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Commentaire N° 81

Le 11 septembre et l'après-11 septembre : Répercussions sur la chine et réaction des Chinois

Michael Szonyi

Avril 2002
Non classifié

Précis : Dans les jours qui ont suivi les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le monde semblait avoir été complètement transformé, mais, depuis, il est devenu évident qu'en ce qui concerne l'analyse de nombreux aspects de la sécurité internationale, le véritable défi que représente le 11 septembre consiste à établir une nette distinction entre ce qui a vraiment changé et ce qui n'a pas changé. Cela vaut certainement pour l'analyse de la politique et des intérêts chinois. L'appui de la Chine dans la guerre des Américains contre le terrorisme semble ouvrir un nouveau chapitre dans les relations sino-américaines et annoncer un rapprochement. Toutefois, les principales tensions entre les deux pays, attribuables par exemple à l'inquiétude des Américains concernant le surplus commercial de la Chine, la vente d'armes à des tiers pays et la violation des droits de la personne, ainsi qu'aux craintes des Chinois qui appréhendent l'hégémonie des États-Unis et leur ingérence dans les relations entre la Chine et Taïwan, ont été laissées de côté, ne se sont pas dissipées et réapparaîtront avec le temps. Le renforcement de la présence américaine en Asie centrale aura des répercussions considérables sur la sécurité de la Chine, mais il n'est pas certain qu'elles seront toutes négatives. Bien que beaucoup de gens craignent que la Chine saisisse l'occasion pour étendre sa campagne de répression musclée contre les activistes musulmans sur son territoire, les témoignages sont contradictoires en ce qui concerne l'intensification de la répression. Dans le présent rapport, nous examinerons ces questions et d'autres dans le but d'évaluer la réaction de la Chine aux attentats du 11 septembre et à la guerre subséquente contre le terrorisme (l'après-11 septembre), ainsi que les répercussions probables de ces événements sur les intérêts politiques et économiques de la Chine et ses intérêts en matière de sécurité..

Note du rédacteur : L'auteur, le professeur Michael Szonyi, est membre du Département d'histoire de l'Université de Toronto et une autorité internationale reconnue sur l'Asie.

Avertissement : Le fait qu’un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l’authenticité des informations qui y sont contenues ni qu’il appuie les opinions de l’auteur.


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Introduction

Dans les jours qui ont suivi les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le monde semblait avoir été complètement transformé, mais, depuis, il est devenu évident qu'en ce qui concerne l'analyse de nombreux aspects de la sécurité internationale, le véritable défi que représente le 11 septembre consiste à établir une nette distinction entre ce qui a vraiment changé et ce qui n'a pas changé. Cela vaut certainement pour l'analyse de la politique et des intérêts chinois. L'appui de la Chine dans la guerre des Américains contre le terrorisme semble ouvrir un nouveau chapitre dans les relations sino-américaines et annoncer un rapprochement. Toutefois, les principales tensions entre les deux pays, attribuables par exemple à l'inquiétude des Américains concernant le surplus commercial de la Chine, la vente d'armes à des tiers pays et la violation des droits de la personne, ainsi qu'aux craintes des Chinois qui appréhendent l'hégémonie des États-Unis et leur ingérence dans les relations entre la Chine et Taïwan, ont été laissées de côté, ne se sont pas dissipées et réapparaîtront avec le temps. Le renforcement de la présence américaine en Asie centrale aura des répercussions considérables sur la sécurité de la Chine, mais il n'est pas certain qu'elles seront toutes négatives. Bien que beaucoup de gens craignent que la Chine saisisse l'occasion pour étendre sa campagne de répression musclée contre les activistes musulmans sur son territoire, les témoignages sont contradictoires en ce qui concerne l'intensification de la répression. Dans le présent rapport, nous examinerons ces questions et d'autres dans le but d'évaluer la réaction de la Chine aux attentats du 11 septembre et à la guerre subséquente contre le terrorisme (l'après-11 septembre), ainsi que les répercussions probables de ces événements sur les intérêts politiques et économiques de la Chine et ses intérêts en matière de sécurité.

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Réaction initiale de la Chine

La Chine n'a pas tardé à réagir face aux nouveaux défis et aux nouvelles occasions découlant des attentats du 11 septembre. Dans les jours qui ont suivi les attaques, le président Jiang Zemin a téléphoné à George Bush pour offrir le soutien de la Chine dans la lutte internationale contre le terrorisme. Jiang a ensuite téléphoné à d'autres leaders mondiaux, espérant de toute évidence que les événements du 11 septembre fourniraient à la Chine, et à lui personnellement, l'occasion de faire preuve de leadership et, du même coup, de prendre plus d'importance sur la scène internationale. La Chine a participé à plusieurs ententes et déclarations multilatérales contre le terrorisme, notamment à l'établissement d'un centre antiterroriste par l'Organisation de coopération de Shanghai (les six de Shanghai ou OCS) et à la déclaration de l'APEC. Aux Nations Unies, la Chine a ratifié l'adhésion à la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif et a signé la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. La Chine et les États-Unis ont conclu entre eux plusieurs ententes pour l'échange de renseignements.

La position de la Chine concernant l'action militaire contre Al Qaida et l'Afghanistan a été relativement stable en septembre et au début d'octobre. Assez étonnamment, compte tenu de son intransigeance antérieure à l'égard de l'action militaire des Américains à l'étranger, la Chine n'a pas condamné leurs plans à l'avance. Jiang et d'autres dirigeants chinois ont toutefois insisté pour que les États-Unis respectent certaines conditions. L'intervention américaine devrait être autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, être fondée sur des preuves concrètes, être conforme à la loi internationale et ne pas viser des civils innocents. Mais finalement, comme il devenait évident que le rôle des Nations Unies serait minime et que les États-Unis comptaient aller de l'avant même sans fournir de preuves concluantes au public, et à mesure que le nombre de victimes augmentait parmi les civils, la Chine a modéré sa position et choisi de ne pas critiquer les États-Unis publiquement. La position de la Chine quant aux concessions auxquelles elle s'attendait en échange de son soutien a évolué elle aussi avec le temps. Dans ses premières déclarations, la Chine a indiqué qu'elle s'attendait, en contrepartie de son appui, à ce que les États-Unis « soutiennent et comprennent » ses propres activités antiterroristes et antiséparatistes. En d'autres termes, la Chine s'attendait à ce que les États-Unis adoucissent leur position sur des problèmes comme la question taïwanaise, la situation au Tibet et le mouvement Falun Gong. Elle n'a pas tardé à modérer cette position également, niant officiellement qu'elle avait exigé des concessions particulières. Toutefois, les médias chinois continuent de parler beaucoup des activités séparatistes dans la région du Xinjiang. Cela donne à penser que les leaders chinois ont choisi de réduire la gamme des concessions attendues, peut-être pour que les leaders occidentaux les acceptent plus facilement.

