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Tendances en terrorisme

Jihad militant : Radicalisation, conversion, recrutement

Volume 2006-4

Cet article a été rédigé par le Canadian Centre for Intelligence and Security Studies, The Norman Paterson School of International Affairs, Carleton University.

La publication de cet article ne signifie pas que son contenu a été authentifié par le Centre intégré d’évaluation des menaces (CIEM), ni que le CIEM partage les opinions de l’auteur.

Introduction

L’islam radical laisse planer de nombreuses menaces, l’une seule se traduisant par des actes de terrorisme à l’échelle mondial. Certains éléments radicaux, par exemple, prônent l’adoption d’une discipline religieuse rigoureuse pour remédier aux maux de l’islam. Cette stratégie personnelle et non violente, qui est fondée sur l’imitation stricte et littérale de la vie du prophète Mahomet, vise à convertir d’autres personnes par la promotion individuelle du dawa (appel à l’islam). Les musulmans radicaux, pour qui le dawa est un fondement, s’opposent aux valeurs et au pouvoir politique et économique de l’Occident. Toutefois, plutôt que de recourir au jihad violent (combat), ils se concentrent sur des moyens pacifiques de retrouver la pureté de l’islam et d’instaurer des changements fondamentaux dans la société. Leurs objectifs ne sont pas moins radicaux que ceux des jihadistes violents, mais leurs moyens diffèrent. L’activisme politique pacifique, fondé sur des principes religieux, est une autre stratégie destinée à rétablir le pouvoir déclinant de la oumma (communauté musulmane). Au 19e siècle, Jamal al-Din al-Afghani, partisan du renouveau musulman, faisait l’apologie d’un mouvement panislamique de solidarité politique pour contrer les valeurs et la domination de l’Occident. Les divers courants et mouvements de l’islam radical partagent une même foi, mais embrassent des objectifs et des moyens différents. Quand les activistes politiques revendiquent l’adoption de la charia (loi coranique stricte) dans les États musulmans et exhortent la communauté musulmane en général et chaque musulman en particulier à épouser le jihad pour y parvenir, ils deviennent des jihadistes militants.

Aux fins du présent document, « radicalisme » s’entend de « la recherche active et de l’appui, par la menace, le recours à la violence ou d’autres moyens antidémocratiques, de changements fondamentaux dans la société qui pourraient compromettre l’ordre juridique démocratique »1. L’accent est mis sur le processus par lequel les musulmans et les convertis sont « radicalisés », c’est-à-dire qu’ils en viennent à accepter le bien-fondé et la nécessité de continuer de recourir au jihad violent contre le gouvernement et la population des pays musulmans et non musulmans.

Les actes terroristes à l’échelle mondiale et les activités de soutien connexes menacent quotidiennement la sécurité et les valeurs des gens, en Occident comme en Orient. La dépendance de nombreuses institutions arabes et musulmanes en Occident à un financement externe de l’Arabie saoudite, par exemple, les rend vulnérables à l’influence et aux discours incendiaires de religieux extrémistes (cette question est abordée plus loin dans le présent document). Cela vaut tant pour le Canada que pour le reste du monde et il faut en tenir compte dans l’élaboration de politiques et dans l’adoption de pratiques visant à réduire l’incidence de la radicalisation au sein de la vaste communauté musulmane modérée. Le présent document met à la disposition des lecteurs les informations disponibles sur les principaux éléments du salafisme militant à l’échelle mondiale et le processus de radicalisation en vue d’éveiller leur intérêt et de susciter un débat éclairé.

Pour analyser le radicalisme, il faut interpréter l’islam comme un système politique et social dominé par la religion. L’islam ne reconnaît pas le concept occidental de la séparation de la religion et de la politique. Tandis que certains érudits comme Keppel perçoivent l’évolution de l’islam politique dans un contexte historique et culturel2, d’autres3 mettent l’accent sur les facteurs sociologiques. L’islam politique a deux objectifs étroitement liés, soit la solidarité avec la oumma (communauté musulmane mondiale) et le rétablissement de régimes islamiques sous l’autorité d’un calife (chef d’État panislamique). La partie suivante tente d’expliquer l’évolution du jihad militant à l’échelle mondiale et sert de prélude à l’examen qui suit à la partie sur les catalyseurs de la radicalisation, ses causes et ses catégories. Faisal Devji4 soutient toutefois que le jihad militant à l’échelle mondiale ne découle d’aucun processus généalogique précis : il est le fruit de « la fragmentation des structures traditionnelles de l’autorité musulmane au sein d’un nouveau paysage mondial ».

Islam politique et jihad salafiste mondial

La grande majorité des éléments radicaux au sein de l’échiquier politique islamiste ne prône pas le recours au jihad violent comme moyen d’établir une forme de gouvernement islamique. Certains mouvements, par exemple le Hizb ut-Tahrir, ne sanctionne pas le recours à la violence mais n’en sont pas moins prêts à utiliser des arguments anti-sémites convaincants et la thèse du complot pour répondre aux questions des jeunes musulmans sur la foi. D’autres, comme le mouvement nationaliste des Frères musulmans, évitent maintenant la violence et participent au processus politique. Ces derniers ont ainsi obtenu un tel succès en Égypte qu’éventuellement, le processus démocratique pourrait bien leur permettre de réaliser des objectifs qu’ils étaient incapables d’atteindre par la violence.

Les défenseurs du jihad violent à des fins politiques proviennent de divers horizons nationaux et religieux mais croient tous que la force de l’islam réside dans les valeurs et les pratiques du prophète et de ses pieux compagnons (les Salaf). Même si le salafisme en tant que moyen d’atteindre le renouveau musulman est compatible avec l’activisme politique pacifique et le prosélytisme non violent, les salafistes qui ont conclu que l’activisme pacifique n’était pas une stratégie viable pour établir un véritable État islamiste ont lancé un appel au jihad pour fomenter une révolution violente.

Ils s’inspirent de Sayyid Qutb (1906-1966)5, qui s’est appuyé sur le concept de jahiliyya (barbarie et ignorance des révélations du prophète Mahomet) et sur le wahhabisme 6 (effort militant visant à purifier l’islam) pour justifier le jihad éternel en vue de « délivrer la terre de toute injustice et d’amener les gens à adorer seulement Dieu »7. Qutb a affirmé que le jihad n’était pas seulement un moyen de défendre les musulmans et leurs territoires mais bien une révolution offensive, proactive et permanente contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur qui ont usurpé la souveraineté de Dieu. Le glaive de la violence pourrait ouvrir la voie à la prédication.

