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![](/web/20061207091705im_/http://www.naca-ccnta.ca/expression/10-1/images/exp_10-1_header_f.gif)
L'éditorial des membres
Choisir quand et comment on meurt
Sue Rodriguez, Nancy B., Jack Kevorkian... autant de noms évocateurs
des passions et des polémiques que soulève la décision
d'un individu de choisir quand et comment il meurt. Tom Perry, Peter Graff
et Scott Mataya... sont des noms beaucoup moins connus, mais qui figurent
eux aussi au générique du débat entourant les suicides
assistés et l'euthanasie au Canada.
Sur un arrière-plan d'arguments moraux et juridiques de longue
date, le recours en justice de Sue Rodriguez, le rejet de sa requête
par une décision de la Cour suprême du Canada par cinq voix
contre quatre et finalement sa mort assistée par son médecin,
en février 1994 ont ravivé le débat public sur les
droits individuels, la déontologie et la responsabilité
sociale à l'égard de la mort et des mourants.![](/web/20061207091705im_/http://www.naca-ccnta.ca/expression/10-1/images/exp_10-1_photo1.gif)
La question pourrait être tranchée par un vote libre de la
Chambre des communes promis par le Premier ministre Chrétien
peu de temps après la mort de Sue Rodriguez peut être
au début de 1995. La teneur du projet de loi pourrait s'inspirer
des recommandations d'une Commission spéciale d'enquête du
Sénat sur l'euthanasie et le suicide assisté, dont le rapport
est attendu au printemps de 1995.
Ces questions intéressent au premier chef les personnes âgées.
Bien que les cas les plus célèbres jusqu'ici au Canada aient
concerné des personnes relativement jeunes, le fait demeure que
la plupart des gens meurent à un âge avancé. Les personnes
âgées atteintes d'une maladie incurable souhaitent-elles
pouvoir réclamer que l'on mette fin rapidement et sans douleur
à leur souffrance, au moment et à l'endroit de leur choix?
La légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté risque-t-elle
d'inciter les personnes atteintes de maladies incurables à mettre
fin à leurs jours, peut-être pour ne plus être un fardeau
pour leur famille ou leurs dispensateurs de soins?
Le Conseil consultatif national sur le troisième âge (CCNTA)
a toujours défendu le droit des personnes âgées à
l'autonomie et à une mort digne. L'une des préoccupations
majeures du CCNTA est que les personnes âgées aient accès
à des soins de santé adéquats, y compris les soins
préventifs, curatifs et palliatifs, selon les besoins et les voeux
de chacun. Le
CCNTA estime que personne ne devrait se voir imposer des mesures artificielles
de survie et que la mort devrait intervenir dans la dignité et
l'absence de souffrance. En raison, cependant, du caractère complexe
et malaisé de la question, le CCNTA ne croit pas que le débat
public ait apporté de preuve suffisante pour reconnaître
le droit moral ou juridique d'un individu au suicide assisté médicalement.
Le CCNTA s'est donné pour but, dans ce numéro d'Expression,
d'éclairer les lecteurs sur certaines des questions entourant l'euthanasie
et le suicide assisté, de façon à stimuler la réflexion
et faciliter les prises de position individuelles dans ce débat
hautement explosif.
Mary Ellen Torobin
Membre du CCNTA
Ontario
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L'euthanasie et le suicide assisté : Définitions
L'euthanasie, parfois décrite comme un meurtre inspiré
par la pitié, provient du grec et signifie littéralement
«bonne mort». On distingue souvent l'euthanasie «passive»
et «active» :
L'euthanasie passive signifie la non-prestation ou l'interruption
de soins à un malade ou un blessé jugé incurable,
ex : le débranchement des systèmes d'assistance cardio-respiratoires,
permettant ainsi à une personne de mourir «naturellement».
L'euthanasie active signifie que l'on intervient activement
pour mettre fin à la vie d'une personne, par exemple en administrant
une dose massive d'analgésique à un patient en phase terminale.
On parle d'«euthanasie volontaire» lorsque cette intervention
a lieu avec le consentement du patient.
Le suicide assisté consiste à fournir à
quelqu'un les moyens de se suicider (par exemple, des médicaments
prescrits) avec ou sans participation directe à l'acte.