La réaction initiale de la Chine aux événements du 11 septembre a été influencée principalement par deux questions, une nationale, et l'autre, internationale. À l'échelle nationale, il était évident que l'après-11 septembre aurait des répercussions considérables dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang dans l'ouest de la Chine. Le Xinjiang représente presque 20 p. 100 de la superficie totale de la Chine, mais comprend à peine plus de 1 p. 100 de la population du pays. Environ la moitié de la population du Xinjiang fait partie de groupes ethniques minoritaires, dont celui des Ouïgours est le plus nombreux, et environ la moitié sont des Chinois han, dont la plupart ont immigré dans la région avec l'appui du gouvernement depuis 1949. La plupart des groupes ethniques minoritaires, y compris les Ouïgours, sont musulmans. Les tensions entre eux et les Chinois de souche perdurent, comme il est décrit dans un Commentaire précédent(1). Depuis les émeutes de 1997 à Yining, qui ont fait dix morts selon les Chinois mais plus d'une centaine selon les organisations ouïgoures à l'étranger, les séparatistes font régulièrement parler d'eux à cause de leurs manifestations et attentats à la bombe. Le gouvernement chinois maintient une politique de répression musclée dans l'espoir d'affaiblir le soutien pour l'indépendance du Xinjiang (2). Il s'est aussi efforcé d'entretenir de bonnes relations avec des États comme l'Iran et le Pakistan, espérant limiter le soutien extérieur en faveur du séparatisme ouïgour. Pour cette même raison, il appuie fortement l'OCS, qui rassemble la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kyrgyzstan. Immédiatement après le 11 septembre, le gouvernement chinois craignait que les militants lancent des attaques au Xinjiang et que les troubles en Afghanistan gagnent la Chine. Plus tard, lorsque la coalition contre le terrorisme s'est formée, les dirigeants chinois ont profité de l'occasion pour prendre de nouvelles mesures contre le séparatisme dans la région en le considérant comme une sorte de terrorisme.

À l'échelle internationale, la grande question était celle des relations sino-américaines. Le gouvernement de la RPC se préoccupe énormément de ses relations avec les États-Unis, en raison notamment de l'importance, d'une part, des investissements, de la technologie et du marché américains pour le programme chinois de développement économique, d'autre part, de la puissance et de la technologie militaires américaines par rapport à la question de la réunification avec Taïwan. Toutefois, de profonds désaccords sur des questions comme le problème de Taïwan, la sécurité régionale et les droits de la personne sous-tendent ces relations cruciales entre la Chine et les États-Unis. L'énorme excédent commercial de la Chine dans ses échanges avec les États-Unis constitue une autre source de friction. Les relations se sont détériorées au cours des dernières années à cause des accusations d'espionnage nucléaire lancées par les États-Unis contre la Chine, du bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade en 1999, de l'incident survenu plus tôt en 2001 concernant un avion espion américain, et du projet de bouclier antimissile (NMD) de Bush. Les leaders chinois espéraient manifestement que le 11 septembre leur fournirait une occasion de se réconcilier avec les États-Unis. Jiang Zemin espérait aussi qu'en montrant son habileté à bien gérer les relations avec les États-Unis, il prendrait de l'envergure au pays, ce qui faciliterait peut-être l'imminent processus de succession. Par ailleurs, à mesure que la coalition américaine prenait de l'ampleur, les leaders chinois ont dû craindre d'être laissés de côté.

Par contre, la Chine s'est toujours opposée aux interventions militaires américaines ou à celles qui sont dirigées par les Américains à l'étranger. Cette opposition s'explique par des préoccupations plus vastes relativement au principe de l'intervention dans les affaires d'un autre État. La Chine craint que l'interventionnisme finisse un jour par être utilisé contre elle, dans le conflit avec Taïwan ou le Tibet par exemple. Elle a donc critiqué haut et fort les interventions américaines antérieures, comme celle en ex-Yougoslavie. Les dirigeants chinois sont également préoccupés par l'unilatéralisme américain dans les affaires internationales et, du reste, par le multilatéralisme qu'ils perçoivent souvent comme un unilatéralisme américain déguisé. On a craint que l'action militaire américaine ait des répercussions néfastes sur la sécurité de la Chine. Par ailleurs, si le gouvernement chinois appuyait l'action des États-Unis, il pourrait compromettre les relations avec les États arabes et soulever la colère des nationalistes au pays. Des questions nationales sont également entrées en ligne de compte. Le gouvernement a souvent attisé le sentiment nationaliste dans le passé pour servir ses intérêts, mais maintenant il ne peut se permettre de sembler faible face aux pressions américaines ni laisser l'opinion publique influer sur la prise de décisions stratégiques(3).

Outre la possibilité de rétablir les relations tumultueuses avec les États-Unis et d'agir plus librement au Xinjiang, plusieurs facteurs semblaient indiquer que pour la Chine, du moins, les événements du 11 septembre avaient un côté positif. Exprimant une opinion qui semblait largement partagée, Wang Yizhou, l'influent vice-directeur de l'Institut d'économie mondiale et de recherche politique de l'Académie chinoise de sciences sociales, a écrit que les États-Unis n'auraient d'autre choix maintenant que d'adopter une approche multilatérale pour poursuivre la guerre contre le terrorisme, ce qui pourrait aider la Chine(4). Les événements du 11 septembre et l'après-11 septembre pourraient aussi servir les intérêts de la Chine si le terrorisme, au lieu de la Chine, était désormais perçu comme la plus grande menace pesant sur les États-Unis. En appuyant les États-Unis, la Chine a également pu montrer quelle est sa position en tant que pays responsable comptant parmi les chefs de file mondiaux et faire taire ceux qui allèguent qu'en vendant des armes, la Chine contribue au moins partiellement au terrorisme partout dans le monde. Le fait qu'on s'attendait à ce que la guerre soit de courte durée, limitée dans son étendue et restreinte ou influencée par la surveillance exercée par les Nations Unies a permis d'apaiser la crainte qu'elle mène à une augmentation de la puissance militaire américaine ou à un remaniement de l'échiquier géopolitique de la région. Finalement, les dirigeants chinois ont établi que les avantages qu'il y avait à offrir d'appuyer les États-Unis l'emportaient sur les risques à courir.