Le jihad salafiste mondial est aujourd’hui un « mouvement mondial de renouveau religieux qui vise à rétablir la gloire passée des Musulmans dans un vaste État islamiste qui s’étend du Maroc aux Philippines8» en ayant recours au jihad violent pour restaurer l’islam véritable. Il s’attaque non seulement aux dirigeants musulmans apostats, l’« ennemi proche », mais aussi aux puissances occidentales, l’« ennemi lointain », dont l’appui a empêché l’établissement de véritables États islamistes fondés sur la charia. La contribution marquante d’al-Qaïda (« la base »), qui est l’avant-garde de ce qui est aujourd’hui un réseau de mouvements salafistes mondiaux, a été de transformer le jihad, qui se limitait à une lutte de nationalistes religieux l’échelle locale, en une guerre globale contre les États-Unis et leurs alliés, parmi lesquels le Canada a été nommément désigné. Les liens plus ou moins étroits entre les groupes islamistes qui partagent l’idéologie, les buts et les objectifs d’al-Qaïda lui permettent d’agir partout dans le monde et lui donnent une réputation qui dépasse toutes les attentes de ses principaux membres. L’idéologie salafiste établit leur mission, fixe leurs objectifs et guide leurs méthodes.

La stratégie mondiale d’al-Qaïda serait inspirée par la religion : une interprétation du jihad non pas comme une obligation collective ou politique, mais plutôt comme une responsabilité morale individuelle qui va au-delà du pragmatisme politique et en fait un devoir sacré. Le jihad est une doctrine intégriste de renaissance : une quête personnelle pour un islam pur et une identité religieuse universelle. Tandis que ses défenseurs se soucient profondément de leur foi, de leur repentir et de leur salut, Roy9 estime qu’al-Qaïda se sert de la religion à des fins politiques, comme un moyen de revigorer le jihad à la suite de l’échec des luttes nationalistes au Moyen-Orient et de la participation de nationalistes religieux au processus politique après 1996.

Tous les mouvements de renouveau religieux partagent deux caractéristiques communes : l’anti-intellectualisme et une plus grande acceptation des dogmes et du fidéisme. L’islam et le christianisme connaissent tous deux un écart croissant entre les autorités religieuses établies et les mouvements charismatiques qui s’avèrent attrayant pour les personnes à la recherche de certitudes et d’une signification à leur vie. Peu d’agents d’al-Qaïda ont reçu une éducation religieuse et la plupart ont reçu une formation technique dans des établissements laïcs. La doctrine intégriste rejette les traditions et les pratiques musulmanes modernes qui, d’après ses défenseurs, s’écartent de la voie de Dieu, et méprise les débats intellectuels et académiques traditionnels sur les questions d’ordre religieux. Ce n’est pas une coïncidence si la croissance du militantisme musulman est parallèle à l’influence décroissante des établissements d’enseignement traditionnels sunnites et à l’éclatement des autorités traditionnelles dans le monde musulman10.

En outre, la mondialisation du jihad a « aboli les frontières » de l’islam : les jihadistes « nationalistes » ont été recrutés en vue d’une lutte globale et plus pure visant à établir non pas un État, mais bien un califat musulman. L’islam, en tant que religion, est détaché de toute autre culture, de sorte que musulmans et convertis, qu’ils soient originaires de communautés arabes, du Maghreb, de l’Asie du Sud-Est ou de la diaspora, peuvent s’identifier à une oumma mondiale plutôt que nationale ou régionale et combattre pour elle. Dans ce sens, l’existence même d’al-Qaïda repose sur la détérioration des alliances politiques et religieuses traditionnelles. Le jihad vise à renverser toute autre forme de dévotion islamique.

Radicalisation – Catalyseurs et causes

Les événements récents qui découlent des politiques étrangères et nationales des gouvernements occidentaux et musulmans ont eu d’importantes répercussions sur la politisation des musulmans, plus particulièrement ceux de la diaspora. Leur identification à la oumma et leur ressentiment contre ce qu’ils perçoivent comme l’oppression des musulmans partout dans le monde a eu des répercussions imprévues.

La révolution iranienne en 1979 a marqué un début. Peu importe que les chiites plutôt que les sunnites aient destitué le shah séculaire et autocratique, tous les musulmans ont perçu cet événement comme une victoire de l’islam et une preuve qu’au moins un État islamique pur pouvait être établi malgré les gouvernements arabes corrompus et leurs partisans occidentaux. Cela a eu un effet important sur la prise de conscience collective et le sentiment identitaire musulman. L’Iran révolutionnaire a enflammé la politique musulmane et a aussi gagné le soutien des éléments sunnites les plus militants en son sein. De même, la fatwa de l’ayatollah Khomeyni contre Salman Rushdie après la publication de ses « Versets sataniques » a marqué un autre tournant dans le processus de politisation, tournant qui a engendré un nouveau sentiment de puissance et alimenté un intérêt actif pour le renouveau musulman.

Il ne faut pas sous-estimer l’incidence de l’intervention de l’armée soviétique en Afghanistan en 1979, laquelle a coïncidé avec la révolution islamique en Iran et la montée de l’islam politique militant en général. Des milliers de musulmans des quatre coins du monde se sont rendus en Afghanistan dans le but précis de chasser les infidèles soviétiques des terres musulmanes. Les religieux et les érudits généraux et radicaux ont approuvé et encouragé le jihad comme un moyen de défense qui a dressé les musulmans contre les non musulmans athées (communistes). L’Afghanistan a permis aux jihadistes en herbe de recevoir une forme d’entraînement et d’apprendre dans un endroit sûr les compétences dont ils avaient besoin pour les luttes locales; il a permis aux nationalistes religieux qui fuyaient les responsables de la sécurité des régimes musulmans de se regrouper; essentiellement, il a fourni à un petit groupe marginal de révolutionnaires islamistes purs et durs de choisir et d’endoctriner sur place des moudjahidin et des combattants nationalistes aguerris pour le jihad mondial. Bien que de nombreux volontaires aient été choqués par la mesure dans laquelle des jihadistes comme ben Laden et Ayman al-Zawahiri ont récupéré le jihad à leurs propres fins politiques, d’autres ont été radicalisés par leurs ambitions mondiales. La victoire des islamistes contre les Soviétiques a ravivé le jihad salafiste et l’a fait passer de conflit local à une lutte mondiale : la doctrine isolationniste salafiste-wahhabite de ben Laden a été transformée par le jihad transnational des disciples de Qutb.

L’Afghanistan, tout comme l’Algérie, l’Égypte, le Cachemire, la Bosnie-Herzégovine et la Tchétchénie, était l’un des nombreux endroits où les idées islamiques radicales se sont enracinées et des compétences militaires concrètes ont été acquises. Le massacre des musulmans par les Serbes (chrétiens) en Bosnie a été interprété comme une attaque contre la oumma, qui n’a pas bénéficié de la protection des Nations Unies malgré le statut européen du pays. Le ressentiment et la crainte des persécutions religieuses partout ailleurs ont été particulièrement efficaces pour recruter des musulmans de la diaspora pour le jihad en vue de défendre Dar al-Islam (terres ou communautés musulmanes). Certains de ces moudjahidin ont par la suite été recrutés pour le jihad mondial.

