applications les plus évidentes seraient le choix des cibles à attaquer et les opérations de planification. La capacité de voir une installation du haut des airs (un réacteur nucléaire, un barrage hydroélectrique ou une garnison militaire) constitue un important avantage dans le processus de planification des opérations d'offensive. Les routes d'infiltration et d'exfiltration pour les attaquants dans la guerre de type guérilla peuvent être mieux planifiées, et une opération intensive d'imagerie pourrait permettre d'identifier des activités normales, des niveaux d'équipement, voire même des dispositifs et des routes de patrouille.

Même si les applications offensives de l'imagerie peuvent se révéler plus « attirantes », les applications défensives comme les « indications et les avertissements » (I&W pour Indications and Warning) sont certainement aussi valables. La mise en place des mesures I&W est une tâche difficile et dépend beaucoup de la connaissance des points à observer et de la fréquence des observations, pendant une période suffisamment longue pour distinguer ce qui va de ce qui ne va pas et tirer ensuite les conclusions appropriées. L'exercice repose également sur l'entière collaboration de spécialistes d'imagerie ayant reçu toute la formation requise et sur une bonne compréhension de la structure des forces ennemies, des garnisons et des zones d'entraînement. De plus, le coût des nombreuses images nécessaires à la compréhension de l'état normal de la situation peut se révéler prohibitif pour de nombreux groupes d'insurgés. Tous ces éléments portent à croire que même si des groupes peuvent tenter d'utiliser de l'imagerie pour mettre en place des mesures I&W, ils peuvent s'en servir uniquement pour des ensembles de cibles très restreintes. Ils peuvent aussi l'utiliser incorrectement et tirer de nombreuses conclusions inappropriées.

Une autre application défensive de l'imagerie porterait sur l'amélioration de la sécurité opérationnelle et sur les mesures d'interdiction et de leurrage. Même une force qui aurait cédé la totale suprématie aérienne à l'opposant, comme ce fut le cas des Tchétchènes devant l'écrasante force aérienne russe, peut utiliser l'imagerie satellitaire de ses propres forces et positions pour voir ce que l'ennemi voit d'en haut. Cette information peut alors servir à améliorer le camouflage, la sécurité opérationnelle et la qualité des tentatives de leurrage.

L'imagerie de grande qualité semble être particulièrement prometteuse pour faciliter le travail des terroristes et des forces d'opérations spéciales. Par exemple, l'imagerie peut indiquer à un terroriste éventuel ce qui se trouve de l'autre côté du mur qui entoure une cible. Dans les cas où la cible proposée (ou du moins son périmètre) est accessible quotidiennement (une ambassade, par exemple), l'imagerie satellitaire pourrait constituer un complément valable à la surveillance au sol. Dans d'autres cas, il pourrait s'agir, pour des terroristes ou des forces spéciales, de la seule possibilité d'observer une cible éloignée avant d'envoyer une équipe à l'intérieur du territoire ennemi pour l'attaquer. Par conséquent, l'imagerie satellitaire pourrait permettre à des terroristes de cibler des installations qui auparavant se trouvaient hors de leur portée réelle à cause d'un manque d'informations.

L'imagerie peut permettre l'observation détaillée d'importants périmètres de sécurité et donner la possibilité aux terroristes de faire une estimation éclairée de l'importance des forces de sécurité à l'intérieur d'un site. Comme pour les factions de guérillas, l'imagerie peut être utilisée pour localiser et évaluer des forces de sûreté près des zones cibles qui peuvent ne pas répondre à une attaque. Ces renseignements peuvent être utilisés pour établir des stratégies sur la façon de neutraliser ou d'éviter cette force d'intervention.

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Propagande et opérations psychologiques

C'est une vérité de la Palisse que de dire qu'« une image vaut mille mots ». De plus, une image peut avoir un impact émotionnel intense. Par conséquent, il est presque certain qu'au delà des applications à caractère belliqueux susmentionnées, l'imagerie à haute résolution sera utilisée dans les campagnes de propagande et dans le cadre des opérations psychologiques.