Un facteur important de la décision de mettre fin à la vie
est celui du consentement. Les partisans de la légalisation de
l'euthanasie active ou du suicide assisté insistent sur l'importance
du consentement du patient à toute intervention médicale,
tout en soulignant la nécessité d'établir des garanties
pour assurer que ce consentement soit donné librement et en pleine
connaissance de cause. La question du consentement soulève également
celle de la protection contre les pressions, évidentes ou subtiles,
de la part de la famille, des dispensateurs de soins ou de la société
en général. Le consentement est également difficile
à établir lorsqu'il est devenu impossible à quelqu'un
de le fournir, par suite d'une détérioration de ses facultés
physiques ou intellectuelles. En pareil cas, l'on a suggéré
que des directives médicales anticipées ou testament euthanasique»
(des instructions écrites précisant jusqu'où les
médecins devraient intervenir dans certaines circonstances pathologiques)
pourraient constituer une preuve de consentement à des actes destinés
à mettre fin à la vie. Cependant, certains facteurs, tels
le temps écoulé depuis la rédaction de ces instructions
et d'autres circonstances pourraient compromettre l'établissement
du consentement à un acte aussi irrévocable.
Un autre aspect important de la question a trait aux circonstances justifiant
l'euthanasie active ou le suicide assisté : chacun devrait-il pouvoir
y recourir en tout temps, ou seulement dans des cas de maladies incurables,
lorsque la mort est imminente? Et que faire dans les cas de maladies incurables
qui n'entraînent pas une mort prochaine? Que penser enfin des maladies
chroniques et débilitantes qui, bien que non mortelles, diminuent
sensiblement la qualité de vie d'une personne? La maladie physique
devrait-elle être la seule justification, ou devrait-on également
tenir compte de l'affliction mentale et émotive? Et qui devrait
participer à la décision?
Pourquoi cette controverse? Et pourquoi maintenant?
Le changement démographique, les progrès de la médecine,
l'évolution des valeurs de la société et l'influence
des groupes de pression sont autant de facteurs qui ont contribué
à des mutations de l'opinion publique quant au droit des individus
de choisir quand et comment ils mourront.
Les gens vivent plus vieux, risquant ainsi de voir se détériorer
leur qualité de vie par suite de la faiblesse et de la maladie
qu'entraîne l'âge. Parallèlement, la science médicale
moderne permet de prolonger la vie - sans nécessairement améliorer
sa qualité et parfois contre le voeu de la personne concernée.
Pareille situation soulève pour certains des questions de liberté
et de choix, d'autonomie individuelle et d'indépendance, concepts
de plus en plus prisés de nos jours. De même, nombreux sont
ceux qui, estimant que la qualité de la vie est au moins aussi
importante que sa durée, s'interrogent sur le bien fondé
de maintenir en vie des gens qui seraient morts de «mort naturelle»,
n'eût été le progrès technologique.
D'autres encore se demandent si l'on peut justifier les dépenses
consacrées à prolonger artificiellement la vie et à
traiter des maladies incurables, compte tenu du fait que, ce faisant,
on n'améliore pas toujours la qualité de la vie et que notre
système de soins de santé doit répondre à
de nombreux autres besoins.
Certaines tendances sociales, telles que le déclin des valeurs
religieuses traditionnelles, viennent compliquer encore la réponse
à ces questions. Dans une société où pratiquement
tout le monde partagerait la conviction que Dieu seul donne la vie et
que Dieu seul peut l'enlever, il serait certes plus facile d'en arriver
à un consensus. Mais cette sorte de morale absolue n'a guère
cours dans un pays comme le Canada, où le pluralisme et la diversité
donnent souvent lieu à des débats publics prolongés,
des négociations interminables et des solutions de compromis en
matière de politique officielle, surtout lorsqu'une question suscite
des opinions marquées à travers un large éventail
de points de vue.
