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Commentaire N° 33

Le commerce des armes aujourd'hui

M. R. Purver

Juillet 1993
Non classifié

Précis : L'auteur brosse un tableau du commerce mondial des armes, puis examine les avantages et les désavantages liés aux transferts d'armements. Il analyse ensuite le rôle du Canada dans ce domaine et dans celui de la réglementation de l'industrie de l'armement. Juillet 1993. Auteur : M. R. Purver.

Note du rédacteur : Dans ce numéro de Commentaire M. Ron Purver, anciennement un des chercheurs principaux à l'Institut canadien pour la paix et la sécurité internationales, présente le pour et le contre du transfert d'armements et un aperçu du commerce mondial dans ce domaine. À la lumière de ces analyses, il conclut en discutant du rôle du Canada et des perspectives d'avenir de ce commerce.

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


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Le commerce international des armes n'a rarement et peut-être jamais attiré autant l'attention mondiale qu'à l'heure actuelle. Pourtant, toutes les sources habituelles de statistiques en la matière conviennent qu'au cours des dernières années, le commerce global dans ce secteur a diminué de façon marquée, tant sur le plan de la quantité que de la valeur. Alors, pourquoi la question nous préoccupe-t-elle? Pourquoi des gouvernements du monde entier cherchent-ils, depuis quelques années, à réfréner ce commerce par divers moyens? En fait, la réponse réside plus dans le genre d'armes vendues et dans les États qui s'en portent acquéreurs que dans le volume total.

La valeur totale des ventes internationales d'armes a constamment augmenté entre 1965 et 1984; elle est passée d'environ 20 milliards de dollars par année à 74 milliards. Cependant, en 1989, elle est tombée à 52 milliards de dollars. Cette baisse est généralement attribuée à des facteurs tels que la dette croissante du tiers monde, la chute des prix du pétrole, la récession mondiale et la fin de la guerre Irak-Iran. Selon des études plus récentes, cette tendance se maintient. Par exemple, la valeur des exportations des principales armes classiques n'a cessé de diminuer; elle correspondait à 22,1 milliards de dollars, en 1991, par rapport à 45,9 milliards, en 1987. La baisse des exportations vers le tiers monde est encore plus notable, celles-ci étant passées de 32,2 milliards, en 1987, à seulement 12,3 milliards, en 1992. Les nouveaux marchés conclus en 1990 représentaient de plus grosses sommes en raison de la guerre du Golfe, mais la tendance générale à la baisse a repris dès 1991.

tableau 

Le Moyen-Orient demeure de loin le principal acquéreur d'armes. Sa part des importations mondiales d'armes a à peu près doublé de 1965 à 1972, puis doublé encore en 1973, lors de la guerre du Kippour; le volume est demeuré assez stable dans les années 80, mais sa valeur s'est accrue. Entre 1965 et 1989, quatre des cinq grands importateurs de biens et de services militaires étaient du Moyen-Orient (Irak, Arabie Saoudite, Syrie et Libye).

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Les fournisseurs

Le marché international de l'armement est concentré, dans le cas des fournisseurs comme des clients. En ce qui concerne le premier groupe, les exportations d'armes des deux superpuissances ont atteint à elles seules, en 1979, 70,8 p.100 du total mondial. Depuis quelques années, la part des cinq premières puissances (les deux superpuissances, la France, le Royaume-Uni et la Chine) correspond à environ 86 p. 100 du total mondial, et celle des huit premières, à 92 p. 100 au moins.