Le sentiment de colère et de ressentiment contre l’Occident a été attisé davantage par l’établissement d’une base opérationnelle des États-Unis en Arabie saoudite depuis laquelle a été menée la guerre du Golfe destinée à chasser l’Irak du Koweït. La présence « profanatrice » des Américains dans le « pays des deux lieux saints » a convaincu ben Laden de s’en prendre àl’Occident, s’opposant au point de la majorité des islamistes radicaux.

L’exploitation de la colère et du ressentiment de la oumma pour l’amener à appuyer le jihad a été essentielle à al-Qaïda pour commettre ses attentats contre les États-Unis le 11 septembre 2001. Ces derniers ont été élaborés et perpétrés expressément pour désigner les États-Unis comme l’ennemi de la oumma et enflammer le jihad mondial. Les décisions subséquentes des États-Unis et de leurs partenaires de la coalition d’intervenir tout d’abord en Afghanistan et ensuite en Irak a été un cadeau pour al-Qaïda : moudjahidin et nationalistes religieux ont été en mesure de joindre leurs forces à la fois pour combattre l’ennemi global et défendre les terres musulmanes. Les insurgés en Irak comptent maintenant non seulement des arabes et des musulmans du Moyen-Orient, mais aussi des jihadistes de la diaspora musulmane mondiale.

Doctrine du jihad

Les croyances et les pratiques des musulmans sont fondées sur le texte du Coran, mais l’interprétation qu’en font les islamistes est controversée et inégale. C’est encore plus vrai dans le cas du jihad, pour lequel il n’existe aucune doctrine unique, universellement acceptée. Le jihad peut être compris comme toute forme d’activité personnelle menée en vue de suivre la voie de Dieu, mais le plus souvent, il est interprété comme la participation à un conflit armé collectif ou à une guerre sainte. En général, les érudits musulmans généraux estiment que le jihad est un devoir collectif, mais uniquement pour défendre Dar al-Islam (« maison de l’islam »). Pour eux, ce n’est jamais une fin en soi. Quand ben Laden a adopté la justification du jihad de Qutb, c’est-à-dire un moyen offensif d’établir un État islamique, chaque musulman a eu pour devoir personnel et permanent de mener la guerre à ses ennemis « proches » et « lointains », à savoir les gouvernements et les populations des pays musulmans et non musulmans.

Les jihadistes se divisent en trois catégories : les volontaires ou les moudjahidin, les nationalistes religieux, et les combattants salafistes du jihad mondial. Les volontaires ne participent pas au jihad en raison d’une doctrine et ne luttent pas contre leur propre gouvernement ou les pays occidentaux. Ils le font par devoir religieux, autorisée par les parents et les oulémas (savants en sciences religieuses) respectés, pour défendre les musulmans et leurs terres.

La majorité des jihadistes sont des nationalistes religieux, membres de groupes islamistes politiques « traditionnels » qui, depuis les années 70, combattent localement, sans succès, les régimes musulmans en vue d’établir un État ou une forme de gouvernement islamique. Ayant échoué, étant victimes d’oppression et étant menacés d’emprisonnement, beaucoup d’entre eux ont obtenu l’asile politique en Occident, où ils continuent à mener leurs activités nationalistes. D’autres, une infime minorité, ont été recrutés pour le jihad mondial. La rivalité implacable entre nationalistes et transnationalistes, qui se disputent la direction du jihad, persiste.

Vers le milieu des années 90, quelques groupes militants marginaux dirigés par al-Qaïda ont transformé le jihad local en une lutte globale et ont plus tard été rejoints par certains anciens nationalistes comme Ayman al-Zawahiri, qui ont fini par admettre que la lutte pour un État islamique ne pouvait être uniquement menée à l’échelle régionale. La détermination des combattants du jihad mondial ou transnational à recourir à des stratégies violentes plutôt que non violentes pour établir un régime islamique et convertir ou détruire les non musulmans relève de la doctrine. Ils n’estiment pas nécessaire d’obtenir la sanction de l’ouléma qualifié et représentatif pour mener leur combat éternel. Même s’il a été affaibli par l’élimination ou l’arrestation d’un grand nombre de ses dirigeants quand la coalition dirigée par les États-Unis a renversé les talibans en Afghanistan, al-Qaïda continue d’influencer et de diriger de façon générale les activités des réseaux terroristes locaux qui lui sont affiliés. Selon le rapport néerlandais « From Dawa to Jihad »11, les réseaux locaux en Europe interprètent l’idéologie d’al-Qaïda de façon encore plus radicale que ses propres dirigeants. Chaque cellule croit qu’elle participe à une « bataille finale mythique et apocalyptique contre le mal » (le monde occidental) qui pourrait l’amener à commettre des actes de destruction nihilistes.

La principale menace pour l’Occident provient du jihad mondial plutôt que des activités des moudjahidin ou des nationalistes religieux. Cependant, étant donné que ces deux groupes sont liés au jihad et constituent un vivier de recrues pour le jihad mondial, fait d’eux un sujet de préoccupation. Beaucoup d’entre eux, mais pas tous, trouvent que la participation au jihad traditionnel est la première étape de la radicalisation. Avant l’affaiblissement d’al-Qaïda et la révolution dans le secteur des communications dans les années 90, le jihad était essentiellement le moyen par lequel les nouveaux militants étaient personnellement choisis pour accomplir des missions dans le cadre du jihad mondial. De nos jours, les membres des réseaux affiliés ne sont plus recrutés après avoir été sensibilisés à la propagande salafiste d’al-Qaïda; ils se portent plutôt « volontaires ».

Analyse sociale, psychologique et situationnelle de la radicalisation

Le terrorisme est la conséquence extrême de la radicalisation, dont les signes avant-coureurs sont sans doute la participation à diverses activités de soutien, y compris la criminalité. Les profils établis en fonction de signes particuliers comme le sexe, l’âge, l’origine nationale, la religion, le niveau d’études et les conditions socio-économiques n’aident pas vraiment àrepérer les éventuels terroristes, mais l’analyse de modèles permet de déterminer les grands groupes d’où proviennent les recrues pour le jihad mondial. Les recherches empiriques de Marc Sageman12, qui sont fondées sur la biographie de 172 moudjahidin salafistes du jihad mondial, tentent de déterminer les traits de caractère particuliers et le comportement des personnes qui se joignent au jihad. Ses recherches examinent les explications proposées par chacune des trois approches générales : sociale, psychologique et situationnelle. Selon la première, les terroristes ont tous des antécédents sociaux communs, selon la deuxième, ils ont tous la même constitution psychologique et selon la troisième, ils deviennent des terroristes en raison de leur situation personnelle au moment de leur recrutement.