Le suicide fut dépénalisé en 1972 au Canada, par
suite d'une évolution de l'opinion publique amorcée voici
plusieurs décennies. Le complice d'un suicide demeure toujours
passible de poursuites, cependant, ce qui incite certains à se
demander s'il est logique pour la société de permettre le
suicide, tout en interdisant que l'on aide quelqu'un à poser un
geste parfaitement légal. D'autres font valoir que le temps est
venu de modifier à nouveau une loi qui n'est plus conforme à
la réalité médicale, ayant été adoptée
avant l'apparition des techniques de maintien de la vie et alors que les
soins palliatifs étaient inexistants ou débutants.
L'attitude du public à l'égard de l'euthanasie et du suicide
assisté a été influencée également
par la montée des groupes en faveur de la mort dans la dignité
et du droit à la mort, les recours en justice d'individus voulant
choisir leur propre mort et les reportages des médias sur l'expérience
d'autres pays, notamment la Hollande. L'irruption du SIDA et la publicité
entourant les morts assistées des malades du SIDA furent d'autres
facteurs qui propulsèrent l'euthanasie et le suicide assisté
en tête de liste de l'actualité.
Les professionnels de la santé et la Loi
Le coroner et le Collège des médecins et chirurgiens de
la C.-B. menèrent des enquêtes séparées sur
deux cas concernant le docteur Peter Graff, médecin d'un service
de soins intensifs où des patients étaient morts après
avoir reçu des injections répétées d'analgésique
et de calmant. Ces deux enquêtes établirent que les doses
administrées excédaient largement la quantité requise
pour soulager la douleur du patient. Le Collège estima que la conduite
du médecin était passible d'une sévère réprimande,
mais décida de ne pas le condamner officiellement. La GRC, qui
avait mené sa propre enquête, décida de ne pas porter
d'accusation, notamment en raison du refus des familles d'intenter des
poursuites et des éloges qu'elles firent des soins compatissants
prodigués par le médecin.
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Ce qu'en pense la société
Les outils dont nous disposons pour mesurer les attitudes du public
à l'égard de l'euthanasie et du suicide assisté
à savoir, principalement, les sondages d'opinion ne donnent
qu'une idée imparfaite des répercussions de cette question
sur la société canadienne. Nous savons certes que l'opinion
publique semble avoir changé depuis 20 ans : 45 % des Canadiens
et Canadiennes interrogés en 1968 approuvaient la légalisation
de l'euthanasie, tandis qu'en 1992, 77 % des répondants étaient
en faveur de l'euthanasie pour les malades en phase terminale. Le deuxième
sondage révélait cependant que les personnes âgées
avaient moins tendance à approuver l'euthanasie volontaire; 58
% des personnes âgées de 65 ans et plus étaient en
faveur, comparativement à 78 % de celles entre 18 et 29 ans.
Nous ignorons, cependant, ce que signifient véritablement ces chiffres
: reflètent-ils une plus grande tolérance à l'égard
de ce que l'on considérait jadis comme un interdit, un plus grand
respect de l'autonomie personnelle et de l'indépendance, un souci
croissant de la qualité plutôt que de la durée de
la vie, ou une peur croissante de perdre le contrôle à la
fin de sa vie, face à une technologie médicale envahissante?
Nous ne sommes pas davantage en mesure de comparer ces attitudes générales
avec celles de personnes faisant véritablement face à des
situations où la question de l'euthanasie pourrait se poser.
Les renseignements dont nous disposons sur la fréquence de l'euthanasie
et des suicides assistés ne sont guère plus utiles. Les
données disponibles présentent un caractère surtout
anecdotique, se résumant à quelques rares cas confirmés.
Compte tenu de l'illégalité de ces actes, on peut comprendre
que les médecins et les membres d'une famille, par exemple, hésitent
à faire état de leur implication dans la mort d'un patient
ou d'un parent en phase terminale.
Une enquête de 1993 auprès des membres de l'Association
médicale canadienne (AMC) qui représente environ
80 % du corps médical indiquait qu'un peu plus de 60 % des
médecins étaient partisans d'une révision du Code
criminel en vue d'en retirer les dispositions interdisant le suicide assisté
par un médecin. Mais en août 1994, les membres de l'AMC se
prononçaient par 93 voix contre 74 en faveur de l'interdiction
de la participation des médecins à l'euthanasie et au suicide
assisté, en dépit d'un rapport de la Commission d'éthique
de l'AMC recommandant que cette question demeure une affaire de conscience
individuelle et proposant des lignes directrices au cas où le suicide
assisté par un médecin serait légalisé. L'absence
d'unanimité au sein de la profession reflète l'absence d'unanimité
au sein de la société.