Toutefois, le soutien, une fois qu'il a été offert, a été limité et de faible envergure. L'élément le plus important a été la décision de la Chine de ne pas jouer les trouble-fêtes, en menaçant de mettre son veto à une décision du Conseil de sécurité ou en critiquant la politique américaine, comme elle l'a fait dans le passé. Au lieu, les dirigeants chinois ont appuyé les efforts déployés dans le monde entier contre le terrorisme. Selon certains rapports, la Chine a également joué un rôle en coulisses en amenant le Pakistan à appuyer la lutte des États-Unis(5). Par contre, la Chine n'a pas offert d'aide matérielle ni la possibilité d'utiliser son territoire. Contrairement à la Russie, à la Communauté européenne et même au Canada, la Chine est demeurée très discrète depuis le début de l'action militaire. Pourquoi la Chine, dont les intérêts sont considérablement touchés par l'après-11 septembre, joue-t-elle un rôle si marginal dans ce qui se passe dans la région? La réponse réside probablement en partie dans un principe fondamental de la politique étrangère de la Chine depuis le début de la réforme sous Deng Xiaoping, soit celui de protéger les intérêts vitaux à un coût minime, de manière à ne pas détourner son attention concentrée principalement sur le développement économique du pays et d'autres préoccupations. Cette attitude découle en partie de l'ambivalence fondamentale de la Chine à propos du système international tel qu'il est constitué actuellement. Comme l'a dit David Shambaugh, « d'un côté, la Chine cherche à être un membre à part entière de la communauté internationale, mais, de l'autre, elle demeure mal à l'aise par rapport au raisonnement qui sous-tend un grand nombre d'actions et de régimes multilatéraux. Beijing craint aussi que sa participation dans des entreprises multilatérales réduise sa propre liberté d'action et compromette sa souveraineté sacrée »(6) (traduction libre). Des questions pressantes comme l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la détérioration de l'économie qui en résulte donnent du poids actuellement à ce principe fondamental. Un autre facteur est peut-être le refus de Jiang Zemin de prendre des décisions risquées pendant les derniers mois de son leadership officiel, et le fait que ses collègues, de niveaux subalternes ou supérieurs, ne sont pas disposés à compromettre les choses à un moment aussi crucial dans le processus de succession(7).

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Les répercussions de la guerre contre le terrorisme sur les intérêts de la Chine en matière de sécurité

Il semble en ce moment que la décision de Beijing d'accorder un soutien limité à la guerre des Américains contre le terrorisme se soit retournée contre lui. Jusqu'à présent, la guerre a eu tout compte fait un impact négatif sur les intérêts chinois dans la région et à l'échelle internationale, et quelques-uns seulement, sinon aucun, des avantages prévus se sont matérialisés.

Les répercussions se font surtout sentir dans la région proprement dite. Tous les voisins importants de la Chine ont cherché à améliorer leurs relations avec les États-Unis. Les Américains ont aussi renforcé leur présence dans les républiques d'Asie centrale. Le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan se sont tous entendus pour laisser les forces américaines combattant en Afghanistan utiliser leurs bases et ne retireront vraisemblablement pas leur offre tant que les forces de maintien de la paix demeureront dans la région. En Ouzbékistan en particulier, les États-Unis pourraient continuer d'exercer leur influence, de gros prêts de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) étant prévus ainsi que l'octroi d'autres fonds pour la coordination des services de renseignements et le développement. Un autre facteur peut-être tout aussi important est la possibilité accrue que des compagnies américaines participent au développement des ressources pétrolières en Asie centrale. Le président du Kazakhstan s'est rendu aux États-Unis en décembre pour rencontrer Bush et des cadres de l'industrie du pétrole américaine et discuter d'investissements dans le pays. On ne sait pas encore très bien quelle forme prendra le nouveau gouvernement afghan, mais il semble qu'il s'agira essentiellement d'un gouvernement pro-occidental, qui accueillera pendant un certain temps une force multilatérale onusienne de maintien de la paix. Le Pakistan, allié de longue date de la Chine, a été largement écarté des négociations concernant le nouveau gouvernement afghan et a lui-même cherché à resserrer ses liens avec les États-Unis. La façon dont les voisins de la Chine en Asie centrale mettent maintenant l'accent sur les relations bilatérales avec les États-Unis a certes des répercussions sur l'importance qu'ils accordent aux relations avec la Chine. Ce changement a déjà fondamentalement éclipsé les fonctions de l'OCS en matière de sécurité et d'économie.

Les conséquences pour la Chine de la présence accrue des États-Unis en Asie centrale sont complexes. De toute évidence, la Chine préférerait qu'il n'y ait pas de troupes ni de bases américaines dans les pays voisins. Cependant, rien ne prouve que la Chine ait de grandes visées expansionnistes pour la région. Dans la mesure où les États-Unis ne sont pas farouchement hostiles à la RPC ou menaçants pour celle-ci, l'accès de l'armée américaine à des bases dans la région ne sera vraisemblablement pas en soi perçu comme une menace inacceptable pour la sécurité de la RPC. Par ailleurs, si la présence accrue des États-Unis assure une plus grande stabilité dans la région et permet d'y endiguer le séparatisme, le terrorisme et l'extrémisme religieux ou politique, la Chine sera en fait avantagée.

Par contre, comme il est expliqué ci-après, la présence militaire accrue des États-Unis complique les plans concernant Taïwan. La nouvelle présence américaine en Asie centrale a aussi des répercussions sur la sécurité énergétique en Chine. La croissance économique dans ce pays nécessitera de plus grandes richesses en pétrole, dont les réserves stratégiques sont minimes en Chine. La production intérieure de pétrole atteint environ 160 millions de tonnes par année, et il est peu probable qu'elle augmentera considérablement. La demande, qui se chiffre actuellement à quelque 230 millions de tonnes, devrait augmenter à environ 300 millions de tonnes d'ici 2010. On s'attend à ce que les importations nettes atteignent environ les 100 millions de tonnes. À l'heure actuelle, le pétrole en Chine est importé en grande partie du Moyen-Orient. En 1997, la Chine a exercé avec succès des pressions sur le Kazakhstan pour obtenir le droit exclusif d'exploiter le grand champ de pétrole d'Ouzen et est devenue propriétaire majoritaire d'une importante compagnie pétrolière. Les deux parties ont également discuté de la construction d'un oléoduc allant du Kazakhstan jusqu'au Xinjiang, mais avec les prix actuels du pétrole, le projet ne semble pas réalisable. La Chine vise de toute évidence à moins dépendre des richesses en pétrole du Moyen-Orient, et vraisemblablement à être moins vulnérable à l'ingérence des États-Unis, bien qu'il soit très peu probable que les États-Unis décrètent dans un proche avenir un embargo pour interdire l'exportation du pétrole du Moyen-Orient vers la Chine. L'intérêt accru des compagnies pétrolières américaines envers le Kazakhstan représente de nouveaux défis pour celles-ci.

