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Conseil consultatif national sur le troisième âge, 1980-2005

L'éditorial des membres

Choisir quand et comment on meurt

Sue Rodriguez, Nancy B., Jack Kevorkian... autant de noms évocateurs des passions et des polémiques que soulève la décision d'un individu de choisir quand et comment il meurt. Tom Perry, Peter Graff et Scott Mataya... sont des noms beaucoup moins connus, mais qui figurent eux aussi au générique du débat entourant les suicides assistés et l'euthanasie au Canada.
Sur un arrière-plan d'arguments moraux et juridiques de longue date, le recours en justice de Sue Rodriguez, le rejet de sa requête par une décision de la Cour suprême du Canada par cinq voix contre quatre et finalement sa mort assistée par son médecin, en février 1994 ont ravivé le débat public sur les droits individuels, la déontologie et la responsabilité sociale à l'égard de la mort et des mourants.
La question pourrait être tranchée par un vote libre de la Chambre des communes — promis par le Premier ministre Chrétien peu de temps après la mort de Sue Rodriguez — peut être au début de 1995. La teneur du projet de loi pourrait s'inspirer des recommandations d'une Commission spéciale d'enquête du Sénat sur l'euthanasie et le suicide assisté, dont le rapport est attendu au printemps de 1995.
Ces questions intéressent au premier chef les personnes âgées. Bien que les cas les plus célèbres jusqu'ici au Canada aient concerné des personnes relativement jeunes, le fait demeure que la plupart des gens meurent à un âge avancé. Les personnes âgées atteintes d'une maladie incurable souhaitent-elles pouvoir réclamer que l'on mette fin rapidement et sans douleur à leur souffrance, au moment et à l'endroit de leur choix? La légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté risque-t-elle d'inciter les personnes atteintes de maladies incurables à mettre fin à leurs jours, peut-être pour ne plus être un fardeau pour leur famille ou leurs dispensateurs de soins?
Le Conseil consultatif national sur le troisième âge (CCNTA) a toujours défendu le droit des personnes âgées à l'autonomie et à une mort digne. L'une des préoccupations majeures du CCNTA est que les personnes âgées aient accès à des soins de santé adéquats, y compris les soins préventifs, curatifs et palliatifs, selon les besoins et les voeux de chacun.Le CCNTA estime que personne ne devrait se voir imposer des mesures artificielles de survie et que la mort devrait intervenir dans la dignité et l'absence de souffrance. En raison, cependant, du caractère complexe et malaisé de la question, le CCNTA ne croit pas que le débat public ait apporté de preuve suffisante pour reconnaître le droit moral ou juridique d'un individu au suicide assisté médicalement.

Le CCNTA s'est donné pour but, dans ce numéro d'Expression, d'éclairer les lecteurs sur certaines des questions entourant l'euthanasie et le suicide assisté, de façon à stimuler la réflexion et faciliter les prises de position individuelles dans ce débat hautement explosif.

Mary Ellen Torobin
Membre du CCNTA
Ontario

Début

L'euthanasie et le suicide assisté : Définitions

L'euthanasie, parfois décrite comme un meurtre inspiré par la pitié, provient du grec et signifie littéralement «bonne mort». On distingue souvent l'euthanasie «passive» et «active» :

L'euthanasie passive signifie la non-prestation ou l'interruption de soins à un malade ou un blessé jugé incurable, ex : le débranchement des systèmes d'assistance cardio-respiratoires, permettant ainsi à une personne de mourir «naturellement».

L'euthanasie active signifie que l'on intervient activement pour mettre fin à la vie d'une personne, par exemple en administrant une dose massive d'analgésique à un patient en phase terminale. On parle d'«euthanasie volontaire» lorsque cette intervention a lieu avec le consentement du patient.