Les professionnels de la santé et la Loi
Scott Mataya, infirmier de Toronto, fut accusé de meurtre au
premier degré par suite de la mort d'un patient dans un état
de coma dépassé. L'épouse du patient avait consenti
au retrait des moyens artificiels de survie, mais lorsque le respirateur
fut débranché, le patient fut pris de convulsions et de
vomissements. Sans l'autorisation du médecin, Scott Mataya administre
une injection mortelle au patient qui mourut en quelques minutes. Scott
Mataya fut déclaré coupable au second chef d'avoir administre
une substance délétère, condamné avec sursis
et frappé d'interdiction à vie de pratique de la profession
d'infirmier.
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Ce que prescrit la loi... Ce qu'en pensent les législateurs
Le débat actuel se déroule dans un contexte ambigu; la
loi est explicite, mais compte tenu de la jurisprudence, elle n'est probablement
pas applicable sous sa forme actuelle. Plusieurs cas où des professionnels
de la santé ont contribué à hâter la mort d'un
patient en phase terminale sont devenus de notoriété publique
au Canada (voir encadrés), mais jamais il n'y eut de poursuite
ou de condamnation pour complicité de suicide ou sous tout autre
chef prévu par le Code criminel.
Le suicide n'est pas un crime et les patients jouissant de toutes leurs
facultés ont le droit de refuser un traitement de maintien de la
vie ou de réclamer l'interruption de ce traitement. Cependant,
le Code criminel interdit formellement l'euthanasie et le suicide assisté
et la plus haute Cour du pays a décidé, en septembre 1993,
que les droits de Sue Rodriguez à la vie, à la liberté
et à la sécurité de la personne n'incluaient pas
le droit de choisir à quel moment mettre fin à sa vie ou
de recevoir à cette fin l'aide d'un médecin. La décision,
cependant, fut loin d'être unanime, représentant l'opinion
de cinq juges contre quatre, ce qui reflète bien le conflit au
sein de la société entre l'attachement profond à
l'autonomie individuelle et le caractère sacré de la vie.
Pendant ce temps, et malgré qu'on en ait eu souvent l'occasion,
aucun professionnel de la santé au Canada n'a jamais été
poursuivi avec succès en vertu des dispositions de la loi touchant
l'euthanasie ou le suicide assisté (voir encadrés). Il n'y
eut pas davantage de condamnations pour meurtre par suite de l'administration
d'analgésiques précipitant la mort ou de l'interruption
d'un traitement sans valeur thérapeutique pour un patient en phase
terminale. Cette situation, de même que l'ampleur croissante du
débat public sur la question, a incité les législateurs
à examiner de nouveau la loi, dont la dernière révision
remonte à 1972.
L'une des premières études systématiques de la question
fut celle de la Commission de réforme du droit, en 1983, qui s'opposa
à la dépénalisation de l'euthanasie, mais recommanda
que les soins palliatifs destinés à soulager la douleur,
même s'ils hâtent accessoirement la mort, échappent
aux dispositions du Code criminel touchant le meurtre, l'homicide par
négligence et l'encouragement au suicide. Plus récemment,
la Commission royale d'enquête de la Colombie-Britannique sur les
soins de santé et leurs coûts (1991) a recommandé
que des modifications soient apportées au Code criminel visant
à
reconnaître le droit d'un patient jouissant de toutes ses
facultés de refuser un traitement médical ou d'en exiger
l'interruption, soit directement, soit par l'entremise d'un mandataire
désigné
décharger le médecin de son obligation juridique
d'administrer un traitement sans utilité thérapeutique lorsqu'il
ne peut obtenir de consentement
permettre au patient en phase terminale de réclamer et
de recevoir des doses mortelles d'analgésique dépénaliser
l'assistance au suicide d'un malade en phase terminale.