En examinant la situation de plus près, on se rend compte que l'après-11 septembre a eu des répercussions sur les liens de la Chine avec la Russie et a enhardi le Japon. Au cours de la dernière décennie, l'allié le plus important de la Chine pour contrer l'influence américaine a été la Russie, qui s'est jointe à elle pour critiquer l'intervention des États-Unis en ex-Yougoslavie et leur projet de bouclier antimissile. Depuis le 11 septembre, Poutine a offert à Bush un soutien beaucoup plus grand que Jiang Zemin, permettant le survol de l'espace aérien russe et exerçant des pressions sur le Tadjikistan pour permettre aux forces américaines d'utiliser leurs bases militaires. Si la Russie met assurément l'accent sur ses relations bilatérales avec les États-Unis en ce moment, il n'en demeure pas moins que la Chine reste un important partenaire à bien des égards. Par exemple, la Chine continue d'acheter beaucoup d'armes de la Russie, fournissant ainsi à l'armée russe les fonds dont elle a grandement besoin, et elle demeure un allié potentiel dans toute tentative de la Russie en vue de rétablir sa suprématie en Asie centrale. La réunion tenue au début de janvier par les ministres des Affaires étrangères membres de l'OCS, au cours de laquelle il a été décidé d'essayer de rehausser le rôle international de cette dernière, reflète clairement les efforts déployés par la Chine et la Russie pour ranimer l'organisation. Par contre, si certains analystes ont raison de noter un profond changement dans les relations russo-américaines en 2001, du fait que Bush et Poutine se perçoivent maintenant comme d'authentiques alliés contre le nouvel ennemi commun qu'est le terrorisme et, avant tout, du fait que Poutine décide, avec de solides appuis au pays, que l'avenir de la Russie dépend du resserrement des liens économiques et politiques avec l'Europe et les États-Unis, alors l'importance accordée récemment par la Russie aux relations avec les États-Unis est plus qu'une simple réaction aux événements du 11 septembre. Le cas échéant, la coopération sino-russe devrait être perçue à l'avenir comme étant d'ordre tactique plutôt que stratégique, et les nombreux points créant des dissensions et de la concurrence entre les deux pays auront tendance à éclipser leurs intérêts communs. Il existe de nombreux obstacles possibles à une alliance russo-américaine, mais la seule perspective d'une telle alliance est très inquiétante pour la Chine, qui se trouverait isolée à cause des principaux points de désaccord avec les États-Unis(8).

Si la Chine et la Russie s'opposent vivement aux plans américains concernant de nouveaux systèmes de défense contre les missiles, le projet américain de bouclier antimissile (NMD) représente néanmoins une menace bien plus grande pour la Chine, car celui-ci risque de neutraliser son arsenal nucléaire beaucoup plus petit. Un système NMD opérationnel réduirait considérablement le pouvoir de négociation de la Chine sur différentes questions considérées comme cruciales à l'échelle nationale. Il pourrait forcer la Chine à accroître sa puissance militaire à prix fort, ce qui la détournerait du développement économique. Les leaders chinois se souviennent sans aucun doute des effets de la course aux armements sur l'Union soviétique et son Parti communiste dans les années 1980. En annonçant que les États-Unis comptaient se retirer unilatéralement du traité concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques, Bush a fait connaître son intention d'aller de l'avant avec la mise au point du système NMD. La Russie et la Chine sont toutes deux restées muettes, reconnaissant probablement que cette bataille était déjà perdue. Il semble donc que les espoirs de la Chine aient été anéantis, elle qui souhaitait que les événements du 11 septembre et l'après-11 septembre portent un coup à l'engagement de Bush à déployer un bouclier antimissile.

Le Japon a envoyé six navires de sa Force navale d'autodéfense pour fournir un soutien logistique à la mission américaine. Il s'agit là du premier déploiement militaire du Japon en temps de guerre depuis la Deuxième Guerre mondiale (pendant la guerre du Golfe, le Japon a envoyé des navires seulement lorsque les hostilités ont pris fin). Probablement dans l'espoir d'apaiser les craintes des Chinois relativement au militarisme japonais, le premier ministre Koizumi a exprimé, le 8 octobre, « de sincères remords et excuses » pour la brutalité du Japon à l'endroit de la Chine avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, le gouvernement chinois était manifestement inquiet de la décision du Japon d'envoyer des forces, Jiang Zemin avertissant le Japon de ne pas « suivre le même vieux chemin de la ruine ». Dans une publication officielle, on prévoyait que la décision mènerait à une révision de la constitution japonaise, « éliminant ainsi le dernier obstacle dans la marche du Japon en vue de devenir une grande puissance militaire »(9) (traduction libre). La Chine perçoit comme une menace pour sa sécurité la souplesse accrue des possibilités militaires qui s'offrent au gouvernement japonais, résultant directement de la guerre contre le terrorisme.

Plus la guerre sera longue et coûteuse, plus les conséquences en seront lourdes pour la Chine. Dans deux directions, l'Ouest et le Sud-Est, la Chine fait face à des États qui comptent d'importantes populations musulmanes. Une guerre persistante au terrorisme entraînera probablement une plus forte présence américaine dans ces États. Outre l'Asie centrale et le Pakistan, les commandos américains de lutte contre le terrorisme assurent déjà un entraînement dans les Philippines. L'attention des Américains pourrait aussi se tourner vers l'Indonésie, où il y aurait des réseaux d'al-Qaïda, et peut-être vers la Malaisie. En raison de considérations d'ordre politique, il est improbable que les États-Unis déploieront des troupes dans ces pays, mais ils pourraient contribuer à l'entraînement, au financement et peut-être à l'armement de ceux qui y opéreront. Les alliés des États-Unis dans la région, notamment le Japon et l'Australie, sont considérés comme des concurrents de la Chine, de sorte que leur participation à des opérations de lutte contre le terrorisme, ou un contact militaire plus étroit avec les États-Unis, sont aussi menaçants. Tous ces événements renforcent la crainte de longue date de la Chine d'être encerclée par les États-Unis(10).

De plus, la Chine entretient des rapports étroits avec un grand nombre de futures cibles possibles d'une guerre élargie contre le terrorisme, dont la Corée du Nord, la Syrie, l'Iran et l'Irak, à qui elle a déjà vendu des armes. Déjà, la Corée du Nord lui aurait demandé des assurances d'une aide si elle devait être la cible de raids aériens américains à une étape ultérieure de la guerre contre le terrorisme(11). Le rôle joué par la Chine dans l'approvisionnement en armes d'États que les États-Unis ont qualifiés de « voyous » retiendra davantage l'attention mondiale si la guerre doit s'étendre. Enfin, plus les États-Unis assumeront longtemps la direction de la réponse mondiale au terrorisme, plus ils risquent d'établir les institutions et les mécanismes de cette intervention, ce qui leur permettra d'en dicter concrètement les modalités au reste du monde et confirmera les soupçons de la Chine que le multilatéralisme sous la direction américaine n'est rien de plus qu'un prétexte à l'« hégémonisme » américain.