Le suicide assisté consiste à fournir à quelqu'un les moyens de se suicider (par exemple, des médicaments prescrits) avec ou sans participation directe à l'acte.
Un facteur important de la décision de mettre fin à la vie est celui du consentement. Les partisans de la légalisation de l'euthanasie active ou du suicide assisté insistent sur l'importance du consentement du patient à toute intervention médicale, tout en soulignant la nécessité d'établir des garanties pour assurer que ce consentement soit donné librement et en pleine connaissance de cause. La question du consentement soulève également celle de la protection contre les pressions, évidentes ou subtiles, de la part de la famille, des dispensateurs de soins ou de la société en général. Le consentement est également difficile à établir lorsqu'il est devenu impossible à quelqu'un de le fournir, par suite d'une détérioration de ses facultés physiques ou intellectuelles. En pareil cas, l'on a suggéré que des directives médicales anticipées ou testament euthanasique» (des instructions écrites précisant jusqu'où les médecins devraient intervenir dans certaines circonstances pathologiques) pourraient constituer une preuve de consentement à des actes destinés à mettre fin à la vie. Cependant, certains facteurs, tels le temps écoulé depuis la rédaction de ces instructions et d'autres circonstances pourraient compromettre l'établissement du consentement à un acte aussi irrévocable.
Un autre aspect important de la question a trait aux circonstances justifiant l'euthanasie active ou le suicide assisté : chacun devrait-il pouvoir y recourir en tout temps, ou seulement dans des cas de maladies incurables, lorsque la mort est imminente? Et que faire dans les cas de maladies incurables qui n'entraînent pas une mort prochaine? Que penser enfin des maladies chroniques et débilitantes qui, bien que non mortelles, diminuent sensiblement la qualité de vie d'une personne? La maladie physique devrait-elle être la seule justification, ou devrait-on également tenir compte de l'affliction mentale et émotive? Et qui devrait participer à la décision?

Pourquoi cette controverse? Et pourquoi maintenant?

Le changement démographique, les progrès de la médecine, l'évolution des valeurs de la société et l'influence des groupes de pression sont autant de facteurs qui ont contribué à des mutations de l'opinion publique quant au droit des individus de choisir quand et comment ils mourront.
Les gens vivent plus vieux, risquant ainsi de voir se détériorer leur qualité de vie par suite de la faiblesse et de la maladie qu'entraîne l'âge. Parallèlement, la science médicale moderne permet de prolonger la vie - sans nécessairement améliorer sa qualité et parfois contre le voeu de la personne concernée. Pareille situation soulève pour certains des questions de liberté et de choix, d'autonomie individuelle et d'indépendance, concepts de plus en plus prisés de nos jours. De même, nombreux sont ceux qui, estimant que la qualité de la vie est au moins aussi importante que sa durée, s'interrogent sur le bien fondé de maintenir en vie des gens qui seraient morts de «mort naturelle», n'eût été le progrès technologique.
D'autres encore se demandent si l'on peut justifier les dépenses consacrées à prolonger artificiellement la vie et à traiter des maladies incurables, compte tenu du fait que, ce faisant, on n'améliore pas toujours la qualité de la vie et que notre système de soins de santé doit répondre à de nombreux autres besoins.
Certaines tendances sociales, telles que le déclin des valeurs religieuses traditionnelles, viennent compliquer encore la réponse à ces questions. Dans une société où pratiquement tout le monde partagerait la conviction que Dieu seul donne la vie et que Dieu seul peut l'enlever, il serait certes plus facile d'en arriver à un consensus. Mais cette sorte de morale absolue n'a guère cours dans un pays comme le Canada, où le pluralisme et la diversité donnent souvent lieu à des débats publics prolongés, des négociations interminables et des solutions de compromis en matière de politique officielle, surtout lorsqu'une question suscite des opinions marquées à travers un large éventail de points de vue.
Le suicide fut dépénalisé en 1972 au Canada, par suite d'une évolution de l'opinion publique amorcée voici plusieurs décennies. Le complice d'un suicide demeure toujours passible de poursuites, cependant, ce qui incite certains à se demander s'il est logique pour la société de permettre le suicide, tout en interdisant que l'on aide quelqu'un à poser un geste parfaitement légal. D'autres font valoir que le temps est venu de modifier à nouveau une loi qui n'est plus conforme à la réalité médicale, ayant été adoptée avant l'apparition des techniques de maintien de la vie et alors que les soins palliatifs étaient inexistants ou débutants.
L'attitude du public à l'égard de l'euthanasie et du suicide assisté a été influencée également par la montée des groupes en faveur de la mort dans la dignité et du droit à la mort, les recours en justice d'individus voulant choisir leur propre mort et les reportages des médias sur l'expérience d'autres pays, notamment la Hollande. L'irruption du SIDA et la publicité entourant les morts assistées des malades du SIDA furent d'autres facteurs qui propulsèrent l'euthanasie et le suicide assisté en tête de liste de l'actualité.