Un sous-comité de la Chambre des communes a demandé au
ministre de la Justice d'examiner les questions juridiques et philosophiques
entourant le suicide assisté et plusieurs projets de loi d'initiative
parlementaire ont proposé des amendements au Code criminel semblables
à ceux recommandés par la Commission de réforme du
droit et la Commission d'enquête de la Colombie-Britannique. Ces
projets de loi ont cependant été défaits ou sont
restés en plan au Feuilleton et le gouvernement, pour sa part,
n'a présenté aucun projet de loi, bien que le Premier ministre
ait promis la tenue d'un vote libre sur la question. Ce vote pourrait
intervenir au cours de 1995, après la présentation du rapport
d'une commission sénatoriale chargée d'étudier les
questions juridiques, sociales et morales entourant l'euthanasie et le
suicide assisté.
Les professionnels de la santé et la Loi
Le numéro d'avril 1993 du Journal de l'Association médicale
canadienne rapporte le cas du docteur Tom Perry Sr., spécialiste
en recherche, qui en était à la phase terminale d'une lutte
de neuf années contre le cancer de la prostate. Préférant
demeurer à la maison, il recevait les soins de ses enfants
trois médecins et deux infirmières qui se relayaient
à son chevet 24 heures sur 24. Pour combattre la douleur, son médecin
de famille lui avait prescrit de la morphine que lui administraient ses
enfants.
Le docteur Perry est mort peu de temps après que son fils, Tom
Perry Jr., lui ait administré une injection de morphine. Commentant
plus tard l'événement avec un journaliste, Tom Perry Jr.,
alors membre de l'assemblée législative de la Colombie-
Britannique, déclara - «Si vous me demandiez si cela a avancé
le moment de la mort, je vous dirais que oui, c'est possible. Ou encore»,
a poursuivi le docteur Perry, «si le malade aurait vécu plus
longtemps, la réponse est oui, peut-être, mais il aurait
beaucoup souffert.»
À l'issue d'une tempête dans les journaux et à la
législature, une enquête du coroner en chef de la Colombie-Britannique
a conclu que le docteur Perry n'avait rien fait de mal et le Collège
des médecins et chirurgiens de la province, l'organisme d'auto-réglementation
des médecins, l'a félicité des soins qu'il avait
dispensés.
Le suicide assisté : Le pour et le contre
Partisans et adversaires de la dépénalisation du suicide
assisté invoquent à l'appui de leur thèse des arguments
d'ordre moral, juridique et pratique.
Les premiers allèguent que l'opinion publique est favorable à
la dépénalisation. Mais les seconds objectent que cela ne
constitue pas une raison suffisante pour modifier la loi et que cette
question fondamentale doit être résolue sur la foi d'arguments
moraux, quoi qu'en dise l'opinion publique. Il est interdit de tuer, disent-ils,
et le caractère sacré de la vie est un principe moral supérieur
à l'autonomie individuelle.
Les partisans de la dépénalisation font valoir que le respect
des voeux d'un mourant constitue le juste choix moral. La Charte canadienne
des droits et libertés protège la liberté de choix
et l'autonomie (malgré la décision de la Cour suprême
dans l'affaire Rodriguez). «Si une personne est saine d'esprit,
pourquoi n'aurait elle pas le droit de choisir comment elle meurt?»,
demande le docteur Scott Wallace. «Depuis quelques décennies,
nous avons marqué des progrès impressionnants dans le domaine
des droits humains, mais lorsqu'un mourant fait appel à la profession
médicale pour soulager les derniers jours ou dernières semaines
de sa vie, la loi le lui refuse.» [Journal de l'Association médicale
canadienne, 148:8 (1993), pp. 1363-66.1]
Leurs adversaires répliquent que l'amélioration de la qualité
de vie d'un mourant en répondant à ses besoins physiques,
psychologiques, sociaux et spirituels constitue la façon la plus
appropriée de montrer de la compassion. Aux yeux du docteur Robert
Twycross, l'euthanasie et le suicide assisté sont «une solution
extrême à une situation qui demande une approche beaucoup
plus globale et compatissante. Ce n'est pas la loi qu'il faut changer,
mais l'échelle des valeurs de l'enseignement de la médecine...