Sageman a trouvé des preuves qui réfutent un grand nombre de mythes courants qui expliqueraient la radicalisation. Les combattants salafistes du jihad mondial sont habituellement des jeunes hommes instruits de classe moyenne. Les membres originaux se sont rencontrés et ont noué des liens pendant la guerre qui a opposé l’Afghanistan et l’Union soviétique. Les habitants de l’Asie du Sud-Est qui sont devenus membres de la Jemaah Islamiyah (JI) étaient pour la plupart des disciples des dirigeants de la JI. Les arabes du Maghreb qui ont grandi en France ont éprouvé un sentiment d’isolement et ont cherché à se faire des amis dans les mosquées locales. La majorité des arabes qui ont profondément souffert du manque de spiritualisme quand ils se sont installés dans des pays et des sociétés de culture utilitariste ont cherché une cause pour laquelle ils pourraient se sacrifier, qui rétablirait leur fierté et qui leur apporterait un réconfort spirituel. Avant de se joindre au jihad, les aspirants moudjahidin qui, en général, n’étaient pas particulièrement croyants, sont devenus plus pratiquants et dévots.

Sur le plan « social », ils n’étaient ni défavorisés ni peu instruits, mais ils ont peut-être souffert de la privation relative et d’un manque de possibilités dans les pays étrangers. Ils n’ont pas été endoctrinés au fanatisme, pas plus qu’ils n’étaient des criminels endurcis, même si beaucoup d’entre eux ont commis de menus larcins. La plupart étaient mariés, avaient des enfants et semblaient bien intégrés à la société.

Sur le plan « psychologique », leur passé ne révèle aucun indice de trouble émotionnel, de haine pathologique ou de paranoïa. La « loi frustration-agression », selon laquelle la radicalisation de jeunes hommes instruits et aisés découle de leur expérience de la discrimination et du sentiment d’éloignement après avoir été envoyés à l’étranger pour y étudier ou travailler, a été jugée trop vague pour être prouvée ou réfutée. Il semble toutefois que de nombreux moudjahidin avaient des raisons positives de se joindre au jihad pour embrasser une plus grande cause, digne de leur sacrifice, plutôt qu’en réponse à des expériences négatives.

Il a été impossible de dresser un profil commun pour les militants salafistes du jihad mondial. Les habitants de l’Asie du Sud-Est sont différents de la majorité arabe, qui à son tour diffre des arabes du Maghreb. Les dirigeants du mouvement étaient différents de leurs disciples. Par contre, ils avaient des points en commun. La détermination des façons par lesquelles les gens se joignent au jihad militant aide à expliquer pourquoi ce mouvement peut attirer et faire participer les gens de différentes façons, qu’il s’agisse de terroristes locaux ou d’insurgés aguerris, de personnes originaires de l’Afrique ou de l’Europe. La radicalisation est un processus inspiré par l’idéologie, tant sur le plan du contenu que sur celui du comportement.

Selon Sageman, le fait de déterminer « comment » s’est établi le lien avec le jihad nous éclairera sans doute davantage sur le processus de radicalisation que le fait de se demander « pourquoi ». Ce faisant, il a découvert que le processus s’était amorcé par des liens d’amitié, familiaux et prosélytes. Ces liens ont favorisé le renforcement progressif de la conviction qui a finalement entraîné l’acceptation de l’idéologie salafiste dans son ensemble. Les liens sociaux sont un élément essentiel et précèdent l’engagement idéologique. Ils apportent un soutien émotionnel et social mutuel, développent un sentiment d’appartenance commun et encouragent l’adoption de la foi ou le retour à celle-ci. Ils sont également essentiels à l’établissement d’un lien avec le jihad ou les camps d’entraînement. La privation relative, la prédisposition religieuse et l’attraction idéologique sont des conditions nécessaires, mais insuffisantes en soi, pour expliquer la décision de devenir moudjahid. En résumé, Sageman laisse entendre que les facteurs internes au groupe plutôt que les facteurs externes sont plus importants dans la transformation des candidats potentiels en combattants du jihad mondial.

L’étude de Sageman a été publiée en 2004. Même s’il s’agit d’un ouvrage unique et inestimable, il est possible que certaines des observations sur les traits caractéristiques des moudjahidin qui s’y trouvent ne sont plus aussi vraies aujourd’hui qu’au moment où la recherche a été effectuée. Il avait déjà constaté les changements qui se produisaient au cours du processus d’adhésion au jihad des moudjahidin.

Catégories de recrues

La partie suivante décrit certaines des principales catégories ou certains des principaux groupes auxquels appartiennent les moudjahidin .

a) Jeunes volontaires

« Ce qui est si remarquable chez la plupart des terroristes d’al-Qaïda morts ou capturés est leur jeunesse. Les jeunes de chaque génération sont idéalistes et croient qu’ils ont le pouvoir de changer le monde. Ben Laden et ses partisans profitent de cette étape normale de leur développement intellectuel et psychologique pour attirer et manipuler insidieusement les jeunes hommes ».13 Au Canada, l’âge médian des musulmans est vingt-huit ans, ce qui en fait le groupe démographique le plus jeune par comparaison aux autres grandes religions. Même si la contestation des valeurs acceptées par les dirigeants de la communauté, les professeurs et les parents fait partie de la nature des jeunes, quelle que soit leur culture, cette caractéristique est plus marquée dans la diaspora quand elle s’ajoute à la quête de l’identité musulmane, de la dignité et du respect de soi. Pendant les années d’apprentissage, les pairs, les amis et les imams charismatiques exercent une forte influence et les jeunes recherchent leur approbation, plus particulièrement s’ils ont tendance à se rebeller, ne s’expriment pas avec facilité en arabe, ignorent les principes de base de l’islam et se sentent rejetés par leur famille et la société. Exaltés par les discours des propagandistes, que ce soit dans les mosquées locales, les centres d’études religieuses, les écoles ou les universités, ou encore par l’entremise de cassettes vidéo et audio ou de l’Internet à la maison, les jeunes sont susceptibles d’être endoctrinés. « On leur donne une interprétation de versets coraniques choisis [délibérément] pour les inciter à se rebeller contre leurs parents et leur famille, et même contre la société dans laquelle ils vivent ».14

L’étude de Sageman n’appuie pas cette « thèse de l’immaturité » car il a constaté que l’âge médian de ses sujets au moment où ils se sont joints au jihad était d’environ vingt-six ans. En outre, l’âge des jihadistes impliqués dans les attentats terroristes les plus récents avaient également largement dépassé l’adolescence. Même s’il faut s’attendre à ce que les familles et les amis des derniers kamikazes attribuent ces actes extrémistes à un endoctrinement, leurs affirmations ne sont pas nécessairement fiables. La radicalisation ne mène peut-être pas immédiatement au jihad, mais à des activités de soutien plus discrètes et au recrutement d’autres membres de cellules. Il est probable que le chef d’une cellule soit plus vieux que les « soldats », comme dans le cas de Khan et des kamikazes des attentats de Londres.