Les professionnels de la santé et la Loi

Le coroner et le Collège des médecins et chirurgiens de la C.-B. menèrent des enquêtes séparées sur deux cas concernant le docteur Peter Graff, médecin d'un service de soins intensifs où des patients étaient morts après avoir reçu des injections répétées d'analgésique et de calmant. Ces deux enquêtes établirent que les doses administrées excédaient largement la quantité requise pour soulager la douleur du patient. Le Collège estima que la conduite du médecin était passible d'une sévère réprimande, mais décida de ne pas le condamner officiellement. La GRC, qui avait mené sa propre enquête, décida de ne pas porter d'accusation, notamment en raison du refus des familles d'intenter des poursuites et des éloges qu'elles firent des soins compatissants prodigués par le médecin.

Début

Ce qu'en pense la société

Les outils dont nous disposons pour mesurer les attitudes du public à l'égard de l'euthanasie et du suicide assisté — à savoir, principalement, les sondages d'opinion — ne donnent qu'une idée imparfaite des répercussions de cette question sur la société canadienne. Nous savons certes que l'opinion publique semble avoir changé depuis 20 ans : 45 % des Canadiens et Canadiennes interrogés en 1968 approuvaient la légalisation de l'euthanasie, tandis qu'en 1992, 77 % des répondants étaient en faveur de l'euthanasie pour les malades en phase terminale. Le deuxième sondage révélait cependant que les personnes âgées avaient moins tendance à approuver l'euthanasie volontaire; 58 % des personnes âgées de 65 ans et plus étaient en faveur, comparativement à 78 % de celles entre 18 et 29 ans.
Nous ignorons, cependant, ce que signifient véritablement ces chiffres : reflètent-ils une plus grande tolérance à l'égard de ce que l'on considérait jadis comme un interdit, un plus grand respect de l'autonomie personnelle et de l'indépendance, un souci croissant de la qualité plutôt que de la durée de la vie, ou une peur croissante de perdre le contrôle à la fin de sa vie, face à une technologie médicale envahissante? Nous ne sommes pas davantage en mesure de comparer ces attitudes générales avec celles de personnes faisant véritablement face à des situations où la question de l'euthanasie pourrait se poser.
Les renseignements dont nous disposons sur la fréquence de l'euthanasie et des suicides assistés ne sont guère plus utiles. Les données disponibles présentent un caractère surtout anecdotique, se résumant à quelques rares cas confirmés. Compte tenu de l'illégalité de ces actes, on peut comprendre que les médecins et les membres d'une famille, par exemple, hésitent à faire état de leur implication dans la mort d'un patient ou d'un parent en phase terminale.

Une enquête de 1993 auprès des membres de l'Association médicale canadienne (AMC) — qui représente environ 80 % du corps médical — indiquait qu'un peu plus de 60 % des médecins étaient partisans d'une révision du Code criminel en vue d'en retirer les dispositions interdisant le suicide assisté par un médecin. Mais en août 1994, les membres de l'AMC se prononçaient par 93 voix contre 74 en faveur de l'interdiction de la participation des médecins à l'euthanasie et au suicide assisté, en dépit d'un rapport de la Commission d'éthique de l'AMC recommandant que cette question demeure une affaire de conscience individuelle et proposant des lignes directrices au cas où le suicide assisté par un médecin serait légalisé. L'absence d'unanimité au sein de la profession reflète l'absence d'unanimité au sein de la société.