une meilleure compréhension par les médecins de ce qui peut
être fait... pour permettre aux malades [en phase terminale] de
vivre mieux avec leur maladie.» [Allocution à une conférence
internationale sur l'euthanasie et le suicide volontaires, 1980.1]
D'autres soutiennent que la compassion consiste à se conformer
au désir de quelqu'un qui a demandé qu'on l'aide à
mourir. Comme l'explique Russel Ogden, «la façon dont on
meurt fait partie de la vie même, et l'on devrait être en
mesure d'exercer un choix à l'égard de cet aspect de la
vie. Bien souvent, le fait de savoir que l'on a le contrôle de sa
mort renforce le sentiment d'avoir le contrôle de sa vie. Un sentiment
de contrôle est essentiel à la qualité de la vie,
surtout lorsque l'on fait face à la mort.» [Analyse de Politiques,
20:1 (1994), p. 15.1]
Le docteur Gabor Maté, spécialiste des soins palliatifs,
et Margaret Somerville, spécialiste de la déontologie biomédicale,
préconisent un moyen terme entre ces deux points de vue. D'après
son expérience, déclare le docteur Maté, «le
désir de mettre fin à ses jours provient en grande partie
de l'angoisse de la souffrance. Le fait est que la grande majorité
des patients n'ont pas à souffrir. Le désir de hâter
la mort traduit une crainte de perdre le contrôle.» [Journal
de l'Association médicale canadienne 148:8 (1993), p. 1368.]
Margaret Somerville ajoute que de «laisser souffrir les gens est
non seulement une tragédie humaine et une atteinte aux concepts
les plus fondamentaux des droits humains, mais encore faudrait-il traiter
cela comme une faute professionnelle, passible de poursuites judiciaires,
voire comme un crime. Il va de soi qu'administrer les analgésiques
nécessaires, même au risque d'abréger la vie, ne saurait
être considéré comme un crime... Ceux qui s'opposent
à l'euthanasie mais qui ne font pas en sorte de soulager la douleur
en prescrivant les calmants requis (ou pis encore qui s'y opposent, de
crainte d'abréger la vie) ne font que promouvoir la cause qu'ils
condamnent. [Journal of Contemporary Health Law and Policy 9:1 (1993),
pp. 13-14.]
Les opposants à toute modification à la loi évoquent
souvent le danger de s'aventurer sur un «terrain glissant»,
alléguant que la légalisation du suicide assisté
conduira éventuellement à l'euthanasie involontaire. Témoignant
devant la Commission sénatoriale, Leona Chalmers, infirmière
de Winnipeg, a déclaré que «la sagesse humaine et
l'intégrité ne seront jamais assez grandes pour nous donner
le droit de décider à quel moment devrait prendre fin la
vie. Le concept de la mort en tant que solution à la souffrance
peut facilement dégénérer en une morale... où
certaines personnes se sentiront obligées d'y recourir parce qu'ils
se sentent devenir un fardeau ou des êtres inférieurs.»
Autrement dit, les personnes vulnérables émotivement
fragiles ou en marge de la société, par exemple, y compris
les personnes âgées pourraient être persuadées
de réclamer l'euthanasie contre leur gré, et ceux qui sont
incapables d'exprimer leur volonté pourraient voir d'autres personnes
décider à leur place.
Les partisans de l'euthanasie ripostent que l'établissement de
lignes directrices rigoureuses peut prévenir les abus; ils mentionnent
par exemple l'obligation d'obtenir une ordonnance de la Cour autorisant
le suicide assisté, un certificat d'un médecin et d'un psychiatre
attestant que la décision est libre et volontaire, la présence
d'un médecin au moment du suicide et la condition que le geste
entraînant la mort soit posé par la personne qui souhaite
mourir.