Les États fournisseurs ont toujours été répartis en trois groupes. Le premier ne comptait que les superpuissances, qui étaient considérées comme les seuls États avec une demande suffisante pour réaliser des économies d'échelle dans toute la gamme des armes les plus perfectionnées et les seuls à utiliser la vente d'armes à un taux favorable en tant qu'instrument de la politique étrangère pendant la guerre froide. De 1979 à 1989, les exportations mondiales d'armes des Soviétiques, surtout vers le tiers monde, ont toujours dépassé celles des Américains. Cependant, la situation a changé radicalement en 1990, l'éclatement de l'URSS étant imminent. Le total des exportations soviétiques des principales armes classiques est tombé de 14,9 milliards de dollars (38,9 p. 100 du total mondial), en 1989, à seulement 3,9 milliards (17,8 p. 100), en 1991. Pendant la même période, les exportations américaines ont diminué légèrement, mais elles représentaient une plus grande proportion du total mondial, car elles sont passées de 31,3 p. 100, en 1989, à 50,6 p. 100, en 1991.

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Les fournisseurs du deuxième groupe, normalement la France, le Royaume-Uni et la Chine, sont également en mesure de fournir continuellement des armes à la fine pointe de la technologie. Toutefois, compte tenu de l'importance moindre de leurs marchés nationaux, ils dépendent beaucoup plus que les superpuissances de leurs exportations, lesquelles seraient presque entièrement fonction de considérations commerciales.

Enfin, il existe un troisième groupe de fournisseurs, composé de petits pays de l'Europe et du tiers monde, apparemment des participants marginaux et irréguliers. Cependant, comme le signale un auteur, certains d'entre eux peuvent influer sur le risque de conflits dans des régions du tiers monde, puisqu'ils sont disposés, et presque uniquement pour des raisons commerciales, à fournir des armes, même celles que d'autres fournisseurs refuseraient de vendre (Richard F. Grimmett 1992, Conventional Arms Transfers to the Third World, 1984 to 1991, Washington (DC), United States Library of Congress, Congressional Research Service, rapport nº 92-577 F, 21 juillet 1992, p. 7).

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Les clients

Comme dans le cas des exportations, les importations d'armes sont très concentrées. De 1965 à 1989, l'Irak était, et de loin, le principal acquéreur de biens et de services militaires (93 milliards de dollars); venaient ensuite l'Arabie Saoudite (62 milliards), l'Iran (51 milliards), puis le Vietnam, la Libye et la Syrie (46 milliards respectivement). En 1989, les importations d'armes de l'Arabie Saoudite ont dépassé celles de l'Irak. En 1991, la valeur des marchés conclus entre l'Arabie Saoudite et les États-Unis excédait celle de tous les marchés conclus entre l'Union soviétique et le tiers monde.

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Le pour et le contre du commerce des armes

Sans aucun doute, les tentatives visant à contrôler le commerce international d'armes découlent encore en partie de la conviction que les «marchands de la mort» étaient responsables du déclenchement de la Première Guerre mondiale et d'autres conflits passés. Certes, des éléments puissants de l'opinion publique en Occident semblent s'opposer en principe à l'exportation des armes, pour des raisons d'ordre éthique. Néanmoins, la plupart des gouvernements du monde tiennent depuis longtemps le commerce des armes pour un instrument parfaitement légitime de leur politique étrangère, avantageux autant pour le fournisseur que pour le client. Bien entendu, du point de vue de ce dernier, tout État a le droit souverain et inaliénable d'assurer sa propre défense, quel que soit le moyen.

Par ailleurs, des considérations de souveraineté nationale motivent de nombreux États fournisseurs, qui estiment absolument essentiel de maintenir une infrastructure industrielle de défense saine pour leur sécurité, voire leur survie. Une fois mise sur pied, l'industrie de la défense peut jouer un rôle important dans l'économie du pays, c'est-à-dire favoriser l'emploi, promouvoir la haute technologie et (du moins au Canada) contribuer à réduire les écarts régionaux.

En ce qui concerne les politiques étrangères, les exportations d'armes ont toujours servi à des fins géopolitiques, pour lier le client au fournisseur, que ce soit de manière générale, ou encore, pour que ce dernier puisse avoir accès à des installations militaires précises (les superpuissances n'étaient pas les seules à exploiter la situation). Les fournisseurs peuvent aisément invoquer comme argument que le commerce d'armes offre certains avantages : il permet à des États assez stables et non agressifs d'assurer leur propre défense, minimisant la nécessité d'une présence militaire étrangère; il équilibre les forces régionales, prévenant ainsi des actes d'hostilité; il exerce une influence politique sur les agissements des clients, afin de contenir leurs tendances agressives ou expansionnistes possibles. Par le passé, un approvisionnement régulier en armes classiques a parfois été jugé nécessaire pour dissuader certains États d'acquérir des armes de destruction massive.