Les professionnels de la santé et la Loi

Scott Mataya, infirmier de Toronto, fut accusé de meurtre au premier degré par suite de la mort d'un patient dans un état de coma dépassé. L'épouse du patient avait consenti au retrait des moyens artificiels de survie, mais lorsque le respirateur fut débranché, le patient fut pris de convulsions et de vomissements. Sans l'autorisation du médecin, Scott Mataya administre une injection mortelle au patient qui mourut en quelques minutes. Scott Mataya fut déclaré coupable au second chef d'avoir administre une substance délétère, condamné avec sursis et frappé d'interdiction à vie de pratique de la profession d'infirmier.

Début

Ce que prescrit la loi... Ce qu'en pensent les législateurs

Le débat actuel se déroule dans un contexte ambigu; la loi est explicite, mais compte tenu de la jurisprudence, elle n'est probablement pas applicable sous sa forme actuelle. Plusieurs cas où des professionnels de la santé ont contribué à hâter la mort d'un patient en phase terminale sont devenus de notoriété publique au Canada (voir encadrés), mais jamais il n'y eut de poursuite ou de condamnation pour complicité de suicide ou sous tout autre chef prévu par le Code criminel.
Le suicide n'est pas un crime et les patients jouissant de toutes leurs facultés ont le droit de refuser un traitement de maintien de la vie ou de réclamer l'interruption de ce traitement. Cependant, le Code criminel interdit formellement l'euthanasie et le suicide assisté et la plus haute Cour du pays a décidé, en septembre 1993, que les droits de Sue Rodriguez à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne n'incluaient pas le droit de choisir à quel moment mettre fin à sa vie ou de recevoir à cette fin l'aide d'un médecin. La décision, cependant, fut loin d'être unanime, représentant l'opinion de cinq juges contre quatre, ce qui reflète bien le conflit au sein de la société entre l'attachement profond à l'autonomie individuelle et le caractère sacré de la vie.
Pendant ce temps, et malgré qu'on en ait eu souvent l'occasion, aucun professionnel de la santé au Canada n'a jamais été poursuivi avec succès en vertu des dispositions de la loi touchant l'euthanasie ou le suicide assisté (voir encadrés). Il n'y eut pas davantage de condamnations pour meurtre par suite de l'administration d'analgésiques précipitant la mort ou de l'interruption d'un traitement sans valeur thérapeutique pour un patient en phase terminale. Cette situation, de même que l'ampleur croissante du débat public sur la question, a incité les législateurs à examiner de nouveau la loi, dont la dernière révision remonte à 1972.
L'une des premières études systématiques de la question fut celle de la Commission de réforme du droit, en 1983, qui s'opposa à la dépénalisation de l'euthanasie, mais recommanda que les soins palliatifs destinés à soulager la douleur, même s'ils hâtent accessoirement la mort, échappent aux dispositions du Code criminel touchant le meurtre, l'homicide par négligence et l'encouragement au suicide. Plus récemment, la Commission royale d'enquête de la Colombie-Britannique sur les soins de santé et leurs coûts (1991) a recommandé que des modifications soient apportées au Code criminel visant à

• reconnaître le droit d'un patient jouissant de toutes ses facultés de refuser un traitement médical ou d'en exiger l'interruption, soit directement, soit par l'entremise d'un mandataire désigné

• décharger le médecin de son obligation juridique d'administrer un traitement sans utilité thérapeutique lorsqu'il ne peut obtenir de consentement

• permettre au patient en phase terminale de réclamer et de recevoir des doses mortelles d'analgésique dépénaliser l'assistance au suicide d'un malade en phase terminale.