La technologie offre de grandes possibilités pour montrer des atrocités ou des dommages collatéraux. Imaginons, par exemple, des sujets émotionnels comme des fosses communes, des camps d'internement, des colonnes de réfugiés ou même des coupes rases dans des forêts. Même des images d'opérations de combat en cours peuvent avoir une valeur pour la propagande ou les opérations psychologiques. Les médias d'information qui ont toujours l'oeil ouvert pour « l'image sereine » seraient des alliés tout désignés pour des soit disant propagandistes. Dans certains cas, les médias peuvent acheter et publiciser des images satellitaires émotivement prenantes, donc politiquement puissantes, avant que ces images ne soient connues des belligérants eux-mêmes.

Par contre, les revendications exagérées d'au moins certains types d'atrocités commises par l'ennemi, ingrédient de base de la guerre depuis des temps immémoriaux, à partir de l'imagerie commerciale facilement accessible, seront plus faciles à réfuter. Par exemple, l'ennemi qui revendiquera la destruction complète d'une ville — tâche extrêmement difficile à réaliser sans l'utilisation d'armes nucléaires — sera facilement démenti. Par conséquent, de telles revendications seront plus difficiles à accepter pour de nombreuses audiences-cibles. Parmi les audiences-cibles dans le monde occidental, autres que celles ayant un intérêt direct, comme les communautés dispersées par exemple, de telles revendications seront probablement perçues comme des exagérations plus souvent qu'autrement, de telle sorte qu'il n'y aura aucune perte. Cependant, parmi les communautés dispersées et dans d'autres régions du monde, de telles assertions sont sans doute souvent prises comme parole d'évangile par de nombreuses personnes. Par conséquent, l'existence d'une vérification indépendante de ces revendications pourra atténuer l'efficacité des revendications exagérées des atrocités de masse commises dans ces communautés et sur d'autres collectivités plus ou moins disposées à accorder foi à ces histoires.

Il sera également possible de truquer l'imagerie satellitaire qui sera après tout livrée aux clients sous forme numérique. Même le laboratoire de développement photographique d'un centre commercial est capable d'ajouter ou d'enlever numériquement des caractéristiques sur une photographie. La capacité d'altérer de l'imagerie pourrait être utilisée à des fins de propagande, en montrant des fosses communes où il n'y en a pas, ou en accentuant des images de dégâts de combat dans des secteurs civils. Si l'entreprise est un succès, un tel leurre pourrait influencer les points de vue de la communauté internationale en matière d'intervention ou d'aide. Dépendant de l'habileté avec laquelle le travail a été fait et du milieu dans lequel l'image altérée a été présentée à l'audience-cible, la contrefaçon pourrait être très efficace et très difficile à détecter. Il serait extrêmement difficile de produire une image altérée qui pourrait tromper un expert qui aurait la possibilité de l'examiner en détail, mais qui aurait le temps de faire appel à un expert dans ces conditions? Les questions pertinentes pourraient plutôt être les suivantes : « l'image est-elle suffisamment plausible pour la présenter aux nouvelles? », ou « l'image est-elle suffisamment plausible pour attirer les indécis dans notre camp? » Même si un expert mettait en doute l'authenticité de l'image, par rapport à une autre image par exemple, il ou elle ne ferait pas beaucoup plus que de déclencher un débat sur l'authenticité de cette image.

Par contre, un jour viendra peut-être où le combattant sera la partie leurrée. Par exemple, un groupe terroriste pourrait vouloir acheter de l'imagerie d'une installation gouvernementale stratégique qu'il compte attaquer. Si un service gouvernemental de renseignement pouvait en quelque sorte s'insérer entre le fournisseur d'imagerie et le consommateur terroriste, le groupe terroriste pourrait recevoir une image altérée. Si le gouvernement voulait prévenir une attaque, il pourrait livrer de l'imagerie sur laquelle apparaît un plus imposant réseau de sécurité qu'il n'en existe en réalité. Ainsi, on pourrait ajouter artificiellement sur l'image de l'installation une caserne, un parc de stationnement pour blindés et un abri de munitions qui ne seraient pas surveillés de l'extérieur du périmètre. Par contre, si le gouvernement souhaitait provoquer une attaque dans le but d'embusquer l'ennemi, des mesures et des forces de sécurité pourraient être effacées sur l'image livrée aux terroristes.