b) Nationalistes religieux

La majorité des jihadistes sont des nationalistes religieux dont les luttes locales et régionales contre les régimes musulmans se sont soldées par un échec en raison de mesures de sécurité draconiennes ou de nouvelles allégeances après la guerre froide. Bon nombre ont quitté leur pays d’origine pour chercher refuge en Occident et en Europe en particulier. Les services de renseignement ont déjà cru qu’en suivant de près les luttes des nationalistes locaux et régionaux, ils pourraient repérer les réseaux islamistes radicaux et les activistes qui, pour la plupart, continuaient de se concentrer sur les conflits nationaux et régionaux avec les régimes musulmans. Cependant, une minorité de nationalistes religieux, de jihadistes aguerris et d’insurgés qui avaient participé à ces luttes régionales ont été convertis à l’idéologie globale d’al-Qaïda. Ils ont commencé à appuyer, à planifier et à mener des opérations contre des cibles internationales depuis leurs pays d’accueil occidentaux. L’établissement de réseaux de recrutement n’est qu’une seule de ces activités. Au Royaume-Uni, l’afflux de musulmans algériens dans les années 80 a marqué le début du militantisme islamiste, auquel ont plus tard adhéré les musulmans d’autres groupes ethniques.

Au Canada également, des extrémistes sunnites de l’Algérie et d’autres pays de l’Afrique du Nord ont joué un rôle de premier plan dans les réseaux terroristes actifs. L’arrestation d’Ahmed Ressam, qui avait l’intention de commettre un attentat contre l’aéroport de Los Angeles en 1999, a renforcé la crainte que des terroristes transnationaux passent à l’action au Canada. Ressam était membre du groupe de Fateh Kamel, une faction extrémiste du Groupe islamique armé (GIA) nationaliste algérien établie à Montréal qui entretenait des liens avec ben Laden. Une division du GIA en 199815 a entraîné la création du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui, en plus d’avoir le but nationaliste d’établir un gouvernement islamiste en Algérie, s’est affilié à al-Qaïda pour appuyer le jihad mondial. Une cellule présumée du GSPC à Toronto a été démantelée en 2005.

c) Terroristes « locaux»

Ben Laden, en provoquant la réaction militaire des États-Unis, qu’il a su représenter comme une guerre contre l’islam (et non contre les combattants du jihad mondial), a intensifié le sentiment d’injustice collectif, la crainte et la colère de la oumma. En raison du lourd climat de méfiance et de suspicion qui a suivi les attentats du 11 septembre, les communautés de la diaspora musulmane sont devenues des viviers fertiles pour les islamistes radicaux. Keppel soutient que la bataille pour rallier les musulmans à la cause ne se livrera sans doute pas au Moyen-Orient, mais plutôt dans les communautés de la diaspora en Europe, où les musulmans sont généralement moins prospères et confinés davantage dans des ghettos qu’en Amérique du Nord. Selon Roy16, l’intégrisme islamiste est un produit de la diaspora et une conséquence de la réaction aux changements sociologiques plutôt qu’à des facteurs culturels ou historiques. Même si les immigrants ont des motifs valables d’avoir des griefs et d’éprouver du ressentiment parce qu’ils luttent pour obtenir la citoyenneté, sont victimes de racisme et ne trouvent pas d’emploi, de telles conditions propres à favoriser le radicalisme ne datent pas d’hier; ce qui est nouveau, c’est qu’elles sont maintenant utilisées par des extrémistes pour recruter des immigrants récents en vue de la lutte contre l’Occident. La découverte et le démantèlement d’un nombre croissant de réseaux de recrutement en Europe donnent à penser que pour certains musulmans nés ou élevés en Occident, l’Europe est peut-être devenue la ligne de front de cette lutte.

Par contre, sont vus comme une menace potentielle non seulement les immigrants récents ou les descendants des immigrants de la première génération qui n’ont pas su s’intégrer, mais aussi les membres des minorités ethniques de la deuxième génération et les professionnels instruits.

Theo Van Gogh a été assassiné en novembre 2004 par un terroriste local des Pays-Bas. Ce dernier, qui était né aux Pays-Bas, était un musulman instruit de 26 ans et parlait le néerlandais. Il a adhéré à l’islam radical par l’entremise d’une mosquée locale à la suite du décès de sa mère, mais avait déjà attiré l’attention des autorités pour ses activités criminelles mineures et ses contacts avec des activistes purs et durs. Ce meurtre a eu des répercussions pour d’autres pays où il y a eu une immigration massive au cours des quarante dernières années : les musulmans que l’on croyait assimilés au pays d’accueil de leurs parents sont maintenant vus comme des recrues potentielles de l’islam radical.

Les chefs de la cellule allemande d’al-Qaïda responsable des attentats du 11 septembre 2001 n’étaient ni pauvres ni défavorisés sur le plan social. Ils étaient des professionnels instruits qui, dans leurs communautés, figuraient parmi les personnes riches et heureuses. Les terroristes locaux qui ont perpétré les attentats à la bombe contre le système de transport en commun de Londres le 7 juillet 2005 semblaient également être intégrés. Trois d’entre eux étaient nés au Royaume-Uni et le quatrième était un musulman converti de la Jamaïque. Selon ses amis, Shehzad Tanweer était pieux, réfléchi et généreux, mais il partageait le sentiment de sa communauté que ni les dirigeants musulmans ni le gouvernement britannique ne faisaient rien pour dénoncer ou modifier les politiques injustes et oppressives aux yeux de la oumma musulmane.

Bernard Lewis a attribué la montée du radicalisme au sentiment d’humiliation bien ancré chez les musulmans en raison de l’échec de l’islam, au cours des deux siècles derniers, à s’adapter au monde moderne17. L’intégrisme est une tentative destinée à réparer cet échec. Dans un enregistrement vidéo diffusé par al-Qaïda, Mohammed Sidique Khan, kamikaze et ami de Tanweer, a accusé l’Occident d’être responsable des injustices dans le monde et a craché son mépris des « soi-disant érudits satisfaits de leurs Toyota et de leurs maisons jumelées ». Comme les kamikazes du 11 septembre, Khan et Tanweer semblent avoir été endoctrinés au point où ils ne croyaient qu’à une interprétation intégriste extrémiste de la foi qui promet de changer le monde.