Un sous-comité de la Chambre des communes a demandé au ministre de la Justice d'examiner les questions juridiques et philosophiques entourant le suicide assisté et plusieurs projets de loi d'initiative parlementaire ont proposé des amendements au Code criminel semblables à ceux recommandés par la Commission de réforme du droit et la Commission d'enquête de la Colombie-Britannique. Ces projets de loi ont cependant été défaits ou sont restés en plan au Feuilleton et le gouvernement, pour sa part, n'a présenté aucun projet de loi, bien que le Premier ministre ait promis la tenue d'un vote libre sur la question. Ce vote pourrait intervenir au cours de 1995, après la présentation du rapport d'une commission sénatoriale chargée d'étudier les questions juridiques, sociales et morales entourant l'euthanasie et le suicide assisté.

Les professionnels de la santé et la Loi

Le numéro d'avril 1993 du Journal de l'Association médicale canadienne rapporte le cas du docteur Tom Perry Sr., spécialiste en recherche, qui en était à la phase terminale d'une lutte de neuf années contre le cancer de la prostate. Préférant demeurer à la maison, il recevait les soins de ses enfants — trois médecins et deux infirmières — qui se relayaient à son chevet 24 heures sur 24. Pour combattre la douleur, son médecin de famille lui avait prescrit de la morphine que lui administraient ses enfants.

Le docteur Perry est mort peu de temps après que son fils, Tom Perry Jr., lui ait administré une injection de morphine. Commentant plus tard l'événement avec un journaliste, Tom Perry Jr., alors membre de l'assemblée législative de la Colombie- Britannique, déclara - «Si vous me demandiez si cela a avancé le moment de la mort, je vous dirais que oui, c'est possible. Ou encore», a poursuivi le docteur Perry, «si le malade aurait vécu plus longtemps, la réponse est oui, peut-être, mais il aurait beaucoup souffert.»

À l'issue d'une tempête dans les journaux et à la législature, une enquête du coroner en chef de la Colombie-Britannique a conclu que le docteur Perry n'avait rien fait de mal et le Collège des médecins et chirurgiens de la province, l'organisme d'auto-réglementation des médecins, l'a félicité des soins qu'il avait dispensés.

Le suicide assisté : Le pour et le contre

Partisans et adversaires de la dépénalisation du suicide assisté invoquent à l'appui de leur thèse des arguments d'ordre moral, juridique et pratique.