Le système d'imagerie commerciale pourrait également être exploité d'une manière toute différente pour profiter des opérations psychologiques et de propagande. Supposons, par exemple, que la guerre de Tchétchénie se soit déroulée au cours d'une période où l'imagerie à résolution de 1 mètre aurait été commercialement disponible. Imaginons de plus que les Russes aient découvert que les Tchétchènes — largement jugés par leur opposant comme étant des gens naturellement disposés au terrorisme et au crime — avaient acheté de l'imagerie d'un certain nombre de centrales nucléaires dans le sud de la Russie. Si ce renseignement avait été porté à l'attention des services de sécurité russes, ceux-ci auraient été forcés de déduire qu'une attaque terroriste comportant des conséquences environnementales dévastatrices, était imminente. L'impact aurait été encore plus fort si les « faits » avaient été imprimés dans un journal russe sérieux et soumis à un large public soucieux de la situation. Les services de sécurité tchétchènes auraient pu laisser courir une telle histoire sans avoir la moindre intention d'attaquer une centrale nucléaire pour ensuite laisser les Russes s'inquiéter de la situation et engager des ressources pour se protéger contre une menace inexistante.

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L'imagerie satellitaire au service du maintien de la paix

Malgré les innombrables possibilités qu'offre l'imagerie à haute résolution pour augmenter l'état de tension dans les points chauds du monde, les images et l'information qu'on peut en tirer peuvent constituer un « multiplicateur de force », autant pour les organismes engagés dans le maintien de la paix que pour les combattants dans une guerre. L'utilité de l'imagerie commerciale variera en fonction du type de conflit et des opérations de maintien de la paix. À la limite, l'imagerie peut même remplacer l'intervention humaine puisque des missions d'observation militaires sous-armées peuvent être organisées pour voir des terrains impossibles à observer autrement. L'imagerie aura également une certaine utilité dans le cadre des opérations humanitaires qui sont fréquemment étroitement associées au maintien de la paix, notamment lorsqu'il s'agit de chercher des fosses communes ou des réfugiés.

Quand il s'agira d'imager des forces combattantes, la technologie sera plus facile à appliquer dans les endroits où la topographie et la répartition des troupes sont plus faciles à détecter. Les zones désertiques dégagées ou les plaines, où les forces mécanisées sont en opération offrent d'excellentes possibilités d'imagerie. L'utilité de l'imagerie serait à peu près nulle dans des régions comme Haïti et minimale dans les endroits comme la Somalie où les « véhicules porteurs d'armes » (camions, camionnettes, et automobiles civils militarisés) circulant dans les zones urbaines posent un problème.

À l'ère où les ressources sont limitées, l'imagerie peut aussi fournir des données de « vérité-terrain » dans les endroits où les cibles ne sont pas sous la protection de l'ONU. L'imagerie devient alors particulièrement utile pour les petites missions ou les missions d'observation qui, par définition, disposent de moins de ressources. Les missions de l'ONU dans des régions comme Chypre ou en Macédoine pourraient utiliser l'imagerie avec succès comme multiplicateur de force. L'imagerie pourrait aussi être utilisée comme Mesures de renforcement de la confiance et de la sécurité (MRCS) entre d'anciennes factions belliqueuses. En effet, en se servant de l'ONU ou de tout autre organisme comme facilitateur, un régime de type « ciel ouvert » pourrait être mis en place dans un secteur, renforçant la confiance de part et d'autre et aidant à convaincre les deux côtés qu'une attaque surprise n'est pas en préparation.