Selon un rapport classifié du SCRS cité l’an dernier par le journaliste Torontois Stewart Bell, un “pourcentage élevé” des musulmans Canadiens impliqués dans des activités extrémistes sont nés au Canada, un changement marqué du passé alors qu’ils étaient principalement des réfugiés ou des immigrants. Bell cite en exemple Mohammed Jabarah, de St. Catharines, qui s’est joint à al-Qaïda et a tenté de faire sauter les ambassades des États-Unis et d’Israël en Asie du Sud-Est; son frère, Abdul Rahman, membre d’une cellule saoudienne d’al-Qaïda qui a été tué en 2003; Momin Khawaja, qui est né au Canada et a été arrêté à Ottawa l’an dernier pour son implication dans un complot en vue de commettre un attentat à la bombe; Omar Khadr, qui est né au Canada et est accusé aux États-Unis d’être membre d’une faction d’al-Qaïda en Afghanistan responsable de la mort d’un soldat américain.

d) Réseaux d’amis et de parents

Selon les recherches de Sageman sur les extrémistes islamistes connus18, les liens d’amitié entre les membres d’un groupe ont été des facteurs influents dans le processus de radicalisation, soit pour faire découvrir des idées radicales, maintenir l’adhésion à ces idées par la solidarité dans le jihad, ou fournir des contacts de confiance à des fins opérationnelles. Une certaine « rivalité radicale » entre amis peut amener graduellement à commettre des actes extrémistes. Cela pourrait avoir été le cas de Khan et de Tanweer, qui ont grandi dans des familles modérées et pro-occidentales, qui n’accordaient qu’un intérêt superficiel à l’islam. Lionel Dumont, un islamiste radical qui vient d’être inculpé en France, a prétendu avoir été influencé par un autre converti, un homme charismatique et violent qui l’a persuadé tout d’abord de s’enrôler dans une brigade internationale de combattants musulmans en Bosnie et ensuite de se joindre au « gang de Roubaix », un groupe radical quasi criminel en France. Même si les parents peuvent imposer leurs opinions radicales à leurs enfants (comme dans le cas de la famille canadienne Khadr), l’influence familiale est plus efficace entre individus de la même génération, par exemple des frères ou des cousins.

e) « Musulmans régénérés»

Shahzad Tanweer et Mohammad Sidique Khan sont nés au Royaume-Uni et semblaient assimilés à la société britannique. Ce n’est qu’au début de l’âge adulte qu’ils ont adopté les pratiques et les croyances musulmanes. En tant que musulmans récemment « régénérés », ils ont peut-être, comme d’autres, éprouvé le besoin de tester ou de prouver leur nouvel engagement en adoptant l’interprétation la plus extrême et la plus exigeante de la foi. En 2004, Tanweer a séjourné dans un camp d’entraînement terroriste au Pakistan dirigé par le groupe Harkat-ul-Mujahideen. Ce séjour a probablement été organisé par Khan, qui s’était déjà rendu au Pakistan.

f) Convertis

Les autorités françaises ont signalé une augmentation du nombre de convertis à l’islam qui, selon elles, n’ont pas seulement été recrutés comme soldats d’al-Qaïda, mais aussi pour jouer un rôle important dans la planification et la direction des attentats. Al-Qaïda considère maintenant les convertis comme des membres à part entière. Selon Roy, « Pour al-Qaïda, les convertis ne sont pas seulement des outils permettant de contourner les mesures de sécurité, il s’agit d’un moyen d’internationaliser le mouvement. Au cours des huit dernières années, presque toutes ses cellules comptaient des convertis. Ce n’est pas un hasard, c’est une question de structure. » Les convertis sont recherchés par les groupes islamistes radicaux parce qu’ils sont capables de se déplacer librement en Europe, en Asie et en Amérique du Nord sans éveiller les soupçons des responsables de la sécurité. Comme les musulmans régénérés, ils sont habituellement prêts à accepter des missions dangereuses pour prouver leur nouvel engagement. Ils font partie des activistes islamistes les plus déterminés. Germaine Lindsay, l’un des kamikazes des attentats de Londres du 7 juillet 2005, était un converti jamaïcain.

g) Femmes

Même si, pendant des années, des femmes ont perpétré des attentats suicide dans des endroits comme la Tchétchénie et les territoires palestiniens, la formation des réseaux européens qui partagent l’idéologie d’al-Qaïda a été guidée par l’intégrisme et le principe de la stricte séparation des sexes. Cependant, un réseau de jeunes extrémistes militants néerlandais a accepté des extrémistes européennes résolues soupçonnées de planifier des attentats suicide, seules ou avec l’aide de leurs époux. Le groupe néerlandais était lié au réseau belge qui a envoyé Muriel Degauque, une Européenne convertie à l’islam, commettre un attentat suicide en Irak – ce qui était une première pour un réseau associé à al-Qaïda. (Un commando américain a tué son mari le lendemain parce qu’il était soupçonné de préparer un attentat suicide près de Falloujah, en Irak.) Au moins une kamikaze avait commis un attentat en Irak avant Degauque et une autre a été impliquée dans un attentat à la bombe contre trois hôtels dans la capitale jordanienne. La police belge a également arrêté un autre couple qui se préparait semble-t-il à se rendre en Irak pour devenir « martyr ».

La volonté des hommes qui dirigent al-Qaïda d’utiliser les femmes comme soldats du jihad mondial indique peut-être qu’ils reconnaissent qu’elles peuvent être des partenaires à part entière dans le jihad, étant donné que tous les musulmans ont le devoir de défendre la foi contre toute attaque. Par contre, elle ne reflète peut-être que le caractère spontané des décisions prises par les réseaux associés, qui ont besoin de combattants pour l’Irak. Étant donné que l’extrémisme islamiste fonctionne selon un système patriarcal, l’intégration des femmes résultera sans doute des pressions locales et de l’exploitation, ou encore d’une réaction de défi et d’affirmation de soi des femmes qui cherchent à renforcer leur estime de soi et à modifier le statut et le rôle de subordonnées de leur sexe. Parmi les femmes recrutées récemment figurent les filles de familles d’immigrants qui semblent avoir été motivées par la redécouverte de leurs racines musulmanes. Jusqu’à présent, les femmes n’ont pas été utilisées pour commettre des attentats en Occident.

h) Prisonniers

Les musulmans représentent un pourcentage exagérément élevé de la population carcérale de nombreux pays occidentaux et les activistes islamistes ont souvent un casier judiciaire. En France, il a été avancé que les jeunes musulmans composent plus de 20 p. cent de la population carcérale. Les religieux musulmans radicaux ont visité activement les prisons pour mobiliser à la cause jihadiste les jeunes isolés et en colère et pour convertir à l’islam les prisonniers d’autres communautés ethniques et religieuses. En outre, les prisons qui abritent un certain nombre d’extrémistes peuvent devenir des « écoles » où les militants d’al-Qaïda enseignent ou imposent leur idéologie violente. Richard Reid, l’homme à la chaussure piégée qui a tenté de faire sauter un avion de passagers le 22 décembre 2001, a été radicalisé dans une institution pour jeunes délinquants. L’islam lui offrait un nouveau départ et donnait un nouveau sens à sa vie. Pour se justifier19, il a affirmé que l’immoralité et l’épanouissement de la société occidentale constituaient des menaces pour l’islam.