Les premiers allèguent que l'opinion publique est favorable à la dépénalisation. Mais les seconds objectent que cela ne constitue pas une raison suffisante pour modifier la loi et que cette question fondamentale doit être résolue sur la foi d'arguments moraux, quoi qu'en dise l'opinion publique. Il est interdit de tuer, disent-ils, et le caractère sacré de la vie est un principe moral supérieur à l'autonomie individuelle.
Les partisans de la dépénalisation font valoir que le respect des voeux d'un mourant constitue le juste choix moral. La Charte canadienne des droits et libertés protège la liberté de choix et l'autonomie (malgré la décision de la Cour suprême dans l'affaire Rodriguez). «Si une personne est saine d'esprit, pourquoi n'aurait elle pas le droit de choisir comment elle meurt?», demande le docteur Scott Wallace. «Depuis quelques décennies, nous avons marqué des progrès impressionnants dans le domaine des droits humains, mais lorsqu'un mourant fait appel à la profession médicale pour soulager les derniers jours ou dernières semaines de sa vie, la loi le lui refuse.» [Journal de l'Association médicale canadienne, 148:8 (1993), pp. 1363-66.1]
Leurs adversaires répliquent que l'amélioration de la qualité de vie d'un mourant en répondant à ses besoins physiques, psychologiques, sociaux et spirituels constitue la façon la plus appropriée de montrer de la compassion. Aux yeux du docteur Robert Twycross, l'euthanasie et le suicide assisté sont «une solution extrême à une situation qui demande une approche beaucoup plus globale et compatissante. Ce n'est pas la loi qu'il faut changer, mais l'échelle des valeurs de l'enseignement de la médecine... une meilleure compréhension par les médecins de ce qui peut être fait... pour permettre aux malades [en phase terminale] de vivre mieux avec leur maladie.» [Allocution à une conférence internationale sur l'euthanasie et le suicide volontaires, 1980.1]
D'autres soutiennent que la compassion consiste à se conformer au désir de quelqu'un qui a demandé qu'on l'aide à mourir. Comme l'explique Russel Ogden, «la façon dont on meurt fait partie de la vie même, et l'on devrait être en mesure d'exercer un choix à l'égard de cet aspect de la vie. Bien souvent, le fait de savoir que l'on a le contrôle de sa mort renforce le sentiment d'avoir le contrôle de sa vie. Un sentiment de contrôle est essentiel à la qualité de la vie, surtout lorsque l'on fait face à la mort.» [Analyse de Politiques, 20:1 (1994), p. 15.1]
Le docteur Gabor Maté, spécialiste des soins palliatifs, et Margaret Somerville, spécialiste de la déontologie biomédicale, préconisent un moyen terme entre ces deux points de vue. D'après son expérience, déclare le docteur Maté, «le désir de mettre fin à ses jours provient en grande partie de l'angoisse de la souffrance. Le fait est que la grande majorité des patients n'ont pas à souffrir. Le désir de hâter la mort traduit une crainte de perdre le contrôle.» [Journal de l'Association médicale canadienne 148:8 (1993), p. 1368.]
Margaret Somerville ajoute que de «laisser souffrir les gens est non seulement une tragédie humaine et une atteinte aux concepts les plus fondamentaux des droits humains, mais encore faudrait-il traiter cela comme une faute professionnelle, passible de poursuites judiciaires, voire comme un crime. Il va de soi qu'administrer les analgésiques nécessaires, même au risque d'abréger la vie, ne saurait être considéré comme un crime... Ceux qui s'opposent à l'euthanasie mais qui ne font pas en sorte de soulager la douleur en prescrivant les calmants requis (ou pis encore qui s'y opposent, de crainte d'abréger la vie) ne font que promouvoir la cause qu'ils condamnent. [Journal of Contemporary Health Law and Policy 9:1 (1993), pp. 13-14.]
Les opposants à toute modification à la loi évoquent souvent le danger de s'aventurer sur un «terrain glissant», alléguant que la légalisation du suicide assisté conduira éventuellement à l'euthanasie involontaire. Témoignant devant la Commission sénatoriale, Leona Chalmers, infirmière de Winnipeg, a déclaré que «la sagesse humaine et l'intégrité ne seront jamais assez grandes pour nous donner le droit de décider à quel moment devrait prendre fin la vie. Le concept de la mort en tant que solution à la souffrance peut facilement dégénérer en une morale... où certaines personnes se sentiront obligées d'y recourir parce qu'ils se sentent devenir un fardeau ou des êtres inférieurs.» Autrement dit, les personnes vulnérables — émotivement fragiles ou en marge de la société, par exemple, y compris les personnes âgées — pourraient être persuadées de réclamer l'euthanasie contre leur gré, et ceux qui sont incapables d'exprimer leur volonté pourraient voir d'autres personnes décider à leur place.
Les partisans de l'euthanasie ripostent que l'établissement de lignes directrices rigoureuses peut prévenir les abus; ils mentionnent par exemple l'obligation d'obtenir une ordonnance de la Cour autorisant le suicide assisté, un certificat d'un médecin et d'un psychiatre attestant que la décision est libre et volontaire, la présence d'un médecin au moment du suicide et la condition que le geste entraînant la mort soit posé par la personne qui souhaite mourir.
Les tenants de la dépénalisation affirment également que l'argument du terrain glissant, bien que plausible, est réfuté par l'expérience de la Hollande où l'euthanasie volontaire et le suicide assisté sont très peu fréquents (selon un rapport du Procureur général de la Hollande), malgré la tolérance officielle. Leurs adversaires rétorquent que la Hollande connaît cependant des cas d'euthanasie involontaire, citant d'autres chiffres du même rapport selon lesquels la moitié des décisions d'interrompre ou de ne pas donner un traitement furent prises sans le consentement du patient, la plupart du temps une personne âgée. Début