Dans le climat actuel, il faut néanmoins se rendre à l'évidence que la plupart des fournisseurs ne sont le plus souvent motivés que par des considérations purement économiques. Par exemple, un représentant de l'industrie américaine a fait remarquer que la vente, annoncée récemment, de 72 chasseurs F-15 à l'Arabie Saoudite injecterait rapidement 5 milliards de dollars dans l'économie, réduirait le déficit des États-Unis et procurerait 40 000 emplois dans l'industrie de l'aérospatiale américaine et un nombre correspondant d'emplois dans les autres secteurs de l'économie, sans pour autant que les contribuables n'aient à débourser davantage (Thompson, 1992, cité dans Conventional Arms Transfers : Approaches to Multilateral Control in the 1990's, de John M. Lamb et Jennifer L. Moher, Centre canadien pour le contrôle des armements et le désarmement, Ottawa, série Aurora Papers, n· 13, septembre 1992. p. 16). L'absence de mesures internationales coordonnées visant à limiter les ventes éventuelles d'armes donne beaucoup de poids à ces arguments puisque, si un pays limite ses exportations, un autre s'empressera de combler le vide.

Il arrive que le commerce des armes serve vraiment à équilibrer les forces régionales et permette de modérer ou de prévenir des conflits locaux. Il peut cependant tout aussi bien aggraver des conflits, en les prolongeant ou en les rendant plus destructeurs, ainsi que créer un climat d'instabilité dans une région, en favorisant une course aux armements susceptible d'inciter des rivaux éventuels à engager des dépenses inutiles; il peut même, dans les cas extrêmes, précipiter les hostilités qu'il était censé prévenir. De surcroît, il est largement considéré comme un obstacle au développement économique et social, les fournisseurs d'armes étant fréquemment accusés du fait que presque un cinquième des pays en développement du monde consacrent plus d'argent à leurs armées qu'à leurs programmes d'éducation et de santé réunis.

La Somalie et l'Angola sont deux pays généralement cités en exemple lorsqu'il est question de violence locale considérablement aggravée par l'acquisition de grande quantité d'armes de l'étranger. Dans le premier cas, l'Union soviétique et les États-Unis ont été les principaux fournisseurs, les Soviétiques au cours des années 70, et les Américains, durant la décennie suivante. Malgré l'embargo international sur les armes visant ce pays depuis 1991, des armes légères ont été achetées en grand nombre au marché noir éthiopien.

Deux points ressortent de ce dernier fait : 1) l'importance croissante du marché clandestin d'armes; 2) le peu d'attention accordée au commerce d'armes légères, de munitions, d'explosifs et ainsi de suite. Il se passe rarement une journée sans que ne soient rapportés des trafics frauduleux d'armes ou de technologies militaires. Au cours des derniers mois, par exemple, la Russie a été accusée de vendre de grande quantités d'armes à la Serbie, violant ainsi l'embargo international visant l'ex-Yougoslavie; on a appris que le service de renseignement militaire allemand avait expédié illicitement en Israël 82 genres d'armements de provenance soviétique; Israël aurait fourni des données technologiques sur le système de défense ATBM Patriot à la Chine afin d'obtenir des informations sur les missiles balistiques vendues par cette dernière à des pays du Moyen-Orient. L'étendue globale de ce marché noir n'est pas considérable (selon une source, celui-ci représenterait jusqu'à 10 milliards de dollars de plus que le marché légal annuel de quelques 50 milliards de dollars). Cependant, sa portée peut se révéler très importante dans les cas du transfert de technologies très délicates, de l'approvisionnement de pays visés par un embargo et de la vente d'armes légères, dont beaucoup ont servi à tuer la plupart des combattants et des civils lors de conflits régionaux «mineurs».