Combattants étrangers en Irak

L’invasion américaine en Irak a radicalisé à la fois l’opinion publique musulmane et arabe ordinaire et militante. Elle a favorisé le recrutement d’insurgés, non seulement parmi les militants d’al-Qaïda, mais aussi parmi les moudjahidin de plus de quarante pays, dont un grand nombre n’avaient jamais appartenu à une organisation islamiste, encore moins paramilitaire. Le Centre national de lutte contre le terrorisme des États-Unis croit qu’Abou Moussab al-Zarkaoui, le dirigeant d’al-Qaïda en Irak, a établi des liens avec vingt-quatre groupes militants dans le monde. On s’attend à ce que tôt ou tard, des combattants étrangers zélés, transformés par leur expérience en Irak comme l’ont été leurs homologues en Afghanistan, retournent dans les communautés de la diaspora en Occident et continuent de militer.

Aucune explication unique

Lionel Dumont a réfuté l’affirmation de ses amis selon laquelle il était en quête de réconfort spirituel et a déclaré qu’« il n’y a pas d’explication ». Il est facile de déterminer les conditions socio-politiques générales propres à créer un climat propice à l’intégrisme, mais seule une minorité de musulmans sera amenée à appuyer de tels mouvements, surtout al-Qaïda et son jihad violent. Le racisme, l’isolement social, le chômage et les ambitions personnelles et politiques déçues sont des raisons avancées pour expliquer et justifier le radicalisme. Elles peuvent certes y avoir contribué, mais les raisons pour lesquelles certaines personnes sont plus disposées que d’autres à accepter des idéologies et des systèmes de croyance extrémistes sont sans doute beaucoup plus profondes et peut-être inexplicables. Selon les psychologues, l’engagement de tous les terroristes est attribuable au soutien qu’offrent les mouvements extrémistes, aux personnes et aux groupes, et à leurs relations les uns les autres et avec leur milieu20. La radicalisation ne repose sur aucun facteur ou processus unique : pour chacun, les influences qui provoquent la transformation sont différentes. Toutefois, une fois le processus enclenché, ils semblent tous progresser inexorablement des activités de soutien aux actes de violence.

Stratégies de recrutement

Le point commun des islamistes militants est leur décision de joindre le jihad. Avant le 11 septembre 2001, une forme de recrutement formel avait lieu dans les camps en Afghanistan. Le démantèlement de ces installations par les forces de la coalition a affaibli al-Qaïda au point où il s’est transformé en un regroupement flou de réseaux terroristes, ce qui a eu des répercussions sur les stratégies de recrutement. Le processus de recrutement, qui reposait autrefois sur une approche descendante formelle, consiste maintenant à sensibiliser les nouveaux membres potentiels à l’idéologie salafiste par la diffusion de la propagande (approche ascendante). Ils se joignent à des réseaux décentralisés de cellules dispersées qui repèrent des chefs de cellules et des recruteurs. Ils servent de contacts entre les recrues et le jihad et les camps d’entraînement. Même si des camps comme celui de Mansehra au Pakistan, près de la frontière du Cachemire, continuent d’enseigner aux musulmans radicalisés comment manipuler des armes et des explosifs, certains signes indiquent que des camps ont été mis sur pied en Europe occidentale à l’intention des terroristes locaux.

Les changements apportés à la structure des stratégies de recrutement des groupes islamistes ont modifié la composition des groupes de nouveaux adhérents en élargissant le bassin d’où ils proviennent. Ce changement, qui s’est fait en parallèle avec la diffusion massive de propagande, a été favorisé par celle-ci. Même si la propagande salafiste est diffusée de nombreuses façons, y compris dans les campus universitaires, la bataille pour rallier les musulmans à la cause a été menée grâce à deux éléments clés, l’Internet et les mosquées, qui servent de tribunes aux religieux wahhabites radicaux.

Internet

Al-Qaïda a été qualifié de phénomène virtuel. L’absence de frontières nationales et de repères ethniques cadrent parfaitement avec la vision qu’avait ben Laden quand il a créé al-Qaïda, c’est-à-dire une base à partir de laquelle encourager la révolte au sein de la oumma musulmane. Sous la gouverne d’ingénieurs et d’autres spécialistes enthousiastes des technologies, il s’est adapté très tôt aux technologies nées de la mondialisation et s’en est servi pour sensibiliser les recrues potentielles au jihad salafiste mondial. L’Internet, les forums de clavardage, les vidéos, les cassettes audio et les cellulaires sont utilisés pour diffuser de la propagande comme moyen de recrutement. Ils propagent le mythe et la promesse du jihad aux jeunes musulmans isolés en quête d’une identité sociale collective. Le téléchargement de fichiers audio et vidéo de sermons, de communiqués, de poèmes, de chansons, de témoignages de martyrs, d’écrits coraniques et de scènes de bataille et d’attentats suicide transforme les salles de séjour en madrassa radicales. Le message ainsi véhiculé est qu’il existe deux façons de régler les griefs des musulmans : participer au jihad dans les zones de conflit ailleurs qu’en Occident et travailler à l’établissement du califat (en vue de préparer la consolidation de l’État islamique et la conquête des terres non musulmanes [Dar al-Harb]); participer au jihad violent contre tous les « ennemis de l’islam » comme le prône al-Qaïda. Les enregistrements vidéo de jihadistes au combat accompagnent souvent de tels appels aux armes.

L’Internet crée des liens entre les gens et une communauté musulmane « virtuelle » qui donne une idée de la société islamique idéale, c’est-à-dire qui est juste, égalitaire et universelle dans sa simplicité et sa pureté. Selon Sageman, ce type de relation favorise une « rupture ». D’une part, elle tisse des liens entre les personnes isolées qui partagent les mêmes opinions extrêmes; d’autre part, elle les amène à passer plus de temps auprès d’une communauté virtuelle au détriment de la communauté réelle, c’est-à-dire leur environnement social immédiat. Par conséquent, l’Internet peut nuire à l’intégration. Même s’il ne permet pas aux gens de communiquer directement avec les dirigeants d’organisations liées à al-Qaïda, il facilite le réseautage et, en tissant des liens entre les personnes isolées, il leur permet de créer leurs propres cellules.