Dans un sens plus large, l'imagerie accessible au public pourra jouer un rôle de déstigmatisation de l'utilisation du renseignement à l'ONU. Le renseignement, qui est presque toujours vu comme étant entouré de secrets, sera partiellement démystifié si l'imagerie est utilisée ouvertement — en montrant autant ses avantages que ses coûts. Les avantages peuvent apparaître rapidement. Par exemple, les commandants de l'ONU dans l'ex-Yougoslavie se sont trop souvent retrouvés face à des chefs de factions combattantes qui refusaient de prendre la responsabilité des activités militaires ou qui niaient que certains de leurs groupes se trouvaient en zone dangereuse. L'imagerie non classifiée, facilement accessible, donnerait au commandant en campagne un argument de poids pendant les négociations. Ce type d'information aurait été particulièrement utile lorsque la Croatie et la Serbie niaient, autant l'un que l'autre, qu'ils avaient déployé leurs forces armées permanentes en Bosnie. Sachant que quelqu'un « les avait à l'oeil » et que des images de leurs activités feraient la manchette partout dans le monde, les factions ennemies se seraient peut-être arrêtées avant de commettre les pires excès. L'imagerie secrète, généralement verrouillée dans les coffres-forts des quartiers généraux ou dans les capitales nationales, n'a pas cet effet limitatif.

Les commandants de l'ONU subissent également une pression plus forte qu'auparavant de la part des gouvernements des pays participants. De nombreux gouvernements font face aujourd'hui à un électorat dont la tolérance est extrêmement réduite quand il s'agit de pertes de personnel dans des opérations militaires, y compris les opérations de maintien de la paix. L'imagerie accessible au public ne constituera pas une solution magique à ce problème, mais si elle est utilisée de façon constructive avec d'autres sources d'information, elle pourra être utile. Même si l'ONU ne peut pas préparer de l'imagerie ou en fournir aux divers contingents vulnérables, les autorités responsables de leurs troupes, au niveau national, feront certainement preuve d'initiative nationale pour fournir l'imagerie directement aux points névralgiques. Les circuits téléphoniques par satellite et les ordinateurs portatifs permettent aujourd'hui l'acheminement de ces données. Cependant, comme nous l'avons mentionné précédemment, l'ouverture d'une voie directe de renseignements entre les capitales nationales et les contingents individuels à l'intérieur d'une force combinée de maintien de la paix, peut nuire encore plus à l'unité de commandement de cette force.

Toutefois, l'utilisation de l'imagerie accessible au public peut entraîner des coûts. Certaines factions ou états acceptent de coopérer avec l'ONU seulement s'ils sont convaincus que la présence de cet organisme jouera à leur avantage, ou s'ils croient qu'ils peuvent manipuler l'ONU ou l'opinion mondiale dans leur intérêt. Si les leaders politiques des pays considérés comme des points chauds prennent conscience que les commandants de l'ONU peuvent voir dans leur jeu ou exposer leurs excès, ils seront peut-être moins enclins à coopérer avec l'ONU.

Nous croyons que l'ONU aura des difficultés à mettre sur pied un programme efficace de fourniture et de distribution opportune d'imagerie satellitaire. Les états membres pourraient ne pas avoir d'objection pratique à ce que l'ONU utilise de l'imagerie, en Bosnie par exemple. Mais ils peuvent s'opposer en principe, et faire obstacle à de telles opérations, craignant que les mesures appliquées aujourd'hui en Bosnie ne soient utilisées contre eux dans l'avenir.

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Conclusion

En résumé, la grande disponibilité de l'imagerie commerciale à haute résolution pourrait potentiellement avoir la capacité d'influencer considérablement les opérations de sécurité et les guerres, un peu partout dans le monde. Les insurgés, les terroristes et les forces militaires disposant de ressources mécanisées réduites et qui ont la volonté et l'habileté d'exploiter cette nouvelle technologie ont certainement le plus à gagner. En même temps, cette révolution de l'imagerie est susceptible de faciliter le rôle notoirement difficile des forces de maintien de la paix. À la fin, on ne sait pas vraiment si la cause de la paix ne sera pas servie par l'utilisation de ce nouveau produit. Cependant, nous croyons, intuitivement, que chaque pays et les forces infranationales, face à l'impératif darwinien d'exploiter tous les avantages qui leur sont offerts, feront un usage plus efficace de l'imagerie et beaucoup plus rapidement que ne le feront les imposantes bureaucraties aux vues étroites, comme l'Organisation des Nations Unies.


