Volume 22-20
15 octobre 1996
[Table
des matières]
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CAS DE PALUDISME À P. FALCIPARUM MORTEL CHEZ DES VOYAGEURS CANADIENS
Introduction
Le paludisme continue d'être une cause importante de mortalité partout
dans le monde; on estime en effet que cette maladie est responsable de
1,5 à 3,5 millions de décès chaque année (1,2). En raison de la multiplication
des voyages internationaux et des mouvements d'immigration, le paludisme
importé est devenu aujourd'hui un problème de plus en plus courant dans
nombre de pays développés, dont le Canada (3-6). Chaque année, environ
3 millions de Canadiens font des voyages à l'étranger, et bon nombre d'entre
eux vont dans des zones où le paludisme est endémique ou rentrent de telles
zones (7). La majorité de ces voyageurs comptent sur leur médecin de famille
pour obtenir de l'information exacte sur la prévention du paludisme, les
mesures de protection personnelle requises contre les piqûres de moustiques
et la chimioprophylaxie appropriée (6).
Environ 90 % des voyageurs qui contractent le paludisme ne deviennent
symptomatiques qu'après leur retour au Canada (3). Les délais dans le
diagnostic et le traitement se traduisent par une augmentation de la morbidité
et de la mortalité dues au paludisme, qui peut progresser du stade asymptomatique
au stade létal en aussi peu de temps que 36 à 48 heures (2,3). De plus,
la mortalité associée à la forme grave de la maladie est égale >= 30
%, même chez des adultes auparavant en bonne santé traités dans des unités
de soins moyennement intensifs. Il importe donc, si l'on veut prévenir
les décès dus au paludisme importé, de reconnaître rapidement les cas,
d'identifier correctement l'espèce plasmodiale et d'assurer une prise
en charge initiale appropriée des patients. Toutefois, des études récentes
indiquent que plusieurs problèmes rendent plus difficiles la reconnaissance
et la prise en charge des cas de paludisme dans les zones non endémiques,
dont le Canada (4,6). Les prochains paragraphes décrivent deux cas où
l'issue a été fatale.
Premier cas
Un homme de race blanche âgé de 66 ans, jusque-là en bonne santé, s'est
rendu dans le sud de l'Afrique, où il a notamment visité le Parc national
Krueger et les chutes Victoria au Zimbabwe. Il n'avait pas consulté de
médecin avant de quitter le Canada; toutefois, il a commencé à prendre
du proguanil et de la chloroquine comme traitement chimiosuppressif après
avoir quitté Johannesburg pour se rendre au Zimbabwe. Il n'a pas ressenti
de malaise pendant son séjour en Afrique et il a cessé de prendre les
médicaments chimiosuppressifs peu après son arrivée au Canada, le 5 avril
1996, à cause de dérangements gastro-intestinaux. Une semaine plus tard
environ, différents symptômes ont fait leur apparition : nausées, anorexie
et céphalées. Pas de fièvre, cependant. Le matin du 19 avril 1996, on
a constaté que le patient était réfractaire au traitement et incontinent.
On l'a transporté dans un hôpital local. Il était afébrile, souffrait
de désorientation, de tachypnée et de fibrillation auriculaire. Les examens
hématologiques initiaux révélaient une hypoglycémie et une acidose. Aucun
hémogramme complet n'a été effectué à cette étape. Le patient a été transféré
dans un hôpital régional plus important, où un hémogramme complet et un
frottis ont été exécutés; le premier a révélé un nombre de plaquettes
atteignant 21 milliards/L, et le second une parasitémie par Plasmodium
falciparum de l'ordre de 50 % environ. On ne disposait pas de quinidine
pour administration parentérale : on a donc administré au patient une
dose de 1 500 mg de méfloquine per os et trois comprimés de Fansidar ®.
Dix heures plus tard, le patient a été transporté dans un hôpital régional
de soins tertiaires pour un traitement parentéral du paludisme à P.
falciparum. À son arrivée à l'hôpital, le malade était comateux et
souffrait d'insuffisance rénale grave. La pharmacie de l'hôpital de soins
tertiaires ne conservait plus de quinidine à usage parentéral, mais l'hôpital
a pu recevoir de la quinine injectable par voie intraveineuse (IV) de
toute urgence d'Ottawa. On a soumis le patient à une exsanguinotransfusion
et on lui a administré de la quinine pour administration parentérale et
de la doxycycline. En dépit de ce traitement, le patient a sombré dans
un coma dépassé et est mort le jour suivant. L'autopsie a confirmé le
diagnostic de paludisme cérébral, dont on pouvait observer les manifestations
typiques.