Globalement, les diverses répercussions de l'après-11 septembre sur les relations entre les deux Chines sont probablement propices à la stabilité, mais sans doute négatives du point de vue de la Chine. La Chine n'a fait aucun mouvement important de menace à l'endroit de Taïwan depuis le 11 septembre, cherchant de toute évidence à éviter de se faire accuser de profiter de la situation. Taïwan est aussi moins susceptible de provoquer la Chine, parce qu'elle est consciente que les États-Unis sont distraits. Le risque que les tensions entre les deux Chines s'exacerbent pourrait donc avoir diminué à la suite des récents événements. Cependant, les intérêts de la Chine ont souffert sur deux plans importants. Bien qu'elle nie que la modération de la position des États-Unis à l'égard de Taïwan ait servi de monnaie d'échange dans sa décision de fournir un appui, il ne fait aucun doute que la Chine l'espérait. Maintenant que la guerre contre le terrorisme piétine, cependant, il devient de plus en plus clair que l'appui qu'elle a assuré à la guerre a eu peu, voire pas d'incidence sur le soutien des États-Unis à Taïwan. Les États-Unis ont récemment vendu pour 50 millions de dollars de missiles antichar à Taïwan. En octobre, ils ont annoncé qu'ils réaliseraient leur projet de créer un consortium d'entrepreneurs pour construire des sous-marins diesel pour Taïwan, décision qui visait à contourner les pressions exercées par la Chine sur les pays capables de construire ces sous-marins pour qu'ils ne coopèrent pas.

Le renforcement de la présence des États-Unis en Asie centrale nuit également à la politique de la Chine à l'égard de Taïwan. L'intérêt que la Chine porte à l'OCS découlait en partie de son désir de stabiliser ses frontières occidentales, ce qui lui aurait permis de retirer des troupes de la région et de réorienter des dépenses militaires vers les capacités aérospatiales et océaniques dont elle a besoin pour renforcer sa position dans un futur conflit avec Taïwan (ainsi que dans tout projet d'expansion dans la mer de Chine méridionale). La Chine est moins susceptible de réorienter ainsi ses ressources militaires si les États-Unis déploient des troupes en Asie centrale et établissent des relations militaires plus étroites avec ses voisins dans cette région. Peu après le 11 septembre, le vice-chef d'état major de l'APL, Xiong Guangkai, a dirigé un groupe de hauts gradés chargé d'inspecter la région et de tracer des plans en vue d'accroître le potentiel militaire au Xinjiang(12).

Qui plus est, tout comme la guerre du Golfe dont on pense généralement qu'elle a eu un impact important sur l'APL en faisant bien comprendre la vaste supériorité technologique des forces armées américaines, le volet afghan de la guerre contre le terrorisme doit envoyer le message que, si les circonstances s'y prêtent, l'armée américaine combattra très efficacement en territoire étranger. Cette réflexion ne vise pas à établir la moindre comparaison entre une invasion de Taïwan par la RPC et les attentats terroristes perpétrés contre les États-Unis, simplement à faire remarquer que la guerre en Afghanistan doit avoir une incidence sur les calculs que font les décideurs civils et militaires de la RPC chargés d'élaborer la stratégie de la Chine à l'égard de Taïwan.

Bref, du point de vue des dirigeants chinois, non seulement le soutien de la Chine à la guerre que les États-Unis mènent contre le terrorisme n'a-t-il pas rapporté les avantages escomptés, mais encore la guerre a en un effet indirect sur bon nombre des intérêts de la Chine aux niveaux tant régional que mondial, compromettant certains d'entre eux. À cause de la guerre, l'encerclement de la Chine par les États-Unis semble s'intensifier, et plus la guerre durera longtemps, plus cette intensification risque de s'aggraver et plus les vieilles tensions risquent de refaire surface. Espérant toujours récolter certains des fruits escomptés de meilleures relations avec les États-Unis, la Chine n'est pas encore prête à prendre l'initiative de demander la fin de la guerre. Cela pourrait changer si la guerre se prolonge ou si les positions d'autres membres de la coalition déjà chancelante qui soutient les États-Unis commencent à faiblir.

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Conséquences sur la scène intérieure

Au fond, les conséquences politiques et sociales de l'après-11 septembre sur la scène intérieure sont doubles. Premièrement, les dirigeants pourraient profiter de la situation pour intensifier la répression des opposants politiques au Xinjiang et peut-être ailleurs. Deuxièmement, la façon dont Jiang règle l'ensemble de la problématique aura une incidence sur le processus de succession déjà bien amorcé, qui se conclura en 2002-2003.

Comme nous l'avons déjà signalé, le Xinjiang connaît des manifestations antigouvernementales et séparatistes régulières et la répression gouvernementale qui en découle. Les témoignages sont contradictoires quant à savoir si la RPC a profité de la situation pour intensifier sa répression sur la région depuis le 11 septembre. Amnistie Internationale signale « une intensification globale des violations des droits de la personne [au Xinjiang] et des mesures de répression contre les séparatistes ». Plus de 2 500 présumés séparatistes ont été incarcérés, et les médias occidentaux rapportent que non seulement les activistes, mais aussi les dirigeants religieux sont pris pour cibles. Il y a eu plusieurs récits d'exécutions de Ouïgours pour crimes politiques dans les mois qui ont suivi le 11 septembre(13). Par contre, certains groupes de défense des droits de la personne affirment que la répression était intense avant le 11 septembre et qu'elle ne s'est pas tellement aggravée. Les statistiques officielles sur la répression sont notoirement difficiles à interpréter, la RPC mettant habituellement les activités séparatistes, terroristes et criminelles dans la même catégorie. Cela lui donne plus de latitude pour dépeindre la menace terroriste. Dans des circonstances normales, la RPC choisit habituellement de ne pas reconnaître qu'elle a un grave problème d'opposition politique, ne voyant dans les dissidents que des criminels ou des voyous. Depuis le 11 septembre cependant, elle a adopté la tactique opposée, insistant sur le grave danger que représentent les terroristes séparatistes et justifiant la prise de mesures de répression plus fermes contre eux, exploitant de ce fait différemment la flexibilité sous-jacente. En décembre 2001, la RPC a reconnu officiellement le problème du terrorisme national en établissant une direction de lutte contre le terrorisme au sein du ministère de la Sûreté publique(14).