Un facteur important pousse dernièrement les principaux États occidentaux à contrôler le commerce international des armes : le perfectionnement constant des armes fournies au tiers monde. Cette situation pose des problèmes autant sur le plan des interventions militaires à venir des États fournisseurs dans les régions en cause que de la menace éventuelle (avions à grand rayon d'action et missiles à longue portée) pour leurs propres pays. Même si le commerce des armes se justifie en tant que moyen de réduire les interventions militaires à l'étranger, il peut d'autre part accroître le coût de celles-ci, le cas échéant, puisque les forces occidentales devront affronter des adversaires mieux armés dans les conflits du tiers monde. En 1960, un seul pays en voie de développement possédait un avion supersonique, six, la technologie des missiles, et 32, des chars; vers le milieu des années 80, ces chiffres sont passés à 55, 71 et 60, respectivement.

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Armes et pays suscitant des préoccupations

La plupart des inquiétudes des dernières années à l'égard de la prolifération des armements perfectionnés portaient sur la technologie des missiles balistiques; elles étaient telles que même ces derniers en sont venus à être qualifiés d'armes de destruction massive, alors qu'ils ne sont en fait que les vecteurs de ce type d'armes et n'ont servi jusqu'ici qu'à transporter des explosifs classiques. Entre 14 et 18 pays du tiers monde possèdent maintenant ce genre de missiles et, d'ici au début du siècle prochain, ce nombre pourrait atteindre 25 ou plus. Seulement quelques États en voie de développement sont actuellement capables de produire des missiles assez perfectionnés, mais, selon une hypothèse, au moins six pays du tiers monde devraient posséder, d'ici à l'an 2000, des missiles balistiques d'une portée de 3 000 à 5 500 km. De l'avis de certains analystes, la menace croissante que constitue ce genre de missiles pour les alliés des États-Unis, en Europe et en Asie, pourrait très bien dissuader ces derniers de prendre part à des opérations comme la guerre du Golfe. Également tenue pour très menaçante est la prolifération des armes suivantes : avions de frappe perfectionnés, missiles de croisière, sous-marins modernes, systèmes intégrés de défense aérienne (IADS) et munitions à létalité accrue, tels les explosifs gazeux.

Depuis quelques années, un certain nombre de pays jugés irresponsables dans leurs importations ou leurs exportations d'armes suscitent la plupart des inquiétudes liées au commerce des armes. Dans la catégorie des importateurs entrent habituellement des États comme l'Irak, la Libye, la Syrie, la Corée du Nord ou l'Iran, accusés de prendre part au terrorisme international et de constituer une menace pour leurs voisins. À l'heure actuelle, on craint beaucoup les ambitions régionales de l'Iran radical. Selon un rapport, ce pays a commandé, depuis 1988, des armes d'une valeur de 6 milliards de dollars à l'URSS ou à la Russie, comprenant des chars, des avions et, ce qui inquiète particulièrement la marine des pays occidentaux, trois sous-marins d'attaque classiques de classe Kilo, à propulsion diesel.

D'autre part, au nombre des fournisseurs déloyaux, ou pouvant l'être, figurent, semble-t-il, les États de l'ex-URSS, la Chine et la Corée du Nord. L'effondrement de l'Union soviétique a suscité de nouvelles craintes concernant le contrôle insuffisant des exportations des nouveaux États ainsi que des doutes quant à leur capacité à mettre en oeuvre de nouveaux contrôles ou à appliquer ceux qui sont déjà en place. Par exemple, on a signalé à diverses reprises que des groupes d'anciens représentants du Parti communiste et d'officiers procédaient à des ventes non approuvées d'équipements militaires, que des manufactures d'armes ont profité du degré d'autonomie sans précédent pour vendre leurs produits et que trois villes russes, dépendant beaucoup de leur industrie de défense, ont été autorisées à conclure leurs propres marchés.