On invoque, d'autre part, les difficultés d'application de la Loi actuelle. Les défenseurs de cette thèse affirment que si le suicide assisté n'est pas dépénalisé, les gens seront tentés de mettre fin à leurs jours par des moyens violents, dans des conditions déshumanisantes, ou bien rateront leur coup, se retrouvant dans un état pire qu'avant. En outre, le suicide assisté continuerait de se produire, comme à présent, en secret. Le docteur Ted Boadway, qui s'oppose à la résolution de l'AMC, estime que «cette pratique se poursuivra clandestinement... ce qui n'est dans l'intérêt de personne.» [Toronto Star, le 17 août 1994, p. A3.] En reconnaissant l'existence du suicide assisté et en établissant des lignes directrices sévères, la société se donne les moyens de contrôler cette pratique et de prévenir les abus. Les opposants à cette thèse font valoir que la persistance d'un acte criminel ne justifie pas sa légalisation, pas plus que nous ne légalisons d'autres actes interdits par le Code criminel.
Le suicide est légal, rappellent les partisans du suicide assisté, et il est illogique d'interdire que l'on aide quelqu'un à poser un geste légal. En outre, le droit constitutionnel à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne implique le droit de mettre fin à ses jours. Le suicide ne constitue pas un droit, répliquent leurs détracteurs; retirer le suicide du Code criminel ne signifie pas que la société approuve cet acte, mais qu'elle reconnaît que la loi n'est pas l'instrument approprié pour prévenir le suicide ou la tentative de suicide. Les organismes d'application de la loi continuent d'intervenir quand ils le peuvent pour empêcher les gens de se faire du mal.
Ceux qui réclament une révision des dispositions du Code criminel touchant le suicide assisté font valoir également que celles-ci sont discriminatoires, en ce que les personnes souffrant d'incapacité se voient interdire par la loi de se suicider, tandis que les personnes bien portantes sont libres de le faire. Leurs opposants soulignent cependant que c'est leur incapacité, et non la loi, qui empêche ces personnes de se suicider.
Enfin, les uns et les autres prévoient que l'issue, quelle qu'elle soit, du présent débat, transformera profondément la relation médecin-patient. Les adversaires de la légalisation du suicide assisté craignent que les relations entre patients et professionnels de la santé ne soient empoisonnées à partir du moment où le médecin sera perçu à la fois comme un guérisseur et un exécuteur. «Quand le médecin viendra à leur chevet leur faire une injection d'analgésique», explique le docteur Robert Pankratz, les patients ne sauront pas «s'il s'agit de soulager leur douleur ou d'y mettre fin de façon définitive.» [Journal de l'Association médicale canadienne 148:8 (1993), p. 1366.] On craint, d'autre part, que les gens qui ont besoin de soins médicaux, notamment les personnes âgées et les personnes souffrant d'invalidité, n'hésitent à recourir à l'aide d'un médecin.

Au contraire, répond le camp adverse; la relation se verra renforcée du fait que l'on saura que le médecin se fait toujours le défenseur du patient et que ce dernier conserve le droit de prendre la décision ultime. À l'issue du vote sur la résolution de l'AMC, le docteur Boadway a fait remarquer que «Le patient est prioritaire, mais cette résolution prétend que malgré les désirs du patient, le médecin ne doit pas l'aider.» [Globe and Mail, le 17 août 1994, p. A3.] En outre, même si la loi était modifiée, les médecins resteraient libres d'agir selon leur conscience et de ne pas participer à un suicide assisté s'ils y sont opposés pour des raisons morales ou toute autre raison.

Début

Quels choix a la société?