Les mosquées

Le débat religieux intégriste ne se mêne plus seulement dans les institutions traditionnelles de la diaspora et échappe aux érudits. Cette sécularisation a entraîné l’abandon des valeurs traditionnelles, de sorte qu’elles n’exercent plus d’influence modératrice ni ne permettent d’autres interprétations qui pourraient enrayer le processus de radicalisation. Les intégristes rejettent les enseignements des oulémas savants qu’ils qualifient d’apostats et les religieux et les érudits traditionnels accusent les éléments radicaux de « détourner » l’islam au profit de leurs objectifs politiques. Selon certains signes, les traditionalistes ont commencé à s’occuper du problème.

Les organisations musulmanes modérées au Canada ont désavoué les remarques extrémistes et provocatrices de Younus Kathrada, professeur àun centre islamique de Vancouver, et de Mohammed al-Masri. Kathrada a reçu un entraînement en Arabie saoudite, où les religieux et les enseignants adhèrent à l’interprétation wahhabite stricte, intolérante et militante du Coran. De nombreux enseignants et religieux radicaux qui viennent en Occident sont financés par des Saoudiens par l’entremise d’organismes de bienfaisance islamiques. Malgré les mesures répressives prises par les autorités saoudiennes contre ces bailleurs de fonds, le fait que de nombreuses organisations arabes et musulmanes en Occident dépendent d’un financement de l’extérieur les rend vulnérables à l’influence et à la rhétorique incendiaire des religieux extrémistes et de leur propagande. Des personnalités charismatiques comme Abou Hamza al-Masri, qui a pris la direction de la mosquée de Finsbury Park au Royaume-Uni, qui était autrefois modérée, prêchent une interprétation wahhabite intolérante du Coran qui incite les musulmans à commettre des actes de violence. Selon des informations non confirmées, Khan était lié à la mosquée de Finsbury Park.

Tandis que les religieux traditionnels et radicaux ont exhorté des milliers de jeunes musulmans à se joindre au jihad en Afghanistan pour défendre une terre musulmane, les intégristes radicaux se sont servis des mosquées dans la diaspora pour donner leur approbation implicite et explicite aux attentats du 11 septembre, de Madrid et de Londres, de même que ceux en Jordanie, à Bali et ailleurs. Le témoignage fait par Abou Hamza lors de son procès a fourni la preuve qu’il avait encouragé, pardonné et légitimé les attentats suicide comme un moyen de mener le jihad contre les régimes musulmans apostats et l’Occident. Toutefois, les lois sur la liberté d’expression de plusieurs pays occidentaux font qu’il est difficile d’empêcher de tels points de vue d’attirer les personnes facilement influençables vers l’intégrisme.

Conclusion

Malgré les revers qu’il a essuyés en Afghanistan après le 11 septembre 2001, al-Qaïda s’est transformé en une organisation floue, mal structurée et décentralisée, qui utilise l’Internet et d’autres technologies des communications pour influencer et diriger un réseau d’organisations terroristes islamistes dévouées au jihad salafiste mondial. Le processus de radicalisation a nécessité de nouvelles stratégies et technologies pour propager et exploiter les vieux griefs. Même si le processus de transformation est graduel et différent pour chaque personne, l’idéologie intégriste radicale a attiré des musulmans de divers horizons auxquels elle offrait ce qu’ils ont perçu comme des avantages, par exemple la confiance en soi, l’admiration des autres, des émotions fortes et le sentiment d’avoir un but, de même que les sentiments de solidarité et de camaraderie. Al-Qaïda a obtenu un certain succès dans la bataille visant à rallier les musulmans à la cause, mais sa capacité d’attirer de nouvelles recrues dépendra de sa capacité de continuer à créer et à entretenir l’idée positive que la violence est une stratégie durable pour favoriser l’atteinte des objectifs du salafisme mondial malgré ses effets négatifs sur la oumma musulmane et de gérer les conflits internes, les tensions et les rivalités entre les jihadistes21.

Angela Gendron
Université Carleton, Ottawa

 

Notes en fin de texte

  1. Adaptation d’une définition donnée dans le rapport du ministère néerlandais de l’Intérieur et des Relations du Royaume intitulé « From Dawa to Jihad: The Various Threats from Radical Islam to the Democratic Legal Order », 2005, p. 13.
  2. Gilles Keppel, « The War for Muslim Minds: Islam and the West », Cambridge, Belknap, 2004.
  3. Olivier Roy, « Globalised Islam: The Search for a New Ummah », New York, Columbia University Press, 2004.
  4. Faisal Devji, « Landscapes of the Jihad », New York, Cornell University Press, 2005.
  5. Sayyid Qutb, pendu en 1966 par les autorités égyptiennes pour ses prédications subversives et son complot présumés contre le régime nationaliste de Gamal Abdel Nasser.
  6. Mohamed ibn Abd al-Wahhab (1703-1791), fondateur du wahhabisme, doctrine religieuse puritaine qui a vu le jour en Arabie saoudite au 18e siècle et qui prêche une adhérence stricte aux valeurs islamiques, l’orthodoxie religieuse et des pratiques rituelles convenables, plus particulièrement en ce qui concerne l’isolement des femmes. Les adhérents de cette doctrines sont des salafistes.
  7. Sayyid Qutb, Milestones Cedar Rapids, Iowa : The Mother Mosque Foundation, n.d, p.65.
  8. Marc Sageman, « Understanding Terror Networks », University of Pennsylvania Press, 2004, p.1 .
  9. Olivier Roy, « Globalised Islam ».
  10. Dale Ekelman et James Picatori, « Muslim Politics », Princeton University Press, 1996
  11. « From Dawa to Jihad », p. 33.
  12. Marc Sageman, « Understanding Terror Networks », chap. 3.
  13. Article d’un média saoudien, « Catching them Young » du 29 septembre 2005.
  14. Dr. Muhriz al-Husseini, directeur du Center for Dialogue and Research, rédacteur en chef de l’al-Minassa al-Arabiya, in MEMRI Special Dispatch Series, no 1105, 3 mars 2006.
  15. Stewart Bell, « Terror Cell Suspects Named », The National Post, 11 novembre 2005.
  16. Olivier Roy, « Globalized Islam »
  17. Bernard Lewis, « What Went Wrong », Oxford University Press, 2002 et « The Crisis of Islam: Holy War, Holy Terror », New York, Random House, 2003.
  18. Marc Sageman, « Understanding Terror Networks »
  19. Lettre à l’intention de Noel Young, journaliste du magasine juridique écossais The Firm, rédigée le 24 octobre 2004 par Reid depuis sa cellule carcérale en Amérique.
  20. J.Victoroff, Ed., « The Psychology of Terrorism: Proceedings from a NATO Advanced Research Workshop », Tuscany, 2005.
  21. Fawaz A Gerges, « The Far Enemy: Why Jihad Went Global », Prologue 15, Cambridge University Press, 2005.

 


Date de modification : 2006-07-12

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