En outre, les dirigeants des anciens États soviétiques ont volontiers saisi l'occasion fournie par la vente d'armes pour acquérir les devises fortes qui leur sont si précieuses, maintenir une infrastructure industrielle de défense et aider à financer la transformation des autres manufactures d'armes qui seront exploitées à des fins civiles. Certains représentants russes espèrent apparemment que la valeur de leurs exportations d'armes finira par atteindre entre 15 et 30 milliards de dollars par année. Les dirigeants de l'Ukraine, de la Biélorussie et du Kazakhstan, ayant tous une industrie de défense importante, ont fait part de sentiments semblables. Le regain d'intérêt des Russes à l'égard du commerce des armes inquiète particulièrement, d'autant plus que ceux-ci sont prêts à vendre les plus perfectionnées de leur arsenal. Néanmoins, on doute beaucoup que la Russie et d'autres États de l'ex-URSS soient en mesure d'atteindre les objectifs de vente ambitieux qu'ils se sont fixés, puisqu'ils ont perdu leurs principaux clients (Irak, à cause de l'embargo, et d'autres, en raison de leurs ressources financières insuffisantes) et n'accordent plus, comme par le passé, les crédits et les subventions qui permettaient à divers États d'acheter leurs armes.

Parmi les pays suscitant des préoccupations se trouvent aussi la Chine et la Corée du Nord. Tous deux sont considérés depuis longtemps comme des exportateurs d'armes irresponsables, disposés à vendre n'importe quoi à n'importe quel État, même si le régime de celui-ci est condamnable; ils ne respectent pas non plus les ententes internationales ou les engagements auxquels ils ont souscrit. La Chine a particulièrement attiré l'attention au cours des dernières années parce qu'elle a vendu toute une gamme de systèmes de missiles à des pays du tiers monde, dont des missiles balistiques de moyenne portée à l'Arabie Saoudite, au Pakistan et peut-être à la Syrie. Ce type d'arme constitue également la principale source de préoccupation dans le cas de la Corée du Nord, qui a vendu deux genres de missiles Scud, notamment à l'Iran et à la Syrie.

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Tentatives récentes de contrôle

La guerre du Golfe a fortement incité les États, à l'échelle internationale, à tenter de contrôler le commerce des armes classiques. Lors d'une réunion tenue à Londres, en octobre 1991, les cinq membres permanents (5MP) du Conseil de sécurité de l'ONU ont convenu d'une série de directives visant le commerce de l'armement classique; ils affirmaient que celles-ci préviendraient des ventes qui, entre autres, seraient susceptibles de prolonger ou d'aggraver un conflit armé en cours, de faire entrer des moyens militaires déstabilisateurs dans une région donnée ou de fournir des armes qui serviraient à une autre fin qu'à la défense ou à la protection légitime de l'État acquéreur.

Les directives, nullement obligatoires, ont presque aussitôt été qualifiées de vagues et d'inapplicables. Par exemple, elles ne définissent pas ce qu'on entend par arme déstabilisatrice. Des informations sur les ventes antérieures ont déjà été échangées, mais les 5MP n'ont pas réussi, lors des réunions, à s'entendre sur la question d'un avis préalable à toute nouvelle vente d'armes. Même si la Chine était, semble-t-il, le principal opposant à ce point de la première proposition des États-Unis, d'autres participants auraient également fait des réserves à ce propos : deux ont souligné la nécessité de nouvelles lois, et deux ou trois, celle de renégocier d'abord une longue liste d'accords bilatéraux de non-divulgation.

Lors de la réunion de février 1992, à Washington, la Chine a été la seule à proposer des restrictions proprement dites aux ventes d'armes classiques, une motion à laquelle se sont opposés surtout les États-Unis. En outre, on a critiqué le fait que Washington ait négocié de nouveaux marchés d'armes, s'élevant à 19,3 milliards de dollars au moins, avec huit pays du Moyen-Orient, depuis les propositions du président Bush, en mai 1991. Les analystes du contrôle de l'armement ont dans l'ensemble qualifié l'initiative des 5MP d'assez inutile; celle-ci n'a probablement pas, selon une étude, permis d'annuler ni de reporter une seule vente d'armes (Lamb et Moher, 1992, p. v).