Deuxième cas
Un femme de 45 ans de race blanche, en bonne santé jusque-là, s'est rendue
au Niger avec son mari et ses trois enfants, et a séjourné dans ce pays
pendant 1 mois, soit entre décembre 1995 et janvier 1996. Avant son départ,
elle avait consulté son médecin de famille au sujet de son voyage et celui-ci
lui avait prescrit de la chloroquine en guise de traitement chimiosuppressif.
Elle et sa famille ont suivi le traitement, mais n'ont pris aucune mesure
de protection personnelle, comme utiliser des insectifuges ou dormir sous
des moustiquaires de lit.
Trois semaines après son arrivée au Niger, la patiente s'est mise à ressentir
un malaise général et à souffrir de diarrhée aqueuse et non sanglante
ainsi que de maux de dos. Quand elle a commencé à faire de la fièvre,
à avoir des frissons et des raideurs et à délirer, un médecin local l'a
examinée. En dépit d'un diagnostic présumé de paludisme, on l'a d'abord
traitée en lui administrant un analgésique et du diazépam. Un frottis
sanguin (gouttes épaisses), dont on a connu les résultats le jour suivant,
a mis en évidence une infection par P. falciparum. De nouveaux
symptômes, état de confusion et ictère, sont alors apparus. On a soumis
la patiente à une fluidothérapie intraveineuse et on lui a administré
de la chloroquine par voie parentérale. Après une réponse transitoire,
la patiente a sombré dans le coma et est morte 2 jours plus tard de paludisme
cérébral. L'autopsie, effectuée après l'arrivée de la dépouille au Canada
3 semaines plus tard, a confirmé le diagnostic de paludisme à P. falciparum.
De retour à Toronto, les trois enfants ont commencé à présenter les symptômes
d'une infection à P. falciparum. À leur admission à l'hôpital, ils présentaient
une parasitémie de l'ordre de 0,5 % à 3 %. Chacun a été traité par la
quinine (600 mg per os trois fois par jour pendant 3 jours) et par la
doxycycline (100 mg deux fois par jour pendant 7 jours). Pour tous les
trois, le traitement a mis du temps à agir et les frottis sanguins ne
se sont négativés qu'au bout de 5 jours. Les frottis de contrôle effectués
au 28 e jour étaient négatifs pour les trois malades.
Commentaires
Ces cas illustrent des problèmes importants auxquels se heurtent la prévention,
le diagnostic et le traitement du paludisme à P. falciparum chez
les voyageurs canadiens.
Conseils appropriés à l'intention des voyageurs : Il est essentiel
que l'on donne aux voyageurs canadiens des conseils appropriés sur les
mesures de protection personnelle requises contre les piqûres de moustique
et sur la chimiosuppression du paludisme avant leur départ. Une étude
récente sur des Canadiens ayant contracté le paludisme indiquait que la
majorité des voyageurs avaient consulté leur médecin de famille avant
de quitter le pays (6). Dans bien des cas, le médecin avait prescrit une
chimioprophylaxie inadéquate et peu de voyageurs avaient été invités par
leur médecin à prendre des mesures de protection personnelle. Étant donné
les changements constants dans la résistance aux antipaludéens, bon nombre
de médecins ne réussissent pas à se tenir au courant des dernières recommandations
en matière de chimiosuppression, celles-ci changeant rapidement. À moins
que les médecins ne soient disposés à se tenir à l'affût de l'évolution
de la situation, les voyageurs ont intérêt à consulter un spécialiste
de la médecine des voyages ou de la médecine tropicale pour obtenir de
l'information à jour sur les mesures de protection contre le paludisme.
La chloroquine n'est plus efficace pour la prévention du paludisme à
P. falciparum dans la plupart des pays où le paludisme est endémique,
à l'exception de l'Amérique centrale, des Antilles et d'une partie de
moins en moins grande du Moyen-Orient. Le traitement chimiosuppressif
associant chloroquine et proguanil n'a une efficacité que de 60 % à 70
% en Afrique subsaharienne. La méfloquine en prise hebdomadaire ou la
doxycycline en prise quotidienne continuent d'offrir une bonne protection
contre le paludisme à P. falciparum pharmacorésistant dans la plupart
des zones impaludées, sauf aux frontières de la Thaïlande avec le Myanmar
(Birmanie) et le Cambodge.