Les tenants de la dépénalisation affirment également
que l'argument du terrain glissant, bien que plausible, est réfuté
par l'expérience de la Hollande où l'euthanasie volontaire
et le suicide assisté sont très peu fréquents (selon
un rapport du Procureur général de la Hollande), malgré
la tolérance officielle. Leurs adversaires rétorquent que
la Hollande connaît cependant des cas d'euthanasie involontaire,
citant d'autres chiffres du même rapport selon lesquels la moitié
des décisions d'interrompre ou de ne pas donner un traitement furent
prises sans le consentement du patient, la plupart du temps une personne
âgée. ![Début](/web/20061207091705im_/http://www.naca-ccnta.ca/images/arrow_up.gif)
On invoque, d'autre part, les difficultés d'application de la
Loi actuelle. Les défenseurs de cette thèse affirment que
si le suicide assisté n'est pas dépénalisé,
les gens seront tentés de mettre fin à leurs jours par des
moyens violents, dans des conditions déshumanisantes, ou bien rateront
leur coup, se retrouvant dans un état pire qu'avant. En outre,
le suicide assisté continuerait de se produire, comme à
présent, en secret. Le docteur Ted Boadway, qui s'oppose à
la résolution de l'AMC, estime que «cette pratique se poursuivra
clandestinement... ce qui n'est dans l'intérêt de personne.»
[Toronto Star, le 17 août 1994, p. A3.] En reconnaissant l'existence
du suicide assisté et en établissant des lignes directrices
sévères, la société se donne les moyens de
contrôler cette pratique et de prévenir les abus. Les opposants
à cette thèse font valoir que la persistance d'un acte criminel
ne justifie pas sa légalisation, pas plus que nous ne légalisons
d'autres actes interdits par le Code criminel.
Le suicide est légal, rappellent les partisans du suicide assisté,
et il est illogique d'interdire que l'on aide quelqu'un à poser
un geste légal. En outre, le droit constitutionnel à la
vie, à la liberté et à la sécurité
de la personne implique le droit de mettre fin à ses jours. Le
suicide ne constitue pas un droit, répliquent leurs détracteurs;
retirer le suicide du Code criminel ne signifie pas que la société
approuve cet acte, mais qu'elle reconnaît que la loi n'est pas l'instrument
approprié pour prévenir le suicide ou la tentative de suicide.
Les organismes d'application de la loi continuent d'intervenir quand ils
le peuvent pour empêcher les gens de se faire du mal.
Ceux qui réclament une révision des dispositions du Code
criminel touchant le suicide assisté font valoir également
que celles-ci sont discriminatoires, en ce que les personnes souffrant
d'incapacité se voient interdire par la loi de se suicider, tandis
que les personnes bien portantes sont libres de le faire. Leurs opposants
soulignent cependant que c'est leur incapacité, et non la loi,
qui empêche ces personnes de se suicider.
Enfin, les uns et les autres prévoient que l'issue, quelle qu'elle
soit, du présent débat, transformera profondément
la relation médecin-patient. Les adversaires de la légalisation
du suicide assisté craignent que les relations entre patients et
professionnels de la santé ne soient empoisonnées à
partir du moment où le médecin sera perçu à
la fois comme un guérisseur et un exécuteur. «Quand
le médecin viendra à leur chevet leur faire une injection
d'analgésique», explique le docteur Robert Pankratz, les
patients ne sauront pas «s'il s'agit de soulager leur douleur ou
d'y mettre fin de façon définitive.» [Journal de l'Association
médicale canadienne 148:8 (1993), p. 1366.] On craint, d'autre
part, que les gens qui ont besoin de soins médicaux, notamment
les personnes âgées et les personnes souffrant d'invalidité,
n'hésitent à recourir à l'aide d'un médecin.
Au contraire, répond le camp adverse; la relation se verra renforcée
du fait que l'on saura que le médecin se fait toujours le défenseur
du patient et que ce dernier conserve le droit de prendre la décision
ultime. À l'issue du vote sur la résolution de l'AMC, le
docteur Boadway a fait remarquer que «Le patient est prioritaire,
mais cette résolution prétend que malgré les désirs
du patient, le médecin ne doit pas l'aider.» [Globe and Mail,
le 17 août 1994, p. A3.] En outre, même si la loi était
modifiée, les médecins resteraient libres d'agir selon leur
conscience et de ne pas participer à un suicide assisté
s'ils y sont opposés pour des raisons morales ou toute autre raison.
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Quels choix a la société?
Compte tenu de la nature des arguments pour et contre le suicide assisté
et des positions radicales adoptées de part et d'autre, la société
et ses législateurs devraient peut-être chercher un juste
milieu. Les solutions simples sont exclues, car tenter d'en appliquer
une risquerait d'entraîner des conséquences fâcheuses.