Les commentateurs ont un peu mieux accueilli le Registre de transfert d'armements de l'ONU, établi par l'Assemblée générale, en décembre 1991. Selon la résolution, les États étaient invités à fournir des données sur le nombre des systèmes d'armes principales importés ou exportés chaque année. L'Assemblée générale accroîtra peut-être la portée du Registre en 1994 (par ex., afin d'y inclure des informations sur les biens militaires et les acquisitions nationales, ainsi que sur d'autres catégories d'équipement).

Les lacunes du Registre sont manifestes : il ne limite pas réellement les ventes d'armes, il ne fait que les rendre plus «transparentes»; il n'englobe pas, à l'heure actuelle, les aspects moins connus du commerce, comprenant les ventes d'armes légères, de composantes, de sous-systèmes, de technologies de production d'armes et d'éléments à double utilisation (SIPRI 1992 : 300); l'inscription des marchés au Registre n'est pas obligatoire; enfin, on est très sceptique au sujet du nombre d'États qui participeront, compte tenu des résultats d'autres tentatives récentes visant à inciter les gouvernements à divulguer des informations sur leurs programmes d'armement. Néanmoins, les partisans du contrôle des ventes d'armes ont bien accueilli le Registre. Selon ceux-ci, le simple fait de consentir à ce que soit révélé ce genre d'informations créerait en quelque sorte un climat de confiance et dissuaderait peut-être certains États, qui veulent éviter de s'attirer une publicité nuisible, de faire ce genre de commerce.

Un moyen de contrôle concret de la prolifération des armes classiques perfectionnées, antérieur à la guerre du Golfe, est le Régime de contrôle de la technologie relative aux missiles (RCTM), établi par le groupe des sept alliés occidentaux (G7) en 1987. Il compte maintenant 23 adhérents et porte sur les missiles balistiques et les missiles de croisière, capables de transporter une charge utile de 500 kg sur une distance d'au moins 300 km, ainsi que sur leurs composantes et les outils utilisés pour leur fabrication. Le programme argentin de missiles Condor 2 a apparemment pris fin grâce au RCTM, qui aurait également ralenti des programmes semblables en Inde et au Brésil. Son étendue est en train d'être accrue dernièrement pour qu'il englobe les systèmes et les composantes pouvant transporter des armes chimiques et biologiques, et d'autres États sont intéressés à y adhérer. Il a cependant fait l'objet de critiques, puisqu'il peut donner lieu à des interprétations contradictoires et qu'il ne prévoit pas de moyen de mise en application. Ses lacunes sont apparues particulièrement dans le cas récent des moteurs-fusées à ergol cryogénique vendus à l'Inde par la Russie, laquelle a nié avoir enfreint les directives (par contre, les États-Unis ont demandé que des sanctions soient imposées).

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Rôle du Canada

Le Canada n'est pas considéré comme un des principaux participants au commerce international des armes, mais son rôle est d'ordinaire qualifié d'important ou du moins de non négligeable. Entre 1987 et 1991, il venait au dixième rang des exportateurs d'armes classiques principales dans le monde industrialisé, mais il ne s'est pas classé parmi les quinze premiers exportateurs mondiaux. Cependant, ces données minimisent considérablement le rôle du Canada, puisqu'une très grande part des produits militaires vendus sont des éléments constituants et du matériel de soutien, plutôt que des systèmes d'armes finis. Prise dans son ensemble, l'industrie canadienne de défense occupe le huitième rang mondial (production d'environ 3 milliards de dollars de matériel militaire par année) et dépend beaucoup de ses exportations (représentant approximativement la moitié de cette somme), surtout vers les É-U. En 1991, les exportations totales se chiffraient à 915,2 millions de dollars (valeur de 726 millions aux É-U, de 131,5 millions à d'autres pays membres de l'OTAN ou de l'OCDE et de 57,7 millions au tiers monde).