Bien qu'elle ait renoncé à exiger publiquement une plus grande tolérance des États-Unis à l'endroit de telles politiques, la RPC peut probablement compter sur une plus grande retenue dans les critiques américaines des violations des droits de la personne sur son territoire. Le gouvernement chinois a aussi lancé une vaste offensive diplomatique en vue de persuader d'autres pays que les séparatistes ouïgours doivent être considérés comme des terroristes. Il a assimilé les activistes ouïgours à une organisation terroriste mondiale « du Turkestan oriental », qu'il a accusée d'avoir commis un certain nombre d'attentats précis, tant en Chine qu'à l'étranger. La Russie et la Chine cherchent toutes deux à établir un lien entre les terroristes du Xinjiang et les rebelles tchétchènes, ainsi qu'entre ces deux groupes et al-Qaïda(15). Lors du Sommet de l'APEC, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Chine a demandé « une position uniforme et une attitude constante dans l'opposition au terrorisme international et la lutte contre ce fléau ». Autrement dit, les États-Unis ne doivent pas faire deux poids deux mesures, c'est-à-dire adopter une attitude répressive à l'endroit de leurs ennemis terroristes tout en reprochant à Beijing de faire de même. Parce que Bush a maintenu fermement que « la guerre contre le terrorisme ne doit jamais servir d'excuse pour persécuter des minorités », cette question a suscité de nouvelles tensions entre les États-Unis et la Chine. Très récemment, cela a été soulevé au sujet de Ouïgours capturés en Afghanistan. La Chine a exigé qu'ils lui soient rendus, mais le coordonnateur américain de la lutte contre le terrorisme, Francis Taylor, a déclaré à Beijing le 6 décembre que le gouvernement américain estime que « les problèmes économiques et sociaux légitimes auxquels les gens doivent faire face dans le Nord-Ouest de la Chine ne relèvent pas nécessairement de la lutte contre le terrorisme et exigent plutôt des solutions politiques » et que les États-Unis « n'ont pas inscrit l'organisation du Turkestan oriental sur la liste des organisations terroristes et ne la voient pas ainsi ». Certains analystes craignaient que la Chine n'utilise des arguments semblables pour justifier une intensification de la répression contre d'autres opposants au régime, dont les adeptes de Falun Gong et les dissidents politiques, mais aucune campagne de ce genre ne s'est encore concrétisée, du moins pas publiquement. Néanmoins, quelle que soit la véracité des statistiques, il y a certainement lieu de craindre que la RPC puisse essayer de profiter de la guerre contre le terrorisme pour supprimer non seulement des terroristes, mais aussi des dissidents de toutes sortes, et pas seulement au Xinjiang.

La situation au Xinjiang a manifestement une incidence sur les projets de développement plus larges de la Chine pour ses régions occidentales, ce qui comprend le Tibet et le Xinjiang. Cette politique repose sur plusieurs objectifs. La réduction de la disparité des niveaux de revenus entre la Chine occidentale et la Chine côtière est considérée comme cruciale pour calmer le ressentiment, la migration interne incontrôlée et le nationalisme des minorités. Il est aussi important que le Xinjiang continue d'être plus prospère que les républiques d'Asie centrale voisines, de crainte que cela n'inspire un irrédentisme kazakh ou kirghize. Cependant, le développement économique a entraîné une plus forte immigration de Chinois han dans la région, et il semble que ce soit des groupes de Chinois han plutôt que des groupes autochtones qui profitent le plus du programme de développement. Il n'est donc pas sûr que le développement économique entraînera un recul du nationalisme ouïgour. Par contre, bien que la population ouïgoure en général ait peu de sympathie pour la frange violente du mouvement séparatiste, la frustration provoquée par la répression généralisée pourrait éventuellement se fondre aux griefs économiques et engendrer une agitation plus forte encore à moyen terme. Cela aussi soutient la notion selon laquelle l'APL augmentera plutôt que de diminuer sa présence au Xinjiang.

L'autre aspect de la situation politique intérieure en Chine qui est susceptible d'être affecté par l'après-11 septembre et par la guerre contre le terrorisme est le processus de succession, qui doit se conclure au cours du 16e congrès du Parti communiste chinois, à l'automne 2002, et du 10e Congrès national du peuple, au printemps suivant. L'incertitude entourant la question de la succession a probablement joué un rôle dans l'appui mesuré de la Chine à la guerre dirigée par les États-Unis contre le terrorisme. Par le passé, Jiang Zemin s'est fait reprocher d'être trop pro-américain, et il ne veut sûrement pas que de telles critiques soient renouvelées au cours des derniers mois de son leadership officiel. Bien que le coup qu'il espérait faire sur le plan des relations publiques et diplomatiques dans le contexte des relations sino-américaines ne se soit pas vraiment concrétisé, Jiang a reçu une quantité considérable de louanges et de remerciements pour son appui. En ce moment, il semble que le processus de succession se déroule conformément à son plan. Selon l'hypothèse qui continue de circuler, Jiang Zemin suivra l'exemple de Deng Xiaoping et quittera ses postes de secrétaire général du Parti communiste et de président de la République, mais conservera la puissante présidence de la Commission militaire centrale, depuis laquelle il pourrait continuer de jouer un rôle dominant dans l'élaboration des politiques. Fait intéressant, son successeur désigné, Hu Jintao, qui a fait son premier voyage important en Europe de l'Ouest en novembre, est pratiquement silencieux depuis le 11 septembre, suscitant des craintes que lui et le reste de la nouvelle cohorte de dirigeants, ceux qu'on appelle la « quatrième génération », ne possèdent pas l'expertise nécessaire en matière de politique étrangère pour réparer les dommages causés aux intérêts de la Chine sur la scène internationale.

Les répercussions généralement défavorables de l'après-11 septembre sur les intérêts de la Chine en matière de sécurité laissent entrevoir la possibilité d'une autre conséquence à plus long terme sur la scène intérieure, liée aux vastes principes qui sous-tendent la politique étrangère de la Chine, dont il a déjà été question. Il semble possible que ces principes fondamentaux soient contestés à l'avenir, c'est-à-dire que des responsables au sein du ministère des Affaires étrangères ou non commencent à se demander si la diplomatie minimaliste de Beijing protège réellement adéquatement les intérêts de la Chine sur la scène internationale. Un changement aussi profond ne risque cependant guère de se produire pendant la capitale transition du leadership, et il faudra disposer de davantage de données avant de pouvoir prédire la probabilité d'une telle réorientation en profondeur par la suite.

Évidemment, la réaction de la Chine au 11 septembre pourrait aussi avoir une incidence sur la scène intérieure aux États-Unis. Si la Chine continue de jouer un rôle discret mais largement positif dans l'effort de lutte contre le terrorisme et si le terrorisme reste en tête de liste du programme de politique étrangère des États-Unis, il est possible que l'hostilité de certains membres de l'administration Bush envers la Chine s'atténue. Par contre, tout se ligue contre cette possibilité : la puissance du lobby antichinois aux États-Unis, la persistance des tensions sous-jacentes dans la relation et le risque que l'appui de la Chine faiblisse si la guerre continue(16).