Quels sont donc les choix offerts et quels pourraient en être les
résultats?
Conserver les dispositions actuelles du Code criminel confirmerait que
le caractère sacré de la vie est un principe supérieur
à l'autonomie individuelle et protégerait les intérêts
des membres les plus vulnérables de la société, notamment
les personnes âgées. Cette solution serait également
conforme au voeu de la majorité des Canadiens âgés,
tel qu'exprimé dans un sondage d'opinion publique.
Cependant, on prolongerait ainsi la situation actuelle, à savoir
que la pratique se poursuivrait clandestinement, au détriment éventuel
des patients, des médecins et de la relation patient-médecin.
En outre, compte tenu des attitudes des Canadiens, les jurés hésiteront
sans doute à trouver coupables les personnes accusées de
ces crimes ou se contenteront de les déclarer coupables de délits
moindres. L'affaire Kevorkian (Michigan, 1994) et, au Canada, l'affaire
Scott Mataya (voir encadrés) ont déjà confirmé
ces craintes.
Dépénaliser ou, comme en Hollande, conserver le caractère
criminel, mais ne pas intenter de poursuites pourvu que l'on observe des
lignes de conduite rigoureuses, respecterait le principe de l'autonomie
individuelle et favoriserait le contrôle social de cette pratique
en la faisant sortir de la clandestinité. Nombreux sont ceux, cependant,
qui craignent qu'une telle solution n'entraîne des abus - le fameux
terrain glissant entre l'euthanasie volontaire et l'euthanasie forcée
pour les membres les plus faibles et les plus vulnérables de la
société.
Une autre possibilité consisterait à conserver le suicide
assisté dans le Code criminel, mais à lui assigner un degré
de gravité moindre qu'au meurtre. Pareille démarche consacrerait
le caractère sacré de la vie comme principe fondamental
de la société, tout en reconnaissant celui de l'autonomie
personnelle et les motifs de compassion des médecins et des autres
qui, sur demande, aident quelqu'un à mourir. Cette solution, cependant,
risque d'aliéner les antagonistes de part et d'autre du débat,
qui la percevront respectivement comme étant trop clémente
et trop sévère. Et aussi longtemps que cette pratique sera
assortie d'une peine, le problème de la clandestinité et
partant, de l'absence de contrôle de la société, demeurera
entier.
Il semble évident qu'il n'existe aucune solution satisfaisante
à elle seule au présent débat. Les craintes personnelles
dont s'inspire l'appui à l'euthanasie et au suicide assisté
seraient susceptibles d'être dissipées quelque peu si, comme
l'a suggéré Margaret Somerville, l'on reconnaissait adéquatement
le droit à un traitement approprié pour soulager
la douleur ou toute autre souffrance physique grave
le droit de refuser un traitement
l'absence d'obligation du médecin d'administrer
un traitement inutile. [Journal of Contemporary Health Law and Policy
9:1 (1993), p. 15.]
![Début](/web/20061207091705im_/http://www.naca-ccnta.ca/images/arrow_up.gif)
![](/web/20061207091705im_/http://www.naca-ccnta.ca/expression/10-1/images/exp_10-1_bar.gif)
À supposer que cette approche, ou une approche semblable soit
celle retenue par les Canadiens et leurs législateurs, le Code
criminel constitue-t-il le meilleur moyen de la mettre en oeuvre? Ou d'autres
instruments une loi fédérale distincte, des lois
provinciales ou des lignes directrices déontologiques à
l'intention des professionnels de la santé seraient-ils
plus appropriés?
Compte tenu de la complexité de cette question profondément
ardue, le CCNTA invite tous les Canadiens et Canadiennes à réfléchir
consciencieusement à leur propre position et à la faire
connaître à leur député fédéral
qui aura vraisemblablement à se prononcer sur la question en 1995.
Expression est publié 4 fois l'an par le Conseil consultatif national
sur le troisième âge, Ottawa, Ontario KI A OK9, (613) 957-1968,
télécopieur: (613) 957-7627.
Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles
du CCNTA. ISSN 0822-8213
Recherche : Louise Plouffe
Production : Francine Beauregard
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