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Références

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Les premières images optiques grand public à moins de 1 mètre de résolution seront bientôt disponibles sur le marché. IKONOS -1, propriété de Space Imaging, devrait être opérationnel cette année.

Les consommateurs peuvent également acheter des images obtenues par radars à synthèse d'ouverture installés sur des plates-formes spatiales. Ainsi, Radarsat International du Canada vend présentement des images à 8 mètres de résolution sur le marché libre et offrira bientôt des images radar à 3 mètres de résolution lorsque le satellite de prochaine génération sera lancé en l'an 2000.

Pour obtenir des explications sur les divers satellites et leurs capacités, voir : Gupta, Vipin, New Satellite Images for Sale, publié dans International Security, été 1995, Vol 2, N· 1, p. 94-125.

Détection ­ capacité de localiser une unité ou un objet particulier (p.ex. « un véhicule blindé »); identification de base ­ capacité de déterminer un type d'objet (p. ex. « un char »); Identification précise ­ capacité de différencier deux types d'objets différents (p. ex. « un char T-72 »).

United States Arms Control and Disarmament Agency, Bureau of Intelligence, Verification and Information Management, Intelligence, Technology, and Analysis Division, Intelligence Note, High-Resolution Commercial Imagery And Open-Source Information: Implications For Arms Control, 13 mai, 1996, dans http://www.fas.org/irp/offdocs/acda.htm. L'ACDA définit les expressions de la façon suivante : Detection (détection) : Endroit où se trouvent des unités, des objets ou des activités à caractères militaires; General Identification (identification générale) : déterminer un type de cible général; Precise Identification (identification précise) : discrimination à l'intérieur d'un type de cible général.

Sweetman, Bill, Spy Satellites: The Next Leap Forward, Exploiting Commercial Satellite Technology, Jane's International Defense Review, janvier, 1997, p. 30. Voir aussi Space Imaging's site sur le World Wide Web dans http://www.spaceimage.com.

Ferster, Warren, QuickBird Project Delayed, Space News, décembre 1-7, 1997, p. 1.

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Sweetman, p. 31.

Pour obtenir des renseignements sur les systèmes actuels et futurs d'imagerie par satellite, voir les figures 2 et 3 dans Gertz, Bill, Crowding in on the High Ground, Air Force, avril, 1997, p. 40-41.

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http://www.fas.org/eye/noaa_may96.htm citant [Federal Register: 15 mai, 1996 (Volume 61, numéro 95)] [Notices] [Pages 24480-24481], Department of Commerce National Oceanic and Atmospheric Administration, Agency: National Oceanic and Atmospheric Administration, Department of Commerce. Action: Notice of public hearing.

Turbiville, Graham, Insurgents on the Internet, Military Review, mai-juin, 1997, p. 105

Robberson, Tod, Mexican Rebels Using a High-Tech Weapon: Internet Helps Rally Support, Washington Post, 20 février, 1995, p. 1. Voir aussi la page Zapatista Web, http://www.ezln.org.

MacKenzie, Major General Lewis, Peacekeeper: The Road to Sarajevo, Harper Collins Publishers Limited, Toronto, Canada, 1994, p. 522.

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Smith, Hugh, Intelligence and UN Peacekeeping, Survival, automne, 1994, p. 174-192.

Pour voir un exemple concret et intéressant de l'utilisation de l'information dérivée de l'imagerie en vue de faciliter l'infiltration dans la guerre de guérilla, comme ce fut le cas pour l'Afghanistan en URSS, voir Yousaf, Brigadier Mohammad and Major Mark Adkin, The Bear Trap: Afghanistan's Untold Story, Leo Cooper, London, 1992, p. 189-206.

Smith, p. 177.

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Date de modification : 2005-11-14

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