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Le Canada est reconnu presque universellement pour avoir mis sur pied l'un des systèmes de contrôle des exportations les plus rigoureux qui soient. Les pays pour lesquels les exportations canadiennes de matériel militaire doivent être étroitement contrôlés sont déterminés en fonction de quatre critères : 1) ceux qui constituent une menace envers la sécurité du Canada et de ses alliés; 2) ceux qui sont mêlés à des conflits ou en sont menacés de façon imminente; 3) ceux qui sont visés par des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU; 4) ceux dont les gouvernements se rendent constamment coupables de violation des droits de la personne dans leur pays, à moins qu'il soit possible de prouver que ces biens ne risquent pas d'être utilisés contre les citoyens.

Les critiques de la politique canadienne sur le commerce des armes dénoncent depuis longtemps le fait que les directives ne soient pas toujours observées, notamment celles qui concernent les pays en conflit, ou encore, accusés de violation des droits de la personne. Les représentants du gouvernement canadien opposent comme arguments que ces ventes ne représentent qu'une faible proportion des exportations totales du pays et que peu, et peut-être aucune, de ces armes peuvent être qualifiées d'«offensives». Néanmoins, le Sous-comité de l'exportation des armes du Comité permanent des Affaires extérieures et du Commerce extérieur a demandé, en octobre 1992, que les contrôles des exportations canadiennes deviennent plus rigoureux à cet égard.

Le Canada a joué le rôle principal en matière de promotion du contrôle du commerce des armes à l'occasion de diverses tribunes internationales (par ex., G7, Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), OTAN et Organisation des États américains ou OÉA). En février 1991, il a entrepris unilatéralement de publier des rapports annuels, à l'intention de l'ONU, sur ses exportations d'armes et a incité les autres nations à en faire autant. Toutefois, le rapport ne contient pas de statistiques sur les ventes aux États-Unis (qui représenteraient une grande part du total), puisque le gouvernement du Canada n'exige aucun permis pour ces exportations.

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Perspectives d'avenir

On s'interroge encore beaucoup sur la tendance à venir du commerce global des armes. Étant donné que l'Irak est hors du marché, au moins pour un certain temps, et que l'ex-URSS a du mal à se rétablir de la chute de ses exportations habituelles, le volume global des ventes d'armes à l'échelle internationale pourrait continuer à baisser, comme il le fait depuis plusieurs années. Il est cependant douteux que cette diminution découle des efforts concertés des gouvernements visant à limiter le commerce d'armes. Peu d'observateurs croient que les mesures très provisoires et indirectes prises pour imposer des restrictions à l'échelle internationale (les consultations des 5MP et le Registre de transfert d'armements) auront des répercussions appréciables à court terme.

En ce qui concerne la tendance à venir de ce commerce, il est possible de prédire sans un trop grand risque d'erreur que les États-Unis resteront le principal fournisseur mondial (du moins sur le plan de la valeur des exportations) encore pour quelque temps; que le marché sera de plus en plus concurrentiel, car les industries de défense du monde industrialisé cherchent à compenser la baisse de la demande nationale entraînée par la fin de la guerre froide, une situation qui réduit la présumée influence des fournisseurs sur les acquéreurs; que le commerce des armes se fera plus en fonction de considérations purement commerciales que des politiques étrangères; que ce commerce sera axé davantage sur les éléments et les technologies à double utilisation que sur les systèmes d'armes finis, ce qui rendra le contrôle plus difficile; qu'en raison du degré de perfectionnement accru des produits vendus, l'Occident sera davantage menacé, surtout en ce qui concerne ses corps expéditionnaires à l'étranger; qu'une part importante du public des pays occidentaux continuera à considérer les exportations d'armes, surtout vers les régions du tiers monde ravagées par les conflits, comme une pratique répréhensible méritant d'être condamnée mondialement et devant faire l'objet de tentatives renouvelées de contrôle.

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Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

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Date de modification : 2005-11-14

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