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Conséquences économiques

À court terme, il ne fait aucun doute que le 11 septembre et l'après-11 septembre ont ébranlé l'économie mondiale, aggravant le ralentissement et détournant les leaders de la relance. Il est communément admis que la Chine est fondamentalement isolée de la récession internationale et n'a donc pas été touchée. C'est exagéré.

Ceux qui soutiennent que la Chine est isolée des tendances économiques mondiales font habituellement valoir les arguments suivants. Premièrement, étant donné son énorme population, elle est pratiquement la seule, à l'exception des États-Unis, à avoir une demande intérieure suffisante pour résister à une demande d'exportation plus faible. (Cet argument est problématique parce qu'une portion seulement de la population de la Chine, peut-être 20 % ou plus ou moins 250 millions de Chinois, touche des revenus suffisamment élevés pour acheter de grandes quantités de produits de consommation.). Deuxièmement, à cause des restrictions imposées par le gouvernement, la bourse chinoise naissante est relativement isolée des mouvements mondiaux de capitaux - quoique Hong Kong présente une situation toute autre. Troisièmement, un des facteurs importants de la croissance économique de la Chine, l'investissement direct étranger, n'est pas nécessairement compromis par l'instabilité ailleurs dans le monde, et pourrait effectivement en profiter. Lors du Sommet de l'APEC en novembre, de nouveaux investissements importants de Microsoft, Hewlett-Packard, General Motors et Applied Materials, entre autres, ont été annoncés. Évidemment, ces marchés étaient en cours de négociation depuis des années, mais de toute évidence les événements du 11 septembre ne les ont pas menacés.

Toutefois, la Chine a été et continuera d'être touchée par le ralentissement de l'activité économique mondiale. La demande américaine plus faible a effectivement une importance et a déjà freiné la croissance des exportations, qui est passée de 30 % en 2000 à zéro au cours du troisième trimestre de 2001. Les produits de consommation comptent pour 50 % du total des exportations de la Chine, de sorte qu'une aggravation de la récession dans les pays développés serait préjudiciable à l'économie de la Chine. La hausse des prix du pétrole lui ferait du tort, et davantage encore à Hong Kong. La croissance du PIB a déjà baissé légèrement, passant d'environ 8 % à 7 %. Pour les autorités chinoises, un taux de 7 % est un peu un chiffre magique, parce qu'il s'agit du taux auquel l'économie doit croître pour fournir des emplois à l'important groupe démographique qui entre maintenant dans la population active et à la masse des travailleurs et des fermiers que la restructuration des entreprises d'État et l'adhésion de la Chine à l'OMC ont jetés sur le pavé. Un ralentissement de la croissance du PIB a donc des répercussions évidentes sur la stabilité sociale. Par le passé, le gouvernement chinois s'est servi des dépenses publiques, au titre des infrastructures et d'autres investissements, pour relancer le PIB, et il le fera probablement de nouveau au cours des mois à venir. Cependant, comme l'investissement gouvernemental est notoirement inefficace, cette correction à court terme aura plutôt pour effet d'intensifier d'autres problèmes à plus long terme.

La situation n'est pas totalement désespérée. Il y a de plus en plus d'indices que la récession mondiale commence à s'estomper. Morgan Stanley estime que la croissance des exportations de la Chine reprendra vers le milieu de 2002, ce qui signifie que le ralentissement n'aura probablement pas de profondes répercussions sur la stabilité sociale(17). Les problèmes économiques à court terme ont moins à voir avec les effets précis de l'après-11 septembre qu'avec l'ouverture croissante de la Chine au cycle économique mondial. Les dirigeants favorables à la réforme ont toujours soutenu qu'il faudrait traverser une période de difficulté économique à court terme, entraînant chômage et déplacement, dans l'intérêt de la croissance à long terme. Reste à savoir si cette croissance à long terme s'amorcera suffisamment tôt pour empêcher les chômeurs et les déplacés de perturber gravement la société(18). Ce calcul n'a pas été changé par le 11 septembre et l'après-11 septembre.

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Conclusions et conséquences pour le Canada

Les Commentaires qui précèdent sur les conséquences économiques renforcent l'argument présenté au début de cet article, selon lequel le 11 septembre et l'après-11 septembre ont eu un retentissement considérable sur la Chine, mais n'ont pas changé bon nombre de choses très importantes. La détermination des dirigeants chinois à réaliser la réforme économique, symbolisée par le succès de l'adhésion de la Chine à l'OMC, n'a pas changé. La probabilité que la réforme économique continue de susciter des problèmes importants à moyen terme n'a pas changé non plus. La participation croissante de la Chine aux affaires internationales et son désir d'être reconnue comme un intervenant important, associés à une profonde ambivalence face à l'ordre international tel qu'il est constitué à l'heure actuelle, n'ont pas changé. Les profondes tensions entre la Chine et les États-Unis, bien qu'obscurcies par la promesse manifeste d'une relation plus brillante en tant que partenaires dans la lutte contre le terrorisme, n'ont pas changé.

Le 11 septembre a eu certaines répercussions importantes sur les intérêts mondiaux et intérieurs de la Chine. Pour les dirigeants chinois, l'après-11 septembre aura de graves conséquences négatives pour la sécurité de la Chine, les États-Unis prenant pied en Asie centrale, le Japon faisant montre d'une nouvelle disposition à avoir recours à la force militaire, et le récent allié de la Chine contre la prééminence américaine, la Russie, étant de moins en moins prête à s'opposer aux États-Unis. La guerre contre le terrorisme pourrait être utilisée pour justifier des mesures de répression contre les séparatistes au Xinjiang, mais une telle politique se retournerait probablement contre la Chine à long terme. La sécurité énergétique de la Chine, et son désir de concentrer l'investissement militaire sur les fonctions navales et aérospatiales, ont aussi été compromis. Les effets préjudiciables de l'après-11 septembre sur l'économie mondiale affaibliront légèrement l'économie chinoise à court terme. La Chine croit avoir fait de véritables concessions lorsqu'elle a offert son appui aux États-Unis, et elle sera déçue que ces concessions ne lui aient pas valu de récompenses évidentes. Bien que ces perceptions puissent nuire au prestige de Jiang Zemin, elles ne semblent pas miner le processus de succession. Il sera fascinant de voir si cela amènera la Chine à modifier fondamentalement la façon dont elle mène sa politique étrangère.