Compte tenu de la nature des arguments pour et contre le suicide assisté et des positions radicales adoptées de part et d'autre, la société et ses législateurs devraient peut-être chercher un juste milieu. Les solutions simples sont exclues, car tenter d'en appliquer une risquerait d'entraîner des conséquences fâcheuses. Quels sont donc les choix offerts et quels pourraient en être les résultats?
Conserver les dispositions actuelles du Code criminel confirmerait que le caractère sacré de la vie est un principe supérieur à l'autonomie individuelle et protégerait les intérêts des membres les plus vulnérables de la société, notamment les personnes âgées. Cette solution serait également conforme au voeu de la majorité des Canadiens âgés, tel qu'exprimé dans un sondage d'opinion publique.
Cependant, on prolongerait ainsi la situation actuelle, à savoir que la pratique se poursuivrait clandestinement, au détriment éventuel des patients, des médecins et de la relation patient-médecin. En outre, compte tenu des attitudes des Canadiens, les jurés hésiteront sans doute à trouver coupables les personnes accusées de ces crimes ou se contenteront de les déclarer coupables de délits moindres. L'affaire Kevorkian (Michigan, 1994) et, au Canada, l'affaire Scott Mataya (voir encadrés) ont déjà confirmé ces craintes.
Dépénaliser ou, comme en Hollande, conserver le caractère criminel, mais ne pas intenter de poursuites pourvu que l'on observe des lignes de conduite rigoureuses, respecterait le principe de l'autonomie individuelle et favoriserait le contrôle social de cette pratique en la faisant sortir de la clandestinité. Nombreux sont ceux, cependant, qui craignent qu'une telle solution n'entraîne des abus - le fameux terrain glissant entre l'euthanasie volontaire et l'euthanasie forcée pour les membres les plus faibles et les plus vulnérables de la société.
Une autre possibilité consisterait à conserver le suicide assisté dans le Code criminel, mais à lui assigner un degré de gravité moindre qu'au meurtre. Pareille démarche consacrerait le caractère sacré de la vie comme principe fondamental de la société, tout en reconnaissant celui de l'autonomie personnelle et les motifs de compassion des médecins et des autres qui, sur demande, aident quelqu'un à mourir. Cette solution, cependant, risque d'aliéner les antagonistes de part et d'autre du débat, qui la percevront respectivement comme étant trop clémente et trop sévère. Et aussi longtemps que cette pratique sera assortie d'une peine, le problème de la clandestinité et partant, de l'absence de contrôle de la société, demeurera entier.

Il semble évident qu'il n'existe aucune solution satisfaisante à elle seule au présent débat. Les craintes personnelles dont s'inspire l'appui à l'euthanasie et au suicide assisté seraient susceptibles d'être dissipées quelque peu si, comme l'a suggéré Margaret Somerville, l'on reconnaissait adéquatement

• le droit à un traitement approprié pour soulager la douleur ou toute autre souffrance physique grave

• le droit de refuser un traitement

• l'absence d'obligation du médecin d'administrer un traitement inutile. [Journal of Contemporary Health Law and Policy 9:1 (1993), p. 15.]

Début

À supposer que cette approche, ou une approche semblable soit celle retenue par les Canadiens et leurs législateurs, le Code criminel constitue-t-il le meilleur moyen de la mettre en oeuvre? Ou d'autres instruments — une loi fédérale distincte, des lois provinciales ou des lignes directrices déontologiques à l'intention des professionnels de la santé — seraient-ils plus appropriés?
Compte tenu de la complexité de cette question profondément ardue, le CCNTA invite tous les Canadiens et Canadiennes à réfléchir consciencieusement à leur propre position et à la faire connaître à leur député fédéral qui aura vraisemblablement à se prononcer sur la question en 1995.


Expression est publié 4 fois l'an par le Conseil consultatif national sur le troisième âge, Ottawa, Ontario KI A OK9, (613) 957-1968, télécopieur: (613) 957-7627.

Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles du CCNTA. ISSN 0822-8213

Recherche : Louise Plouffe
Production : Francine Beauregard

   
   
Mise à jour : 2005-02-17 10:26
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