Traitement non fiable dans les pays en développement : Le traitement
médical reçu dans un pays en développement peut ne pas être valable, étant
donné surtout que les voyageurs non immuns représentent une population
de patients que connaissent mal les professionnels de la santé de ces
pays. De plus, dans nombre de régions éloignées, on n'a pas accès à des
services de laboratoire pour l'établissement du diagnostic ni aux médicaments
appropriés. Dans le deuxième cas décrit ci-dessus, le traitement du paludisme
présumé a été reporté et la prise en charge initiale de la patiente non
immune infectée par P. falciparum était inadéquate.
Diagnostic précoce et traitement approprié : La détection précoce
de la maladie et la prise en charge appropriée des personnes atteintes
peuvent aider à prévenir les cas de paludisme importé et les décès qui
peuvent s'en suivre (3,6-9). Les délais dans le diagnostic et le traitement
peuvent se traduire par une augmentation du risque de complications et
de décès dû au paludisme (9,10). Lorsqu'un voyageur qui revient au pays
ou un immigrant arrivé depuis peu au Canada souffre de fièvre, on doit
suspecter un cas de paludisme, et plus particulièrement une infection
à P. falciparum, jusqu'à preuve du contraire. Le fait que les médecins
négligent de se renseigner sur les déplacements de leurs patients est
la principale cause des délais dans le diagnostic du paludisme. Les issues
déplorables sont le plus souvent attribuables à une mauvaise évaluation
par le médecin de la gravité et des complications potentielles de cette
infection mortelle. Le paludisme à P. falciparum chez un patient non immun
constitue une urgence médicale et requiert généralement l'hospitalisation
du patient pour sa prise en charge initiale et le suivi (11).
Accès aux médicaments appropriés : L'Organisation mondiale de
la santé et l'Institute of Medicine ont reconnu le paludisme pharmacorésistant
comme une maladie infectieuse en recrudescence et une menace pour la santé
partout dans le monde (12,13). La reconnaissance du paludisme en tant
que maladie due à un pathogène émergent nécessite l'accès à des médicaments
d'urgence pour le traitement de l'infection paludéenne grave dans les
zones non impaludées. Le gluconate de quinidine demeure le traitement
de choix des cas de paludisme aigu ou compliqué partout en Amérique du
Nord (11). Avec le remplacement de la quinidine par de nouveaux agents
antiarrhytmiques pour le traitement des problèmes cardiaques, certains
hôpitaux et établissements de santé ont éliminé le gluconate de quinidine
de leur formulaire. Les Centres for Disease Control and Prevention,
à Atlanta, ont signalé que les délais dans l'obtention de gluconate de
quinidine pour le traitement parentéral avaient sans doute joué un rôle
dans deux cas récents de décès par paludisme à P. falciparum (14).
Aucun des trois hôpitaux où le patient a été admis, dans le premier cas
décrit ci-dessus, n'avait de gluconate de quinidine pour administration
parentérale dans son formulaire. Bien qu'il soit possible d'obtenir le
médicament de remplacement pour le traitement de l'infection paludéenne
grave, soit le dichlorhydrate de quinine, par le truchement du Programme
de médicaments d'urgence, il peut se produire des délais inacceptables
dans l'acquisition de ce médicament à un moment où celui-ci est requis
de toute urgence. Les directeurs chargés des formulaires des hôpitaux
doivent coordonner leurs efforts avec ceux de l'industrie afin d'assurer
un accès immédiat aux médicaments requis pour le traitement par voie parentérale
du paludisme grave.
Conclusion
Avec la résurgence du paludisme partout dans le monde, l'accroissement
de la résistance aux médicaments et l'augmentation des déplacements et
de l'immigration, le nombre de cas de paludisme pharmacorésistant importé
au Canada va continuer de progresser. Pour prévenir les décès par paludisme,
il importe de donner aux voyageurs de l'information exacte sur la prévention
du paludisme à l'aide de mesures de protection personnelle et sur la chimiosuppression
du paludisme. Comme ces mesures n'assureront jamais une protection totale,
il est essentiel que les médecins au Canada soient capables de diagnostiquer
le paludisme, de demander d'urgence des frottis de détection du paludisme
et d'entamer promptement un traitement approprié afin de prévenir les
décès dus au paludisme importé.
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Source :
Drs S Sharma, A Humar, KC Kain, Tropical Disease Unit,
Division of Infectious Diseases, University of Toronto et The Toronto
Hospital, Toronto (Ontario); Dr D Zoutman, Medical Microbiology
and Infectious Disease, Kingston General Hospital, Kingston (Ontario).
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