En ce qui a trait aux intérêts canadiens, l'amélioration manifeste des relations entre la RPC et les États-Unis a semblé augmenter la stabilité régionale, une tendance bien accueillie au Canada. Cependant, le retour au cours normal des affaires ne minera probablement pas tellement cette stabilité. Une répression de l'agitation intérieure attiserait la tension dans les relations sino-canadiennes, des groupes au Canada demandant à leur gouvernement de protester contre les violations des droits de la personne. Si les prévisions économiques formulées ci-dessus se révèlent justes, les intérêts économiques du Canada en Chine seront peu touchés. Si elles ne le sont pas, et si la récession est plus grave, entraînant une plus grande instabilité sociale, cela pourrait avoir des répercussions sur les plans de la migration, en particulier de la migration illégale, vers le Canada.


1. Paul George, « L'agitation islamique dans la région autonome chinoise du Xinjiang-Ouïgour », Commentaire no 73 (1998).

2. De nombreux Ouïgours ont été condamnés à mort ou à de longues peines d'emprisonnement à cause de leur séparatisme et de leurs activités criminelles, comme des vols et des meurtres, mais les liens entre le crime organisé et le séparatisme ethnique, s'il y en a, ne sont pas clairs. Selon Amnistie Internationale, 190 exécutions ont eu lieu au Xinjiang entre janvier 1997 et avril 1999.

3. La réaction des médias en Chine aux attentats terroristes contre les États-Unis a été mitigée. Les médias officiels ont exprimé leur sympathie pour les pertes américaines et décidé de combattre le terrorisme. Les médias occidentaux, pour leur part, ont fait état de la vente de vidéos qui semblaient célébrer les attaques, ainsi que du nombre élevé d'opinions antiaméricaines exprimées dans les groupes de discussion sur Internet, dont un grand nombre laissaient entendre que les États-Unis récoltaient ce qu'ils méritaient à cause de leur comportement agressif sur la scène internationale. Bien que seulement une minorité de gens en Chine partagent de telles opinions extrêmes, il y a certes en Chine aujourd'hui une grande ambivalence à propos des États-Unis. Contrairement à ce qui s'est produit à d'autres moments dans le passé, comme en 1999 lors du bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade, le gouvernement n'a pas appuyé les opinions extrémistes. Au contraire, plusieurs articles parus dans la presse officielle exhortaient le gouvernement à limiter les propos incendiaires diffusés sur Internet ou dans d'autres médias.

4. Wang Yizhou, « Jiuyiyi shijian zhihou de guoji xingshi », à l'adresse go6.163.com/gzcn/z006/037.htm, 11 décembre 2001. Selon certains spécialistes, comme Qiao Liang et Wang Xiangsui, auteurs d'un best-seller sur le terrorisme, les attaques ont marqué « le début du déclin des États-Unis comme superpuissance ».

5. « China's Quiet, Crucial Role in the War », Wall Street Journal, 18 décembre 2001.

6. David Shambaugh, « China's Ambivalent Diplomacy », Far Eastern Economic Review, 15 décembre 2001.

7. Dans l'histoire de la RPC, plusieurs successeurs potentiels du dirigeant suprême ont découvert qu'une ascension trop rapide pour assumer un rôle de leader a des conséquences négatives.

8. Dans le passé, la perspective d'une alliance russo-américaine a provoqué de grands remaniements de la politique étrangère chinoise, surtout lorsque les rapprochements diplomatiques avec les États-Unis ont commencé au début des années 1970, donnant lieu à la visite de Nixon, au communiqué de Shanghai et à la normalisation des relations sino-américaines.

9. « PRC FM Spokesman Calls Japan's Military Involvement "Very Sensitive Issue" », Agence France Presse, FBIS-CHI-1999-0412; « Japan Using Anti-Terrorist War to Further Its Own Military Ambitions », Beijing Liaowang, FBIS-EAS-2001-1212.

10. Déjà le 20 septembre, un éditorial du Quotidien du peuple décrivait le projet américain d' « avancer vers l'est » en Asie centrale, comme une transformation de la région en une « nouvelle base militaire américaine à l'étranger ». Un analyste a écrit que « pour la Chine, cela signifie que les États-Unis comblent le dernier vide dans le nord-est de leur anneau d'encerclement ». Jiang Nan, « Long-Term Military Presence Said Purpose of US Attack on Terrorism », Beijing Renmin Ribao (Guangzhou South China News Supplement), FBIS-NES-2001-0920; Ba Ren, « The United States Meddles With Afghanistan To Kill Three Birds With One Stone », Ta Kung Pao (édition Internet), FBIS-CHI-2001-0924.

11. Willy Wo Lap Lam, « Is China losing its moral high ground? », http://edition.cnn.com/2001/WORLD/asiapcf/east/12/17/china.willydiplo/index.html, 18 décembre 2001.

12. Willy Wo Lap Lam, « Jiang fears U.S. foothold in Central Asia »,

13. Les reportages des médias occidentaux sur la question des droits de la personne au Xinjiang sont réunis à l'adresse http://www.uyghuramerican.org/uaa/research_and_reports.

14. Les statistiques sur la répression au Xinjiang inspirent aussi le scepticisme parce qu'elles sont produites par des intérêts bureaucratiques locaux. Lorsque Beijing ordonne aux localités de « frapper fort », il ne faut pas s'étonner que les localités fournissent obligeamment des preuves confirmant qu'elles ont « frappé fort ». Reste à voir si cela signifie que la répression dans la localité a vraiment été intensifiée.

15. Le vice-premier ministre Qian Qichen a affirmé à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mary Robinson, que 1 000 Ouïgours s'étaient entraînés avec al-Qaïda en Afghanistan et ailleurs. Dans un communiqué daté du 21 janvier, la Chine signalait que « l'organisation terroriste du Turkestan oriental [...] jouit de l'appui sans réserve de ben Laden et représente une part importante de ses forces terroristes. », « China Says Muslim Separatist Group Has Connections to bin Laden », New York Times, 21 janvier 2002.

16. Dave Lampton, de l'Institut Johns Hopkins, esquisse les contours de l'opinion en expliquant qu'il y a une division entre le secrétaire d'État Colin Powell, qui entre dans le camp de l'« engagement », et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, qui est davantage dans le camp de la « menace chinoise », Bush se situant quelque part entre les deux. « Small Mercies: China and American after 9/11 », The National Interest, hiver 2001.

17. Stephen Roach, « Global Economics: China is not an Oasis », http://www.morganstanley.com/about/gsb/index.html, 3 décembre 2001.

18. On oublie souvent que leurs plus importants opposants ne sont pas les rares gauchistes survivants, qui sont presque complètement marginalisés, mais des gens comme Li Peng, souvent faussement qualifiés de conservateurs dans les médias occidentaux, qui soutiennent que la Chine devraient appliquer une stratégie de ralentissement économique à des fins de réforme économique.

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Date de modification : 2005-11-14

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